L’internationalisation des industriels liniers de Bohême du xixe siècle à la Première Guerre mondiale

DOI : 10.57086/sources.122

p. 145-176

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En 1914, l’Autriche-Hongrie était l’un des principaux producteurs mondiaux de fils, filasses et toiles de lin. Si l’histoire du textile revient à la mode avec l’histoire mondiale1, celle du lin néanmoins, l’une des seules fibres textiles produites en Europe2, semble s’écrire avec prédilection au niveau national. De plus, n’est-elle pas secondaire aux xixe et xxe siècles, par rapport aux concurrents que sont le coton, la laine ou la jute ?

Bien au contraire : l’histoire du lin à l’époque contemporaine fait partie de celle de l’industrialisation, donc de l’internationalisation des échanges. À partir de la seconde moitié du xixe siècle, l’ouverture mondiale des frontières conduisit à l’émergence de grands pays liniers : le Royaume-Uni (précisément l’Irlande), la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Russie. Dans le cas de l’Autriche, la « fabrique du lin » était un ensemble de moyennes ou grandes entreprises familiales, presque toutes localisées sur le piémont bohémien des monts des Géants (Riesengebirge/Krkonoše), à la frontière de l’Allemagne. Paradoxalement, bien qu’enclavées dans une région périphérique d’Europe centrale, ces dernières ont réussi à s’internationaliser et à grandir au rythme de la libéralisation du commerce autrichien et mondial. Il s’agit ici de comprendre les raisons qui, dans un contexte de frontières ouvertes, les a fait choisir et conserver ce site, alors que les pays producteurs de fil de lin assistaient à un mouvement de concentration dans les régions terminales des importations russes, donc plutôt près de ports, où les relations étaient étroites et anciennes entre les rouisseurs-teilleurs, les filateurs et les fabriquants de toile3.

Cette histoire, quasiment oubliée, est documentée principalement par les archives de district situées dans la ville de Trutnov4. La population de cette dernière ayant été majoritairement germanophone jusqu’en 1946, nous l’appellerons de son nom allemand de Trautenau lorsqu’il s’agira de la période que nous étudions. En 1898, les deux districts politiques voisins de Hohenelbe (Vrchlabí en tchèque) et de Trautenau5 assuraient 64% de la production linière de la monarchie des Habsbourg6. À Trautenau se trouvaient, jusqu’à la Première Guerre mondiale, les sièges des principales entreprises et groupements d’intérêts liniers d’Autriche7.

Les fonds du district, quoique lacunaires, sont riches8. Ils ont été pré-sentés et partiellement exploités par une revue d’histoire locale qui s’est attachée, pendant la période communiste, à retracer la chronique de ces firmes et, pour la période qui nous intéresse, à dégager les formes d’accumulation du capital et de collectivisation de la production, ainsi que la naissance du mouvement ouvrier9. Depuis, cette histoire économique est passée de mode et l’histoire régionale n’attire guère, ne serait-ce que parce qu’elle implique l’étude de deux langues10. Pourtant, leur alliance peut produire une histoire sociale qui enrichisse et nuance l’histoire culturelle actuellement dominante, qui a tendance à hypertrophier la question nationale. La démarche spatiale adoptée ici se présente comme une solution de synthèse avec, d’une part, l’attention aux ressources matérielles régionales et, d’autre part, l’attention aux stratégies qui ont présidé à l’utilisation de ces dernières. Ces stratégies ont été déterminées par l’importation et l’exportation du lin ; ce qui nous permet d’étudier la frontière nord-est de la Bohême d’une façon encore peu répandue en Europe danubienne, sous l’angle des flux, en mettant en lumière les liens établis avec le reste de l’empire d’Autriche, de l’Europe et du monde. Au-delà du cas particulier de la frontière du nord-est entre la Bohême et la Silésie, il s’agit in fine de contribuer à l’écriture d’une histoire intégrée de l’Europe et à celle de l’entrée dans la mondialisation de l’Europe centrale.

L’édition de source que nous présentons ici a pour but de poser le fondement de telles recherches, en analysant comment, avec la mécanisation du lin, le piémont des Géants s’est transformé en une région concurrentielle sur le plan européen et mondial. Les deux documents que ce texte introduit et explicite ont été retenus parce qu’ils apportent des explications qui, sans être exhaustives, sont les plus complètes dont nous disposons. Les entreprises dont ils traitent naquirent entre 1797 et 1836. Fin 1918, l’éclatement de la monarchie des Habsbourg amena un tout autre contexte politique et douanier en Europe centrale. Entre-temps prirent forme les réseaux, connexions et stratégies qui ont permis l’internationalisation des liniers de Bohême.

Inédits11, ces deux textes dactylographiés ont été rédigés en allemand. Le premier relate l’histoire de l’une des firmes linières majeures de la région, la maison « Johann Adam Kluge » (1797-1945). Son auteur, l’ingénieur Franz Kluge, l’un des descendants du fondateur et directeur de l’entreprise jusqu’en 1941, répondait là à une demande de la municipalité de Trautenau qui réunissait alors des documents sur le passé des entreprises locales. Les vingt et une pages rédigées par F. Kluge en juillet 1944 sont un témoignage rare, interne et fiable sur l’évolution d’une firme qui avait la réputation d’être à la pointe de l’innovation, malgré l’emploi de quelques termes propres à l’époque de sa rédaction12. Le texte est organisé selon les phases de son développement, qui correspondent en gros aux étapes de l’industrie linière. L’expression est concise, parfois technique. Nous avons choisi de présenter in extenso la moitié environ de cette relation historique, moitié qui va jusqu’à la période suivant immédiatement la Première Guerre mondiale.

La seconde source provient des papiers de la plus grande firme linière d’Autriche en 1914, l’entreprise « Johann Faltis Héritiers13 » (1836-1931). Il s’agit des lettres envoyées par ses deux directeurs et fondés de pouvoir depuis Trautenau entre 1917 et 1919, conservées sous forme de copies au carbone reliées en un volume. Ce sont les seules années qui restent de toute la correspondance de la firme. Le 11 juillet 1918, Franz Russ, dont nous ne savons presque rien, demande à son collègue Alexander Vidéky, alors à Vienne, son aide pour organiser une expédition en Galicie et en Pologne russe en détournant le circuit d’approvisionnement du lin, matière stratégique, pour acheter le ravitaillement indispensable aux ouvriers des fabriques textiles locales. Cette missive au ton inhabituel, plein d’émotion, complète le texte de Kluge ; elle a été traduite ici comme pars pro toto d’une correspondance qui permet de saisir le réseau d’approvisionnement des liniers de Trautenau au nord et à l’est de l’Europe pendant le conflit.

En partant de l’étude classique de Michael Porter sur le développement d’entreprises concurrentielles14, nous commencerons par montrer que l’inter-nationalisation de petits tisserands et marchands du début du xixe siècle leur permit de former progressivement des entreprises de taille européenne. Puis nous nous pencherons sur le milieu des liniers austro-bohémiens pour comprendre pourquoi ils ont gardé une implantation à la périphérie de l’Autriche et le rôle qu’y a joué la frontière avec l’Allemagne. Enfin, la crise extrême qu’a été la Première Guerre mondiale sera l’occasion de mettre en évidence l’action des individus qui franchissaient les frontières pour le compte d’une firme linière, ce qui n’apparaît quasiment pas dans les autres sources consultées.

La formation d’un district industriel à la fin du xixe siècle

Dans la seconde moitié du xixe siècle, la région de Trautenau devint le site d’une production linière concentrée, industrielle, exportatrice. L’histoire de la firme J. A. Kluge, qui se lit comme celle d’un apprentissage réussi de la concurrence internationale, livre les clefs de cette croissance.

Proto-industrialisation, commerce international et mécanisation

À l’époque où vécut Johann Adam Klug, fondateur de l’entreprise portant son nom, le piémont bohémien des monts des Géants était semé de manufactures de lin, dont la concentration fut maximale pendant la conjoncture favorable de 1770 à 179015. En 1772, le commerce du fil fut libéralisé puis, en 1785, celui des toiles16. En 1775, la réforme des douanes unit le marché inté-rieur autrichien, de la Silésie morave à l’Istrie. Désormais, les critères de qualité iraient s’unifiant, comme le niveau de productivité. La compétitivité devenait donc l’élément clef pour s’affirmer sur un marché ouvert17. Les habitants avaient l’habitude d’y produire, à bas prix, de la filasse qui demandait de nombreuses opérations manuelles18, et du fil de lin. Profitant de ce contexte, des tisserands de métier se firent marchands et, dépassant l’horizon étroit des commerçants locaux peu spécialisés, se rendirent autonomes en se spécialisant dans un petit nombre de produits (pour les Kluge : lin, soie puis tabac) qu’ils achetaient et revendaient entre l’Europe centrale et l’Italie du nord, en profitant des différences régionales19. Des ascensions sociales très rapides se produisirent, comme celle de Johann Franz Theer (1737-1815), exportateur de lin vers la Silésie, l’Italie et l’Espagne et ses colonies, annobli en 1794 avec le titre de baron (Freiherr) de Silberstein20.

Klug, qui changea son nom en Kluge, sut profiter de la conjoncture favorable des guerres napoléoniennes, alors que le blocus continental de 1806 renforçait la demande en lin. Son fils Franz Seraphim (1821-1888), après l’avoir accompagné dans les foires de Breslau, Brünn et Vienne, fut envoyé en 1839 faire son apprentissage auprès de l’un des clients principaux de son père, le négociant en gros Zamboni de Venise ; puis il acheva sa formation dans une maison de commerce d’Ancône en 184121. Il reprit l’affaire familiale en 1845, qui comprenait une partie commerciale et une petite manufacture à Hermannseifen (Rudník) qui fit du jacquard à la main jusqu’à la fin du xixe siècle (§ 1822). Le filage du lin, lui, se modernisait rapidement, depuis que Philippe de Girard avait découvert entre 1810 et 1815 comment transformer les fibres de lin en fil, en les faisant passer dans une lessive alcaline qui dissolvait la gomme les réunissant, puis en les étirant mécaniquement pour les transformer en fils de différentes grosseurs23. Alors que, ruiné, il partait en 1815 en Autriche (jusqu’en 1826 où il put diffuser son invention avant de la faire connaître en Pologne russe) ses associés vendirent ses plans à Leeds en Grande-Bretagne, métropole anglaise du filage du lin.

La mécanisation du filage fut diffusée en Bohême par Jan ou Johann Faltis (1796-1874)24. Né dans une famille de facteurs de lin devenus petits com-merçants de Trautenau, il avait fréquenté le Gymnasium ou lycée de Königgrätz/Hradec Králové, la ville épiscopale du sud des monts des Géants. Formé au commerce de la toile par la maison Neupauer & Co de Prague, il prit lui aussi la route de Vienne et de l’Italie, mais il s’intéressa vite à la mécanisation du filage du lin, vraisemblablement en découvrant à côté de Vienne les inventions de Girard ; il n’hésita pas à aller se faire embaucher au Royaume-Uni pour s’initier aux derniers perfectionnements en la matière. Le comte Harrach, l’un des aristocrates du royaume de Bohême, l’engagea en 1833 comme directeur industriel et commercial de ses manufactures de lin à Starkenbach/Jilemnice au pied des monts des Géants, et à Janovice en Moravie. Dans un contexte favorable où le coton avait été frappé de lourds droits de douane en 1831, Faltis réunit assez de capital en 1834 pour se lancer dans ses propres entreprises ; il acheta des machines en Grande-Bretagne et fut le premier Autrichien à produire mécaniquement du fil de lin. Entre 1836 et 1866, il ouvrit de nombreuses manufactures, de la Saxe à Heinitz près de Bautzen, au nord de la Moravie, et plaça le siège de son entreprise à Trautenau.

Pendant la guerre civile américaine (1861-1865), le versant bohémien des monts des Géants se couvrit de filatures de lin (§ 7). Beaucoup fermèrent ensuite, ou se tournèrent vers la transformation du coton, ou des productions mi-lin, mi-coton. Néanmoins, certaines réussirent à prospérer dans le lin et à résister à la concurrence du coton. Les principales sont nommées au début de la lettre de F. Russ : par ordre d’importance, les maisons Faltis Héritiers, A. Haase, J. A. Kluge et Josef Etrich et fils25. Comme le montre l’histoire de la firme J. A. Kluge, ces entreprises s’internationalisèrent ; elles y réussirent grâce à un saut qualificatif dû à des compétences techniques croissantes, en grossissant pour atteindre une masse critique et en suivant de près les innovations de leurs branches.

Internationalisation et montée en gamme dans la seconde moitié du xixe siècle

Dans un domaine neuf et changeant, où le passé ne pouvait éclairer le présent, les Kluge se tournèrent résolument vers l’acquisition de techniques modernes de vente et de production. Ils allèrent d’abord les chercher chez leurs partenaires étrangers. Ainsi le cousin Ignaz Etrich, qui montrait des dispositions particulières pour la mécanique (§ 6), apprit-il son métier à Leeds. Là se trouvaient les principaux constructeurs de machines spécialisées : Fairbairn, Newton et Cie, Lawson et fils26, auprès de qui plusieurs jeunes Kluge et Etrich furent envoyés se former. À partir de 1870 environ, les jeunes gens de la famille, s’ils songeaient à une carrière industrielle, reçurent d’abord une solide formation professionnelle de niveau secondaire, puis supérieure, dans les écoles qui s’étaient ouvertes dans les centres industriels, de la Saxe à l’Autriche. Josef Kaulich, neveu de Franz Seraphim Kluge, fut formé à l’école textile de Mittweida dans l’État de Saxe (§ 9) ; Franz Kluge le Jeune fut diplômé de l’École secondaire commerciale de Prague (§ 13). Au début du xxe siècle, l’envoi de Fritz Kluge à Boston (§ 18) témoigne tant de l’ouverture du lin bohémien au marché américain que de la place prise par les États-Unis dans la production industrielle ; ainsi les Kluge s’inspirèrent-ils d’un modèle américain pour l’aération de leur carderie (§ 37).

