Écrire la catastrophe. L’historien-témoin et le génocide juif en pologne, 1945-1950

Writing the Catastrophe: the historian-witness and Jewish genocide in Poland, 1945-1950

Die „Katastrophe“ zu schildern: Der Historiker als Zeuge und der Völkermord an den Juden in Polen, 1945-1950

DOI : 10.57086/sources.380

p. 109-126

Résumés

Cet article examine le rôle des membres fondateurs des commissions historiques juives qui se sont créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en Pologne et dans plusieurs autres pays d’Europe abritant des rescapés du génocide. Ces commissions historiques avaient une triple fonction, documentaire, mémorielle et judiciaire. Leurs membres avaient en commun d’être tous des rescapés d’un passé tragique dont ils tentaient de faire sens par ces entreprises pionnières de collectes de témoignages et de publications de documents. Comment l’affect, l’émotion et les expériences intimes vécues par ces hommes et ces femmes influèrent-ils sur leur manière de faire de l’Histoire ? Pourquoi ces initiatives précoces de documentation et d’analyse de l’extermination des Juifs d’Europe ont-elles été pendant si longtemps négligées par l’historiographie ?

This paper studies the role of the founding members of the Jewish historical commissions created after the Second World War in Poland and in other European countries where survivors from the genocide had taken refuge. These historical commissions served three kinds of purposes: documentary, commemorative and judicial. Their members were all survivors from a tragic past which they were trying to make sense of through pioneering work in collecting testimonies and publishing documents. How did affects, emotions, and the intimate experiences of these men and women influence their way of making History? Why have these early attempts at documenting and analysing the extermination of European Jews been overlooked for so long by historiography?

Audrey Kichelewski is associate professor in contemporary history at the university of Strasbourg.

Dieser Beitrag untersucht die Rolle der Gründermitglieder der jüdischen historischen Kommissionen, die kurz nach dem Zweiten Weltkrieg in Polen und in mehreren anderen europäischen Ländern, die Überlebende des Völkermordes beherbergten, entstanden. Diese historischen Kommissionen hatten eine dreifache Funktion, das heißt eine Dokumentar-, Erinnerungs- und gerichtliche Funktion. Ihre Mitglieder waren alle Überlebende einer tragischen Vergangenheit, und sie versuchten ihren Sinn zu verstehen, indem sie pioniersweise Zeugenaussagen sammelten und Dokumente veröffentlichten. Wie wirkten der Affekt, die Emotion und die inneren Erlebnisse dieser Männer und Frauen auf ihre Weise, Geschichte zu schreiben? Warum wurden diese frühen Initiativen der Dokumentation und der Analyse über die Vernichtung der Juden Europas durch die Historiografie so lang vernachlässigt?

Audrey Kichelewski ist Dozentin für Zeitgeschichte an der Universität Straßburg.

Plan

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« Qui répondrait en ce monde à la terrible obstination du crime si ce n’est l’obstination du témoignage », écrivait Albert Camus en 1948. Trois ans seulement après la fin de la guerre, il déplorait déjà : « notre société en a vraiment assez des persécutés1 ». Trop-plein de témoignages ou un public non disposé à les écouter ? La question se pose pour la France mais qu’en était-il au même moment en Pologne, « pays-témoin 2 » par excellence du génocide des Juifs ?

Contrairement à l’idée communément avancée selon laquelle la recherche historique sur le génocide des Juifs n’a vraiment pris son essor qu’au début des années soixante, lorsque le procès Eichmann marqua l’avènement de l’ » ère du témoin3 », l’étude systématique du meurtre de masse de près de six millions de Juifs en Europe avait commencé au moins depuis la fin de la guerre, si ce n’est au moment même où les crimes étaient en train de se commettre. Cette étude impliquait tout naturellement la collecte de témoignages, placés au centre du projet de connaissance élaboré au cœur de la tourmente, notamment par des historiens professionnels confirmés ou débutants, aux côtés d’amateurs engagés. Au lendemain de la Catastrophe, de nombreux rescapés du génocide vont poursuivre cette entreprise de documentation sur le sort des Juifs durant la Seconde guerre mondiale en mettant sur pied, progressivement dans plusieurs villes d’Europe et avec un minimum de moyens, des campagnes de collectes de témoignages, des centres d’archives et de documentation ou encore maisons d’édition de recueils de documents et de mémoires, qui vont jeter les bases de la recherche historique sur la Shoah4.

Cet article interroge la place qu’ont pu occuper les premiers historiens impliqués dans ces entreprises documentaires et collectives. Comment ont-ils conçu le rôle de l’Histoire pour penser le drame contemporain qu’ils venaient de vivre ? Comment articulaient-ils leur position de témoin et de victime de l’histoire qu’ils comptaient décrire avec les outils de l’historien qui se veut objectif – l’affect, l’émotion, les expériences intimes vécues par ces hommes et ces femmes influant, évidemment ici, sur leur manière de faire de l’Histoire ? Comment enfin peut-on lire aujourd’hui les différents types de publications qu’ils ont produits ou dont ils ont coordonné la mise en œuvre ?

Parce qu’une étude exhaustive de l’expérience de tous les historiens-témoins du génocide serait évidemment impossible à mener dans le cadre réduit d’un article, nous avons choisi de ne présenter que quelques figures majeures d’historiens originaires de et actifs en Pologne, pays dont nous aurons au préalable examiné la centralité dans les activités de recherches historiques sur le génocide. Nous verrons ensuite quelle sorte de littérature les fondateurs de ces premières commissions historiques ont produite, en revenant sur les débats et les doutes qui les ont animés au moment de leur élaboration. Nous nous demanderons enfin pourquoi ces entreprises et ces productions ont longtemps été délaissées tant par le grand public que par les historiens, qui n’en redécouvrent qu’aujourd’hui toute la richesse.

La Pologne, au cœur du khurbn forshung

En décembre 1947, c’est à Paris que se rassemblent pas moins de trente-deux délégués originaires de treize pays pour ouvrir la première conférence sur le khurbn – terme yiddish alors le plus communément utilisé pour évoquer les cataclysmes qui se sont abattus sur le peuple juif à travers son histoire, désignant initialement la destruction du premier temple mais appliqué également aux épisodes successifs de persécutions de masse, notamment les grands pogromes d’Europe centrale et orientale de la fin du xixe siècle. Pour divers que soient les pays représentés – de l’Autriche à la Grèce en passant par la France, la Suède, l’Italie ou encore la Suisse – on est frappé dans l’examen de l’origine des participants par la prépondérance de ceux qui sont originaires d’Europe centrale, de Pologne plus précisément5. C’est ainsi que la fondatrice d’une commission historique juive à Stockholm, sous les auspices du Congrès juif mondial, était le Dr Nella Rost, journaliste et fille d’un rabbin sioniste de grande influence avant-guerre à Cracovie, ayant elle-même survécu au camp de Plaszow. Le fondateur de la commission historique centrale de

Munich, en zone américaine d’occupation de l’Allemagne était Moshe Yosef Feigenbaum, rescapé de deux ghettos en Pologne orientale pendant la guerre tandis que celui de Linz en Autriche n’était autre que Simon Wiesenthal, né en Galicie et libéré par l’armée américaine du camp de Mathausen6.

Parce qu’elle était le pays qui avait vu périr sur son sol le plus de Juifs, la Pologne était logiquement au cœur de ces initiatives visant à documenter le sort des populations juives d’Europe durant la guerre. On le voit non seulement par l’origine des membres fondateurs, qui avaient fui le pays juste avant la guerre, pendant ou peu après celle-ci pour aller s’installer dans le reste de l’Europe, mais également parce que la tradition elle-même de documentation de la catastrophe est à rechercher pour l’essentiel dans l’histoire des Juifs d’Europe centrale, même si des emprunts et des circulations ont bien évidemment enrichi ce terreau initial.

