« L’amour est une émotion de l’âme causée par les mouvements des esprits, qui l’incite à se joindre de volonté aux objets qui paraissent lui être convenables. »
René Descartes1
« Et il s’en alla de là, et trouva Jonadab, fils de Récab, qui venait à sa rencontre ; et il le salua, et lui dit : Ton cœur est-il droit comme mon cœur l’est à l’égard de ton cœur ? Et Jonadab dit : Il l’est. – S’il l’est, donne-moi ta main. – Et il lui donna sa main, et [Jéhu] le fit monter auprès de lui dans le char, et dit : Viens avec moi, et vois mon zèle pour l’Éternel. » (Rois, II, 10 : 15). Cette évocation, dans la Bible, de la puissance symbolique du geste, fait partie des nombreuses sources mentionnées par Juan Caramuel, dans sa Chirologie, en 1679. Philosophe, linguiste, théologien et mathématicien d’origine espagnole, Caramuel réunit ses travaux sur le langage des mains dans l’articulus XXI du tome I de Trismegistus theologicus, latine ter-maximus, ouvrage qui traite de l’éloquence2. D’après lui, l’homme exprime infiniment plus de choses à l’aide de son corps que par le discours, en commençant par le dernier cheveu de la tête et en allant jusqu’aux pieds. Dans le chapitre concernant les mains, dont le titre, « chirologie », figure en lettres grecques, il établit tout un lexique de configurations auxquelles il tente d’attribuer des sens précis, ainsi que de définir leurs origines et leurs usages. Parmi elles, on découvre le dare alicui manum. Afin d’éclairer les significations de ce geste dans lequel deux personnes se donnent les mains droites, le chirologue3 s’appuie sur différentes sources textuelles, comme le passage vétérotestamentaire que nous avons déjà cité, mais aussi des extraits de l’Énéide de Virgile. Caramuel explique la prédominance symbolique de la main droite en disant qu’elle incarne la vie céleste et éternelle, contrairement à sa compagne inféodée qui signifie la vie mortelle et caduque4. L’auteur rapporte que le geste n’a rien perdu de sa valeur antique. Chez les peuples germaniques du xviie siècle, la poignée de main avait une valeur de promesse inviolable et quiconque transgressait cette parole donnée était considéré comme infâme. En visitant quelques monastères de Bavière, Caramuel avait pu s’entretenir avec un prieur de Furstenvelden. Celui-ci lui avait raconté qu’une noble et illustre personnalité s’était confessée auprès de lui, en dévoilant un crime sordide. Suite à l’absolution, le repentant avait demandé au prieur la ferme promesse de garder le secret. Le père s’était mis alors à exposer devant son interlocuteur les règles canoniques du silence, avec les censures et les peines que leur violation pourrait entraîner. Le noble, ayant écouté attentivement tout ce discours, avait tout de même conclu en disant : « Mais pour que je puisse m’en aller tranquillement, donne-moi la main5 ».
La sincérité et la fidélité, mais aussi le pacte politique et avant tout l’établissement de la paix sont les connotations du geste des mains unies vers lesquelles nous amène Juan Caramuel, en fin connaisseur de l’éloquence corporelle et de son enracinement culturel. Nous voudrions questionner les usages iconographiques de ce symbole gestuel, en particulier au sein de l’art français des xviie et xviiie siècles. Le fond théorique sur lequel se base l’étude des gestes dépasse bien entendu les frontières de la France, et pour cette raison nous allons faire appel à d’autres auteurs qui, comme Caramuel, s’inscrivent dans la culture européenne classique et contribuent au développement du savoir sur les potentiels éloquents du corps. Il convient également de proposer un regard sommaire sur la tradition iconographique du geste, avant de s’intéresser à ses particularités pendant le xviie et le xviiie siècle. Nous voudrions élargir l’analyse de ce motif en observant plus généralement le contact des mains des personnages dans les arts, c’est-à-dire non seulement l’union des droites mais aussi les cas où ce sont les mains gauches qui sont réunies ou encore la main gauche avec la droite. Cela nous amènera en effet vers des champs sémantiques plus variés que ceux de la dextrarum junctio classique – ouverture nécessaire, si l’on veut bien saisir les usages du geste, en ce qui concerne le xviiie siècle.