Entre 1865 et les années 1890 (§ 10-16), les Kluge réussirent à surmonter la concurrence désormais massive du coton et à devenir l’une des grandes entreprises de la région. La firme J. A. Kluge, qui comptait en 1872 14 000 broches27 et environ 700 ouvriers28, transformait alors 15 000 quintaux de lin et d’étoupe par an. Cette matière première était achetée en Bohême et en Moravie (massif des Jeseníky/Altvatergebirge), en Bavière, Prusse et Saxe, filée à Trautenau et aux alentours, puis souvent réexportée en Allemagne où se trouvaient les usines de transformation. Les filateurs importaient aussi du lin brut de Grande-Bretagne et de Belgique. Mais avec l’élévation des salaires, même lente, la culture du lin, qui n’était toujours pas modernisée, devint trop peu rentable en Europe occidentale. Les liniers se tournèrent alors vers le principal marché de lin brut ou peu transformé, la Russie (§ 11) qui, pendant le demi-siècle précédant la Première Guerre mondiale, acquit dans cette branche une position comparable à celle des États-Unis dans le coton brut29. Déjà liée de tout temps à Hambourg par l’Elbe, la région de Trautenau était aussi à proximité du chemin de fer qui, via la Moravie, relia dès 1856 Vienne à Cracovie et Lemberg (actuellement Lvív), la capitale de la Galicie (partie autrichienne de la Pologne).

L’internationalisation fut aussi indispensable pour vendre la production. Elle entraîna la montée en gamme des produits. C’était, pour les Kluge, « un fil de lin plus fin », transformé par exemple en mouchoirs par les tisserands de Jilemnice/Starkenbach30, domaine où ils finirent par acquérir une position dominante sur le marché européen (§ 10). Puis, avec le fil retors, ils réussirent à accompagner le développement de la jute (§ 24) qui concurrençait le lin sur le segment des textiles grossiers, comme la toile de sac pour la betterave à sucre, alors en plein essor. De fait, la jute était à la conjonction entre l’expansion coloniale et le développement de la société industrielle.

Avec la troisième génération, particulièrement sous l’action de Johann Adam Kluge le Jeune, l’entreprise familiale développa une production intégrée et atteignit le premier rang dans sa branche en Autriche-Hongrie, ce qui lui permit d’affronter les crises conjoncturelles sans risquer de disparaître31. Tout en acquérant de nouvelles compétences et en s’agrandissant (§ 11-15), la politique des Kluge fut néanmoins parfois hésitante. Le blanchiment (§ 13 et 25), désormais lié à l’industrie chimique en plein essor, leur ouvrait d’autres marchés. Aussi la firme se retrouva-t-elle avec deux usines de blanchiment et finit par revendre à F. Duncan celle d’Oberaltstadt, à peine acquise, qui faisait double emploi avec celle du domaine de Hermannseifen32. Mais leur réaction pouvait être rapide lorsqu’il s’agissait de se débarrasser d’un concurrent. Après l’incendie de la filature de Dunkelthal/Temní Důl, située en haut de la vallée de l’Úpa, ils en rachetèrent immédiatement les restes aux associés Morawetz et Oberländer, alors à la tête de trois usines de tissage mécanique du lin à et autour d’Hostinné. Inversement, ces derniers soufflèrent aux Kluge la blanchisserie d’Oberaltstadt en 1920 lorsque son propriétaire, Fred Duncan, rentra dans sa ville de Leeds33.

La concurrence entre firmes, d’autant plus vive qu’elle pouvait prendre un tour personnel dans cette région de taille réduite34, n’excluait ni la circulation de l’information, ni même des ententes ponctuelles. Les industriels liniers étaient en communication via leurs échanges commerciaux ; ils furent poussés à se rapprocher pour défendre leurs intérêts, notamment pour exporter ; ils cherchèrent à développer des études prospectives pour sortir la culture du lin de son archaïsme.

Concurrence et association locales

Selon Hans Medick, l’une des conditions de l’autonomie des tisserands-marchands était leur indépendance en matière commerciale : ils achetaient et vendaient eux-mêmes. Au début du xixe siècle et particulièrement dans les années 1830, Trautenau était l’un des marchés au lin les plus importants d’Europe centrale. Les chalands y venaient d’Autriche comme de l’étranger35. La transformation des anciennes activités commerciales individuelles en ventes de gros pour l’industrie entre 1840 et 1891 changea aussi le caractère et l’organisation des transactions, ainsi que F. Kluge le note lorsque son arrière-grand-père et fondateur de l’entreprise se retira des affaires (§ 5). Ce marché international se dota d’un président à partir de 186436 et s’organisa sous forme d’une bourse au lin chaque lundi à partir de 1870, dotée d’un statut en 1875, refondée comme association en 189637. Il s’accompagnait d’un journal, le Trautenauer Wochenblatt38, destiné aussi à encourager l’industrie linière39. D’après un contemporain :

[en 1876, pour] le fil de lin, Trautenau est au continent européen ce que Belfast est pour l’Angleterre. La bourse du lundi vaut le coup d’œil. On y peut voir non seulement des industriels des environs, mais encore des Allemands, des Anglais et des Belges40.

En 1877, ce marché hebdomadaire fut complété par une foire annuelle tenue mi-décembre, peu après les grandes foires au lin de Konstadt (Wołczyn) et de Breslau en Silésie, fréquentée notamment par des Allemands, Russes, Hollandais et Belges.

L’industrie linière était, à un haut degré, une industrie d’exportation ; elle compensait ainsi la perte de marchés intérieurs comme, en 1882, le passage du lin au coton pour les commandes de linge de l'armée impériale et royale. Elle exportait notamment vers les Balkans et, pour la moitié de sa production, vers l’Amérique du nord ; cette proportion était en réalité encore plus élevée puisqu’une partie de l’autre moitié, achetée par des négociants allemands et anglais, y allait aussi41. Par conséquent, l’industrie linière dépendait étroitement des tarifs douaniers. Les conditions lui devinrent défavorables à la fin du xixe siècle, avec la perte, pour l’empire d’Autriche, de la Lombardie et de la Vénétie en 1866, l’élévation des tarifs douaniers en 1891 avec l’Allemagne, l’Italie, la Suisse et la Belgique et la hausse progressive des barrières douanières américaines au cours des années 1890, hausse qui aboutit à taxer le lin autrichien de 50 à 60 % de sa valeur. Ces évolutions poussèrent la branche linière à s’organiser. Comme l’observait Albert Aftalion à la fin du xixe siècle pour l’Europe :

[la fabrique du lin] a recours, pour se défendre, aux comités et syndicats qui, sans aller jusqu’aux formes supérieures du kartell, jusqu’au comptoir unique de vente, parviennent cependant à des ententes temporaires42.

L’idée fut lancée à l’occasion de l’Exposition internationale de Vienne en 1873, lors d’un congrès international des parties intéressées par la culture et la transformation du lin (Internationaler Congress der Flachs- und Leinen-Interessenten), de former en Autriche un groupe de pression capable de se faire entendre au Parlement et dans les ministères, en s’alliant aux agriculteurs43. En 1891, les industriels liniers organisèrent, avec l’association agricole qui chapeautait les districts de Broumov, Vrchlabí et Trutnov, le premier congrès pan-autrichien sur l’amélioration de la culture du lin44. Il aboutit la même année à la fondation d’une fédération des intérêts liniers autrichiens (Verband der österreichischen Flachs- und Leineninteressenten ou Svaz rakouských lnářských zájemců), dont le siège était à Trautenau45. Avec le ministère de l’Agriculture, la fédération réalisa en février 1893 une enquête sur la situation du lin, enquête qui aboutit à une station d’expérimentation agricole, ouverte avec le concours de l’École d’agriculture et de culture du lin de Trautenau (fondée en 1887 avec le soutien de la bourse au lin). Bien que certains chefs d’entreprise se livrassent à des expériences d’ordre agricole46 et que le directeur de cette station fût de qualité, cette dernière échoua à pérenniser son financement. Son directeur, Alois Herzog, fut engagé par la Kaiser-Wilhelm-Gesellschaft de Sorau en Allemagne (actuellement Żary en Pologne) où la recherche textile jouissait de moyens considérables47. L’échec de la station d’expérimentation de Trautenau (§ 25) montre les limites de la convergence des intérêts agricoles et industriels48, ainsi que de la capacité d’organisation des industriels de la région.

Il n’en demeure pas moins qu’entre 1836 et la veille de la Première Guerre mondiale, la région de Trautenau s’était transformée en district industriel, tel que Giacomo Becattini l’a défini en 197849. Dans une région de proto-industrialisation où les commanditaires participaient à la production et ne se contentaient pas de l’acheter, quelques entreprises majeures s’étaient formées50 ; en 1900, les usines Faltis, avec leurs 40 000 broches actionnées par 2 000 ouvriers51, étaient les plus grandes d’Europe. Elles entraînaient avec elles un ensemble de petits établissements, sur lesquels elles s’appuyaient (ce qui apparaîtra davantage dans la partie suivante), dont le but était de vendre, sur des marchés suprarégionaux, des produits de plus en plus renommés. Au niveau des entreprises, l’effort pour intégrer verticalement la production, afin d’en contrôler la qualité en évitant les intermédiaires, encourageait l’innovation.

À la veille de la Première Guerre mondiale, Trautenau faisait partie des centres liniers d’Europe avec Breslau, Gand, Lille, Belfast et Dundee en Écosse52. L’intégration de la Russie occidentale aux relations transrégionales et internationales des liniers avait permis le maintien de la production dans une région à première vue excentrée. Au niveau de la région, la concentration d’alliés et de concurrents permettait des économies d’échelle, la circulation de l’information grâce à la bourse et la presse locale, mais aussi la défense d’intérêts communs. Ceci renforçait les avantages du site de Trautenau que nous allons maintenant mettre en évidence, en changeant d’échelle d’analyse et en nous interrogeant particulièrement sur les conséquences de sa situation à la frontière silésienne.

Produire à la frontière

En effet, alors que la Bohême orientale et la Basse-Silésie étaient voisines tant géographiquement que culturellement, l’observation des circulations transfrontalières en général et des liens entre industriels en particulier montrent que la frontière avec la Silésie, qui aurait pu être quasiment effacée, a été conservée dans le domaine de l’activité linière. Ce rapport particulier a contribué à façonner les activités de la région montagneuse de Trautenau.

Paysage, frontière, circulations

Les monts des Géants culminent en Bohême orientale à 1 603 mètres avec la Sněžka/Schneekoppen, qui donne naissance à l’Aupa/Úpa. C’est un affluent de l’Elbe qui, elle, prend sa source à l’ouest de ce sommet et descend par une vallée étroite vers Hohenelbe/Vrchlabí ; à partir de là seulement, l’espace est suffisant pour laisser place à une agglomération. La vallée de l’Úpa au contraire s’élargit dès le village de Dunkelthal/Temní Důl, suivi du bourg de Marschendorf/Maršov ; sa pente est de 18 pour mille jusqu’à Freiheit/Svoboda, où commence la voie de chemin de fer doublant la rivière qui perd de sa rapidité53 mais gagne en ampleur grâce à de petits affluents, traversant Jungbuch/Mladé Buky, Trübenwasser/Kalná Voda, Oberaltstadt/Horní Staré Město, c’est-à-dire déjà le faubourg de Trautenau. Ce chapelet de villages, de vingt kilomètres de long, borde l'Úpa d’usines qui, au xixsiècle, détournaient dans des canaux, pour actionner leurs machines, une partie du courant, là où se trouvent de brusques dénivelés. La concurrence était rude pour profiter de cette énergie gratuite, entre les différentes activités de la forêt (scieries, papèteries) et celles du lin. Les emplacements devaient encore être défendus en terrassant les berges contre les inondations, parfois catastrophiques.

Jusqu’après la Première Guerre mondiale, la force hydraulique, gratuite une fois l’équipement nécessaire installé et les droits afférents payés (§ 8 et 14), ne cessa d’être utilisée, d’abord pour actionner les machines, ensuite pour produire de l’électricité. Cela en complément avec le charbon qui, lui, n’était pas gratuit, mais se trouvait en abondance dans la région. Entre la Bohême et la Basse-Silésie s’étendait en effet un riche gisement54, exploité au nord à Walden-burg (Wałbrzych) et, du côté bohémien, par les mines de Malé Svatoňovice, Radowenz/Radvanice et Schatzlar/Žacléř.

Le chapelet des villages industriels, désormais lâche, se poursuit après Trautenau par Úpice le long d’une pente de plus en plus faible vers le sud, jusqu’à la localité de Jaroměř (à côté de la forteresse de Josefstadt/Josefov) qui, au confluent de l’Elbe et de l’Úpa55, marque la fin du piémont et de la région linière. Quant à Trautenau, elle se trouve à un coude de l’Aupa qui l’ouvre vers l’est. La ville, ancienne, était équipée de plusieurs moulins, souvent transformés en usines au xixe siècle. On a vu qu’elle possédait depuis longtemps un marché interrégional du lin, car elle se situe à la jonction des montagnes et du seuil de Královec/Königshan qui, à quinze kilomètres au nord-est, est la porte orientale de la Bohême vers la Silésie.

