Abdication face à l’intolérable ou désir de vengeance posthume : suicide et genre à la fin du Moyen Âge

Giving up in the face of the intolerable or striving for posthumous revenge: suicide and gender in the late Middle-Ages

Abdankung gegenüber dem Unzumutbaren oder Wunsch nach posthumer Rache: Selbstmord und Geschlecht im Spätmittelalter

DOI : 10.57086/sources.246

p. 15-33

Résumés

Certains maris, accusés d’avoir battu à mort leur épouse, laissent parfois entendre dans la lettre de rémission qui les disculpe que le décès de leur compagne n’est en réalité qu’une preuve supplémentaire de la méchanceté incorrigible de cette dernière. L’épouse aurait tout fait pour mourir de manière à faire accuser son malheureux mari. Cet argumentaire est d’autant plus surprenant que généralement les proches cherchent au contraire à dissimuler le suicide. La condamnation du suicide dans la société médiévale rend en effet le soupçon d’un tel acte quelque peu dangereux pour le mari lui-même. Pourtant, certaines voix féminines confirment que la vie maritale est parfois suffisamment insupportable pour envisager sa propre mort : est-ce dans l’espoir de se voir vengée ? L’expression dans d’autres contextes, notamment guerrier, de l’idée que la mort est parfois préférable à l’assujettissement amène à se demander à quel point le suicide, dans certaines situations insupportables, était lui-même jugé intolérable.

Some husbands, who had been accused of beating their wives to death, sometimes suggested in the letters of remission by which they were exculpated that their wives’ deaths in fact only constituted further evidence of their incorrigible maliciousness: they had done everything they could to die in order to have their unfortunate husbands accused. Such arguments were all the more surprising as relatives usually tried to cover up instances of suicide. As suicide was condemned in medieval society, suspicions of its occurrence could prove quite dangerous for the husband himself. Yet, some women’s testimonies confirm that married life was sometimes unbearable enough to lead to considerations of suicide: did these women entertain the hope of being avenged? The fact that in other, especially martial, contexts, death was sometimes considered as preferable to subjection raises questions about how intolerable suicide, in certain unbearable situations, was itself judged to be.

Adrien Dubois is an associate member of the Centre Michel de Boüard, at the university of Caen-Normandy.

Einige Ehemänner, die beschuldigt waren, ihre Frau zu Tode geschlagen zu haben, gaben in ihren rechtfertigenden Gnadengesuchen zu verstehen, dass der Tod ihrer Partnerin in Wirklichkeit nichts anderes als ein weiterer Beweis der unkorrigierbaren Boshaftigkeit letzterer sei. Die Gattin habe alles getan, um auf eine Weise zu sterben, die ihren unglücklichen Ehemann auf die Anklagebank bringen würde. Diese Argumentation überrascht umso mehr, als die Nahestehenden in der Regel eher versuchten, ihren Selbstmord zu vertuschen. In der Tat machte die Verurteilung des Selbstmords in der mittelalterlichen Gesellschaft den Verdacht auf einen solchen Akt zu einer Gefahr für den Ehemann selbst. Zugleich bestätigen einige weibliche Stimmen, dass das Eheleben manchmal unerträglich genug war, um den eigenen Tod ins Auge zu fassen. Geschah dies in der Hoffnung, damit Rache zu verüben? Da in anderen, vor allem kriegerischen Zusammenhängen der Gedanke präsent war, dass der Tod bisweilen der Unterwerfung vorzuziehen sei, kann man sich fragen, in welchem Maße der Selbstmord seinerseits in manchen unerträglichen Situationen inakzeptabel erschien.

Adrien Dubois ist assoziiertes Mitglied des Centre Michel de Boüard an der Universität Caen (Normandie).

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Le suicide paraît être l’une des manifestations les plus extrêmes d’une situation devenue impossible à supporter. Il est également très difficilement supportable pour ceux qui restent, d’autant plus au Moyen Âge que la condamnation du geste rejaillit sur eux, à la fois par la privation de sépulture et par la confiscation des biens du coupable. Ces mesures, dans une société connue pour être profondément chrétienne, n’étaient pourtant pas toujours suffisamment dissuasives pour empêcher femmes et hommes de mettre fin à leurs jours. Bien entendu, étant donné la documentation dont disposent les historiens, aucun chiffre ne peut être avancé.

Cependant, les travaux de Jean-Claude Schmitt1, puis d’Alexander Murray2 ont mis en évidence la variété de textes médiévaux qui mentionnent des suicides. Toutes ces sources ne présentent pas le même intérêt documentaire. Les inventaires de biens des suicidés3 ou les quittances de bourreau pour avoir pendu au gibet le corps d’un « homicyde qui s’estoit pendu4 » ne nous disent rien des motivations du geste. En revanche, parmi les sources de la pratique, les lettres de rémission tentent souvent de l’expliquer, de manière à obtenir le pardon royal. En effet, le texte de ces lettres – qui ont été l’objet de magnifiques études qu’il est impossible de résumer en quelques lignes5 – accordées par la chancellerie royale reprend en grande partie le récit composé par un individu (ou ses proches) qui, par l’aveu de sa culpabilité ou au contraire par l’exposé de son innocence, supplie le roi de lui accorder son pardon. Nous ne connaissons donc malheureusement de ces récits de suppliants que ceux qui furent recopiés dans les registres de la chancellerie royale6, parce qu’ils ont, théoriquement, abouti à la remise des peines encourues. Non sans conditions cependant. La plus importante d’entre elles, du moins pour ce qui nous préoccupe, est que la grâce n’est valable que si la rémission est entérinée par le tribunal où l’affaire devait être traitée. C’est dire que les bonimenteurs risquaient fort de se voir déboutés, et que l’aveu avait tout intérêt à avoir au moins l’apparence de la vérité7. Vraisemblance donc, et pas forcément vérité, ce que montrent d’ailleurs certaines lettres qui n’ont pas été entérinées… Cette vraisemblance est cependant déjà extrêmement précieuse pour l’historien : les motivations indiquées par les proches du suicidé correspondent certainement aux raisons que l’on tient alors pour susceptibles de conduire au suicide. Seulement, le suicide représente moins de 1 % de l’ensemble des crimes pardonnés dans les lettres de rémission8, ce qui explique que le corpus relatif à ce sujet dans cette source s’étoffe au fur et à mesure des dépouillements : Jean-Claude Schmitt avait repéré six lettres, Alexander Murray sept de plus (sans compter une tentative de suicide).

Le corpus ici réuni comprend une partie de celui d’Alexandre Murray (sept lettres) et 17 nouvelles lettres (tableau 1), sans compter les mentions de tentatives de suicide ou de manifestations d’envie de mourir. Il s’appuie à la fois sur des dépouillements systématiques (registres JJ 87 ; JJ 94 à 121 ; JJ 155 et JJ 156 ; JJ 173), sur les sources éditées et sur les résultats d’une recherche axée plus spécifiquement sur les violences féminines. Si le sexe ratio est donc ici trompeur du fait de la nature des recherches menées pour constituer le corpus, il semble bien cependant que la part des femmes est beaucoup plus importante dans le suicide que dans les autres types de violences : Alexander Murray a montré que, si les sociétés anciennes connaissent généralement un rapport d’un suicide féminin pour deux à trois suicides masculins, le sexe ratio est extrêmement variable en fonction des sources considérées et la part des femmes reste certainement sous-estimée9, sans que le modus operandi paraisse en cause. En parallèle, l’homicide est « écrasant chez les hommes : il implique 99 % des coupables » sollicitant une lettre de rémission. En outre, « environ 79 % des victimes d’un homicide pardonné sont des hommes, un chiffre qui va jusqu’à 97 % s’il s’agit d’une rixe10 ! ». Ces chiffres montrent l’intérêt d’interroger la pratique du suicide sous l’angle du genre.