Histoire des mains unies : de l’art funéraire à l’idéal de bienséance
Joindre sa main à celle d’autrui est un acte qui valide les promesses, scelle les contrats et couronne l’union conjugale. Le serment de fidélité annoncé par les mots s’affirme par une jonction corporelle, consolidant le lien entre deux personnes. Dans la Grèce antique, lorsque la mort impose la séparation des êtres, le recours à la représentation du geste des mains unies permet d’inscrire les vivants et les disparus dans le même espace-temps, afin de reconstituer le lien brisé et de garder à jamais le défunt dans le cercle familial. Le nom grec du geste est dexiôsis. Il exprime l’affectivité et la solidarité dans les monuments funéraires6. Ces sentiments obéissent au concept de philotès, ou amour qui unit les époux et les proches. Symbole d’union, d’adieu ou de salutation, la jonction des mains entre deux époux, dans les reliefs funéraires, peut aussi, d’après Karen Stears7, impliquer l’idée d’une certaine égalité entre l’homme et la femme au sein du foyer familial. Égalité relative bien entendu, nuancée : sur les scènes de procession de mariage, le marié saisit généralement sa future épouse par le poignet, instaurant ainsi un rapport de domination8. Nous pouvons d’ailleurs observer cette même attitude dans l’art sumérien. Une statue en ronde-bosse provenant de Mari et datant de la première moitié du IIIème millénaire représente un couple assis, où l’homme tient de sa main gauche le poignet droit de sa femme (Musée national d’Alep, Syrie). Dans l’art grec, il n’est pas courant de serrer les mains des enfants ; de toute évidence, le geste des mains unies est plutôt réservé à des personnes qui ont un statut comparable. Le geste pourrait être révélateur de la position sociale effective de la femme, au sein de certains foyers. Mais il est aussi permis d’y voir une représentation idéalisée des rapports conjugaux9.
Un second usage de ce signe gestuel concerne l’expression d’une solidarité civique et politique, et peut suggérer la possibilité d’un statut interchangeable ou permettre une transmission de forces et de pouvoirs10. Le dexiôsis apparaît ainsi sur des décrets ou des reliefs de traités où il marque l’union de deux partenaires égaux11.
La version romaine du geste est connue sous le nom de dextrarum junctio. Il peut indiquer l’acte par lequel le vaincu se remet au vainqueur ; un pacte politique, un engagement d’hospitalité ou un serment ; la concordia (« accord », « entente », « harmonie ») ou la fides (« foi », « confiance ») entre les époux12. La jonction est obligatoirement celle des deux mains droites. Pline, dans l’Histoire naturelle, et Servius, dans l’Ad Aen, expliquent que chaque partie du corps est liée à une divinité propre : l’oreille à Memoria, le front à Genius, les genoux à Misericordia et la main droite à Fides13. Nous retrouvons le geste dans le rituel du mariage romain où plusieurs étapes se succèdent : prise des auspices, sacrifice nuptial de vin ou d’encens, lecture du consentement, signature, étreinte des mains droites sous la protection d’une divinité qui garantit le mariage, dea pronuba ou deus pronubus. Il s’agit le plus souvent de Junon, mais parfois également de Vénus ou d’une autre divinité. Sur les pièces de monnaie, à partir d’Hadrien, le concept de Concordia renvoie aussi à l’idée d’harmonie de l’univers et des fondements de l’Empire. Le mariage impérial, par excellence, sera l’expression même de la concorde, la notion de Fides ou « foi jurée » caractérisant alors l’harmonie entre les cités14. Le contexte militaire, plutôt que conjugal, est d’ailleurs celui où la dextrarum junctio apparaît le plus fréquemment, dans l’art romain15 : l’objectif de cette iconographie était d’expliciter l’importance de l’union militaire comme condition de la paix civile. Christopher Walter exprime même des doutes à propos de la présence du geste au cœur de la cérémonie nuptiale romaine ; il voit dans cette attitude plutôt un signe iconographique symbolisant l’union en général16.
En revanche, les historiens s’accordent sur la jonction des mains comme étape constitutive du mariage chrétien. Le geste est exécuté dans les trois grandes périodes de l’histoire de la cérémonie nuptiale chrétienne : avant le xie siècle, où elle se déroule à la maison ; après le xie siècle, quand le rituel se déplace devant l’église ; puis, à partir du xviie siècle, à l’intérieur de celle-ci. La jonction des mains est en usage dans toute la chrétienté occidentale : Espagne, Italie, Allemagne, Pologne, Pays-Bas, Scandinavie, Angleterre. Elle intervient au moment de la remise de la jeune fille à son futur époux, fait mentionné dans les textes par l’expression tradit puellam. Au départ, c’est le père qui dépose la main droite de sa fille dans celle du futur époux, et à partir du xiiie siècle, en France, il la donne au prêtre, qui devient désormais le iunctor et se charge de réunir les mains des deux fiancés17. Dans la peinture, nous pouvons observer la dextrarum junctio présidée par le prêtre dans les représentations du Mariage de la Vierge. Elle alterne avec un autre geste dans lequel Joseph pose l’alliance dans la main de Marie.
Le motif des deux mains réunies se retrouve aussi sur de nombreuses médailles de la Renaissance, comme symbole de la parole donnée, d’un pacte conclu ou à conclure18. Parmi les imprimeurs dont la marque montre deux mains unies comme un gage de bonne foi, il faudrait citer : Guy Marchant, Claude Micard, Thomas Richard, les Wechel, les Bering, Martin Lempereur. Guy de Tervarent fait également référence à une œuvre conservée au Musée
Communal de Bruxelles et attribuée à Hubert Goltzius. Elle représente une femme qui tient une balance : aux deux mains unies dans un plateau, s’oppose une simple plume dans l’autre, qui, à elle seule, fait pencher la balance. Il s’agit de l’image du peu de poids des serments19. Dans un sens religieux, notre motif peut enfin symboliser conjointement la Foi et la Charité. La marque de
Pierre Madrigal, imprimeur à Madrid, montre deux mains unies avec les mots « FIDES QUAE PER CHARITATEM OPERATUR », la foi qui agit par la charité20.
