La sorcellerie et la ville. Rapport introductif de la journée d’études du 26 mars 2013

DOI : 10.57086/sources.429

p. 121-129

Texte

  • Fac-similé (PDF – 134k)
  • XML TEI

« La réalité montre que les sorciers appartiennent la plupart du temps au monde des bourgs et des campagnes… »

Ainsi Nicolas Remy, procureur général de Lorraine et démonologue efficace, évoque-t-il la question dans son traité La Démonolâtrie publié en 15951.

Nicolas Remy se targue d’avoir conduit 900 procès de sorcellerie, et fort de cette autorité, il met en avant ce qu’il considère comme une évidence : le crime de sorcellerie est un crime rural. Mais Remy ne dit pas pour autant que la ville est exempte d’idiotie et de superstitions qui conduisent à la sorcellerie ; dans son traité, il n’y a rien sur la ville en tant que telle, alors que l’on peut trouver beaucoup d’allusions à la différence de culture entre ville et campagne. Pour Remy, « l’âge, le sexe et la lourdeur campagnarde empêchent la réflexion2 ». Il moque ses « compatriotes vosgiens » issus « du monde paysan » qui croient aussi en une « coutume surtout en usage dans les régions reculées de ce duché, en zone alémanique » prétendant qu’il faut soulever de terre ceux qui veulent se préserver des mauvais sorts3. Mais il mentionne également les diseurs de bonne-aventure qui officient dans les cours, « chez les rois et les princes », en soulignant la crédulité des élites sociales qui entraînent « le commun des hommes […] derrière de telles autorités » pour former une « foule ignorante4 ».

La question du milieu dans lequel se déroule le crime de sorcellerie n’est pas davantage une préoccupation pour les autres démonologues : ni le Marteau des Sorcières5, le fameux traité imprimé à la fin du xve siècle, ni la Démonomanie des sorciers6 de Jean Bodin, contemporain de Nicolas Remy, pour ne citer que ces deux références, ne traitent de la question spécifiquement. On peut ajouter à cela que les sources parvenues jusqu’à nous font état d’un phénomène qui est effectivement rural dans sa majorité.

La question de la ruralité du phénomène a été traitée par de nombreux chercheurs, soit qu’ils aient étudié spécifiquement la sorcellerie, soit qu’ils aient cherché par ce biais, et par les sources judiciaires produites, à atteindre une culture populaire rurale beaucoup moins accessible que la culture urbaine, laquelle se donne plus immédiatement au chercheur, par des écrits volontaires. Parmi ces chercheurs, Carlo Ginzburg a façonné une toute nouvelle façon de lire ce type de phénomène, la micro-histoire. Ses travaux sur la sorcellerie ont abouti à la publication d’ouvrages qui ont bouleversé les perspectives et suscité une réflexion nouvelle, passionnante et passionnée : Les Batailles nocturnes, sorcellerie et rituels agraires (1966) et Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier frioulan du xvie siècle (1976). En envisageant la question des croyances populaires et de la sorcellerie du point de vue des accusés, Carlo Ginzburg a essayé de comprendre tous les tenants et les aboutissants d’un système complexe. Ce système peut échapper à la compréhension des historiens actuels puisque ces ruraux, ces simples villageois, mais aussi les simples habitants des villes, ne laissent généralement pas de traces écrites (sauf le cas exceptionnel de Menocchio désormais bien connu). Il est difficile de connaître ces mentalités populaires, urbaines ou rurales, par les procédures judicaires dont les simples gens faisaient l’objet, des documents produits par une certaine élite qui mettait par écrit les pensées de ces gens en les faisant passer par leur propre filtre. Cette tâche est difficile mais pas impossible : Carlo Ginzburg, et quelques autres, l’ont fait en analysant finement les sources.

De rares historiens ne se sont pas satisfaits de la ruralité exclusive du phénomène, et ils ont posé la question de la ruralité ou de l’aspect urbain du crime de sorcellerie. Erik Midelfort, par exemple, affirme que le diable était aussi actif à la ville qu’à la campagne7. C’est une affirmation osée, puisque les traités des démonologues n’allaient pas dans ce sens d’une part, et que les élites urbaines de l’époque n’ont pas abordé la question des rapports entre la sorcellerie et la ville d’autre part. Beaucoup plus nombreux sont les historiens spécialistes qui ont peu, ou pas du tout, abordé l’aspect urbain de la sorcellerie et de sa répression.

