L’architecture paquebot à Strasbourg. Une traversée au cœur de la modernité des années 1930

Streamline Moderne architecture in Strasbourg, a journey into the heart of 1930s modernity

Die Stromlinien-Moderne in der Straßburger Architektur. Eine Fahrt in die Mitte der Modernität der 1930er Jahre

DOI : 10.57086/sources.227

p. 87-108

Résumés

Dans un contexte de densification et d’extension urbaines des années 1930, la ville de Strasbourg accueille de nombreux bâtiments s’affiliant au style paquebot. Du modèle esthétique et technique du paquebot, les architectes strasbourgeois reprennent autant l’allure épurée (l’horizontalité et les volumes géométriques) que les motifs et détails (proues, cheminées, hublots et bastingages métalliques). Expressions d’une modernité locale que soutiennent des commanditaires audacieux, les édifices témoignent aussi d’une bonne connaissance de la création contemporaine, accessible aux professionnels strasbourgeois par le biais des revues spécialisées et des grands événements. Si la dimension plastique des façades traduit l’inspiration nautique, cette dernière n’a en revanche qu’une incidence réduite – à quelques exceptions près – sur le choix du décor des parties communes des bâtiments, la disposition des intérieurs et la présence de certains équipements modernes, que l’on retrouve dans des constructions de la même époque, mais ne se rattachant pas à ce courant stylistique.

In the thirties, in a context of urban densification and expansion, many buildings in Strasbourg were designed in the Streamline Moderne style. Drawing inspiration from the aesthetic and technical model of the ocean liner (the French term style paquebot emphasizes the nautical reference), architects in Strasbourg borrowed as much its streamlined aspect (its horizontal lines and geometrical volumes) as its motifs and details (prows, chimneys, porthole windows and steel railings). These buildings expressed a local form of modernity which was supported by bold patrons, just as they testified to local architects’ knowledge of contemporary creation, accessible via specialized journals and staged events. While the nautical inspiration is obvious in the design of the facades, it does not seem to have had any real impact – with a few exceptions – on the way communal spaces were decorated, on the interior layout or on the choice of modern types of equipment which can be found in other constructions dating from the same period but belonging to other stylistic currents.

Amandine Clodi is a Ph.D. candidate at the university of Strasbourg (ARCHE-EA 3400, ED519 SHS-PE).

Im Kontext der urbanen Verdichtung und Ausdehnung in den 1930er Jahren entstanden in Straßburg zahlreiche Gebäude im Stromlinien-Stil. Die Straßburger Architekten übernahmen vom Modell des Passagierschiffs (paquebot) das glatte Aussehen (horizontale und geometrische Prägungen) ebenso wie dessen Motive und Details (Bug, Schornstein, Sichtfenster und Metallrehling). Die Gebäude sind Ausdruck einer lokalen Modernität, die von mutigen Auftraggebern unterstützt wurde. Zugleich zeugen sie von einer guten Kenntnis der zeitgenössischen Kreation, die den Straßburgern durch Fachzeitschriften und große Ereignisse übermittelt wurde. Während die nautische Inspiration in der plastischen Dimension der Fassaden zum Ausdruck kam, zeigte sie sich hingegen kaum – von einigen Ausnahmen abgesehen – im Dekor der Gemeinschaftsräume, in der inneren Anordnung der Gebäude und in modernen Ausstattungen, die man auch in Bauwerken anderen Stils aus der gleichen Epoche vorfindet.

Amandine Clodi schreibt derzeit ihre Doktorarbeit an der Universität Straßburg (ARCHE-EA 3400, ED519 SHS-PE).

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Si en 1933, le quatrième Congrès international d’architecture moderne a lieu sur un paquebot, il ne s’agit pas là d’un simple hasard1. Le congrès, centré sur le thème de la ville organique2, se déroule à bord du Patris II qui effectue une traversée de Marseille à Athènes, ville dans laquelle est adoptée, à l’issue du voyage, la célèbre charte. Ce choix rappelle dans un geste hautement symbolique, l’affirmation de Le Corbusier selon laquelle « le paquebot est la première étape dans la réalisation d’un monde organisé selon l’esprit nouveau3 ». Métaphores de la modernité des années 1920 et 1930, les paquebots infiltrent la production architecturale sous la forme de volumes géométriques lisses, de lignes horizontales, d’ouvertures nombreuses, de hublots, de toits plats, de cheminées ou de rambardes métalliques. Les thèmes croisés du voyage, du mouvement et de la vitesse que concentrent les bateaux et les autres moyens de transport modernes séduisent les architectes, mais aussi les artistes et les artisans4. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui, comme Lalique et Dunand, collaborent au design, à l’ameublement ou à la décoration des célèbres paquebots de la Compagnie générale transatlantique. D’après Patricia Bayer, la contribution de Roger-Henri Expert au design du paquebot Le Normandie en 1932 explique son usage simultané de formes nautiques dans d’autres projets, notamment dans celui de l’école de la rue Küss à Paris5. Un phénomène de double inspiration s’opère alors : les constructeurs de paquebots imaginent de luxueux palais sur l’océan tandis que les architectes conçoivent leurs villas et surtout leurs immeubles comme des paquebots terrestres. Le paquebot devient, dans les années 1930, un modèle esthétique, technique et même un style à part entière, alors même que sa véritable heure de gloire est sur le point de se terminer6. Son exploitation et son développement sur la terre ferme sont-ils une façon de le faire survivre et perdurer ?

Le style paquebot repose sur la reprise de motifs inspirés de l’architecture navale, dans une perspective de géométrisation des formes. Ce terme, qui apparaît dès la fin du xixe siècle sous l’appellation « yachting style », semble parfois nébuleux puisqu’il est régulièrement confondu avec l’Art déco, voire le Style international7. La contemporanéité des trois tendances et leurs limites parfois floues manifestent très clairement le réseau d’influences et les inspirations communes des architectes. Par conséquent, un même motif peut être revendiqué comme appartenant au vocabulaire spécifique de deux tendances à la fois. L’une des hypothèses les plus convaincantes consiste à considérer le style paquebot comme une branche tardive de l’Art déco, une évolution de ce dernier vers davantage de simplification sans pourtant s’assimiler au Style international8. Pierre Cabanne distingue quant à lui l’Art déco ornemental, précieux et raffiné du style paquebot, anguleux, simplifié, duquel émane une sorte de « chic froid9 ». La dimension décorative n’est pour autant pas absente du style paquebot, mais elle repose sur les formes, les volumes, les textures et les couleurs plutôt que sur l’ornementation10. Enfin et par-delà ces questions de dénomination, rappelons que l’architecture paquebot favorise, par son envergure, les programmes d’habitat collectif. De l’hôtel à l’immeuble de rapport en passant par le foyer, ne propose-t-elle pas un modèle idéal de vie en société ? Nous allons étudier les manifestations de ce style moderne dans la ville de Strasbourg, tenter d’en identifier les caractéristiques et les acteurs.

L’architecture paquebot à Strasbourg : contexte et enjeux

Contrairement à celle de Paris, capitale de l’Art déco, ainsi qu’à celle des villes côtières telle que Nice, la production de bâtiments de style paquebot à Strasbourg au cours de la décennie 1930 n’a pas été particulièrement étudiée. Tandis que la documentation rassemblée sur l’architecture à l’époque du Reichsland ne cesse de s’enrichir, notamment par les récents travaux de l’Inventaire général du patrimoine culturel de la région Grand Est qui a inventorié les bâtiments de la Neustadt 11 entre 2010 et 2017, l’entre-deux-guerres ne bénéficie pas d’une attention aussi poussée. Cela dit, plusieurs initiatives récentes s’attachent à valoriser le patrimoine strasbourgeois du premier quart du xxe siècle12. De plus, les constructions de l’entre-deux-guerres et le style Art déco font justement depuis quelques années l’objet d’expositions13 mais aussi de travaux universitaires et d’inventaires dans le Grand Est et toute la France14. C’est dans l’intention de faire suite à ces multiples entreprises que nous proposons une traversée au cœur de l’une des expressions de la modernité strasbourgeoise, en attendant de pouvoir réaliser une étude plus complète de l’architecture de l’entre-deux-guerres dans la ville15.