La recherche s’appuie aussi sur des textes relatifs non seulement à des tentatives de suicide, mais aussi à l’envie de mourir et au désespoir. L’intérêt de ces derniers réside dans le fait que ce ne sont plus alors les proches qui tentent d’expliquer le geste du disparu, mais le suppliant lui-même qui expose ce qui lui a rendu la vie insupportable.

Une causalité liée à la criminalisation du geste

Bien entendu, comme il s’agit d’obtenir le pardon, la première préoccupation des suppliants est d’atténuer la responsabilité du « coupable ». Or, malgré les nuances proposées quant aux motivations par Jean Boutillier au xive siècle dans la Somme rurale11, les textes normatifs condamnent uniformément le geste. On estime généralement que deux éléments sont à l’origine de cette condamnation quasi unanime : d’une part la crainte que le suicidé ne revienne hanter les vivants, d’autre part l’Église, qui, depuis saint Augustin, considère le geste comme un homicide de soi et le désespoir comme un vice. Cette condamnation du suicide par les autorités civiles et religieuses pourrait cependant être à nuancer.

Contourner la peur des mauvais morts

En 1451, le notaire Pierre de Coderc, habitant de Mirande en Gascogne expose que, quelques années plus tôt, un homme « se precipita et despera oudit lieu de Mirande et ce non obstant fut enterré et mis en terre saincte ou cimetere dudit lieu ». L’événement est suivi par une « tres grant pluie » qui dure neuf jours, jusqu’à ce que le suicidé « fut desevely et gecté hors de la terre saincte et mis en terre prophane et incontinant apres cessa ladite pluie ». Quelque temps plus tard, une femme de Mirande, « seduite ou temptee de mauvais esperit, se precipita ou despera et voluntairement comme l’en disoit se gecta dedans le puis commun de ladite ville de Mirande et illecques se noya et fina piteusement ses jours ». Son mari obtient pourtant du juge de Mirande « et autres officiers ausquelz appartenoit la cognoissance » de pouvoir enterrer son épouse en terre sainte. Le « peuple dudit lieu », faisant le parallèle avec les événements antérieurs, se soulève alors « par maniere commotion et insult » : armés, les révoltés tentent pendant trois jours et trois nuits d’empêcher l’inhumation en se saisissant de tous ceux qui leur paraissaient favorables à l’inhumation en terre sainte et finissent par obtenir gain de cause. La communauté craint-elle qu’il ne faille reconsacrer le cimetière à ses frais ? Ne pourrait-elle pas également manifester de la sorte une réprobation supérieure à celle des autorités à l’égard du geste lui-même, d’autant plus que le suicide dans le puits commun pouvait apparaître comme une marque d’hostilité à l’encontre des habitants à une époque où l’on craint l’empoisonnement des puits ? La réprobation du suicide pourrait trahir ici à la fois une peur de la contagion (au propre comme au figuré), mais aussi la perception d’une violence qui est faite à l’ensemble de la communauté des vivants.

Disculper le défunt et protéger les siens

La littérature peut bien glorifier certains suicides d’amour12, l’iconographie distinguer des suicides d’honneur (celui de Lucrèce en particulier), la famille d’un suicidé est quant à elle confrontée à un crime qui risque fort de la déshonorer, voire de la marginaliser, à la fois par la punition infligée au cadavre et par la confiscation des biens du coupable. La tentation peut être grande dans ces conditions de dissimuler la cause du décès. En juillet 1379, Masse Le Telier, de Saussy, près de Sens, âgé de 70 ans, revient un soir à son domicile et trouve son épouse « qui, par temptacion d’ennemi [le diable], avec courroucement de cuer, si comme l’en dit, de ce qu’ilz avoient esté desrobez, s’estoit pendue a une corde ». Masse coupe la corde, après quoi il « pria a ses gens et se agenoilla que ilz taississent et celassent ledit fait et n’en parlassent a aucune personne ». Son épouse est inhumée dans l’église. Seulement, « la chose est venue a cognoissance de justice », raison pour laquelle Masse sollicite le pardon royal. Il ne précise cependant pas s’il s’agit d’obtenir le pardon pour la dissimulation du crime ou pour le crime lui-même. Les motivations de son épouse restent par ailleurs hypothétiques (« si comme l’en dit »). C’est également le cas pour Jean Lunneton, retrouvé pendu dans le bois de Chantilly en 1387, son épouse estimant que « l’en ne puet bonement savoir se ledit cas est avenu par la desesperation de sondit feu mary ou autrement13 ». Cependant, la lettre ne manque pas de replacer l’événement dans le contexte des exactions des gens de guerre.

Sur les motivations de l’acte

Si les lettres de rémission visent à disculper l’auteur du suicide en avançant que la raison du geste était à chercher dans la folie et dans l’intervention du diable, le récit donne généralement des indices sur d’autres motivations et suggère ce que les médiévaux jugeaient insupportable.

Sept affaires mentionnées par A. Murray, concernant une femme et six hommes, ont été négligées du fait de la minceur des informations qu’elles apportent quant aux motivations (l’épouse de Pierre Le Sage « s’est occise ») ou parce que la réalité du suicide elle-même n’est pas bien établie (le suicide de l’épouse Tessandier n’a pas été retenu dans le tableau pour les mêmes raisons, cf. infra).

Cote A.N.F. Nom du suicidé État Motivation du geste
Femmes
JJ 81 n° 63 (Murray) Isabel Trouart mariée enfermée par son mari
JJ 95 n° 172 Crépinette Ruisselay mariée maladie, frénésie
JJ 97 n° 40 Fauquette des Ays mariée pour noise meue entre son mari et elle pour raison du fils que son mari a eu d’une précédente union
JJ 115 n° 74 Perrine de Clary mariée très petit sens, frénésie
JJ 115 n° 172 épouse de Masse Le Telier mariée tentation de l’ennemi, courroucement de cœur de ce qu’ils ont été volés
JJ 110 n° 321 Emmeline Chambellan mariée tentation de l’ennemi
JJ 119 n° 369 Jeanne Orseillette mariée grandement malade tant au corps comme au chef, mésalliance qui mécontente la parentèle
JJ 172 n° 474 Henriette Charuel mariée victime de vols et de coups, « nous avons perdu notre chevance ! Or avons nous tout perdu ! »
JJ 172 n° 505 Martine Boycervoise mariée « perdu toute leur chevance »
JJ 172 n° 614 Perrote de Courcelles   perdu ses amis et biens dont « par courrouz et desplaisir elle feust cheute en maladie, comme idiote »
JJ 173 n° 183 Perrette de Conchieres veuve a confié ses biens à un escroc, emprisonnée
JJ 185 n° 165 épouse Jean Guillart mariée maladie, coups du mari ?
JJ 173 n° 392 (Schmitt Murray) Jeannette Maillart mariée souvent « ebetée en son entendement et aucunes fois comme furieuse » ; morte pendue en la chambre de son mari
Hommes
JJ 103 n° 359 Gassot Mercier marié « fole yvrece et temptation de l’ennemi »
JJ 106 n° 115 Jacques Le Pelletier marié « par desesperance, fureur et temptation de l’ennemi »
JJ 116 n° 108 Bauduin de Beaucaurroy marié mélancolie, fragilité de nature, tentation de l’ennemi (rançon trop importante)
JJ 130 fol. 152 (Schmitt Murray) Jean Lunneton marié retrouvé pendu dans les bois de Chantilly ; cause de la mort inconnue
JJ 142 n° 119 Jaquet Le Barbier ? « par temptacion de l’ennemi », s’est pendu dans la maison de son frère
JJ 146 fol. 65r°v° (Schmitt Murray) Jean Massetoier marié très malade, « en mélancolie de teste », se jette dans un puits
JJ 156 n° 81 Guillaume Le Vasseur marié noises et discors dans le couple, il « estoit jaloux d’elle », il croit avoir tué son épouse au cours d’une discorde
JJ 173 n° 413 Guillot Lasnier marié endettement, maladie, tentation de l’ennemi
JJ 170 n° 154 (Schmitt Murray) Perrin Le Vacher marié maladies (lui et son épouse), mort de deux enfants, perte de ses biens
JJ 171 n° 429 (Schmitt Murray) Denisot Sensigaut marié « cheu en adversité de maladie », « cheu en frenoisie »
JJ 172 n° 313 (Schmitt Murray) Michelet Le Cavelier marié maladie, frénésie

Tab. 1. Suicides féminins et masculins.