Ainsi, cet angle d’approche d’un phénomène important qui a agité toute l’Europe et certaines de ses colonies à l’époque moderne n’a pas fait l’objet d’une étude particulière ou systématique. Aucun des colloques et conférences organisés dans les milieux anglo-saxons et germaniques n’a consacré de session à ce sujet en tant que tel. Le groupe de recherche créé par Dieter Bauer et Sönke Lorenz de l’université de Tübingen, l’AKIH, Arbeitskreis für Interdisziplinäre Hexenforschung, notamment, n’a pas travaillé dans cette optique malgré un colloque annuel depuis 1985 qui explore de très nombreuses pistes de recherche. Il y a pourtant eu dans la communauté scientifique d’autres sujets pointus qui ont été examinés, notamment la sorcellerie masculine, qui a fait l’objet d’un colloque à l’université d’Essex en 20068.

Pour étudier spécifiquement la sorcellerie et la ville, et défier la sentence de Nicolas Remy que « les sorciers appartiennent (…) au monde des bourgs et des campagnes… », il faut réexaminer entièrement la question ; en s’inspirant notamment des travaux de Carlo Ginzburg, il faut comprendre pourquoi la sorcellerie n’a pas été abordée sous l’angle urbain.

On peut avancer plusieurs raisons, et en premier lieu les sources. La collecte des données est cruciale : la question des sources est évidemment au cœur du problème. L’étude de la répression de la sorcellerie est loin d’être aboutie et il reste encore de nombreux territoires à étudier. Cependant, les sources ont poussé de nombreux historiens à considérer le phénomène dans un contexte géographique particulier, en fonction surtout des entités juridictionnelles, des cours d’appel. Il y a donc parfois une assimilation des cas de sorcellerie des campagnes environnantes, et même, une assimilation de la juridiction tout entière avec la ville qui traite ces cas en appel. Les études transversales sont difficiles à mener car les spécialistes de la question ont bien souvent un domaine d’étude circonscrit et peinent à en sortir.

Pourtant les sources montrent bien l’existence de quelques épisodes de chasses aux sorcières en milieu urbain : les vauderies de Lyon et d’Arras du milieu du xve siècle9, et surtout les chasses aux sorcières menées dans le grand espace limitrophe de la France vers l’Allemagne et la Suisse. Un chiffre va encore plus loin : 19% des personnes accusées de sorcellerie en Pologne vivent en milieu urbain dans un pays qui ne compte que 5% de citadins10. L’urbanité de la sorcellerie a été considérée comme un facteur dans chacun de ces cas, mais il n’y a pas encore de synthèse sur l’ensemble des cas.

Un deuxième problème épineux freine l’étude de la sorcellerie urbaine : la définition de la ville. Le pourcentage d’Européens vivant en milieu urbain se situe autour de 15% aux xvie et xviie siècles. À la fin du xviie siècle et de son expansion démographique, on dénombre environ 200 villes de plus de 10 000 habitants. Mais on trouve toujours toute une série de villes de 2 000 ou 3 000 habitants. Pour définir la ville, les murs d’enceinte ne sont pas un critère suffisant, même si le sentiment de sécurité qu’ils provoquent fait une différence entre paysans et bourgeois des villes. Ce sont les privilèges politiques et économiques spécifiques qui semblent compter autant à leurs yeux que les murs d’enceinte. Les données démographiques peuvent être un élément important pour séparer les pratiques de sorcellerie rurales des pratiques urbaines, puisque le relatif anonymat, possible dans les agglomérations importantes, crée des conditions différentes de celles d’un petit village. Le maléfice étant généralement un crime de proximité et de voisinage, l’anonymat peut donc être un facteur fondamental. Mais pour savoir si l’anonymat de la ville est effectivement une réalité, il faudrait pouvoir suivre la trace de personnes suspectées de sorcellerie qui arrivent à se faire oublier en ville. Or, on ne connaît que ceux qui, au contraire, se sont fait arrêter et rattraper par les accusations.