Les années 1920 et 1930 à Strasbourg sont marquées par la poursuite du chantier de la Grande Percée16 initié par Rudolf Schwander avant la guerre, mais aussi par l’expansion et la densification de la ville dans laquelle sévit alors la crise du logement. Sous l’égide du maire Jacques Peirotes17, l’Office d’habitation à bon marché fait édifier entre 1923 et 1939 plus de 3 000 logements sociaux avenue de la Forêt-Noire, au Neudorf ou encore à la Robertsau. En parallèle de ces projets, plusieurs secteurs s’urbanisent à grande vitesse, à la fois au centre-ville (quartier suisse au sud de la Krutenau, quartier des musiciens près de l’Orangerie) et dans les faubourgs (au Neudorf, à la Meinau, à Koenigshoffen, etc.). Ces zones s’articulent autour d’axes tout juste construits, telle que la rue du Travail. Les bâtiments conçus dans les années 1930 reflètent une extraordinaire diversité stylistique, du régionalisme au classicisme modernisant en passant par l’Art déco, quand la plupart des ouvrages retraçant l’histoire et l’urbanisme de la ville n’accordent à cette période qu’un intérêt limité. Lorsqu’il dépeint le milieu architectural de la ville entre 1910 et 1930, Denis Durand de Bousingen explique par exemple que « l’innovation [y] reste rare18. » En outre, les exemples choisis pour illustrer l’entre-deux-guerres à Strasbourg, généralement l’immeuble Esca et la cité Ungemach19, ne donnent pas forcément l’impression que les courants de la modernité y sont très ancrés. Pourtant, une bonne partie des bâtiments construits au cours de la décennie 1930 affiche des traits communs avec la production architecturale d’avant-garde. La curiosité des professionnels strasbourgeois à son égard les fait suivre les biennales et les triennales d’architecture et visiter les lieux aujourd’hui emblématiques de l’histoire de l’architecture moderne20. Le rôle des revues d’architecture a sûrement été déterminant, puisque qu’en plus de renseigner les architectes alsaciens sur la création internationale, elles ont également servi de vitrine à certains d’entre eux. Ainsi L’Architecture d’Aujourd’hui fait référence en 1934 et en 1935 à deux immeubles paquebots que nous mentionnerons plus tard, l’immeuble 7 quai Rouget de Lisle de Tim Helmlinger et le Foyer de la jeune fille de Jean Sorg, localisé 8 rue de Soleure21. L’intérêt spécifique pour l’architecture paquebot est peut-être lié, à Strasbourg, aux grands travaux du Rhin22 et à la création du port autonome en 1924, dont le trafic ne cesse d’augmenter dans l’entre-deux-guerres. D’ailleurs Jules-Pierre Haas place la villa Schranz au bord de l’eau23, comme si elle s’apprêtait à prendre le large.

À partir de 1931-1932, de nombreux architectes commencent à imaginer à Strasbourg des édifices aux réminiscences nautiques en pleine ville. Nous avons sélectionné, à partir de l’identification des zones développées dans les années 1930, de dépouillements d’archives et de repérages sur place, un corpus de vingt-cinq bâtiments, qui ne fait évidemment pas office d’inventaire exhaustif mais qui présente un échantillon de la production strasbourgeoise de style paquebot. Cette sélection révèle partiellement les architectes adeptes de ce style, ses modalités plurielles ainsi que les quartiers où il a pu s’implanter24. Dans l’objectif de réunir les renseignements les plus complets possibles, nous avons cherché à visiter les parties communes et les appartements de certains édifices. Treize bâtiments paquebots ont été examinés, ce qui nous a notamment permis de comparer la documentation d’archives avec les réalisations effectives et de relever la décoration intérieure des immeubles25. Il ressort tout d’abord de notre liste que la répartition des bâtiments par quartier est largement dominée par le quartier suisse, qui absorbe quasiment un tiers des occurrences. Une grande partie des bâtiments de style paquebot occupe surtout les secteurs en cours de lotissement (Marne, Halles, Neudorf, etc.), quand l’autre se retrouve disséminée soit sur des emplacements vides en périphérie, soit sur des parcelles à reconstruire au centre-ville ou dans la Neustadt, comme c’est le cas pour l’immeuble 2 rue du Général Rapp, qui remplace une ancienne imprimerie. Quant aux architectes, ils sont assez nombreux à vouloir tenter l’aventure de la modernité, et cela indépendamment de leur formation. Une partie des auteurs des immeubles paquebots ont effectué leur formation à la Kaiserliche Technische Hochschule, l’école impériale technique de Strasbourg qui, grâce à un enseignement privilégiant la pratique, forme de véritables constructeurs. Quand les autres apprennent le métier en Allemagne ou en Suisse, seuls quatre professionnels sur les dix-sept de notre corpus proviennent de la nouvelle école régionale d’architecture (ERAS), qui ouvre ses portes en 1922 et dispense des cours plus artistiques et tournés vers la culture française26. Se trouvent parmi ces quatre architectes Helmlinger et Rohmer, les deux architectes les plus prolifiques en bâtiments paquebots de notre sélection. Concernant les programmes, tous induisent une forme de vie collective, mais l’immeuble de rapport apparaît comme le choix privilégié des commanditaires d’édifices aux allures nautiques. Grâce à ces vingt-cinq exemples relevant d’une production privée, nous allons voir en quoi l’étude de l’habitation strasbourgeoise de style paquebot permet de mieux appréhender la modernité alsacienne.

De l’allure au motif : des paquebots à deux vitesses

Les immeubles paquebots se suivent à Strasbourg mais ne se ressemblent pas tant que ça. Comme l’explique Jean-Louis Cohen à propos de ce style, l’analogie avec le navire est parfois « très littérale » et parfois plus « fétichiste », seulement axée sur quelques motifs27. Nous retrouvons ces références nautiques à deux vitesses parmi les exemples étudiés. Concernant premièrement l’allure générale, seuls cinq bâtiments sur vingt-cinq n’observent pas une disposition en angle et se retrouvent donc entourés d’autres constructions sur un même alignement de rue. Les nouveaux bâtiments créent un effet de contraste par rapport aux constructions mitoyennes, souvent plus anciennes. L’immeuble double localisé 13 boulevard de Lyon et construit par Albert Strohmenger marque une forte rupture stylistique avec son voisin du numéro 15, érigé en 1905. L’esthétique dépouillée proposée par Strohmenger associe à un ressaut central plusieurs rangées de balcons. L’horizontalité des lignes de l’immeuble apporte une toute autre dynamique à cette portion du boulevard, jusqu’ici empreinte de la verticalité du bâtiment voisin, dont les balcons en fer forgé constituent un prolongement visuel avec le numéro 13. Si l’horizontalité représente l’un des marqueurs les plus éloquents de l’architecture paquebot, tous les bâtiments nautiques n’y ont pas recours. L’immeuble 7 quai Rouget de Lisle de Tim Helmlinger, encastré entre deux bâtiments du xixe et du début du xxe siècle, prend place sur une parcelle en lanière, étroite mais profonde. Il faut alors construire plus haut afin notamment d’assurer la rentabilité de l’édifice pour l’oncle de l’architecte et commanditaire du projet, qui lui laisse d’ailleurs carte blanche. Considéré comme l’un des premiers immeubles de rapport réellement modernistes de Strasbourg28, le bâtiment se distingue par sa grande terrasse, son toit plat et son aspect très sculptural procuré par les deux bow-windows latéraux.

La disposition en angle, largement plébiscitée par les architectes adeptes du style paquebot, valorise le bâtiment en lui donnant davantage de volume et en l’isolant visuellement de ses voisins. Une première famille de bâtiments d’angle rassemble des édifices imposants, aux lignes horizontales et aux volumes très angulaires. Les immeubles 6 rue de Berne d’Eugène Rohmer et 14 avenue Jean-Jaurès d’Albert Strohmenger cumulent ces caractéristiques, avec un angle traité comme un bow-window à trois pans et des façades latérales animées par de grands ressauts géométriques, prolongés par des balcons. Les saillies à partir du premier étage donnent l’impression que les bâtiments se décollent du sol, un autre subterfuge nautique largement diffusé dans les années 1930. Ces effets sont notamment permis par l’usage du béton armé29 qui se généralise au même moment. En dépit de ces exemples, la majorité des architectes préfèrent les courbes aux volumes anguleux pour concevoir leurs édifices paquebots. Des jeux d’échos et de dialogues se mettent même en place dans les nouveaux quartiers parmi des immeubles contemporains. Ainsi, à l’angle très doux, nu et entrecoupé de bandeaux du Foyer de la jeune fille de Jean Sorg, construit entre 1932 et 1934, répondent en face le bow-window incurvé et les balcons aux bords arrondis de l’immeuble 7 rue de Berne (fig. 5) de Tim Helmlinger, édifié entre 1933 et 1935. Des jeux d’angles similaires s’observent dans la rue du Travail, entre les immeubles des numéros 5 et 8, placés en diagonale. Les étages des deux bâtiments sont systématiquement bien soulignés et l’on retrouve le décollement du sol dont nous parlions plus haut, ici grâce aux corniches saillantes. Mais tandis que Charles Hunzinger orne ses bandeaux de denticules néoclassiques au 5 rue du Travail (fig. 1), Ernest Misbach pourtant habituellement tout aussi attaché à ce vocabulaire30, fait preuve d’une sobriété et d’un dépouillement rares pour son immeuble situé en face. L’architecture paquebot à Strasbourg s’inscrit indubitablement dans les courants de la modernité, cependant, elle fait très souvent coexister les nouvelles formes avec des motifs plus traditionnels, à l’instar de l’immeuble 5 rue du Travail. Celui situé 1 rue Schumann par Rohmer allie dans un curieux mélange des garde-corps métalliques et un oculus-hublot à une toiture à croupe brisée typique de la région. Parmi les bâtiments qui se lancent dans une modernité plus affirmée, citons notamment l’immeuble 2 rue du Général Rapp (fig. 6) de Tim Helmlinger avec la disposition, de part et d’autre d’une rotonde d’angle, d’une succession de bow-windows à trois pans rappelant la façade plissée de l’immeuble 100 boulevard Pereire de Marcel Hennequet à Paris. Mentionnons également l’immeuble de Victor Hommes, 10 rue du Saint-Gothard (fig. 3), l’un des édifices les plus significatifs de l’esthétique paquebot à Strasbourg, puisqu’il regroupe une façade lisse, horizontale, avec une corniche très saillante entre le rez-de-chaussée et le premier étage, un angle travaillé en bow-window incurvé, de nombreuses et grandes fenêtres ainsi qu’une toiture semblant former une proue de navire. À ce titre, il reste plus discret que l’audacieuse construction d’Eugène Brast 2 rue de Bouxwiller (fig. 4), chapeautée d’une proue de navire à angle aigu et dont l’allure ressemble étrangement au bâtiment paquebot localisé 3 rue Casimir Pinel à Neuilly-sur-Seine. Ces inspirations puisent probablement dans les revues d’architecture de l’époque, qui relayaient allègrement les bâtiments construits en région parisienne.

