Correspondance de Louis de Beer. Extraits choisis, 1791-18131

DOI : 10.57086/sources.382

p. 143-189

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Lettre 1. (À son père)

À Monsieur de Beer à Ribeauvillé

Répondu le 19e. 9bre2 que cette lettre servira d’arrêt en cas de récidive.

Colmar3 ce 18 novembre 1791

Je viens d’apprendre par ma sœur, combien vous êtes en colère contre moi, mon cher père, je ne prétends pas m’excuser par cette lettre, je suis coupable parce que j’ai pu agir contre votre volonté, et surtout contre les règles que vous m’avez prescrites et qui doivent m’être d’autant plus chères qu’elles sont pour mon bien. Pardonnez-moi seulement cette fois-ci mon cher père, je sais bien que je ne suis pas digne de votre pardon, ainsi je vous en prie seulement pour me soulager dans le triste état ou je me trouve, je n’ai pas de repos parce que je sais que vous n’êtes pas content de moi.

C’était un élève d’Augsbourg qui fumait dans la cour, où j’étais pour attendre Bastien4 qui était allé conduire les chevaux à l’auberge, il me pria de tenir sa pipe qu’il allait chercher quelque chose, et je la pris un moment en bouche, pendant lequel temps Bastien est venu et m’a vu, il vous l’aura agrandi de beaucoup parce que cela aura servi à le venger de ce que m’ayant demandé de l’argent pour acheter du ruban de guerre, je lui avais dit que je n’en avais pas, je le crois au moins à la mine qu’il me fit, il s’est bien vengé, car il m’a ôté votre contentement et mon repos. Si un zèle et une application exemplaires sont capables de vous apaiser, mon cher père, croyez que je n’en manquerai pas, ma conduite réglée en tout sur les conseils que vous m’avez donnés répondra dorénavant à ce que vous êtes en droit d’en attendre, et soyez convaincu que vous aurez toujours en moi un fils dont l’attachement pour vous ne fuira qu’avec sa vie.

Louis Tournez5.

Faites s’il vous plaît mes compliments à ma chère mère, à mes deux sœurs et à Charles.

*

Lettre 2. (À son frère)

Paris6 le 24 Germinal7

Voilà mon cher Charles, comment la fortune des hommes d’État est changeante : aujourd’hui plein d’espoir, demain ils sont précipités. Il faut dire comme Pison8 :

De tout homme d’État je dois subir le sort Je n’ai pas réussi ; je mérite la mort.

Cependant, et je t’en félicite, ta catastrophe n’a pas été aussi terrible. Seulement du rang d’ambassadeur te voilà redevenu charlot le ribeauvillain9 et rien de plus. Cherche un remède à cela dans ta philosophie et tout sera bon. Moi fier parisien je ne suis pas aussi content que toi ; je suis si dégoûté de n’avoir réussi en rien, de ne pas même voir la possibilité de faire de moi quelque chose, que j’en conserverai le Spleen en sæcula sæculorum10. Mon parti est pris et bien pris. Je reviendrai à la fin de l’an 6 et je ne délogerai plus de chez nous qu’à bonnes enseignes. Je suis las de dépenser tout ce qui m’appartient et tout ce qui est aux autres, de gêner tout le monde et de n’en pas seulement profiter. L’argent qu’on me donnerait qu’on l’emploie pour toi, qu’on tâche de te pousser par tous les moyens possibles. Ton goût n’est pas d’être paysan ; tu aspires à mieux, et ton aptitude et ta patience peuvent te faire tout espérer. En attendant je ferai valoir nos biens, je terminerai nos procès, nos mauvaises affaires11, afin de donner à Papa et Maman une vieillesse tranquille, et à moi un âge mûr exempt d’inquiétude. J’ai effleuré toutes les sciences sans en connaître aucune à fond ; mais j’entends la culture de la terre et pour cette science-là je saurai, j’espère, en tirer parti. Comme j’ai encore du temps, et que je ne serai jamais pressé de m’endosser une femme, j’aurai besoin de peu de chose, je ne gênerai personne, j’augmenterai le bien, etc. etc. etc. Voilà mon plan fait.

Pour toi si tu le voulais nous vivrions ensemble après que tu aurais encore couru quelques années. Mais je ne crois pas que tu pourrais t’y faire. Voilà ce que je te conseille : ne demande pas à Papa d’aller à Paris avant d’avoir acquis assez de connaissances pour pouvoir te produire, moyennant de bonnes recommandations, auprès des savants et dans les cercles qu’ils fréquentent (car il y a encore des madame de Tencin12, Geoffrin13, etc. de reste). Alors tu jouiras pleinement de ce séjour, tu n’y traîneras pas une pitoyable existence comme moi, obligé de dépenser pour le nécessaire autant qu’il en faut à un homme connu pour ses besoins et ses plaisirs ensemble, ne jouissant que de peu de chose, et dégoûté d’apprendre parce qu’il n’y a personne avec qui je puisse parler, à qui je puisse communiquer mes idées. Je deviens loup-garou14 d’une horrible manière ; on ne me reconnaîtra plus auprès d’une femme ; encore une année pareille et on me trouverait une fois mort d’un coup d’apoplexie qui m’aurait surpris au milieu d’un bâillement. Je n’ai pas de talent distingué, je suis maladroit, j’ai un accent ridicule, et je ne suis pas riche ; voilà des défauts qui ne font pas faire son chemin à quelqu’un. On est d’ailleurs peu communicatif ici, à cause du grand nombre de fripons dont on est environné.

Demande à aller dans une ville comme Strasbourg (Strasbourg vaut mieux que les autres villes de ce genre en France, on y est plus instruit), Nancy, etc. etc. Et ensuite viens ici. Je suis payé pour te conseiller ainsi. Cependant je suis certain que si nous avions été ensemble ici, nous nous serions mutuellement rendu de grands services. Mais c’est dit ainsi ; il faut que tout soit tronqué.

Mon étude principale est l’économie politique et particulière dans leurs rapports ensemble. Je travaille passablement. J’ai un peu de fièvre qui depuis 8 jours ne me laisse pas dormir, et la toux me brise la poitrine. Salue bien les nôtres. Adieu mon cher Charles.

Louis

Ne parle pas de mon indisposition tu sais pourquoi.

*

Lettre 3. (À son frère)

Strasbourg le 24 Thermidor 715

Tu vois, mon cher Charles, que je sais réparer les fautes passées. Entre le 1816 et le 24, l’intervalle n’est pas grand. Si ce n’était toi, la rapidité avec laquelle tu te développes, tu deviens homme du monde, me donnerait de la jalousie, ma lo fanatismo d’amicizia, en fait un certo che dolce et generoso17 qui a contribué à me former moi-même, et ce sera encore à toi que je le devrai, tu auras rempli le précepte : omne tulit punctum qui miscuit utile dulci18.

Nos lettres se croisent, à ce qu’il me paraît : tu n’as pas reçu ma dernière je crois. Du moins pas un mot dans la tienne ne l’indique. Il faudra pour l’ordre de la correspondance commencer les lettres par un j’ai reçu…

Ainsi :

J’ai reçu la tienne du 18 de ce mois.

Je savais, par une lettre de Maman, que tu avais joué un duo avec

Kreutzer19, et j’en suis flatté comme si mon ancien savoir-faire quelque petit qu’il fût était ressuscité. Je recommence pourtant à jouer ; mais je ne sais presque plus rien.

Le pauvre beau-frère20   Remets-lui l’incluse. Je suis charmé qu’il soit rétabli.

Tu es curieux de me voir continuer ma gamme d’amour, hélas   Moi aussi je fus en Arcadie21 – Voilà à peu près tout ce que je peux te dire. Depuis Mlle Lebrun22 de Munich, que je voulais épouser – ris donc – et qui m’a roué de la manière la plus comique, je n’ai plus ressenti les atteintes du mal universel. La V.23 m’ennuie, et je n’y vais que rarement ; Mdme Ste S. est à Mayence24. On me la dit fière, parlant – de ses gens, de sa voiture, etc. La première fois que je la vis à la Ruprichtrau25, je n’osai l’accoster, et elle partit peu après. C’est Mdme Charpentier26 que je vois le plus souvent, et elle est aussi partie pour chez nous. Les Duperreux27 sont à Paris. Mais voici le hoc : J’ai vu Mlle Liechtlé chez V. Lollo Levrault28, qui avait déjà sa sœur pour femme, veut encore s’adjoindre celle-ci et y va souvent ; tu sais combien ces Levrault sont insupportables. Kern, un de mes amis, soldat et Secrétaire au Conseil, comme moi, aime Mlle L. et pour me donner un passe-temps, j’ai rallumé en lui des feux qui s’éteignaient. Je lui ai promis de m’introduire dans la maison, ce que j’aurais fait tout de même de donner de la jalousie au maniéré Levrault qui enrage déjà, parce qu’il me trouve partout, afin que lui puisse recommencer d’amoureuses poursuites. C’est ainsi que je m’en vais mettre les champions en présence, les laisser se fâcher l’un contre l’autre tant qu’ils voudront, me donner un spectacle qui commence déjà à devenir plaisant, et finir par en retirer tout ce qu’un homme raisonnable doit retirer des oisons femelles, un passe-temps, du ridicule pour rire, et une augmentation de mépris pour elles. Tu me diras fou, mais je suis bien résolu à ne jamais me marier. Je demanderai à une de nos sœurs un enfant, parce qu’il me faut bien un objet de mes affections, de ma manie de père. Du reste, je veux de la gloire ; je veux la fortune que la révolution m’a prise, et au-delà ; je veux, s’il est possible, et je sens la témérité, le présomptueux de ce vœu, je veux préparer à mon cher Caton29, autant que je le pourrai un voyage agréable et facile, dans cette route de la vie, couverte de sots et de fripons. Tout cela n’est pas si aisé. Je ressemble à l’esclave garrotté qui raisonne de la liberté. Mais dussent même tous ces projets d’un cœur honnête se réduire à rien, les rêves de notre jeunesse nous seront encore chers : c’est du moins un habit donné à l’ennui.

Je poursuis mes études diplomatiques : nos cahiers qui portent maintenant le titre de Reisegefarten30, sont, j’ose le dire, précieux, et je ne donnerais pas pour beaucoup, celui entre autres, d’histoire diplomatique, intitulé Knopfe in’s Schnupftuch31. Tu vois que je n’ai pas oublié l’art des titres : mais ceux-ci sont originaux plus que tous les précédents. Je m’applique à l’étude du français, du style épistolaire. Tu devrais bien là-dessus me donner des avis, toi qui en as fait ta partie favorite32.

Voilà ce qui s’appelle des lettres, et si tu prenais du papier aussi grand, et que tu écrivisses sur les quatre pages autant de billevesées que moi, tu me ferais encore plus de plaisir que ne m’en causent déjà tes lettres que je reçois trop rarement.

Adio caro zitello Lidozuici33

*

Lettre 4. (À son père)

S’informer après Mr. le vicomte de Gand, Grand d’Esp.34 M a première classe ma part de l’adjudant Gl et Jary35.

reps36 le 25 Germl. 837. que l’affaire de congé est réglée.

Aranjuez37 le 8 Germinal 838

Mon cher Papa,

Il me semble qu’aussitôt que je m’éloigne de France, on ait pris à tâche de m’y rappeler par une loi qui paraît faite exprès pour me faire enrager. On n’y réussira pourtant pas cette fois-ci, mais l’éternel refrain Pacate39 se fait encore entendre. Il sera donc dit que je vous ruinerai. Ce n’est qu’avant-hier que la loi du 17 Ventôse40 nous est parvenue. L’article 4ème41 est clair ; il faut qu’avant le 15 Germinal42, c’est-à-dire, avant que ma lettre ne vous soit remise, vous ayez déposé pour moi la somme de 300 francs, moyennant laquelle on me laissera en repos jusqu’à nouvel ordre. Cela serait supportable, si le pauvre Charles n’avait son tour en même temps. Quant à moi, je puis être sans inquiétude si vous vous résolvez à faire pour moi ce nouveau sacrifice ; Charles aussi a un moyen légal de se conserver à sa famille, et je pense que placé comme il est, ce sera plus facile : mais cela vous gênera toujours beaucoup, et voilà pourquoi je suis peiné et inquiet. Ayez, s’il vous plaît, la bonté de me rassurer, dites-moi que vous ne cédez pas aux chagrins qui vous accablent, et je serai heureux et tranquille.

Si des nouvelles satisfaisantes de ma situation peuvent contribuer sie auf zu heitern43, je n’en ai que de très bonnes à vous donner. Le C.A.44 est plein de bonté, et tout me fait espérer qu’il ne m’abandonnera point. En route déjà, il me dit qu’il avait parlé de moi au Ministre45, qui lui a promis de m’attacher au bout de quelque temps (une année, ou plus) à une légation. J’ai lieu de croire que ces bonnes dispositions ne se ralentiront point, et sous ce rapport du moins, l’avenir ne doit pas m’inquiéter. Aussi le travail me plaît-il d’avantage, et je m’applique volontiers, assuré que je suis que je n’aurai pas été machine à pure perte, pendant si longtemps.

Notre vie est très uniforme au sitio46 ; le travail et la promenade sont tout ce qu’on y trouve. Point de société, point de plaisirs, à peine voit-on de temps à autre quelqu’un du Corps diplomatique, et ce quelqu’un certes   n’est pas fait pour remédier à l’ennui, mais bien pour vous faire retourner plus gaiement à l’ouvrage.