Jusqu’au xviiie siècle, la toile (platno) de Bohême et les étoffes (sukno) de Moravie étaient blanchies et préparées en Silésie, avant d’être commercialisées par des maisons d’Allemagne du nord et de Hambourg pour l’essentiel56. Cette intégration régionale fut perturbée par la guerre de Succession d’Autriche (1740-1742), après laquelle l’Autriche dut céder la majeure partie de la Silésie à la Prusse. La nouvelle frontière, outre qu’elle produisit des générations de contrebandiers, influença durablement les comportements, comme le montre le patriotisme autrichien des habitants lors de la guerre de 1866 ; citons par exemple l’industriel Clemens Walzel qui transforma sa filature toute neuve de Prauschnitz/Poříčí57 en hôpital de campagne. Décoré par l’empereur, il fut anobli sous le nom de von Wiesentreu, après l’Exposition universelle de Vienne en 1870, pour ses mérites et les services rendus à l’industrie nationale58. En 1868, le faubourg de Prauschnitz/Poříčí, puis Trautenau en 1870, furent reliés aux chemins de fer autrichiens et allemands par la société ferroviaire Süd-norddeutsche Bahn59, spécialisée dans les lignes secondaires de Bohême. Vers le sud, la voie continue vers Pardubice et Vienne ; vers le nord, elle atteignait la liaison entre Breslau et Berlin. En revanche, il n’y eut et il n’y a toujours pas de ligne directe vers Breslau (Wrocław), située à moins de cent trente kilomètres au nord, pourtant capitale de la Basse-Silésie et alors gros acheteur de lin russe60 ; ni vers les villes linières anciennes du piémont silésien des monts des Géants comme Hirschberg (Jelenia Góra), ni vers Waldenburg et son charbon. La toile ferroviaire de la seconde moitié du xixe siècle dessine une géographie régionale où Trautenau est émancipée de la tutelle silésienne. Par ailleurs, les deux côtés du piémont entrèrent en concurrence dans un nouveau secteur économique, celui du tourisme de montagne, dans lequel la ville de Hirschberg se targuait d’avoir la première place et qui, au tournant du xxe siècle, provoqua du côté bohémien une fièvre d’ouverture de stations thermales sur d’anciennes sources miraculeuses61.

En dépit de cette évolution, les relations avec la Silésie perdurèrent jusqu’au xxe siècle. Les deux régions étaient peuplées d’habitants parlant quasiment les mêmes dialectes62. Dans le domaine du lin, les progrès du tissage et du blanchiment en Bohême ne suffisaient pas à transformer sur place tout le fil fabriqué, alors que la Silésie, elle, délaissait la fabrication de fil de lin : elle comptait en 1902 deux tiers de broches de moins qu’en 187063. En outre, la circulation de lin brut entre les deux régions était franche de toute taxe depuis 1742. Mais, d’une part, la frontière se ferma entre 1879 et 1891, l’Allemagne augmentant ses tarifs douaniers, y compris sur le lin brut et les fils de lin les plus gros ; le mouvement étant général en Europe occidentale, comme on l’a vu, les liniers de Bohême se tournèrent alors vers le marché américain64. D’autre part, cette production, dans laquelle la Silésie conservait la part la plus valorisée, malgré la diversification et la montée en gamme des industriels liniers autrichiens, correspondait à une inégalité régionale persistante, les salaires et le niveau de vie restant plus bas en Bohême.

Dans ce contexte où les différences restaient vives, la politique de logements ouvriers visant à retenir la main-d’œuvre, mentionnée par l’ingénieur Franz Kluge, pose la question d’éventuelles migrations vers la Silésie. En effet, la multiplication des conflits sociaux à partir de 1897 entraîna l’émigration des ouvriers inscrits sur liste noire dans d’autres usines textiles « d’Allemagne, de Suisse, voire de Suède » ; les patrons ripostaient en faisant venir des ouvriers des villages tchécophones de la montagne, ou même de Galicie65. Ce rapport dynamique, encore mal connu, suggère l’existence d’un enjeu autour des fluctuations de main-d’œuvre66.

Iva Vondrová a étudié les variations de l’effectif ouvrier de la firme F.M. Oberländer d’Úpice, fondée en 1889 pour produire des fils de jute, lin et coton. Notamment en raison des migrations de travail, Úpice doubla sa population entre 1850 et 1890, puis une nouvelle fois entre 1890 et 1930 pour dépasser 7 000 habitants, les ouvriers et ouvrières représentant le tiers de la population. Or, les registres du personnel Oberländer ont été conservés pour la période entre 1899 et 1936 ; en outre, ils portent des indications géographiques sur les nouveaux embauchés, généralement d’après leur livret ouvrier. Entre 1904 et 1913, alors que l’entreprise ne cessait de croître, les arrivants étaient en moyenne 400 à 500 par an sur 2 000 à 2 600 ouvriers. La grande majorité venait des communes situées dans un rayon d’environ dix kilomètres autour de la filature ou d’un peu plus loin, soit qu’ils quittent la terre pour l’usine, soit qu’ils changent d’entreprise au sein de la région. Cette distance n’a rien d’étonnant, puisque les déplacements entre domicile et travail se faisaient alors presque toujours à pied. Une part non négligeable des nouveaux arrivants provenait de la localité minière de Malé Svatoňovice où l’homme était généralement employé au fond et la femme à la filature. Si cet équilibre était rompu, comme lorsque la filature Porak brûla en 1913, le ménage avait intérêt à s’embaucher ailleurs pour conserver ses revenus67

Les premières maisons ouvrières de la firme Oberländer furent bâties en 1899, après les grandes grèves de 1897. Or, par rapport aux chiffres du person-nel, l’effort de logement restait faible. C’est la même chose pour la firme J. A. Kluge, pourtant connue pour sa politique sociale précoce : dès 1860, elle avait mis en place une caisse-maladie à laquelle les ouvriers cotisaient tandis que leurs salaires étaient augmentés, caisse qui leur garantissait les soins et une indemnité journalière68. La construction de maisons ouvrières commença dans les années 1880, alors que l’Autriche se dotait des mêmes lois d’assurance sociale que l’Allemagne69. La firme Kluge n’enregistra pas de grève en 1897, sauf à Dunkelthal70, où trois bâtiments comprenant plusieurs logements furent construits par l’entreprise au début du xxe siècle (§ 21). Ces mesures furent « généreuses », dit le texte de F. Kluge (§ 13). De fait, les habitations de Dunkelthal/Temní Důl, qui existent toujours, le confirment : elles sont de bonne facture et de vastes proportions. Elles étaient donc destinées aux « ouvriers expérimentés » (§ 21), sans doute le personnel d’encadrement. Ces derniers, dans un contexte de relative fluctuation du personnel à l’intérieur de la région linière, avaient une fonction de stabilisation, celle d’assurer la continuité de la production, la qualité du travail et le calme social71. À cela s’ajoutait l’évergétisme des entrepreneurs – ainsi les Kluge permirent-ils l’électrification de la majorité d’Oberaltstadt à partir de 1906, ce qui se révéla particulièrement utile pendant la guerre, lorsque les importations de pétrole tarirent72.

Des sources consultées se dégage donc l’impression que l’industriali-sation textile, du côté bohémien, a fait naître un réseau de petites et grandes entreprises permettant aux ouvriers d’éviter le chômage et de rester dans leur région73. Sur la délimitation territoriale traditionnelle qu’étaient les monts des Géants, l’industrie du lin autrichienne a calqué une organisation du territoire dictée par les nécessités de l’industrie moderne, mais qui suivait, voire contribuait à renforcer la démarcation entre Silésie et Bohême. Ceci apparaît aussi clairement dans les stratégies familiales des industriels liniers.

Capital, famille et liens transfrontaliers

Les firmes linières de Bohême étaient des entreprises familiales, généralement sous la forme d’une « société commerciale ouverte » (offene Handlungsgesellschaft) (§ 10). Ce statut leur permettait de produire, mais aussi d’acheter et de vendre. Les sociétaires étaient inscrits comme marchands sur le registre de commerce du tribunal de Jičín. Ils garantissaient les engagements financiers de l’entreprise sur leur fortune personnelle. Deux stratégies apparaissent dans les documents consultés. La première est d’accroître le capital par des connections sociales avantageuses. À sa mort en 1874, J. Faltis laissait une fortune considérable de 7,5 millions de couronnes à ses descendants : deux filles d’un premier mariage, puis sept enfants encore très jeunes, issus de secondes noces tardives et placés sous la tutelle du directeur Josef Hoffmann74. Tous entrèrent comme sociétaires de la « société commerciale ouverte » que devint la firme en 1875. La plupart de ces enfants, les filles notamment, se marièrent dans la moyenne noblesse de Bohême du nord, du comté de Glatz voisin et de Saxe, mise à part l’aînée, Anna, qui fonda une famille de grands industriels avec le médecin Anton ou Antonín Porak/Porák75. Leurs cinq fils, comme les autres descendants Faltis, restèrent sociétaires de l’entreprise originaire, dont la gestion fut laissée à des directeurs de confiance (d’abord Hoffmann, puis Russ et Vidéky) qui répondaient de leurs actes devant le premier fils de la famille, soit Carl Faltis à l’époque de la lettre de 1918 présentée ici, et devant l’assemblée des sociétaires.

La seconde stratégie utilisée, dans les entreprises de taille inférieure, était d’en réduire strictement l’accès. Les Kluge réservèrent le statut de sociétaire aux fils choisis et formés à cet effet ; Alois Haase écarta les filles de la direction de la firme familiale et se garda soigneusement de l’influence de membres de la famille étrangers à la firme76. Mais si dans le récit de Franz Kluge, le masculin l’emporte sans partage sur le féminin77, notons que la réussite des Kluge tint non seulement aux efforts de la famille agnatique, mais aussi à ceux des branches parallèles. L’une des sœurs de Franz Kluge, Johanna78, avait épousé Josef Etrich, associé à Franz Seraphim Kluge pour ouvrir les filatures d’Oberaltstadt ; une autre, Helena (1823-1891), s’était mariée en 1845 à un certain Josef Wenzel Kaulich, propriétaire de l’atelier de blanchiment et du chenal du moulin de Radowenz, qui reçut vers 1860 l’autorisation d’exploiter le charbon du lieu79 ; par la suite, la famille Kaulich continua de diriger des usines textiles et de creuser des mines sur le bassin charbonnier bohémien-silésien déjà évoqué, notamment les fosses Wenzel I et II à Quallich/Chvaleč. Leur fils Josef Wenzel Kaulich devint le responsable technique de la principale filature Kluge (§ 9).

Les mariages des sociétaires ne sont pas évoqués. Or, ils étaient soigneusement préparés et la dot de l’épousée impliquait toujours une augmentation de capital80. À notre connaissance, aucun linier n’est entré par mariage dans des familles plus éloignées, par exemple en Bohême centrale où les Šlechta régnaient sur le filage du lin depuis le xviiie siècle depuis leur fief de Lomnitz/Lomnice nad Popelnou81 ; ou dans les provinces occidentales d’Alle-magne, ou même de Silésie82, à l’exception des liens des Haase avec la famille Wihard, de Liebau (Lubawka) en Basse-Silésie à vingt kilomètres au nord de Trautenau. Cette dernière s’était intégrée à la région depuis que Hugo Dyonisios (né en 1816), d’abord facteur de lin, avait investi dans les mines de Žacléř. En 1879, son fils Friedrich acquit d’Adolf Theer von Silberstein le domaine de Hermannseifen, pour le revendre l’année d’après à Franz Kluge (§ 14). Son frère Hugo, propriétaire de terrains à Johannisbad/Janské Lázně, contribua à en faire une station thermale à la mode à la fin du xixe siècle et se maria avec Helena, sœur du fabricant Alois Haase83. Cette fermeture matrimoniale contri-buait à rendre la région moins accessible aux concurrents : la maison Salzmann & Cie de Kassel dans la Hesse, également propriétaire d’usines de tissage du lin à Friedland (Silésie), Szegedin (Hongrie) et en Saxe, ne réussit qu’à acheter une modeste filature à son extrémité occidentale, à Starkenbach/Jilemnice, en 1913.

La seule exception notable est la Saxe, industrialisée depuis longtemps et alliée de l’Autriche contre la Prusse depuis 1850. Faltis avait ouvert près de Bautzen l’une de ses premières usines. Ses descendants Porak s’y installèrent et en 1917, lorsque commence la correspondance professionnelle de l’entreprise Faltis que nous avons consultée, ils étaient citoyens de l’Empire allemand. Josef Kaulich, le cousin des Kluge, avait étudié à Mittweida (§ 10). Le père de Fred Duncan évoqué par F. Kluge (§ 14) était un marchand de fil de Leeds qui commerçait avec la Bohême, notamment avec la firme Faltis, et qui s’installa en Saxe, à Neukunnersdorf84, comme nombre de ses compatriotes possédant déjà des contacts commerciaux à l’intérieur du continent, via Hambourg. Ils contournaient ainsi l’interdiction d’exporter des machines du Royaume-Uni, en vigueur au début de la révolution industrielle, et profitaient de l’absence de droits de douane sur le lin entre la Bohême et la Saxe. 

Notons aussi que les liniers ne représentaient qu’une partie des industriels de la région. Les membres de la famille qui n’entraient pas dans l’entreprise-mère, tout en poursuivant des activités industrielles, avaient tendance à diversifier ces dernières. Les Etrich, en plus de leurs filatures, devinrent constructeurs de machines (cf. § 18). Igo Etrich (1879-1967), fils d’Ignaz Etrich et d’Anne-Marie Régnier85, ouvrit une usine de construction mécanique à Liebau où, à partir de 1905, il développa l’un des premiers avions d’Europe centrale, la « colombe Etrich » (Etrich Taube)86. La firme Rumpler en acheta en 1910 la licence pour une fabrication en série et l'équipement de l’armée allemande ; en 1914, pour des raisons stratégiques, l’usine de Liebau fut déplacée près de Berlin.