Malgré ces difficultés, quelques questions ont été explorées sur la sorcellerie urbaine11. On peut se demander à juste titre s’il est possible de vraiment séparer la sorcellerie urbaine et la sorcellerie rurale. Si la sorcellerie est définie comme un système qui met en place la présence du diable et de sorciers autour du crime de maleficium, la magie malfaisante, alors on peut avoir des formes différentes de sorcellerie, en milieu rural et en milieu urbain. Les pratiques de sorcellerie sont susceptibles de différer, même si le principe magique reste le même dans les deux milieux. Les études faites en milieu urbain suggèrent l’existence d’un système qui serait, selon certains spécialistes comme Oscar di Simplicio, instable et simplificateur. Ainsi, Christina Larner12 évoque ce qu’elle appelle un contrôle naturel en milieu urbain et qui, de fait, réduit la répression de la sorcellerie. Elle souligne l’importance de la responsabilité des autorités politiques (plutôt que religieuses), et met en parallèle le développement du système administratif et la création de l’État moderne.

Se pose alors la question des spécificités de la sorcellerie urbaine. Les villes demandent un flux important de paysans immigrants. Les liens de parenté ou de parrainage unissent les habitants des villes et ceux des campagnes autant que les marchés hebdomadaires peuvent le faire. Ces liens permettent de maintenir des contacts suffisants pour que ces nouveaux urbains gardent les mentalités populaires de leur village, pour que la ville et la campagne restent en osmose. Mais inversement l’impact d’un nouveau mode de vie plus urbain peut accélérer le processus de changement des règles qui régissent la société agraire traditionnelle. Et du coup, est-ce qu’un certain seuil démographique pourrait effacer, ou du moins entamer, les éléments qui font du maléfice un crime de voisinage ? Robin Briggs13 se demande donc si les populations urbaines d’importance modeste étaient suffisamment mobiles et anonymes pour contrecarrer une hostilité construite au long cours, et qui est caractéristique des accusations de sorcellerie dans une société rurale très unie. Cette question demande des études très poussées dans la droite ligne de la microstoria.

Mais on peut déjà voir qu’il y a, d’une part, de nombreux exemples de cadres urbains qui ont créé exactement la même atmosphère d’envie, de médisances et de calomnies que celle des communautés villageoises. D’autre part, pourquoi n’y a-t-il aucune trace d’une flambée de persécutions dans les très grandes villes comme Paris, Amsterdam, Hambourg, Londres, Vienne, Venise, Madrid ou Mexico14 ? Pour Paris, par exemple, le Parlement de Paris aurait traité 1 288 cas de sorcellerie en appel contre seulement 25 en première instance, selon les chiffres d’Alfred Soman15. Pourtant dans ces villes « monstrueuses », les modes de vie et de pensée traditionnels ont dû être altérés rapidement, avec comme preuve la présence de différents types de praticiens de la magie qui y ont proliféré.

La question se pose peut-être en ces termes : dans quelle mesure les villes sont-elles devenues des centres d’innovation ou de créativité, dont la taille et la culture affectent la vie quotidienne suffisamment pour transformer l’attitude des habitants vis-à-vis des problématiques fondamentales à l’œuvre dans la sorcellerie, l’amour, la naissance et la mort ? Les habitants des villes peuvent avoir un meilleur accès aux lieux de culte, d’éducation, de soins, et tous ces éléments peuvent faire une différence. Il faudrait jauger dans quelle mesure ces facteurs ont contribué à redessiner un nouveau cadre d’esprit capable de déstabiliser un système de croyances qui inclut la magie et les sorts.

La Hollande a été le point de départ de cette réflexion, puisque les Pays-Bas faisaient partie des régions où il y eut une grande répression de la sorcellerie, mais où, après 1590, les exécutions stoppèrent brutalement en Hollande d’abord, puis dans les provinces d’Utrecht, Groningue et Gelderland (la dernière chasse s’y est déroulée en 1603), ce qui a été vu par Johan Huizinga comme « le triomphe de l’esprit bourgeois16 ». Mais de nombreux historiens, y compris Marijke Gijswijt-Hofstra17, ne considèrent pas forcément la prospérité et la prédominance des villes hollandaises sur les campagnes, ainsi que la victoire de la culture urbaine, comme des facteurs cruciaux de la fin de la répression de la sorcellerie. Il est difficile de voir l’évolution dans le temps de ce que les différentes classes sociales pensent de la sorcellerie. Hans de Waardt18 a montré que la croyance en la sorcellerie reste ancrée dans une large couche de la société hollandaise, bien que certaines catégories sociales ne participent plus au débat sur la question. Au cours du xviie siècle, les docteurs de l’université et les juristes admettent que la sorcellerie est possible, mais ils rechignent à la considérer comme une cause éventuelle de maladie. Les pénuries de nourriture ne sont plus associées au maleficium. Et si les accusations de sorcellerie baissent en nombre, les injures et insultes (se faire appeler sorcier ou sorcière) augmentent au contraire. Le cas des Pays-Bas est cependant le seul à avoir vu une éradication du crime de sorcellerie précoce coïncider avec un tel contexte économique, social et culturel. En matière de sorcellerie, il n’y a pas de modèle monolithique.