Sans aller jusqu’à remonter à la « littérature de la destruction7 » très ancienne dans la tradition juive, depuis les Lamentations bibliques du prophète Jérémie jusqu’aux récits des pogromes de Chmielnicki en 1648 en passant par les chroniques médiévales de l’époque des Croisades, il existe une tradition juive de l’historiographie du traumatisme ou, en yiddish, khurbn forshung – recherches sur la destruction – qui émerge au début du xxe siècle lorsque les premiers historiens ou, plus souvent, des ethnographes et autres folkloristes juifs visent à documenter les violences anti-juives commises en Russie depuis les années 1880, culminant avec le pogrome de Kichinev en 1903. Ces premières expériences, dont l’objectif était d’établir les faits aussi précisément que possible en vue de pouvoir se défendre en exerçant notamment des pressions diplomatiques sur le gouvernement tsariste, vont être poursuivies jusqu’au lendemain de la Première guerre mondiale, au moment où une nouvelle vague de pogromes s’abat sur les Juifs de Pologne orientale et d’Ukraine8.

Au-delà de la volonté de documenter, pour les défendre, les droits bafoués d’une minorité, ce sont des pratiques novatrices de collecte et d’analyse qui se mettent en place, au moment où apparaît, notamment sous l’égide de l’historien juif Simon Dubnow, l’idée de la nécessité de faire émerger une conscience nationale juive par l’histoire. Dans son essai programmatique datant de 1891, celui-ci appelait à une Wissenschaft des Judentums ou science du judaïsme telle qu’elle était pratiquée par les chercheurs juifs allemands mais transposée à l’Europe centrale, où serait mis l’accent sur l’histoire du peuple juif, une histoire qui devait être accessible au peuple9. C’est ainsi que va se développer la pratique de l’histoire orale avant la lettre, par la collecte ethnographique des traditions et du quotidien des communautés juives, souvent par des zamlers – ou « collecteurs » qui n’étaient pas des professionnels mais plutôt des lettrés volontaires agissant sous l’égide d’ethnographes, folkloristes, journalistes et écrivains.

Cette généalogie et ces pratiques vont former le socle de la culture historique des intellectuels juifs centre-européens sur plusieurs générations et inspireront largement les méthodes des commissions historiques formées après la guerre. Ces commissions ont enfin une origine plus immédiate, qui se place dans la continuité même de la Catastrophe en train de se produire. En effet, l’impérieuse nécessité de susciter et de collecter des témoignages du crime n’est pas venue après coup ; elle est née au moment même où les évènements se déroulaient et là encore, au premier chef dans la Pologne occupée. Que ce soit dans les ghettos, les camps, dans des caches diverses, sous une fausse identité ou non, « tout le monde écrivait », comme le constatait Emmanuel Ringelblum, l’artisan de l’entreprise la plus connue de rassemblement de documents sur le sort des Juifs en Pologne durant la Seconde guerre mondiale, Oyneg Shabbes – nom de code yiddish « les joies du Shabbat », désignant les réunions hebdomadaires d’une équipe d’une quarantaine de personnes qui parvint à recueillir et enfouir sous la terre des milliers de textes jusqu’à l’anéantissement du ghetto de Varsovie en avril 1943. D’ailleurs l’entreprise de Varsovie n’est que la plus connue – précisément surtout parce c’est là que le plus documents ont pu être retrouvés –, mais elle n’est pas unique. On trouve d’autres exemples dans les ghettos de Bialystok, Kovno, Lodz ou encore Vilnius, pour se limiter à l’espace polonais dans ses frontières de 1939.

Comme l’a bien montré Samuel Kassow, l’historien de cette entreprise titanesque du ghetto de Varsovie, la continuité avec la tradition historique d’avant-guerre était très forte10. En effet, Emmanuel Ringelblum, l’un des rares historiens professionnels de l’équipe, s’était enthousiasmé dans sa jeunesse pour l’entreprise scientifique du YIVO ou Institut scientifique juif créé en 1924 à Vilnius, et qui visait non seulement à donner ses lettres de noblesse à la langue yiddish, mais également à développer l’histoire, la sociologie et l’anthropologie des sociétés juives – selon les méthodes novatrices des chercheurs polonais et centre-européens du moment.

Quels étaient les objectifs de cette frénésie d’écriture et de collecte ? Kassow montre bien leur multiplicité et surtout l’évolution à mesure que se précise la nature génocidaire du crime se déroulant sous les yeux de ceux qui en accumulaient les preuves. Alors que, dans un premier temps, des hommes comme Ringelblum et ses collaborateurs pensaient que les Juifs polonais survivraient au conflit, l’idée était surtout de consigner le quotidien de l’occupation pour pouvoir le documenter, l’enseigner et ainsi contribuer à changer la société juive après la guerre. Mais quand arrivent les nouvelles sur les massacres de masse perpétrés à l’Est à partir de l’été 1941, les priorités changent. Il s’agit à présent de réunir des documents sur le programme d’extermination pour en informer la presse clandestine polonaise et, par elle, faire passer l’information hors de Pologne. Valeur morale, valeur documentaire et valeur judiciaire enfin de cette documentation, avec l’idée que ces crimes ne sauraient demeurer impunis et que l’information collectée servira de preuve. On retrouve au moins ces deux derniers aspects – faire connaître au monde des crimes et juger ces derniers – dans d’autres entreprises menées sur d’autres fronts et par d’autres acteurs, durant le conflit, qu’il s’agisse de la mission du résistant polonais Jan Karski auprès des Alliés ou de l’équipe de rédaction du Livre Noir en URSS, autour de Vassili Grossmann et Ilya Ehrenbourg11.

Qu’en est-il au lendemain de la Catastrophe ? De toute l’équipe d’Oyneg Shabbes, il ne reste tout au plus que trois survivants. Mais ces derniers vont œuvrer sans relâche pour retrouver les documents enfouis. Les efforts de Rachel Auerbach et Hersz Wasser permettent ainsi de mettre à jour deux des trois caches principales des archives, en 1946 et en 1950. Ailleurs, on tente de faire de même car une partie de ces matériaux collectés, enterrés ou confiés à la résistance polonaise, a survécu à la guerre. À Vilnius, les écrivains Abraham Sutzkever et Shmerke Kaczerginski reviennent rechercher les livres et documents qu’ils avaient enfouis, dont le précieux journal de Herman Kruk12. C’est à Vilnius toujours que ces rescapés ont l’idée de fonder un musée sur les restes du bâtiment du YIVO. Lors de l’entrée des Soviétiques dans les premiers territoires de Pologne orientale à l’été 1944, l’historien Filip Friedman commence à ressembler des documents sur le sort des Juifs de Lwow.

S’il nous faudra nous interroger sur la notion de continuité dans les pratiques, il est en tous cas certain que pour les rescapés, il n’y a pas d’interruption dans leur volonté de retrouver et de préserver ces documents, devenus d’autant plus précieux que les hommes et les femmes ont disparu, comme ils sont en train de le constater avec effarement. D’où une volonté commémorative plus accentuée dans ces entreprises d’après-guerre de conserver et retrouver les documents existants – l’idée d’un musée émerge dès 1944   – mais aussi, rapidement, la nécessité, répondant à d’autres objectifs également, de susciter des témoignages et de recueillir tous les éléments possibles permettant de documenter le crime.

Naissance et rôle des commissions historiques juives en Pologne

C’est très tôt que se constitue dans la Pologne libérée du nazisme une institution qui va permettre de remplir au moins partiellement ces nouvelles fonctions. Emmanuel Ringelblum est mort en mars 1944, et c’est probablement dès le mois d’août, ou au plus tard en novembre – nous n’avons pas de document attestant de la date de fondation de la commission –, qu’est créée une première commission historique juive, d’abord dans la ville de Lublin contrôlée depuis peu par les Soviétiques. Son but premier est de rassembler les témoignages et de faire connaître au monde la tragédie des Juifs de Pologne durant la guerre. À ce moment, les moyens sont très limités, de même que les compétences des membres de cette commission. Elle est ainsi dirigée par un certain Marek Bitter, qui a pour lui seulement le fait d’être présent sur le sol polonais – car les historiens professionnels ou hommes de lettres rescapés tels que Filip Friedman, Szymon Datner, Michal Borwicz, Nachman Blumenthal ne sont pas encore revenus à Lublin – et surtout d’être communiste.