Tournons-nous à présent vers certains textes théoriques des xviie et xviiie siècles, qui, comme celui de Juan Caramuel, mentionnent le geste des mains jointes et lui accordent une signification précise, en lien avec leur domaine propre. Ces textes confirment les pratiques et les exemples iconographiques que nous avons énumérés jusqu’ici et ils occasionneront quelques réflexions supplémentaires sur la nature du geste et sur les possibles raisons de son champ sémantique stable à travers le temps. Si serrer la main droite d’autrui signifie la foi, l’amitié et la paix, c’est parce qu’en se joignant, les membres montrent ce que les âmes devraient faire, nous explique Giovanni Bonifacio dans son ouvrage sur les signes ; il rappelle aussi l’emploi juridique du dextrarum pour la concorde et la paix, ainsi que son apparition fréquente dans les médailles20. André Alciat explique dans ses Emblèmes la puissance de ce signe de serment et de promesse, qui oblige à tenir sa parole, sans quoi l’on serait considéré comme lâche et indigne de vivre. Sur la vignette du symbole « Foy de femme », un homme met sa main droite par-dessus la main gauche de la femme qui, de son côté, pose sa main droite sur son ventre (fig. 1). Il s’agit de la foi du mariage d’après Alciat21. L’auteur ajoute que les Anciens se touchaient la main en signe de paix et les Latins disaient « se joindre les droites22 ». C’est le symbole de tout temps des amitiés et des confréries23. John Bulwer nomme cet acte le Reconcileo gestus dans sa Chirologia de 1644 (fig. 2). Il incarne, d’après lui, l’amitié, l’amour paisible, la bienveillance, la salutation, le divertissement, les souhaits de bienvenue, la réconciliation, les félicitations, les remerciements, les adieux et les sympathies. L’auteur nomme ce geste une « déclaration d’amour de la main », qui exprime le partage des biens et la réjouissance mutuelle des possessions en commun qui s’ensuivent. La main, nous dit Bulwer, est la langue de la bienveillance. L’esprit humain ressent le besoin naturel de donner une forme symbolique à ses émois. À l’origine de cette pratique, se trouve la sympathie entre la main et la volonté, qui provoque le mouvement vers l’avant et la manifestation extérieure des agitations internes. Cet instrument général de l’esprit qu’est la main est doté d’un appétit courtois de rapprochement avec les autres24. En 1721, dans son traité sur les signes, Alphonse Costadau attribue toujours à l’acte de se serrer les mains les mêmes connotations : la démonstration de l’amitié, de la bienveillance ou de l’accord de paix. Costadau désigne aussi le toucher des mains comme marquant la nature inviolable de la convention et le vœu de fidélité dans les contrats. Selon lui, la main droite est privilégiée parce que les Anciens la considéraient comme sacrée ; il n’était pas permis de rompre ce qu’elle avait confirmé et autorisé25.
Les règles de bienséance et de savoir-vivre prennent également en compte le geste auquel nous nous intéressons, en faisant de lui une composante habile de la vie sociale. Jean-Baptiste de la Salle précise que la jonction des mains est réservée aux rapports d’étroite amitié, incarnant la bienveillance et la familiarité ; tendre sa main à une personne supérieure serait en revanche un acte d’incivilité26. Nous retrouvons ici les idées d’égalité entre les deux acteurs de la dextrarum junctio, qui étaient suggérées dans le cadre de l’union conjugale et des pactes politiques et civiques durant l’Antiquité. Herman Roodenburg attire l’attention sur le fait qu’aux Pays-Bas, le geste de se serrer les mains n’a pas une connotation de salutation avant le xixe siècle et qu’il n’apparaît pas dans les ouvrages de bienséance27. Dans d’autres pays comme l’Angleterre et la France, la situation est différente. Nous avons vu que John Bulwer mentionne la salutation parmi les nombreuses significations du geste au xviie siècle, et que Jean-Baptiste de La Salle l’aborde dans son traité du savoir-vivre au début du xviiie siècle. Mais l’étude de Roodenburg met en avant l’usage du geste aux Pays-Bas en tant que rituel populaire de réconciliation lors de conflits dans les quartiers des villes néerlandaises et souligne une fois de plus le statut juridique du dextrarum.