Il arrive qu’un architecte et son commanditaire souhaitent donner un air nautique à leur construction sans modifier complètement son allure. Pour cela, ils recourent à des éléments de second-œuvre qui rappellent l’univers maritime par métonymie, comme la proue de navire que nous venons d’évoquer, mais plus systématiquement les rambardes métalliques en guise de bastingages et les fenêtres en hublots. Ces fenêtres ou oculi sont placées au-dessus ou autour de la porte d’entrée, comme aux 1 rue Schumann et 7 quai Rouget de Lisle ou bien en colonnes verticales à l’emplacement de la salle de bains, comme aux 22 rue du Général Rapp et 10 rue des Orphelins. D’autres motifs originaux décorent ponctuellement des édifices plus sobres, à l’image des deux cheminées qui surmontent l’hôtel 1 boulevard Leblois de Robert Lehmann et l’immeuble 6 boulevard de la Marne construit par Frédéric Ihl et Edmond Picard. L’élégante roue ou barre de navire décorant l’angle du balcon de l’immeuble 2 rue de Bouxwiller complète la proue du toit dans un dialogue intéressant. Enfin, l’allusion nautique la plus inattendue est peut-être également la plus difficile à déceler du fait de la hauteur du bâtiment ; il s’agit de la sculpture féminine se tenant à l’angle de l’immeuble 8 rue du Travail (fig. 1), sur le pilastre médian. Cette statue très naturaliste et vivante de Pierre Klein31 fait penser aux figures de proue se tenant sous le beaupré des navires, qui lorsqu’elles sont féminines32, possèdent souvent des drapés très animés pour imiter le souffle du vent. Ici, le personnage porte une robe et une cape, tend les bras et penche la tête en avant pour regarder en bas. Dans la plupart des cas, ces allusions nautiques individualisent le bâtiment, lui donnent une identité propre sans verser dans l’ostentatoire33. L’architecture paquebot dégage au contraire, à l’image des immeubles 2 rue de Soleure et 10 rue du Saint-Gothard, ce chic froid dont parle Pierre Cabanne, cette retenue qui fait des volumes architecturaux une ornementation qui se suffirait déjà à elle-même. Si les façades deviennent décoratives par leurs formes mêmes, grâce aux bow-windows, rotondes et autres ressauts, le second-œuvre apporte parfois une touche de sophistication complémentaire. Les portes d’entrée et les ferronneries des balcons ou des clôtures accueillent dans de nombreux cas des motifs géométriques Art déco qui se font d’ailleurs parfois écho : triangles, motifs de vagues ou de fontaines, arabesques, cercles, octogones, rectangles ou enchevêtrements de plusieurs de ces formes. Les portes d’entrée, particulièrement soignées, associent des pilastres à un linteau surmonté ou non d’un oculus ou d’une fenêtre octogonale, un dispositif très répandu au cours des années 1930 et pas uniquement réservé aux bâtiments paquebots. La monumentalisation des entrées et la présence de portes Art déco aux motifs recherchés tranchent avec la sobriété des édifices, forcent l’admiration du passant et semblent l’inviter à y entrer.

L’intérieur des bâtiments : entre cabine et « palace flottant »

L’intérieur des bâtiments paquebots de Strasbourg bénéficie généralement d’un soin particulier, s’opposant à leurs façades dépouillées et rappelant d’ailleurs le contraste entre l’allure sculpturale et épurée des bateaux et leurs grandioses espaces de réception. Dès 1927, la Compagnie générale transatlantique invite les passagers de l’Île-de-France à évoluer dans le style contemporain de l’Exposition des arts décoratifs34 de 1925 plutôt que dans l’éclectisme habituel et le pastiche. L’idée qu’il faut décorer les espaces intérieurs avec des formes, des matériaux et des objets dans l’air du temps préoccupe également les architectes et leurs clients. Succédant notamment à la typologie développée pour les immeubles privés du tournant du siècle, avec leurs vitraux Art nouveau, leurs carreaux de sols et leurs portes palières décorées35, de nouvelles tendances ornementales rehaussent désormais les parties communes des immeubles paquebots. La géométrisation et l’abstraction des formes en vogue en peinture, en sculpture et en architecture s’introduisent dans les bâtiments par le biais du second-œuvre, de la marbrerie aux boiseries, en passant par le vitrail et la ferronnerie. Par conséquent, l’entrée et la cage d’escaliers reçoivent des sols en marbre, tandis que des murs recouverts d’enduits texturés remplacent le traditionnel lambris de bois. Les verrières figuratives laissent place aux assemblages géométriques colorés, comme dans la cage d’escaliers du Foyer de la jeune fille 8 rue de Soleure ou encore 10 rue du Saint-Gothard. Les ferronneries des escaliers des immeubles déclinent des intrications de lignes et de formes stylisées, comme les croissants de lune, les arabesques, les demi-cercles ou les vagues. De la même façon qu’en façade, certains décors se répondent entre eux ; les ferronneries de l’escalier et de la porte d’entrée étant souvent coordonnées, comme au 10 rue des Orphelins.

Les portes en bois des appartements, parfois partiellement vitrées, se parent de formes géométriques ou adoptent des motifs figuratifs stylisés, à l’image des fleurs sculptées de l’immeuble 2 rue du Général Rapp. Dans trois bâtiments d’Eugène Rohmer, des motifs géométriques ornent le carrelage de l’entrée et de chaque étage. Ces ornementations, rarement poussées vers un raffinement extrême, ne sont pas uniquement réservées à l’esthétique paquebot. Elles répondent davantage au cahier des charges de l’immeuble moyen.

En revanche, dans quatre bâtiments, le décor intérieur prolonge la façade en se référant explicitement à l’univers nautique. Les murs de l’entrée de l’immeuble 2 rue de Soleure, tapissés de carrelage bleu, donnent l’impression d’entrer dans une piscine. L’escalier métallique de l’immeuble 8 rue du Travail déploie une succession de barres de navire tandis que les portes des appartements vitrées et en bois sont couronnées d’une ancre marine (fig. 2). Enfin, une forme rappelant étrangement la coque d’un bateau émerge du plafond du dernier étage de l’immeuble 10 rue du Saint-Gothard. Ces édifices ainsi que celui de la rue Schumann, avec sa cheminée surmontée d’un miroir octogonal et d’une vasque, sa rampe d’escalier graphique et son hublot, semblent réactualiser le concept d’œuvre d’art total. En effet, ils réunissent plusieurs disciplines artistiques dans un esprit de complémentarité et d’harmonie. Les bâtiments, relativement sobres et plastiques à l’extérieur, dévoilent une esthétique plus complexe une fois à l’intérieur.

