Justice, société et violences conjugales aux xviie et xviiie siècles : les seuils de tolérance

  • Justice, society and domestic violence in the 17th and 18th centuries: thresholds of tolerance
  • Justiz, Gesellschaft und Gewalt in der Ehe: die Toleranzschwellen

DOI : 10.57086/sources.167

p. 115-134

Peut-on appliquer la notion de « seuil de tolérance » aux violences conjugales et, par là même, en détecter les évolutions dans la société d’Ancien Régime ? À travers l’étude de près de cinq cents procédures de séparations de biens ou de corps des xviie et xviiie siècles, nous tentons de relever les indicateurs qui apportent des éléments de réponse. Évolutions juridiques et judiciaires, dépositions et témoignages, mots et sonorités sont ainsi analysées, afin de comprendre où s’arrête, si elle existe, la tolérance aux brutalités de couple.

Is it possible to apply the notion of “threshold of tolerance” to domestic violence and detect its evolutions in the society of the Ancien Régime? Through the study of nearly five hundred 17th and 18th century marriage separation proceedings, this paper attempts to identify indicators that might provide a few answers. It analyses the legal and judicial evolutions, depositions and testimonies, words and sounds in order to understand where, if there was ever any, tolerance of domestic brutality stopped.

Gwénael Murphy, a recipient of the agrégation, holding a Ph.D in modern history from the EHESS, Paris, teaches modern and contemporary history at the university of New Caledonia. He is a member of the research units TROCA (Trajectoires d’Océanie, Nouméa) and CRIHAM (Centre de Recherches Interdisciplinaires Histoire, Arts, Musicologie, EA 4720).

Kann man den Begriff „Toleranzschwelle“ auf die eheliche Gewalt anwenden und damit die Entwicklungen im Ancien Régime erkennen? Auf der Grundlage von nahezu 500 Prozessen über die Trennung von Eigentum oder Personen aus dem 17. und 18. Jahrhundert versuchen wir, Indikatoren für die Beantwortung dieser Frage herauszuarbeiten. Es werden gesetzliche und gerichtliche Entwicklungen wie auch Anklagen und Zeugenaussagen mit ihren Worten und Klängen analysiert, um zu begreifen, wo die Toleranzschwelle – falls es diese gab –gegenüber der ehelichen Gewalt angesiedelt war.

Gwénael Murphy ist Dozent für Neue und Neuere Geschichte an der Université de la Nouvelle-Calédonie, Doktor im Bereich Geschichte der Neuzeit (EHESS, Paris) und Mitglied der Forschungsgruppen TROCA (Trajectoires d’Océanie, Nouméa) und CRIHAM (Centre de Recherches Interdisciplinaires Histoire, Arts, Musicologie, EA 4720).

Plan

Texte

« Le mariage est indissoluble ; le divorce est défendu par les lois divines et humaines, mais si deux époux veulent se séparer ils n’ont qu’à se donner des chiquenaudes devant deux témoins, la justice les sépare à l’instant ; ils ne peuvent cependant pas se marier à d’autres, mais ils vivent librement, en attendant que la mort leur ait fait l’amitié de limer cette chaîne maudite que la déraison leur a rendu si pesante2. »

À la veille de la révolution française et de l’obtention du droit au divorce (1792) Louis Sébastien Mercier déplore la facilité avec laquelle les époux se séparent, signe de l’évolution qui a marqué ce siècle. L’écrivain, philosophe et dramaturge connut un succès considérable avec son Tableau, mais on sait aussi qu’aucun de ses propos, soumis à son goût pour la description des excès, des abus et des extravagances, ne sont ceux d’un témoin neutre, en particulier sur les questions de morale, de mœurs et de société.

En dépit de la subjectivité de l’auteur, cet extrait nous permet d’interroger l’évolution des seuils de tolérance aux violences conjugales dans la société française des xviie et xviiie siècles à travers l’analyse des archives de justice, outil fragmentaire, prisme normatif mais documentation néanmoins précieuse dans l’histoire des sensibilités3. Les travaux consacrés à ce thème ont, généralement, utilisé des sources imprimées, la littérature ou des procès isolés qui font l’objet d’études micro-historiques. À la croisée de champs historiographiques féconds, dans les domaines des violences, du corps, du genre, du mariage et des relations familiales, l’histoire des violences conjugales reste toutefois quelque peu en retrait pour l’époque moderne. Certaines affaires sont bien connues grâce à leurs narrations par des femmes de renom4, ou, pour le nord de la France, au travail précurseur d’Alain Lottin autour du thème de la « désunion5 ».

Nous souhaitons compléter les approches antérieures par un travail fondé sur les sources judiciaires de l’Ancien Régime, plus particulièrement les demandes de séparation de biens et/ou de corps. Les documents existants à leurs propos sont éparpillés au milieu du « continent » des archives judiciaires qui forment un ensemble colossal sur le plan quantitatif. Il a donc été procédé à deux restrictions : d’une part géographique, de l’autre méthodologique. La recherche concerne la région historique du Poitou, qui recouvre les actuels départements de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Vendée. Toutes les juridictions d’Ancien Régime ont fait l’objet de sondages, pour une proportion de 25% des 1 800 cotes d’archives concernées dépouillées6. Au total, ce sont 825 procédures de séparations qui forment notre corpus et sur lesquelles les résultats statistiques seront basés, dont les exemples et les parcours concrets qui illustrent cette étude seront extraits. Soulignons d’emblée que, parmi les plaintes, près de 40% évoquent des violences physiques, soit 480 cas dont trois hommes battus. Bien entendu, il ne s’agit pas de nier la réalité de la violence des femmes, étudiée et mise en valeur par plusieurs recherches depuis les années 19907. Ce serait faire fi des perspectives de genre. Toutefois, les violences féminines mises en avant par les historien(ne)s s’exercent le plus fréquemment dans les contextes des émeutes populaires, des disputes de voisinage, de la pénurie d’alimentation, du vol de nécessité ou encore de l’infanticide. Peu souvent meurtrières, elles ne sont presque jamais à l’origine des violences conjugales. Dans 99,4% des procédures recensées pour cette étude, la violence est masculine. Il ne s’agit que de souligner un fait, concret, vérifiable : les atteintes à l’intégrité physique dans un couple sont, aux xviie et xviiie siècles, sauf à de rares exceptions, perpétrées par les maris. Ne pas souligner ce profond déséquilibre reviendrait à nier la réalité des sources8.

Sur le plan chronologique, si les premiers documents conséquents datent des années 1615/1620, ils ne concernent qu’une juridiction précise, celle de Châtellerault, l’un des fiefs protestants de la région. Après une période très silencieuse dans le domaine des séparations, les demandes connaissent un regain à partir de la décennie 1660 et leur croissance sera continue au cours du siècle suivant, jusqu’à se « banaliser » des années 1760 à la veille de la Révolution française9. Cette dernière époque rassemble, à elle seule, la moitié des procédures identifiées en archives.

Après avoir rappelé le cadre juridique des procédures de séparations sous l’Ancien Régime et la restriction qu’il impose à l’historien quant à l’appréhension de situations de violences conjugales, il sera proposé quelques « indicateurs » des seuils de tolérance à ces brutalités et la sociologie des couples concernés. En dernier lieu, l’analyse des dépositions et des témoignages des épouses, des proches et des voisins et enfin celle des pratiques judiciaires permettront d’approcher la réalité et les évolutions de ces seuils.

Comment « divorcer » sous l’Ancien Régime

Les séparations peuvent être de biens, et dans ce cas n’intervenir que sur le plan économique en provoquant la dissolution de la communauté ; elles peuvent être de corps, dispensant les conjoints de la vie commune à la suite, notamment, de violences subies par l’épouse10.

