Discours préliminaire sur l’établissement en général des prisons (1806)1

DOI : 10.57086/sources.424

p. 101-105

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Les facultés que les hommes ont reçus de la nature les destinent à des actions grandes et généreuses ; mais hélas ! il en est beaucoup parmi eux qui en abusent, et qui les emploient pour nuire à la société. Pour arrêter leur crime la loi a prononcé des sentances terribles2 ; cependant, tout sévère qu’elle est, elle a soin de distinguer les criminels d’avec les coupables ; elle a établie pour ces derniers des prisons qui leur ôtent les moyens d’attenter à la tranquilité des citoyens paisibles. La manière de construire ces batimens a mérité toute l’attention du gouvernement, c’est d’elle que dépend en grande partie la sûreté publique ; elle interese encore l’humanité. Ces établissemens doivent donc essentiellement réunir la sûreté et l’humanité ; mais il ne faut pas le dissimuler nous n’avons que très peu d’établissemens sur lesquels l’on puisse se modéler3, et qui procurent les moyens de faire du prisonnier un homme qui puisse un jour rentrer dans la société ; car, voilà l’intention de la loi, et que peuvent offrir les établissemens un petit de ce genre qui existent épars dans la plupart des départemens4. Elles offrent des lieux insalubres, des caveaux infectés où le condamné traine une vie lente qui achève d’éteindre en lui jusqu’au moindre germe de ses facultés morales et physiques en le rendant impropre, à tout espèces de travail ; mais pour pourvoir assurer du travail aux prisonniers5 il faut que ces établissemens puissent être fait en grand pour qu’elles vaillent la peine d’une organisation administrative et sans ce moyen l’on vera toujours le détenu dans l’impossibilité de se soustraire à cette vie apathique qui achève de le rendre incapable de se corriger ces inconvenians vivement sentis par le gouvernement6 lui ont fait saisir toutes les occasions pour procurer à ces établissemens ce que la sûrreté et l’humanité entament en leur faveur.

Rapport sur l’établissement actuel des prisons d’Ensisheim ; et description du projet de les convertir en une maison centrale de détention pour le service des dis départemens7 désignés dans la lettre de son excellence le Ministre de l’Intérieur du 25 Ventose an 138.

Les batimens actuels de la maison d’Ensisheim quoique considérables9 ne présentent point les moyens d’en faire une maison centrale de détention aussi étendue que l’on avait pu le supposer, et s’il falait se tenir au local actuel, il faudroit renoncer à l’idée de pouvoir comparer cet établissement avec ceux cités par la lettre susdite de S. E. le ministre.