La structure et l’ampleur de cette première organisation changent avec l’institution du Comité central des Juifs de Pologne (CKZP13) en novembre suivant. Le CKZP est l’organisation parapluie chapeautant l’ensemble des activités sociales visant à aider à la reconstitution d’une vie juive en Pologne. La commission devient alors, le 28 décembre 1944, la Commission centrale historique juive (CZKH14), qui fédère des branches locales établies là où se créent les comités juifs locaux. Les commissions les plus importantes sont situées à Cracovie (dirigée par Michal Borwicz et Jozef Wulf), Bialystok (avec Szymon Datner à sa tête), Katowice et Wroclaw en Silésie, cette dernière localisation répondant aux besoins des rescapés dans les nouveaux territoires récupérés sur l’Allemagne15. La commission centrale fait partie intégrante du comité central du CKZP. Elle se professionnalise également, avec à sa tête l’historien Filip Friedman, et voit son action à présent dirigée par un comité scientifique. Son objectif reste cependant le même :

La Commission rassemble tout document imprimé, manuscrit ou autre, photographies, illustrations et preuves matérielles, organise et met en forme écrite tous témoignage oral et mandats de témoins et de victimes de la terreur hitlérienne16.

En mars 1945, comme nombre d’autres institutions juives, la commission s’installe à Lodz. La première tâche de cette commission va être d’aller susciter des témoignages auprès des rescapés qui viennent s’inscrire dans les comités juifs locaux. Un petit groupe de travailleurs est spécifiquement chargé, dans chaque ville, d’interroger les victimes. À Bialystok, ils sont ainsi huit personnes chargées de la collecte de témoignages et une centaine seront recueillis dès la première année.

Les témoignages sont consignés avec méthode, selon une grille d’entretien préalablement réfléchie et établie, en vue des informations que l’on cherche à obtenir du témoin, et qui révèle les questions que se posaient les professionnels de ces commissions historiques auteurs d’un guide à l’usage de l’enquêteur, très révélateur de la manière dont le témoignage était conçu17. La langue utilisée est indifféremment le yiddish ou le polonais, signe du bilinguisme du personnel chargé des collectes, mais on peut constater que la majorité des témoignages recueillis le furent toutefois en polonais. Est-ce un biais lié au pourcentage des survivants majoritairement polonophones ? Peut-être mais pas uniquement : les témoignages recueillis en yiddish furent souvent assez précocement traduits vers le polonais, et non l’inverse. On pourrait donc voir là un signe de rupture entre le yiddishisme militant du collectif Oyneg Shabbes et le pragmatisme des Commissions, qui fonctionnent déjà essentiellement en polonais18. En effet, même si les documents sont rédigés dans les deux langues, la version originale des comptes rendus et l’essentiel des publications sera en polonais. L’objectif est certes d’atteindre un public juif davantage polonophone qu’avant-guerre mais aussi d’aller au-delà de ce seul public juif. Enfin des contraintes matérielles mais surtout politiques peuvent expliquer le basculement vers la langue polonaise au détriment de la langue yiddish. Le nombre de machines à écrire disposant de caractères hébraïques était très limité après-guerre et la Commission, qui dépendait du comité central des Juifs de Pologne, était contrôlée et financée totalement puis partiellement par les nouvelles autorités polonaises en place.

Quel est le bilan de la Commission centrale historique juive ? Au bout d’une année d’activité, celle-ci avait déjà collecté plus de 1 800 témoignages dans toute la Pologne ainsi que d’importantes sources sur les ghettos de Pologne, notamment celui de Lodz, et sur les camps de concentration comme Auschwitz ou Majdanek19. À la fin de l’année 1947, lorsqu’elle cesse ses activités au profit de l’Institut d’histoire juive, la Commission avait recueilli 7 300 témoignages et publié trente-huit livres. Cette gigantesque entreprise de collecte et de publications servait plusieurs objectifs.

Le premier volet, l’un des plus importants, au moins aux yeux des autorités polonaises et justifiant que celles-ci laissent travailler les commissions relativement librement, était le volet judiciaire qui, de relativement marginal dans les entreprises de collectes de témoignages au début du conflit, devient évidemment central au sortir de la guerre. Ainsi, le travail initial de recueil de témoignages se double rapidement de celui de fournir les matériaux pour les procès des criminels nazis à la Commission centrale polonaise d’enquête sur les crimes nazis20, officiellement seule responsable de cette tâche. Les commissions historiques juives comblent en effet les lacunes laissées par cette commission d’enquête qui s’en tenait au volet judiciaire et aux enquêtes. D’ailleurs aucun rescapé juif ne faisait partie du Présidium de cette commission polonaise au niveau central, même si certains se trouvaient dans les commissions locales. L’historien Filip Friedman était ainsi également membre de la branche de Lodz de cette commission.

C’est ainsi que la commission historique juive de Cracovie joua un rôle important d’enquête et procura des éléments déterminants pour juger le responsable du camp de Plaszow, Amon Goeth, dont le procès se tint à Cracovie en août et septembre 1946, après son extradition vers la Pologne. Les commissions historiques juives fournissent également de nombreuses preuves au cours de procès d’autres criminels nazis jugés en Pologne, comme Hans Biebow, l’administrateur du ghetto de Lodz, ou Rudolf Höss, commandant du camp d’Auschwitz. Enfin, sur demande de la délégation polonaise au procès de Nuremberg, la Commission centrale historique juive prépare un mémorandum d’une cinquantaine de pages intitulé « L’extermination des Juifs polonais sous l’occupation allemande, 1939-194521 ».

De façon moins médiatisée que ces grands procès, ce sont également les commissions historiques qui peuvent entamer les procédures contre des citoyens polonais qui se sont rendus coupables de crimes antijuifs. Ce sont vers elles que les autorités judiciaires se tournent en première instance pour rechercher des preuves. C’est ainsi que fut initié le procès de 1949 contre vingt-deux personnes accusées d’avoir participé au meurtre de Juifs à Jedwabne en juillet 1941. Une lettre envoyée par une originaire de la ville accuse clairement les Polonais de la ville d’avoir assassiné leurs voisins juifs. La lettre, écrite en décembre 1947, arrive à l’Institut d’histoire juive, Nachman Blumenthal la transmet au Ministère de la justice, en y ajoutant les documents sur ce crime rassemblés par la commission de Bialystok depuis la première lettre du 5 avril 1945. C’est sur cette base que pourront commencer l’enquête et le procès, qui se soldera par douze personnes condamnées, dont une seule à mort mais dont la peine ne sera pas exécutée, les autres écopant de peines de prison allant de huit à quinze ans – mais qui pour la plupart furent libérées bien avant l’échéance.

Le second volet corrélé à l’activité de collecte de documents par la Commission centrale est celui de la pédagogie, par la production et la diffusion d’une écriture spécifiquement juive de la guerre. C’est parce qu’elle considère chaque témoignage et archive comme « cruciaux pour le futur proche » qu’elle enjoint tous les rescapés à témoigner22. Dans un appel adressé à « tous les Juifs de Pologne », l’Association des Amis de la Commission centrale historique juive énonce ainsi :

Chaque Juif a l’obligation morale d’écrire ses expériences, car [chacun] a traversé différemment ces expériences. Ceux qui sont incapables d’écrire eux-mêmes doivent s’adresser à une branche de la Commission historique située près de chez eux, où leurs expériences seront consignées23.