Je n’ai pas besoin de vous recommander dans vos lettres une circonspection extrême ; soyez même réservé quant à celles de nos affaires de famille que vous ne voulez pas que tout le monde sache ; car toutes les lettres, sans exception aucune, sont ouvertes dans ce pays exécrable : on ne se donne pas seulement la peine de les refermer avec quelque soin. Mes sœurs et frères conviendront qu’il vaut mieux ne se dire que bonjour par votre entremise que de contribuer au passe-temps des commis d’Espagne.

Je n’ai pas encore reçu de lettre de vous. Avec l’adresse que je vous ai donnée, elles me parviendront sûrement. Au surplus vous y pourrez ajouter Casa de Francia47.

Embrassez mille fois ma chère Maman, et mes sœurs. Mille choses aux Liégeois48. Que fait mon petit Bibele49 ? Je lui envoie mille baisers.

Je vous apporterai à mon retour les semences de plusieurs légumes et fleurs, et du chocolat d’Espagne délicieux. Cela ne vous fait-il pas d’avance venir l’eau à la bouche ?

Adieu, mon excellent Papa. Que de peine je vous cause et que j’en suis affecté   Croyez je vous prie, à l’ardeur avec laquelle je travaille à vous le faire oublier le plus tôt possible.

Louis

En cas que vous n’eussiez pas encore acquitté les 900 pour moi, je vous envoie un certificat propre à vous tranquilliser parfaitement.

Ne m’oubliez pas auprès de Mr Rosé et de Brassier50. Mille choses à la Klein51.

*

Lettre 5. (À son père)

Madrid le 24 Messidor 852

J’ai reçu, mon cher Papa, votre lettre du 3 de ce mois53, et j’ai vu avec l’intérêt le plus tendre que toute la famille se portait bien, et m’aimait encore un peu : les absents n’ont pas toujours tort.

La reddition de Gênes54 a pu à peine vous affliger un moment, tant elle a été promptement suivie des succès les plus étonnants55. Quel homme que notre premier Consul, et quelle gloire, et quel bonheur d’être français aujourd’hui. Reportons-nous à l’année dernière, année de désastres, de misère, de honte56, et ce qui est pis encore de malheur ridicule, et comparons ; nous ne trouverons pas plus de termes pour exprimer notre exécration, que nous n’en trouvons aujourd’hui pour peindre notre enthousiasme et notre reconnaissance  

Mon Bibelé voit son Papa57 actuellement, et j’envoie à tous les deux ce qu’ils éprouvent, à moins que Bibelé ne soit toujours aussi impassible que quand je le quittai. Mille choses, milles baisers pour ces pauvres Liégeois58 ; je me les figure tout noirs de charbon de terre.

Pressez s’il vous plaît la trouvaille de la feuille de Deux-Ponts. Cela a déjà perdu la moitié de son prix. Si le vin de paille n’est pas parti, expédiez-le bien vite, et ne faites pas pour cela de grandes démarches. Les négts59 vous font toujours payer ce qu’ils n’ont pas fait. Vous l’enverrez à Scherz, qui les fera mettre et inscrire au bureau du roulage, à l’adresse de Mr Basterrêche60 négt à Bayonne pr le C. Alquier Amb.61 etc. Voilà tout, absolument tout.

Quand nous aurons la paix avec l’Électeur de Bavière62, je me charge, et j’espère que ce sera avec succès, de notre réclamation. Peut-être serai-je employé en Allemagne ; car je suis fondé à espérer quelque chose. Dans ce cas, l’affaire n’en irait que mieux. Je vous promets ainsi qu’à toute la famille d’en faire mon occupation la plus pressante aussitôt que je croirai le temps venu.

Je vous adresse quelques airs espagnols qui donneront à mes sœurs une idée, quoique très imparfaite, de la musique de ce pays-ci. Cela n’est pas beau peut-être, mais cela est original et sent le terroir ; sous ce rapport c’est toujours du nouveau pour nous autres gens bien frottés, bien limés, bien sans empreinte.

Vous trouverez encore deux billets doux espagnols, qui vous feront rire beaucoup. Zur Erschüttrung des Zwerchells63. Ils ne me sont pas adressés, et quoique la belle soit très jolie il n’y aurait pas de quoi s’en vanter : ainsi vous ne ferez point de Spiritus64 sur mon compte.

Si Mr Pasquai65 est encore au Windsbuhl66, vous voudrez bien lui faire mes compliments et lui dire que j’ai déjà fait sa proposition à Mr Clavijo67, garde du cabinet d’histoire naturelle (le héros de la tragédie de Goethe ; qu’il connaît fort bien) mais que j’ai tout lieu de douter qu’elle soit acceptée d’une manière avantageuse pour Mr Pasquai. Cependant je ne négligerai rien pour cela. Quant au minerai de Platine, on n’en montre point ; de la platine en grain comme tout le monde la connaît, voilà tout.

Comment se portent le vieux et le jeune docteur ? Mille choses aimables et amicales pour eux.

Maman doit ne pas se voir à force de fruits de toute espèce.

Embrassez-la bien tendrement ainsi que mes sœurs. Viel tausend Grüss fur den

Joe68.

Adieu, mon cher Papa ; je vous ferai le salut espagnol Viva V.M. mil anos69. Soyez heureux, aimez-moi beaucoup, beaucoup.

Louis Beer

Le Citoyen Alquier désirerait avoir vingt-cinq bouteilles de très bon vin de paille. Il faudrait les emballer avec beaucoup de précaution et les adresser au citoyen Bersterrêche négociant à Bayonne pour l’Ambassadeur. De Bayonne on les lui expédiera ici. Il s’est fait une loi d’avoir de toutes les espèces de vin de France. Peut-être parviendrai-je à vous en faire vendre une certaine quantité en Espagne. Ce serait remplir en partie le but de l’Ambassadeur qui cherche par tous les moyens possibles à recommander les productions nationales de quelque genre que ce soit. Mais je ne vous le promets pas, parce qu’ici les vins doux abondent. Si cela vous faisait plaisir, je vous enverrais une caisse de 25 bouteilles de vin de Pagaret ou de Xérès (Xheres) sec, ce qui est parfait.

Il faut que je vous dise un mot des combats de taureau. C’est le spectacle tellement favori des Espagnols, que le désordre des mœurs, déjà inconcevable ici, en est encore beaucoup augmenté. Il n’y a rien qu’une femme ne vende, si elle n’a d’autre moyen d’aller à la Corrida de Toros. Des hommes à cheval armés de lances, excitent le taureau qui fond sur eux, et en est reçu la lance en arrêt ; à la dernière course 22 chevaux ont été tués, et 9 blessés de cette manière. Après les Piccadores, viennent les gens à pied, bandélieros qui avec une adresse dont je n’ai jamais vu d’exemple, excitent, évitent le taureau, et finissent par lui planter, d’entre ses cornes quand il fonce sur eux, des flèches dans le garrot, jusqu’à ce qu’enfin l’animal fatigué, mais toujours furieux soit tué par le Matador, qui lui enfonce une épée dans le cou, dont il tombe sur le champ. Les Torreadores sont habillés à l’ancienne mode espagnole, ce qui va fort bien. On tue de cette manière ordinairement 15 ou 16 taureaux. Ce spectacle est bien cruel, et a mille désavantages dans un pays où les passions n’ont pas besoin d’être excitées encore par des jeux sanglants. Adieu mon cher Papa.

Poulets70 espagnols

8 mai 1800

Muy Querido moi de mi Corazon Esta se ponge para sabercomo lo pasa en esta Siesta muy divertida y alegre. Yo no lo estoi, faltando me V.M. a quien quiero y amo de veras, y asi perdone la Confiança, y no se distrayga V.M. con alguna moza, pues yo lo Sabrè. A Don Antonio no lo diga nada, ponga me V.M. es sobre Sra Francisca Siso, y, con esto mande a quien la Ama y verle desea es.

Si j’avais pu traduire encore plus littéralement, vous n’y tiendriez pas de rire  

Traduction un peu littérale

Bienaimé de mon cœur, la présente est écrite pour m’informer comment vous passez votre temps et si vous êtes joyeux et content. Moi, je ne le suis pas, parce que Votre Grâce me manque, et que je l’aime véritablement. Pardonnez la liberté que je prends, et que V. Grce71 ne se distraie pas avec quelque demoiselle, parce que je l’apprendrais. Ne dites rien à Don Antonio, et adressez votre lettre à la Senora Francisca Sifo. Ordonnez à celle qui vous aime et qui est désireuse de vous voir.

Madrid 13 de Mayo

La lettre est adressée à Aranjuez 

Mi querido, y Señor de mi alma y mi vida, he recibido la de V.M. muy appreciable para mi, y alegrando me infinito que venga V.M. pronto, pues tendre el gusto de verle y hablarle. Yo creo habra V.M. entendido mi Carta, yo la suya tambien entendido aunque poco, pero deletreando, pero es enfin basta, me alegrare que V.M. se divierta en los toros de esa, y mande a quien lo ama y verle Desea es.

Francisca Siso

Mon bienaimé et maître de mon âme et de ma vie, j’ai reçu la lettre très précieuse de Votre grâce, et me réjouis infiniment de son prompt retour, parce que j’aurai le plaisir de la voir et de lui parler. Je crois que Votre grâce a compris ma lettre, moi, j’ai entendu la sienne quoique peu, et en conjecturant, mais cela m’a suffi. Je désire bien que Votre grâce se divertisse aux taureaux d’aujourd’hui (la course). Ordonnez à celle qui vous aime et qui est désireuse de vous voir.

Francisca Siso

Je déclare que je n’y suis pour rien dans cette affaire d’amour ; ainsi point de mauvais propos s’il vous plaît.

*

Lettre 6. (À son père)

Milan72 le 30 Ventôse 973

Pardon, mon cher Papa, si je ne vous ai pas écrit plus tôt, et si je vous ai jusqu’ici laissé ignorer le but de mon voyage. Nous allons du côté de Naples, où le Cit. Alquier doit traiter de la paix avec le Roi des Deux-Siciles. Les préliminaires seront probablement arrangés à Rome, où j’aurai à rester quelque temps.

Comme il y a toujours une très grande probabilité que les lettres soient ouvertes à la poste de Paris, et comme, même dans les choses indifférentes, il ne faut pas passer pour avoir été le premier à les divulguer, je vous ai laissé dans l’incertitude sur ce que j’allais devenir. Soyez parfaitement tranquille sur mon compte. Nous voyageons escortés ; donc nous n’avons rien à craindre des barbets74 qui volent et assassinent, sur les grandes routes les voyageurs isolés ; et d’ailleurs, mon amour pour la vie vous est garant de ma prudence.

Que mon voyage soit toujours ignoré par les Ribeauvillains, je vous en prie ; jusqu’à ce que nous ayons fini bien ou mal notre affaire. Je ne veux pas avoir l’air d’en parler. Je sais bien que les Gazettes ont annoncé la mission du C.A.75 Fort bien, elles font leur métier, et je dois faire le mien.

J’ai vu Lyon. Une population réduite et presque sans travail, et beaucoup de maisons en ruines et démolies par les Rév.76 de 1793 sont ce qu’on remarque surtout dans cette ville. Le gouvernement veut encourager les manufactures lyonnaises, il l’a déjà fait, et les métiers reprennent un peu. Les rues sont étroites et sales, mais les places des Terreaux et de Bellecour seront magnifiques lorsqu’on aura embelli encore la première, et rétabli l’autre, dont les superbes édifices ont presque tous été démolis. Le Rhône reçoit la Saône près de Lyon.

De Lyon je suis venu à Chambéry, petite ville située dans une vallée assez étroite et formée par de très hautes montagnes. Le Château des Ducs de Savoie (vieux) a été incendié l’année passée. Je n’ai pu voir les Charmettes77qui sont à quelques portées de fusil seulement de la ville. Chambéry m’a intéressé en réveillant le souvenir de mon jeune enthousiasme pour J. J. Rousseau ; il est modéré maintenant, mais il n’est pas détruit, et j’ai vu avec infiniment de plaisir les lieux qu’il habitait à un âge à peu près pareil au mien ; vous savez que les romans et les histoires ne nous intéressent qu’autant que de gré ou de force, nous pouvons nous substituer en quelque façon, et pour quelques instants aux héros dont nous lisons les aventures. Vanitas hominum78  

Il y a trois jours que j’ai passé le Mont Cenis. On le monte en chaises attachées à deux bâtons et portées par deux hommes. Je le suis descendu en traîneau ; c’est-à-dire que je me suis fait ramasser. On descend comme un éclair, la pente étant rapide. L’homme qui guide le traîneau est d’une adresse inconcevable. Accoutumés dès l’enfance à ce métier, et ne vivant que de ce qu’il leur fait gagner, les habitants de ces montagnes ne laissent aucun prétexte à la crainte. Au moment où le traîneau semble se précipiter dans un abîme, on le fait tourner et il prend le bon chemin.

Suz79 et le fort de la Brunette, que nous avons fait sauter et démolir, sont célèbres dans nos guerres d’Italie.

Les Russes étaient venus jusqu’à Ferrières80, à moitié de la hauteur du Mont Cenis.

Turin, ville charmante, environs délicieux, beaux édifices, belles maisons, rues régulières et propres ; l’eau vive coule au milieu de toutes. J’ai vu à Turin la Molinara. On chante bien, on joue mal, et le public applaudit à outrance les arlequinades les plus plates.