La séparation de corps est assez rare et ne peut être prononcée dans la coutume de Poitou comme dans la jurisprudence du parlement de Paris qu’en cas de violences graves faites à la femme ou d’inconduite notoire de cette dernière. Juridiquement, la séparation de corps est l’héritière du divorcium de droit romain, remis en usage à la fin du xvie siècle par le parlement de Paris et étendu aux diverses coutumes du royaume par la suite. L’adultère, l’hérésie, les sévices graves sont à l’origine des demandes. Toutefois, le mariage ne pouvant être dissous, seul le devoir de cohabitation est suspendu. La fidélité et la communauté de biens restent entières et les époux sont invités à se réconcilier au plus vite, « dès que cessent les motifs de la séparation11 ». En pratique, une séparation est prononcée par un tribunal après « information ». Au xviie siècle, surtout dans la première moitié, il est courant que les procès soient interrompus par les parties au moyen d’une transaction devant notaire (pour éviter, selon une expression fréquente à l’époque, « un long et somptueux procès »). Ces transactions semblent disparaître au xviiie siècle mais pas les actions en justice. Au bailliage est tenu un « tableau des femmes séparées ». L’inscription à ce tableau clôt la procédure et la rend exécutoire.

La séparation de biens est choisie presque unanimement par les femmes. À partir de 1580, la coutume de Paris l’admet dans son champ de compétences, puis des arrêts de cours souveraines émergent progressivement au xviie siècle, parfois après un désistement de la juridiction ecclésiastique comme à Châlons en 166312. Au cours des décennies suivantes, un nouveau droit matrimonial s’élabore avec des fondements solides, diffusé dans de nombreux traités et répertoires de jurisprudence à partir de la fin du siècle13. La séparation de biens a pour effet de donner aux femmes la pleine capacité de gérer leurs biens sans devoir « être autorisées » par leurs maris. Elles ne sont désormais plus solidaires des dettes et seront dites « civilement séparées quant aux biens ». La femme a le droit de récupérer sa dot seulement si le mariage a été consommé. Ce type de séparation est une clause parfois inscrite dans le contrat de mariage, lorsque le futur mari semble peu fiable du point de vue financier. Par ailleurs, le contenu de la loi implique que les demandes motivées uniquement par des violences morales ou physiques et non par des motifs financiers seront rejetées. Les épouses devront attendre les années 1770 avant que cette pratique ne s’infléchisse.

Il convient de rappeler la situation de minorité juridique dans laquelle se trouve l’épouse. À compter du xvie siècle, le mari devient « seigneur et maître de la communauté » ; toutes les femmes mariées sont désormais « incapables » du seul fait de leur union14. Depuis 1606, elles ne peuvent plus intervenir en justice contre leurs maris, puis, en 1665, seuls ces derniers peuvent porter plainte en cas d’adultère et demander l’internement de l’épouse dans un couvent, pratique déjà usitée depuis un siècle. La femme doit, pour tout acte public ou civil, être « autorisée » par son mari15. Par ailleurs, à l’époque moderne, le « droit de correction » établi au xie siècle n’est plus reconnu : il s’agissait de la possibilité pour le mari « de châtier son épouse à son gré mais raisonnablement16 ». Les juristes et magistrats d’Ancien Régime tout comme les études historiques s’accordent à reconnaître que la coutume a perduré dans les mentalités collectives selon laquelle l’homme avait le pouvoir de corriger son épouse lorsqu’il le juge nécessaire, et les lithographies abondent en ce sens17.

Comme l’a constaté M. Landelle pour l’aristocratie parisienne, la séparation de biens vient régulièrement acter la fin d’une vie commune, quoique ce ne soit pas la lettre ni l’esprit du texte de loi. Faute de divorce légal, les femmes utilisent le seul moyen à leur portée pour quitter un mari défaillant, violent ou ivrogne.

Sources judiciaires et « seuil de tolérance » : Les difficultés méthodologiques

La notion même de « seuil de tolérance » s’avère emprunte de subjectivité. Comment l’historien, à deux ou trois siècles de distance, peut-il comprendre ce que les hommes et les femmes acceptaient ou non comme étant la « norme » des relations conjugales ? Norme qui, si tant est qu’elle existe, varie d’une région à l’autre, d’une catégorie sociale à l’autre, d’un couple à l’autre… En effet, décrypter les sentiments, le ressenti, la réception des violences par les victimes, leurs bourreaux et les témoins de ces actes à travers des archives judiciaires demeure délicat en raison même du prisme normatif imposé par les documents et leurs rédacteurs. Il convient donc, par honnêteté intellectuelle et méthodologique, d’exposer clairement les limites posées par les sources.

Le prisme des sources et des préjugés sociaux

Les mêmes mots se retrouvent d’une justice seigneuriale à une autre, d’un greffier à l’autre sur toute l’étendue de la province du Poitou : les hommes sont des « dissipateurs », qui font de « mauvais marchés », se livrent à de nombreuses « débauches et jeux » dans lesquels ils consomment « journellement les biens de leur communauté ». Une multitude de témoignages recueillis par les magistrats poitevins aux xviie et xviiie siècles peuvent se résumer à travers les deux dépositions effectuées, par exemple, à l’encontre de René Babin. Ce marchand du bourg de Fors subit une procédure de séparation de la part de son épouse en 1707, après douze années de mariage18. Le premier témoin explique :

ledit Babin va très souvent au cabaret où il laisse de nombreuses dépenses, beaucoup d’argent, mais que là où il dissipe le plus de ce qu’il peut avoir de biens c’est par les mauvais marchés qu’il fait achetant toujours plus qu’il ne faut.

Lui succède dans le recueil des dépositions Michel Beraud, cabaretier, qui raconte :

qu’il a reçu très souvent ledit Babin au cabaret où il faisait de forts grandes débauches et de très mauvais marchés achetant fort cher à crédit où il ne pouvait que perdre considérablement19.

De telles déclarations forment les stéréotypes dans le domaine des demandes de séparation.

Dans le même ordre de réflexion, nul doute que les greffiers aplanissent les émotions exprimées par les épouses. Lors des cas de sévices corporels graves et d’injures, les dépositions se présentent comme de simples procès-verbaux relatant uniquement les faits répréhensibles. Le cas de Marie Aluchaud, mariée au laboureur Sautereau de La Mothe Saint-Héray, est symptomatique20. La déposition relate qu’en 1772 et 1773 elle fut « congédiée de sa maison, son mari a voulu l’empoisonner à deux reprises », puis au moment de la récolte des blés les époux se bagarrent en plein champ et Marie termine « étendue au sol sans connaissance après avoir été poussée avec violence contre un mur et traînée par les cheveux à travers un grenier à blé ». Quelques mois plus tard :

il la traite de gueuse, de putain, qu’elle avait été la sienne à sa sollicitation, il dit publiquement que l’enfant qu’elle avait eu pendant le mariage n’était point de lui mais d’une opération ecclésiastique puis la frappe au visage.

Un autre jour, il sort dans la rue et

lui inflige plusieurs coups de fouets avec les menaces les plus outrageantes et qu’il aurait effectué si des voisins charitables ne l’en avaient empêché, à ce moment il ajouta qu’il ne dépendait que de lui de la tuer21.

Malgré les brutalités physiques, les injures, les humiliations publiques, la diffamation, l’accusation d’adultère et de crime sacrilège, la déposition retranscrite ne rapporte rien de plus que les faits et les dires. Nous comprenons ainsi que les sources dont l’historien dispose dans le domaine des séparations conjugales sous l’Ancien Régime constituent un prisme important, le fonctionnement judiciaire et les coutumes aplanissant les émotions et les raisons affectives exposées lors des dépositions.

Par ailleurs, les hommes de loi font preuve de forts préjugés sociaux envers les femmes issues des catégories populaires. Un exemple permet d’illustrer ce constat. À Poitiers, en 1786, l’avocat de Madeleine Allaire, fille d’un négociant de Saint-Domingue qui poursuit une procédure de séparation contre son mari, Michel Creuzé, greffier en chef du bureau des finances de la généralité, explique la différenciation sociale qu’il convient d’effectuer en cas de violences conjugales. L’épouse se dit victime d’insultes et de bousculades, qui constituent « des faits qui sont impuissants pour séparer des époux de la lie du peuple mais prennent entre personnes d’un état plus relevé un caractère de gravité qui peut devenir un moyen légitime de séparation ». Dans son mémoire, l’avocat évoque, à titre comparatif, ces femmes supposées frustes des catégories modestes :

Accoutumées dès l’enfance à un langage grossier, les propos les plus outrageants les trouvent presque toujours insensibles ; les emportements d’un mari brutal ne laissent aucune trace de ressentiment dans le cœur d’une femme et le calme le plus profond succède toujours à ces orages passagers22.