Bill Monter et Michel Porret ont étudié la situation dans la ville de Genève et ils en arrivent à une conclusion similaire. À Genève, la moitié des accusés de sorcellerie viennent des villages environnants (cette proportion est avancée dans les cas écossais d’Édimbourg ou Aberdeen). L’exemple genevois est intéressant car cette grande ville (15 000 habitants) a poursuivi beaucoup de sorcières du tout début de la répression (plus de 50 bûchers entre 1463 et 1500) jusqu’à l’époque de la république de Genève qui a conduit des procès chaque année de son existence, de 1536 jusqu’en 1662. Mais les exécutions ne représentent que 20% des accusés, ce qui est nettement en deçà des taux des régions avoisinantes (la dernière des 79 personnes exécutées est Michée Chauderon en 1652, cas étudié par Michel Porret19). Les cas de sorcellerie de la ville de Lausanne font l’objet de controverses étudiées pendant leur première phase de persécution à la fin du Moyen Âge20.

Les seules exceptions à la règle qui semblent établir que les villes ne génèrent pas plus de sorcellerie que les campagnes correspondent à certaines villes allemandes. Les très nombreuses études sur ces villes allemandes font état des deux composantes de la sorcellerie, la magie malveillante et le culte satanique, avec des rôles plus ou moins importants selon les lieux, mais aucune grande tendance n’a pu être dégagée pour l’instant. Diverses villes impériales allemandes (Nördlingen, Rottweil) ont connu de nombreux procès de sorcellerie21. Les plus grandes et les plus importantes d’entre elles ont continué à exécuter des sorcières après 1650 (Augsbourg a par exemple exécuté Barbara Zielhauserin en 1745 à Dillingen, à la suite de 200 autres exécutions).

Quelques différences entre la sorcellerie urbaine et la sorcellerie rurales se dessinent pourtant. Les accusations paraissent différentes car elles portent sur des préoccupations différentes. C’est parfois une simple question de logique : les attaques au bétail et aux récoltes sont plus fréquentes à la campagne, les problèmes liés aux affaires d’argent et de cœur dans les villes, où la promiscuité est plus grande. Les attaques contre les personnes, les mauvais sorts jetés semblent cependant être présents dans les deux milieux. Et pour aboutir à des conclusions sur cette dimension urbaine du phénomène, il reste à étudier les accusations selon leur spécificité. Ainsi, faudrait-il comptabiliser les accusations de faire mourir du bétail ou de causer des orages de grêle en milieu urbain pour savoir dans quelle mesure ils sont rares. Il serait aussi très intéressant de comparer les données en milieu urbain et en milieu rural pour ce qui est du crime d’infanticide. Entre 1550 et 1750, est-ce qu’un moins grand nombre de citadins ont considéré la mort soudaine et étrange d’un bébé comme une raison suffisante pour accuser quelqu’un de maléfice ? Le cas de la ville de Wurtemberg montre que les accusations finissent par se changer en simple empoisonnement, le crime d’infanticide se détachant du crime de sorcellerie22. Mais il faudrait plus d’études pour savoir si ce fait est spécifiquement urbain, milieu qui est du reste touché par une plus grande mortalité infantile que la campagne.

De façon plus générale, à la fin du xviie siècle, les accusations de culte démoniaque sont remplacées par des accusations contre les jeteurs de sorts (Segensprechen), les diseurs de bonne aventure (Wahrsagen), et les chasseurs de trésors (Schatzgräberei). À Augsbourg, une des plus grandes villes libres et impériales, là où il n’y a eu que peu de procès de sorcellerie, le grand banquier Jacob Fugger s’est essayé à lire dans une boule de cristal23. Mais nous ne savons pas à quel point cette pratique destinée à obtenir des informations économiques par un moyen surnaturel pouvait être partagée par les autres membres de ce milieu des affaires urbain.