La Lombardie est un jardin. Mais les habitants sont une exécrable canaille. Je ne vous parle pas encore de Milan, ni des Italiens en général ; cela viendra mais je vois que los Senores81 valent encore mieux que i Signori82, quoique cela ne soit pas beaucoup dire. Je suis à la torture pour apprendre l’italien, et pour connaître les monnaies qui varient énormément toutes les 8 ou 6 lieues. Si j’étais italien je me ferais de suite banquier ; ce doit être un bon métier ici.

Mariez-vous Mina83 bientôt ? Mille baisers à la fiancée, à Maman, petite Maman84, le doyen des frères, et les deux intrus (Parade se fâchera de ce mot). Adieu, mon cher Papa. Vale et me ama85.

Le gros voyage en Italie allemand, que vous avez, et qui est traduit du français de Lalande, vous décrira ma route très exactement.

*

Lettre 7. (À son frère)

Naples le 3 Nivôse 1086

N’est-il pas cruel, mon cher Charles, qu’on me laisse des87 trois mois entiers sans m’écrire un mot. Les lettres de toutes les parties de la France arrivent, pourquoi les miennes ne parviendraient-elles pas. Si Papa avait des raisons pour ne plus m’écrire, devrais-tu me laisser ainsi dans l’ignorance de tout ce qui se passe dans notre famille ? Tu n’auras pas le même reproche à me faire, si jamais tu te trouves dans ma situation, et que je sois dans la tienne.

J’ai reçu une lettre de Papa, par Ortlieb, au commencement de

Vendémiaire, et j’y ai répondu le même jour. J’ai depuis écrit deux fois. Je n’ai pas même de réponse à mes lettres du commencement de Fructidor.

J’ai été prostitué au ridicule dans les journaux88, par un sot d’abord, et puis par un beau Monsieur français faiseur de bons mots, qui critique assez justement mais qui avance des faits faux : ce qui prouve encore une fois qu’il est plus facile de démolir que de construire.

J’ai été si furieux de ce désagrément que je viens d’écrire comme une circulaire à trois personnes, dont l’opinion ne m’importe guère quant au fond, mais beaucoup pour la forme, et qui peuvent m’aider à détruire le ridicule dont on a voulu me couvrir : Darbas, Metzger89, et Kohler. Voici la lettre pour celui-ci ; elle est ouverte, tu peux en prendre copie. Je ne serais pas fâché que Mr Engel90 et Pasquay en sussent quelque chose, mais sans affectation, car, encore une fois, quant au fond, le dernier de mes soucis est de leur plaire, et d’obtenir leur approbation.

Je ramasse moi-même pour Mr Pasquay tout ce qui me paraît intéressant en produits volcaniques. La strontiane91 de Sicile me fait endiabler, ces bêtes ne savent pas ce que c’est, et pour les savants, on les a pendus ou exilés. Mais je ferai mon possible. J’enverrai ensuite le tout par mer à Marseille, et sur les rivières et canaux jusqu’à Paris.

Dieu sait quand mon noviciat finira. L’Italie m’ennuie bien ; je voudrais avoir une bonne place à Paris et je l’aurai. Nous verrons cette ville ensemble ; je serai ton Cicerone.

Je suis un des plus fameux Guitareros92 de Naples     Mais le veston est dans un triste état. Je reprendrai tout cela à loisir.

Aspetto da lei, Signore Colendessimo, una lunghissima, nella quale vorrà avere la Compiacenza di darmi delle notizie sopra tutte le Circostanze della nostra amabilissima familia ; e si guardi, la prego, di farmi gradire piu della sua pigrezza, perchè già nel’ Scrivere queste righe sole, il rossore della colera mi ascende la faccia, e la mia giusta indignazione potrebbe provarle fin dove un oltraggiato fratello porta la sua vendetta. (sempre m’accade di mischiare lo Espagnolo col Ital.)

Addio, Caro mio ; le piu tenere Cose a i nostri Parenti : abbracia per me le sorelle gravite, edi pregnatori loro93. Adieu mon cher Charles.

L. Beer

*

Lettre 8. (À son père)

Le 8 Vend. 1194 reps et recommandé de réclamer les bons offices du C. Laforest95 à Munich.

Naples le 3 Fructidor 1096

Il y a près de trois semaines, mon cher Papa, que j’ai reçu votre lettre du 10 Messidor97. J’étais dans l’attente d’une bonne nouvelle, ce qui m’a fait retarder ma réponse quoique j’espère qu’elle arrivera bientôt ; je ne veux pas attendre davantage à vous écrire.

Les détails de vos plaisirs tranquilles et domestiques, me font un plaisir difficile à vous exprimer. Il s’y mêle un regret, c’est de ne pouvoir les partager. J’étais né pour cette vie douce, et j’ai eu la sottise de m’en éloigner pour embrasser un état au-dessous de moi et surtout au-dessous de vous. Je ne connaissais pas les hommes, et le mal est fait. Mais cette situation, je n’en veux sortir qu’après l’avoir fait oublier par quelques succès dans ma carrière, et je suis au moment de les obtenir. Je laisserai de grand cœur la diplomatie, mais je ne veux pas la laisser comme secrétaire particulier, je veux en sortir avec un titre qui prouve qu’à force de constance je suis parvenu à mon but, et que j’ai été attaché à la chose publique par un emploi honorable.

En abandonnant cette carrière, je ne sais si je serai assez raisonnable pour me retirer à la maison. Je suis à peu près sûr d’obtenir une place de souspréfet en rentrant en France. Dans mes châteaux en Espagne, je place mon arrondissement dans le Départ.98 des Vosges et près de vous. Je ne le voudrais pas tout à fait dans notre pays car autant j’aime l’Alsace, autant je hais les Alsaciens. Jamais aucun ne m’a servi d’appui, n’a fait un pas pour m’aider, et partout où je me suis trouvé j’ai eu occasion de rendre service à quelqu’un de mes compatriotes. Si mon château en Espagne se réalise, je me marie, et je commence à vivre en honnête homme, denn ich bin des Lumpenlebens satt99.

Ne croyez pas, si je parle raison aujourd’hui, que je sois triste et malheureux. Je suis au contraire d’une gaîté que j’ai souvent de la peine à modérer, et qui ne va pas toujours bien avec ma figure de 36 ans100 et ma tête chauve, mais qu’y faire, sic voluere Dii101.

Je suis enchanté de l’heureuse jeunesse de mes neveux. N’en faites pas des soldats. Depuis que j’en ai tant vu, je me demande mille fois : où diable avons nous pris Parade, qui est bon, aimable, et qui a le sens commun   Il est indicible quelles bêtes il y a parmi les premiers personnages.

Notre nouveau Préfet102 est à la lettre un gredin, pardonnez le terme. Âme damnée de Luc. B.103, il l’a accompagné en Espagne comme Secrétre de légation, après avoir été l’un des instruments des désordres qui avaient régné dans le Ministère de l’Intérieur. Homme coupable de tout, pourvu qu’il ne faille ni noblesse ni courage. Il était autrefois résident à Deux-Ponts et a été le sigisbée de Mdme de Closen104. Il a été aussi résident à Genève, où il a donné des preuves d’un genre de patriotisme qui ne sera jamais le mien. Gardezvous de toute liaison avec lui. Je suis fâché que vous ayez perdu Noël105 qui était un honnête homme quoique savant. Ne parlez pas de moi à Desportes, je vous prie. Il ne doit pas m’aimer, s’il se souvient encore de moi.

Ne parlez à personne de mes espérances. Vous savez si elles peuvent être trompées, et alors on regrette d’en avoir parlé.

La Reine106 est arrivée de Vienne avec ses trois filles. Après l’ambassadeur d’Espagne fera son entrée pour demander Madame Antoinette107 en mariage pour le Prince des Asturies. Le 25 se feront les mariages à Naples et en Espagne. Alors il y aura une entrevue à Barcelone où Nuptiæ108 seront consommées. Il y a des illuminations sans fin.

Adieu, mon cher Papa. Mille hommages à Maman, et mille amitiés à mes sœurs et aux bambins. Je remercie Joe de son souvenir, et lui fais mes compliments.

L. B.

*

Lettre 9. (À son père)

Reçue le 12e frimr.

Le 4 frimr109. reps. conforme à la [mot illisible] et communiqué les renseignemts110 demandés relativement à mes réclamations.

Portici le 3 Brumaire 11111

Je viens de recevoir, mon cher Papa, votre lettre du 8 Vendémiaire112. La mienne à Charles, que vous aurez reçue, il y a quelque temps, répond à l’espèce de reproche que vous me faites au sujet de nos prétentions sur l’Électeur. Je ne perds pas de vue cette affaire, dont je n’ai jamais mieux senti l’importance que dans ce moment. Vous pouvez compter qu’aussitôt qu’il en sera temps, j’enverrai un mémoire au Citoyen Laforêt. Ce mémoire lui sera recommandé par le Ministre113, et par le C. Alquier. Je vous prie de vous en rapporter là-dessus à moi, et de ne plus écrire à l’Électeur, qui se conduit en ceci, je ne dirai pas comme tous les princes, mais comme tous les gouvernements quelconques. Il ne faut jamais compter sur des procédés de leur part.

Je vous annonce avec bien du plaisir que mes espérances sont prêtes à se réaliser. Il y aura deux Secr d’Ambssde114 à Naples, le 1er est nommé, c’est le Cit. Édouard Lefebvre, excellent jeune homme, que je connais de Paris, et qui a été employé dans la même qualité à Florence. Je serai le second, et à l’heure où je parle, j’ai lieu de croire que cela est fait. Il y aura pour moi 4 ou 5000 frcs115 d’appointements, ce qui paraît beaucoup mais ce qui est bien réduit par les dépenses d’opinion qu’on est obligé de faire.

J’écrirai volontiers à Mr Metzger, mais je crains bien que je ne puisse le faire que d’une manière désintéressée. Je suis convaincu, et assurément je m’en rapporte à vous sur ce point, que Melle sa fille est une personne extrêmement désirable ; je ne me dissimule pas non plus les autres avantages que pourrait m’offrir cette alliance, mais je ne suis plus mon maître. Depuis plusieurs mois, j’ai été accueilli dans la maison du Cito. Cordiglia, Commissaire général des Relations Commerciales de la Rép. de Gênes à Naples. J’aime beaucoup une des demoiselles Cordiglia, et j’en suis aimé. Elle est belle et bonne, et il m’est impossible de renoncer aux sentiments que je lui ai voués. Son père est un négociant, très riche encore, malgré les pertes considérables qu’il a éprouvées dans la révolution de Naples116. Sa fortune va de jour en jour en s’augmentant. Je ne vous le donne pas comme un modèle de courtoisie, mais il a une réputation de probité bien fondée, il occupe un emploi honorable, et il a le mérite d’avoir bien élevé ses enfants. Je vous avoue que je lui ai demandé, il y a déjà deux mois, s’il consentirait à me donner sa fille en mariage, dans le cas où j’obtinsse votre approbation. Il m’a répondu qu’il avait des engagements : il m’a même, depuis, témoigné assez peu de bonne volonté. Mais mon prochain avancement, et la constance de Manuela, commencent à le rendre plus traitable. Je ne lui parle plus de rien, mais je sais qu’il s’est dédit envers la famille à qui il avait fait des promesses. J’ai encore un aveu à vous faire, c’est que la circonstance de l’éloignement où vivra ma femme de sa famille, a un peu influé sur ma résolution de l’épouser, si vous y consentez, et si cela peut se faire. Je traite tout cela avec autant de réflexion qu’il m’est possible. La dot de Melle Cordiglia ne sera pas forte ; le père donne 8000 Ducats117 (environ 36 000 fr.) à ses filles ; mais elle peut espérer un héritage de 150 à 200 000 Francs, et c’est assurer le sort de ses enfants. Lorsque cette affaire sera mûrie, je vous en parlerai plus en détail, et j’espère que ce ne sera pas auprès de vous, que je trouverai d’obstacle à mon bonheur. Vos constantes bontés m’ont trop prouvé le contraire. Il me reste mille pardons à vous demander, ainsi qu’à Maman, d’avoir autant tardé à vous parler de cela ; j’ai eu un peu de mauvaise honte, et si mes espérances s’étaient tout à fait évanouies, autant aurait-il valu s’être tu.

Votre belle-fille a seize ans ; elle est extrêmement belle, et si ma vanité pouvait trouver place à côté de tout l’amour que j’éprouve pr118 Manuela, je vous dirais qu’elle est la plus belle femme de Naples et que je fais envie à tout le monde. Elle est d’un caractère très doux, et elle recevra docilement l’éducation que les mauvaises têtes ont quelquefois la prétention de donner à leurs femmes. Je crois qu’elle ne m’en veut pas trop d’être emporté ; je lui ai dit que c’était chez nous une qualité de famille, qui se transmettait d’aîné en aîné. Elle a du talent, et chante comme un ange. Du reste, il y a un petit vernis italien qu’elle perdra en France et en Alsace. Je dois lui savoir gré de l’amitié qu’elle a pour moi, car je ne me suis jamais donné la moindre peine pour lui cacher un seul de mes défauts. Ce qui me fait surtout plaisir, c’est qu’il n’y a point de tante bossue dans la maison, qui puisse l’endoctriner, et lui apprendre comment on tient les maris sous la pantoufle.