La diversification professionnelle des membres non-liniers des familles industrielles s’accompagnait souvent d’un desserrement géographique. Ainsi, un parent éloigné des Kluge, Julius Karl Hofmann, fonda en 1903 à Vienne la société par actions Hofmann & Czerny qui fabriquait des pianos pour le monde entier, puis toutes sortes d’instruments à clavier, y compris pour des effets spéciaux au cinéma, enfin des motos à partir de 1906. Le conseil d’administration de la société se composait, entre autres, de trois des cinq cadets de l’ingénieur Franz Kluge (Alfred, Igo et Anton Kluge) et d’un parent par alliance, Heinrich Klazar de Königinhof/Dvůr Králové87. Il est vrai-semblable que cette diversification a contribué à la résistance des entreprises-mères ; en effet, les entreprises alliées par lien familial semblent ne pas s’être concurrencées, mais au contraire s’être coalisées, par exemple pour racheter un concurrent.

A côté des liens familiaux existaient des coopérations entre certaines entreprises, ainsi que des amitiés. En 1922, Heinrich Klazar, sans enfant à l’âge de 65 ans, annonça à ses actionnaires qu’il se retirait et qu’il vendait ses actions majoritaires à « son ami Bedřich Šlechta », sachant qu’ainsi la firme A. Klazar serait entre de bonnes mains88. Si l’on nous permet un peu de dévier du lin, la société Juta à responsabilité limitée, enregistrée le 19 mars 1920 au tribunal de commerce de Prague, va s’inscrire en faux contre les distinctions effectuées plus tard par le régime national-socialiste entre firmes « tchèques », « allemandes » et « juives » au nom d’aversions dites naturelles. La société regroupait l’entreprise de jute Josef Etrich de Jaroměř, la société en commandite Etrich de Trutnov (§ 7), la filature de lin Oberländer et Morawetz d’Úpice (§ 14 et 16), la société par actions A. Klazar (jute et lin, Dvůr Králové), ainsi que quatre autres firmes dont F. A. Rotter et fils de Vrchlabí89. Enfin, si nous n’avons trouvé aucune trace de mariages interreligieux, relevons que lors de l’enterrement de Johann Faltis en 1874, « l’élite de la communauté israélite » faisait partie du cortège des notables avec « MM. Walzel et Jerie » et qu’« au cimetière, Monsieur David Goldberg, représentant de la firme Faltis à Zittau, prononça une allocution émouvante d’une voix rendue tremblante par l’émotion90 ».

Pour résumer notre propos, on trouve à l’échelle régionale d’autres facteurs propres à la formation d’un district industriel. Il s’agit des liens étroits qui s’établissent entre les acteurs : liens de coopération entre membres d’une même famille d’entrepreneurs, liens d’amitié ou de rivalités intense avec les autres et, enfin, des relations inscrites dans la durée avec une partie des salariés. Ces liens visaient la pérennité des entreprises91, en ménageant la possibilité d’une « évolution maîtrisée en partie par ses propres acteurs », où l’adapation ne se traduisait pas nécessairement « par la destruction des liens sociaux antérieurs »92. On observe donc, à une échelle plus fine, la même formation d’un système de relations territoriales et économiques que celui que nous avons vu en première partie ; système entraîné par les frontières ouvertes de la première mondialisation, qui incitèrent les liniers autrichiens à explorer leurs possibilités, mettre en valeur leurs ressources et à créer de la valeur ajoutée93.

Les réseaux présentés ici inscrivent des stratégies, notamment matrimoniales, sur une carte qui peut dépasser l’Autriche, mais qui reste concentrée sur la Bohême de l’Est et qui évite la Silésie, sauf Liebau où les grandes maisons de Trautenau avaient toutes une succursale94. Tout indique que ces réseaux contribuèrent à organiser la concurrence entre les deux régions et que la pression silésienne fit partie des facteurs qui conduisirent à la formation d’un district industriel du côté bohémien. En effet, comme on l’a vu en première partie, les frontières établissent les termes dans lesquels la concurrence entre territoires est conduite95. Nous nous trouvons devant une frontière ouverte, ou du moins poreuse, entre deux sociétés qui n’avaient pas le même niveau de développement. Moins doué et moins riche qu’outre-monts, le district est-bohémien se révéla capable d’établir des liens entre acteurs locaux suffisamment attirants, prévisibles et durables pour lui permettre de s’affirmer face à son rival silésien. Son exemple montre que, contrairement à l’opinion courante, la fonction majeure d’une frontière, dans le système économique et territorial que nous décrivons, n’est pas d’entraver, mais bien d’établir des relations entre territoires ; en maintenant les différences qui séparent les régions mises en compétition, elle produit sans cesse des flux vers celles qui sont capables de les attirer. Les liniers de Bohême orientale avaient donc tout intérêt à ce que la frontière avec la proche société silésienne soit conservée.

L’apprentissage empirique de ce savoir commercial et territorial se fit au cours du xixe siècle, pendant la longue période libérale de la première mondialisation. Paradoxalement, nos sources le présentent en action pendant la crise d’approvisionnement du lin qui se déclara entre 1914 et 1915, dans un cadre considéré habituellement comme celui d’une économie forcée.

Passer les frontières : s’approvisionner en lin pendant la Première Guerre mondiale

Les archives des entreprises étudiées restent généralement discrètes sur les flux qu’elles organisaient et dont elles profitaient. Les livres de comptabilité qui ont été conservés ne contiennent que des chiffres globaux. Les circonstances exceptionnelles de la Première Guerre mondiale ont néanmoins produit quelques documents qui révèlent les échanges et leurs intermédiaires. La vente étant orientée vers l’armée, c’est l’approvisionnement qui a mobilisé les réseaux des entreprises. La correspondance de la direction Faltis Héritiers, dont la lettre traduite dans l'article suivant, § 40 et suiv., est un échantillon, s’est révélée particulièrement instructive96.

Le passage des liniers de Bohême à l’économie de guerre

Au début de la guerre, les stratèges allemands n’imaginaient pas l’ampleur que prendrait le conflit et, comme en 1870, on était entré en guerre sans s’inquiéter de l’état réel des stocks de l’industrie privée, en considérant la question de l’approvisionnement comme une simple question d’argent, que les entreprises règleraient seules97. Ni les prix, ni la priorité à donner aux com-mandes de l’armée n’avaient fait l’objet de contrats. Les efforts d’organisation des industriels eux-mêmes n’avaient jusqu’alors porté que sur la régulation politique du commerce extérieur ; aucun n’avait tenté de réguler la vie économique intérieure. L’Allemagne et l’Autriche-Hongrie ne mobilisèrent que peu à peu les entrepreneurs et leurs réseaux internationaux pour se procurer les matières premières qui leur manquaient, alors que les côtes étaient bloquées par la marine de l’Entente dès août 1914. Le blocus devint total en mars 1915.

La Première Guerre mondiale est certes considérée comme à l’origine de l’économie dirigée par l’État mais, comme le montre l’historiographie récente, ces pratiques restèrent bien différentes de celles de la Seconde Guerre mondiale98. Ainsi les Empires centraux s’appuyèrent-ils sur les réseaux des entreprises pour s’approvisionner. Les deux conflits se ressemblèrent néanmoins sur certains points, notamment l’exploitation à outrance de certains territoires occupés. Dès 1914, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie mirent la main sur quasiment toute la production linière de la Belgique et du nord de la France99, leurs usines et leurs stocks d’autant plus abondants que la récolte russe de 1913 avait été excellente. Ce qui fut pris en Belgique, en partie payé mais à 50% de son prix d’exportation habituel100, représenta deux ans de consommation en temps de paix101 ; la firme J. A. Kluge, productrice du fin « fil de lin nécessaire à la toile d’avion », eut accès au lin belge (§ 32).

Lorsque la guerre se fit longue, « l’économie de prédation » fut complétée par des pratiques ménageant les matières premières (Sparwirtschaft) ; puis il fut nécessaire de passer à la planification par l’État (Planwirtschaft) qui incluait la récupération de matériaux, ainsi que la fabrication d’Ersätze (produits de remplacement)102. Le plan triennal textile allemand entra en vigueur début 1916. Désormais, toute importation et exportation serait contrôlée par l’État, tandis que les achats de l’armée étaient centralisés. Le lin autrichien fut organisé par un « groupement de guerre » (Kriegsverband) à qui, par exemple, la livraison des récoltes de lin de Bohême était obligatoire ; tout transport de matière première ou semi-travaillée fut soumis à autorisation103. Une société par actions d’achat du lin (Österreichische Flachszentrale A.G. ou OFAG) fut créée en 1916. Malgré sa forme privée, elle était sous le contrôle des ministères de la Guerre et du Commerce, comme l’indique la lettre de F. Russ, et était chargée de revendre la matière première au prix maximum officiel. Cette revente fut progressivement ajustée pour couvrir tout juste les commandes de guerre, sans reste aucun pour des commandes privées104.

Dépourvue de moyens d’action propres, l’OFAG travaillait en étroite collaboration avec les (grandes) entreprises existantes. Ainsi, son directeur était l’un des deux fondés de pouvoir de la firme Faltis Héritiers, Alexander Vidéky. Fils du vice-secrétaire général de la bourse de Vienne, Vidéky avait été un brillant jeune employé de la Wiener Bank. Entré chez Faltis Héritiers en 1896 à l’âge de 27 ans, il en était devenu le deuxième directeur et fondé de pouvoir dès 1900105. En juin 1914, au congrès de la Fédération internationale des associa-tions de filature de lin et d’étoupe, fondée à Gand en 1909, il était le trésorier du Comité central permanent de la Fédération106. À la fin de sa carrière, la presse s’accordait à reconnaître en lui « la personnalité majeure du secteur linier » d’Autriche, puis de Tchécoslovaquie107.

Grâce à cette société, Trautenau devint la plaque tournante de l’approvi-sionnement de l’Empire. Ainsi le lin collecté par l’armée était-il transporté à Berlin, puis la part réservée à l’Autriche-Hongrie de Berlin à Trautenau. Là, l’Österreichische Flachszentrale en disposait à 63,6% et revendait les 36,4% restants à l’Ungarische Flachszentrale ou Centrale d’achat hongroise du lin108. Le transfert était organisé par les grandes entreprises de Trautenau, comme le montre cette seconde lettre de Franz Russ à Vidéky le 11 juin 1918 :

Cher Monsieur,

Notre firme à Liebau vient d’appeler pour nous informer que l’expéditeur August Knappe lui a fait part de l’arrivée de quatre wagons de lin pour la Centrale de Trautenau. Ils n’ont pas l’autorisation de sortir du pays et Knappe attend encore vingt et un wagons.

M. Kühnemann a été prié, dans un télégramme envoyé par notre firme de Liebau, de faire établir immédiatement l’autorisation d’exportation, afin que le lin ne soit pas déchargé, comme le prévoit déjà la firme Knappe109.

Le lin serait en effet déchargé seulement dans les entrepôts des firmes de Trautenau où il serait conservé, avant que la partie convenue soit expédiée en Hongrie110.

Cette « économie forcée » ou ce partenariat contraint entre État et entreprises impliquait, comme on le voit avec le télégramme envoyé à Kühnemann, une collaboration étroite entre les hommes des entreprises et ceux de l’appareil d’État. Au niveau ministériel, l’ingénieur Franz Kluge avait été intégré au 13ème service (Abteilung) du ministère de la Guerre à Vienne qui était chargé des uniformes, mais maintenu à son poste de direction de l’entreprise familiale (§ 35)111. Du côté de la branche allemande des Faltis, Alfons Porak était entré au ministère de la Guerre à Berlin, service des matières premières112.

Se procurer du lin russe à tout prix

La guerre avec la Russie posait l’épineux problème de l’approvision-nement en lin. La concurrence fit bientôt rage autour des pays producteurs comme les Pays-Bas ; les Empires centraux tâchèrent aussi d’en acheter en Irlande sous la couverture de leurs agents commerciaux sud-américains. Quant au lin russe, son prix avait doublé en 1915 alors que son exportation, assurée jusqu’à la guerre par Riga, se faisait de plus en plus par Arkhangelsk, libre de glace seulement l’été et relié à l’hinterland par un chemin de fer à voie étroite113.

En 1915, alors que l’approvisionnement était encore considéré comme relevant de la responsabilité des entreprises, des firmes de différents pays tentèrent de commercer avec la Russie, soutenues par leur gouvernement respectif114. En Autriche, F. Kluge obtint les autorisations nécessaires pour se rendre en Suède. L’entreprise risquée qu’il décrit dans sa relation historique s’appuya sur une « firme amie à Sörforssa dans la province du Helsingland » (§ 35). Or, en 1905, Franz Wenzel Kaulich, le fils du Josef Kaulich évoqué plus haut, était devenu le directeur de la filature et de l’usine de tissage Holma-Helsinglands à Sörforssa, où il s’était installé avec sa femme. La correspondance directoriale Faltis confirme qu’en 1917-1918, la firme Faltis Héritiers fut en relation d’affaires avec cette entreprise et qu’elle forma une association financière avec J. A. Kluge, association qui lui laissa un sentiment mitigé, ainsi que l’exprimait fin 1917 le directeur Russ devant Carl Faltis :

Cette affaire suédoise est compliquée et les écritures comptables sont peu claires dans la mesure où la firme J. A. K. ne nous a jamais donné de chiffres exacts des quantités arrivées. C’est nous qui avons dû porter l’essentiel des pertes ; comme on nous l’a expliqué, la marchandise manquante a été perdue en route et le transport s’est fait aux risques du commanditaire115.