La rhétorique de cet homme reflète la société d’ordres de l’Ancien Régime, elle véhicule une image de la femme du peuple soumise, indifférente aux violences, amnésique, insensible en raison de son manque d’éducation, ce qui lui permettrait d’afficher un seuil de tolérance illimité face aux brutalités de son mari.

Sociologie des couples désunis : certaines tolèrent, d’autres moins ?

L’approche sociologique amène au constat que les femmes issues des catégories sociales les plus aisées, noblesse et bourgeoisie marchande, représentent près de la moitié des demandeuses23. Elle offre plusieurs indi-cateurs qui suggèrent les seuils de tolérance aux désordres conjugaux en fonction des origines sociales et des appartenances culturelles.

Concernant la surreprésentation des plus fortunés, les exemples peuvent se multiplier : ainsi, en 1736, Éléonore de Mesgrilly, baronne de Grifferus, demande à être séparée de biens de Jean Ferdinand, comte de Poitiers, tandis qu’à Thouars24, peu avant la Révolution française, Laurence du Brisson du Vignaud entame une procédure contre son époux Pierre François Reveau, chevalier seigneur de Biard, chacune mentionnant les violences de leurs époux respectifs parmi d’autres griefs25. Les recherches menées sur les séparations et les violences de couples à l’époque moderne ont déjà noté cette sociologie élitiste des demandes de séparations26, qui tendrait à abonder dans le sens des hommes de loi cités plus haut.

Mais l’étude de ces différends au niveau des justices locales, en particulier seigneuriales, permet de constater que les femmes issues de catégories sociales plus modestes, artisans ou laboureurs des campagnes poitevines ne sont pas absentes. Quoique sous-représentées au regard de leur poids démographique, les épouses de laboureurs, d’artisans et de domestiques rassemblent près de 40% des plaintes. Celles-ci se déroulent très largement devant les justices seigneuriales, les plus proches des populations rurales et donc les plus accessibles.

Par ailleurs, il convient de souligner l’importance de l’appartenance à des familles ayant adhéré à la religion réformée aux xvie et xviie siècles, facteur d’explication primordial. La possibilité laissée aux protestants de divorcer plus aisément que dans l’Église catholique trouve un écho direct dans les procédures de séparations. Les principaux pôles protestants du futur département des Deux-Sèvres, par exemple, en rassemblent plus de 60%. Saint-Maixent, Melle, Thouars mais également Pamproux, Chef-Boutonne ou La Mothe Saint-Heray confirment une géographie des désunions conjugales étroitement liée au dogme religieux bien plus qu’aux origines sociales ou à un tropisme villes/campagnes27. Selon les recherches de Marie-Reine Sire sur les familles protestantes poitevines, 90% des couples concernés par les séparations conjugales dans le sud de la province comptent au moins un protestant parmi les deux époux, et la moitié de ce corpus est composée uniquement de réformés ou de leurs descendants28.

Soulignons enfin que les femmes originaires des campagnes poitevines se singularisent. En ville (Poitiers, Niort, Châtellerault), les demandes de séparation s’appuient en premier lieu sur des accusations de débauche dans le jeu et l’alcool (40%), puis sur les violences physiques (35%) et enfin sur les constats de faillite, très nombreux dans le milieu de la boutique et de l’échoppe (25%). Avec les milieux ruraux, cet ordre des accusations se modifie. La présence moindre de cabarets, d’artisans et de commerçants dans les villages amoindrit le rôle des faillites et de la « débauche » par le jeu. De ce fait, ce sont les brutalités physiques qui figurent en première place des griefs (42%), devant la honte publique de la conduite du mari (30%), les injures verbales (17%) et les faillites (11%)29. Pour en finir avec les évaluations chiffrées, les épouses de laboureurs et de journaliers, qui ne forment qu’un peu plus du tiers des demanderesses en séparation, représentent 55% de celles qui mettent en avant les atteintes corporelles infligées par leurs époux et 70% des insultées30. Nous possédons ainsi un ensemble d’indicateurs quantitatifs et sociologiques qui permettent de tracer les contours de l’intolérance aux violences conjugales dans la société d’Ancien Régime. Il convient, néanmoins, de s’attacher aux témoignages directs des épouses et des témoins, afin d’approcher au plus près de la notion de « seuil » recherchée.

Intolérance, compassion ou effroi ? Ressorts de la dénonciation des violences conjugales

La mise en avant des brutalités maritales dans les demandes de séparation apparaît rarement en première instance, face aux justices seigneuriales ou royales31.

En dernier recours, après des années de souffrances…

Lorsque des brutalités sont mentionnées, elles figurent toujours en appui de défaillances matérielles du mari et viennent des témoins, comme pour Renée Neveux, femme d’un laboureur de la paroisse de Queaux en 178832. Après que l’épouse ait déroulé les accusations classiques (ivresse, jeu, oisiveté, débauche, mauvaise réputation, mauvaises affaires), le meunier Éloix ajoute qu’un jour « s’emportant avec violence, il voulut frapper laditte Neveux, ce qu’il eut fait s’il en eut été empêché par le déposant ». Le laboureur Archambaud précise qu’il avait « maltraité grièvement laditte Neveux en lui déchirant un jour son jupon qui était tout neuf ». Atteinte vestimentaire mineure, certes, mais qui découvre publiquement une partie intime du corps de la plaignante et provoque l’indignation des témoins puisque la scène a lieu sur la place du village33. La gravité des sévices n’empêche pas de les reléguer systématiquement en fin de déposition, respectant de fait, et peut-être à la demande des magistrats, l’ordre des griefs requis par ceux-ci : Charles Godu rapporte, en 1726, que le laboureur Martheau a « souvent battu » son épouse, qu’il l’a vu lui asséner des « coups de poings, coups de pieds, la poursuivre dans la rue et a ouy dire qu’il permettait à des hommes d’avoir copulation charnelle avec elle pour trente livres ». Mais dans les minutes judiciaires, ces faits ne sont retranscrits qu’après la « dissipation », les « mauvais marchés » et même la maltraitance infligée à ses animaux34. De même pour le cabaretier Sury, qui détaille dans un premier temps combien le boucher Barois est « un jureur et un ivrogne », avant de préciser qu’il l’a vu un jour « recevoir un coup de botte de sa femme qu’il a saisi au col et fait traverser la fenêtre de son cabaret35 ». Il s’avère marquant que, à ce premier niveau judiciaire, les épouses n’évoquent que rarement ces violences, rapportées par des témoins, généralement masculins.

Ce n’est que dans les procédures d’appel, devant les officiers représentant le parlement de Paris, que les violences sont explicitées par les femmes, et placées cette fois de manière très régulière en tête des motifs. Les témoignages narrent les souffrances endurées pendant de (très) longues années, dont quelques-unes suffisent à mesurer l’ampleur : le sieur Ossineau prétend, en 1732, se « désennuyer en maltraitant grièvement deux fois par jour sa femme à coups de bâtons, de pieds et de soufflets au visage » ; un nommé Chevallier tente d’assassiner son épouse Thérèse Savary à de nombreuses reprises en 1736 « avec un couteau de chasse ou en l’attirant dans les bois pour la battre » ; Alloneau « casse les poignets et les jambes de laditte Vogne à coups de bâtons en public » selon la déposition de celle-ci en 173836. Pour sa part, l’épouse d’un nommé Venault de la Percheterie subit, en 1741 :

[des] outrages dont il se vante : il lui porte des coups de pieds, et de poings, tente de lui passer son épée à travers le corps, la chasse de sa maison la nuit en plein hiver et elle aura un pied gelé37.

En 1750 Marie Quentin rapporte les deux années de sévices que vient de lui infliger son époux le seigneur Louis de Marcassenne, près de Luçon, la renversant de sa chaise pour :

[la] frapper avec une pelle à feu, de coups de poings et de coups de fouets […], la forçant à se mettre à genoux pour le supplier pendant qu’il braque un fusil sur sa tête, lui brûlant grièvement le visage avec un tison ardent ou lui déchirant ses vêtements en public.