Enfin, finissons ce bref aperçu diachronique avec Johann Jacob Engel et ses lettres sur l’action théâtrale. D’après lui, joindre sa main à celle d’autrui est le premier exemple de l’amitié, les degrés suivants étant l’embrassade et le baiser. Le choix entre les trois est conditionné par l’appartenance sociale et n’est pas obligatoirement le reflet fidèle de la profondeur des sentiments. Concernant l’expression des ruraux, Engel écrit : « L’amitié ne [leur] commande qu’un serrement de main ; mais come c’est l’expression du cœur, il est aussi plein de force, d’énergie & de chaleur28 ». Dans tous les cas, l’amitié incite naturellement à s’unir et les gestes qui en découlent illustrent ce mouvement vers l’autre.
Maintenant que nous avons donné un aperçu des principales caractéristiques et contextes d’emploi des mains réunies – précédents iconographiques ainsi qu’écrits théoriques –, nous voudrions observer de quelle manière les peintres du xviie et du xviiie siècle ont montré et mis en valeur cette jonction corporelle. Nous verrons comment ils ont, à leur tour, développé les thèmes de l’égalité et de la hiérarchie des rapports humains : ce qui, entre les hommes, fait lien social, constitue contrat. Ce faisant, nous observerons dans quelle mesure la règle des deux droites a été strictement respectée et quels sont les sujets qui ont pu favoriser d’autres variations sur le motif du contact des mains. Les œuvres reposent souvent sur un système d’interaction de différents signes gestuels, combinant, aux mains réunies, d’autres configurations. De sorte qu’on pourra constater peu à peu un glissement, depuis la symbolique contractuelle, où s’ancre ce geste du toucher mutuel, jusqu’à d’autres significations, moins obvies, où l’harmonie et l’amour, entre les protagonistes, se teintera d’une intimité plus profonde encore.
Alliances politiques et conjugales : le geste vaut contrat
Notons d’abord l’usage allégorique et politique de la dextrarum junctio. Charles Le Brun est connu pour son engagement artistique dans la juste représentation des affects, par l’adaptation correcte des expressions faciales, des gestes et des postures. Un certain nombre de règles, dans la Méthode pour apprendre à dessiner les passions29, seront ainsi prescrites à propos des mains, auxquelles on demande de prolonger, appuyer et approfondir le langage de la face. Dans le décor de la voûte de la Galerie des Glaces à Versailles, réalisé entre 1679 et 1685, le peintre applique sa méthode des passions en particulier pour les quatre allégories des émotions : la Colère, l’Ambition, l’Envie et la Discorde, mais aussi pour l’ensemble des scènes historiques qui s’y trouvent. Dans ce contexte, nous rencontrons l’usage de la dextrarum junctio à deux reprises. Elle est employée de manière symétrique dans les deux compositions de forme ovale qui se situent de part et d’autre de la Sûreté de la ville de Paris. La première représente le Renouvellement d’alliance avec les Suisses. Il s’agit du traité de Soleure signé en 1663. La dextrarum junctio traditionnelle, avec les deux mains droites, figure aussi sur le dessin préparatoire30 de cette œuvre (Musée du Louvre), où les bras un peu raides dessinent un long trait d’union entre les deux parties dans une attitude solennelle qui souligne la fiabilité de l’alliance. Par leur configuration, les mains évoquent un sceau. Dans l’œuvre finale la différence de hauteur entre l’allégorie de la France et l’ambassadeur suisse est beaucoup plus marquée que dans le dessin, ce qui rend la ligne des bras légèrement oblique et compromet en quelque sorte le statut d’égalité que sous-entend le dextrarum. C’est précisément à quoi Le Brun et son atelier ont été attentifs : compenser le rôle égalitaire du geste, en créant cette sensation apparente d’une supériorité de l’allégorie de la France.
La seconde scène a pour titre la Jonction des deux mers. Cette fois-ci, les mains incarnent le lien entre la Méditerranée et l’Océan atlantique grâce à la construction du canal du Midi entre 1667 et 1681 par Pierre-Paul Riquet. Dans le dessin préparatoire31 (Musée du Louvre), ce mariage symbolique s’effectue sous la protection d’un troisième personnage – l’allégorie de la France, comme figure médiatrice de l’union, une idée que Le Brun abandonnera, dans l’œuvre finale. En revanche, dans cette peinture apparaîtra une variation sur la dextrarum junctio très originale et qui, absente du dessin préparatoire, mérite attention. La main de la personnification de la Méditerranée ne se moule pas complètement sur celle de son interlocuteur, mais pointe l’index vers le bas. C’est le cas aussi de sa main gauche, placée en arrière, qui redouble le mouvement. Nous avons là un premier exemple d’imbrication d’autres signes au cœur de la poignée de mains en une configuration allégorique complexe, et certainement intentionnelle (même si, en l’occurrence, celle-ci se dérobe pour l’instant à notre compréhension).