En dépit de ces efforts, la référence au paquebot reste pratiquement sur le seuil de la porte et ne pénètre que très peu dans les appartements. Les plans des édifices, à l’exception des programmes spéciaux comme l’hôtel ou le foyer, suivent vraisemblablement des types répétitifs, hérités des périodes précédentes. De plus, seule la villa Schranz propose un logement de grand standing. Les maisons et appartements de trois pièces et plus s’organisent selon la bipartition bourgeoise entre pièces de réception à l’avant et pièces intimes à l’arrière36. Les pièces de réception se situent en façade et communiquent entre elles par le biais de double-portes ou de cloisons coulissantes, comme au dernier étage de l’immeuble 22 boulevard de la Marne. Nous retrouvons dans la villa Schranz, spécifiquement conçue pour le négociant éponyme, la même bipartition mais répartie sur plus d’une dizaine de pièces, car le commanditaire souhaitait expressément pouvoir accueillir ses nombreux invités. L’articulation entre les pièces en façade et les pièces intimes est généralement assurée par un couloir central accueillant des placards intégrés. On trouve aussi ces derniers dans les cuisines ou sous forme de garde-mangers extérieurs37, dans une loggia ou sur le balcon. Tous les appartements sont dotés d’une salle de bains et de WC parfois séparés, parfois réunis dans la même pièce. Les sanitaires, obligatoirement ventilés38, s’éloignent du hall principal grâce à un petit dégagement. Avec la diffusion des ascenseurs électriques, les appartements les plus prisés occupent désormais les derniers étages des bâtiments – plutôt que le premier ou le deuxième. Ils possèdent souvent une terrasse filante, comme au 16 avenue de la Paix. Dans un courrier daté du 1er mai 1937, Théo Berst vante les mérites de son immeuble de l’avenue de la Paix en expliquant qu’il sera, à la fin des travaux, le plus moderne du quartier. Il détaille certaines des innovations mises en place :

Toutes les pièces sont largement éclairées et aérées par de grandes fenêtres, des précautions spéciales ont été prises pour l’amortissement du bruit, chaque appartement possède son frigorifique et son vidoir automatique d’ordures ménagères et l’eau potable passe par un filtre adoucisseur39.

De tels équipements modernes se retrouvent dans les appartements d’immeubles destinés aux populations aisées, qu’ils s’affilient ou non à l’esthétique paquebot. Si l’influence du paquebot ne vise donc pas directement l’agencement des pièces ni leurs équipements, nous pouvons en revanche la détecter dans l’intérêt porté à la luminosité des pièces. Les appartements les plus grands multiplient les avancées et les balcons. Ainsi, en conséquence des jeux de volumes des façades détaillés plus haut, une pièce de réception dispose toujours d’un bow-window ou d’un autre type de ressaut qui agrandit la pièce et fait entrer davantage de lumière dans l’appartement. L’immeuble 2 rue du Général Rapp comprend à chaque étage, un appartement de quatre pièces et un appartement de trois pièces. Le premier additionne une rotonde d’angle, deux bow-windows et un balcon sur cour, le second conserve tous ces éléments sauf la rotonde. Le plissement de la façade conjugue donc une portée esthétique et pratique, puisque ces appartements sont très lumineux, spacieux et agréables.

Les appartements plus modestes, comprenant deux pièces ou moins, se rapprochent davantage par leur qualité et leur fonctionnalité des cabines de bateaux. Ils introduisent une certaine nouveauté de plusieurs façons. Alors que la cuisine est souvent agrandie afin de faire office de véritable pièce à vivre, il arrive aussi fréquemment que toutes les pièces se retrouvent en façade, même la salle de bains et les toilettes, du fait de la réduction du nombre de pièces qui rend la bipartition des espaces inutile. Ces petits appartements se multiplient dans le quartier suisse et, avec les architectes Rohmer et Helmlinger, sont même plutôt valorisés. Rohmer installe par exemple au niveau du bow-window central de son immeuble 6 rue de Berne le logement d’une pièce, plutôt que de réserver cet emplacement privilégié à un appartement plus grand. Il dote également les appartements de deux pièces de l’immeuble 10 rue des Orphelins de deux balcons et d’un ressaut. Presque tous les appartements de taille réduite bénéficient de placards intégrés. Le style paquebot semble particulièrement apprécié lorsqu’il s’agit de construire des immeubles à hauts rendements et à forte densité d’occupation. Le manque de logements de petite taille à Strasbourg40 explique la profusion soudaine de ces grands immeubles, notamment dans le quartier suisse où la plupart des parcelles sont loties à partir du milieu de la décennie 1930. Ces immeubles, plus rentables pour les commanditaires, consistent en la répétition de petits appartements fonctionnels, à la manière de cabines. Les espaces sont certes réduits, mais ils restent agréables, pratiques et très lumineux. Les bâtiments à forts rendements ne délaissent pas pour autant la dimension esthétique, contrairement à ce que l’on pourrait croire : l’immeuble 10 rue du Saint-Gothard propose plus d’une trentaine de logements mais ses parties communes sont décorées de vitraux colorés et l’escalier orné d’arabesques en fer forgé. Si la plupart des plans d’appartements, nous le disions, ne se distinguent pas par leur exceptionnelle originalité, sept bâtiments du corpus proposent une disposition particulière pour le dernier étage. En raison de la spécificité des volumes choisis, évoquant cheminées et autres proues de bateau, ils accueillent des appartements qui ne ressemblent pas à ceux des étages carrés. Par exemple, Helmlinger aménage au niveau de la proue du dernier étage de l’immeuble 15 rue Jacques Peirotes un grand « studio41 » central avec une cloison coulissante séparant la partie pièce à vivre de la partie chambre à coucher. Cet appartement très lumineux possède deux balcons latéraux ainsi qu’au centre, une série de cinq grandes fenêtres qui s’inscrivent dans le prolongement de l’arc crée par le bow-window. Un logement similaire mais plus spacieux occupe le dernier étage de l’immeuble 5 rue du Travail. Percé de dix petites fenêtres placées en bandeau sur la façade principale, cet appartement chapeaute l’immeuble à la façon d’une tour de contrôle. Les espaces plus difficiles à aménager et moins plaisants accueillent des greniers et/ou des chambres de bonne. La vogue du paquebot touche donc l’esthétique des façades et dans une moindre mesure les parties communes des bâtiments, mais elle n’a qu’une incidence réduite sur la disposition des intérieurs qui, à quelques exceptions près, reste encore marquée par l’héritage des décennies précédentes.

Capitaines et équipage

Derrière ces bâtiments graphiques et ces logements bien pensés se trouvent des architectes et des commanditaires aux carrières et aux profils très différents. L’étude de la formation des architectes actifs à Strasbourg dans l’entre-deux-guerres, malgré de récentes avancées42, reste relativement parcellaire, si bien que nous ne disposons d’informations détaillées que dans de rares cas. En effet, parmi les dix-sept architectes de notre sélection, qui représentent environ un dixième des professionnels actifs dans la ville au milieu de la décennie43, nous ne connaissons la formation exacte que de huit personnes. Tandis que quatorze architectes sont nés en Alsace, deux en Suisse et un à Paris, leur date de naissance est systématiquement comprise entre 1875 et 1908. Deux générations se détachent alors, la plus ancienne se forme à la Kaiserliche Technische Hochschule de Strasbourg44 et compte dans ses rangs Théo Berst, Ernest Misbach et Jean Sorg. Ces étudiants complètent habituellement leur cursus dans d’autres écoles techniques d’Allemagne comme à Karlsruhe. La génération plus jeune – à l’image de Jules-Pierre Haas, Tim Helmlinger, Eugène Rohmer et Georges Spinner – opte au contraire pour l’établissement strasbourgeois concurrent, l’école régionale d’architecture. L’un des architectes suisses, Edmond Picard, provient de l’école polytechnique de Zürich45, d’où pourrait également être issu son compatriote Eugène Brast. La formation des architectes nous semble importante dans l’appréhension du style et des goûts qu’ils développent ; d’ailleurs Shelley Hornstein se demandait déjà à propos des architectes de l’Art nouveau à Strasbourg si le lieu de formation entraînait une allégeance46. Cela dit, il apparaît assez clairement que nos dix-sept architectes nés pour la plupart dans l’Alsace allemande, recourent aux motifs nautiques et se tournent vers les courants de la modernité, qu’ils aient bénéficié d’un enseignement privilégiant la construction (modèle des écoles techniques allemandes) ou d’une formation davantage liée aux Beaux-Arts de Paris (modèle des écoles régionales d’architecture). En outre, les architectes se situent, avec leur production paquebot, à des moments différents de leur carrière. Par exemple, Berst construit déjà depuis plusieurs décennies avant d’effectuer ce « virage » moderne, alors que Helmlinger et Rohmer, diplômés en 1928 et 1929, le prennent bien plus rapidement. Ces parcours variés pourraient indiquer que de telles initiations à la modernité architecturale se déroulent plutôt dans un esprit d’ouverture et de curiosité que de revendication politique, mais cette hypothèse reste toujours à étoffer. Par exemple, Jules-Pierre Haas confie à l’occasion de la réhabilitation de la villa Schranz47 qu’il suivait les réalisations des architectes internationaux et qu’il avait d’ailleurs été impressionné par la Weißenhofsiedlung de Stuttgart48, un lotissement construit en 1927 par plusieurs grands noms de l’avant-garde architecturale à l’occasion d’une exposition du Deutscher Werkbund. Tim Helmlinger écrit quant à lui à son frère en 1933 pour lui signaler qu’il aimerait visiter la Triennale de Milan consacrée à l’architecture moderne sur le thème « Style-civilisation49 ». Le choix de certains architectes d’habiter dans leurs propres constructions paquebots nous semble encore plus significatif de l’esprit de l’époque et de l’intérêt sincère porté à ces nouvelles formes. Helmlinger et Rohmer, deux des architectes les plus productifs en bâtiments paquebots, s’installent respectivement au dernier étage de l’immeuble 7 quai Rouget de Lisle et au deuxième étage de l’immeuble 1 rue Schumann. Le premier peut ainsi profiter d’un appartement moderne et calme, avec une très belle et spacieuse terrasse qui offre une vue panoramique sur l’église Saint-Paul et la cathédrale, au bord de l’Ill. Selon une habitante de l’immeuble de la rue Schumann, une attention particulière a été mise dans l’aménagement et les finitions du grand appartement du deuxième étage, notamment parce qu’il est le seul à disposer de cloisons coulissantes, quand les autres n’ont que des doubles portes. Rohmer a donc préféré adopter, pour son propre logement, un dispositif modulable typique de l’immeuble bourgeois50 .