La plainte fait suite à une intervention de l’un des domestiques qui se termine en un terrible pugilat38. Plus tard, en 1769, la femme Giraudeau détaille le martyre qui a constitué les dix-huit années de son mariage avec Gachet, dans la ville de Thouars : soufflets, injures, mains enchaînées pendant plusieurs jours, privation de nourriture pendant cinq semaines, coups de pieds, projection au sol, contre les murs, coups de couteaux, injures déshonorantes en public…39

Cet inventaire pourrait continuer longuement. Il permet de comprendre d’une part l’intensité des violences endurées par certaines femmes, d’autre part de mesurer que leur « seuil de tolérance » s’avère très élevé, voire n’existe pas réellement puisque ces cas extrêmes ne cessent que par l’intervention de tiers. Ce constat se renforce par le fait qu’à une exception près40, les brutalités exposées ne sont jamais les premières subies et remontent systématiquement à plusieurs années, voire décennies. Dans quelle mesure certaines femmes n’ont-elles pas intériorisé les brutalités féminines et la survivance du fameux et illégal « droit de correction » ? Une précision comme celle qu’apporte Marguerite David suggère qu’il convient de prendre en compte ce paramètre. Il s’agit de la première femme de notre corpus à mentionner les violences maritales, à propos du cabaretier Louis Bodin, de Varennes, un village protestant41. En mai 1679, elle sollicite la séparation de cet homme qui passe son temps à boire, jouer, chercher querelle et pratiquer des relations sexuelles extra-conjugales tout en la frappant régulièrement. Malgré cela, précise le greffier, Marguerite entame la procédure « avec beaucoup de tristesse et de déplaisir ». Ces mots semblent exprimer non la souffrance mais le regret de l’épouse, une forme de compassion et de compréhension pour le mari.

Tant que la vie de l’épouse ne semble pas en danger, les autorités semblent se contenter de l’exhorter à la patience afin de ne pas attiser la colère du mari. Ce sont, parfois, le scandale, l’image, la réputation du couple mais aussi les sévices infligés aux enfants qui la poussent à demander la séparation42. Par ailleurs, la tolérance sociale envers les femmes maltraitées demeure limitée : les refuges qu’elles trouvent au sein de leur famille pour se protéger des accès de fureur maritale sont toujours provisoires, il lui faut réintégrer tôt ou tard le domicile conjugal ou bien, en dernier recours, se protéger derrière les murs d’un couvent. Cet exemple n’est pas isolé parmi les parcours que nous avons pu croiser en archive : le couvent reste un refuge « naturel » pour les femmes séparées, compromis accepté voire indiqué par les instances judiciaires. Les épouses séparées étant toujours astreintes à la fidélité conjugale, elles choisissaient fréquemment, afin de couper court à d’éventuelles rumeurs, de résider provisoirement, et parfois définitivement, dans une communauté religieuse43.

Une criminalisation progressive des violences conjugales ?

Chronologiquement, les violences verbales et physiques apparaissent avec plus de fréquence dans les archives à partir du milieu du xviiie siècle dans les procédures. En 1749, pour la première fois en Poitou, une séparation de biens est accordée sous l’unique motif des sévices subis par l’épouse. L’affaire se déroule à Melle, opposant Marie Chaigneau à Pierre Isaac Caffant, un marchand. L’enquête recueille quatre témoignages qui n’évoquent que les violences physiques infligées par le mari44. Ainsi Marie Malval, une servante de 44 ans, employée par le couple, explique qu’un matin :

il l’attrape par les cheveux parce qu’elle ne veut pas lui faire à manger à dix heures, puis saisit un bâton et lui court après. Elle s’interpose et il renonce. Plus tard il revient à l’assaut avec son bâton, la frappant dans les flancs avec furie et en colère en disant bougresse, vas t’en où tu voudras, tu seras la cause de ce que je ferai un mauvais coup. Le samedi suivant il lui casse le nez.

Une autre servante, Thérèse Barbault, affirme qu’il est « chaque jour au cabaret et lorsque sa femme vient le chercher, il lui court après dans les rues de la ville avec un bâton pour la battre ». Une veuve de 52 ans, Marie Laigne, témoigne qu’il « maltraite sa femme à coups de pieds et de soufflet, boit, passe son temps dans les cabarets et casse les meubles dans sa maison ». À l’issue de cette enquête, alors que la vie matérielle ne semble pas en danger, la séparation est prononcée, infléchissant les habitudes judiciaires en la matière.

Cette affaire illustre la prise en compte progressive des violences physiques dans les procédures de séparations par les juridictions d’Ancien Régime. L’augmentation quantitative des demandes de séparations qui caractérise la dernière décennie avant la Révolution française (25% de l’ensemble des demandes sur les deux siècles de l’Ancien Régime) correspond, précisément, à la mise en avant par des femmes de plus en plus nombreuses des injures et des coups portés par leurs maris. Nous pouvons également souligner l’apparition des demandes de séparations de corps, encore rares, mais auparavant inexistantes. Six sont déposées entre 1762 et 1786, dont quatre sont déboutées et seules deux parviennent à la rupture de la vie conjugale45. Cette procédure peu usitée et souvent réservée aux familles nobles et princières depuis le Moyen Âge fait son apparition dans des catégories plus modestes à la veille de la Révolution, symptôme probable de la banalisation de la séparation conjugale et du refus progressif des violences masculines. Cette tendance se confirme dans les autres juridictions où les séparations de corps ont pu être étudiées, comme à Lyon, Tours ou Cambrai, et dans 90% des cas les femmes se plaignent de graves sévices physiques46.

En Poitou, aux xviie et xviiie siècles, les violences physiques sont mises en avant comme étant la cause principale de la démarche de l’épouse dans 15% des demandes de séparations conjugales. La chronologie comme l’étude du contenu des témoignages montre une criminalisation progressive des violences conjugales par les justices seigneuriales d’Ancien Régime. Toutefois, cette tendance s’inscrit dans le mouvement plus large de l’histoire des relations intra-familiales que rappelle Stéphane Minvielle :

Si le cadre juridique dans lequel s’échafaudent les unions a peu changé durant les trois siècles de l’époque moderne, dans un moule presque immuable issu pour l’essentiel des textes canoniques et royaux de l’après Réforme protestante, les évolutions ne sont pas anodines L’institution matrimoniale, en apparence rigide, se révèle capable d’adaptation, comme le montrent la hausse continue de l’âge au mariage, liée parfois, en certains lieux, à la pratique tolérée du concubinage avant le mariage, un début de « contrôle des naissances » ou encore la valorisation grandissante du sentiment dans le couple, qui rend les violences conjugales de moins en moins tolérables47.

Mesure de la tolérance aux brutalités extrêmes

Cependant, les violences conjugales criminalisées au sens pénal, c’est-à-dire déférées devant la justice criminelle, semblent peu nombreuses en Poitou. Nous avons consulté 35 des 210 liasses d’archives qui composent le fonds du greffe criminel du présidial, et seuls quatre procès « conjugaux » ont pu être identifiés : un quadruple meurtre à Vasles commis par le domestique Girault (1762)48 ; une accusation d’adultère de Froin de la Godinière contre son épouse Gabrielle de la Pagerie à Thouars (1775) ; les violences extrêmes infligées par le marchand Barbot sur Marie Vivareaux à Poitiers (1788) et par le chirurgien Aubin, de Bazoges-en-Paillers49, sur Marie Vrigneault (1790).