Ces témoignages sont destinés à aider à écrire l’histoire du génocide, et pour certains à être rendus publics, pour faire œuvre de connaissance. C’est ainsi que la Commission historique puis l’Institut Historique juif publient jusqu’en 1949 près d’une trentaine de livres documentant le sort des Juifs durant la guerre, soit l’essentiel des parutions polonaises de la période. Grâce à ces premiers témoignages, des travaux pionniers voient le jour, documentant non seulement le sort des Juifs dans les principaux camps, mais également la destruction de plus petites communautés juives, comme à Zolkiew au nord de Lwow ou à Sosnowiec en Silésie24. Les publications de la CZKH permettent ainsi de fournir le seul éclairage sur des camps moins médiatisés comme celui de Belzec, avec le témoignage de Rudolf Reder, ou des camps de travail forcé autour de Skarzysko-Kamienia, au sud de Varsovie. Elles abordent également la vie et la résistance dans d’autres ghettos que celui de Varsovie, ainsi à Bialystok25.

Outre la diversité des monographies, la CZKH publie aussi des ouvrages thématiques sur divers aspects du sort des Juifs polonais durant la guerre, et notamment les politiques nazies appliquées à leur encontre26. Le volet artistique n’est pas oublié, avec le recueil de poèmes rassemblés par l’écrivain Michal Borwicz, publié en 1947 sous le titre Piesn ujdzie calo (Le chant survivra27). Ces vers furent écrits durant la guerre, non seulement par des poètes déjà reconnus, en Pologne ou dans l’émigration, mais aussi par des Juifs anonymes, dont la plupart n’avaient pas survécu. Enfin, la parole était donnée aux rescapés, avec la publication de mémoires racontant la survie dans le ghetto de Lwow et son camp attenant, Janowska, mais aussi aux victimes, à travers leurs journaux rédigés durant la guerre, à Varsovie ou Cracovie, décrivant le quotidien dans le ghetto, la résistance et la prison28. Ces mémoires et journaux complètent ainsi les témoignages de Polonais ayant survécu aux camps, faisant entendre une voix juive racontant l’Occupation.

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De haut en bas : Filip Friedman, [C’était Auschwitz], version originale en yiddish ; Filip Friedman, To jest Oswiecim [C’était Auschwitz], trad. polonaise, Varsovie, CZKH, 1945 ; Maria Hochberg-Marianska, Noé Grüss, Dzieci oskarzaja [Les enfants accusent], Cracovie Lodz-Varsovie, CZKH, 1947.

(Clichés Audrey Kichelewski)

L’historien-témoin, ses interrogations et ses doutes

Il est temps à présent de faire le portrait de ces hommes et de ces femmes qui menèrent l’entreprise éphémère – les commissions juives cessent de fonctionner en Pologne en 1947 – et pourtant pionnière et fondatrice.

On l’a vu, les historiens professionnels étaient loin de dominer les commissions historiques, notamment au moment de leur création. Mais l’esprit historien, et notamment le modèle du YIVO, était présent y compris chez les non professionnels, comme Marek Bitter, survivant de l’insurrection du ghetto de Varsovie et du camp de Majdanek, qui préconisait dès 1944 de : collecter les témoignages de chaque Juif, pas uniquement de ceux qui avaient survécu dans les camps cruels. Car chaque survie d’un Juif, où qu’il ait subi l’occupation allemande, est un document historique29.

Rapidement cependant, quelques historiens professionnels vont rejoindre les commissions. À leur tête, on trouvait Filip Friedman, originaire de Galicie, diplômé de l’Université de Vienne et lecteur à l’Université de Varsovie juste avant la guerre, déjà reconnu pour ses ouvrages sur l’histoire sociale des Juifs polonais au xixe siècle30. Pendant la guerre, il assiste à la mort de son épouse et de sa fille et survit caché dans la ville de Lwow, où il était né. Il est d’ailleurs l’auteur de la première monographie décrivant le sort de la population juive de cette ville durant la guerre. C’est lui qui va consolider les principes méthodologiques des commissions juives locales regroupées en une Commission centrale dont il a la direction pendant une année. Il est à l’origine de la publication du guide d’entretien déjà évoqué, des campagnes de collectes de témoignages de survivants à travers tout le pays mais aussi d’autres types de sources, notamment celles produites par les Nazis ou encore des récits de Polonais témoins des crimes.

À côté de Friedman, on ne trouve que peu d’autres historiens de formation, à l’exception de Jozef Kermisz, docteur de l’Université de Varsovie et élève du grand historien juif Meïr Balaban. Ce dernier devint responsable des archives de la Commission puis vice-directeur de l’Institut d’histoire juive, qui succéda aux commissions en 1947. Les autres figures importantes étaient plutôt des intellectuels-survivants, comme l’enseignant et journaliste Noé Grüss, revenu d’URSS, le spécialiste de littérature Nachman Blumental, caché en Pologne pendant la guerre et premier directeur de l’Institut d’histoire juive en 1947 ou encore l’écrivain Michal Borwicz, originaire de Cracovie, échappé du camp de Janowska près de Lwow pendant la guerre et membre par la suite de la résistance polonaise clandestine, qui dirige la branche locale de Cracovie, aux côtés de Jozef Wulf, diplômé d’études rabbiniques et rescapé d’Auschwitz. Les femmes ne sont pas du tout absentes de cette équipe. Rappelons que c’est la journaliste de formation Rachel Auerbach, survivante de l’équipe d’Oyneg Shabbes qui œuvra à la quête des archives enfouies dans le ghetto de Varsovie. Contrairement à la structure homologue du Centre de Documentation juive contemporaine en France à la même époque, les femmes en Pologne formaient la majorité de la petite centaine d’employés dans toutes les commissions locales, mais trois d’entre elles seulement détenaient des postes de direction dans les branches locales, dont Nella Rost, vice-directrice de la cellule de Cracovie31.

Ces hommes et ces femmes avaient en commun leur expérience de guerre et un même sentiment d’obligation de témoigner pour la mémoire des disparus comme pour les générations futures. Cela ne les empêchait pas de s’interroger sur leur identité double, celle d’être à la fois des rescapés et des historiens, des témoins et des chercheurs. Dans le compte rendu qu’il fait sur la première année d’activité de la Commission, Noé Grüss résume ainsi la situation :

Ni nous ni personne au monde n’avait aucune expérience dans la recherche de la théorie et de la pratique du fascisme allemand à l’encontre des Juifs […]. Nous avons donc dû nous instruire nous-mêmes au fur et à mesure de notre travail32.

Friedman a également réfléchi sur cette position ambiguë, affirmant certes que : la relation du chercheur aux événements ne doit être sentimentale ou émotionnelle sous aucun prétexte, tout en admettant pourtant que des rescapés ne sauraient narrer six années d’occupation avec « uniquement un objectif scientifique à l’esprit » car « des facteurs émotionnels, les sentiments, les expériences individuelles et les pertes personnelles » affectent inévitablement leur point de vue33.

De nombreux débats émergèrent rapidement sur la manière de procéder dans ces commissions. Ainsi, des oppositions s’élevèrent entre les membres de la commission de Cracovie, Borwicz et Wulf en tête, et ceux de la commission centrale, dont le siège était alors situé à Lodz. Friedman et ses collègues défendaient l’idée que la mission principale de la commission était de publier des documents et des monographies tandis que les Cracoviens plaidaient pour la diffusion de travaux plus grand public comme les mémoires ou même de la littérature, afin d’atteindre un lectorat plus vaste34.