La crise économique des années 1930 recompose l’activité du secteur de la construction51 et modifie particulièrement le profil des commanditaires des nouveaux édifices. De ce fait, onze commandes sur les vingt-cinq de notre étude sont dues à des Sociétés civiles immobilières (SCI), des associations de particuliers qui constituent leur capital et détiennent ensemble un bien immobilier52. En 1937, Théo Berst argumente en faveur de ce système auprès de la Police du bâtiment en expliquant qu’il permet « à de petits épargnants de bénéficier d’une propriété foncière qui dans d’autres circonstances ne serait pas à leur portée53 ». S’il le défend avec tant d’ardeur, c’est aussi parce qu’il y a lui-même recours, comme de nombreux autres architectes tels que Rohmer, Hommes ou Brast. Le manque d’investisseurs privés mais aussi la concurrence poussent les professionnels à se regrouper avec plusieurs épargnants pour créer ces SCI et retirer un petit bénéfice, surtout dans le cadre de l’édification d’immeubles de rapport, dans le quartier suisse ou le secteur Marne-Musiciens. En effet, alors que les commandes d’habitations mono-familiales baissent, les immeubles de rapport remportent un franc succès. Le style paquebot apparaît probablement comme un choix privilégié et moins onéreux que d’autres, car il suppose une hauteur, un volume importants mais une allure épurée. Outre ce nouveau phénomène de regroupement en SCI, les architectes adoptent d’autres casquettes, telles que celles de maître d’œuvre, de commanditaire ou de promoteur. Les frères Schwab prennent en effet le rôle de promoteurs immobiliers en achetant des parcelles et en trouvant un repreneur pour commanditer la suite du projet. Dans d’autres cas, ils réalisent la construction ou une partie à leurs frais mais revendent le bâtiment pendant ou après le chantier, comme c’est le cas pour l’immeuble 19 rue Daniel-Hirtz54. Il arrive également que l’architecte construise pour un proche : Tim Helmlinger dessine les plans de l’immeuble 7 quai Rouget de Lisle pour son oncle ingénieur ; Robert Lehmann celui de l’hôtel de retraite du boulevard Leblois pour son frère comptable. Cette diversification n’est évidemment pas spécifique à l’architecture paquebot, ni même à la période de l’entre-deux-guerres. À l’exception de la villa Schranz, programme très luxueux, les bâtiments de notre sélection sont construits à l’initiative et à destination de la petite bourgeoisie voire de couches plus modestes de la société. Hormis les onze SCI déjà évoquées, nous recensons parmi les commanditaires cinq personnes exerçant une profession libérale, trois commerçants-négociants, un artisan et un industriel. Deux cas retiennent particulièrement notre attention. D’abord, celui d’un docteur et conseiller municipal55, ce qui porte à croire que l’introduction des courants modernes à Strasbourg est partiellement soutenue par la Ville, une hypothèse corroborée par la validation, par une Commission municipale des Beaux-arts, du projet de l’immeuble 2 rue du Général Rapp et de ses voisins. Ensuite, celui d’un maître-horloger pour lequel Armand Stockinger soumet un premier croquis plutôt conventionnel, avec une toiture à croupe brisée, un bow-window latéral et un angle nu. Sans explication, ce dessin est remplacé par un second projet dans lequel la façade prend cette fois une allure nautique grâce aux trois grands balcons incurvés qui structurent l’angle. Déjà familier des immeubles paquebots56, Stockinger a peut-être convaincu son client d’opter pour des formes plus contemporaines et audacieuses.

Les tableaux suivants, élaborés à partir des documents des dossiers de la Police du bâtiment aux Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg, laissent apparaître l’identité des commanditaires, la densité d’occupation des édifices ainsique les types de logements proposés. Nous constatons que les immeubles accueillent en moyenne treize appartements, entre deux et trois à chaque étage, et avec une moyenne de trois pièces par logement. Ces appartements de trois pièces oscillent généralement entre 70 et 75 m² et offrent le confort le plus moderne, comme nous l’évoquions : salle de bains, sanitaires, placards intégrés, nombreuses ouvertures. Concernant les habitants des bâtiments paquebots, la variété du corpus nous permet naturellement de souligner la diversité des profils et des catégories socioprofessionnelles représentées. Parce que la ville s’agrandit et se densifie considérablement au cours de la période, il n’est pas étonnant de retrouver dans ses nouveaux édifices une population extrêmement hétérogène, tantôt modeste, tantôt plus aisée.

Immeubles
Adresse Nom du commanditaire et métier quand précisé Nombre de logements selon les plans d’archives Nombre et type d’appartement(s) à l’étage courant
1 rue Schumann SCI Schumann 9 2 : T3, T4
2 rue de Bouxwiller SCI rue de Bouxwiller 15 2 : T3, T4
2 rue de Soleure SCI Soleure 18 3 : T2
2 rue du Général Rapp Kehren, négociant 13 2 : T3, T4
5 rue du Travail Société Matter, fabrique de confiserie Entre 18 et 21 (plans incomplets) 3 : T3
6 boulevard de la Marne SCI Strasbourg-Marne 19 3 : T3
6 rue de Berne SCI Berna 18 3 : T3, T3, T2
7 quai Rouget de Lisle Gillmann, ingénieur 14 2 : T3, T5
7 rue de Berne Helmlinger, architecte 14 3 : T2, T2, T3
8 rue du Travail Scté Immobilière des Halles 13 2 : T7, T4
10 rue des Orphelins SCI Lucerne 18 3 : T1, T2, T3
10 rue du Saint-Gothard SCI Saint Gothard 30 6 : 3x T2, 3xT1
10 rue Jacques Peirotes SCI Ideal 1938 18 3 : T3, T2, T2
12 rue du Schnokeloch Meyer, entrepreneur 3 1 : T5
13Aboulevard de Lyon Scté Immobilière Boulevard de Lyon 13 2 : T3, T2
14 avenue Jean-Jaurès Roos, docteur 8 2 : T2, T3
15 rue Jacques Peirotes Roceck, commerçant 20 3 : T2, T2, T3
16 avenue de la Paix SCI avenue de la Paix Plans absents du dossier Plans absents du dossier
19 rue Daniel-Hirtz Schwab, architecte 3 1 : T3
22 boulevard de la Marne Krause, industriel 14 3 : T2
22 rue du Général Rapp Senckeisen, sans profession 12 2 : T3, T4
26 avenue Jean-Jaurès Müssig, horloger 9 2 : T2, T2
Typologies particulières
Programme et adresse

Nom commanditaire et métier quand précisé

Nombre de logements selon les plans d’archives Nombre et type d’appartement(s) à l’étage courant
Foyer 8 rue de Soleure Société d’HBM L’Abri 88 chambres 20 chambres
Hôtel de retraite 1 boulevard Leblois Lehmann, comptable 28 chambres 5 chambres
Villa 9 rue des Sarcelles Schranz, négociant 1 villa de 11 pièces 1 seul logement, 4/5 pièces par étage