Bien entendu, il ne s’agit pas d’un corpus suffisant pour tenter des statistiques. Cependant, on constate qu’une grande majorité des individus du corpus sont mariés, alors même que l’on aurait pu imaginer que la conjugalité constituait une protection contre le suicide. En outre, pour Fauquette des Ays, Jeanne Orseillette, Isabel Trouart et l’épouse Jean Guillart, le suicide paraît en lien étroit avec le mari, de même qu’il l’est avec l’épouse pour Guillaume Le Vasseur.

Surtout, un cas n’a pas été intégré à ce corpus parce qu’il ne semble pas s’agir d’un suicide, malgré ce qui avait été fortement suggéré par le veuf de la défunte. En effet, Jean Tessandier, pêcheur de Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne), prétend, dans une première supplication, que l’épouse ivre qu’il a battue n’est pas morte de ses coups. « De felon courage », elle lui aurait en effet annoncé « que elle feroit celle journee tele chose que sondit mari en seroit pendu par la gorge ». Lorsqu’on lui annonce le décès de son épouse quelques heures plus tard, il « presume que tant pour ce que elle estoit si chargiee et surprinse de vin, toute forcenee et temptee de l’ennemy, comme par les paroles dessusdictes que elle avoit dites a sondit mary comme dit est, ycelle femme se estrangla ou occist elle meismes afin que sondit mary eust aucune villenie de sa personne14 », c’est-à-dire qu’elle se serait tuée de manière à ce que son mari soit puni. Il y a fort à parier que Jean Tessandier n’a pas réussi à convaincre le juge au moment de l’entérinement de la rémission puisqu’une seconde lettre, neuf mois plus tard, ne mentionne plus ni les menaces de l’épouse, ni la possibilité du suicide : cette fois, Jean rapporte que les médecins qui ont ausculté son épouse après sa mort n’ont trouvé aucune blessure qui puisse expliquer son décès et ont estimé qu’elle était « morte d’aucun accident soudainement ainsi que plusieurs gens meurent15 ». Mais il se trouve également obligé de reconnaître qu’il a souhaité qu’elle ne pût mourir que de ses mains à lui.

À la différence donc des exemples précédents, où les proches sont soucieux de dissimuler le suicide, Jean Tessandier l’a avancé pour tenter de relativiser sa propre responsabilité dans la mort de son épouse, malgré le risque que le déshonneur ne rejaillisse sur lui. Ceci amène à se questionner sur les autres situations où les relations matrimoniales paraissent motiver le geste.

Suicide des épouses et relations matrimoniales

Fauquette des Ays se serait ainsi jetée dans un puits, « par sa forsennerie », à cause d’une dispute au sujet d’un enfant que son mari avait eu d’une autre femme. Isabelle Trouart s’est pendue alors qu’elle était tenue enfermée par son mari du fait de sa mauvaise conduite. Le veuf obtient en avril 1352 des lettres de rémission de manière à ne pas voir les biens d’Isabel confisqués et à pouvoir faire enterrer son corps en terre consacrée16. Alexander Murray souligne que le récit ne fait aucunement appel à l’état psychologique d’Isabel pour expliquer son geste.

Il en est autrement dans le récit du Berrichon Jean Guillart qui, en 1451, nous laisse comprendre que le suicide de son épouse était lié au comportement étrange de cette dernière : il l’avait trouvée dansant « le jour d’une feste des trespassez avant la messe en la compaignie de certaine autre femme » ; alors qu’elle était malade, elle refusait d’aller près du feu pour se réchauffer et préférait garder la chambre ; pendant la même période, alors qu’elle était alitée, elle ne daigne pas lui répondre lorsqu’il lui demande des draps pour préparer un lit. Interprétant ce silence comme une désobéissance, Jean « luy dist qu’elle mist peine a guerir et que, quant elle seroit guerie, elle luy en rendroit compte » : la nuit suivante, elle « se leva et s’en ala noyer en certaine riviere ». Les faits remontent à 17 ans avant la rémission, que Jean demande pour avoir donné des coups mortels à sa dernière épouse. On ne peut que se demander alors si la folie seule était à l’origine du suicide de sa précédente conjointe17. En 1426, les proches de la Parisienne Jeannette Maillart, qui « estoit souvent ebetée en son entendement et aucunes fois comme furieuse », restent bien vagues sur les motivations de cette jeune femme de 25 ou 26 ans, qui a été retrouvée « morte pendue a ung licol de corde en la chambre de sondit mary » ; ils rappellent simplement qu’elle était trop portée sur la boisson et jalouse de son mari18. Une autre Parisienne, Emmeline, épouse de Jean Chambellan, vit assez longtemps après s’être frappée « d’un coustel en la panse, en la gorge et dessouz le menton » pour « descoulp[er] sur ce sondit mari et touz autres19 », aucune autre raison que la « tentation de l’ennemi » n’est invoquée pour expliquer son geste.

Cependant, dans toutes ces situations, ce sont toujours les proches qui tentent d’éviter la confiscation des biens ou la condamnation du corps, on ne connaît pas les sentiments du suicidé lui-même. Les tentatives de suicide et les manifestations de l’envie de mourir sont ainsi peut-être davantage susceptibles de nous informer de ce qui est insupportable.

Tentations et tentatives de suicide

Les tentatives de suicide restent assez délicates à repérer dans les archives médiévales, sans doute parce qu’elles étaient passées sous silence. Sept cas seulement ont été relevés dans les lettres de rémission.

Cote A.N.F. Nom du suicidé État Motivation du geste
Femmes
JJ 172 n° 430 Jeannette Voydié mariée mélencolie, cherté du temps ; son lait se defouy, elle se considère comme une mauvaise mère ; rémission pour avoir noyé son enfant
JJ 163 n° 229 Ysabeau Serraillier mariée manque de sens naturel, va chez ses amis sans le congé de son premier mari, manque de sens naturel dans son second mariage (mais n’est pas diffamée d’avoir commis adultère) ; « se jecta en un puys par sadicte indiscrecion et deffault de bon sens naturel ». « Sequestree et separee de l’ostel et compaignie de sondit mary », elle tue une fillette
JJ 169 n° 26 Marion de Fresnes mariée courroucée de n’avoir pas reçu d’aide ; idiote et lunatique parfois, faiblesse de jeunes, « abstinance et autrement », « blecée au cerveil, dont autrefois elle avoit esté temptée de soy noyer », elle égorge sa fille et tente de se pendre
JJ 148 n° 60 Ysabel Potier mariée « toujours yvresse une fois ou deux chacun jour », voleuse, tensoit audit suppliant, « batoit son fils, sa chamberiere et ses clers », son mari la prive de vêtements pour l’empêcher de sortir, elle tente de se noyer… finalement, son mari la tue
Hommes
JJ 110 n° 208 Pierre de Solente marié « par impacience, fragilité ou diminucion de son corps et de sa sensualité soit devenu tout ydiote et aussi comme furieux hors de sa droite pensee » ; « par pluseurs foiz se soit exposé a soit mectre a mort de ses propres mains pendre ou noyer aussi comme tout desesperé » ; a tué son fils et tenté à nouveau de se suicider
JJ 190 n° 177 Guillaume Fauchon marié pauvreté, « tout desesperé et desirant plus sa mort que sa vie », se frappe d’un couteau
JJ 188 n° 203 Jacquet Morinet marié « maladif, melencolieux, courroussé » ; « fresnasieux, altéré de son entendement et blecié en son cerveau » ; a tué sa belle-sœur ; tentative de suicide

Tab. 2. Tentatives de suicide féminines et masculines.