En voilà bien long, mon cher Papa. Mais je suis sans confident, et les contrariétés que j’ai éprouvées, me font un besoin de m’épancher de temps en temps. Ce n’est pas la première fois que j’ai mis ainsi votre patience paternelle à l’épreuve. Je vous prie de ne point parler encore de tout cela, et de n’en faire part qu’à Maman, à Henriette et à Charles. J’ai peur aussi longtemps que les choses ne sont pas terminées, et je crains toujours les mauvais plaisants dans les affaires manquées.

Voulez-vous bien m’envoyer la date de vos deux actes de pension ; l’époque précise à laquelle les payements ont cessé, et les sommes exactement exprimées. Voilà tout. Dans 40 jours j’aurai votre réponse, et le 1er courrier portera mon paquet à Paris, pour être de là envoyé à Munich, avec les recommandations nécessaires. À Vienne vous n’obtiendrez rien ; les puissances ont bien autre chose à faire que de s’occuper de nos intérêts. Metzger parle en ceci comme en tout. Il n’a jamais rien fait que pour lui et sa clique, et je compterai plutôt sur le Kan119 des Tartares, que sur ce finassier.

Les chaleurs excessives de l’été dernier m’ont fait si peu de mal que je les regrette. Le vent d’Afrique qui règne ici en automne (le Sirocco), et qui est chaud et humide, me fait au contraire souffrir beaucoup ; il détend tous les ressorts de la machine, on n’est bon à rien. Au reste, je me porte à merveille. Adieu, mon excellent Papa. Bonne vendange, et bien du plaisir. Mille tendres compliments à la famille réunie. N’oubliez pas Kleinin [mots illisibles].

L. B.

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Lettre 10. (À son frère)

Naples le 6 Nivôse 11120

Il y a quinze jours, mon cher Charles, que j’ai reçu ta lettre du 26 Brumaire121. Je te réponds par une occasion sûre. J’espère aussi que Papa, toi et Henriette, aurez reçu les dernières que je vous ai écrites.

L’embarras que tu éprouves, dis-tu, en m’écrivant, n’est pas fondé : comment peux-tu croire que ce qui t’intéresse puisse m’ennuyer, ou que je prenne pour du commérage les nouvelles de chez nous, même les plus minutieuses. J’ai si peu changé de goûts, de manière de voir et de sentir, que les personnes avec lesquelles je vis depuis trois ans, s’étonnent autant de l’immutabilité de ma manière d’être, que de l’extrême facilité avec laquelle je me prête aux usages des pays où je me trouve, avec laquelle j’apprends leurs langues et me fais aimer de leurs habitants. Tu vois que je te parle avec beaucoup de franchise et de bonne foi de mes bonnes qualités.

En général, j’ai trouvé qu’on ne faisait sans gêne que ce qu’on a été accoutumé à faire dans son enfance. Je suis donc demeuré tel que j’étais autrefois, et quand tu m’écriras il faut bien te persuader que c’est le même enthousiaste, le même bavard, le même bon diable avec lequel tu as vécu tant d’années dans une harmonie qui nous faisait honneur à tous deux, et qui me fait doublement regretter d’être privé de te voir à chaque instant, et de pouvoir m’épancher librement avec toi.

Nous sommes destinés tous les deux mon cher Charles, à tirer tous nos plaisirs et tout notre bonheur de notre propre fond. Cela oblige à la vérité à beaucoup de modération dans ses désirs, mais on n’en est je crois que plus heureux. J’ai eu occasion de remarquer dans les plus petites choses, combien la fortune m’est favorable : elle veut me tenir bas, mais je l’en remercie, je n’ai point l’appréhension d’une chute, et le calme de l’âme a bien son prix.

Je t’ai connu deux défauts dont tu te déferas facilement si tu veux, parce que la réflexion en guérit, et que ce n’est pas ce remède qui te manque : tu désespères trop facilement de toi ; les conseils un peu vifs que je te donnais quelquefois, au lieu d’exciter ton amour propre, affaissaient ton âme, et me faisaient regretter d’avoir parlé : ensuite tu es paresseux, et cela ne vaut rien. Il faut bien s’imaginer que la nature ne nous a pas donné les passions pour nous perdre, mais pour nous animer ; il faut donc considérer l’ambition comme une chose très bonne lorsqu’elle est contenue dans des bornes raisonnables. Chez toi la paresse et de faux raisonnements, qui en sont la suite, la compressent, et naturellement les petits moments de réveil causent ce désespoir de tes facultés et de tes moyens, qui ne doit sous aucun rapport être le partage d’un jeune homme bien portant et vigoureux : c’est un marasme moral, honteux, et en y pensant bien, tu t’en corrigeras.

Notre manière d’exister à l’âge où le caractère se forme, a contribué au manque d’assurance que je te reproche, et ensuite, les Allemands sont enclins à manquer de Selbstvertrauen122. Mais il faut être plus fort que ses habitudes et ses penchants ; il faut renoncer à la rêverie, qui engendre les paresses d’esprit, et se mettre des idées positives dans la tête : il est beau à tout âge, de réparer le temps perdu, et d’être ein wakrer fester Mann, anstatt eines empfindsamen gut[lettres illisibles] aber der Welt u sich unuzlischen Menschen123. Sans un peu de force d’âme on devient personnel et faible, on se croit quitte des devoirs sociaux, lorsqu’on a pleuré sur la mort d’un chien, ou d’un canari.

Tu peux être heureux là où tu es ; mais si quelque chose te fait désirer un genre d’activité différent, il ne faut pas t’effrayer des obstacles. Je pense te parler par expérience, je n’ai vu que les fripons et les gens sans délicatesse pour qui tous les chemins fussent faciles, et je doute que chaque manière de parvenir te fût indifférente, quoique ces scrupules ne soient pas communs dans le siècle où nous sommes. Il faut (je dis souvent il faut), surtout t’imaginer qu’un honnête homme, qui ne peut pas, par un génie et des talents supérieurs, et par des circonstances heureuses, se placer d’abord à une certaine hauteur, a besoin de travailler beaucoup, de se rendre modestement utile, et d’user de patience, pour arriver à un état honorable, et à une aisance décente. Je fais bien encore des châteaux en Espagne, mais aujourd’hui, je ne laisse plus faire à mon imagination un pas qui ne s’appuie sur un raisonnement solide et sur la dure et raboteuse expérience : à peine j’embellis encore de quelques douces chimères, de quelques prestiges de l’espérance, mes très roturiers projets pour l’avenir.

Tu veux un état : tu as le plus beau de tous et le plus indépendant. Mais le tout n’est pas d’aller voir si les ouvriers travaillent, il faut savoir acheter et vendre, travailler à conserver sa fortune et à l’accroître. On ne fait rien sans argent, et on ne gagne de l’argent qu’avec de l’activité et un peu d’entende124. Tu connais bien les moyens que nous avons à Rib.125 pour tripler notre revenu : le commerce est une partie essentielle de l’économie rurale, ce n’est pas la manœuvre du labour, que le dernier journalier entendra toujours mieux que toi. Si Papa nous met quelque chose entre les mains, je prétends le faire valoir de toute manière, mais honnêtement et à la sueur de mon front car on dit très justement wie gewonnen so zerronnen126. Maman, dont tu pourras modifier les idées, te peut donner en ceci d’excellents conseils, et comme tu me l’as dit toi-même le Grand papo Chormann127, en savait plus que nous avec toute notre philosophie, et plaise à Dieu, qu’avec nos idées libérales, nous fassions un jour bénir notre mémoire comme l’a été la sienne.

J’ai bien bavardé, voici ce qui me reste à dire. Prends patience, si tu veux voyager : je voudrais que tu vinsses à Paris, quand j’y serai ; peut-être te pourrai-je aussi prendre avec moi à Munich si j’y vais, et tu apprendras à moins de frais que moi, à voyager et à profiter de tes voyages. Nous verrons ensuite ce qui te conviendra ; mais si tu veux absolument entrer dans le grand monde, je retourne à tout prix à Ribeauvillers, je ne peux pas laisser nos vieux parents seuls, à la merci de l’exécrable canaille de nos compatriotes.

Je voudrais te voir marié : il te faudrait ce qu’on appelle une maîtresse femme pour t’éveiller, mais tu en vaudrais bien mieux, et tu deviendrais homme.

On m’écrit de Paris, qu’on est plein de bonne volonté pour moi, mais qu’il faut attendre, que dans ce moment, on ne fait rien pr personne.

J’attends une réponse de Papa, depuis bien longtemps ; les postes ne vont pas.

Reber128 le mélancolique est ici. J’ai voulu le présenter à l’ambassadeur, le faire inviter à dîner ; il n’a pas voulu il est Leutscheu129, et sensibleur ; je suis bien aise qu’il m’ait épargné le déplaisir de mettre en scène un Alsacien ridicule de plus. Il part de Naples sans avoir vu un tiers de ce qu’il y a à voir, et il sortira de l’Italie, sans avoir la moindre idée du pays et des habitants.

Adieu, mon cher Charles. Ne me gronde pas, ne m’appelle pas pédant.

Mille hommages à nos parents, j’embrasse Henriette, les petits, Minna et la [mots illisibles]. Adieu.

B

grüss für Joe130.

*

Lettre 11. (À son frère)

Naples le 4 Pluviôse 11131

Je t’ai retrouvé tout entier dans ta lettre franche et amicale, mon cher Charles, et je persiste à croire que quoique nous soyons difficilement destinés à faire de grands hommes, on trouvera avec peine deux frères qui nous ressemblent du côté des sentiments. Oui je crois que mon bonheur fait plus de la moitié du tien, et je te paye bien de retour. Tu seras encore l’objet de ma plus tendre affection, et mon intérêt le plus direct, même lorsque la Nature m’aura donné des objets plus particulièrement autorisés à obtenir ma sollicitude : et dans ces derniers articles je ne ressemblerai pas à de certaines personnes, qui me donnent bien à rire, et me rappellent les compliments que fait Madame Orgon à Mad. Damon dans le Los in der Lotterie de Gellert132. Relis cela, tu me comprendras, et efface ces quatre lignes, je t’en prie.

Mon mariage est loin de se réaliser, quoique mon amour aille tous les jours en augmentant. Pour ne pas répéter les choses, lis avant de les remettre, mes lettres à Papa et à Henriette, tu verras avec quelle obstination la fortune me contrarie, mais je suis plus obstiné qu’elle, et je vaincrai. Manuela sera à moi, à moins que je ne continue à rester trop misérable pour lui assurer le sort qu’elle mérite. Mais il n’y a que cette seule considération qui puisse me faire renoncer à cet ange, maintenant qu’elle a tant enduré pour l’amour de moi133.

Ne crois point que je sois tellement passionné que je méconnaisse les conseils de prudence que Papa et toi m’avez donnés. Papa m’a écrit une lettre qui m’a profondément touché ; il m’a appris le secret de se faire aimer et obéir de ses enfants, en les traitant en hommes, et leur parlant comme un ami. Les Pères comme le nôtre sont rares, même parmi les gens estimables, tu peux m’en croire : il y en a beaucoup plus qui ressemblent à des Directeurs de maisons de force134, qu’à toute autre chose.

Mon mariage peut donc ne pas avoir lieu, et il faut se préparer à supporter courageusement ce malheur. Cependant, tout espoir n’est pas perdu, et je ne négligerai aucun moyen honnête pour réussir.

Le Je ne sais qui, fait les plus jolis vers du monde et les offre si à propos, qu’il impose une double reconnaissance aux personnes auxquelles il en fait part. Si je n’étais pas si paresseux, lorsque j’ai bien travaillé dans la journée, je t’aurais envoyé pr Mr Reber, une douzaine de petits airs sur des paroles allemandes, franç. et ital.135 ; quelques-uns sont passables, (avec accompt de guitarro136), mais j’ai tant d’intérêts qui m’agitent et m’occupent, qu’en vérité je ne sais où donner de la tête. Munich n’est pas ce qui m’occupe le moins ; je ne fais qu’y penser et y travailler, heureux si je peux nous rendre à tous ce bon office.

Adieu, mon excellent frère. On t’aime ici si bien que je suis tout jaloux, d’autant que je suis moi-même l’instrument de cette infidélité.

Louis

*

Lettre 12. (À son père)

Reçue le 22 Vent137 reps. le même.

Naples le 30 Pluviôse an 11138

Je ne perds pas un moment, mon cher Père, pour vous annoncer une nouvelle qui, j’en suis sûr, causera un bien vif plaisir à votre cœur paternel, et qui donnera aussi quelque joie à mon excellente Maman, et à toute la famille. Un courrier arrivé, aujourd’hui, de retour de Paris, m’a apporté ma nomination à la place de Second Secrétaire d’Ambassade à Naples139. C’est de moins que rien, devenir quelque chose, et à présent seulement je commence à vivre. Je vous avouerai, que l’idée d’avoir travaillé en vain pendant cinq ans, d’avoir en vain sacrifié les plus belles années de ma jeunesse dans une espèce d’esclavage me tourmentait tellement que ma santé s’en est ressentie. Depuis longtemps, ce chagrin, et tant d’autres, ne m’ont plus laissé un instant où mon cœur se dilatât librement. Je peux respirer enfin, et après avoir éprouvé depuis treize ans toutes les contrariétés de la fortune, voici le premier dédommagement qu’elle me présente. Plaise au ciel qu’elle ne s’en tienne pas là : je le désire encore plus par l’intérêt que vous y prenez, que pour mon propre intérêt.