Ces achats posaient aussi des problèmes de conversion entre différentes monnaies. Dès 1915, le bilan annuel de la firme Faltis contient des opérations en couronnes suédoises116. Faltis Héritiers avait en dépôt à la Banque d’es-compte de Bohême et à la Deutsche Bank des sommes se montant à près de 270 000 kronors suédoises en tout. La Banque d’escompte de Bohême était, comme son nom l’indique, une banque autrichienne, fondée en 1863 à Prague pour accompagner le développement industriel. « Par l’intermédiaire de [son] entreprise de Liebau », la firme Faltis Héritiers était en relations avec des banques allemandes : la Deutsche Bank et Eichhorn & Co à Breslau.

Ce qui est appelé dans la correspondance directoriale « Schwedenkonto » (compte pour la Suède) avait été établi en 1914-1915117. Ce compte avait des débiteurs, vraisemblablement d’autres firmes linières achetant des couronnes suédoises aux Faltis. D’après l’explication du budget que Russ fit à C. Faltis en septembre 1917, la firme avait en outre un avoir de 52 671,10 couronnes suédoises auprès d’Axel Leman, directeur de la maison Holma-Helsinglands à Sörforssa118, « montant néanmoins sujet à varier en fonction du décompte final de la firme J. A. Kluge » ; et un avoir de 30 000 roubles dont la destination reste obscure, mais que nous donnons néanmoins ici comme exemple des équivalences que les négociants devaient établir d’un pays à l’autre :

[cette somme avait été] virée de Stockholm à Berlin en indiquant qu’elle serait payée dès que la situation russe se normaliserait, puisque ce montant est disponible dans une banque russe de Pétersbourg, qui le versera à la paix119.

Lorsqu’à la demande de la Centrale tchécoslovaque des devises, la firme Faltis Héritiers fit en mars 1919 la liste de ses engagements financiers à l’étranger120, elle déclara, en plus de ceux en marks : quelques dizaines de francs suisses ; 738,56 lires italiennes auprès d’Antonio Pagani de Milan ; 62 671,10 couronnes suédoises que lui devait Axel Leman de Sörforssa ; 30 000 roubles sur un compte de la Deutsche Bank à Berlin ; 36 082,46 roubles non disponibles car représentant la contre-partie de « lins russes pas encore imputés », enfin 6 082,46 roubles versés à « M. Isaac Lewin » de Witebsk, sans doute un intermédiaire du lin russe, traditionnellement vendu par des négociants nombreux et dispersés, en l’absence de marché central du lin en Russie121. Or, les liniers de Trautenau étaient présents dans la région dès avant la guerre ; en 1903, la famille Etrich avait ouvert une filature de lin près de Vitebsk qui employait plus de 2 000 ouvriers122.

On voit se dessiner ici un réseau qui repose sur des contacts établis à l’est avant la guerre ; contacts de confiance, puisqu’on leur verse des acomptes et qu’on se lance avec eux dans des passages risqués de frontière, sans que les notions d’amis ou d’ennemis surimposées par la guerre semblent avoir d’importance. Cette relative autonomie du réseau de relations commerciales culmina dans l’entreprise suivante.

L’expédition galicienne

Le 11 juin 1918, Russ informa Vidéky, alors à Vienne, que les principales entreprises de Trautenau s’étaient réunies chez Faltis Héritiers, car la situation alimentaire du district atteignait le point de rupture. Or, « Michael Müller », vraisemblement un acheteur de lin employé par Faltis Héritiers, avait « de très bonnes relations » en Pologne russe et en Galicie, c’est-à-dire en Pologne autrichienne, d’où il avait « reçu des offres récemment » pour acheter du ravitaillement.

S’ensuit le projet de détourner le circuit officiel d’approvisionnement du lin pour alimenter les ouvriers de la région de Trautenau. Vidéky était prié de se procurer des autorisations de transit (Frachtbriefe) pour « dix à 20 wagons » de denrées alimentaires et non de lin. Comme la structure logistique serait celle de la Centrale autrichienne du lin, son directeur, toujours Vidéky, était chargé de convaincre les représentants des ministères du Commerce et de la Guerre, qui y siégeaient, de fermer l’œil sur cette expédition. Müller s’était déjà assuré la complicité des officiers Hanke et Blum, responsables de la station autrichienne de collecte de lin et de chanvre de Plaszow, près de Cracovie en Pologne autrichienne.

Ce n’est pas l’évolution du contexte à l’Est qui semble être à l’origine de cette expédition. Certes, le 9 février 1918, l’Ukraine, à la frontière de la Galicie orientale, avait signé une paix séparée avec les Empires centraux à Brest-Litowsk. Sans doute parce que Berlin et Vienne voulaient se concilier les Ukrainiens contre les Russes, les matières premières y étaient achetées123, souvent grâce aux réseaux commerciaux déjà existants des entreprises privées allemandes et autrichiennes. Mais il s’agit ici de Galicie et de Pologne russe, occupée en grandes partie par les Centraux dès la fin de l’année 1915. Une « régence polonaise » avait été installée à Varsovie ; en fait, le pays était administré par les armées allemandes et austro-hongroises, qui y pratiquaient des réquisitions massives.

Le contexte immédiat de l’expédition est donc bien plutôt à trouver dans l’aggravation de la situation à Trautenau. La centralité de la Bohême orientale dans l’économie de guerre du lin n’avait pas empêché la situation alimentaire locale de se dégrader fortement à partir de 1917. Aux distributions de nourriture par les autorités publiques s’ajoutaient les mesures des entreprises : primes à Noël et à Pâques, « cuisine de guerre » qui, chez Faltis Héritiers, nourrissait chaque jour 1 220 personnes de l’usine de Trautenau et environ 820 de celle de Jungbuch124. Mais en juin 1918, la soudure avant la nouvelle récolte se faisait mal dans cette région semi-montagneuse, au rude climat continental ; les manifestations d’habitants affamés se multipliaient comme en 1917.

L’organisation interne de la monarchie des Habsbourg n’arrivait plus à pallier les difficultés d’approvisionnement. À la fin de l’année 1917 déjà, la firme Faltis Héritiers, par l’intermédiaire de Vidéky, avait demandé au député de la circonscription d’intervenir dans une question de charbon. Sa consommation mensuelle minimale de charbon représentait 100 à 120 wagons par mois. Or, « la firme Ed. J. Weinmann » d’Aussig/Ústí nad Labem avait réduit uni-latéralement son apport en charbon de Schatzlar à sept wagons mensuels, au lieu des 15 ¾ qu’elle devait :

toutes les interventions de la XIIIème section du ministère de la Guerre impérial et royal, dont nous dépendons en tant qu’entreprise de l’effort de guerre [Kriegsleistungsbetrieb], sont restées vaines. [...] Grâce à nos réserves abondantes et au fait que le Syndicat charbonnier de Basse-Silésie G.m.b.H. de Waldenbourg a rempli ses engagements de livraison, nous avons néanmoins pu continuer à produire dans nos deux usines125.

Mais le 17 octobre, le Syndicat informa la firme qu’il avait désormais besoin d’une autorisation126 du ministère du Travail à Vienne pour poursuivre ses livraisons en Autriche. Sollicité par Faltis Héritiers, ce dernier n’avait pas réagi. Vidéky accompagna sa demande d’intervention formelle d’une autre lettre estampillée privat, datée du même jour :

Monsieur le Député,

Permettez-moi de vous rappeler notre conversation dans la salle des Colonnes du Parlement mardi dernier, au sujet de l’approvisionnement en charbon des fabriques J. F. Héritiers. Malheureusement, je dois vous informer qu’en dépit des assurances qui m’avaient été données pour régler cette affaire pendante depuis l’été, la commission du charbon auprès du ministère du Travail vient de retarder encore sa décision sous des prétextes tout à faits vains. [...] L’organisation de la Commission du charbon, dont l’activité est en contradiction criante avec la gravité de la situation, ne nous interdit pas seulement de nous fournir auprès des mines autrichiennes de Schatzler, mais désormais encore à Waldenbourg auprès du Syndicat charbonnier de Basse-Silésie qui, jusqu’alors, nous a livré ponctuellement [...]. Il s’agit d’un exemple vraiment éclatant de l’impéritie de notre organisation du charbon127.

La cause des difficultés d’approvisionnement de l’Autriche n’était pas à chercher seulement dans le blocus des Alliés et l’arrêt des livraisons agricoles de la Hongrie, décidé unilatéralement par Budapest, mais aussi, comme le montre cet extrait, dans l’absence de coordination des autorités publiques entre elles128. Dans ce contexte, on peut comprendre que la préfecture de Trautenau ait prêté son concours à l’expédition galicienne, alors même que cette dernière détournait le circuit d’approvisionnement impérial du lin pour un problème d’approvisionnement alimentaire local. En juin 1918, la préfecture serait représentée dans l’expédition par l’un de ses fonctionnaires ; elle se chargeait d’administrer les fonds réunis par les entreprises linières ; afin de minimiser le risque de confiscation des wagons, elle avait fait retenir ces derniers à Cracovie. Ce partenariat privé-public pragmatique relativise l’image d’une économie de guerre entièrement au service des autorités publiques ; au contraire, les réseaux privés s’avéraient suffisamment robustes pour résister à la guerre et continuer de fonctionner, même en 1918, tout en tirant parti sans état d’âme du rapport de force établi par les Empires centraux.

La proclamation de la Tchécoslovaquie le 28 septembre 1918 ne changea pas non plus fondamentalement l’organisation internationale et régionale de l’industrie linière, du moins dans un premier temps.

Une quantité du lin russe de 593 714 kg, facturée par le Bureau de compensation du lin [Leinengarn-Abrechnungsstelle] de Berlin à la Centrale d’achat hongroise du lin à Budapest, [était] restée entreposée au cours de la seconde moitié de l’année 1918129, à cause des difficultés de transport, dans les magasins de la Centrale d’achat autrichienne du lin à Trutnov et des filatures privées130.

Le ministère du Commerce tchécoslovaque réquisitionna ce lin le 27 mars 1919, alors que la Tchécoslovaquie était en guerre avec la Hongrie, pour le mettre à disposition de l’industrie nationale par l’intermédiaire du Verein der Flachsspinner (Association des fileurs de lin), successeur de l’OFAG, selon l’ordonnance impériale du 24 mars 1917 sur les réquisitions civiles, toujours en vigueur. Une somme correspondant à la part hongroise, fixée par le tribunal de commerce de Jičín dont dépendait Trautenau/Trutnov, fut versée par le Verein le 15 décembre 1921 à trois raisons sociales auxquelles la Centrale d’achat hongroise du lin avait abandonné l’affaire.

L’une d’entre elles en contesta le montant131. C’était, sous un autre nom132, la maison Salzmann & Cie, le concurrent apparu en Bohême en 1913 après l’achat d’une filature à Starkenbach/Jilemnice, qui finit par obtenir raison devant le tribunal arbitral mixte hungaro-tchécoslovaque de la Société des nations en 1932133. Le vœu que l’après-guerre marque le retour à la libre concurrence d’avant-guerre (§ 36)134 semblait s’exaucer.

Conclusion

En effet, même dans la période extrême de la Première Guerre mondiale et l’immédiat après-guerre, on retrouve une logique identique à l’œuvre, celle d’une conception libérale et concurrentielle de l’économie à l’échelle mondiale. Appliquée au territoire particulier de la région de Trautenau, elle y a fait naître un district industriel au cours de la seconde moitié du xixe siècle, caractérisé par des liens entre acteurs locaux créant un milieu favorable pour innover, faire pression sur les tarifs douaniers et, enfin, internationaliser l’approvisionnement comme la vente des produits finis ou semi-finis. Ce district s’est formé en utilisant les frontières comme des outils pour mobiliser les ressources et croître : frontière avec la Silésie qui a incité ce dernier à se constituer en région concurrentielle ; frontières à l’échelle européenne et mondiale, dans un élargissement continuel, jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, des zones de vente et d’achat qui permette de profiter de nouvelles différences régionales alimentant le flux de biens et capitaux entre périphéries et régions plus riches.

Or, tandis que l’approvisionnement se normalisait lentement à l’est de l’Europe après 1919, d’abord avec l’entrée en scène des États baltes, puis la signature d’accords de commerce avec l’URSS135, l’entre-deux-guerres allait poser de façon aiguë la question de l’écoulement de la production, avec le changement des habitudes de consommation, la saturation du « crucial marché américain136 » et l’équipement des pays balkaniques jadis importateurs. En outre, la période fut marquée par l’érection de nombreuses frontières en Europe danubienne et l’intervention croissante des États pour soutenir – ou non – les exportations. La difficulté d’adapter le lobbysme linier au nouveau contexte de la Tchécoslovaquie, jointe à l’incapacité des industriels à se mettre d’accord sur des prix minimaux à l’échelle internationale, empêcha l’industrie linière de Bohême de retourner à la relative prospérité d’avant 1914.