De la folie dans les cas de tentative

À part pour Guillaume Fauchon, le pardon n’est pas demandé simplement pour la tentative de suicide, mais cette dernière est associée à un crime – ce qui confirme que généralement la tentative seule, même lorsqu’elle paraît de notoriété presque publique, n’entraîne pas de condamnation. Ce crime, souvent, consiste à tuer un enfant, ce qui pourrait confirmer que la folie est en cause.

Prenons l’exemple de Jeannette Voidié. Cette femme de 28 ans « se souffroit et chagrinoit moult souvent, tres impaciemment », pendant sa grossesse, « considerant la petite gangne de sondit mary, leurs cherges et chierté du temps ». Elle accouche en décembre 1423 d’un enfant qu’elle ne parvient pas à nourrir à son sein, son lait s’étant « defouy » à la suite d’une dispute avec sa chambrière. L’enfant est placé en nourrice et …

sadicte mere se continua forment [fortement] à troubler et melencolier, et delaissa d’aler a l’eglise ou elle aloit bien au devant ; dont, quant sondit mary l’en reprenoit, elle disoit qu’elle n’y sauroit que faire et y vauldroit autant une beste comme elle. Et aussi quant aucunes foiz elle voyoit sesdiz enfans, ou l’un d’iceulx, jouer à sondit mary, leur pere, elle leur disoit qu’ilz avoient en elle une mauvaise mere. Dont pour ce que sondit mary l’en blasmoit, en lui remonstrant pour l’apaisier qu’il gangnoit assez bien et qu’il ne pourroit vivre avec elle a la maniere qu’elle tenoit, en la, aucunes foiz, menaçant de battre se elle ne se gouvernoit autrement, elle disoit qu’elle vouldroit qui l’eust mise en tel estat que l’en la portast en terre.

Elle tente alors à plusieurs reprises de se pendre et de se jeter dans la Seine, mais son mari parvient à l’en empêcher. Il fait venir le père et le frère de Jeanne pour l’apaiser, mais elle « se desconforta come devant, disant en plourant qu’elle vouldroit estre morte. » Apprenant que leur enfant en nourrice est malade, il le fait revenir à Paris « en si povre point et langueur que c’estoit piteuse chose à veoir20. » La mère tue l’enfant peu après et ce sont là encore les proches qui sollicitent le pardon royal dans ce texte qui présente de manière convaincante l’évolution de la dépression de Jeanne. On ne peut s’empêcher de constater cependant – et malgré le portrait positif qui est dressé du mari – que la première manifestation chez elle de l’envie d’être morte est directement liée à une menace de correction conjugale et que la tentative de suicide paraît consécutive à l’idée que la mort puisse être causée par le mari.

Le cas d’Ysabel Potier est également intéressant. C’est son veuf qui nous décrit cette femme ivre en permanence, voleuse, passant son temps à fréquenter les tavernes en mauvaise compagnie, se battant avec son mari, son fils, ses serviteurs. Là encore, le mari se présente sous un jour favorable : il va jusqu’à lui procurer tout le vin dont elle a besoin pour l’empêcher d’aller à la taverne. Las, un samedi de marché, il apprend qu’elle boit avec des prêtres dont un qui envisage de l’emmener avec lui. Il décide alors de lui confisquer les vêtements avec lesquels elle sort de chez elle ; « ce jour, elle se gecta dedans un estang pour soy cuidier [penser] nayer ». Sauvée par des passants, elle est conduite par son mari chez des parents, mais rien n’y fait : revenue auprès de son mari, elle met le feu à un domicile et à la grange d’un voisin, « en esperance de ardoir tout le hamel, disant qu’elle vouldroit que tout le hamel feust ars et la maison de son mari la premiere. » C’en est trop pour l’époux qui la tue en lui affirmant : « larronnesse, tu nous a voulu ardoir, je sçay bien que tu me feras mourir, ainçois que je l’aye deservi ». La tentative de suicide est donc ici associée, du moins chronologiquement, à une privation de liberté, et participe du portrait du contre-modèle de l’épouse, laquelle va jusqu’à souhaiter la mort de son mari.

L’envie de mourir dans les suppliques

Étonnamment, cette idée que la crise conjugale ne peut se régler que dans la mort d’un des membres du couple se retrouve dans des supplications féminines qui évoquent la tentation du suicide. Olive Le Maire est particulièrement claire : « elle vouldroit estre morte ou qu’il fust mort pour la malle vie et noise qu’il lui menoit. »

Cote A.N.F. Nom du suicidé État Motivation du geste
Expression de l’envie de mourir
JJ 210 n° 259 Olive Le Marie mariée battue par son mari, « elle vouldroit estre morte ou qu’il fust mort pour la malle vie et noise qu’il lui menoit » ; a tué son mari
JJ 179 n° 291 Julienne de Neufchâtel mariée maltraitée par son époux, qui « lui menoit si mauvaise et rigoreuse vie qu’elle desiroit plus a mourir que vivre et telement qu’elle se feust voulontiers desesperee se n’eust esté pour l’amour d’une sienne fille qu’elle avoit » ; elle fait tuer son mari
JJ 87 n° 231 Jeanne Goye mariée « estoit en volenté de soy mettre a mort par soy noyer, pendre ou autrement, desirant la mort plus que la vie se ne fust la grace de nostre Seigneur » ; complice de l’assassinat de son mari
JJ 181 n° 229 Ponon Guillotin célibat a couché avec un homme qui lui avait promis le mariage ; enceinte, « deshonnoree, elle fut si troublee qu’elle eust voulu estre morte » ; elle met le feu à la maison de son amant
JJ 195 n° 1204 Jeanne Bolu mariée très grande pauvreté, « elle print une telle et si grande melancolie que elle devint insensee », « luy vint en ymaginacion et vouloir de soy et tous ses petis enfans aller noyer », elle noie sa dernière née
Désespoir
JJ 129 n° 228 Tiphaine Tabourdeau célibat « Comme desesperee pour la faulseté » de son amant qui refuse de reconnaître avoir promis de l’épouser ; met le feu
JJ 161 n° 30 Juliote La Buquete célibat met le feu « par couroux et desespoir » à une grange appartenant au séducteur qui l’a engrossée et nié les engagements matrimoniaux qu’il avait pris
JJ 174 n° 17 Jeanne de La Vorenne mariée « comme toute desesperee ou hors de son bon sens » met le feu à la maison de sa voisine qu’elle pense entretenir une relation adultère avec son mari
JJ 189 n° 30 Jeanne Juppele mariée après avoir incendié une maison, « entra en une grant folie ou melencolie et s’en ala parmy les champs comme fole et toute desolee, ça et la, ne savoir ou. Et eust esté en dangier de soy gecter en puy ou riviere ou autrement aller a perdicion se n’eust esté son poure mary »
JJ 190 n° 69 Perrine de Grangie mariée incendie le domicile du père de son mari « desesperee et tentee de desespoir » parce que mariée contre son gré à un mari fou, elle « ne regretoit que la mort » ; elle n’est coupable que « par desespoir et de legiere et fragile voulenté de femme »
JJ 117 n° 168 Laurence Le Bouvier mariée a abandonné son mari (de peur d’être battue) comme forcenée ; vol « par desespoir pour ce qu’elle n’avoit de quoy vivre »
JJ 145 n° 367 Robine Poignant célibat tue son enfant « comme toute desesperée »
JJ 160 n° 96 Marion Dragon célibat jette le corps de son enfant mort né « toute esperdue et desesperee »

Tab. 3. Tentations du suicide et mentions du désespoir dans des supplications féminines, sans passage à l’acte.