Ne croyez pas que cet événement en amène un autre, presqu’encore plus désirable. On a des moyens de persuasion avec un homme d’esprit, on n’en a point avec un sot, et quand la plus simple probité me commande un éternel attachement pour M.141. Je dois désirer pour son repos et son bonheur qu’elle m’oublie. Mais je n’aurais pas cette heureuse infortune, et ni elle ni moi ne sommes au terme de la carrière de chagrin dans laquelle nous sommes entrés.

Adieu, mon cher Papa. Mille tendres respects à Maman. J’embrasse mes sœurs, leurs enfants et Charles.

Louis

Je ressemble presqu’à ce Chevalier de St Louis dont parle Sterne dans son Voyage sentimental140. Bientôt je pourrai reprendre mon épée.

J’attends une réponse de Munich. Ne faites rien de votre côté, mais tenez-moi informé de ce qu’on fait en Alsace, et du parti que prennent die Herrn Kähte141. Je vais travailler à la Sous-préfecture, maintenant que j’ai un objet d’échange.

*

Lettre 13. (À son père)

Reçue le 28e reps. Le 29e.142

Naples le 13 Germinal 11143

Voici, mon cher Papa, une lettre très importante pour le bonheur de votre fils. Je profite d’un courrier extraordinaire que nous faisons partir, ce qui me permet de parler sans craindre que ma lettre soit ouverte à la poste.

Après des scènes épouvantables où Manuela a souffert ce qu’il n’est pas possible de souffrir, et où elle a acquis des droits éternels à mon amour et à ma reconnaissance, Mr Cordiglia, voyant qu’il était impossible de vaincre le penchant de sa fille, a modéré un peu son obstination. Son orgueil ne lui a pas permis de se conduire en père indulgent ; comme c’est une pauvre tête, il a cru qu’avoir dit non une fois, était une raison pour dire toujours non. Il a donc cherché un moyen pour concilier sa vanité avec la nécessité, et une personne de sa maison, qui dit agir par pur intérêt pour Man. et moi, m’a fait dire qu’elle se chargerait d’accommoder les choses, et m’a fait proposer un rendez-vous. Je ne m’y trompai pas un instant, je vis qu’on voulait de la part de Mr Cordiglia me faire subir le premier interrogatoire.

Je préparai d’avance mes réponses. Ici je dois vous avertir que Mr Cord. étant un homme aussi avare et intéressé qu’il est riche, je n’ai pas jugé à propos d’être toujours exact à dire la vérité. Quoique je n’aie rien anticipé, je vous en donne ma parole d’honneur, les choses en sont au point, et la réputation de la malheureuse Man. serait tellement compromise par une rupture absolue avec son père, que le mensonge qui peut faire réussir le mariage devait être préféré à la vérité qui pouvait le rompre, et perdre pour jamais la céleste créature qui a tant de droits au sacrifice de ma vie entière.

On m’a prié de dire exactement qui j’étais et d’où j’étais. Ici j’ai pu dire avec orgueil l’exacte vérité.

- Combien j’aurais un jour ? De 100 à 150 000 francs

  • Si mon père pouvait dès à présent m’assigner un fonds quelconque ? Mon père seul peut répondre précisément à cette question, mais je crois que dans quelque temps d’ici il me pourra donner une 50e de mille francs.
  • Si je consentirais à les mettre dans le commerce de Mr C144 ? Non. Les biens de ma famille sont en dons de terre ; je ne demanderai jamais à mon père de vendre un pouce de terrain. Si Mr C. se conduit dans la suite mieux avec moi que jusqu’à présent, je verrai s’il me conviendra de m’intéresser dans son commerce ; mais je veux être le maître de mon bien, je veux tenir jusqu’à ma mort à ma patrie et à ma famille dont je n’ai jamais trouvé nulle part l’équivalent.
  • Si je fournirai une caution pour les 50 000 francs, ou du moins pour une dot de 36 à 40 000 fr. que m’apporterait ma femme ?
  • Oui, cela est juste, le père a le droit et le devoir de l’exiger d’un étranger, et je la fournirai (Mr. Heigelin me cautionnera pour autant que je voudrai).
  • Si je consentirais à me vouer au commerce, et à vivre auprès de mes nouveaux parents ?
  • Je ne crois pas que dans les circonstances équivoques où nous sommes, il fût sage de renoncer à une place que je viens d’obtenir, il ne faut démolir sa maison que lorsqu’on en a une autre et meilleure. Je me réserve le droit de conduire ma femme chez moi pour la faire connaître à ma famille ; si ensuite Mr Cord. se conduit plus paternellement que jusqu’ici, et que mon intérêt le commande, volontiers, je me lierai avec lui, et m’associerai à son commerce. (Ce chapitre est important. Mr C. a une maison très solide, très bien établie, et une maison commandite à Marseille. Rien n’est moins sûr que les emplois que donne l’État, et les appointements sont si modiques qu’à 50 ans je serais plus gueux que jamais. Mon projet est de ne rien précipiter, de rester dans ma carrière jusqu’à ce qu’on veuille me changer de Naples, et alors de me décider pour le parti qui me paraîtra le plus lucratif. Le commerce d’ailleurs, pourrait fournir dans la suite de l’emploi à Charles et à ceux de mes neveux que leurs parents y voudraient destiner, je me ferais une fortune, et je pourrais, avec un peu de finesse, obtenir dans quelques années la direction de la commandite de Marseille et vivre en France. Je vous observe d’ailleurs que ceci est un commerce maritime et non de boutique comme celui de Mr Scherz, et qu’on y fait rouler un million et plus de ses propres fonds.)

Les informations de Mr Cord., les formalités à remplir, etc. traîneront cette affaire encore cinq à six mois. Jusque-là l’affaire de Bavière145 sera terminée j’espère, et on pourra réaliser une partie de ce que j’ai avancé, non que j’aie le droit de rien vous demander ; je ne crois pas non plus avoir besoin de vous dire de nouveau quels sont mes sentiments, vous connaissez Louis incapable de prétendre à un denier que n’auraient pas ses sœurs et son frère. Mais si en m’aidant vous pouviez faire réussir la meilleure spéculation possible, celle d’un mariage avantageux, d’un établissement lucratif, et de l’emploi assuré pour plusieurs membres de la famille, je suis convaincu que vos idées seraient parfaitement conformes aux miennes, et qu’une méfiance injuste ne saurait vous empêcher de me confier quelques fonds dont en tout temps je tiendrai compte à vous et à la famille avec l’intérêt, car dans des cas pareils chacun à ses droits à soutenir, et je n’en ai aucun sur ce qui revient à mes sœurs et à Charles. Ils ne pourraient être généreux envers moi, sans contrarier leurs devoirs, et je ne pourrais profiter de leur générosité qu’en devenant l’homme le plus vil de la terre.

Je sais ce qui est d’usage, les pièges qu’on pourra vouloir me tendre, et les imprudences que je pourrais commettre, quand on rédigera le contrat de mariage. Vous pouvez compter que je ne compromettrai pas un denier, et que ce qui me pourra un jour revenir, sera assuré seulement à mes enfants. Mr Alquier, qui est parfaitement au fait de ces choses, ayant été avocat du Roi au Présidial de la Rochelle, m’a donné les avis les plus sages et les plus paternels.

Les Italiens sont bêtes au point de croire, que hors de leur pays, on ne saurait être qu’un sot et une dupe, et ils mettent si peu de tact dans leur ruse, que le plus pauvre homme du nord la déjoue aisément. J’ai de mon côté un beau-frère que l’intérêt lie à ma cause. D’après le nouveau code de Gênes146, les filles héritent par portion égale avec les frères, ce qui fera bien 250 000 bonnes livres pour ma femme et cela est respectable.

Je ne sais à qui l’on s’adressera pour les informations, mais ce sera la première fois que notre malheureuse réputation de richesse nous aura fait quelque bien. Je vous en ai averti, afin que si vous voyiez quelqu’un qui vous veuille sonder, ou s’informer ailleurs, vous manœuvriez d’accord avec moi. Je n’ai pas besoin, j’espère, de me justifier auprès de vous d’une innocente ruse, que le désespoir de la pauvre Manuela et le caractère indomptable de son père rendent indispensable.

Me pardonnerez-vous, mon cher Papa, toutes ces discussions d’intérêt ? Vous ne sauriez concevoir combien ces interrogatoires, ces explications, cette nécessité de vous parler d’un chapitre que je voudrais ne jamais entamer que pour vous et non pour moi, font souffrir mon orgueil et ma délicatesse. Tant de chagrins m’ont vieilli de dix ans, et j’aurai une douloureuse expérience à présenter à mes enfants, en leur prêchant d’être plus sages que moi.

D’ici à un an ou 18 mois, j’espère vous amener ma femme. Après les détails désagréables dans lesquels j’ai été obligé d’entrer, je me repose en vous renouvelant l’éloge de cet ange. Elle a fait l’admiration de tous ceux à qui l’indiscrète passion du père contre moi, a fait connaître ce qui s’est passé. Si c’était une tête gâtée par les romans, j’aurais conçu de la méfiance de sa conduite ; mais elle est l’innocence et la candeur mêmes. Je ne saurais vous exprimer jusqu’à quel point elle est devenue nécessaire à mon existence. J’espère que vous ne me désapprouverez pas en la voyant. La pauvre enfant était grasse et ronde, elle est devenue d’une maigreur extrême, et si cette contention dure encore longtemps, elle fera une maladie sérieuse. Il est impossible qu’une machine morale quelque fortement organisée qu’elle soit, tienne à de si longues et de si fortes secousses.

Cette lettre, mon cher Papa, sera pour vous seul si vous le permettez. Il est inutile que d’autres que vous aient connaissance de ce que je vous ai dit, et j’ai depuis longtemps appris que les choses ne réussissent que par le plus profond secret. Si vous improuvez ce que j’ai fait, je rougirai moins péniblement en présence d’un père indulgent, et même les autres membres de ma famille formeraient Public dans cette circonstance. Mais j’espère qu’en considérant ma position, celle de la pauvre Manuela, les avantages de cette alliance, et le point où les choses sont arrivées, vous vous mettrez à ma place et ma conduite vous paraîtra nécessaire, et calculée. Je vous répète, que Manuela n’a pas cessé même par la plus légère faiblesse de mériter votre intérêt.

Adieu, mon cher Papa. Agréez mille tendres et respectueux hommages.

Louis

Maman, mes sœurs, Charles et mes beaux-frères et Joe et les enfants, mille choses aimables, et tendres.

J’ai reçu votre dernière. La sous-préfecture de Deux-Ponts me conviendrait bien. Je n’ai pas encore renoncé à l’administration. Je ne veux détacher aucune corde de mon arc, et je ne choisirai pas sans réflexion. En attendant je m’en tiens à ce que j’ai.

Mr Théry, aide de camp du Général Vial, notre Ministre à Malte147, est ici. Il fait mille compliments à Parade, avec lequel il a fait la campagne des Grisons148.

*

Lettre 14. (À son père)

Reçue le 8 Thermidr149.

Reps le 10e150.

Naples le 20 Messidor 11151

Je suis toujours sans nouvelles de votre part, mon cher Papa, et je ne m’explique votre silence qu’en imaginant que vous êtes en Lorraine, auprès de Minna, d’autant que je n’ai pas vu votre nom parmi ceux des autres membres du Conseil gal de préfecture, au bas de l’adresse au 1er Consul.

Vous allez voir Bonaparte à Strasbourg. Quoique très éloigné, je sais peut-être mieux ce qui est de costume152 autour de lui, et je crois devoir vous le dire. Il est très difficile à aborder, et si le Conseil général tout entier n’est pas présenté, n’espérez pas pouvoir l’être tout seul. Dans le cas où vous le fussiez, ne lui dites pas, je vous prie, que vous avez un fils au service de l’État, car je suis loin d’avoir à me louer de ce qu’on a fait pour moi. Il nous convient de ne faire penser à moi, que le moins possible, même chez nous. Si ce n’était pour vous, je jetterais le manche après la cognée. Mon étoile ne se démentit pas. Del resto, non s’inquieti per me. Non mancano, la Speranza, il coraggio, ed i acezzi di vincere la fortuna153. J’ai 25 ans. Mon ambition ne doit pas encore désespérer. Je ne manquerai point de pain, et mon caractère se forme singulièrement par les contrariétés. Je m’applique ce proverbe espagnol : El vaso hecho a martillo, resiste al martillo ; et hecho a soplos, un soplo lo rompe. Le vase fait au marteau résiste au marteau, celui qu’un souffle a produit, un souffle le brise.

Mr C.154 a eu de chez nous, des renseignements tellement honorables sur mon compte, que j’ai eu un moment de bien douce jouissance, en songeant que les hommes n’ont pu nous enlever au moins cette rétribution d’une vie sans tache. Mais le manquement de parole le plus scandaleux a suivi l’espoir déçu de ce monstre. Car il n’avait promis que dans la ferme croyance que je n’étais qu’un vagabond, et que les réponses demandées le prouveraient. Je ne vous parlerai plus de cette affaire, quoiqu’elle ne soit pas finie pour tout le monde. Tant que les deux personnes intéressées vivront, elles se tiendront la parole donnée, et plus j’apprends à connaître la femme extraordinaire à laquelle j’ai voué mon existence, moins il m’est permis de suivre, à son égard, la marche ordinaire des hommes qui ont reçu un korb155. Je serai prudent, au reste, vous y pouvez compter.

Metzger m’a écrit une lettre pleine d’amitié. Je vous prie de vouloir bien lui remettre ma réponse.