Cet établissement ne contenoit autrefois que 150 à 200 prisonniers et il faudroit déjà bien entamer le service si le nombre devoit être porté au double dans le local actuel, les dégradations du batiment exigent d’ailleurs des réparations si considérables que la dépense à faire ne seroit point sufisament balancé par l’utilité que l’on en tireroit si l’on vouloit se contenter dans ce qui existe. J’avois cependant exigé de concentrer mon projet dans l’ancien local ; mais voyant les dépenses où cela entraineroit pour ne produire qu’un établissement médiocre qui ne pourroit devenir util qu’à deux départemens au plus j’y ai totalement renoncé en prenant le parti d’utiliser tous les batimens élevés à plusieurs étages pour ne démolir que de mauvaises constructions le long du canal et que nous avons teint en jaune sur le plan masse ci-joint et qui ne sont composés que d’un simple rez-de-chaussée, en faisant une disposition nouvelle qui puisse former un ensemble régulier avec ce qui existe de bon de l’ancien établissement et tout en régularisant la disposition des corps de batimens et en les séparant par des cours qui se scindent dans un ordre simétrique ; j’ai également porté un principal corps de batiment côté E sur le plan et dont la façade en retour de la ruë formeroit la droite de l’une des portes de la ville d’Ensisheim, et j’ai détourné le canal depuis le vis-à-vis des écuries de la gendarmerie P pour le faire passer sous les batimens Q et R et une voute sous la cour V pour que ses eaux puissent laver à leur passage les latrines des nouveaux corps de batiment E pour se jetter dans son ancien lit au point Z, cette disposition aura ( ?) satisfait à l’œil et procure des batimens immenses et une entrée imposante à la ville d’Ensisheim du côté de la porte de Mülhausen et la disposition des corps de batiment B&C se raccorderont bien avec l’ancien batiment A, les nouveaux corps de batiment du côté de la principale rue dégageront la ville des anciennes ruines et des deux vieilles tours qui pourront être remplacées par une nouvelle porte de la ville, je me suis renforcé dans mon travail par l’idée et les grands avantages qu’il y a toujours en faisant ces établissemens en grand et certe le projet de reunir dans un seul établissement les prisons des dix départemens indiqués par la lettre de son Excellence le ministre de l’Intérieur du 25 Ventose an 13 devoit supposer une augmentation de batimens à faire à l’ancien établissement. Cette réunion devient util sous le rapport de l’oeconomie et de l’administration10. Nous disons util sous le rapport de l’oeconomie, parce qu’il n’y auroit point de département des dix nommés qui en faisant sa part de prison quelle trouvera dans cette maison central isolement11, ne lui couteroit entre quatre et cinq cent mille francs et bien au-delà, témoin les projets que le département du bas-Rhin avoit formé sur le local de l’ancienne maison de force de la ville de Strasbourg12, sans que ces prisons partagées puissent réunir l’avantage d’une maison centrale, sous le rapport de l’administration, elle couteroit presque autant dans chaque département que ce quelle coutera dans une maison centrale, toutes les raisons nous ont fortifiés de suivre l’immense projet au developpement des places duquel nous sommes occupés ; nous joignons ici deux tableaux dont l’un contient tout le logement que ce projet contiendra et l’autre la partie financière du dit projet13. Nous ajouterons en détail du premier tableau, qu’en place de la grande partie des canaux actuellement répandu dans l’ancien batiment et qui rendent plutôt la maison humide et malsaine que salubre ; nous avons conservé que ceux nécessaires pour l’écoulement des eaux et des latrines et que pour rafraichir l’air des cours nous proposons de faire couler dans la saison nécessaire dans de certaines heures du jour une eau dans les rigoles des paves des cours au moyen de leur machine hydraulique qui elevera l’eau du canal14, cette methode est infiniment préférable à cette quantité d’aqueducs sous terrain qui répandent une humidité desastreuse pour les murs et les habitants de la dite maison.

Nous terminons cette description par indiquer la classification des detenus que nous avons suivis dans la distribution général de ce projet.

Nous avons partagé le tout en cinq parties inégales, les deux plus grands quartiers sont pour le dépôt général de mendicité et pour les condamnés par les tribunaux, la 3ème partie pour les prisonniers pour dettes et ceux pour lesquels on paye pensions, la 4ème pour des prisonniers d’Etat et la cinquième pour les maniaques que nous croyons devoir se trouver plutôt avec le dépôt des pauvres que dans les hôpitaux ordinaires, c’est dans le détail de tous ces objets et les plans que j’ai eu l’honneur d’annoncer à Monsieur le Préfet, par ma lettre du 23 du courant que consistera le travail général de ce projet.

Strasbourg ce 28 novembre 1806

L’Ingénieur des Ponts et chaussées, architecte de la ville de Strasbourg

Boudhors

1 ADHR, Y 208, prison centrale d’Ensisheim, cinq feuillets manuscrits et plan-masse. La transcription respecte la graphie, la ponctuation et l’

2 En 1791, un ensemble de lois révise en profondeur le système judiciaire : loi sur la police municipale et correctionnelle (19-22 juillet 1791),Code

3 Le projet sous-jacent est la réalisation d’une prison-manufacture qui centralise des détenus de différents types pour plusieurs départements. En mai

4 Dès 1791, la Constituante envisage la création de nouveaux établissements en conformité avec la réforme judiciaire. Mais la pression des

5 La nature des travaux effectués par les détenus d’Ensisheim en 1806 reste pour l’heure inconnue. Dans les années 1811-1815, il est question d’

6 L’arrêté du 23 nivôse an IX demandait par exemple de n’accorder aux détenus que le strict nécessaire afin de forcer l’établissement d’ateliers de

7 Parmi ces départements, on compte : le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, la Moselle, la Meuse, les Vosges, la Haute Saône, le Doubs et le Jura.