Conclusion

Le style paquebot est l’un des rares styles modernes à s’implanter avec réussite à Strasbourg. En associant ses lignes épurées à des éléments architecturaux plus traditionnels, comme les bow-windows et les ferronneries, les architectes créent un vocabulaire nouveau, la plupart du temps bien reçu par la clientèle alsacienne. Cependant, nous l’avons montré en détaillant ses multiples variations, il existe en réalité plusieurs styles paquebots. La production de Rohmer, de Helmlinger, de Misbach ou des Schwab ne suscite pas l’indignation provoquée par la villa Schranz, qui, à mi-chemin avec le Style international, fait figure d’exception à Strasbourg. Alors que les courants les plus avant-gardistes restent à quai, une architecture paquebot locale voit le jour, parfois éloignée de certains canons parisiens, parfois plus proche. En effet, le référent nautique laissé à la libre interprétation de l’architecte et de son client permet finalement une multitude de choix, de l’aspect de la façade aux plans des appartements en passant par la décoration des parties communes. La créativité de l’architecture paquebot s’exprime toutefois davantage en façade qu’à l’intérieur des bâtiments, puisque les appartements conçus, hygiénistes, lumineux et fonctionnels, diffèrent relativement peu du reste de la production de l’époque. Pour terminer, l’inspiration nautique gagne, au même moment, d’autres villes d’Alsace. Si la place accordée à cette production reste généralement plus discrète qu’à Strasbourg, mentionnons tout de même quelques occurrences qui mériteraient une étude approfondie, comme l’hôtel National de Saverne57, l’ensemble 23-25 boulevard de l’Europe par Abel Junker en 1933 à Mulhouse et la Caisse générale de malades de Mulhouse par Henri et Théo Eisenbraun en 1935, dont la façade ressemble fortement au Foyer de la jeune fille achevé un an plus tôt à Strasbourg. À en juger par le traitement similaire de l’angle de l’ensemble 8-10 rue Henry Maret à Metz et de celui de l’immeuble 22 boulevard de la Marne à Strasbourg, des liens se tissent également avec d’autres villes du Grand Est, ce qui annoncerait une étude de l’architecture paquebot à plus grande échelle prometteuse.

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Fig. 1. Vue depuis la terrasse du dernier étage de l’immeuble 8 rue du Travail.

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Fig. 2. Porte d’un appartement de l’immeuble 8 rue du Travail.

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Fig. 3. Immeuble 10 rue du Saint-Gothard de Victor Hommes.

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Fig. 4. Immeuble 2 rue de Bouxwiller d’Eugène Brast.

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Fig. 5. Immeuble 7 rue de Berne de Tim Helmlinger.

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Fig. 6. Immeuble 2 rue du Général Rapp de Tim Helmlinger et Georges Spinner.

1 Philippe Dagen et Françoise Hamon, Histoire de l’art. Époque contemporaine, Paris, Flammarion, 2011, p. 428.

2 Et non « fonctionnelle » comme le fait remarquer François Loyer dans son article « Du voyage en Grèce à la “Charte d’Athènes”, le quatrième congrès

3 Le Corbusier, Vers une architecture, Paris, Flammarion, rééd. 2008, p. 80.

4 Adrian Tinniswood, The Art Deco House, Londres, Watson-Guptill Publications, 2002, p. 168.

5 Patricia Bayer, Art Deco Architecture. Design, Decoration and Detail from the Twenties and Thirties, Londres, Thames & Hudson, 1992, p. 185.

6 L’âge d’or des grands paquebots transatlantiques remonte plutôt à la première décennie du xxe siècle. Voir Paul Atterbury, « Travel, Transport and

7 Hervé Doucet, « Rêve et rationalités, le paquebot comme modèle architectural », dans Christine Peltre (dir.), La croisière, une aventure moderne

8 Pierre Loze, Le style art déco, Paris, Flammarion (coll. « La grammaire des styles »), 1992

9 Pierre Cabanne, Encyclopédie Art déco, Paris, Somogy, 1986, p. 144

10 Gilles Marseille, Urbanisme et architecture domestique de l’Entre-deux-guerres à Nancy et dans son agglomération, thèse de doctorat d’Histoire de l

11 L’ouvrage qui clôture la mission est le suivant : Marie Pottecher, Hervé Doucet et Olivier Haegel (dir.), La Neustadt de Strasbourg. Un laboratoire

12 Citons par exemple le projet Metacult lancé en 2013 et codirigé par Anne-Marie Châtelet et Wolfgang Brönner, qui étudie l’architecture

13 Comme l’exposition de la Cité de l’architecture et du patrimoine « 1925, quand l’Art Déco séduit le monde » en 2013-2014 à Paris, qui a donné l’

14 Voir Simon Texier, « L’architecture Art déco, en quête d’inventaire », ArchiSTORM, n° 78, mai-juin 2016, p. 102-105. Dans le Grand Est, mentionnons

15 C’est là l’ambition de notre thèse de doctorat en cours.

16 L’opération visait à assainir et moderniser le centre-ville en détruisant tous les bâtiments insalubres. L’une des rues les plus emblématiques de

17 Pour un aperçu très complet de son œuvre, voir Jean-Claude Richez, Léon Strauss et François Igersheim, Jacques Peirotes et le socialisme en Alsace

18 Denis Durand De Bousingen, « Le milieu architectural strasbourgeois (1910-1940) », dans Anne-Marie Châtelet et Franck Storne (dir), Des Beaux-Arts

19 Comme dans l’ouvrage de Georges Foessel et Théodore Rieger, Strasbourg, 2000 ans d’art et d’histoire, Strasbourg, Éditions de la Nuée Bleue, 1987.

20 Nous détaillerons ce point infra .

21 Pierre Vago, « Immeuble à Strasbourg », L’Architecture d’Aujourd’hui, 5e année, 4e série, n° 2, mars 1934 pour le 7 quai Rouget de Lisle et L’

22 Léon Aubry, Jean-Jacques Kautz, Gabriel Schmitt, José Senpau, Charles-Michel Siegendaler et Charles Strobel, Strasbourg Neudorf : devant la porte

23 9 rue des Sarcelles à la Meinau, au bord du Rhin Tortu. Voir Marine Lamoulie, Construire en Alsace pendant l’entre-deux-guerres : l’architecte

24 Voici la sélection : 1/ Hôtel de retraite 1 boulevard Leblois, par R. Lehmann, 1933-1935 ; 2/ Immeuble de rapport 1 rue Schumann, par E. Rohmer

25 Nous remercions très chaleureusement toutes les personnes qui ont pris le temps de répondre à notre sollicitation, de nous accueillir et de

26 Les écoles régionales ont été ouvertes après la guerre dans le but de diffuser la même culture architecturale française et donc de réaffirmer l’

27 Jean-Louis Cohen, L’architecture au xxe siècle en France, modernité et continuité, Paris, Éditions Hazan, 2014, p. 68-69.

28 C’est l’immeuble auquel Pierre Vago consacre un article en mars 1934 dans L’Architecture d’Aujourd’hui, 5e année, 4e série, n° 2. Voir Amandine

29 Avec un remplissage en briques.

30 Voir par exemple ses bâtiments 46 rue Erwin (Contades) et 34 rue Gratien (Koenigshoffen).

31 Ses initiales apparaissent sur le socle de la statue.

32 Comme celle du Christian Radich, un bateau norvégien achevé en 1937.

33 Christine Mengin, « L’architecture entre les deux guerres : l’expérimentation de la modernité », dans Gérard Monnier, Christine Mengin et Claude

34 L’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes à Paris en 1925, souvent considérée comme l’apogée du style Art déco. Voir

35 Marc Spieser, « Le décor privé dans la Neustadt », dans M. Pottecher, H. Doucet et O. Haegel (dir.), La Neustadt de Strasbourg..., op. cit., p. 292

36 François Loyer, Paris xixe . L’immeuble et la rue, Paris, Hazan, 1987.

37 Une innovation, puisqu’à l’époque du Reichsland, ces garde-mangers se trouvent dans la cuisine.

38 L’hygiénisme étant l’un des fers de lance de la municipalité strasbourgeoise, la Police du bâtiment veille scrupuleusement à la bonne aération des

39 Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg (désormais AVES), 795 W 18 (Police du bâtiment).

40 Une note du 29 janvier 1937 écrite par la Police du bâtiment fait référence à cela dans le dossier 10 rue du Saint-Gothard (AVES, 735 W 136). Le

41 Selon la désignation de son plan, dans le dossier de la Police du bâtiment (AVES, 934 W 49). En réalité, il s’agit plutôt d’un T1.

42 Notamment la création d’un dictionnaire parShahram Hosseinabadi, « Un dictionnaire des architectes et des entrepreneurs de Strasbourg (1824-1942) »

43 169 professionnels sont en activité en 1935, selon l’annuaire d’adresses de Strasbourg (<https://archives.strasbourg.eu>). Le nombre d’archit

44 Rebaptisée École nationale technique à partir de 1919.

45 Selon l’historique établi par le petit-fils de l’architecte :<https://www.loeb-picard.com/histoire-de-la-famille>.

46 Shelley Hornstein, « Résistance, nation, identité : architecture Art nouveau-Jugendstil à Strasbourg », dans Strasbourg 1900. Naissance d’une

47 Marie Brassart Goerg, « Réhabilitation d’une villa des années 30 », Dernières Nouvelles d’Alsace, n° 185, 8 août 1990.