Concernant l’usage allégorique des mains réunies, notons un autre exemple fameux, L’union de la terre et de l’eau de Rubens (Alte Pinakothek, Munich), qui figure la personnification de la ville d’Anvers traversée par le fleuve Escaut. Les mains gauches des personnages se superposent dans un geste tendre, tandis que leurs regards s’unissent amoureusement, sous la bienveillance de la déesse de la Concorde, reconnaissable à sa guirlande de fleurs et de fruits. L’utilisation des deux mains gauches peut surprendre, mais elle n’est pas sans précédent. Dans les Métamorphoses d’Apulée (XI), il est dit que la main gauche, plus que la droite, symbolise la justice, précisément parce qu’elle est moins agissante, moins souple, et qu’elle est dénuée d’adresse. Sur les marques de Jean Loys et de Thomas Richard, imprimeurs parisiens du xvie siècle, nous voyons des mains gauches réunies32.
En 1670, dans son morceau de réception à l’Académie, Jacques Friquet de Vauroze représente le roi tenant de sa main droite la main gauche de l’allégorie de la Paix et l’amenant au peuple d’Europe (École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris). C’est là une variation des mains unies qui n’implique pas le canon classique des deux droites, mais qui peut s’inscrire parfaitement dans le symbolisme romain du geste que nous avons parcouru, où il est considéré que la fidélité à l’empereur procurera la paix.
Mais penchons-nous à présent sur la représentation du rituel chrétien du mariage, orchestré autour de la dextrarum junctio, à travers les œuvres de Nicolas Poussin et de Philippe de Champaigne. Les deux principaux mécènes de Poussin, Cassiano dal Pozzo et Paul Fréart de Chantelou sont à l’origine des deux versions du Mariage de la Vierge, l’une conservée à Londres, la seconde à Édimbourg. Elles s’inscrivent dans le projet des Sacrements, réalisés d’abord pour dal Pozzo, entre 1636 et 1642. Rarement traité à l’époque en Italie, ce thème a amené Poussin à étudier les anciennes pratiques chrétiennes, dans une quête d’authenticité et de fidélité archéologique du decorum33. Dans l’œuvre de la National Gallery de Londres, Marie est agenouillée, la tête légèrement penchée vers l’avant, tandis que Joseph n’a qu’un seul genou à terre. Les deux mains droites sont réunies et les bras forment une ligne oblique de liaison entre les deux figures. De nouveau, la dextrarum junctio est adaptée à une forme de rapport hiérarchisé, en outre décrit dans la subtilité de son contexte propre : non que le mari soit « supérieur » à sa future épouse, ici ; bien plutôt, Poussin dépeint le mouvement par lequel Joseph s’agenouille humblement pour venir prendre place, dans un instant, face à la Vierge.
Dans la seconde version du Mariage de la Vierge, issue de la série des Sacrements commandée par Chantelou et exécutée entre 1644 et 1648, le geste du dextrarum est remplacé par l’acte de poser l’alliance. Le personnage unificateur ressemble davantage à un prêtre romain, ou bien pourrait correspondre au père de la mariée. Il convient de rappeler que la commande de Chantelou était inspirée de la première version des Sacrements, mais qu’il n’avait pas la même estime pour toutes les œuvres de cette série. Il avait notamment exprimé ses réserves à propos du Mariage de la Vierge, ce qui avait poussé le peintre à y apporter quelques modifications34. Ce qui paraît assez novateur dans le second tableau, c’est l’introduction d’une disposition asymétrique des personnages principaux. Alors qu’il était courant de représenter le iunctor de face entre les deux mariés, Poussin le peint ici de profil, et décentré.
Quant au Mariage de la Vierge de Philippe de Champaigne, la construction en est sans faille (fig. 3) : les onze personnages sont disposés en frise sur le parvis de l’église et le dextrarum se situe exactement au centre géométrique de la composition. Les postures de Joseph et de Marie sont savamment calculées. Ils avancent leur main droite et leur pied gauche, conformément à une règle de convenance fameuse, sur laquelle reviendra par exemple le Grand livre des peintres de Gérard de Lairesse, dans son édition française (adaptée) de 1787, qui souligne didactiquement l’importance de la notion de contraste dans les attitudes des personnages. Si une épaule est élevée, l’autre doit automatiquement être en position plus basse. Lorsque le bras droit et la jambe gauche s’avancent, le bras gauche et la jambe droite sont jetés en arrière35. Dans une quête de la grâce, Léonard de Vinci, dont le Trattato a été traduit en France pour la première fois en 1651 par Roland Fréart de Chambray, avait également proscrit les postures dans lesquelles les jambes et les bras seraient emportés dans la même direction36. Ces recherches autour de la pondération allaient de pair avec la question des proportions et de la convenance aux lois de la physique, et d’après les théoriciens du dessin dans l’Académie royale la notion de contraste était étroitement liée aux mouvements naturels