Le cas des époux Barbot constitue une exception, puisque le mari est emprisonné à titre « préventif » en août 1787 à la suite de ce que de nombreux voisins désignent comme une tentative de meurtre à l’encontre de l’épouse, Marie Vivareaux50. Lors du procès, six mois plus tard, vingt-deux témoins rapportent les multiples sévices endurés par Marie depuis trois ans. La plupart d’entre eux ont fait preuve d’une grande passivité, tel le curé de la paroisse Notre-Dame-la-Petite de Poitiers, Jean Faulcon. Le prélat, âgé de 75 ans, dont le presbytère n’est séparé « que par un mur » de la maison des Barbot, entend « plusieurs fois tant le jour que la nuit crier […] et même battre ». Mais ce qui le préoccupe est « que cela a plusieurs fois troublé son repos et sa tranquillité ». Il envoie à plusieurs reprises son domestique tenter de séparer les deux époux afin de pouvoir retrouver la sérénité nocturne51. Les sept femmes qui témoignent ne sont guère bavardes, bien qu’elles paraissent impliquées dans les querelles continuelles du couple. Radegonde Roy recueille régulièrement leur enfant afin de le soustraire aux fureurs paternelles, Suzanne Trousseau affirme avoir vu Barbot assommer sa femme et sa belle-mère à coups de poings en pleine rue, Marie-Anne Chamoret se souvient de l’intervention in extremis du beau-père alors que Barbot tentait d’achever l’épouse à coups de pieds, Radegonde Dupuy reçoit les confidences de la malheureuse après les nombreux viols conjugaux dont elle se dit victime, tandis que Marie-Anne Tranquard affirme qu’elle les a entendu « se quereller au moins douze fois » le mois qui a précédé l’arrestation. Ces femmes, jeunes et souvent domestiques ou employées dans les boutiques du quartier, ne s’interposent jamais.

Arrêter les violences maritales est une tâche dévolue aux hommes du voisinage, et encore pas tous : le prêtre ne sort pas de son presbytère, tandis que Jean Beaupré, un marchand du quartier, a assisté depuis sa fenêtre à une poursuite entre Barbot, qui tenait un pot de grès à la main, et son épouse, hurlant dans la rue. Le garçon pelletier Pierre Marais regarde l’époux traîner la femme par les cheveux et la rouer de coups, plusieurs autres mentionnent l’habitude des coups de balais infligés en public ou devant des invités, ainsi que des insultes continuelles dont Marie fait l’objet. Ces réactions laissent supposer que la fureur régulière, voire permanente de l’homme inspire la peur et que la crainte d’être à son tour victime de violences physiques prend le dessus sur le courage nécessaire pour extirper Marie de l’horreur quotidienne qu’elle subit. Combien de femmes supportèrent ce genre d’excès jusqu’à y laisser la vie, sans que les interventions salutaires de voisins ou de proches ne puissent les sauver ? Sans nul doute, bien plus que ce que les archives judiciaires laissent apparaître.

Deux hommes s’interposent, tout de même. Pierre Merville, ami du mari, vient le sermonner en soulignant « qu’il ne convenait pas de maltraiter sa femme, qu’il se déshonorait dans le public ». Il met en avant la mauvaise réputation, qui serait nuisible aux affaires du mercier. Mais, peu sensible à l’argument de l’honorabilité52, Barbot déduit que son ami entretient une liaison coupable avec son épouse et le frappe au visage avant de bousculer Marie et lui asséner de nombreux coups de pieds. Merville appelle à la rescousse « quelques autres » pour faire cesser les violences. Lorsque Barbot se calme enfin, il apostrophe les témoins en prétendant « que ce n’étaient point leurs affaires ». Quelques semaines plus tard, le courage portera le nom du marchand Jacques Pellegrin, qui a recueilli un soir l’épouse en fuite « avec le visage plein de sang ». Il intervient à son domicile, empêchant le mari de « tuer son épouse » pendant « que plusieurs personnes allaient chercher la garde pour conduire Barbot en prison ». Horrifiés, exaspérés, les voisins ont fini par bannir le mari violent au bout de trois années de maltraitances connues de tous et assumées par l’homme. Le 28 février 1788, quoique les finances du commerce soient saines, le lieutenant particulier du présidial de Poitiers, René de la Rivardière, prononce l’une des rares séparations de corps et d’habitation de la province en faveur de Marie Vivareaux, réfugiée chez son tuteur, le procureur Audidier.

Le féminicide conjugal le plus marquant du corpus archivistique poitevin étudié s’apparente à un meurtre familial53. L’affaire judiciaire débute le 19 février 1762 par le dépôt d’une plainte du procureur du Roi à Poitiers contre René Girault, domestique chez un laboureur du bourg de Vasles, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Poitiers. Il est soupçonné d’avoir assassiné sa femme et ses trois filles dans la nuit du 4 au 5 du même mois, puis de les avoir enterrées sans aucune formalité de justice. Girault a une mauvaise réputation, il s’agit d’un voleur « réputé » dans les environs du village. Deux ordres sont donnés : se saisir du suspect et exhumer les cadavres. Deux jours plus tard, les cavaliers de la maréchaussée capturent l’accusé, qui est emmené dans la prison royale de Poitiers. Dès le lendemain, Girault subit son premier interrogatoire. Nous n’entrerons pas dans le détail de la procédure, qui aboutit à sa condamnation « aux galères » à perpétuité, terme devenu anachronique et qui désigne la mise en détention dans l’un des trois bagnes portuaires de la France du xviiie siècle54. Le mari nie les meurtres, mais les témoignages des habitants du village permettent d’appréhender leur passivité, l’autopsie pratiquée après exhumation des corps ne laissant aucun doute sur la nature criminelle des décès suspects.

Durant l’information, les dépositions sont entendues en deux temps par les juges : onze témoins en mars puis dix-sept autres en juin. Certains précisent que pendant plusieurs jours, tout le monde a remarqué que Girault se promenait dans Vasles avec des vêtements tâchés de sang. Son employeur, Charles David, déclare pour sa part n’avoir rien vu, il a seulement recueilli la plus jeune fille de Girault qui était parvenue à s’enfuir avant de mourir quelques jours plus tard. Elle lui a confié, avant de s’éteindre des suites de ses blessures, que son père était venu « faire grand peur » à sa mère et ses sœurs la nuit des meurtres. Au cours des autres dépositions, la mauvaise réputation du domestique revient avec régularité, mais il semble cependant ne pas commettre de violences physiques. De plus, nul n’avait remarqué auparavant qu’il maltraitait sa famille. Les soupçons sont résumés par les propos de Pierre Guyonneau : voisin de la chambre des Girault, il a entendu durant la nuit du meurtre « des coups sourds donnés à plusieurs reprises pendant une demi-heure et comme quelqu’un qui se débattait beaucoup » et se garde d’intervenir. Toutefois, ajoute-t-il :

il passe pour notoire dans tout le bourg de Vasles que c’est lui qui a assassiné sa femme et ses filles, d’ailleurs il n’y jouit pas d’une bonne réputation.

Jeanne Girard, femme d’un cabaretier, dort dans une chambre voisine. Elle déclare avoir entendu Girault rentrer vers minuit, « qu’il jura même beaucoup après sa femme et la blâma d’avoir vendu le chanvre à trop bon marché ». Puis, effrayée, elle entend pendant une demi-heure frapper de très grands coups mais sans qu’aucun cri ne sorte de la chambre. Après que la nouvelle de ces morts se fut répandue, le mari s’enferme pendant une journée dans la chambre, « contre l’usage du pays ». À nouveau penchée contre la cloison, elle affirme qu’il nettoie à grande eau, brûle des meubles et lave les cadavres afin d’en masquer les contusions. Les témoignages donnent l’impression que les villageois éliminent un petit voleur gênant et règlent des comptes, mais nul n’a vu ni clairement entendu l’homme perpétrer ces crimes.

« À la clameur publique ! » : maltraitances conjugales et émotion collective

Le dernier volet de cette étude vise à détecter un seuil de tolérance « sociétal » aux violences conjugales et l’évolution hypothétique de celui-ci. Pour ce faire, un outil intéressant pour l’historien réside en l’étude des maris dénoncés aux autorités judiciaires selon le processus appelé « à la clameur publique », flagrant délit connu par la dénonciation collective55. Dans les affaires évoquées ci-dessous, l’intervention de la maréchaussée ou de la garde clôt l’émotion collective provoquée par les agissements des maris.