Dans les villes méditerranéennes, ce genre d’activités était très répandu, en particulier la magie amoureuse. Avoir recours à la magie pour des histoires de cœur et de sexe est un phénomène typiquement urbain que l’on retrouve dans les grandes villes italiennes, en Castille et dans le sud de l’Espagne. Le cas de Venise a été bien étudié, mais généraliser à partir d’un exemple est toujours risqué, et c’est d’autant plus risqué que le cas vénitien est vraiment unique à cause de la taille gigantesque de la ville, 140 000 habitants, et de son caractère particulièrement cosmopolite. L’étude des affaires de sorcellerie et de magie montre que les cas d’infanticide ou de sorcellerie diabolique n’intéressent pas beaucoup les Vénitiens, mais que les questions d’argent et d’amour sont au contraire au centre de leurs préoccupations24.

Ce qui apparait clairement dans les sources, c’est un changement qui intervient également entre le milieu du xvie siècle et le milieu du xviie et qui concerne la nature du maléfice, du crime de sorcellerie : les orgies du sabbat par exemple, disparaissent au profit de la possession démoniaque, surtout après 1605. La possession a pour cadre le milieu urbain et touche des lieux plus spécifiquement urbains comme les hôpitaux ou les couvents. Les femmes et les enfants possédés qui mettent en cause des sorciers ou des sorcières, attirent des foules de spectateurs. Les cas de Loudun ou d’Aix, l’affaire de Marthe Brossier, qui a eu lieu à Paris en 1599, ont tous nourri un débat très actif. Il est assez compliqué de mesurer l’impact de ces exorcismes très largement médiatisés par une littérature de feuilles volantes, de pamphlets, sur des classes populaires qui, elles, n’ont pas exprimé leur opinion. Pour cet aspect particulier qu’est la possession, le problème des sources se fait encore plus sentir puisque les pièces judicaires sont nettement moins nombreuses. Sarah Ferber25 a étudié le cas de Madeleine de Flers (Maubuisson, 1636) et le rôle que le contexte urbain a joué dans ce type d’affaire. Les exorcismes sont-ils des antidotes à la modernisation urbaine, comme on le lit parfois ?

Le processus d’accusation semble être comparable en ville et à la campagne : la proximité joue un rôle primordial, et les liens qui unissent les milieux populaires, accusateurs et accusés, semblent aussi forts en ville qu’à la campagne. Les témoins sont issus de l’entourage proche, de la rue, du cercle familial ou du cercle professionnel, de la corporation. Et les faits et gestes des suspects de sorcellerie semblent être autant scrutés dans ces cercles qu’à la campagne. Néanmoins, la volonté politique d’encadrer et de contrôler est plus manifeste en ville, avec la diffusion d’un message démonologique facilité par les visites des prêcheurs dominicains par exemple, la diffusion de feuilles volantes, et surtout les exécutions ou les exorcismes publics. Mais la question de la définition de la ville reste au cœur du problème : comment mettre dans une même catégorie Haguenau, une ville libre et impériale de la « Décapole » alsacienne de moins de 2 000 habitants, avec Venise et ses 140 000 habitants ? On ne peut pas véritablement opposer population des villes et population des campagnes dans l’Europe d’avant le milieu du xviie siècle car leur univers mental reste commun. Il s’agirait plutôt d’une différence géographique, entre les populations de certains pays ou régions et celles d’autres ensembles géographiques ou culturels. Faut-il alors établir une séparation entre une sorcellerie urbaine du nord de l’Europe et une du Sud ? Est-ce qu’une distinction plus pertinente serait plutôt : sorcellerie rurale, sorcellerie des villes moyennes et sorcellerie des grandes métropoles ? Les futures études permettront de dire si ce type de classification peut être valable. Le travail de recherche sur la sorcellerie est très loin d’être fini, et il faudrait même parfois le commencer seulement, en menant plus d’études qui feraient sortir les « subalternes », comme les appelle Carlo Ginzburg, de l’ombre et du silence.

1 Nicolas Remy, La démonolâtrie, texte établi et traduit à partir de l’édition de 1595 par Jean Boës, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1998, p.