du corps37. Or ce qu’il convient d’observer dans cette œuvre, c’est la riche combinaison des signes que Champaigne met en place. La cérémonie nuptiale est exprimée à l’aide de trois gestes : en plus des mains jointes, il faudrait noter l’importance de la benedictio latina et de l’index pointé. Le prêtre pose sa main gauche sur les mains des mariés qu’il vient de joindre et bénit l’union conjugale de sa main droite. Voici comment le moment de la bénédiction nuptiale, arrivant juste après l’acte de poser l’anneau, est décrit par de Gaya dans son ouvrage Cérémonies nuptiales de toutes les nations de 1681 : « […] et le Curé prend les mains droites des Époux, en leur disant : Et ego conjungo vos in nome Patris & Filii et Spiritus sancti. Amen. Il leur jette après de l’eau bénite & à toute l’assemblée38 ». Par ce geste, le prêtre ajoute à l’acte de consentement des mariés le pouvoir sacré de l’Église. Ce rituel peut être mis en relation avec la benedictio thalami, la bénédiction du lit nuptial, qui devait conjurer les menaces de stérilité et qui a été restaurée après le Concile de Trente39. Quant au geste de l’index gauche avec lequel Joseph s’auto-désigne, il a permis au peintre de réunir plusieurs moments successifs dans la chronologie de la cérémonie. Il correspond à l’acte du consentement, qui, au départ, n’était exigé que de l’époux, mais qui, à partir du xiiie siècle, sous l’influence de la scolastique, devient mutuel40. L’index pointé pourrait exprimer la déclaration que chacun des conjoints doit prononcer en promettant de rester loyal et fidèle à cette union. À gauche de Joseph, nous pouvons constater qu’un homme appuyé contre la colonne désigne le couple de son index droit, d’après une formule d’admonition répandue au xviie siècle où un personnage dirige l’attention d’un autre vers la scène principale. Ce motif s’inscrit dans la tradition de l’admoniteur albertien et des emprunts à l’exorde dans la rhétorique où il s’agit d’attirer l’attention de l’auditoire par un appel indirect41. Champaigne fait ainsi reposer l’éloquence des attitudes dans cette scène nuptiale sur un triple mode opératoire : le rôle du discours avec l’index, la protection divine avec la bénédiction et l’irréversibilité du serment de fidélité avec la jonction des mains transcrivent iconiquement le contenu du mariage.
Terminons ce parcours du statut contractuel du geste avec un dernier contexte iconographique, qui nous amènera vers notre seconde thématique. Au xviie siècle le motif des mains unies – parfois intimement conjuguées – apparaît aussi dans les portraits de couples, prolongeant ainsi la tradition antique d’une part et le rituel nuptial chrétien d’autre part. Une œuvre anonyme conservée au musée du Louvre (École française, Portrait d’un couple, vers 1610) présente une forme inhabituelle du geste : l’époux tient de sa main droite les extrémités de l’index et du majeur gauche de sa femme, en faisant ainsi mieux ressortir la bague ornant son annulaire. Il s’agit probablement d’une bague de fiançailles, mise en relief par la courbe du doigt. Le chiromancien Jean Belot dit au sujet de l’annulaire que, d’après les médecins, il est doté d’un nerf très tendre et délié, qui tend vers le cœur. L’anneau qui l’environne fait office d’une couronne de la dignité. Dédié au Soleil, l’annulaire reçoit avec bonheur la bague d’or, car ce métal est également sous le patronage du même astre. Ainsi, cet assemblage provoque une réjouissance dans le cœur42. Remarquons également que la main de la fiancée ainsi positionnée peut nous faire penser au nombre « deux », qui, dans les anciens systèmes de calcul, se forme en pliant l’auriculaire et l’annulaire et en tendant les autres doigts. Or, ce nombre est le symbole des noces d’après Pierio Valeriano, qui dans son Hieroglyphica dédie un chapitre aux configurations digitales de numérotation43. Cet exemple prouve d’une part que la règle des deux droites n’est pas exclusive pour la représentation de couples et, de l’autre, que la souplesse du geste permet la superposition de plusieurs signes. Les exemples de portraits de couples avec les mains unies sont nombreux dans l’art septentrional. Citons celui de Rubens avec Isabelle Brandt (Alte Pinakothek, Munich), où la règle des deux droites est respectée, mais interprétée avec beaucoup d’élégance. La main féminine est juste posée sur celle de l’époux, sans que les deux soient véritablement entremêlées. C’est le choix aussi de Van Dyck pour son portrait de Snyders et de sa femme (Musée du Land de Hesse, Cassel). Frans Hals, dans son Portrait de famille dans un paysage du musée Thyssen-Bornemisza à Madrid, combine quant à lui le geste des mains droites unies avec un pas de danse. Ces dernières variations de la dextrarum junctio, qui tendent à célébrer l’alliance affective entre les protagonistes, conduisent vers d’autres emplois iconographiques des mains unies, désormais plus libres dans leurs configurations et dotées de significations différentes.