Encore une fois, malgré le petit nombre de cas collectés, il reste intéressant de voir que la tentation du suicide est presque toujours liée à des relations matrimoniales difficiles et que, pour les trois femmes mariées concernées, l’affaire se conclut par la mort du mari. Il est évident que le fait de vouloir mourir est ici une circonstance atténuante pour tenter de se faire pardonner un crime d’une gravité double : non seulement il s’agit d’un homicide, mais en outre, à la différence des hommes qui tuent leur épouse et peuvent prétendre qu’il s’agit d’un châtiment mérité qui a mal tourné, il s’agit là d’un renversement de hiérarchie insupportable. La mention de la tentation du suicide permet donc de renvoyer à la folie qui seule peut expliquer qu’on en vienne à tuer son mari. Le récit de Julienne de Neufchâtel montre bien pourtant que la folie a ses limites puisqu’elle a renoncé au suicide par amour pour sa fille.

La manière dont Marguerite Vallée raconte son histoire en 1537 présente cet intérêt particulier que la tentative de suicide succède cette fois au meurtre du mari. La violence de ce dernier est au cœur du récit : « oultrageusement batue et mutilée journellement et continuellement », Marguerite « en auroit esté souventesfoys parturbée et divertye de son esperit et perdue l’entendement ». Tombée « quasi en desespoir », elle « auroit désiré souventesfoys estre morte ». Plus particulièrement, on octobre 1536, blessée par son mari, elle se sauve chez des voisins « comme femme desesperée, disant qu’elle eust voullu estre morte ». Ses voisins lui suggèrent pourtant de retourner chez elle pour « pityé de sesdits deux enffans », ce qu’elle refuse à plusieurs reprises « disant qu’elle aymeroit myeulx mourir que d’y retourner et qu’elle ne faisoit que languir, desirant tousjours sa mort et la fin par desespoir, et que aussi bien sondit mary la tueroit d’une hache ». Cependant, ses voisins la ramènent au domicile conjugal, où une nouvelle scène amène Marguerite à déclarer à son époux : « Voyla la hache dont tu me menasses tant. Tue moy, et ne me faict plus languir. Aussi bien ma vye me desplaist et ne sçauroys plus vivre en cest estat ». Son mari la prend au mot et la poursuit avec la hache, mais Marguerite, « comme femme desesperée », retourne l’arme contre lui avant de se réfugier chez un voisin. Le lendemain, apprenant que son mari a été retrouvé mort, Marguerite s’enfuit « par desespoir » et « se seroit voullu noyer comme femme desesperée, [ce] dont elle auroit esté gardée par gens qui la conduisoient ». Elle retourne finalement s’occuper de ses enfants, mais, sur le chemin du retour « elle se mist quelquesfoys en effort de soy gecter dedans l’eaue pour soy noyer, dont elle fut tousjours gardée21 ». L’insistance sur le désespoir et sur les tentatives de suicide est ici particulièrement remarquable, encore une fois pour justifier la mort du mari et encore une fois parce que les violences de ce dernier sont intolérables.

Pour Ponon Guillotin qui met le feu à la maison de son amant, il n’est pas question des violences du mari, mais de la trahison d’un prétendant. Il est tentant de faire le rapprochement avec d’autres textes qui évoquent cette fois le désespoir, sans mentionner l’envie de mourir (mais le mot est étroitement lié au suicide comme le souligne Jean-Claude Schmitt) : Tiphaine Tabourdeau, Juliote La Buquete sont ainsi dans une situation similaire à celle de Ponon, qui les conduit également à mettre le feu. Le même geste est encore associé au désespoir et à des relations matrimoniales difficiles pour Jeanne de La Vorenne et Perrine de Grangie.

L’expression de l’envie de mourir paraît plus rare chez les hommes, tandis que le désespoir intervient, non seulement dans le cadre du suicide et des tentatives de suicide, mais aussi pour expliquer l’uxoricide et, de manière a priori plus surprenante, le crime politique (tableau 4)22. C’est qu’il s’agit encore de montrer l’absence d’alternative devant une situation intolérable : s’il est un péché, le désespoir n’en est pas moins là aussi une circonstance atténuante.

Cote A.N.F. Nom du suicidé État Motivation du geste
Expression de l’envie de mourir
JJ 123 n° 280 Jehannin Guillon marié malade, « enragiez et hors de son bon senz » ; frappe sa fille, dit à sa femme « J’ay tué ma fille, fay moy pendre » ; « enfergiez », veut tuer ses enfans et sa femme ; « il se vouloit bouter un coutel ou autres ferremens qu’il povoit trouver piquans en sa gorge » ; tue sa fille
JJ 115 n° 75 Guillaume de La Barre   diminué de biens, « desplaisance de sa vie et voulsist bien estre mort » ; endettement, maladie hors de sens ; met le feu à sa propre maison
Désespoir
JJ 105 n° 378 Jean Couet marié après avoir commis un vol, il vagabonde « comme desesperé »
JJ 105 n° 506 Pierre Richier ? s’enfuit de prison « comme tout desesperé »
JJ 105 n° 508 Pierre Le Boucher marié « desesperé » d’avoir perdu au jeu, il commet un vol « par couroux et desesperance de sadite perte »
JJ 173 n° 223 Philippot Picquot bigame « tout desesperé » de s’apercevoir que sa première épouse n’est pas décédée, il la tue
JJ 191 n° 28 Jean de Pointis marié « comme du tout desesperé » par l’adultère de son épouse, il la tue
JJ 172 n° 601 Jean de Pavée sans doute célibat s’est rendu avec les « brigands »
JJ 173 n° 742 Guerouldin La Boe marié rapporte qu’un de ses voisins, partisan de Charles VII, lui a paru « comme desesperé »
JJ 174 n° 19 habitants de Berjou   « come gens cheuz en desesperacion », tentent de récupérer leurs biens volés par des gens de guerre
JJ 174 n° 6 Étienne Drouin marié par « courroux et desespoir », participe à un vol (contre un « brigand »)
JJ 175 n° 132 Perrot Amiot marié « comme mal meu et en desesperance » s’accointe avec les brigands
JJ 175 n° 175 Guillemin du Val marié est parti de son pays « come tout desesperé » et s’accointe avec les brigands

Tab. 4. Tentations du suicide et mentions du désespoir dans des supplications masculines, sans passage à l’acte.

Ne s’agit-il pour autant que d’un argument ? Pour les femmes battues qui expriment leur envie de mourir, même lorsqu’elles finissent par tuer leur mari, il y a lieu d’en douter. Elles ne sont en effet pas les seules à souligner le lien entre violences conjugales et tentation du suicide : leurs maris nous le rapportent également, quoiqu’avec des intentions bien différentes.

On l’a déjà vu avec Jean Tessandier, même s’il y a fort à parier que son récit s’est avéré irrecevable. Jean Langlois, quant à lui, explique s’être marié avec une mauvaise femme, « très rigoreuse et injurieuse », qui, devenue lépreuse, est envoyée hors de la ville. Lors d’une visite au domicile de son mari, elle y trouve une chambrière, qu’elle considère visiblement comme la maîtresse de son mari, la chasse et accuse son mari d’être un « putier » et toutes les femmes de la ville d’être ribaudes. Le ton monte entre les époux et le mari la frappe d’un bâton ; elle tente de s’enfuir pour « faire une grant esmeute », son mari la rattrape et la frappe à nouveau. Elle tente de partir, sans apparemment que Jean ne s’y oppose cette fois, mais les voisins préviennent ce dernier, ce qui l’oblige à la ramener encore une fois. L’épouse décide alors de « descendre ou celier de l’ostel qui estoit moult froit et la, pour despit dudit suppliant son mary, se ala asseoir a terre ». Jean l’informant qu’elle risque de tomber malade, elle lui répond « qu’il ne lui en challoit et qu’elle y vouldroit avoir prins tele maladie que tantost elle mourust afin que ledit suppliant feust pendu. Et tant y fut en ce point que maladie de fievres la prinrent ». Malgré les efforts du mari pour la guérir, elle, « en continuant son grant ire et despit, pour lors ne voult mengier ne boire » et décède « sans ce que avant sadicte mort elle se voulsist onques confesser, quelque priere que lui en fist ledit suppliant son mary23 ». Certes, comme dans l’affaire Jean Tessandier, ces récits de mises en danger de soi-même sont bien suspects lorsqu’ils sont formulés par celui dont les coups pourraient être la véritable cause du décès.