Nous avons de nouveau des troupes dans le royaume. Elles nous donnent tout l’ennui que les désordres militaires procurent aux hommes tranquilles. Au reste, il y en a aussi peu que la nature des choses le comporte. Cette guerre est un événement bien malheureux. J’espère cependant qu’elle ne durera pas.

Adieu, mon cher Papa. Recevez et faites agréer à Maman mille tendres et respectueux hommages.

LB

Charles est un paresseux de ne pas m’écrire lorsque vous ne le pouvez pas.

Henriette sera à St Aquilin, je ne sais si j’y dois compter, et lui écrire là ou chez vous. Veuillez bien m’en dire un mot.

J’embrasse les bambins.

Ne vous effarouchez pas de ma lettre. Je suis un peu de mauvaise humeur, mais point malheureux du reste. Je suis plein de courage et de constance. Tout finira bien.

L’ambassadeur a écrit à Mr Otto156, une lettre très forte et infiniment honorable. J’en attends tout le succès possible.

*

Lettre 15. (À son frère)

Naples le 15 Germinal 12157

Je profite mon cher Charles, du retour du courrier qui nous a annoncé la mort du Duc d’Enghien158, pour répondre à ta lettre du 9 Vent159, que j’ai reçue en son temps. Je suis bien inquiet d’une boîte de graines que j’ai envoyée à l’adresse de Mr Scherz, et qui contient des pâtes (pas de farine), des papiers, et une petite épingle de diamants que je te prie d’accepter comme un souvenir. On me l’a donnée et je te la donne, car je ne porte rien de pareil dans mon simple costume de Quaker160. Toi, tu as toujours été coquet, et j’espère que tu aveugleras tous les Ribeauvillains par l’éclat de tes pierreries. Dis-moi bien vite si cela est arrivé. Si Mr Scherz n’avait pas reçu ma lettre d’avis, il faudrait l’avertir de l’arrivée de cette boîte, elle est carrée, peu haute, et à peu près de la grandeur de cette feuille de papier.

Je suis enchanté que Mina soit heureuse, elle est si bonne. Donne-lui ce petit billet. Si nous n’étions pas si loin, et si je savais ce qui lui ferait plaisir dans ce pays, je voudrais bien lui envoyer quelque petit souvenir. Cela se pourra par une occasion. Sonde-la et vois un peu ce qui conviendrait ; tu me le diras.

Papa a 100 francs à moi. Je le prie de te les remettre. Notre fortune sera commune jusqu’à ce que nous ayons de la marmaille, ainsi point de façons. Il y a longtemps que je cherche le moyen de te faire passer 25 louis. Je suis ton débiteur pr 500 francs, après ce premier payement. Il n’est pas juste que tu souffres de la mauvaise fortune qui t’empêche de gagner de l’argent.

Dis à Henriette que je lui écrirai ainsi qu’à Parade. Celui-ci aura été de l’expédition d’Ettenheim161.

Je me figure le plaisant contraste de Mina, de Henriette, et de mon

Italienne, qui saura à peine un mot de français, et dira encore Monzou162 en arrivant chez nous. C’est un genre de femme tout différent des nôtres. 8 ou 10 degrés sud de plus ne sont pas une chose indifférente, et je ris quelquefois en pensant comme on ne pourra pas s’accoutumer à ce tout autre costume qu’ont chez Manuella, les mêmes vertus et les mêmes défauts, qu’on rencontre chez toutes les femmes. Elle est bonne, douce, d’une franchise trop allemande ; mais chez nous, la tête sert de caldarium163 et nous sommes bons et sensibles pr164 modération et par réflexion, ici le cœur est plus actif, et le cœur obéit au tempérament ce qui rend les sentiments plus vifs et moins empfindsam165. Manuella gagnera beaucoup à se modeler sur nos bonnes femmes, mais elle gardera toujours cette naïveté brusque qui me lui a fait donner le nom de Bambina166, quoiqu’elle ait 191/2 ans. Cependt167, c’est une tête forte, et elle est remplie de sens commun et de bon esprit. Quant à la fermeté, j’espère qu’elle a fait ses preuves. C’est toi qu’elle aimera davantage, et si tu étais plus artificieux (comme aucune forteresse n’est imprenable) tu me ferais cocu plutôt qu’un freluquet. Aussi mes transes, comme tu peux te l’imaginer, sont-elles extrêmes     

Hélas, mon cher Charles, tu te prépares bien des chagrins, si tu te voues à être homme de plume, et précepteur de la canaille humaine, et confrère de ce qu’il y a en général de moins estimable dans la société, les hommes de lettres   Montesquieu fit voir, un jour, à son fils, Mr de Secondat, qui avait des projets de réformation et de philanthropie, il lui fit voir, dis-je, un Christ en croix, et lui dit : Voyez, mon fils, ce qu’il en a coûté à cet homme-là   Les passions haineuses résident de préférence dans le cœur des gens de lettres. Mais l’instruction n’en est pas moins bonne, pour cela, même la science ; tu as raison de te contenter de peu et de vouer ton existence à l’étude mais gare la mauvaise bête qu’on nomme public.

Adieu, mon excellent ami.

Dein treuer Louis168

*

Lettre 16. (À son père)

Reçue le 18 mars.

Reps. le 19e et envoyé une note pour M. de [mot illisible].

Bénévent le 5 Mars 1807

Mon cher Père, j’ai reçu votre lettre du 6 février. Lorsque Mgr Haffelin169 ira à Munich, ne doutez pas que je prierai le Prince170 d’appuyer ses démarches auprès de Mr de Mongelas171. S.A.S.172 est pleine de bonté pour moi, et j’espère que notre affaire ira bien. Il sera inutile d’envoyer de nouvelles pièces. Les nôtres sont encore entre les mains de Mr Otto, auquel j’écrirai alors. En attendant, ne vous livrez pas à la mélancolie, et attribuez une bonne part des difficultés que nous éprouvons, aux circonstances calamiteuses de la guerre.

Je vous fais mille tendres remerciements des soins que vous voulez bien vous donner pour me marier. J’aimerais mieux que ce fût Charles qui se mariât, car je désire bien vivement des enfants de notre nom. Mais celui d’entre nous qui aura besoin de rester dans le grand monde, ne sera jamais assez riche pour entretenir femme et enfants. Le luxe est arrivé au point que la plus belle dot ne suffit pas, et il est dur de ne pas pouvoir produire sa campagne avec la décence convenable. Si je pouvais, ou si un jour je devais me retirer à la maison, je me marierais de suite, et je crois que je ne ferais pas un trop mauvais père de famille. Malheureusement il ne m’est pas encore permis de jouir du repos et du bonheur domestique pour lesquels je suis né. Je me regarde comme le chanoine de la famille, qui doit se sacrifier pour ses neveux. Pensez, mon cher Papa, à marier Charles. Je ne saurais assez vous dire combien je le désire, si notre fortune le permet. Laissez-moi être un honnête vagabond toute ma vie, ou faire le Ins Haus geschlachtete Onkel173. Je me sens incapable quant à présent de m’attacher assez à une femme pour être un mari digne d’être aimé. J’ai épuisé la faculté aimante, qui d’ailleurs a toujours été subordonnée [en] moi à l’ambition. Et pour finir par où j’aurais peut-être dû commencer, tant que M. ne sera pas mariée, je ne me résoudrai point à laisser mon état de garçon. C’est une dernière marque d’intérêt que je dois à cette excellente fille, dont, au reste, je n’entends plus parler depuis plus d’un an. Je ne veux pas nuire à son établissement, en lui enlevant les honneurs de la retraite174.

Je suis très occupé dans ce moment. Nous introduisons la législation française à Bénévent, mais comme les circonstances locales de ce pays ne sont pas les mêmes qu’en France, il faut modifier et ce n’est pas une opération facile, pour un homme qui n’a jamais étudié la jurisprudence. Je suis bien las d’apprendre tous les jours un nouveau métier. Voici le quatrième ou le cinquième. Cependant, cela ne va pas mal, et j’espère me faire honneur. C’est les finances qui m’ont le plus embarrassé, dans le commencement. Je n’y entendais rien du tout, et cependant c’est la partie essentielle. Peu à peu je serai moins ignorant. Dans un an ou deux, le gouvernement de cette petite principauté sera canonicat, et alors je m’en irai  

Gardez-moi la boîte que vous me destinez. Je ne connais aucun moyen sûr de la recevoir ici, et je serais au désespoir de perdre cette marque de vos bontés pour moi.

J’imagine que Maman est déjà au Ziegelscheuer175 ou au Schüzenhausgarten176. J’ai une quantité de graines, que je ne sais pas comment lui faire passer. Offrez-lui, s’il vous plaît, mes tendres et respectueux hommages. Dans quelque temps, je lui écrirai. Je la supplie de ne pas m’en vouloir de ma négligence.

J’ai aussi pour une cinquantaine de Louis, de médailles grecques et romaines, que je voudrais bien savoir en sûreté chez nous. Car ces choses-là sont toujours en danger de se perdre ou d’être volées.

J’embrasse mes sœurs et le pauvre Joe. Joe devrait bien être ici pour gouverner ma maison. Les affaires de ménage ne sont pas les miennes, et je suis sûr que je paye tout double. C’est un très grand ennui pour moi, de me mêler de soins que je n’ai jamais connus. Adieu, mon cher père. Conservez vous.

Votre bon fils L.

*

Lettre 17. (À son frère)

Bénévent le 6 Septembre 1808

Mon cher Charles. On dirait que tu es italien, à t’entendre demander avec tant d’exigences les compliments qui te sont dus pour ton avancement. Je le sus dès le mois de juin par une lettre de Papa, et j’en fus enchanté. Tu as déjà recueilli les premiers fruits de ton travail, en perdant ce tædium vitæ177 qui te tourmentait. Le trop d’existence dans le physique, nous porte aux femmes, le trop d’existence au moral, nous rend nécessaire d’agir, et d’influer sur les affaires publiques. Tous les chagrins que donne cette carrière, ne sont rien en comparaison de la douleur vague mais insupportable que cause l’oisiveté. J’éprouve tous les jours cette vérité. Dans quatre jours, il y aura deux ans que je suis à Bénévent. J’ai [eu] des peines de tout genre, dangers, travail, colères énormes, ingratitude de la part de quelques-uns. Mais j’ai eu de grandes satisfactions. L’attachement extrême du peuple, une bonne réputation, et plus de renom que je n’en mérite, et que n’en comporte ce petit pays.

Tu pousses la délicatesse à l’excès. Quant à moi je n’exige jamais, mais je donne et reçois avec la même indifférence, et en tant, je me crois quitte avec tous. Cela ne veut pas dire cependant qu’étant homme public, je reçoive des présents. C’était l’usage du pays, et l’on me considère comme un animal rare, parce que je ne suis pas sale dans les affaires. J’entends parler de ton séjour à Deux-Ponts. Tant mieux pour toi, si l’on a cru que tu pouvais vouloir épouser. Les belles auront été plus aimables, et cela n’engage à rien.

Sais-tu ce qui m’a attendri ? C’est ta visite à K[mot illisible]178. Combien de souvenirs se sont réveillés en moi   ‘96179, qui de nous aurait songé à notre dispersion ? Nous voilà tous séparés. Quand nous reverrons nous ?

Ta traduction de Tiedge180 a les qualités ordinaires de tes vers. Elle est bien faite et pleine de sentiment, mais on voit que le poète n’écrit pas à Paris. Hors de Paris on ne saurait faire des vers français qui puissent être imprimés, et l’on a toujours le goût de sa province. Ce défaut t’est commun avec les […]181

[…] bon et touchant à qui me rappelle notre bon pays, auquel je pense plus souvent qu’il ne faudrait pour mon repos.

Je n’écris pas à Henriette. Ce sera pour une autre fois. Demande-lui pardon pour moi. Je n’ai pas le temps aujourd’hui d’écrire aux miens. À peine ai-je pu t’écrire ces quatre lignes. En revanche je pense à vous jour et nuit.

Adieu, mon ami. Mille tendres hommages à nos parents. J’embrasse mes sœurs et leurs enfants.

Louis182

*

Lettre 18. (À son frère)

Bénévent le 6 Avril 1809

Mon cher Charles, j’ai reçu hier ta lettre du 9 mars, avant d’avoir fini de dîner. Quelles qu’aient été tes précautions, comme je souffre beaucoup des nerfs depuis quatre mois, toute constance m’a manqué, et j’ai failli étouffer, jusqu’à ce que les larmes se fussent fait jour. Elles m’ont en effet soulagé, mais elles ne cesseront pas de sitôt. Notre pauvre père était non seulement l’objet de ma vive tendresse, il était mon soutien dans ma carrière, mon public, celui pour la satisfaction duquel je cherchais à me faire honneur.