2 Ibid., p. 332.

3 Ibid., p. 306.

4 Ibid., p. 279.

5 Henri Institoris et Jacques Sprenger, Le marteau des sorcières (Malleus Maleficarum), traduction d’Amand Danet, Grenoble, Jérôme Millon, 1990.

6 De la démonomanie des sorciers, par Jean Bodin Angevin, Paris, Jacques Du Puys, 1588 [fac-similé de Gutenberg Reprints, 1979].

7 H.C. Erik Midelfort, « The devil and the German people : Reflections on the popularity of demon possession in Sixteenth-Century Germany » dans

8 Actes publiés en 2009 : Alison Rowlands (dir.), Witchcraft and Masculinities in Early Modern Europe, Palgrave Macmillan (Historical Studies in

9 Franck mercier, La Vauderie d’Arras. Une chasse aux sorcières à l’automne du Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.

10 Cité par Oscar di Simplicio, « Urban Witchcraft », dans R. M. Golden (dir.), Encyclopedia of Witchcraft. The Western Tradition, vol. IV, Oxford/

11 Owen Davies, « Urbanization and the decline of witchcraft : an examination of London », Journal of Social History, vol. xxx, n °3, 1997, p. 597-617

12 Christina Larner, Enemies of God, Baltimore, John Hopkins University Press, 1981.

13 Robin Briggs, Witches and Neighbours : The Social and Cultural Context of European Witchcraft, Londres, Harper Collins, 1996, p. 265.

14 Iris Gareis, « Staatsbildung und Hexenverfolgung im spanischen Raum », dans Dieter R. B auer, Johannes D illinger, Jürgen Michael S chmidt (dir.)

15 Alfred Soman, « Les procès de sorcellerie au parlement de Paris (1565-1640) », dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 32/4, 1977, p. 790

16 Cité par William Monter, « Witch-Trials in Continental Europe, 1560-1660 », dans Bengt Ankarloo et Stuart Clarke (dir.), The Athlone history of

17 Marijke Gijwijt-Hofstra, « Six Centuries of Witchcraft in the Netherlands : Themes, Outlines, and Interpretations », dans Marijke Gijswijt-Hofstra

18 Hans de Waardt, « Prosecution or Defense : Procedural Possibilities Following a Witchcraft Accusation in the Province of Holland Before 1800 »

19 Michel Porret, L’Ombre du Diable. Michée Chauderon, dernière sorcière exécutée à Genève (1652), Chêne-Bourg, Georg Éditeur, 2009.

20 Georg Modestin, Le diable chez l'évêque. Chasse aux sorciers dans le diocèse de Lausanne (vers 1460), Lausanne (Cahiers lausannois d’histoire

21 Voir Rita Voltmer et Walter Rummel, Hexen und Hexenverfolgung in der Frühen Neuzeit, Darmstadt, 2008 ; voir également Rita Voltmer, Hexen. Wissen

22 H.C. Erik Midelfort, Witch Hunting in Southwestern Germany, 1562-1684 : The Social and Intellectual Foundations, Stanford, Stanford University

23 Ibidem, p. 82.

24 William Monter, «Witch-Trials in Continental Europe, 1560-1660 », dans Bengt A nkarloo et Stuart C larke (dir.), The Athlone history of witchcraft

25 Sarah Ferber, Demonic Possession and Exorcism in Early Modern France, Londres, Routledge, 2004.

Notes

1 Nicolas Remy, La démonolâtrie, texte établi et traduit à partir de l’édition de 1595 par Jean Boës, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1998, p. 4, dans la dédicace au cardinal Charles de Lorraine.

2 Ibid., p. 332.

3 Ibid., p. 306.

4 Ibid., p. 279.

5 Henri Institoris et Jacques Sprenger, Le marteau des sorcières (Malleus Maleficarum), traduction d’Amand Danet, Grenoble, Jérôme Millon, 1990.

6 De la démonomanie des sorciers, par Jean Bodin Angevin, Paris, Jacques Du Puys, 1588 [fac-similé de Gutenberg Reprints, 1979].

7 H.C. Erik Midelfort, « The devil and the German people : Reflections on the popularity of demon possession in Sixteenth-Century Germany » dans Steven Ozment (dir.), Religion and Culture in the Renaissance and Reformation, Kirksville, Sixteenth Century Journal Publishers 1989, p. 120.