C’est encore le cas pour Marguine La Faucharde qui aurait souhaité mourir dans l’espoir que son mari soit pendu24. Certaines affaires ont d’ailleurs été écartées pour cette raison du corpus. Ainsi lorsque trois hommes qui ont mené une expédition punitive contre une présumée sorcière expliquent ne lui avoir fait aucune violence, mais simplement l’avoir emmenée faire une promenade nocturne en chemise en décembre et présument qu’elle « est morte de froidure ou de maladie à elle sourvenu, pour ce que deux ou troys jours devant, elle desiroit mourir25. » Mais dans le cas de l’épouse Langlois, l’intention est nette : il s’agit d’obtenir une vengeance posthume par le bras de la justice. Son absence de confession avant de mourir paraît en outre renforcer la crédibilité du récit de son époux : il pourrait fort bien s’agir pour elle d’un refus de pardonner à son mari, la dernière confession étant souvent le moment du pardon accordé au responsable de la mort26.

Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de ces femmes qui avouent leur envie d’en finir pour expliquer comment elles ont tué leur époux ou bien de ces hommes qui soupçonnent que leur épouse s’est tuée afin de se venger d’eux, le constat est à peu près le même : les coups du mari (interprétés par eux comme un châtiment et par elles comme une violence) conduisent parfois au suicide. La modestie du corpus ne doit pas en masquer l’intérêt. Au contraire on pourrait même s’étonner qu’il nous soit parvenu, étant donné les très nombreuses considérations qui s’y opposent : d’abord, on l’a vu, la tentation pour les proches de dissimuler le geste (l’argumentaire de Tessandier est extrêmement risqué), mais aussi la logique même du pardon, qui sera d’autant mieux obtenu si le coupable a montré des signes de repentir avant de mourir et s’est confessé. Il en est ainsi d’Emmeline Chambellan, qui innocente « son mari et touz autres ». Le fait que son mari soit le seul nommément cité trahit d’ailleurs une constante : lorsqu’une femme meurt, son mari est le premier soupçonné. Si certaines ont pu effectivement souhaiter mourir, c’est peut-être que la dépression les y avait conduites, parce qu’elles étaient battues régulièrement et impunément par leur mari, mais aussi qu’elles espéraient obtenir que leur mari soit enfin puni.

Reste que lorsque les maris utilisent cet argument pour expliquer la mort de leur épouse, il s’agit clairement d’une circonstance à charge pour elle, tandis que les femmes présentent leur envie de mourir comme une circonstance atténuante. En effet, sont prises en compte à la fois l’intention qui conduit au geste – le suicide vengeance est insupportable alors que la pensée du suicide désespoir attire la pitié – et l’origine de la pensée. Lorsqu’il s’agit de violences conjugales excessives, le désespoir est compréhensible. Lorsqu’il s’agit d’un juste châtiment, on ne soupçonne pas le désespoir, mais l’envie qu’auraient les femmes de se venger. Il paraît donc impossible, du fait de la nature des documents, de prétendre évaluer la part de volonté de vengeance que ces épouses manifestent lorsqu’elles mettent fin à leurs jours. Cependant, il convient de constater que la volonté de mourir plutôt que de céder à la domination n’est pas du tout exclue de la pensée médiévale, même chez les hommes.

Se soumettre ou mourir

Comme on a déjà pu le signaler au sujet du désespoir, l’idée de préférer la mort à la soumission s’exprime, chez les hommes, dans des contextes politiques. Ainsi, Charles VII, dans les actes des privilèges accordés à la ville de Louviers en 1441, rapporte que les habitants voulaient « mieulx essire la mort que jamais retorner en la subjection de nosdits ennemis27. » La formule est presque la même concernant les habitants de Montargis qui aimaient « mieux essire la mort ou prendre l’aventure que eulx rendre ne cheoir en la subjection desdiz ennemis28. » La chronique attribuée à Jean Juvénal des Ursins rapporte une attitude similaire chez les Flamands à qui Charles VI s’apprête à accorder son pardon en échange de leur soumission. « Mais ils respondirent qu’ils aimoient mieux mourir, et que après leur mort, leur os, s’ils pouvoient, resisteroient à ce qu’ils ne fussent en l’obeissance du roy29. » Espèrent-ils là susciter la crainte que les revenants ne laissent jamais en paix d’illégitimes conquérants ?

Mourir pour faire condamner un ennemi

Les témoignages moins politiques de suicides-vengeances masculins reflètent encore une certaine grandiloquence qui n’est peut-être permise qu’à la noblesse des inimitiés masculines. Alexander Murray a ainsi relevé plusieurs exemples d’hommes qui se seraient suicidés pour obtenir vengeance ou auraient déclaré vouloir mourir pour que leur agresseur soit puni30. Quant à Nicolas Barré, il refuse de se laisser soigner, disant « que il vouloit mourir » de manière à ce que son agresseur soit condamné31. Il reste difficile de faire la part du procédé discursif et de la forme de résistance qu’impliquent ces déclarations. On a ainsi l’impression parfois qu’il s’agit simplement d’une menace, qui ne devrait pas avoir de conséquence tragique. Pendant le procès en rupture d’asseurement – promesse de s’abstenir de toute violence (ou provocation pouvant la susciter) envers une personne et sa famille – qui oppose Lebin Ternet à son voisin Thomas, l’épouse de Lebin profère « plusieurs injures et villenies pour esmouvoir ledit Thomas a la ferir » ; comme elle ne parvient pas à ses fins, elle va jusqu’à se laisser tomber « a ses piez afin qu’il la ferist du pié ou autrement32 ».

Les conséquences sont cependant parfois plus graves que prévu… Afin probablement de faire accuser ses voisins avec qui elle venait de se battre, « par grant despit », Marguerite Tanchote, « qui estoit grosse d’enfant, se despoulla toute nue, se gecta contre terre » et refusa tout soin, ce qui l’amène à mourir deux heures plus tard33. L’idée de se mettre en danger pour faire accuser son adversaire n’est donc pas invraisemblable, même si la mort n’est peut-être pas effectivement l’objectif et qu’il s’agit davantage d’une résistance. Ainsi d’une femme du Cotentin qui résiste à l’agresseur venu mettre le feu à son domicile et qui crie : « Haro, pour Dieu merci, tuez-moy et n’ardez pas cet hostel ». Ou de cette prostituée qui affirme à son jaloux : « Je n’ay eu compaignie de homme que de toi, ne [ni] ne veulx avoir, et se tu trouves faulte en moi, je suis contente que tu me coupes la gorge », et qui néanmoins, s’empare d’un couteau et le prévient que « s’il la frappoit, elle le frapperoit ». Et effectivement elle le blesse mortellement34. Autant dire ce que valait son premier discours : les femmes prétendent accepter les violences masculines en espérant en réalité que leur apparente soumission permettra d’y échapper. Si céder n’est pas consentir35, prétendre céder n’est déjà pas céder.

La gloire et la lâcheté

La perception du suicide par les autorités pourrait fort dépendre de la nature de cette résistance : lorsque les habitants de Louviers ou de Montargis préfèrent la mort à la soumission à l’ennemi, il s’agit d’une résistance politique qui mérite les éloges36. Georges Minois conclut par conséquent à un suicide de classe : « Dans le roman comme dans la vie, le paysan qui se pend pour échapper à la misère est un lâche dont le corps doit être supplicié et dont l’âme va en enfer ; le chevalier impétueux qui préfère la mort en bataille à la reddition est un héros auquel on rend les honneurs civils et religieux37 ».