Les injures graves et répétées de multiples fois par un homme présenté en état de « furie » constituent le bruit le plus fréquent qui entraîne une intervention extérieure. En 1743, un nommé Million, boutiquier à Lusignan56, a pris l’habitude de frapper régulièrement sa femme. Mais les voisins du couple ne s’interposent qu’à la fin du mois d’août, lorsqu’ils entendent Marie Daguille se faire appeler « bougresse » durant de longues minutes57. Le terme n’est pas anodin, puisqu’au sens propre il consiste à remettre en cause la probité morale et sexuelle. Les agissements d’Hilaire Debout, notaire à Melle, évoqué précédemment, provoquent à dix reprises (au moins) les interventions de ses voisins durant l’année 1770. Le retentissement des violences est tel que les voisins entrent régulièrement dans le domicile du couple58. À Thouars, le cordonnier Toussaint Jardin martyrise sa femme Catherine Roy durant de nombreuses années. Il franchit un cap en février 1784, lorsqu’il installe en plein milieu de la rue un fauteuil puis va chercher Catherine, malade et alitée. Les témoins préciseront que ce jour était marqué par un grand froid. Le cordonnier la traîne jusque dehors, l’assoit à peine vêtue sur ce fauteuil, la ligote avant de la rouer de coups, tout en apostrophant les passants : « Messieurs et dames, venez à la comédie, venez écouter la vie et l’inconduite de cette garce ! ». Les hurlements de la femme entraînent l’intervention des voisins59. Ici, le spectacle visuel plus que la gêne sonore provoque l’émotion.

Il semble que ce soit parfois la panique qui entraîne la clameur, que l’on peut utiliser comme un marqueur du seuil de tolérance face aux violences conjugales. Les acteurs de la clameur publique craignent pour les jours de l’épouse. Témoins de brutalités exercées dans la rue ou aux abords du domicile, les passants et les voisins, parfois la famille, empêchent que l’épouse ne succombe sous les coups et les atteintes au corps du mari. Ainsi en va-t-il à Jaulnay60, en juillet 1738, lorsque Mornet poursuit sa femme l’épée à la main en hurlant qu’il va la tuer. Il parvient à la rattraper, la jette au sol, la pince, lui assène un violent coup de poing au visage pour l’assommer en plein milieu du marché. Effrayés, des spectateurs les séparent une première fois et les ramènent chez eux. Mais quelques minutes après, Mornet attache son épouse sur une chaise dans leur jardin et entreprend de la lapider en appelant les voisins à venir assister au spectacle. Quelques hommes, restés aux abords de la maison, pénètrent à l’intérieur aux cris de la femme et du mari et ceinturent ce dernier, qu’ils livrent à la garde de la ville. Parmi les trente-cinq affaires de violences conjugales qui donnent lieu à la clameur publique, elle intervient dans près de la moitié des cas à la dernière extrémité, tandis que la femme est sur le point de succomber voire est déjà meurtrie au point d’avoir perdu connaissance ou d’être paralysée de manière définitive.

L’interaction entre les cris de l’épouse maltraitée et l’intervention des domestiques ou de proches demeure le cas le plus fréquent. À Brest, dans les années 1780, Charles Bardel des Gléreaux violente Marie-Henriette de Boscals à de multiples reprises et celle-ci ne doit la vie qu’à :

ses gens de maison qui, l’entendant crier et appeler, venaient à son secours. Le 3 du mois de février 1782, deux d’entre eux la trouvèrent sans connaissance, baignant dans son sang, et durent se saisir du sieur des Gléreaux afin qu’il cesse ses coups61.

Les enfants ne jouent qu’une seule fois ce rôle, selon la procédure qui oppose la femme Guignard à son mari Mornet, déjà mentionnée. Leur fille, dont l’âge reste inconnu, s’interpose à plusieurs reprises pour sauver la mère et, le 12 juillet, dénonce ces violences familiales auprès du prêtre de sa paroisse, qui recevra un coup d’épée quelques heures plus tard du mari, pris d’un « accès de fureur62 ».

Les acteurs extérieurs de la clameur publique offrent un panorama varié. Les voisins accourent le plus régulièrement, attirés par les bruits ou le spectacle des violences. Le hasard précipite par deux fois des personnes totalement étrangères dans la querelle conjugale : un passant arrache la femme Savary des coups de son mari, Chevallier, dans un chemin écarté d’un petit bois près de Parthenay en septembre 173663, tandis que le marchand Léon Autain se rend chez François Brioult, meunier, au début de l’année 1781, pour leurs affaires. Mais lorsqu’il arrive :

Brioult accablait sa femme de mauvais propos, de sottises, l’accusant d’avoir vendu une maison à elle et que le produit de cette maison ne lui a pas porté profit puisqu’il est accablé de dettes, puis qu’il lui porta plusieurs coups de poing au visage et que laditte Gallais, voyant le sieur Autain, cria fort pour l’appeler à son secours64.

Rapidement, Autain court chez Jacques Veziens, un fermier voisin et ameute plusieurs autres hommes pour arrêter la fureur du meunier.

Conclusion

Les dernières affaires étudiées, dans le cadre des clameurs publiques, qui sont reconnues comme une forme de recours à la justice sous l’Ancien Régime, nous ont amené à un doute méthodologique face aux sources : celui concernant la spontanéité de la clameur et l’existence d’un terrain antérieur favorable à l’émergence de celle-ci lors de son surgissement permet de s’interroger sur son absence. En effet, l’immense majorité des affaires de séparations conjugales étudiées dans lesquelles des actes de violences sont signalés n’ont pas entraîné de cri judiciaire. La réaction la plus courante des témoins de violences conjugales consiste à laisser les couples régler leurs affaires eux-mêmes. Statistiquement, l’intervention publique dans un drame privé reste très minoritaire et le facteur social entre en ligne de compte dans la société d’ordres de la France d’Ancien Régime, ainsi que nous l’avons constaté précédemment à travers l’exposé des préjugés sociaux des magistrats.

Cette tolérance judiciaire supposée de la violence conjugale dans les catégories les plus modestes de la société explique-t-elle la passivité comme lors des crimes de Vasles, en 1762, exposés plus haut ? Les coups, les cris sont entendus par plusieurs hôtes du cabaret dont les témoignages concordent, mais nul n’intervient. La femme n’appelle pas à l’aide. Pourtant, un terrain favorable existe : Girault bénéficie d’une réputation de voleur, les villageois le soupçonnent de nombreux larcins dans les fermes et même dans l’église65. Mais nul n’intervient et l’épouse, ainsi que ses trois filles, succombent à la fureur du mari. Ce cas extrême montre que le silence peut entourer les pires violences conjugales, en particulier en milieu rural où l’usage de la clameur publique à des fins judiciaires semble peu répandu.

Au-delà de la catégorisation sociale, des « solidarités masculines » font parfois obstacle. Lors de la procédure de séparation entre Jeanne de la Haute Porte et Jean-Pierre Roy à Thouars en 1786, le sénéchal François de la Girardière auditionne le chirurgien Gilles Meschin. Celui-ci narre que par trois fois, Roy lui demanda de vérifier l’état de grossesse ou non de son épouse et lui prépara des décoctions pour qu’elle perde l’enfant, ce que Meschin refusa. Plus tard, elle lui affirme que son mari l’oblige à boire des infusions d’orties blanches pour faire passer l’enfant, puis fait constater au chirurgien les nombreuses blessures liées aux coups reçus par son mari et lui demande si elle doit porter l’affaire en justice. Meschin lui dit :« de ne rien faire, qu’un mari a le droit de corriger son épouse et que si elle craint pour sa vie, qu’elle se retire quelques temps aux Ursulines66 ».

Globalement, la mesure du seuil de tolérance aux violences conjugales par les épouses, la société d’Ancien Régime ou les hommes de loi, s’avère peu aisée. L’émotion de l’entourage, des domestiques, des voisins et des passants, si elle est présente, ne se transforme que de façon épisodique en ingérence. Des antécédents doivent exister qui donnent au couple une réputation de mésentente continue. Une peur du mari par des coups et des bruits répétés depuis plusieurs mois ou plusieurs années, et dont les débordements publics perturbent la vie sociale, l’effroi et la crainte suscitée par un homme singulièrement violent, le rejet d’une première demande de séparation, les atteintes aux enfants semblent des préalables aux interventions et aux dépositions à charge contre l’époux. Le silence fut, sans doute, souvent la règle.