Doigts amoureux, émotions ambiguës
Aristote avait exprimé sa grande estime du toucher en affirmant qu’il est le sens le plus précis que l’homme possède44. D’après Étienne Bonnot de Condillac, les sensations tactiles jouent un rôle dans le déroulement des opérations de l’esprit et du langage45. À son tour, Diderot déclare : « Je me souviens d’avoir été quelques fois occupé de cette espèce d’anatomie métaphysique, & je trouvais que de tous les sens l’œil était le plus orgueilleux, l’odorat le plus voluptueux, le goût le plus superstitieux & le plus inconstant, le toucher le plus profond & le plus philosophe46 ». Notons que d’un point de vue formel, à partir de la Renaissance, l’intimité des mains s’exprime avec beaucoup de souplesse et de naturel, contrairement au hiératisme antérieur du geste. L’époque qui suit le Grand siècle favorise de plus en plus l’irruption de l’intimité au cœur des œuvres d’art et, par conséquent, les mains jointes vont servir davantage comme signe de sentiments galants et amoureux, au détriment de leur statut de contrat. Le contact des doigts, conjointement à d’autres rapprochements physiques comme le toucher des bras, des épaules ou des hanches, se retrouve dans les scènes de séduction, mais peut aussi marquer la tendresse conjugale. Les scènes de séduction ne sont pas les seules occasions d’apparition du geste. Nous le retrouvons aussi très fréquemment dans les représentations de couples dansants. Ces deux contextes d’usages des mains unies sont, bien entendu, très étroitement liés et nous allons tenter de voir comment leur interaction enrichit la sémantique du geste.
Les Fêtes galantes du xviiie siècle, qui prolongent la tradition des Pastorales italiennes, mettent en scène les deux « médiums culturels de la quête amoureuse47 » que sont la musique et la conversation : « La parole, le langage corporel et la musique créent les conditions d’une compréhension sociale qui pourrait être la clé du bonheur personnel48 ». Parmi les nombreux couples qui peuplent les compositions d’Antoine Watteau, certains ont les mains entrelacées, par exemple dans Récréation italienne (Staatliche Museen, Berlin), Les plaisirs du bal (Dulwich Picture Gallery, Londres) ou Embarquement sur l’île de Cythère (Musée du Louvre). Il s’agit cependant de figures secondaires, dont le geste, souvent difficile à distinguer, ne semble pas avoir un rôle central et autonome, mais s’inscrit dans le rapprochement naturel des corps et les jeux de séduction. En revanche, le peintre met en valeur le toucher des mains lors de la danse. L’accordée de village (John Soan’s Museum, Londres), Danse champêtre (Indianapolis Museum of Art, Indianapolis) et Récréation galante (Staatliche Museen, Berlin) illustrent l’agitation et les courbes virevoltantes des danses populaires où les mains des partenaires servent de point de jonction rythmique et musicale. Les exemples sont également nombreux chez Nicolas Lancret. Dans son ambitieux projet de décrire les pas de danse à l’aide de signes graphiques, Raoul-Auger Feuillet transcrit l’acte de se donner et de se lâcher les mains par une petite demi-lune, accrochée à la ligne principale du cheminement49. Louis de Cahusac rapporte que dans une des danses des Lacédémoniens nommée Hormus, de jeunes danseurs et de jeunes danseuses s’unissaient par de mutuels entrelacements des bras, afin de représenter l’union qui devait régner entre la force et la tempérance. Les danses profanes étaient dans l’Antiquité l’expression vive de la joie et de la reconnaissance50. L’univers contemporain des personnages de Watteau, qui entretiennent des relations permanentes avec le théâtre, exalte ces mêmes valeurs de joie de vivre et d’harmonie sociale. Le concept de galanterie qui inclut aussi bien l’art de la conversation que celui de la danse opère, à l’intérieur de la société, comme « une force civilisatrice51 », infléchissant les comportements gestuels en vue d’une meilleure jonction des esprits.
Chez un autre peintre de la Régence, nous rencontrons un usage plus central des mains intimes. Ayant opéré une subtile transition entre le grand genre et les sujets de la vie quotidienne, Jean Raoux adopte le motif des mains réunies pour des sujets mythologiques, allégoriques et galants, en privilégiant toujours le naturel des attitudes et l’union légère et heureuse des personnages. Deux œuvres peintes pendant son séjour italien traitent le thème de la fuite amoureuse au travers des mains jointes. Dans Orphée cherchant Eurydice aux Enfers (Getty Museum, Los Angeles), le geste marque la dernière attache avant la séparation définitive des deux époux. Les doigts s’accrochent fermement et culminent dans le mouvement des avant-bras alors que les têtes qui partent dans des directions opposées annoncent l’échec d’Orphée à libérer Eurydice du royaume d’Hadès. Cette élégante chorégraphie des attitudes alliée à la fantaisie des costumes caractérise aussi L’enlèvement d’Hélène (Fondation Ugo et Olga Levi, Venise), où le départ des deux personnages est annoncé par l’union des regards et des deux mains gauches, tendrement moulées autour des avant-bras. La série sur les quatre âges de la vie, que Raoux exécute sous la commande de son protecteur Philippe de Vendôme, contient également le geste des mains réunies. Et nous le retrouvons encore dans l’Allégorie de la jeunesse (fig. 4) organisée autour du thème de l’amour, où un jeune homme soutient de sa main gauche la main droite de sa cavalière. Enfin, des scènes galantes qui mettent en avant l’art de la danse emploient le contact des mains dans un ballet allégorique des jeux amoureux.