Par ailleurs, des divergences politiques étaient également perceptibles dans ce groupe aux options idéologiques diverses, allant du sionisme au communisme, alors qu’au même moment, la Pologne était en train de passer sous la coupe d’un gouvernement d’union nationale qui allait bientôt balayer toute opinion politique s’écartant de la ligne communiste officielle. C’est ainsi que l’Institut d’histoire juive, qui succède à la Commission centrale en 1947 vit très rapidement décroître sa portée et son autonomie. Alors qu’en 1946, la Commission avait publié pas moins de vingt-quatre livres, le nombre chute à huit l’année suivante et seule une brochure de quatorze pages voit le jour en 194835. L’heure n’est alors plus à la parole des victimes juives de la Shoah dans l’agenda idéologique du nouveau régime et l’Institut, sans être fermé, n’aura plus les moyens matériels, humains ou politiques pour se consacrer comme à ses débuts à l’histoire du sort des Juifs durant la Seconde guerre mondiale, devant décentrer son regard sur d’autres périodes historiques plus anciennes et moins sujettes à polémique.

L’historien-témoin juif polonais à travers l’Europe et le monde

Avant même cette mise au pas, certains membres éminents des commissions historiques avaient senti le vent tourner et préféré quitter la Pologne. Le climat d’insécurité qui régnait alors dans le pays, affectant tout particulièrement les rescapés juifs, victimes par milliers de violences, culminant le 4 juillet 1946 par le pogrome de Kielce qui fit 42 victimes, devait accélérer l’exode.

Filip Friedman quitte la Pologne à l’été 1946, s’installant d’abord à Munich où il poursuit son travail d’historien au sein de la Commission centrale historique qui vient de se créer auprès du Comité central des Juifs libérés en Allemagne, puis brièvement à Paris où il est l’un des principaux artisans de la conférence internationale déjà évoquée, qui réunissait des centres de recherches sur l’extermination des Juifs et que Friedman avait initialement prévu d’organiser en Pologne avant d’être contraint au départ. Enfin, il émigre en 1948 aux États-Unis, après avoir reçu une proposition de travail à l’Université de Columbia. Il jouera un rôle majeur au YIVO de New York, l’un des principaux centres d’archives et de recherches sur les Juifs en Amérique du Nord.

La plupart de ses collègues ont un parcours similaire. Friedman est suivi en 1946 par Noé Grüss, Michal Borwicz, Nella Rost et Jozef Wulf. Les deux premiers s’installent à Paris, après un bref épisode israélien pour Grüss mais directement pour Borwicz, qui va diriger un éphémère centre d’étude sur l’histoire des Juifs polonais, éditant notamment une revue en langue yiddish, Problemen et actif jusqu’en 1952, avant d’être un acteur majeur du Centre de

Documentation juive contemporaine (CDJC) à Paris. Borwicz, auteur en 1952 de la première thèse en français sur les écrits des camps de concentration, deviendra en France l’un des grands spécialistes de l’extermination des Juifs en Pologne durant la Seconde guerre mondiale36. Jozef Wulf passera également brièvement par Paris dans ce centre de recherche sur les Juifs polonais avant de s’installer à Berlin où il publiera des ouvrages de référence sur l’histoire du Troisième Reich, en collaboration avec Léon Poliakov, l’un des membres fondateurs du CDJC en 194337. Nous avons vu que Nella Rost dirigera à Stockholm une commission historique, avant d’émigrer en Uruguay en 1951.

Une seconde vague d’émigration survint parmi les chercheurs de l’Institut d’histoire juive lors de la création de l’État d’Israël. Rachel Auerbach et Jozef Kermisz se retrouvèrent parmi les fondateurs de Yad Vashem à Jérusalem en 1953, respectivement au département d’histoire orale et comme directeur des archives. Nachman Blumental y travaillera également, tout en étant l’éditeur de la revue d’un autre centre de recherche et mémorial en Israël, la Maison des Combattants du Ghetto, où exerçait également un autre émigré, Isaiah Trunk, avant que celui-ci ne parte pour le YIVO de New York. Trunk sera l’auteur en 1978 de la première monographie abordant le thème des Judenräte ou conseils juifs dans l’Europe occupée, un ouvrage qui fait encore référence aujourd’hui38.

On peut donc dire sans exagérer que ce sont pour l’essentiel ces membres fondateurs des commissions historiques en Pologne qui sont à l’origine du développement des recherches pionnières sur l’extermination des Juifs dans les centres majeurs qu’ils ont contribué à fonder à New York, Paris ou Jérusalem. Il n’est pas étonnant que durant la conférence de Paris de décembre 1947, on retrouve la plupart de ces personnes, encore à Varsovie ou déjà en émigration, qui poursuivent les débats déjà amorcés en Pologne : peut-on écrire une histoire si proche ou doit-on se contenter d’être les archivistes pour les générations futures d’historiens ? Doit-on privilégier le versant scientifique de ces recherches ou servir avant tout la cause judiciaire des procès de criminels nazis et de leurs collaborateurs alors en cours ? Où le produit de ces collectes devait-il en dernière instance être déposé – dans un État juif souverain en Palestine ou dans l’Europe témoin de la destruction des Juifs39 ?

Enfin, la dispersion de ces pionniers permit également la diffusion de leur savoir dans plusieurs langues et sur plusieurs continents. De nombreux auteurs s’attelèrent en effet à la traduction de leurs livres afin de toucher un public plus large. Ainsi, le premier livre sur le camp d’Auschwitz, sous la plume de Filip Friedman connaît une première version en polonais et en yiddish dès 1945, suivie en 1946 d’une traduction en anglais sous le titre This was Oswiecim – chacune des versions enrichissant et complétant la précédente. On retrouve le même phénomène avec le recueil de témoignages d’enfants publié par Noé Grüss d’abord en Pologne puis dans une version yiddish dans une collection d’ouvrages consacrée au judaïsme polonais basée à Buenos Aires40. La comparaison des variantes nombreuses qui existent entre les deux versions montre bien les contraintes politiques liées à la résidence en Pologne ainsi que la volonté de l’auteur de toucher un autre public en changeant de langue41.

Conclusion : du mépris de ces entreprises à leur redécouverte

Aussi surprenant que cela puisse paraître, ces entreprises précoces de collecte et ces publications pionnières sont rapidement tombées dans l’oubli et des auteurs comme Wulf, Friedman ou Kermisz ne sont le plus souvent cités dans les bibliographies que par souci d’exhaustivité lors de l’état des lieux des connaissances sur un sujet donné relatif au sort des Juifs durant la Seconde guerre mondiale. Par ailleurs, la place majeure des non-professionnels de l’Histoire au sein de ces commissions et centres de recherches eut pour conséquence de dévaluer – injustement – leur travail et même les auteurs reconnus comme de véritables historiens eurent beaucoup de mal à affirmer leur légitimité auprès des historiens qui n’étaient pas des rescapés eux-mêmes. Le parcours professionnel chaotique d’un Michal Borwicz en France, toujours à la marge des institutions académiques, en témoigne42. En outre, la plupart des travaux menés par ces commissions consistait en de la compilation de sources et de témoignages, ceux-ci étant assez peu analysés et synthétisés, ce qui a pu détourner les historiens de ces travaux pourtant pionniers.

Une autre raison pouvant expliquer le fait que ces entreprises aient été longtemps négligées tient à la nature de l’historiographie dominante qui s’impose au début des années 1950. En effet, suite aux grands procès comme celui de Nuremberg, les historiens constituent et étudient essentiellement les sources des exécuteurs, considérées comme plus fiables que les témoignages des victimes43. Paradoxalement, au moment même où l’attention des chercheurs et du grand public commença à se porter sur le témoin, débouchant notamment sur les grandes entreprises de collectes menées aux États-Unis, comme le projet des Archives Fortunoff à l’Université de Yale en 1981, la Shoah Visual History Foundation lancée en 1994 par Steven Spielberg après le succès de son film La Liste de Schindler, sans oublier les collectes menées par Yad Vahsem ou le United States Holocaust Memorial Museum de Washington, il a fallu encore de nombreuses années avant que ces entreprises pionnières ne soient réévaluées. En effet, alors même que le témoignage devenait une source de réflexion majeure dans les travaux des historiens de la Shoah et que les questions mémorielles tendaient à prendre le pas sur l’histoire dans les années 199044, on a eu l’impression que les témoins n’avaient pas du tout parlé au lendemain de la catastrophe, ce qui était bien évidemment faux. En effet, à la fin des années 1950, les commissions historiques juives et autres centres de documentation avaient collecté par moins de 18 000 témoignages écrits et rempli environ 8 000 questionnaires, ce qui apparaît comme d’autant plus remarquable étant données les conditions de dénuement technique et matériel de l’époque45.