Notes

1 L’auteur du présent article vient de publier : Gwenaél Murphy, « Mauvais ménages ». Histoire des désordres conjugaux en France (xviie-xviiie siècles), Paris, L’Harmattan, 2019 Retour au texte

2 Louis-Sébastien Mercier , Le Tableau de Paris, éd. par Jeffry Kaplow, Paris, La Découverte, 1982, p. 227-228 Retour au texte

3 On consultera avec profit à ce propos les travaux de : Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, La solitude, xviie-xviiie siècles, Paris, Belin, 2008, p. 79-89 ; Arlette Farge et Michel Foucault, Le désordre des familles, Paris, Gallimard, 1982 ; Arlette Farge, La vie fragile. Violences, pouvoirs et solidarités à Paris au xviiie siècle, Paris, Hachette, 1986, p. 101-122 ; Dominique Godineau, Les femmes dans la société française, 16e -18e siècles, Paris, Armand Colin, 2003, p. 41-43 ; Philippe Jarnoux, Moi, Hypolithe Radegonde Loz. Un « divorce » au siècle des Lumières, Rennes, Apogée, 2001 ; Dorothea Nolde, Le meurtre du conjoint. Pouvoir et violence dans le mariage à l’époque moderne, Cologne, Boehlau 2003. Retour au texte

4 S. Beauvalet-Boutouyrie, La solitude…, op. cit., p. 89-102 sur Voltaire, Madame du Châtelet ou les sœurs Mancini. Retour au texte

5 Alain Lottin, La désunion du couple sous l’Ancien Régime, Lille, Éditions du Septentrion, 1975. Retour au texte

6 À savoir justices seigneuriales, ecclésiastiques, royales et du parlement de Paris dont dépend le Poitou (les « Papiers du Roi »). Les statistiques globales sont issues de ce dépouillement archivistique. Retour au texte

7 Voir l’étude pionnière en ce domaine : Cécile Dauphin et Arlette Farge, De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1997. Plus récemment, Christophe Regina, La violence des femmes. Histoire d’un tabou social, Paris, Max Milo, 2013 ; Genre, mœurs et justice. Les Marseillaises et la violence au xviiie siècle, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2015. Retour au texte

8 Très minoritaires, les violences conjugales féminines sont en revanche sur-représentées dans les gravures et la littérature de l’Ancien Régime comme symbole de renversement de l’ordre social. Voir à ce propos le travail en cours de Charlotte Fuchs, « Quand la poule chante devant le coq » : réalités et représentations de la « mégère » dans la France de la Renaissance, thèse de doctorat sous la direction de Pascal Brioist, Université de Tours. Retour au texte

9 Voir le témoignage célèbre du compagnon vitrier Jacques-Louis Menetra, Journal de ma vie, Paris, Albin Michel, 2018 (éd. présentée par Daniel Roche). Sur la démographie : Stéphane Minvielle, La famille en France à l’époque moderne, xvie-xviiie siècles, Paris, Armand Colin, 2010. Retour au texte

10 Voir l’étude de Marie Landelle, « Les plaintes en séparation sont éternelles ». La séparation de biens dans la haute société parisienne au milieu du xviiie siècle (1730-1761), thèse de doctorat, École des Chartes, Paris, 2012, 2 vol. ; Robert Muchembled, Une histoire de la violence de la fin du Moyen Âge à nos jours, Paris, Seuil, 2008 sur les modalités d’instrumentalisation de la violence en justice. Retour au texte

11 Explications juridiques explicitées dans Gwénael Murphy, « Les violences conjugales dans le Poitou sous l’Ancien Régime », Revue Historique du Centre-Ouest, t. III, 1 er sem. 2004, p. 109. Retour au texte

12 Arrêt qui constitue le point de départ de l’étude de Lottin, 1975, p. 12. Sur l’aspect juridique, voir Jean Bart, Histoire du droit privé de la chute de l’Empire romain au xixe siècle, Paris, Montchrestien, 1998, p. 286-337 ; André Castaldo, Introduction historique au droit, Paris, Dalloz, 1998, p. 403-409 ; Pierre Petot, La famille, Paris, Loysel, 1992, p. 273-274 et p. 450-460 ; Patrick Valdrini, Droit canonique, Paris, Dalloz, 1999, p. 351-357. Retour au texte

13 Christophe Regina, « L’intrusion de la justice dans les foyers. La violence conjugale jugée devant la sénéchaussée de Marseille au xviiie siècle », Annales de Démographie Historique, n° 2009/2, p. 53-75. Retour au texte

14 D. Godineau, Les femmes…, op. cit., p. 20-21. Retour au texte

15 D’après Jean-Claude Bologne, Histoire du mariage en Occident, Paris, Hachette, 2005 (1 ère édition 1975), p. 161-209, ainsi que pour le paragraphe qui suit. Retour au texte

16 À propos de la survivance du droit de correction : Marie Perrier, Le droit de correction du mari envers sa femme : approche des violences conjugales en France du xiiie au xviiie siècle, master II en Histoire du droit, Université Bordeaux IV, 2006. Retour au texte

17 Voir les images rassemblées et commentées avec précision par l’équipe de Claire Carlin, de l’université du Victoria, sur le site dédié : <https://mariage.uvic.ca>. Retour au texte

18 Fors : Deux-Sèvres, ar. Niort, c. Frontenay-Rohan-Rohan. Retour au texte

19 Archives départementales des Deux-Sèvres (désormais AD Deux-Sèvres), B 241 : Marquisat de Fors. Sentences diverses rendues par le sénéchal, 1702-1717. Retour au texte

20 Deux-Sèvres, ar. Niort, c. Celles-sur-Belle. Retour au texte

21 Archives départementales de la Vienne (désormais AD Vienne), 9B 504 : Papiers du Roi (1767-1788). Retour au texte

22 AD Vienne, F 21 : 6 mémoires et réponses dans l’affaire de la dame Allaire contre son mari Creuzé-Dufrêne, mémoire n° 1, f°15. Retour au texte

23 AD Deux-Sèvres, 2B 42-44 : Prévôté royale de Melle, enquêtes (1651-85, 1707-59, 1762-86) et sentences (2B 46-50) ; 4B 130, 148, 161, 169, 179, 188, 197, 207, 216 : Siège royal de Saint-Maixent, affaires civiles (1700-01, 10-11, 20, 29, 40, 50, 60, 70, 80) ; 9B 207, 209-213 : Duché pairie de Thouars, affaires civiles (1783-88) ; 10B 48 : Abbaye royale de Saint Maixent (1739-46 ; 3B 52 : SR Niort, séparations de biens (1711-1776) ; B 230, 236, 237, 241 : Marquisat de Fors (1678-1741, 1654-1709, 1706-43, 1702-17) ; B 290 : Marquisat de La Mothe Saint-Heray (1716-71) ; B 332 : Baronnie de Mauzé (1727-90) ; 9B 31-33 : Marquisat de Chef-Boutonne, affaires civiles (1731-44, 1745-71, 1772-90) ; 9B 102, 103, 104 : Châtellenie de Mairé-Levescault, affaires civiles (1742-1790, 1748-90, 1703-85) ; 9B 151 : Châtellenie du prieuré de Pamproux, actes civils (1709-1790) ; 9B 179, 180 : Baronnie et abbaye royale de Saint-Jouin de Marnes, actes civils (1697-1720, 1720-40) ; 9B 186, 187 : Baronnie de Saint Loup (1720-1740) ; 9B 200 : Châtellenie de Sainte-Néomaye, affaires civiles et criminelles (1727-1789). Ces chiffres ne sont que des sondages, ils se veulent représentatifs mais non exhaustifs. Retour au texte

24 Deux-Sèvres, ar. Bressuire. Retour au texte

25 AD Vienne, 1B1 290 et 666 : Greffe civil du présidial de Poitiers, années 1676 et 1726 ; AD Deux-Sèvres, 9B 207 : Duché-pairie de Thouars, affaires civiles, année 1783. Retour au texte

26 S. Beauvalet-Boutouyrie, La solitude…, op. cit. Retour au texte

27 Villes toutes situées dans le sud des Deux-Sèvres, à l’exception de Thouars qui se trouve à l’extrémité septentrionale de ce département. Retour au texte

28 Marie-Reine Sire, Généalogie des familles huguenotes, xviie- xviiie siècles, Éditions APC, Chauvigny 2008-2012, 4 vol.  Retour au texte