8 Actes publiés en 2009 : Alison Rowlands (dir.), Witchcraft and Masculinities in Early Modern Europe, Palgrave Macmillan (Historical Studies in Witchcraft and Magic Series), 2009.

9 Franck mercier, La Vauderie d’Arras. Une chasse aux sorcières à l’automne du Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.

10 Cité par Oscar di Simplicio, « Urban Witchcraft », dans R. M. Golden (dir.), Encyclopedia of Witchcraft. The Western Tradition, vol. IV, Oxford/Santa Barbara, ABC-Clio 2006, p. 1149.

11 Owen Davies, « Urbanization and the decline of witchcraft : an examination of London », Journal of Social History, vol. xxx, n °3, 1997, p. 597-617.

12 Christina Larner, Enemies of God, Baltimore, John Hopkins University Press, 1981.

13 Robin Briggs, Witches and Neighbours : The Social and Cultural Context of European Witchcraft, Londres, Harper Collins, 1996, p. 265.

14 Iris Gareis, « Staatsbildung und Hexenverfolgung im spanischen Raum », dans Dieter R. B auer, Johannes D illinger, Jürgen Michael S chmidt (dir.), Staatsbildung und Hexenprozess, Bielefeld, Verlag für Regionalgeschichte, 2008, p. 97-115.

15 Alfred Soman, « Les procès de sorcellerie au parlement de Paris (1565-1640) », dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 32/4, 1977, p. 790-814.

16 Cité par William Monter, « Witch-Trials in Continental Europe, 1560-1660 », dans Bengt Ankarloo et Stuart Clarke (dir.), The Athlone history of witchcraft and magic in Europe, Vol. 4 : The Early Modern Period, Athlone Press, 2002, p. 35.

17 Marijke Gijwijt-Hofstra, « Six Centuries of Witchcraft in the Netherlands : Themes, Outlines, and Interpretations », dans Marijke Gijswijt-Hofstra et W. Frijhoff (dir.), Witchcraft in the Netherlands : from the fourteenth to the twentieth Century, Rotterdam, 1991.

18 Hans de Waardt, « Prosecution or Defense : Procedural Possibilities Following a Witchcraft Accusation in the Province of Holland Before 1800 », dans ibid.

19 Michel Porret, L’Ombre du Diable. Michée Chauderon, dernière sorcière exécutée à Genève (1652), Chêne-Bourg, Georg Éditeur, 2009.

20 Georg Modestin, Le diable chez l'évêque. Chasse aux sorciers dans le diocèse de Lausanne (vers 1460), Lausanne (Cahiers lausannois d’histoire médiévale, n °25), 1999.

21 Voir Rita Voltmer et Walter Rummel, Hexen und Hexenverfolgung in der Frühen Neuzeit, Darmstadt, 2008 ; voir également Rita Voltmer, Hexen. Wissen was stimmt, Fribourg-en-Brisgau, 2008 ; Wolfgang Behringer, Witchcraft Persecutions in Bavaria. Popular Magic, Religious Zealotry and Reason of State in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.

22 H.C. Erik Midelfort, Witch Hunting in Southwestern Germany, 1562-1684 : The Social and Intellectual Foundations, Stanford, Stanford University Press, 1972, p. 83.

23 Ibidem, p. 82.

24 William Monter, «Witch-Trials in Continental Europe, 1560-1660 », dans Bengt A nkarloo et Stuart C larke (dir.), The Athlone history of witchcraft and magic in Europe, vol. 4 : The Early Modern Period, Athlone Press, 2002, p. 47.

25 Sarah Ferber, Demonic Possession and Exorcism in Early Modern France, Londres, Routledge, 2004.

Citer cet article

Référence papier

Maryse Simon, « La sorcellerie et la ville. Rapport introductif de la journée d’études du 26 mars 2013 », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 3 | 2013, 121-129.

Référence électronique

Maryse Simon, « La sorcellerie et la ville. Rapport introductif de la journée d’études du 26 mars 2013 », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 3 | 2013, mis en ligne le 22 septembre 2023, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=429

Auteur

Maryse Simon

Autres ressources du même auteur

  • IDREF
  • ISNI
  • BNF

Articles du même auteur

Droits d'auteur

Licence Creative Commons – Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International (CC BY-NC-SA 4.0)