Depuis une vingtaine d’années cependant, on observe un regain d’intérêt pour ces opérations précoces de collectes de témoignages, redécouvertes à la faveur d’études sur l’immédiat après-guerre et la reconstruction de l’Europe d’une part46, du développement d’une historiographie du rescapé et de sa capacité d’action (agency) dans cette Europe d’autre part47. Le supposé « silence » des survivants a ainsi été battu en brèche par plusieurs études, tant sur le cas américain, israélien que français48. C’est dans ce contexte que les chercheurs ont commencé à s’intéresser au rôle des commissions historiques juives ainsi qu’à certains des membres fondateurs de ces entreprises49. Ce n’est en effet qu’en faisant des œuvres produites par ces commissions de véritables objets de connaissance et d’investigation que l’on pourra comprendre pourquoi elles furent, dès leur parution, considérées comme atypiques et pourquoi, d’une certaine manière, dans le champ de l’historiographie, elles le sont restées50. Et ce n’est qu’en étudiant de manière approfondie ces œuvres pionnières que l’on pourra au mieux saisir la place si particulière de l’historien-témoin des catastrophes dont il fut le contemporain.

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Michal Borwicz le 18 septembre 1946 exhumant l’une des dix boîtes en fer blanc contenant les archives Ringelblum.

Archives de l’Agence polonaise de presse, © PAP.

1 Albert Camus, « Persécutés – Persécuteur », préface à Laissez passer mon peuple de Jacques Méry (1948), dans Id., Actuelles II. Chroniques 1948-1953

2 Expression empruntée à Jean-Charles Szurek et Annette Wieviorka, « Introduction générale », dans Id. (dir.), Juifs et Polonais, 1939-2008, Paris

3 Annette Wieviorka, L’Ère du témoin, Paris, Plon, 1988.

4 Une étude approfondie de ces premiers centres de recherches historiques en Europe est menée dans le livre de Laura Jockusch, Collect and Record 

5 La liste biographique des principaux participants aux commissions historiques et centres de documentation dans l’Europe de l’immédiat après-guerre

6 Ibid., p. 5-6.

7 David G. Roskies, The Literature of Destruction. Jewish Responses to Catastrophe, Philadephie, Jewish Publication Society of America, 1984.

8 Sur ces antécédents, voir Laura Jockusch, « Chroniclers of Catastrophe: History Writing as a Jewish Response to Persecution Before and After the

9 Sur cette question, voir notamment Ismar Schorsch, From Text to Context. The Turn to History in Modern Judaïsm, Hanovre (NH), University Press of

10 Samuel D. Kassow, Qui écrira notre histoire ? Les archives secrètes du ghetto de Varsovie, trad. française, Paris, Grasset, 2011 (éd. originale

11 Jan Karski, Mon témoignage devant le monde. Histoire d’un État secret, trad. française, Paris, Éditions Self, 1948 (éd. originale, 1944) ; Vassili

12 Benjamin Harshav (dir.), The Last Days of the Jerusalem of Lithuania. Chronicles from the Vilna Ghetto and the Camps, 1939-1944, traduit de l’

13 CKZP : Centralny Komitet Zydow w Polsce.

14 CZKH : Centralna Zydowska Komisja Historyczna.

15 Sur la Commission centrale historique juive, voir Maurycy Horn, « Dzialalnosc naukowa i wydawnictwa Centralnej Zydowskiej Komisji Historycznej przy

16 Cité dans Noé Grüss, Rok pracy Centralnej Zydowskiej Komisji Historycznej [Une année de travail de la Commission centrale historique juive], Lodz

17 Sur ce guide d’entretien, appliqué notamment à l’un des ouvrages publiés par la Commission, un recueil de témoignages d’enfants rescapés de la

18 Un point de vue avancé et défendu par l’historien Piotr Wieser dans sa communication « Oneg Shabat and the Central Jewish Historical Commission.

19 N. Grüss, Rok pracy…, op. cit., p. 39-48.

20 En polonais, Glowna Komisja Badania Zbrodni Niemieckich. Décret du 10 novembre 1945, Journal Officiel de la République polonaise, 1945, n° 51, art.

21 Ibid., p. 20-22.

22 Ibid., p. 45.

23 Archives de l’Institut d’histoire juive (notées AZIH par la suite), CZKH, 336, t. 31, p. 21-22, « Compte-rendu de l’Association des Amis de la

24 À côté de Filip Friedman, To jest Oswiecim [C’était Auschwitz], Varsovie, CZKH, 1945, voir Gershon Taffet, Zaglada Zydow zolkiewskich [L’

25 Rudolf Reder, Belzec, Cracovie, CZKH, 1946 ; Roza Bauminger, Przy pikrynie i trotylu. Oboz pracy przymusowej w Skarzysku-Kamiennej [Entre picrate

26 Nachman Blumental, Jozef Kermisz, Artur Eisenbach (éd.), Dokumenty i materialy z czasow okupacji niemieckiej w Polsce [Documents et matériaux de l’

27 Michal Maksymilian Borwicz (éd.), Piesn ujdzie calo. Antologia wierszy o Zydach pod okupacja niemiecka [Le chant survivra. Anthologie de vers sur

28 Sur Lwow, voir les mémoires de Janina Hescheles, Oczyma dwunastoletniej dziewczyny [Dans les yeux d’une jeune fille de douze ans], Cracovie, CZKH

29 AZIH, CZKH, 303/XX, tome 12, p. 12-14.

30 Sur Filip Friedman, voir notamment Roni Stauber, « Philip Friedman and the Beginnings of Holocaust Studies », dans D. Bankier et D. Michman (dir.)

31 L. Jockusch, Collect and Record , op. cit., p. 92-93 et Appendix, p. 207-221.

32 N. Grüss, Rok pracy…, op. cit., p. 9.

33 Cité dans L. Jockusch, Collect and Record , op. cit., p. 94.

34 R. Stauber, « Filip Friedman… », op. cit., p. 89.

35 F. Tych, « The Emergence of Holocaust Research… », op. cit., p. 237.

36 Au sein d’une abondante bibliographie notons l’ouvrage issu de sa thèse, Écrits des condamnés à mort sous l’occupation nazie 1939-1945, préface de

37 Léon Poliakov et Joseph Wulf, Le iiie Reich et les Juifs, trad. française, Paris, Gallimard, 1959 (éd. originale, 1955).

38 Isaiah Trunk, Judenrat. The Jewish Councils in Eastern Europe under Nazi Occupation, New YorkLondres, Collier-Macmillan, 1972.

39 Sur cette conférence de Paris, voir L. Jockusch, Collect and Record , op. cit., p. 8.

40 Voir illustrations 1, 2 et 3 représentant les couvertures de ces différentes éditions.

41 Cet exemple est étudié dans mon article : Audrey Kichelewski et Judith Lindenberg, « “Les enfants accusent”… », op. cit., p. 33-50.

42 Voir la communication de Judith Lyon-Caen, « Michel Borwicz, historien des écrits des camps : savoirs visibles, expériences invisibles » lors de la

43 Sur le débat entre les sources des victimes, reléguées au rang de « mémoire » face aux sources des bourreaux, jugées, elles, « historiques », voir

44 Parmi l’abondante littérature sur le rôle du témoignage et son lien à l’histoire, la mémoire et la représentation du passé, voir notamment Dominick

45 D’après Raul Hilberg, « I Was Not There », dans Berel Lang (dir.), Writing and the Holocaust, New York, Holmes & Meier, 1988, p. 18.