Sans doute faut-il encore ajouter que la perception du suicide dépend aussi du sexe du suicidé. On le voit encore lorsque le suicide de l’épouse est traité de manière comique dans un exemplum :

C’est l’histoire d’un philosophe qui regrette devant un de ses amis d’avoir planté dans son jardin un arbre auquel ses trois épouses se sont pendues successivement. Et son ami lui réplique : “De quoi te plains-tu ? Te voilà bien débarrassé ! Donne-moi une bouture de cet arbre, pour que je la plante dans mon jardin, pour qu’elle devienne un arbre et pour que ma méchante femme s’y pende38.”

Le mauvais goût de la plaisanterie n’empêche pas de constater le lien fait entre le suicide des épouses et la méchanceté de ces dernières : le suicide lui-même n’est-il pas l’une des expressions de cette méchanceté ?

Ce soupçon qui plane sur le suicide des femmes battues fait qu’il ne saurait être qualifié de « suicide vengeance » comme dans la littérature anthropologique, où il constitue une échappatoire culturellement reconnue et où les épouses battues peuvent réellement imaginer obtenir de leur parentèle une vengeance posthume39. Au Moyen Âge en Occident, au contraire, le suicide est suffisamment réprouvé pour que celui de l’épouse battue vienne encore renforcer les soupçons sur son dérèglement, à moins qu’elle ne réussisse à maquiller son suicide en homicide.

Les relations matrimoniales ne sont pas toujours un élément protecteur contre le suicide : le lien entre la violence au sein du couple et le suicide est trop récurrent pour qu’il s’agisse d’un hasard. Quelques exemples suggèrent que la présence d’enfants pourrait constituer non pas une protection contre la pensée du suicide, mais un frein au passage à l’acte, observation qui pourrait être mise en parallèle du fait que certains suicides s’accompagnent d’infanticides.

L’idée du suicide vengeance, portée par des hommes, et l’expression du désir d’en finir, évoquée par les femmes, mettent en évidence l’implacabilité de la domination masculine à la fin du Moyen Âge. Le droit de correction du mari et ses limites floues sont au cœur du problème : les hommes prennent soin, lorsqu’ils décrivent les violences dont ils ont fait preuve envers leur épouse, d’en décrire la mesure, de manière à les faire passer pour un châtiment mérité ; les femmes sont attentives à montrer que les gestes commis à leur encontre avaient dépassé l’admissible. Est-ce à dire qu’elles reconnaissent le bien-fondé du châtiment lorsqu’il est mesuré ? Que l’on prête des intentions hostiles ou non au suicide féminin dans le cadre de ces violences conjugales, il manifeste en tout cas bien une situation qui n’est plus tenable et l’absence de consentement de ces femmes à leur assujettissement.

1 Jean-Claude Schmitt, « Le suicide au Moyen Âge », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 31e année, n° 1, 1976, p. 3-28.

2 Alexander Murray, Suicide in the Middle Ages, vol. 1, The Violent against Themselves, Oxford, Oxford University Press, 1998 ; vol. 2, The Curse on

3 Par exemple Bibliothèque nationale de France [désormais BnF], ms. fr. 26021, n° 829.

4 BnF, ms. fr. 26031.

5 Claude Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et Société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, rééd. 2010 

6 Archives nationales de France [désormais A.N.F.], série JJ.

7 Sur cette question, voir notamment Aude Musin et Michel Nassiet, « Les récits de rémission en Anjou », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°

8 C. Gauvard, « De grace especial »…, op. cit., p. 813.

9 A. Murray, Suicide…, op. cit., vol. 1, p. 379-386 ; Caitlin G. Callaghan, « Seven Shillings and a Penny : Female Suicide in Late Medieval England »

10 Claude Gauvard, « Présentation », dans Loïc Cadiet, Frédéric Chauvaud, Claude Gauvard, Pauline Schmitt Pantel et Myriam Tsikounas (dir.), Figures

11 Félix Bourquelot, « Recherches sur les opinions et la législation en matière de mort volontaire pendant le Moyen Âge », Bibliothèque de l’École des

12 Georges Minois, Histoire du suicide, Paris, Fayard, 1995, p. 80.

13 J.-C. Schmitt, « Le suicide au Moyen Âge », op. cit., p. 23, note 35.

14 JJ 155, n° 276, fol. 168r°.

15 JJ 156, n° 190, fol. 116r°.

16 A. Murray, Suicide…, vol. 1, op. cit., p. 207-208, d’après JJ 81, fol. 179v°, n° 63.

17 JJ 185, n° 165, fol. 126r°.

18 JJ 173, n° 392, fol. 188v° ; Auguste Longnon, Paris pendant la domination anglaise (1420-1436), documents extraits des registres de la chancellerie

19 JJ 110, n° 321, fol. 188r°.

20 A. Longnon, Paris pendant la domination anglaise…, op. cit., n° LXV, p. 130-133.

21 N. Z. Davis, Pour sauver sa vie..,. op. cit., p. 169-172.

22 J’ai négligé ici la « voie de desespoir » qui est parfois mentionnée comme une issue si le roi n’accordait pas son pardon, par exemple JJ 106, n° 

23 JJ 173, n° 374, fol. 179v°.

24 A. Murray, Suicide…, op. cit., vol. 1, p. 210-212.

25 JJ 187, n° 173, fol. 89v° ; éd. Paul Guérin, Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la chancellerie de France

26 Voir, pour ne citer que quelques exemples d’épouses pardonnant à leur mari des punitions qu’elles estiment avoir méritées, JJ 154, n° 147, fol. 87r

27 Cartulaire de Louviers, Théodose Bonnin (éd.), Évreux, Hérissey, t. II, 1877, p. 148.

28 M. de Vidaillan, Histoire des conseils du roi, t. 1, Paris, Amyot, 1856, p. 227.

29 Jean Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI, année 1385, dans Nouvelle collection des mémoires pour servir à l’histoire de France, depuis le

30 A. Murray, Suicide…, op. cit., vol. 1, p. 212-215.

31 JJ 129, n° 134, fol. 85r° ; Guérin, V, n° 702, p. 303.

32 JJ 151, n° 40, fol. 19v°.

33 JJ 217, n° 93, fol. 85v° ; éd. Michel Nassiet, Vanessa Morineau et Samuel Mourin, Lettres de rémission de 1487, dactyl. >http://www.sites.uni

34 JJ 217, n° 82, fol. 76r° ; Ibid. 

35 Nicole-Claude Mathieu, « Quand céder n’est pas consentir », dans Ead. (éd.), L’Arraisonnement des femmes. Essais en anthropologie des sexes, Paris

36 Voir aussi G. Minois, Histoire du suicide, op. cit., p. 19. Peut-être toutefois faut-il relativiser ce qu’écrit G. Minois (p. 25 : « Nous n’avons

37 G. Minois, Histoire du suicide, op. cit., p. 24-25.

38 Hervé Martin, « “Laissez venir à moi les femmes et les petits enfants” : la philogynie bien tempérée d’un prédicateur silésien au début du xvie

39 Dorothy Ayers Counts, « Beaten Wife, Suicidal Woman : Domestic Violence in Kaliai, West New Britain », Pacific Studies, vol. 13, n° 3, 1990, p. 151

Notes

1 Jean-Claude Schmitt, « Le suicide au Moyen Âge », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 31e année, n° 1, 1976, p. 3-28.

2 Alexander Murray, Suicide in the Middle Ages, vol. 1, The Violent against Themselves, Oxford, Oxford University Press, 1998 ; vol. 2, The Curse on Self-Murder, Oxford University Press, 2000.

3 Par exemple Bibliothèque nationale de France [désormais BnF], ms. fr. 26021, n° 829.

4 BnF, ms. fr. 26031.

5 Claude Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et Société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, rééd. 2010 ; Natalie Zemon Davis, Pour sauver sa vie : les récits de pardon au xvie siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1988.