48 Marine Lamoulie émet l’hypothèse dans son mémoire que la Villa Schranz est inspirée de la construction de Hans Scharoun pour l’exposition de

49 Courrier de Tim Helmlinger à son frère Edouard Helmlinger datée du 17 juin 1933, archives de M. Wilfred Helmlinger.

50 Déjà en vogue dans la Neustadt comme nous pouvons le constater sur le plan d’étages de l’immeuble 19a avenue de la Paix, établi par Berninger et

51 Dans une lettre à la mairie datée du 15 mars 1937, Théo Berst explique notamment que « Les prix de la construction ont durant la dernière année

52 Souvent entre membres d’une même famille ou d’un même réseau.

53 AVES, 795 W 18, Lettre de Théo Berst en date du 15 mars 1937.

54 Ils construisent le gros-œuvre de la maison à leurs frais puis la revendent en décembre 1937 (AVES, 684 W 104).

55 Il commande l’immeuble 14 avenue Jean-Jaurès.

56 Il avait conçu quelques années auparavant l’immeuble 22 boulevard de la Marne.

57 Localisé 2 Grand Rue et daté de 1939, selon le site internet de l’hôtel :<https://www.hrs.com/fr/hotel/hotel-national/a-539760>.

Notes

1 Philippe Dagen et Françoise Hamon, Histoire de l’art. Époque contemporaine, Paris, Flammarion, 2011, p. 428.

2 Et non « fonctionnelle » comme le fait remarquer François Loyer dans son article « Du voyage en Grèce à la “Charte d’Athènes”, le quatrième congrès international d’architecture moderne (1933) », dans Sophie Basch et Alexandre Farnoux (dir.), Le Voyage en Grèce 1934-1939. Du périodique de tourisme à la revue artistique, Actes du colloque international organisé à l’École française d’Athènes et à la fondation Vassilis et Eliza Goulandris à Andros (23-26 septembre 2004), Paris, De Boccard Édition, 2006, p. 18.

3 Le Corbusier, Vers une architecture, Paris, Flammarion, rééd. 2008, p. 80.

4 Adrian Tinniswood, The Art Deco House, Londres, Watson-Guptill Publications, 2002, p. 168.

5 Patricia Bayer, Art Deco Architecture. Design, Decoration and Detail from the Twenties and Thirties, Londres, Thames & Hudson, 1992, p. 185.

6 L’âge d’or des grands paquebots transatlantiques remonte plutôt à la première décennie du xxe siècle. Voir Paul Atterbury, « Travel, Transport and Art Deco », dans Charlotte Benton, Tim Benton et Ghislaine Wood, Art Deco 1910-1930, Londres, V&A Publishing, 2015, p. 319.

7 Hervé Doucet, « Rêve et rationalités, le paquebot comme modèle architectural », dans Christine Peltre (dir.), La croisière, une aventure moderne, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2018 (à paraître).

8 Pierre Loze, Le style art déco, Paris, Flammarion (coll. « La grammaire des styles »), 1992

9 Pierre Cabanne, Encyclopédie Art déco, Paris, Somogy, 1986, p. 144

10 Gilles Marseille, Urbanisme et architecture domestique de l’Entre-deux-guerres à Nancy et dans son agglomération, thèse de doctorat d’Histoire de l’art sous la direction de Pierre Sesmat et Jean-Baptiste Minnaert, Université de Lorraine, 2013, t. I, p. 197.

11 L’ouvrage qui clôture la mission est le suivant : Marie Pottecher, Hervé Doucet et Olivier Haegel (dir.), La Neustadt de Strasbourg. Un laboratoire urbain (1871-1930), Lyon, Éditions Lieux Dits, 2017.

12 Citons par exemple le projet Metacult lancé en 2013 et codirigé par Anne-Marie Châtelet et Wolfgang Brönner, qui étudie l’architecture strasbourgeoise entre 1830 et 1940, mais aussi de nombreux travaux universitaires, monographiques ou thématiques, comme le mémoire de maîtrise de Stéphane Hugel, Les manifestations du modernisme architectural. Strasbourg 1929-1939. L’exemple de l’immeuble de rapport, mené sous la direction de Laurent Baridon, Strasbourg II, 1995, ou plus récemment la thèse de doctorat de Gauthier Bolle, Un acteur de la scène professionnelle des Trente Glorieuses, de la Reconstruction aux grands ensembles : l’architecte alsacien Charles-Gustave Stoskopf (1907-2004), sous la direction d’Anne-Marie Châtelet, Université de Strasbourg, 2014.

13 Comme l’exposition de la Cité de l’architecture et du patrimoine « 1925, quand l’Art Déco séduit le monde » en 2013-2014 à Paris, qui a donné l’impulsion à d’autres villes comme Saint-Quentin en 2016.

14 Voir Simon Texier, « L’architecture Art déco, en quête d’inventaire », ArchiSTORM, n° 78, mai-juin 2016, p. 102-105. Dans le Grand Est, mentionnons les travaux de Gilles Marseille sur Nancy ainsi que ceux menés à propos de Metz, notamment Metz au temps de l’Art déco, 1919-1939, par Christiane Massel, Pierre Maurer et Christiane Pignon-Feller, Ars-sur-Moselle, Serge Domini Éditeur, 2016.

15 C’est là l’ambition de notre thèse de doctorat en cours.

16 L’opération visait à assainir et moderniser le centre-ville en détruisant tous les bâtiments insalubres. L’une des rues les plus emblématiques de ce vaste chantier est celle du 22 novembre.

17 Pour un aperçu très complet de son œuvre, voir Jean-Claude Richez, Léon Strauss et François Igersheim, Jacques Peirotes et le socialisme en Alsace 1869-1935, Strasbourg, BF Éditions, 1989.

18 Denis Durand De Bousingen, « Le milieu architectural strasbourgeois (1910-1940) », dans Anne-Marie Châtelet et Franck Storne (dir), Des Beaux-Arts à l’Université. Enseigner l’architecture à Strasbourg, vol. 1, Histoire et mémoires, Paris-Strasbourg, Éditions Recherches-École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, 2013, p. 165.

19 Comme dans l’ouvrage de Georges Foessel et Théodore Rieger, Strasbourg, 2000 ans d’art et d’histoire, Strasbourg, Éditions de la Nuée Bleue, 1987.

20 Nous détaillerons ce point infra .

21 Pierre Vago, « Immeuble à Strasbourg », L’Architecture d’Aujourd’hui, 5e année, 4e série, n° 2, mars 1934 pour le 7 quai Rouget de Lisle et L’Architecture d’Aujourd’hui, 5e année, 5e série, n° 3, mars 1935, page 20 pour le Foyer de la jeune fille.

22 Léon Aubry, Jean-Jacques Kautz, Gabriel Schmitt, José Senpau, Charles-Michel Siegendaler et Charles Strobel, Strasbourg Neudorf : devant la porte des Bouchers, Strasbourg, Éditions Coprur, 2000.

23 9 rue des Sarcelles à la Meinau, au bord du Rhin Tortu. Voir Marine Lamoulie, Construire en Alsace pendant l’entre-deux-guerres : l’architecte Jules-Pierre Haas (1905-1991), mémoire de Master II, sous la direction d’Hervé Doucet, Université de Strasbourg, 2016.

24 Voici la sélection : 1/ Hôtel de retraite 1 boulevard Leblois, par R. Lehmann, 1933-1935 ; 2/ Immeuble de rapport 1 rue Schumann, par E. Rohmer, 1936-1937 (visité) ; 3/ Immeuble de rapport 2 rue de Bouxwiller par E. Brast, 1935-1936 (visité) ; 4/ Immeuble de rapport 2 rue de Soleure par E. Rohmer, 1935-1936 (visité) ; 5/ Immeuble de rapport 2 rue du Général Rapp, par T. Helmlinger et G. Spinner, 1935-1936 (visité) ; 6/ Immeuble de rapport 5 rue du Travail, par C. Hunzinger, 1934 ; 7/ Immeuble de rapport 6 boulevard de la Marne, par F. Ihl et E. Picard, 1932-1933 ; 8/ Immeuble de rapport 6 rue de Berne, par E. Rohmer, 1936-1937 (visité) ; 9/ Immeuble de rapport 7 quai Rouget de Lisle, par T. Helmlinger, 1932-1933 (visité) ; 10/ Immeuble de rapport 7 rue de Berne, par T. Helmlinger (visité) ; 11/ Foyer de la jeune fille, 8 rue de Soleure, par J. Sorg, 1932-1934 ; 12/ Immeuble de rapport 8 rue du Travail, par E. Misbach, 1933-1934 (visité) ; 13/ Villa 9 rue des Sarcelles, par J.-P. Haas, 1933-1935 ; 14/ Immeuble de rapport 10 rue des Orphelins, par E. Rohmer, 1935-1936 (visité) ; 15/ Immeuble de rapport 10 rue du Saint-Gothard, par V. Hommes, 1937 (visité) ; 16/ Immeuble de rapport 10 rue Jacques Peirotes, par L. Hiss, 1938-1939 ; 17/ Maison bi-famille 12 rue du Schnokeloch, par J. et E. Schwab, 1936-1937 ; 18/ Immeuble de rapport, 13A boulevard de Lyon, par A. Strohmenger, 1936-1937 ; 19/ Immeuble de rapport, 14 avenue Jean-Jaurès, par A. Strohmenger, 1937-1938 ; 20/ Immeuble de rapport 15 rue Jacques Peirotes, par T. Helmlinger, 1935-1936(visité) ; 21/ Immeuble de rapport 16 avenue de la Paix, par T. Berst, 1937-1938 ; 22/ Immeuble de rapport 19 rue Daniel Hirtz, par J. et E. Schwab, 1937-1938 ; 23/ Immeuble de rapport 22 boulevard de la Marne, par A. Stockinger, 1934 (visité) ; 24/ Immeuble de rapport 22 rue du Général Rapp, par T. Helmlinger, 1931-1932 ; 25/ Immeuble de rapport 26 avenue Jean-Jaurès, par A. Stockinger, 1937-1938.