46 On peut citer l’imposant Tony Judt, Après-guerre : une histoire de l’Europe depuis 1945, traduction française, Paris, Armand Colin, 2007 (éd.

47 Voir par exemple David Bankier (dir.), The Jews Are Coming Back. The Return of the Jews to Their Countries of Origin after WWII, Jérusalem, Yad

48 Hasia Diner, We Remember With Reverence and Love. American Jews and the Myth of Silence after the Holocaust, 1945-1962, New York, New York

49 Pour une étude comparée des commissions historiques et centres de documentation dans cinq pays d’Europe, voir L. Jockusch, Collect and Record , op.

50 Nicolas Berg, « Joseph Wulf: A Forgotten Outsider Among Holocaust Scholars », dans D. Bankier et D. Michman (dir.), Holocaust Historiography in

Notes

1 Albert Camus, « Persécutés – Persécuteur », préface à Laissez passer mon peuple de Jacques Méry (1948), dans Id., Actuelles II. Chroniques 1948-1953, Paris, Gallimard, 1953, p. 12-14.

2 Expression empruntée à Jean-Charles Szurek et Annette Wieviorka, « Introduction générale », dans Id. (dir.), Juifs et Polonais, 1939-2008, Paris, Albin Michel, 2009, p. 9.

3 Annette Wieviorka, L’Ère du témoin, Paris, Plon, 1988.

4 Une étude approfondie de ces premiers centres de recherches historiques en Europe est menée dans le livre de Laura Jockusch, Collect and Record  Jewish Holocaust Documentation in Early Postwar Europe, Oxford, Oxford University Press, 2012.

5 La liste biographique des principaux participants aux commissions historiques et centres de documentation dans l’Europe de l’immédiat après-guerre, fournie en appendice de l’ouvrage de L. Jockusch, Collect and Record , op. cit., p. 207-221, le confirme avec cinquante-deux des soixante-trois personnes citées originaires d’Europe centrale.

6 Ibid., p. 5-6.

7 David G. Roskies, The Literature of Destruction. Jewish Responses to Catastrophe, Philadephie, Jewish Publication Society of America, 1984.

8 Sur ces antécédents, voir Laura Jockusch, « Chroniclers of Catastrophe: History Writing as a Jewish Response to Persecution Before and After the Holocaust », dans David Bankier et Dan Michman (dir.), Holocaust Historiography in Context. Emergence, Challenges, Polemics and Achievements, Jérusalem-New York-Oxford, Yad Vashem-Berghahn Books, 2008, p. 135-166.

9 Sur cette question, voir notamment Ismar Schorsch, From Text to Context. The Turn to History in Modern Judaïsm, Hanovre (NH), University Press of New England, 1994.

10 Samuel D. Kassow, Qui écrira notre histoire ? Les archives secrètes du ghetto de Varsovie, trad. française, Paris, Grasset, 2011 (éd. originale, 2007).

11 Jan Karski, Mon témoignage devant le monde. Histoire d’un État secret, trad. française, Paris, Éditions Self, 1948 (éd. originale, 1944) ; Vassili Grossman et Ilya Ehrenbourg, Le Livre noir, trad. française, Arles, Actes Sud, 1995 (éd. originale, 1993).

12 Benjamin Harshav (dir.), The Last Days of the Jerusalem of Lithuania. Chronicles from the Vilna Ghetto and the Camps, 1939-1944, traduit de l’hébreu par Barbara Harshav, New Haven-New York, Yale University Press-YIVO Institute for Jewish Research, 2002.

13 CKZP : Centralny Komitet Zydow w Polsce.

14 CZKH : Centralna Zydowska Komisja Historyczna.

15 Sur la Commission centrale historique juive, voir Maurycy Horn, « Dzialalnosc naukowa i wydawnictwa Centralnej Zydowskiej Komisji Historycznej przy CKZwP i Zydowskiego Instytutu Historycznego w Polsce w latach 1945-1950 (w czterdziestolecie powstania ZIH) » [L’activité scientifique et éditoriale de la Commission centrale historique juive auprès du CKZP et de l’Institut historique juif de Pologne dans les années 1945-1950], Biuletyn ZIH, n° 1-2 (133134), 1985, p. 123-132 ; Natalia Aleksiun, « The Central Jewish Historical Commission in Poland, 1944-1947 », Polin. A Journal of Polish-Jewish Studies, n° 20, 2007, p. 74-97 ; Feliks Tych, « The Emergence of Holocaust Research in Poland: The Jewish Historical Commission and the Jewish Historical Institute (ZIH), 1944-1989 », dans D. Bankier et D. Michman (dir.),Holocaust Historiography in Context…, op. cit., p. 227-244.

16 Cité dans Noé Grüss, Rok pracy Centralnej Zydowskiej Komisji Historycznej [Une année de travail de la Commission centrale historique juive], Lodz, Centralna Zydowska Komisja Historyczna (notée CZKH par la suite), 1946, p. 9.

17 Sur ce guide d’entretien, appliqué notamment à l’un des ouvrages publiés par la Commission, un recueil de témoignages d’enfants rescapés de la Shoah, voir Audrey Kichelewski et Judith Lindenberg, « “Les enfants accusent”. Témoignages d’enfants survivants dans le monde polonais et yiddish », dans Ivan Jablonka, L’enfant-Shoah, Paris, PUF, 2014, p. 36-37.

18 Un point de vue avancé et défendu par l’historien Piotr Wieser dans sa communication « Oneg Shabat and the Central Jewish Historical Commission. Continuation ? », lors de la journée d’études Premières historiographies de la catastrophe, Pologne et France, années 1940-années 1950 organisée par Judith Lindenberg (ANR POLY, CRH), Judith Lyon-Caen (EHESS-CRH, Grihl) et Pawel Rodak (Université de Varsovie, Instytut Kultury Polskiej) à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, les 6 et 7 juin 2013, actes en cours de publication.

19 N. Grüss, Rok pracy…, op. cit., p. 39-48.

20 En polonais, Glowna Komisja Badania Zbrodni Niemieckich. Décret du 10 novembre 1945, Journal Officiel de la République polonaise, 1945, n° 51, art. 293.

21 Ibid., p. 20-22.

22 Ibid., p. 45.

23 Archives de l’Institut d’histoire juive (notées AZIH par la suite), CZKH, 336, t. 31, p. 21-22, « Compte-rendu de l’Association des Amis de la Commission historique juive ».

24 À côté de Filip Friedman, To jest Oswiecim [C’était Auschwitz], Varsovie, CZKH, 1945, voir Gershon Taffet, Zaglada Zydow zolkiewskich [L’extermination des Juifs de Zolkiew], Lodz, CZKH, 1946 ; Natan Eliasz Szternfinkiel, Zaglada Zydow Sosnowa [L’extermination des Juifs de Sosnowiec], Katowice, CZKH, 1946.

25 Rudolf Reder, Belzec, Cracovie, CZKH, 1946 ; Roza Bauminger, Przy pikrynie i trotylu. Oboz pracy przymusowej w Skarzysku-Kamiennej [Entre picrate et TNT. Le camp de travail de SkarzyskoKamienna], Cracovie, CZKH, 1946 ; Szymon Datner, Walka i zaglada bialostockiego ghetta [La lutte et la destruction du ghetto de Bialystok], Lodz, CZKH, 1946 ; Betti Ajzensztajn (éd.), Ruch podziemny w ghettach i obozach (materialy i dokumenty) [Les mouvements clandestins dans les ghettos et les camps (matériaux et documents)], Varsovie-Cracovie-Lodz, CZKH, 1946.