Notes

1 Voir par exemple Anka Steffen et Klaus Weber « Spinning and Weaving for the Slave Trade : Proto-Industry in Eighteenth-Century Silesia », dans Felix Brahm et Eve Rosenhaft (dir.), Slavery Hinterland. Transatlantic Slavery and Continental Europe, 1680-1850, Woodbridge, Boydell & Brewer, 2016, p. 87-107. Return to text

2 Jacques Lourd, Le Lin et l’industrie linière, Paris, Presses universitaires de France (coll. « Que Sais-Je ? », n° 1108), 1964, p. 37. Return to text

3 Jacques Malézieux, « Le lin en France », L’information géographique, vol. 27, n° 2, 1963, p. 47-59, ici p. 47. Return to text

4 Archives de district de Trutnov ou Statní okresní archiv Trutnov, désormais SOKA. Return to text

5 Vers 1870, le district politique de Trautenau couvrait 466,5 km2 ; sa frontière avec l’Allemagne, aujourd’hui la Pologne, était de 136 kilomètres de long : Adolf Ettelt, Der politische Bezirk Trutenau. Ein Beitrag zum erdkundlichen Unterrichte für das dritte Schuljahr, Trautenau, F. Morawek, 1873, p. 7. Il comptait 62 000 habitants dont environ 3 000 seulement étaient tchèques d’après leur langue maternelle, notamment dans la petite ville d’Eipel/Úpice qui, en raison de la croissance des agglomérations au sud de Trautenau, fut détachée en 1875 pour former un nouveau district avec la ville voisine de Náchod. Return to text

6 Vladimír Lesák et Jan Kábrt, Textilní průmysl a dělnictvo na Trutnovsku v xix. století, suppl. II de Krkonoše-Podkrkonoší, n° 82, 1968, p. 4. En 1898, l’industrie linière d’Autriche comptait près de 300 000 broches (297 928 exactement), dont 192 196 se trouvaient dans les districts de Trautenau et Vrchlabí, d’après Die Gross-Industrie Oesterreichs. Festgabe zum glorreichen fünfzigjährigen Regierungs-jubiläum Seiner Majestät des Kaisers Franz Josef I., t. 4, Vienne, Leopold Weiss, 1898, p. 297. À la même époque (1895), la France comptait 464 000 broches, dont 404 000 dans le Nord ; l’Angleterre et l’Écosse, un peu moins de 300 000, mais 834 000 en Irlande en 1901 : Albert Aftalion, « La décadence de l’industrie linière et la concurrence victorieuse de l’industrie cotonnière », Revue d’économie politique, n° 17, 1903, p. 420-447, ici p. 432, 443. Return to text

7 Elles étaient une quinzaine dont « les plus anciennes d’Autriche », après la rationalisation de la seconde moitié des années 1860, qui vit disparaître les créations spéculatives nées pendant la guerre civile américaine. Le district politique de Trautenau comptait alors 130 000 broches et l’industrie du lin, c’est-à-dire principalement du fil du lin, occupait environ 8 000 ouvriers qui transformaient annuellement 200 000 tonnes de lin et d’étoupe venant de Russie, Prusse et Saxe : A. Ettelt, Der politische Bezirk Trautenau, p. 68-69. Return to text

8 Nous avons fait des sondages conséquents dans les archives du district de Trutnov : dans les fonds des entreprises Faltis, Haase, Kluge ; dans ceux des associations linières et de la préfecture du district (années 1910-1918). Return to text

9 Cette revue, éditée par l’entreprise du peuple ou národní podnik Texlen de 1976 à 1986, est intitulée Texlen Trutnov. Příspěvky k dějinám národního podniku (« Texlen Trutnov. Contributions à l’histoire de l’entreprise du peuple ») puis, après 1978, Lnářský průmysl. Příspěvky k dějinám (« L’industrie du lin : contributions historiques »). Elle est née dans le prolongement du classement des archives des firmes nationalisées entre 1945 et 1948, de même que ses nombreux suppléments aux titres divers. Interdisciplinaire, ouverte à des problématiques peu en vogue en Tchécoslovaquie après le Printemps de Prague (marges germanophones, entrepreneurs), elle a été animée par les archivistes locaux et par les historiens attachés à Texlen, aux centres nationaux de recherche sur le textile et aux musées régionaux. Nous avons également dépouillé l’autre revue régionale d’histoire du textile, Z dějin textilu. Studie a materiály (« De l’histoire du textile. Études et matériaux », 12 livraisons entre 1982 et 1988), fondée par l’Institut scientifique du coton d’Ústí nad Orlicí, à prétention plus générale, et la revue du musée de Trutnov, Krkonoše-Podkrkonoší. Vlastivědný sborník muzeum Trutnov (« Les monts des Géants et leur piémont, histoire et société locales. Recueil du musée de Trutnov »), fondée en 1964. Return to text

10 Entretien du 11 avril 2016 avec M. Roman Reil, directeur des archives du district de Trutnov. Return to text

11 Plus précisément, le premier – l’histoire de la firme Kluge – forme la base de l’article consacré à cette entreprise par son archiviste également historien, Bohumír Smutný, qui a précisé ou corrigé des détails d’après l’état-civil, des contrats et d’autres sources conservées à Trutnov : Bohumír Smutný, « Šest studií k dějinám lnářství na Trutnovsku », suppl. 3 à Lnářský průmysl - Příspěvky k dějinám, Trutnov, Texlen, 1983 ; voir aussi son inventaire du fonds : J. A. Kluge, Horní Staré Město: 1867-1946 : inventář, Trutnov, Texlen, 1982. Nous avons repris et complété cette édition avec des renseignements difficilement accessibles avant 1989 (article suivant, § 1-39). Relevons que cette version tchèque du texte Kluge a fourni, sans être citée, l’essentiel des développements concernant la firme sur le site internet de l’histoire du vieux Trautenau (en ligne : <http://staretrutnovsko.cz/>, en tchèque et en allemand). La lettre de Russ à Vidéky, article suivant § 40 et suiv., notre second document, est entièrement inédite. Return to text

12 Né en 1876 à Oberaltstadt/Horní Staré Město en Bohême, Autriche ; mort en 1954 à Neckarsulm près de Heilbronn, Allemagne, Franz Kluge était l’aîné de la quatrième génération active dans l’enreprise J. A. Kluge. C’était un spécialiste reconnu dans le domaine du lin et, comme l’indique l’éloge post-mortem : « Il était modeste sur tous les plans, y compris pour ses besoins personnels. Bien qu’il soit à la tête d’une entreprise d’importance mondiale, il vivait comme un cadre moyen, évitant tout frais superflu. Il estimait qu’un entrepreneur devait laisser le maximum des profits à l’entreprise, afin qu’elle soit toujours plus performante » (DE. Stade, « Grossindustrieller Dipl.-Ing. Franz Kluge gestorben », Riesengebirgsheimat, n° 10, octobre 1954, p. 12). Il fut aussi un nationaliste allemand notoire, du moins dans les années 1930. Pour convaincre les autorités nazies après 1938 de lui confier la blanchisserie « Běličské závody » (anciennement Duncan) lors de son aryanisation, il souligna le soutien de son entreprise au mouvement nazi, puis au Parti sudète dans l’entre-deux-guerres : Bohumír Smutný, « Příspěvek k dějinám firmy “Běličské závody, spol. S.r.o., dříve F.W. Duncan v Horním Starém Městě” v období do znárodnění », Texlen Trutnov. Příspěvky k dějinám národního podniku, n° 2, 1976, p. 165-178, ici p. 173-174. Le Parti national-socialiste des travailleurs, ancêtre du Parti nazi allemand, avait été créé en Bohême entre 1902 (congrès de Saaz) et 1904 (congrès de Trautenau/Trutnov), en opposition à la politique d’indifférence nationale du Parti social-démocrate et au Parti national-socialiste tchèque, fondé à Prague en 1897. Contrairement à la social-démocratie, il avait le soutien de certains membres du patronat. Interdit en 1933 par les autorités tchécoslovaques, il fournit des cadres au Parti sudète, formation autonomiste qui, aux élections parlementaires de 1935, obtint 60 % des voix dans les districts majoritairement germanophones de la République. Fin 1937, la tendance nazie, activement soutenue par l’Allemagne, l’emporta au sein du Parti sudète. Après mai 1945, Hans Kluge, fils de Franz Kluge, directeur de J. A. Kluge depuis 1941, assura la transformation de la firme en entreprise nationalisée jusqu’en décembre 1945, avant de rejoindre sa famille en Allemagne. Presque tous les germanophones qui se trouvaient dans la région de Trautenau furent expulsés entre 1945 et fin 1946. Return to text

13 Johann Faltis Erben/Jan Faltis dědicové, désormais « Faltis Héritiers ». Return to text

14 Résumée dans : Michael E. Porter, « The Competitive Advantage of Nations », Harvard Business Review, vol. 68, n° 2, 1990, p. 73-93. Return to text

15 V. Lesák et J. Kábrt, Textilní průmysl..., op. cit., p. 5. Return to text

16 Jan Kábrt, « O nejjemnější české ruční přízi a plátnu », Sborník příspěvků k dějinám textilní výroby v Podkrkonoší, 1971 (numéro spécial « Z historie podkrkonošského textilu », rédigé par l’équipe de Lnářský průmysl, pour le 50e anniversaire de la fondation du Parti communiste), p. 94-95, ordonnance (nařízení) du 1er juillet 1772 et patente du 15 décembre 1785. Return to text

17 D’après Andrea Komlosy, « State, Regions, and Borders Single Market Formation and Labor Migration in the Habsburg Monarchy, 1750-1918 », Review. Fernand Braudel Center for the Study of Economies, Historical Systems and Civilization, vol. 27, n° 2, 2004, p. 135-177, ici p. 149 et p. 160. Return to text

18 J. Lourd, Le Lin..., op. cit., p. 107 ; Philip Ollerenshaw, « Textile Business in Europe During the First World War : The Linen Industry, 1914-18 », Business History, vol. 41, n° 1, 1999, p. 63-87, ici p. 64. Return to text

19 Hans Medick décrit ce type d’entrepreneur dans son ouvrage classique sur les tisserands du Wurttemberg : Hans Medick, Weben und Überleben in Laichingen 1650-1900. Lokalgeschichte als allgemeine Geschichte, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1997. Return to text

20 Bohumír Smutný, « “Plátenický baron” Johann Franz Theer a jeho potomci. Profil podnikatelské rodiny z Podkrkonoší », Dissertationes historicae, n° 7, 2002, p. 348-352, ici p. 348-349. Cette famille disparut au xixe siècle. Sa trajectoire n’est pas sans rappeler le déclin de la dynastie d’entrepreneurs décrit dans l’ouvrage classique de William Rimmer, Marshalls of Leeds, Flax-Spinners, 1788-1886, Cambridge, University Press, 1960. Return to text

21 Erhard Marschner, « Kluge, Franz Seraphim », Neue Deutsche Biographie, vol. 12, 1979, p. 138, en ligne : <https://www.deutsche-biographie.de/pnd136072038.html>; (consulté le 9 mars 2021). Return to text

22 Toutes les mentions de paragraphes se rapportent au texte de F. Kluge, article suivant, § 1-39. Return to text

23 C. Ballot, « Philippe de Girard et l’invention de la filature mécanique du lin », Revue d’histoire économique et sociale, vol. 7, n° 3/4, 1914, p. 135-195, ici p. 153. Return to text

24 Ou Faltys (Wölsdorf/Vlčkovice près Königinhof/Dvůr Králové, 1796 - Trautenau/Trutnov, 1874). Voir Bohumír Smutný, Inventář Jan Faltis, dědicové. 1796/1811-1950, Trutnov, Texlen, 1976 ; Österreichisches Biographisches Lexikon 1815-1950, vol. 1, n° 3, 1956, p. 287 ; V. Lesák et J. Kábrt, Textilní průmysl..., op. cit., p. 56-58. Return to text

25 Die Gross-Industrie Oesterreichs..., op. cit., p. 296, avec respectivement 40 000 broches en 1898, 27 008, 17 060, 14 468. Suivaient les maisons Walzel et, à Hohenelbe, Rotter et Jerie, avec environ 12 000 broches chacune. Notons qu’il s’agit bien de la maison Josef Etrich et fils, non pas « Ignaz Etrich et fils », comme F. Kluge l’a écrit par erreur dans son Histoire (article suivant, § 11). Return to text

26 B. Smutný, Šest studií..., op. cit., p. 76-77. Return to text

27 Tige mobile portant un bobinot autour duquel vient s’enrouler le fil issu des opérations de transformation de la fibre d’origine. Return to text

28 E. Marschner, « Kluge, Franz Seraphim », op. cit. Return to text

29 P. Ollerenshaw, « Textile Business in Europe... », op. cit., p. 64. Return to text

30 E. Marschner, « Kluge, Franz Seraphim ». Return to text

31 Idem, « Kluge, Johann Adam », Neue Deutsche Biographie, vol. 12, 1979, p. 138, en ligne : <https://www.deutsche-biographie.de/pnd136072038.html>; (consulté le 9 mars 2021). Return to text

32 Alors que l’ingénieur Franz Kluge insiste sur le caractère moderne de l’entreprise, son père Johann Adam Kluge le Jeune avait opté avant 1914 pour une voie classique d’ascension sociale. Il s’était constitué un patrimoine terrien autour du berceau de la famille à Hermannseifen afin de préparer son anoblissement : des domaines « inscrits au registre des propriétés nobles » (§ 14 et 17) auxquels s’ajoutèrent des propriétés situées entre Rudník et Černý Důl, notamment une petite station thermale à Foršt, active jusqu’à la Première Guerre mondiale (Václav Horák, Roman Reil et Pavel Zahradník, Černý Důl. Ohlédnutí za historií s hornickou tradicí, Černý Důl, Městys Černý Důl, 2014, p. 84-97). Return to text

33 B. Smutný, « Příspěvek k dějinám firmy “Běličské závody”... », op. cit., p. 175-178. Return to text

34 Michael E. Porter considère que c’est plutôt un avantage pour l’innovation, si les concurrents près de soi sont de qualité, car « Unlike rivalries with foreign competitors, which tend to be analytical and distant, local rivalries often go beyond pure economic or business competition and become intensely personal » : M. E. Porter, « The Competitive Advantage... », op. cit., p. 84. Return to text