Quoiqu’entouré des trois amis que je peux dire véritables, et qui ont pris une part sincère à mon affliction, il m’a semblé être resté seul au monde. Ma longue absence n’a servi qu’à me donner une sensibilité plus irritable quand il s’agit des miens. Je me mets à votre place : vous avez le spectacle de Maman qui vous navre le cœur. Je lui écris. Tâchez de la soutenir. Si dans ce moment, je pouvais sans déshonneur demander un congé, je serais chez vous avant quinze jours. Mais pour notre intérêt, je ne peux pas laisser recueillir à d’autres ce que j’ai semé, et perdre les bontés du Prince, dont l’effet seul peut mettre un jour un terme à notre affaire de Munich. J’écris ce soir à Mgr Haffelin, Ministre de Bavière à Rome, et ami de quarante ans de Papa. Cet excellent prélat sera vivement affligé de la triste nouvelle que je lui donnerai, et s’intéressera davantage pour nous, car il n’a pas suivi le système du jour, d’oublier ceux avec qui l’on n’a plus rien à gagner. Tu vois du reste, dans la guerre qui se renouvelle, et qui est extrêmement coûteuse pour la Bavière183, la vraie et plausible raison du retard que nous éprouvons. Papa ne voyait que son bon droit, et son impatience était bien juste. En t’occupant à aider Maman dans l’administration de la maison, suis l’usage de Papa, de tenir un journal des dépenses. Il n’y a point d’ordre et de sécurité sans cela184. Je te dois des excuses de ce que j’ai dit de toi dans la lettre185 qui n’est plus parvenue à celui que nous pleurons. Ta justification et la mienne se trouvent dans notre disgrâce. Veille toujours aux enfants de Henriette. Peut-être irai-je t’aider plus tôt que je ne le prévois, car je suis bien las de la vie publique, malgré l’attachement presque excessif de ce peuple pour moi. Depuis hier ma douleur s’accroît de cent visites d’une importune affection. Tu sais qu’on me croit ici catholique. Papa aura demain des catafalques à la Cathédrale, et dans toutes les églises, et l’Archevêque fera la cérémonie funèbre. Je suis sensible à la part que l’on prend à notre malheur, mais juge combien tout cela renouvelle ma peine. Les moindres circonstances domestiques se retracent à ma mémoire, et je vois Papa me dire adieu le 2 Janvier 1800, il y a plus de neuf ans  

Papa pensait à sa fin depuis longtemps. S’il avait laissé quelqu’écrit où il eût voulu m’avantager, et me recommander plus particulièrement à Maman, propriétaire de presque tout ce que nous avons, je demande pardon à sa mémoire, mais j’y renonce dès ce moment, et ne veux rien que vous ne partagiez pas. Je tâcherai d’exister honorablement, et de ne pas avilir le nom que je porte, sans faire tort à mes frère et sœurs. Si du côté de Strubberg, il était question d’intérêt, prie Maman d’arranger ce point-là, pour qu’il n’y ait aucune désunion (je ne parle pas ici de Minna, dont je connais les sentiments). Je te prie de bien me garder la boîte de Dresde, que Papa m’a donnée quand j’ai été fait Gr de Bénévent186, comme un souvenir, auquel je ne veux pas renoncer. Embrasse Henriette et Parade pour moi, et dis-leur que je n’ai pas changé et que je serai toujours le même pour eux et pour tous. Je te recommande surtout d’être attentif à ce qu’il n’y ait aucun malentendu entre les membres de la famille. Sans père on risque toujours une république sans chef qui unisse les partis. Adieu, mon cher ami. Prends courage, et ne te ravale pas toi-même. Tu as maintenant besoin de plus de caractère. Je te laisse pour pleurer à mon aise.

L. Beer

*

Lettre 19. (À son frère)

Bénévent le 13 Mai 1809

Mon cher Charles, j’ai reçu successivement tes deux lettres du 4 et du 18 du mois passé. À l’heure qu’il est tu auras entre les miens187 au moins ma réponse à ta première du 9 Mars, qui est en date du 5 Avril. Tes lettres ne me coûtent rien, au lieu qu’il te faut payer pour les miennes, c’est ce qui m’empêche de t’écrire aussi souvent que je le voudrais.

Nous nous convenons parfaitement dans nos sentiments. Le temps et les distractions que me donnent les affaires, ont apaisé mon affliction ; mais je me suis comme toi quelquefois reproché de m’être trop vite consolé, ce qui est peut-être un signe qu’il m’est resté un souvenir tendre de celui que nous avons perdu, et un respect profond pour son honorable mémoire. C’est je crois ce qui convient à des hommes fermes de caractère.

Mon cher Charles, tu nous fais tort à tous les deux en parlant des soins que tu donnes aux affaires de la famille, avec les expressions que tu emploies. Sois sûr de mon entière et absolue confiance dans les sentiments que tu as comme moi sucés avec le lait. Je te donne pour ma part, carte blanche, et je ne désavouerai jamais rien de ce que tu feras en mon nom. Ma lettre du 5 Avril t’aura prouvé que j’ai pensé sans perdre de temps à l’affaire des dots de nos sœurs. J’ignore si l’on a fait des contrats de mariage, et quelles en sont les clauses. Informe-toi à quoi se montent les dots. Je serai le premier à en écrire à Maman. Je suis prêt aussi à t’envoyer une déclaration faite par devant notaire, pour reconnaître Maman comme usufruitière et administratrice absolue de la part qui pourrait me revenir de l’héritage de notre père. Mais je crois que tout appartient à Maman et que cet acte n’est pas nécessaire. Tu sais que Grand-papa de Grünstadt188 n’a pas laissé de quoi l’enterrer, et que dans ses dernières années, il a vécu du secours de son fils. Notre père a mené une vie coûteuse à la Cour, et je n’éprouve que trop par ma propre expérience, que Chi serve in Corte, in pagliare muore189. Les dépenses d’opinion de l’homme en dignité ne permettent point d’économies, lorsqu’on va par le droit chemin, et on n’a jamais volé dans notre famille. Permets-moi de te parler franchement. J’ai cru m’apercevoir dans deux lettres que Parade m’a écrites, et notamment dans sa dernière de Munningen190, qu’il songeait à ses intérêts. Or, il ne serait ni bon ni honorable pour nous que nos biens fussent sous la coupelle d’un autre que Maman, toi ou moi. Il m’échappa il y a cinq ans de dire qu’en ne me mariant pas j’adopterais mon filleul. On m’a pris au mot de manière qu’on m’en a dégoûté. Je suis à mille lieux de songer à me marier, mais je n’aime pas qu’on ait le projet de me faire l’oncle Rosé, ou comme nous disons, mich in’s Haus zu schlachten191. Voilà pour Parade, qui n’a rien ou peu de chez lui, et dont je reconnais d’ailleurs les bonnes qualités. Quant à Str.192 si je l’ai bien jugé quand je le vis à Paris en 1798, il est serré et beaucoup plus mathématique que sentimental. Du reste, j’avoue que je souffre de devoir quelque chose au bon cœur de qui que ce soit, comme si j’avais à recevoir une aumône. Je n’ai pas demandé à Papa, à plus forte raison, ne puis-je me résoudre à avoir obligation à des alliés, et sous ce rapport je suis bouffi d’orgueil. Vois si Papa payait l’intérêt des dots, et à quoi cela se montait. Après ces données nous résoudrons, et j’écrirai à Maman, le mieux que je pourrai. J’ai eu depuis dix ans, des moments de véritable misère, j’ai eu des dettes, mais je m’en suis toujours tiré sans qu’il y parût et sans rabattre de ma fierté. Agissons-en toujours ainsi.

La guerre finie, Parade pourra agir à Munich. Aujourd’hui il n’en a ni le temps ni l’occasion. À la mauvaise volonté du roi, se sont jointes les circonstances pénibles où s’est trouvée la Bavière. Les meilleurs Princes ne peuvent pas toujours être justes à temps. J’ignore si Parade a reçu ma réponse à sa lettre de Huningue. Je ne lui réponds pas sur celle de Munningen. Prie Henriette de lui dire que je l’ai reçue, et que je crains que ma réponse ne se perde. Ma première, s’il la reçoit lui dit tout ce qu’il faut. Ton projet sur le château193 mérite réflexion. Il faudrait des sommes énormes pour dépaver la cour. Il serait dommage de ruiner les caves qui pourront un jour nous servir à déposer du vin, qui est l’objet de l’unique industrie que nous entendions. Nous avons le temps d’y penser. Dans ces sortes de projets, Maman est d’un excellent conseil. Dis-moi, je te prie, si la dette que Papa fit pour payer le château, existe encore, ou si elle est acquittée, et quels sont les créanciers. Je te félicite, mon cher Charles, d’avoir trouvé quelques amis véritables. Ils sont rares, je le sais. Chacun pense à soi, et cède à l’épreuve. Fais mes compliments à Lichtenberger194, à Mr Engel, Pfeffel, et à Mr de Berkheim195, que je croyais mort. Dans le moment actuel il ne serait ni honorable pour moi, ni utile à la famille, que je me retirasse du service. Il faut endurer encore. Peut-être le résultat de la patience me dédommagera de tant et de si longs sacrifices. Mes tendres respects à Maman. J’embrasse mes sœurs et leurs enfants.

Adieu, mon cher Charles, ton bon frère Louis.

Je me porte mieux. Les grandes chaleurs me remettent toujours, mais le printemps humide et variable de l’Italie est tuant, et il n’y a sorte de précautions qui suffise. Je fais construire des routes, des fontaines, etc. Je m’occupe des finances publiques, des comptes des communes, de la haute police, de querelles avec Naples pour les frontières etc. Je jure du matin au soir contre mes vilains subordonnés, et je rends compte au Prince en rapports de douze pages. Tu vois que je n’ai pas non plus le temps de m’ennuyer, où même de penser à ma santé. Du reste, je ne sais plus parler français ni allemand, et à mon retour tu m’entendras véritablement welschen196.

*

Lettre 20. (À son frère)

Bénévent le 10 février 1810

Mon cher Charles, ta dernière lettre, sans faire tort aux précédentes, est celle qui m’a fait le plus de plaisir. Elle m’a tranquillisé, et j’ai pu y trouver une nouvelle preuve de ton bon esprit. Je n’ai point comme H.197 l’art de dégoûter un membre de la famille de se dévouer à l’intérêt de tous les autres, en usant de finesses. Il est temps de l’avouer : après avoir reçu tant de reproches d’être un paresseux sans âme, je me vis en 1797, si fort loué d’être l’Eliezer198 de la maison, et si fort encouragé à l’être toujours, que je me jetai dans le monde pour ne pas être dupe, et que je sacrifiai par dépit mes inclinations paisibles et domestiques, pour ne pas être ou le jouet d’une femme, ou un bourru incommode. Dieu m’a donné trop de tact pour que je puisse être heureux. Je vois venir de loin, et si mon bon cœur souffre à déconcerter les gens en les prenant la main dans la poche, je ne suis pas au-dessus de la vanité de leur faire doucement apercevoir Wurst gegen Wurst199. Je suis devenu un peu italien : je n’oublie pas que le nom d’enfant gâté m’est venu de l’institut calviniste de Mr Titot200, et que j’ai reçu vingt fois la déclaration d’être haï. Cela n’est plus, puisque le temps et le malheur rendent sage. J’ai pardonné, mais je ne peux pas oublier. Plût à Dieu que je fisse fortune   Quel bonheur je trouverais à combler de biens une personne à secondes fins   Dix ou quatorze ans de corruption ne m’ont pas fait perdre le sentiment des vengeances généreuses.

Tu ne feras jamais rien de trop pour Maman. Laissons nos sœurs être femmes, petites, vaines, sans élévation. Je ne voudrai jamais rien qui puisse donner un instant de chagrin à ma mère, et je respecte jusqu’à la dernière de ses faiblesses.

Si M. avait l’esprit de H.201 et celle-ci, le cœur de l’autre, elles seraient toutes les deux des femmes accomplies. Prenons-les du bon côté. Je les aime toutes les deux, et voudrais pouvoir les contenter.

Il est hors de saison de parler dans ce moment de S.M.B202. Cependt203j’ai écrit à mon maître204. Je n’espère rien quant à présent. L’Europe entière est dans la misère. Ce n’est je crois qu’ici qu’on est heureux, plus que partout ailleurs. Je ne sais si je t’ai dit que forcé enfin de destituer deux ambitieux téméraires, je remis le calme dans ma petite administration. C’a été un 18 brumaire en miniature. Me voilà content autant que les calamités des temps le permettent, et ma santé reprend. Je me mourais tous les jours : peut-être la rage ne m’aurait pas fait passer le mois d’avril.

Si je ne suis ni à mon aise, ni tranquille, ni heureux à ma manière, je n’ai pas à me plaindre sous d’autres rapports. Au-dehors et dans l’intérieur, l’estime publique passe tout ce dont j’ai droit de me flatter.

Tu ne saurais croire combien je pense et m’intéresse aux enfants du bon P205. Maintiens l’esprit d’honnête homme en eux, mais profite toujours, comme je vois que tu fais, de notre funeste expérience, pour leur donner ce qui fait réussir dans le monde. Ich habe nach zweÿ und dreissig Jahren, die Schlacken noch nicht völlig abgeworfen206.

Il faut se consoler d’une dépense que l’on doit à une confiance sans bornes de Maman dans la probité de son mari. Peu de femmes auraient consenti à se dépouiller ainsi de leurs droits. C’est du bon vieux temps. Aujourd’hui il ne serait pas même prudent d’en faire autant avec qui que ce fût.

Je ne te méconnais pas, mon cher Charles. Je te connais beaucoup et en bien. Je te remercie de prendre des soins dont une partie devrait être à ma charge. Mais je ne peux pas quitter encore, puisqu’il y aurait du déshonneur tant que tout danger n’est pas passé. Espérons que cela me fera quérir des rapports qui puissent être utiles à nos neveux, ou du moins nous conduire à ravoir ce que nous doit si saintement le Prince Max207. Mes tendres respects à Maman. J’embrasse mes sœurs et leurs enfants.