26 Nachman Blumental, Jozef Kermisz, Artur Eisenbach (éd.), Dokumenty i materialy z czasow okupacji niemieckiej w Polsce [Documents et matériaux de l’époque de l’occupation allemande en Pologne], 3 volumes, Cracovie-Lodz-Varsovie, CZKH, 1946 ; Maria Hochberg-Marianska, Noé Grüss, Dzieci oskarzaja [Les enfants accusent], Cracovie-Lodz-Varsovie, CZKH, 1947.

27 Michal Maksymilian Borwicz (éd.), Piesn ujdzie calo. Antologia wierszy o Zydach pod okupacja niemiecka [Le chant survivra. Anthologie de vers sur les Juifs sous l’occupation allemande], Varsovie-Lodz-Cracovie, CZKH, 1947.

28 Sur Lwow, voir les mémoires de Janina Hescheles, Oczyma dwunastoletniej dziewczyny [Dans les yeux d’une jeune fille de douze ans], Cracovie, CZKH, 1946 et du membre du Sonderkommando de Janowska, Leon Welicker, Brygada smierci [La brigade de la mort], Lodz, CZKH, 1946. La version française de ce témoignage est parue au lendemain de la déposition de Welickzer au procès d’Eichmann, dans le cadre d’un ouvrage plus important : Léon Welicker Wells, Pour que la terre se souvienne, traduit de l’anglais par Catherine et Jacques Legris, Paris, Albin Michel, 1962, p. 145-267. Sur Varsovie et Cracovie, voir les journaux ayant survécu à leurs auteurs : Noemi Szac-Wajnkranc, Przeminelo z ogniem [Parti en fumée], Varsovie, CZKH, 1947 ; Gusta Dawidsohn-Draengerowa, Pamietnik Justyny [Le journal de Justyna], CZKH, 1946.

29 AZIH, CZKH, 303/XX, tome 12, p. 12-14.

30 Sur Filip Friedman, voir notamment Roni Stauber, « Philip Friedman and the Beginnings of Holocaust Studies », dans D. Bankier et D. Michman (dir.), Holocaust Historiography in Context…, op. cit., p. 83-102 et Natalia Aleksiun, « Philip Friedman and the Emergence of Holocaust Scholarship: A Reappraisal », dans Dan Diner (dir.), Jahrbuch des Simon-Dubnow-Instituts / Simon Dubnow Institute Yearbook , vol. 11, 2012, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, p. 333-346.

31 L. Jockusch, Collect and Record , op. cit., p. 92-93 et Appendix, p. 207-221.

32 N. Grüss, Rok pracy…, op. cit., p. 9.

33 Cité dans L. Jockusch, Collect and Record , op. cit., p. 94.

34 R. Stauber, « Filip Friedman… », op. cit., p. 89.

35 F. Tych, « The Emergence of Holocaust Research… », op. cit., p. 237.

36 Au sein d’une abondante bibliographie notons l’ouvrage issu de sa thèse, Écrits des condamnés à mort sous l’occupation nazie 1939-1945, préface de René Cassin, Paris, PUF, 1954 et le petit livre sur l’insurrection du ghetto de Varsovie, publié dans la collection Archives-Julliard, qui fut longtemps la seule référence disponible en français sur cette thématique : L’Insurrection du ghetto de Varsovie, Paris, R. Julliard, 1966.

37 Léon Poliakov et Joseph Wulf, Le iiie Reich et les Juifs, trad. française, Paris, Gallimard, 1959 (éd. originale, 1955).

38 Isaiah Trunk, Judenrat. The Jewish Councils in Eastern Europe under Nazi Occupation, New YorkLondres, Collier-Macmillan, 1972.

39 Sur cette conférence de Paris, voir L. Jockusch, Collect and Record , op. cit., p. 8.

40 Voir illustrations 1, 2 et 3 représentant les couvertures de ces différentes éditions.

41 Cet exemple est étudié dans mon article : Audrey Kichelewski et Judith Lindenberg, « “Les enfants accusent”… », op. cit., p. 33-50.

42 Voir la communication de Judith Lyon-Caen, « Michel Borwicz, historien des écrits des camps : savoirs visibles, expériences invisibles » lors de la journée d’études déjà évoquée, L’histoire avant la mémoire…, juin 2013.

43 Sur le débat entre les sources des victimes, reléguées au rang de « mémoire » face aux sources des bourreaux, jugées, elles, « historiques », voir notamment Martin Broszat et Saul Friedländer, « A Controversy about the Historicisation of National Socialism », Yad Vashem Studies, vol. 19, 1988, p. 1-47.

44 Parmi l’abondante littérature sur le rôle du témoignage et son lien à l’histoire, la mémoire et la représentation du passé, voir notamment Dominick LaCapra, History and Memory After Auschwitz, Ithaca (NY), Cornell University Press, 1988.

45 D’après Raul Hilberg, « I Was Not There », dans Berel Lang (dir.), Writing and the Holocaust, New York, Holmes & Meier, 1988, p. 18.

46 On peut citer l’imposant Tony Judt, Après-guerre : une histoire de l’Europe depuis 1945, traduction française, Paris, Armand Colin, 2007 (éd. originale, 2005) ou le recueil d’articles de Frank Biess et Robert G. Moeller (dir.), Histories of the Aftermath. The Legacies of the Second World War in Europe, New York, Berghahn Books, 2010.

47 Voir par exemple David Bankier (dir.), The Jews Are Coming Back. The Return of the Jews to Their Countries of Origin after WWII, Jérusalem, Yad Vashem, 2005.

48 Hasia Diner, We Remember With Reverence and Love. American Jews and the Myth of Silence after the Holocaust, 1945-1962, New York, New York University Press, 2009 ; Hanna Yablonka, « The Myth of Holocaust Survivors’ Silence: The Case of the Israeli Artists », dans Shmuel Almog, Daniel Blatman, David Bankier et Dalia Ofer (dir.), The Holocaust: History and Memory. Essays Presented in Honor of Israel Gutman, Jérusalem, Yad Vashem, 2001, p. 207-235.

49 Pour une étude comparée des commissions historiques et centres de documentation dans cinq pays d’Europe, voir L. Jockusch, Collect and Record , op. cit. Il n’existe à ce jour qu’une seule biographie de l’un des membres de ces commissions : Klaus Kempter, Joseph Wulf, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2013 mais Filip Friedman, Michel Borwicz, Szymon Datner ou encore Rachel Auerbach ont fait l’objet d’articles scientifiques. Nombreuses sont cependant les figures majeures qui attendent encore leur biographe.

50 Nicolas Berg, « Joseph Wulf: A Forgotten Outsider Among Holocaust Scholars », dans D. Bankier et D. Michman (dir.), Holocaust Historiography in Context…, op. cit., p. 168.

Illustrations

De haut en bas : Filip Friedman, [C’était Auschwitz], version originale en yiddish ; Filip Friedman, To jest Oswiecim [C’était Auschwitz], trad. polonaise, Varsovie, CZKH, 1945 ; Maria Hochberg-Marianska, Noé Grüss, Dzieci oskarzaja [Les enfants accusent], Cracovie Lodz-Varsovie, CZKH, 1947.

(Clichés Audrey Kichelewski)

Michal Borwicz le 18 septembre 1946 exhumant l’une des dix boîtes en fer blanc contenant les archives Ringelblum.

Archives de l’Agence polonaise de presse, © PAP.

Citer cet article

Référence papier

Audrey Kichelewski, « Écrire la catastrophe. L’historien-témoin et le génocide juif en pologne, 1945-1950 », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 5 | 2014, 109-126.

Référence électronique

Audrey Kichelewski, « Écrire la catastrophe. L’historien-témoin et le génocide juif en pologne, 1945-1950 », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 5 | 2014, mis en ligne le 22 septembre 2023, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=380

Auteur

Audrey Kichelewski

Audrey Kichelewski est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Strasbourg.

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