6 Archives nationales de France [désormais A.N.F.], série JJ.

7 Sur cette question, voir notamment Aude Musin et Michel Nassiet, « Les récits de rémission en Anjou », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 57-4, 2010/4, p. 55-56.

8 C. Gauvard, « De grace especial »…, op. cit., p. 813.

9 A. Murray, Suicide…, op. cit., vol. 1, p. 379-386 ; Caitlin G. Callaghan, « Seven Shillings and a Penny : Female Suicide in Late Medieval England », Medieval Feminist Forum, vol. 43, n° 1, 2007, p. 88-107. Les études menées sur la question confirment la difficulté d’établir un sexe ratio indifférent de la source : Sara M. Butler, (« Women, Suicide, and the Jury in Later Medieval England », Signs : Journal of Women in Culture and Society, vol. 32, n° 1, 2006, p. 146-147) établit à environ 35 % la part des femmes parmi les suicidés. Dans l’échantillon de J.‑C. Schmitt (« Le suicide au Moyen Âge », op. cit., p. 3-28), les hommes se tuent trois fois plus que les femmes. Dans les lettres de rémission étudiées par C. Gauvard (« De grace especial »…, op. cit., p. 327), « les femmes se suicident autant que les hommes ». Pour Flocel Sabaté (« Femmes et violence dans la Catalogne du xive siècle », Annales du Midi, t. 106, n° 207, juillet-septembre 1994, p. 293), « il y avait plus de suicides et d’intentions de suicides parmi les femmes, surtout les femmes mariées ».

10 Claude Gauvard, « Présentation », dans Loïc Cadiet, Frédéric Chauvaud, Claude Gauvard, Pauline Schmitt Pantel et Myriam Tsikounas (dir.), Figures de femmes criminelles. De l’Antiquité à nos jours, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, p. 239.

11 Félix Bourquelot, « Recherches sur les opinions et la législation en matière de mort volontaire pendant le Moyen Âge », Bibliothèque de l’École des Chartes, vol. 4, 1843, p. 261 ; A. Murray, Suicide…, op. cit., vol. 2, p. 66. La Somme rurale est une compilation des coutumes du nord de la France à la fin du xive siècle.

12 Georges Minois, Histoire du suicide, Paris, Fayard, 1995, p. 80.

13 J.-C. Schmitt, « Le suicide au Moyen Âge », op. cit., p. 23, note 35.

14 JJ 155, n° 276, fol. 168r°.

15 JJ 156, n° 190, fol. 116r°.

16 A. Murray, Suicide…, vol. 1, op. cit., p. 207-208, d’après JJ 81, fol. 179v°, n° 63.

17 JJ 185, n° 165, fol. 126r°.

18 JJ 173, n° 392, fol. 188v° ; Auguste Longnon, Paris pendant la domination anglaise (1420-1436), documents extraits des registres de la chancellerie de France, Paris, Honoré Champion, 1878, n° 102, p. 208-209 ; commentaires en dernier lieu et bibliographie : A. Murray, Suicide…, vol. 1, op. cit., Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 223.

19 JJ 110, n° 321, fol. 188r°.

20 A. Longnon, Paris pendant la domination anglaise…, op. cit., n° LXV, p. 130-133.

21 N. Z. Davis, Pour sauver sa vie..,. op. cit., p. 169-172.

22 J’ai négligé ici la « voie de desespoir » qui est parfois mentionnée comme une issue si le roi n’accordait pas son pardon, par exemple JJ 106, n° 388, fol. 201r° ou JJ 106, n° 406, fol. 209r°.

23 JJ 173, n° 374, fol. 179v°.

24 A. Murray, Suicide…, op. cit., vol. 1, p. 210-212.

25 JJ 187, n° 173, fol. 89v° ; éd. Paul Guérin, Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la chancellerie de France, 14 t. parus dans les Archives historiques du Poitou entre 1881 et 1958 (ci après Guérin), t. X, n° 1287, p. 57-60.

26 Voir, pour ne citer que quelques exemples d’épouses pardonnant à leur mari des punitions qu’elles estiment avoir méritées, JJ 154, n° 147, fol. 87r° ; JJ 137, n° 54, p. 51 ; JJ 173, n° 303, fol. 146v° ; Jacqueline Hoareau-Dodinau, « “Vir est caput mulieris” ? », dans Giles Constable et Michel Rouche (dir.), Auctoritas. Mélanges offerts au professeur Olivier Guillot, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2006, p. 595-614, ici p. 603.

27 Cartulaire de Louviers, Théodose Bonnin (éd.), Évreux, Hérissey, t. II, 1877, p. 148.

28 M. de Vidaillan, Histoire des conseils du roi, t. 1, Paris, Amyot, 1856, p. 227.

29 Jean Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI, année 1385, dans Nouvelle collection des mémoires pour servir à l’histoire de France, depuis le xiiie siècle jusqu’à la fin du xviiie, éd. M. Michaud et Poujoulat, tome 2 : Christine de Pisan, indication analytique des documents, Boucicaut, Juvénal des Ursins, Paris, éditeur du commentaire analytique du code civil, 1836, p. 339-569, ici. p. 367.

30 A. Murray, Suicide…, op. cit., vol. 1, p. 212-215.

31 JJ 129, n° 134, fol. 85r° ; Guérin, V, n° 702, p. 303.

32 JJ 151, n° 40, fol. 19v°.

33 JJ 217, n° 93, fol. 85v° ; éd. Michel Nassiet, Vanessa Morineau et Samuel Mourin, Lettres de rémission de 1487, dactyl. >http://www.sites.univ-rennes2.fr/cerhio/IMG/pdf/Lettres_remission_1487.pdf<.

34 JJ 217, n° 82, fol. 76r° ; Ibid. 

35 Nicole-Claude Mathieu, « Quand céder n’est pas consentir », dans Ead. (éd.), L’Arraisonnement des femmes. Essais en anthropologie des sexes, Paris, Éditions de l’École des hautes études en Sciences sociales, 1985, p. 169-245 [rééd. dans L’Anatomie politique, Catégorisations et idéologies du sexe, Paris, Indigo et Côté-femmes éditions, 1991, p. 131-225].

36 Voir aussi G. Minois, Histoire du suicide, op. cit., p. 19. Peut-être toutefois faut-il relativiser ce qu’écrit G. Minois (p. 25 : « Nous n’avons pas trouvé un seul cas de procès contre le cadavre d’un noble décédé de mort volontaire au Moyen Âge »), avec l’exemple de Bauduin de Beaucarroy (cf. tableau 1).

37 G. Minois, Histoire du suicide, op. cit., p. 24-25.

38 Hervé Martin, « “Laissez venir à moi les femmes et les petits enfants” : la philogynie bien tempérée d’un prédicateur silésien au début du xvie siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n° 109-2, 2002, p. 120.

39 Dorothy Ayers Counts, « Beaten Wife, Suicidal Woman : Domestic Violence in Kaliai, West New Britain », Pacific Studies, vol. 13, n° 3, 1990, p. 151-169 ; Ead., « Female Suicide and Wife Abuse in Cross Cultural Perspective », Suicide and Life Threatening Behavior, n° 17(3), 1987, p. 194-204. Pour une perspective plus générale, Antonio Preti, « On Killing by Self-Killing : Suicide with a Hostile Intent », L’Esprit du Temps, Études sur la mort, n° 130, 2006/2, p. 89-104.

Citer cet article

Référence papier

Adrien Dubois, « Abdication face à l’intolérable ou désir de vengeance posthume : suicide et genre à la fin du Moyen Âge », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 11 | 2017, 15-33.

Référence électronique

Adrien Dubois, « Abdication face à l’intolérable ou désir de vengeance posthume : suicide et genre à la fin du Moyen Âge », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 11 | 2017, mis en ligne le 22 septembre 2023, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=246

Auteur

Adrien Dubois

Adrien Dubois est chercheur associé au Centre Michel de Boüard, université de Caen Normandie.

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