Lors de ses premières participations aux expositions publiques de Paris, Jean-François de Troy présenta des scènes illustrant la vie élégante des sociétés mondaines qu’il avait eu l’occasion de fréquenter52. En 1724, il exposa La Déclaration d’amour (collection Jayne Wrightsman) où les aveux du cavalier sont accompagnés des deux mains droites affectueusement réunies. Le geste est mis en évidence au centre de la composition et se situe précisément dans l’axe vertical conduisant vers une scène érotique au registre supérieur. Jean-Marc Nattier, quant à lui, avait opté pour la réunion des deux mains gauches dans son œuvre Les Amants (Alte Pinakotkek, Munich) qui peut rappeler une attitude qu’on trouvait déjà chez Nicolas Tournier, au début du xviie siècle, dans Le joueur de luth (Musée du Berry, Bourges). Dans les deux cas le jeu amoureux est associé au verre de vin et au contact des doigts.
Chez Fragonard, le geste apparaît à plusieurs reprises. Chez lui particulièrement, il donne à saisir, mieux, à interroger les liens amoureux qui rapprochent deux personnages. Le sacrifice de la rose met en scène un toucher discret entre la jeune fille et le personnage ailé, dévoilant les connotations érotiques du sujet (fig. 5). Il faut observer en effet un détail infime dans cette configuration. Le pouce de la jeune fille se glisse entre l’index et le majeur du personnage ailé. C’est ainsi que se forme habituellement, d’une seule main, le geste de la figue qui mime l’acte sexuel et qui est employé aussi bien comme injure et malédiction que comme protection contre le mauvais sort. Ainsi le thème principal de l’œuvre, qui serait la perte de l’innocence, est aussi signifié par le jeu tacite des doigts. Dans d’autres scènes, Fragonard a recours au contact des mains aussi bien pour suggérer les jeux amoureux que pour affirmer l’union maritale – parfois même, pour souligner les ambivalences entre ces deux aspects des rapports entre les sexes, voire leur incompatibilité. Une grande fragilité du caractère contractuel de l’union (maladroite en fait, ou forcée) des deux cœurs se laisse deviner par exemple dans Le Contrat, où les doigts s’entremêlent à peine…
Les simples déclinaisons d’un geste nous permettent ainsi d’évaluer à quel point les représentations des relations sociales changent entre le xviie et le xviiie siècle. Si, au xviie, la jonction des mains intervient principalement comme emblème de valeurs juridiques et morales, au xviiie, elle porte davantage une forme de communication, d’échange et d’affectivité. Ce langage iconographique entraîne une très grande variété de postures. Les peintres donnent suite aux principales problématiques qui animent le signe du toucher durant sa longue histoire. Ils repartent de cette notion, que l’amour comprend en soi une tendance naturelle à aller vers l’autre, à s’unir à lui par un lien physique qui prolonge celui des âmes. De là s’instaure un miraculeux remède anti-conflictuel qui est l’acte de se serrer les mains – symbole par excellence de la paix. L’aspiration à cet idéal d’harmonie sociale peut aussi être exprimée par l’art de la danse. Mais il est important de garder à l’esprit qu’une ombre moralisante accompagne la beauté du geste : toute déviation de la promesse qu’il a couronnée désigne aussitôt l’indignité et l’infamie. Une valeur juridique est donc procurée à la jonction des mains et nous ne sommes pas surpris de les voir perdurer dans la longue tradition de la cérémonie nuptiale chrétienne. Nous avons pu observer que même si la symbolique de la latéralité suppose le contact des deux droites, les artistes déploient un riche éventail d’exceptions. Enfin, le toucher des mains peut tout aussi bien définir les rapports de hiérarchie ou d’égalité entre les interlocuteurs, qu’induire une certaine ambiguïté et une oscillation entre les connotations amoureuses et érotiques. Les schémas iconographiques qui résultent des champs sémantiques du geste dévoilent d’une part la possibilité de créer des systèmes d’interaction féconde entre les signes, où Philippe de Champaigne est particulièrement exemplaire, et d’autre part la capacité d’ouverture artistique et d’enrichissement du langage traditionnel, jusqu’aux mains intimes imaginées par un Jean Raoux, ou par Jean-Honoré Fragonard mieux encore. Engagée durant l’Antiquité, la poursuite de la Fides et de la Concordia continue son ambitieux chemin au sein des œuvres d’art ; là, c’est aux moyens proprement plastiques qu’il est confié de résoudre, ou, au contraire, d’amplifier la permanente ambiguïté entre le contrat social et une union plus profonde, plus véritablement intime, des âmes.