25 Nous remercions très chaleureusement toutes les personnes qui ont pris le temps de répondre à notre sollicitation, de nous accueillir et de partager souvenirs, anecdotes et documents d’époque lorsqu’elles en avaient : merci à Yvette Andres, Cyril Bonnet, Thibaud Desmergers, Martine Dumoulin, Roland et Marie-José Faerber, Michel Gantier, Sébastien Geissert , Isabelle Gillot, Thomas Graff et Jennifer Bineau, Cécile Le Divenah et Laurent Manzoni, Quentin Lorber, Lucile Margraff, François Nowakowski, Léna Sixdenier, Nathalie Thomas et la société Stratégie et gestion publiques par l’entremise d’Annabelle Landier.

26 Les écoles régionales ont été ouvertes après la guerre dans le but de diffuser la même culture architecturale française et donc de réaffirmer l’unité du pays. Voir Anne-Marie Châtelet, « L’Ecole régionale d’architecture de Strasbourg (1921-1965) », dans A.-M. Châtelet et F. Storne (dir), Des Beaux-Arts à l’Université..., op. cit., p. 22.

27 Jean-Louis Cohen, L’architecture au xxe siècle en France, modernité et continuité, Paris, Éditions Hazan, 2014, p. 68-69.

28 C’est l’immeuble auquel Pierre Vago consacre un article en mars 1934 dans L’Architecture d’Aujourd’hui, 5e année, 4e série, n° 2. Voir Amandine Clodi, La production architecturale de Tim Helmlinger (1901-1952) dans les années 1930 à Strasbourg, mémoire de Master II sous la direction d’Hervé Doucet, Université de Strasbourg, 2015, pages 45-46.

29 Avec un remplissage en briques.

30 Voir par exemple ses bâtiments 46 rue Erwin (Contades) et 34 rue Gratien (Koenigshoffen).

31 Ses initiales apparaissent sur le socle de la statue.

32 Comme celle du Christian Radich, un bateau norvégien achevé en 1937.

33 Christine Mengin, « L’architecture entre les deux guerres : l’expérimentation de la modernité », dans Gérard Monnier, Christine Mengin et Claude Loupiac (dir.), L’architecture moderne en France, t. 1, 1889-1940, Paris, Picard Éditeur, 1997.

34 L’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes à Paris en 1925, souvent considérée comme l’apogée du style Art déco. Voir Emmanuel Bréon et Philippe Rivoirard (dir.), 1925. Quand l’Art Déco séduit le monde, Paris, Éditions Norma, 2013.

35 Marc Spieser, « Le décor privé dans la Neustadt », dans M. Pottecher, H. Doucet et O. Haegel (dir.), La Neustadt de Strasbourg..., op. cit., p. 292.

36 François Loyer, Paris xixe . L’immeuble et la rue, Paris, Hazan, 1987.

37 Une innovation, puisqu’à l’époque du Reichsland, ces garde-mangers se trouvent dans la cuisine.

38 L’hygiénisme étant l’un des fers de lance de la municipalité strasbourgeoise, la Police du bâtiment veille scrupuleusement à la bonne aération des pièces.

39 Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg (désormais AVES), 795 W 18 (Police du bâtiment).

40 Une note du 29 janvier 1937 écrite par la Police du bâtiment fait référence à cela dans le dossier 10 rue du Saint-Gothard (AVES, 735 W 136). Le nombre de logements par palier dans l’immeuble passe exceptionnellement à six, au lieu des quatre normalement autorisés.

41 Selon la désignation de son plan, dans le dossier de la Police du bâtiment (AVES, 934 W 49). En réalité, il s’agit plutôt d’un T1.

42 Notamment la création d’un dictionnaire parShahram Hosseinabadi, « Un dictionnaire des architectes et des entrepreneurs de Strasbourg (1824-1942) », Metacult, cahier n° 5, février 2016, p. 4-19.

43 169 professionnels sont en activité en 1935, selon l’annuaire d’adresses de Strasbourg (<https://archives.strasbourg.eu>). Le nombre d’architectes actifs à Strasbourg ne cesse d’augmenter au cours de la décennie.

44 Rebaptisée École nationale technique à partir de 1919.

45 Selon l’historique établi par le petit-fils de l’architecte :<https://www.loeb-picard.com/histoire-de-la-famille>.

46 Shelley Hornstein, « Résistance, nation, identité : architecture Art nouveau-Jugendstil à Strasbourg », dans Strasbourg 1900. Naissance d’une capitale, Paris-Strasbourg, Somogy-Musées de Strasbourg, 2000, p. 225-231.

47 Marie Brassart Goerg, « Réhabilitation d’une villa des années 30 », Dernières Nouvelles d’Alsace, n° 185, 8 août 1990.

48 Marine Lamoulie émet l’hypothèse dans son mémoire que la Villa Schranz est inspirée de la construction de Hans Scharoun pour l’exposition de Stuttgart. Voir M. Lamoulie, Construire en Alsace..., op. cit, p. 43.

49 Courrier de Tim Helmlinger à son frère Edouard Helmlinger datée du 17 juin 1933, archives de M. Wilfred Helmlinger.

50 Déjà en vogue dans la Neustadt comme nous pouvons le constater sur le plan d’étages de l’immeuble 19a avenue de la Paix, établi par Berninger et Krafft (1904) et reproduit page 81 de l’article d’Olivier Haegel et Hervé Doucet, « Du paysage urbain au foyer confortable, un essai de synthèse de l’immeuble strasbourgeois », dans Dominique Cassaz et Sophie Eberhardt (dir.), Strasbourg, de la Grande-Île à la Neustadt, un patrimoine urbain exceptionnel, Lyon, Éditions Lieux Dits, 2013, p. 78-85.

51 Dans une lettre à la mairie datée du 15 mars 1937, Théo Berst explique notamment que « Les prix de la construction ont durant la dernière année augmenté de 40 à 50 % » (AVES, 795 W 18).

52 Souvent entre membres d’une même famille ou d’un même réseau.

53 AVES, 795 W 18, Lettre de Théo Berst en date du 15 mars 1937.

54 Ils construisent le gros-œuvre de la maison à leurs frais puis la revendent en décembre 1937 (AVES, 684 W 104).

55 Il commande l’immeuble 14 avenue Jean-Jaurès.

56 Il avait conçu quelques années auparavant l’immeuble 22 boulevard de la Marne.

57 Localisé 2 Grand Rue et daté de 1939, selon le site internet de l’hôtel :<https://www.hrs.com/fr/hotel/hotel-national/a-539760>.

Illustrations

Fig. 1. Vue depuis la terrasse du dernier étage de l’immeuble 8 rue du Travail.

Fig. 2. Porte d’un appartement de l’immeuble 8 rue du Travail.

Fig. 3. Immeuble 10 rue du Saint-Gothard de Victor Hommes.

Fig. 4. Immeuble 2 rue de Bouxwiller d’Eugène Brast.

Fig. 5. Immeuble 7 rue de Berne de Tim Helmlinger.

Fig. 6. Immeuble 2 rue du Général Rapp de Tim Helmlinger et Georges Spinner.

Citer cet article

Référence papier

Amandine Clodi, « L’architecture paquebot à Strasbourg. Une traversée au cœur de la modernité des années 1930 », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 12 | 2018, 87-108.

Référence électronique

Amandine Clodi, « L’architecture paquebot à Strasbourg. Une traversée au cœur de la modernité des années 1930 », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 12 | 2018, mis en ligne le 06 juillet 2023, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=227

Auteur

Amandine Clodi

Amandine Clodi est doctorante à l’université de strasbourg (ARCHE-EA 3400, ED519 SHS-PE).

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