35 J. Kábrt, « O nejjemnější české ruční přízi... », op. cit., p. 104. Return to text

36 Clemens Walzel et Willibald Jerie (de Hohenelbe/Vrchlabí) occupèrent ce poste honorifique. Return to text

37 SOKA, fonds « Sdružení přádelen lnu Trutnov, 1870-1948 », carton 1, n° 1, Statuten der Trautenauer Garnbörse (1875) ; Ibid., Statuten des Vereins Trautenau Garn- und Flachs-Börse in Trautenau (1896). Return to text

38 Il parut une à deux fois par semaine entre 1868 et 1916, avec plusieurs sous-titres successifs : « Organe de la bourse du fil de Trautenau » ; « Organe du Parti allemand libéral »; « Feuille allemande progressiste ». Outre des nouvelles internationales, nationales et locales, il publiait les cours mondiaux du lin, notamment ceux de la bourse de Belfast. Return to text

39 Die Gross-Industrie Oesterreichs..., op. cit., p. 285. Return to text

40 Julius Gundling, Bilder aus Böhmen, Leipzig, Fues’s Verlag, 1876, cité par V. Lesák et J. Kábrt, Textilní průmysl..., op. cit., p. 15. Return to text

41 Die Gross-Industrie Oesterreichs..., op. cit., p. 284-285 et p. 298. Return to text

42 A. Aftalion, « La décadence de l’industrie linière... », op. cit., p. 422. Return to text

43 Die Gross-Industrie Oesterreichs..., op. cit., p. 298-299. Return to text

44 Vladimír Lesák, « Lnářský kongres v Trutnově 1891 », Lnářský průmysl, suppl. 5, 1985, p. 63-65. Return to text

45 En juin 1914, au congrès de la Fédération internationale des associations de filature de lin et d’étoupe, 25 sur 26 filatures autrichiennes étaient membres du Verband der Flachsspinner (annexe IV du rapport : Internationaler Verband der Flachs- und Wergspinner-Vereinigungen, Offizieller Bericht des fünften Kongresses, Gand, Vander Haeghen, 1915). Return to text

46 Mentionnons celle menée pendant seize ans par Alois Haase sur une parcelle correspondant à une exploitation agricole moyenne, qui obtint d’excellentes récoltes en n’utilisant que du compost végétal (V. Lesák, « Lnářský kongres... », op. cit., p. 64). Return to text

47 Les « Sociétés de l’empereur Guillaume » sont les ancêtres des actuels instituts Max Planck. Return to text

48 Die Gross-Industrie Oesterreichs..., op. cit., p. 297. Return to text

49 Gérard Gayot, « Das Gewerberevier - ein nützliches Konzept für die regionale Wirtschafts-geschichte ? » dans Stefan Brakensiek et Axel Flügel (dir.), Regionalgeschichte in Europa. Methoden und Erträge der Forschung zum 16. bis 19. Jahrhundert, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2000, p. 17-23, ici p. 22. Return to text

50 Pour une évolution à l’opposé de celle de la région de Trautenau, voir Yves Blavier, « La société linière du Finistère (1845-1891) et la mécanisation du textile en Basse-Bretagne », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1994, t. 101, n° 4, 1994, p. 73-83. La Bretagne ou encore le Languedoc se re-ruralisaient si le marché était défavorable. Return to text

51 Mémoire du 17 janvier 1935 pour demander le soutien du Parti républicain des paysans petits et moyens (Republikanské strana zemědělského a malorolnického lidu), s.n., p. 1 ; SOKA, fonds « Jan Faltis dědicové, Mladé Buky » (J. Faltis Héritiers à Jungbuch/Mladé Buky) (désormais SOKA JFd), carton 2, n° 31. Return to text

52 P. Ollerenshaw, « Textile Business in Europe... », op. cit., p. 65. Return to text

53 La pente est alors de 8 pour mille. Chiffres calculés d’après le site de kilométrage fluvial <https://www.infoglobe.cz/reky/evropa/ceska-republika/upa/kilomatraz-k-rece/> (consulté le 5 mars 2021) respectivement entre Malá Úpa-Křížovatka et Svoboda, puis entre Svoboda et Trutnov-gare. Return to text

54 Pour une présentation géologique, voir : Karl Anton Weithofer, K.K. Geologische Reichsanstalt, Der Schatzlar-Schwadowitzer Muldenflügel des niederschlesisch-böhmischen Steinkohlen-beckens, Vienne, R. Lechner, 1897 ; Josef Demuth, Der politische Bezirk Trautenau. Gerichtsbezirke : Trautenau, Marschendorf, Schatzlar, und Eipel, Trautenau, Verlag des Trautenauer Bezirkslehrer-Vereins, 1901, p. 99. Return to text

55 À Jaroměř confluaient l’Elbe, l’Úpa et la Metuje. Depuis l’achèvement du barrage de Rozkoš en 1969, l’Úpa se jette dans la Metuje quelques kilomètres en amont. La vallée de la Metuje, à la pente plus faible, ne présente pas la même concentration de fabriques linières et a reçu surtout des usines de coton. Return to text

56 Pavel Bělina, « Peter Gasser, “Triests Handelversuche mit Spanien und die Probleme der österreichischen Schiffahrt in den Jahren 1750-1800”, Mitteilungen des Österreichischen Staatsarchivs, n° 36, 1983 », résumé critique, Z dějin textilu, n° 11, 1987, p. 294-296. Return to text

57 Faubourg de Trautenau où se trouve une grande gare marchande et la Centrale électrique de Bohême orientale évoquée par F. Kluge (§ 29 et 33). Return to text

58 J. Demuth, Der politische Bezirk Trautenau..., op. cit., p. 113 ; Die Gross-Industrie Oesterreichs..., op. cit., p. 288. Return to text

59 Victor Freiherr von Röll, Enzyklopädie des Eisenbahnwesens, Berlin/Vienne, Urban und Schwarzenberg, 1921, vol. 9, p. 253-254. Return to text

60 Otto Goebel, Kriegsbewirtschaftung der Spinnstoffe (1922), éd. par Marcel Boldorf et Rainer Haus, Drei Studien der Wissenschaftlichen Kommission des Preußischen Kriegsministeriums und ein Kommentarband, t. III, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016, p. 8. Return to text

61 Les industriels du lin participèrent évidemment à de tels investissements. Les thermes de Johannisbad/Jánské Lázně furent construits par les propriétaires successifs du domaine de Wildschütz/Vlčice dont avait dépendu la localité jusqu’à l’abolition des seigneuries féodales en 1848 : Adolf Theer von Silberstein, qui fonda aussi un hôpital pour les pauvres en 1858, puis Hugo Wihard (dont nous parlerons plus bas) après 1868, avec le concours de Franz et Friedrich Steffan, industriels d’Arnau/Hostinné. En 1854, le préfet de Trautenau, Heinrich Ott von Ottendorf, suscita la création d’une fondation destinée à soigner les soldats autrichiens et prussiens à l’occasion de l’anniversaire de l’empereur, à laquelle participa J. Faltis ; C. Walzel investit aussi dans l’aménagement de la station thermale, à la mode à la fin du xixe siècle : Johannisbad reçut le duc Friedrich von Schleswig-Holstein-Augustenburg en 1872 et le prince Rudolf en 1876, parmi de nombreux hôtes de Silésie prussienne, d’Allemagne et de l’intérieur de la Bohême (Václav Horák, Roman Reil, Ondřej Vašata et Pavel Zahradník, Janské Lázně. Procházka historií města pod Černou horou, Janské Lázně, Město Janské Lázně, 2013, p. 51-59). L’activité thermale comme la station de ski, aménagée dans l’entre-deux-guerres, existent toujours. Return to text

62 J. Demuth, Der politische Bezirk Trautenau..., op. cit., p. 178 : sur 65 000 germanophones du district politique de Trautenau, « seule une très petite minorité se sert de l’allemand écrit ; la majorité parle un dialecte silésien ». Return to text

63 A. Aftalion, « La décadence de l’industrie linière... », op. cit., p. 444. Return to text

64 Die Gross-Industrie Oesterreichs..., op. cit., p. 282. Return to text

65 Franz Krejci, Das Aupatal im Riesengebirge und seine Textilarbeiter um die Jahrhundertwende, Aarau, Druckereigenossenschaft Aarau, 1961, p. 131. Return to text

66 Dans l’Empire d’Autriche, c’est au niveau local, notamment celui des communes, qu’on enregistrait les personnes. Étudier les migrations ouvrières se heurte à l’absence de rapports donnant une vue d’ensemble ; nous n’en avons trouvé ni dans les archives des préfectures de la région, ni à Prague à la chancellerie de Bohême. Nos renseignements sur ce point restent donc ponctuels. Return to text

67 Iva Vondrová, « Seznamy dělnictva úpické firmy F. M. Oberländer jako pramen ke zjištění fluktuačního pohybu textilního dělnictva », Krkonoše-Podkrkonoší. Vlastivědný sborník, 2009, n° 9, p. 397-407, ici p. 398, p. 400 et p. 403. Return to text

68 Cette caisse-maladie fut fondée par plusieurs firmes de Trutnov et validée par le préfet de district. L’indemnité journalière est une initiative propre à J. A. Kluge : B. Smutný, Šest studií..., op. cit., p. 76 et p. 79. Return to text

69 Les premières maisons ouvrières de Trutnov datent des années 1870, d’après Tomáš Zumr, « Dělnické kolonie v Trutnově 1878-1921 », mémoire de licence, Université Masaryk, Institut d’histoire, Brno, 2011, en ligne : <https://is.muni.cz/th/itct3/Bakalarska_diplomova_prace.pdf> (consulté le 9 mars 2021). Alois Haase en construisit six en 1878 ; son principal concurrent, Faltis Héritiers, lui emboîta le pas avec le lotissement Freiung dans les années 1880 pour 500 ouvriers (Ibid., p. 24-28) ; enfin M. Walzel créa un petit lotissement à Poříčí à partir de 1893. C’est au début des années 1880 que la municipalité débattit pour la première fois de la nécessité d’augmenter et d’améliorer l’habitat (Ibid., p. 21) : entre 1850 et 1890, la population de Trautenau était passée de 2 804 à 13 290 personnes ; en 1880, elle comptait 3 218 ouvriers permanents sur 11 253 habitants (Vladimír Lesák, « Obyvatelstvo Trutnov na přelomu 19. a 20. století », Krkonoše-Podkrkonoší, n° 8, 1989, p. 19-40, ici p. 19, 24). Return to text

70 B. Smutný, Šest studií..., op. cit., p. 81. Return to text

71 I. Vondrová, « Seznamy dělnictva... », op. cit., p. 406. Return to text

72 B. Smutný, Šest studií..., op. cit., p. 89. Sur le pétrole, voir par exemple la lettre de F. Russ à C. Faltis du 26 mars 1917 (SOKA JFd, livre 10, p. 41) : « Mettre l’électricité dans tous nos logements ouvriers est urgent pour pallier à la calamité qu’est le manque de pétrole. Mais c’est impossible maintenant, et c’est fort dommage que nous ne l’ayons pas fait voici des années ». Return to text

73 Pendant la crise économique, F. Kluge décrit ainsi la situation dans sa relation historique, p. 17 : en 1931, « après la liquidation de la firme Johann Faltis Héritiers, Trautenau, un grand nombre d’ouvriers perdit son gagne-pain, d’autant plus que nombre de filatures de la vallée de l’Aupa avaient dû recourir au chômage partiel. En revanche, la firme J. A. Kluge, parce qu’elle cherchait activement des clients, était en mesure de travailler à temps plein et même en double équipe. Nombre des ouvriers au chômage furent employés, au moins partiellement, et n’émigrèrent pas ; sinon, ils auraient été perdus pour le peuple allemand » (SOKA, J. A. Kluge, carton 25, n° 227). Return to text

74 « Einantwortungsurkunde für die Herren Erben nach Herrn Johann Faltis », par le Dr Anton Kiemann, avocat à Prague, 31 décembre 1874, p. 82. SOKA JFd, carton 1. Return to text

75 A. Porák (1815-1892) embrassa aussi une carrière politique comme maire de Trautenau et député à la Diète de Bohême pour la circonscription de Trautenau en 1861. Sous les couleurs du Parti Vieux-tchèque, il conquit plusieurs circonscriptions majoritairement tchécophones jusqu’à la fin de sa vie politique en 1889, à commencer par celle de Königinhof/Dvůr Králové et Náchod en 1867. Return to text

76 Testament d’A. Haase (1861-1914) du 25 janvier 1911, § 4 : les deux filles ne peuvent signer pour la firme, mais elles sont invitées à y laisser leur part d’héritage pour renforcer le capital ; § 8 : « je fais à ma femme Hermine Haase obligation de se soustraire à quelle influence que ce soit du côté de mes parents ou des siens et de n’avoir que le bien de nos enfants en vue » ; ajout du 25 janvier 1912 au paragraphe 5, à propos de sa belle-mère à qui il a fait une rente : « [...] j’ajoute encore que Madame Maria Müller von Wandau, si elle fait des libéralités à la parenté de ma femme, perdra sa rente mensuelle de 400 couronnes ». Notons aussi que le tuteur des cinq enfants du couple fut d’abord son beau-frère Hugo Wiehard ; très occupé, celui-ci fut remplacé par le fondé de pouvoir Julius Seelinger et l’avocat A. Kluge. SOKA, fonds Haase, carton 14, n° 285. Return to text