8 16 mars 1805 – Cette lettre n’est pas conservée aux Archives départementales du Haut-Rhin.

9 Le dépôt de mendicité a pris place à Ensisheim dans un ancien collège jésuite. Des plans de l’établissement de 1628 sont connus et accessibles sur

10 Ces propos font écho à ceux du ministre de l’Intérieur Chaptal (1801-1804) dans une instruction aux préfets des départements en date de Brumaire an

11 Les maisons centrales devaient être propriété de l’État. Mais d’autres priorités conduisirent à transférer sur les autorités locales, municipales

12 La maison de force de Strasbourg se trouvait aux Ponts Couverts, entre le bras de la rivière quai Saint-Jean et la rue Saint-Jean.

13 Ces tableaux ne sont pas conservés aux Archives départementales du Haut-Rhin. Nous connaissons la somme globale du projet qui se montait à 1 161 

14 Cette machine hydraulique est une pompe qui permet de faire remonter l’eau de son lit jusqu’au niveau des cours.

Notes

1 ADHR, Y 208, prison centrale d’Ensisheim, cinq feuillets manuscrits et plan-masse. La transcription respecte la graphie, la ponctuation et l’orthographe des originaux.

2 En 1791, un ensemble de lois révise en profondeur le système judiciaire : loi sur la police municipale et correctionnelle (19-22 juillet 1791),Code d’instruction criminelle (16-29 septembre 1791), Code pénal (25 septembre-6 octobre 1791). Le code criminel prévoit les sanctions suivantes : mort, fers (soit les travaux forcés), réclusion en maison de force, gêne (le condamné, seul dans une cellule, travaille), détention (pour une peine inférieure à 6 ans), déportation, dégradation civique, carcan. Pour les délits, le code correctionnel prévoit des peines d’emprisonnement de deux ans maximum, sauf en cas de récidive. Le code de police municipale sanctionne les atteintes à la tranquillité locale par quelques jours de prison ou par des amendes. Le Code des délits et des peines adopté par la Convention le 25 octobre 1795 (3 brumaire an IV) conserve une gradation des peines similaire. Ce système reste en vigueur jusqu’à l’instauration du Code pénal napoléonien de 1810.

3 Le projet sous-jacent est la réalisation d’une prison-manufacture qui centralise des détenus de différents types pour plusieurs départements. En mai 1801, le Consulat instaure les premières maisons centrales dans les anciennes maisons de force de Gand et de Vilvorde. Bicêtre et Saint-Lazare suivent. En 1805, une nouvelle maison centrale est établie à Embrun. Napoléon ne généralisera cependant le principe de la prison-manufacture à tout l’Empire qu’en 1808.

4 Dès 1791, la Constituante envisage la création de nouveaux établissements en conformité avec la réforme judiciaire. Mais la pression des circonstances conduit pour l’essentiel au réemploi des lieux d’enfermement existants.

5 La nature des travaux effectués par les détenus d’Ensisheim en 1806 reste pour l’heure inconnue. Dans les années 1811-1815, il est question d’installer à la centrale un tissage de coton. Avant sa mise en place effective, les détenus pratiquaient déjà l’épluchement du coton. Voir Benjamin Appert, Bagnes, prisons et criminels, Paris, 1836, p. 36-44 et p. 254-268.

6 L’arrêté du 23 nivôse an IX demandait par exemple de n’accorder aux détenus que le strict nécessaire afin de forcer l’établissement d’ateliers de travail dans toutes les maisons de détention.