29 Sur la notion de brutalité et les violences à l’époque moderne, voir Antoine Follain (dir.), Brutes ou braves gens ? La violence et sa mesure, xvie-xviiie siècles, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2015. Retour au texte

30 Contre seulement 20% d’épouses de commerçants et d’artisans en faillite dans cette dernière catégorie de femmes insultées. Retour au texte

31 Il y a bien entendu des exceptions, qui soulèvent l’indignation générale. En 1770, 43 habitants de Melle (Deux-Sèvres, ar. Niort) déposent contre Hilaire Debout, qui « a déchiré les mains et le visage de sa femme, la pince jusqu’au sang en public, la poursuit à coups de planches dans la rue, lui donne de violents coups de pieds, jette un pot à eau au visage, la poursuit avec une broche à rôtir, la traîne par les cheveux dans les rues, l’a défenestré, frappée à coups de bûches, lui a tiré dessus avec un fusil […] ». Sa fonction de procureur empêche certainement la plainte d’aboutir pendant longtemps (AD Deux-Sèvres, 2B 43 : Prévôté royale de Melle, enquêtes civiles, 1762-1786). Retour au texte

32 Vienne, ar. Montmorillon, c. Lussac-les-Châteaux. Retour au texte

33 AD Vienne, 8B 151 : Justices seigneuriales, châtellenie de la Messelière, 1772-1790. Retour au texte

34 Ibid., 8B 165 : Justices seigneuriales, baronnie de Mirebeau, 1726-1728 (ar. Poitiers, c. Migné-Auxances). Retour au texte

35 Ibid., 8B 275 : Justices seigneuriales, châtellenie de Saint-Savin 1773-1776 (ar. et c. Mont-morillon). Retour au texte

36 Trois affaires mentionnées dans Ibid., 9B 501 : Papiers du Roi, 1731-1740. Retour au texte

37 Ibid., 9B 502 : Papiers du Roi, 1740-1744. Retour au texte

38 AD Vienne, 9B 503 : Papiers du Roi, 1745-1766 (Vendée, ar. Fontenay-le-Comte). Retour au texte

39 Ibid., 9B 504 : Papiers du Roi, 1767-1788. Retour au texte

40 La demande de séparation de Madeleine Allaire contre son mari Creuzé-Dufresne, greffier à Poitiers, à partir de 1786, vue précédemment (Ibid., F 21 : ms. n° 4). Retour au texte

41 Deux-Sèvres, ar. Niort, c. Celles-sur-Belle. AD Deux-Sèvres, 2B 42 : Prévôté royale de Melle, enquêtes civiles (1651-1685) Retour au texte

42 Nous rejoignons ainsi le constat de Dominique Godineau : « la violence au sein du couple est, à une majorité écrasante, le fait des maris. Fronts ouverts, yeux crevés, oreilles déchirées, fractures, fausses couches, coups de poings, de pied, de sabots, de pincettes en témoignent. Ils visent la tête, le ventre, la poitrine, traînent leur femme par les cheveux, la jettent dans les escaliers au risque de l’estropier. […] l’alcool qui joue un rôle prépondérant dans ce qui relève parfois de véritables passages à tabac […] » (D. Godineau, Les femmes…, op. cit., 2003, p. 42). Retour au texte

43 Gwénael Murphy, Le peuple des couvents (Poitou, xviie-xviiie siècles), La Crèche, Geste éditions, 2007, p. 116-120. Retour au texte

44 AD Deux-Sèvres, 2B 43 : Prévôté royale de Melle, enquêtes civiles, 1707-1759. Retour au texte

45 La première oppose Louise Vincendeau à François Baudet, maréchal à La Meilleraye (Deux-Sèvres, ar. et c. Parthenay) et ne mentionne aucune violence (AD Vienne, 1B1 788 : Présidial de Poitiers, greffe civil, année 1762). Retour au texte

46 S. Minvielle, La famille en France…, op. cit., 2010, p. 74. Retour au texte

47 Ibid., p. 78. Retour au texte

48 Deux-Sèvres, ar. Parthenay, c. Gâtine. AD Vienne, 1B 2-107 : Présidial de Poitiers, greffe criminel, année 1767 (classement qui ne correspond pas à l’année du procès). Je remercie Fabrice Vigier pour cette référence. Retour au texte

49 Vendée, ar. La Roche-sur-Yon, c. Montaigu. Retour au texte

50 AD Vienne, 1B 200 : Présidial de Poitiers, greffe criminel, 1788. Retour au texte

51 Le prêtre représente bien les cas fréquents où l’on préfère chercher le sommeil que porter secours, ainsi que l’a bien étudié Guillaume Garnier, L’oubli des peines. Une histoire du sommeil (1700-1850), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013. Retour au texte

52 À ce propos : Jean-Marie Le Gall et Arlette Jouanna (dir.), Penser et vivre l’honneur à l’époque moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011. Retour au texte

53 Selon AD Vienne, 1B 2-107 : Présidial de Poitiers, greffe criminel, 1767. Retour au texte

54 Initialement condamné à mort, il voit sa peine commuée après n’avoir fait aucun aveu durant une séance de torture le 7 juillet 1762, procédure devenue rare à l’époque. Selon Benoît Garnot, Justice et société en France aux xvie , xviie et xviiie siècles, Paris, Ophrys 2000, moins d’un cas sur cent en procédure criminelle, en Bourgogne, entraîne l’usage de la torture dont le dernier se déroule en 1766. Dans les autres provinces, les chiffres varient entre 3% et 12%. Voir Éric Wenzel, La torture judiciaire sous l’Ancien Régime, Dijon, Études universitaires de Dijon, 2011. Retour au texte

55 AD Vienne, 9B 504 : Papiers du Roi, 1766-1788. Sur la clameur publique : Frédéric Chauvaud et Pierre Prétou (dir.), Clameurs publiques et émotions judiciaires de l’Antiquité à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014. Retour au texte

56 Vienne, ar. Poitiers, c. Lusignan. Retour au texte

57 AD Vienne, 9B 502 : Papiers du Roi, 1740-1744. Retour au texte

58 AD Deux-Sèvres, 2B 44 : Prévôté royale de Melle, enquêtes civiles, 1762-1786. Retour au texte

59 Ibid., 9B 210 : Duché-pairie de Thouars, affaires civiles, 1785. Retour au texte

60 Indre-et-Loire, ar. Chinon, c. Sainte-Maure-de-Touraine. AD Vienne, 9B 501 : Papiers du Roi, 1731-1740. Retour au texte

61 AD Vienne, F 20 : Plaidoyer prononcé par maître Delaunay l’aîné, avocat au présidial d’Angers dans la cause de dame Marie-Henriette Françoise de Boscals de Reals contre messire Charles Henri Jacques Bardel des Gléreaux, 1782, vol.1, f. 7-8. Retour au texte

62 Ibid., 9B 501 : Papiers du Roi, 1731-1740. Retour au texte

63 Ibid. À 40 km au nord de Niort. Retour au texte

64 AD Deux-Sèvres, 9B 151 : Justices seigneuriales, châtellenie du prieuré de Pamproux, actes civils, 1709-1790. Retour au texte

65 AD Vienne, 1B 2/107 : Greffe criminel de Poitiers, année 1767. Retour au texte

66 Ibid., 9B 504 : Papiers du Roi, 1767-1788. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Gwénael Murphy, « Justice, société et violences conjugales aux xviie et xviiie siècles : les seuils de tolérance », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 14-15 | 2019, 115-134.

Référence électronique

Gwénael Murphy, « Justice, société et violences conjugales aux xviie et xviiie siècles : les seuils de tolérance », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 14-15 | 2019, mis en ligne le 25 septembre 2023, consulté le 04 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=167

Auteur

Gwénael Murphy

Gwénael Murphy est PRAG en histoire moderne et contemporaine (Université de la Nouvelle-Calédonie), docteur en histoire moderne (EHESS, Paris), membre des équipes de recherche TROCA (Trajectoires d’Océanie, Nouméa) et CRIHAM (Centre de Recherches Interdisciplinaires Histoire, Arts, Musicologie, EA 4720).

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