77 Par exemple, ce n’est pas le comte Aichelburg, mort en 1861, qui vendit l’usine de Dunkelthal à la firme Morawetz et Oberländer en 1867, mais sa veuve : B. Smutný, Šest studií..., op. cit., p. 84. Return to text

78 Ibid., p. 75. Return to text

79 Michael Popović, « Familiär vernetzte Nordböhmen - Motoren technologischer Innovation », Sudetendeutsche Familienforschung, vol. XV, n° 1, juin 2019, p. 27-53, ici p. 9, en ligne : <https://www.familia-austria.at/index.php/datensammlungen/oeffentliche-daten/1512-familiaer-vernetzte-nordboehmen-motoren-technologischer-innovation>; (consulté le 12 mars 2021). Return to text

80 Milan Myška, « Belgický podnikatel Jean-Francois Regnier a počátky mechanizace textilního průmyslu v Českých zemích », Z dějin textilu, n° 5, 1983, p. 37-60, ici p. 56-8. Return to text

81 La firme avait été fondée en 1808 sous le nom de « Petr August Šlechta et fils » ; cette famille de Lomnitz/Lomnice nad Popelkou descendait d’un facteur de lin, Jan Adam Šlechta. Plutôt tournée vers la Bohême centrale et Turnov, elle n’apparaît dans la région de Trutnov qu’après la Première Guerre mondiale, lorsqu’elle acheta en 1922 l’usine Klazar de Dvůr Králové : voir Ivana Syrovátková, « Dějiny firmy Antonín Klazar ve Dvoře Králové na Labem do druhé světové války », Lnářský průmysl, suppl. 7, 1986, p. 85-136, ici p. 100-101. Return to text

82 Le comté de Glatz (Głodsko) est un cas particulier ; saillant silésien en Bohême, il a gardé des relations étroites avec le district voisin de Broumov/Braunau jusqu’en 1945. Return to text

83 Voir V. Horák, R. Reil, O. Vašata et P. Zahradník, Janské Lázně..., op. cit., p. 54 et Antonín Tichý, « Hugo Wihard », freiheit.cz, 10 septembre 2019, en ligne : <http://www.freiheit.cz/2-freiheit---je-hezky-cesky-Svoboda-nad-Upou/853-wihard-hugo-wihard.html>; (consulté le 12 mars 2021). Return to text

84 B. Smutný, « Příspěvek k dějinám firmy “Běličské závody”... », op. cit., p. 165-168. Return to text

85 Elle-même fille de Jean-François Régnier, ingénieur textile belge installé en Moravie (1810 à Theux - 1894 à Olomouc) : M. Myška, « Belgický podnikatel... », op. cit., p. 57. Return to text

86 Des exemplaires sont exposés aux musées techniques de Prague et de Munich. Igo Etrich a laissé des Mémoires et donné lieu à de nombreuses publications. Return to text

87 Par Marie Kluge née Klazar, épouse de Josef Wenzel Kluge (1847-1909) : M. Popović, « Familiär vernetzte Böhmen... », op. cit., p. 18. Return to text

88 I. Syrovátková, « Dějiny firmy Antonín Klazar... », op. cit., p. 100. Return to text

89 Ibid., p. 112. Return to text

90 SOKA JFd, ca. 5, n° 147, « Johann Faltis † », coupure de presse signée R.h., s.n. (Trautenauer Wochenblatt ?), s.d. (février 1874). Return to text

91 Ainsi que le formule par exemple le testament Haase de 1911 : « Je prie mes enfants et je leur fais devoir, à eux ou à leur représentant, de conclure un contrat de société en partant de l’idée fondamentale suivante : conserver les usines existantes au même niveau de développement et les transmettre dans cet état à la génération suivante » (SOKA, fonds Haase, carton 14, n° 285, § 4). Return to text

92 Christophe Duhamelle, « Hans Medick, Weben und Überleben in Laichingen 1650-1900. Lokalgeschichte als allgemeine Geschichte, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1997, 708 p. », compte rendu dans Revue d’histoire moderne & contemporaine, n° 51/1, 2004, p. 199-201. Return to text

93 M. E. Porter, « The Competitive Advantage of Nations », op. cit., p. 84. Return to text

94 La correspondance directoriale Faltis indique que la filiale de Liebau disposait de sa propre comptabilité. Ses propriétaires, c’est-à-dire les sociétaires de Faltis Héritiers, payaient des impôts pour elle indépendamment de ceux qu’ils versaient sur les usines de Trautenau en Autriche. Return to text

95 A. Komlosy, « State, Regions, and Borders... », op. cit., p. 135-136. Return to text

96 SOKA JFd, livre 10, 1917-1919. Return to text

97 O. Goebel, Kriegsbewirtschaftung..., op. cit., p. 18-19. Return to text

98 Pour une introduction, voir Dieter Ziegler, « Die Kriegswirtschaft im Ersten Weltkrieg - Trends der Forschung », War Economy During World War I : Research Trends, vol. 56, n° 2, 2015, p. 313–24 ; Jörn Leonhard, « Kriegswirtschaft: Szenarien, Krisen, Mobilisierungen », dans Niels Werber, Stefan Kaufmann et Lars Koch (dir.) Erster Weltkrieg: Kulturwissenschaftliches Handbuch, Stuttgart, J.B. Metzler, 2014, p. 259–79. Return to text

99 Signalons ici le rapport d’Albert Aftalion, L’industrie textile en France pendant la guerre, Paris/New-Haven, Presses universitaires de France/Yale University Press, 1924, réalisé avec le soutien de la fondation Carnegie, comme la bibliographie pour l’histoire de l’économie et de la société autrichienne pendant la guerre dirigée par Othmar Spann, Bibliographie der Wirtschafts- und Sozialgeschichte des Weltkrieges, Vienne, Hölder-Pichler-Tempsky, 1923. Ces deux ouvrages n’ont pu être consultés. Return to text

100 P. Ollerenshaw, « Textile Business in Europe... », op. cit., p. 90-91 : les prix étaient fixés pour attirer les petits liniers belges, en mesure de dissimuler leurs stocks aux militaires chargés des réquisitions. Return to text

101 O. Goebel, Kriegsbewirtschaftung..., op. cit., p. 19. Return to text

102 Robert Schlösser, « Nachwort zu Kapitel VI, statt eines Vorwortes », postface à O. Goebel, Kriegsbewirtschaftung..., op. cit., p. 344-345. Return to text

103 SOKA, « Záležitosti obchodu se lnem, 1918-1929 » (Affaires concernant le commerce du lin), XV 1/94-2740. Ce dossier contient par exemple une autorisation délivrée à un tisserand de Hirschberg (Silésie) pour acheter du fil chez Etrich. Return to text

104 O. Goebel, Kriegsbewirtschaftung..., op. cit., p. 28-34. Return to text

105 SOKA JFd, carton 1, n° 19, Výtah obchodního Rejstříku pro společnosti krajského soudu v Jičíně, firma JFd (Inscription au registre de commerce de Jičín de la firme Faltis Héritiers). Return to text

106 Internationaler Verband..., Offizieller Bericht..., op. cit., p. I. Return to text

107 SOKA JFd, carton 4, n° 78, coupures de journaux, « Propuštění ředitele Vidéky » (renvoi du directeur Vidéky), 1930-1931. Return to text

108 Société des Nations/Cour permanente de justice internationale, Communiqué au Conseil et aux Membres de la Société, « Seconde requête introductive d’instance concernant une sentence du Tribunal arbitral mixte Hungaro-Tchécoslovaque », C.582.M.288 1932 V, 9 août 1932 (désormais SDN/Cour Internationale, Communiqué), p. 6, en ligne : <https://biblio-archive.unog.ch/Dateien/CouncilMSD/C-582-M-288-1932-V_BI.pdf>. Return to text

109 F. Russ à A. Vidéky, 2e lettre du 11 juin 1918 (SOKA, livre 10, p. 280). Return to text

110 SOKA, « Sdružení přádelen lnu », carton 1, n° 10, « Freigabe der Verrechnungsüberschüsse aus der gebundenen Flachs- und Leinengarn Bewirtschaftung » 1919-1933. Return to text

111 B. Smutný, Šest studií..., op. cit., p. 91. Return to text

112 Lettre de F. Russ à A. Porak, 10 juillet 1918 (SOKA, livre 10, p. 296-197). Return to text

113 P. Ollerenshaw, « Textile Business in Europe... », op. cit., p. 72, p. 75 et p. 81. Return to text

114 Philip Ollerenshaw décrit une opération d’achat de lin russe par les Britanniques où diplomates et militaires soutinrent les acheteurs de grandes entreprises privées à Arkhangelsk (Ibid., p. 72-73). De la sorte, le gouvernement britannique se procura 163 000 tonnes de lin entre mars 1915 et la fin de la guerre, à comparer avec les 10 000 tonnes que Franz Kluge réussit à importer. La rectitude des transactions effectuées par les acheteurs privés fut attestée par le Petrograd office of Price Waterhouse, cabinet d’experts comptables britanniques ouvert en 1916 à Saint-Pétersbourg (Ibid., p. 74). Return to text

115 2ème lettre de F. Russ à C. Faltis, 15 septembre 1917 (SOKA, livre 10, p. 136). Return to text

116 1ère lettre de F. Russ à C. Faltis, 15 septembre 1917 (Ibid., p. 133-135). Return to text

117 2ème lettre de F. Russ à C. Faltis, 15 septembre 1917 (Ibid., p. 136). Return to text

118 Michael Popović, « Eine böhmisch-katholische Kapelle im Norden Schwedens und textiltechnologischer Knowhow-Transfer von Böhmen nach Schweden », Sudetendeutsche Familienforschung, vol. XIV, n° 6, 2017, p. 247-355, ici p. 247. Return to text

119 2ème lettre de F. Russ à C. Faltis, 15 septembre 1917 (SOKA, livre 10, p. 137). Return to text

120 A. Vidéky à la Centrale de devises tchécoslovaque, 17 mars 1919 (Ibid., p. 401). Return to text

121 P. Ollerenshaw, « Textile Business in Europe... », op. cit., p. 72-73. Return to text

122 Curriculum vitae d’Igo Etrich, Bundesarchiv Berlin, R 9361-V (Reichskulturkammer)/177 87, feuillet 2990, s.d. (vers 1943) ; cité par Johannes Hofinger, « Dr. Ing. H.c. Ignaz ‘Igo’ Etrich », dans Die Stadt Salzburg im Nationalsozialismus. Biographische Recherchen zu NS-belasteten Straßennamen der Stadt Salzburg, en ligne : <https://www.stadt-salzburg.at/fileadmin/landingpages/stadtgeschichte/nsprojekt/strassennamen/biografien/etrich_igo-v2.pdf> (version du 13 novembre 2020, dernière consultation le 12 mars 2021). Return to text

123 D’après Wolfram Dornik et Peter Lieb, « The Ukrainian Policy of the Central Powers during the First World War », dans Eadem et alii (dir.), Emergence of Ukraine : Self-Determination, Occupation, and War in Ukraine, 1917-1922, Edmonton, Alberta, 2015, p. 37-75. Return to text

124 F. Russ à C. Faltis, 23 mai 1917 (SOKA, livre 10, p. 61). Return to text

125 1ère lettre d’A. Vidéky, Trautenau, au député au Conseil d’État Carl Hermann Wolf, Vienne, du 26 octobre 1917 (Ibid., p. 159-163). Cette lettre au ton plus mesuré que la suivante était destinée à être montrée au ministre du Travail et même au Premier ministre, p. 165. Return to text

126 Le mot suivant « autorisation » est illisible sur la copie carbone. Return to text

127 2ème lettre d’A. Vidéky à C. H. Wolf du 26 octobre 1917 (Ibid., p. 164-166). Return to text

128 Voir Rudolf Kučera, Rationed life : Science, Everyday Life, and Working-Class Politics in the Bohemian Lands, 1914-1918, New-York, Berghahn, 2019. Return to text

129 Dans la seconde moitié de 1918, les Empires centraux avait occupé le nord de la Pologne russe et les États baltes, et s’étaient emparés du lin qui s’y trouvait (cf. § 35). Return to text

130 SDN/Cour Intenationale, Communiqué, p. 6. L’allemand n’étant pas langue officielle de la Tchécoslovaquie, les noms de lieu sont ici en tchèque. Return to text

131 Ibid., p. 47. Return to text

132 La « Ungarische Hanf- und Flachsindustrie A.G. », société anonyme enregistrée à Budapest. Return to text

133 SDN/Cour Intenationale, Communiqué, p. 51. Return to text

134 Le rapport commandé en 1922 par l’armée allemande à O. Goebel pour tirer les leçons de l’économie de guerre relevait lui aussi que les différents secteurs de l’économie textile ne tenaient pas à s’organiser : les fabricants répugnaient à s’engager dans une structure collective, de peur de livrer des informations indispensables aux collègues qui seraient les concurrents de demain (O. Goebel, Kriegsbewirtschaftung..., op. cit., p. 117). Return to text

135 Zdeněk Sládek, « Obchod se lnem, konopím a jutou mezi Československem a sovětským svazem v letech 1918-1938 », Lnářský průmysl, n° 6, 1986, p. 75-87. Return to text

136 P. Ollerenshaw, « Textile Business in Europe... », op. cit., p. 83. Return to text

References

Bibliographical reference

Ségolène Plyer, « L’internationalisation des industriels liniers de Bohême du xixe siècle à la Première Guerre mondiale », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 17 | 2020, 145-176.

Electronic reference

Ségolène Plyer, « L’internationalisation des industriels liniers de Bohême du xixe siècle à la Première Guerre mondiale », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [Online], 17 | 2020, Online since 19 octobre 2022, connection on 11 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=122

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