7 Parmi ces départements, on compte : le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, la Moselle, la Meuse, les Vosges, la Haute Saône, le Doubs et le Jura.

8 16 mars 1805 – Cette lettre n’est pas conservée aux Archives départementales du Haut-Rhin.

9 Le dépôt de mendicité a pris place à Ensisheim dans un ancien collège jésuite. Des plans de l’établissement de 1628 sont connus et accessibles sur Gallica : <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8448531x> ;<http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8448532b>. Le collège jésuite est fermé en 1764. Il sert de dépôt de mendicité à partir de 1773 et est agrandi du côté ouest vers 1786. Reconverti en hôpital militaire en 1793-1800, il redevient dépôt de mendicité pour le Haut-Rhin en 1801-1808. La transformation effective du dépôt d’Ensisheim en maison centrale date de 1811. Les bâtiments de la centrale ont été démolis dans la seconde moitié du xxe siècle. Voir Inventaire général du patrimoine culturel, Collège de jésuites, prison, Ensisheim (dossier avec plans et bibliographie complémentaire). <http://patrimoine.region-alsace.eu/fr/notices/College-de-Jesuites-prison,276965.html> [vérifié le 11/11/2013] ; Le dossier d’inventaire reproduit le plan-masse conservé aux ADHR (doc.6 du dossier), mais contient une lecture fautive du nom de son auteur (Baredhetz pour Boudhors).

10 Ces propos font écho à ceux du ministre de l’Intérieur Chaptal (1801-1804) dans une instruction aux préfets des départements en date de Brumaire an x [octobre 1801]. Voir Recueil des lettres circulaires, instructions, programmes, discours et autres actes publics du ministère de l’intérieur, tome iv, Paris, an xiii, p. 21-30 : « Ces ateliers ne peuvent s’établir et prospérer que dans les maisons nombreuses ; alors les ressources pour le travail augmentent, et les frais d’administration diminuent. Ainsi, il est avantageux, sous tous les rapports, de fondre et de réunir plusieurs maisons de reclusion, pour ne présenter dans chacune que des réunions de quatre à six cents détenus », p. 25-26. Dans cette même instruction, le ministre prescrivait aux préfets de porter leur « choix sur la maison la plus vaste, la plus commode, la mieux disposée pour faciliter la séparation des âges, des sexes et des délits, et surtout la plus avantageusement située pour recevoir des ateliers de travail ».

11 Les maisons centrales devaient être propriété de l’État. Mais d’autres priorités conduisirent à transférer sur les autorités locales, municipales ou départementales les coûts de reconstruction et d’amélioration des prisons. À partir du budget 1802-1803, la charge des prisons est soumise aux départements.

12 La maison de force de Strasbourg se trouvait aux Ponts Couverts, entre le bras de la rivière quai Saint-Jean et la rue Saint-Jean.

13 Ces tableaux ne sont pas conservés aux Archives départementales du Haut-Rhin. Nous connaissons la somme globale du projet qui se montait à 1 161 995 F. ADHR, Y 208, lettre du ministre de l’Intérieur au préfet du Haut-Rhin du 21 février 1807. À titre de comparaison, la transformation des abbayes de Clairvaux et Fontevraud en maisons centrales entre 1805 et 1850 a coûté près de 5 millions de francs-or. En 1810, un fonds spécial de 11 millions de francs est prévu pour l’amélioration des prisons, mais il ne sera jamais affecté à cet usage.

14 Cette machine hydraulique est une pompe qui permet de faire remonter l’eau de son lit jusqu’au niveau des cours.

Citer cet article

Référence papier

Pierre Valentin Boudhors, « Discours préliminaire sur l’établissement en général des prisons (1806) », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 3 | 2013, 101-105.

Référence électronique

Pierre Valentin Boudhors, « Discours préliminaire sur l’établissement en général des prisons (1806) », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 3 | 2013, mis en ligne le 19 octobre 2022, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=424

Auteur

Pierre Valentin Boudhors

Éditeur scientifique

Véronique Umbrecht

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