Ton bon frère Louis

*

Lettre 21. (À son frère)

Bénévent le 4 Janvier 1813

Mon cher Charles, j’ai reçu le 29 du mois dernier ta lettre du 6, au moment ou je me mettais au lit avec des vertiges et des maux d’estomac insupportables, que je dois à l’eau que j’ai prise pendant le mois de Décembre, pour accourir aux ravages des inondations. Il m’est resté une fièvre lymphatique qui m’ôte le sommeil pendant la nuit, mais qui du reste ne signifie pas grand’chose. Tu m’as gagné de vitesse par ton Prosit208, et je reconnais la dette d’un panier d’oranges. En attendant, tu m’as donné mieux que cela par les bonnes nouvelles que contient ta lettre. Je ne suis pas avide d’argent. Mais ma contenance, toute modeste qu’elle est, passant mes appointements, je voudrais être au-dessus de mes besoins d’opinion. Les autres ne m’ont jamais abattu. Je sais vivre de pain et d’eau et voyager à pied, mais non faire mauvaise figure. J’ai toujours très bien compris tes portraits ; je n’ai vu dans tous les inconvénients qui existent dans notre famille, que beaucoup de faiblesse, de petitesses de femmes, et d’ignorance du monde. Qu’ai-je fait pour en être la victime à 450 lieues de chez moi, et me trouver entre l’enclume et le marteau ? J’ai été relégué ici par l’envie, car je ne voulais pas y venir. On me prit par la délicatesse. On me fit promettre qu’après deux ans on penserait à moi. Quand j’y ai été, on s’est bien gardé d’y penser. Cela m’a piqué, et j’avoue que si j’ai donné une sorte de nom à ce petit pays, qui est l’objet de l’envie de toute l’Italie, et si tout ce qui va à Paris, me donne des éloges souvent outrés auprès du Prince209, la pique a fait les trois quarts, et la vertu à peine un. Mais cette bonne réputation a déjà excité la jalousie de ceux qui entourent S.A.210, et depuis un an, on cherche à me faire des crocs en jambe. L’été dernier, je reçus trois lettres dures, et qui marquaient de la méfiance. Je faillis en mourir. Mais je renversai à terre l’édifice qu’on cherchait à élever. On m’a donné des éloges, on m’a caressé, et « l’on n’avait jamais douté etc ». Tu sens bien que cette victoire a accru la haine de mes adversaires, et qu’il devient tous les jours plus nécessaire que je sois au-dessus du besoin de rien tolérer d’outrageant, car sous ce rapport, je suis pour le moins aussi fier et aussi intolérant que l’était Papa. La visite que je reçus, au mois de mai, de Mr le Ministre de France, n’était qu’une exploration. Je m’en aperçus, et le prévins. Je lui dis : on a donné sur mon compte des soupçons à S.A., et vous avez été en qualité de son ami, chargé de le vérifier. Je vous ai des obligations, et à ce titre vous pouvez tout examiner. Un autre partirait comme il est venu, et on a tort de croire que l’on manque de finesse par cela seul qu’on parle allemand. Le Ministre partit extrêmement content de moi et de mon administration, et m’a rendu, à Paris, un témoignage non seulement obligeant, mais plein d’affection. Vois comme un pauvre diable qui s’est sacrifié depuis 6 ans, qui a perdu sa santé et ses épargnes pour bien servir, doit être content d’avoir à se justifier encore, par-dessus le marché, et aie de l’indulgence pour la mauvaise humeur et la noire hypocondrie qui me dévorent souvent. Je te répète que je te verrais marié avec plaisir, mais surtout avec Mlle de Creutzer. Tout mariage alsacien me déplairait ; commérage, prétentions françaises mal justifiées, ou bigoterie, ou esprit de catin, voilà la caractéristique de nos chers compatriotes. À Deux-Ponts, il me semble que toutes les convenances se trouvent, pourvu que celle de l’affection ne manque pas. Pour moi, c’est une affaire finie. Je serais le plus malheureux des hommes étant marié. Les chagrins et les fatigues m’ont usé, et chaque cri d’un de mes enfants me donnerait des angoisses mortelles. J’aimerai les tiens comme s’ils m’appartenaient. Pour se marier, il faut être chez soi, et n’avoir que ses affaires domestiques à soigner, à moins d’être très riche. Adieu, mon cher Charles, mes respects à Maman. J’ai écrit à Henriette ces jours passés.

Ton frère Louis

* * *

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Cote : 10J20/1 aux Archives Départementales du Haut-Rhin (ADHR). Ce n’est pas seulement pour faire des économies de papier que Louis de Beer noircit ses lettres jusque dans les marges. Pour des très proches, il paraît impossible de se quitter tant que le papier n’est pas saturé. « Voilà ce qui s’appelle des lettres, et si tu prenais du papier aussi grand, et que tu écrivisses sur les quatre pages autant de billevesées que moi, tu me ferais encore plus de plaisir que ne m’en causent déjà tes lettres que je reçois trop rarement », écrit-il à son frère le 24 Thermidor 7.

(cliché Juliette Deloye)

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Cote : 10J20/1 aux ADHR. S’attacher à la matérialité des documents offre un accès à la pratique intime que constitue l’écriture des lettres. Ici, les nombreuses ratures et insertions peuvent être la marque d’une relecture attentive et de la recherche d’un style, tout comme de l’empressement dans lequel Louis de Beer écrit les lettres à sa famille, débordé par ses fonctions administratives.

(cliché J. Deloye)

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Cote : 10J20/1 aux ADHR. Le père de Louis de Beer a noté presque systématiquement, dans le chapeau des lettres qu’il a reçues de son fils, la date de réception, de classement par ses soins (reps) et un résumé de sa réponse.

(cliché J. Deloye)

1 La correspondance familiale de Louis de Beer est conservée dans le fonds de Beer, dans la sous-série 10J des Archives Départementales du Haut Rhin (

2 Le 19 novembre.

3 Après quelques mois d’études à Heidelberg en 1790, Louis de Beer poursuit son éducation à Colmar d’abord chez l’ingénieur Chassain qui lui enseigne

4 Sans doute un domestique des de Beer.

5 Signifie : « Tournez la page ».

6 En 1797, Louis de Beer est envoyé à Paris pour s’occuper de négociations dont il est question dans toute la correspondance à propos des créances de

7 13 avril 1798.

8 Auteur d’une conjuration échouée contre Néron, Pison est contraint par l’empereur de se suicider.

9 Aujourd’hui, « Ribeauvillois » est la dénomination d’usage. « Ribeauvilléens » serait plus juste grammaticalement. Mais au début du xviiie siècle

10 « Pour des siècles et des siècles ». 

11 Cf. note 7.

12 Claudine Guérin de Tencin (1681-1749). Mère de D’Alembert, elle accueille dans son célèbre salon savants et gens de lettres, parmi lesquels

13 Marie-Thérèse Rodet Geoffrin (1699-1777). Femme du patron de la manufacture SaintGodin, salonnière. Son salon est notamment rendu célèbre par le

14 Signifie, figurément et familièrement, un homme d’une humeur farouche, qui ne veut avoir de société avec personne (Dictionnaire de l’Académie

15 11 août 1799. Louis de Beer est à Strasbourg pour effectuer son service militaire.

16 5 août 1799.

17 Littéralement : « Mais le fanatisme d’amitié [en fait] un je ne sais quoi de doux et généreux ».

18 « La perfection, c’est de réunir l’utile à l’agréable » (Horace, Art poétique, 343).

19 Il s’agit peut-être de Rodolphe Kreutzer (1766-1831), violoniste français.

20 Jean-Baptiste Parade, époux d’Henriette de Beer. Capitaine d’État-Major originaire du Périgord.

21 Région du Péloponnèse. Dans la mythologie, symbole d’un âge d’or, lieu notamment d’idylles entre bergers et/ou bergères.

22 Il s’agit peut-être de Rosine Lebrun (1783-1855), soprano munichoise.

23 Le sens nous est demeuré obscur. Le contexte nous permet de formuler l’hypothèse d’une maison close. Cette hypothèse est renforcée par l’usage d’

24 L’indication deux lignes plus bas relative à la Robertsau nous laisse penser qu’il s’agit peutêtre de Madame de Sainte-Suzanne, née

25 Ruprechtsau est le mot allemand pour « Robertsau », actuel quartier nord de Strasbourg.

26 Là encore, nous ne formulons que des hypothèses. Il existe bien un Monsieur Charpentier Germain (1771-1860) originaire de Fort-Louis, colonel et

27 Il s’agit probablement de la famille de Georges Duperreux (Paris 1766-Strasbourg 1852), intendant militaire, chevalier de Saint-Louis, officier de

28 Il s’agit probablement de François-Xavier Levrault (1773-1844), marié à Antoinette Liechtlé. Militaire dans les armées de Desaix puis Bonaparte, il

29 Surnom que Louis de Beer se donne parfois lorsqu’il écrit à Charles.

30 « Compagnons de voyage ».

31 Littéralement « Un bouton dans un mouchoir ».

32 Charles aspire à une carrière d’écrivain, ce que Louis réprouve.

33 Zitella signifie « vieille fille ». « Adieu, cher vieux garçon ». Jeu avec l’italien sur le prénom Louis.

34 Espagne.

35 Il s’agit peut-être de François-Joseph Jary (1739-1805), homme politique.

36 Abréviation de Repositorium. Sorte de secrétaire où sont gardés et classés les documents de la vie quotidienne.

37 Au début de l’année 1800, Louis suit Alquier en Espagne.

38 29 mars 1800.

39 En latin, pacate signifie « paisiblement, pacifiquement ».

40 7 mars 1800. Loi qui met à la disposition du gouvernement tous les Français dont la vingtième année a été terminée le 1er vendémiaire an 8.

41 « Tous les réquisitionnaires et conscrits autres que ceux désignés dans les articles 5 et 6 ciaprès, qui ont précédemment obtenu des congés ou des

42 5 avril 1800.

43 « À vous détendre ».

44 Citoyen Alquier.

45 Il s’agit probablement du Ministre des Relations extérieures, Talleyrand, nommé à cette place le 18 juillet 1797.

46 Littéralement, le mot espagnol signifie « place, endroit ». Ici, il est peut être utilisé pour désigner le lieu de résidence de Louis de Beer.

47 Maison de France.

48 À partir de 1795, la principauté de Liège disparaît, le territoire est intégré à la France, trois départements sont créés : Ourthe

49 « Petit garçon » en Alsacien. Louis désigne ici son neveu, le fils de sa sœur Henriette et de Parade.

50 Il s’agit peut-être de Marie Joseph Brassier (1770-1840), médecin militaire.

51 Probablement une domestique des de Beer.

52 13 juillet 1800.

53 22 juin 1800.

54 Le 4 juin 1800, les Français réfugiés dans Gênes doivent capituler face aux Autrichiens qui assiègent la ville.

55 Louis de Beer fait ici référence à la victoire in extremis de Marengo.

56 Référence à la campagne d’Égypte.

57 Parade.

58 Voir note 50.

59 Négociants.

60 Pierre-Léon Basterrèche (1763-1801), armateur, financier, banquier, il fut un des fondateurs de la banque de France.

61 Négociant à Bayonne pour le Citoyen Alquier Ambassadeur.

62 Maximilien Ier de Bavière (1756-1825), qui est aussi duc de Deux-Ponts.

63 Littéralement, avec Erschütterung pour Erschüttrung : « Jusqu’à l’ébranlement du diaphragme ».

64 « Esprit ». Le mot est écrit en graphie allemande.

65 Amateur d’histoire naturelle.

66 Le Clos Windsbuhl est un lieu-dit appartenant à la commune de Hunawihr (Haut-Rhin), non loin de Ribeauvillé.

67 José Clavijo (1730-1806), écrivain espagnol, vice-directeur du cabinet d’histoire naturelle de Madrid. Il eut une liaison avec la sœur de

68 « Mille salutations à Joe ». Joe est sans doute un domestique des de Beer.

69 « V.M. » pour Vuestra Madre, peut-être, ici ? Ou plus simplement « Votre Majesté », Votre Grâce : qu’elle « vive mille ans ».

70 « Poulet, se dit aussi d’un billet de galanterie. “Écrire un poulet, des poulets. Recevoir des poulets. Du papier à poulet” » (Dictionnaire de l’

71 Votre Grâce.

72 En 1801, Alquier est envoyé en Italie pour traiter de la paix avec le roi des Deux-Siciles. Accompagné de Louis de Beer, il s’établit à Naples

73 21 mars 1801.

74 « Barbet. Chien à poil long et frisé, qui va à l’eau. On dit familièrement d’un homme fort crotté, qu’ “Il est crotté comme un barbet” ; et d’un

75 Citoyen Alquier.

76 Les Révolutions de 1793 : il s’agit de la révolte fédéraliste et de sa répression.

77 Maison sur les hauteurs de Chambéry où a vécu Rousseau.

78 « La vanité des hommes   ».

79 Suse. Débouché classique des troupes françaises dans le Piémont – concerné par les guerres d’Italie au début du xvie siècle.

80 La route de Ferrières au Mont Cenis est célèbre chez ceux qui font le voyage d’Italie.

81 « Les messieurs » espagnols.

82 « Les messieurs » italiens.

83 Il s’agit de sa sœur Wilhelmine dite Mina (1781-1863). Elle épouse Jean Strubberg.

84 Henriette.

85 « Porte-toi bien et aime-moi ».

86 24 décembre 1801.

87 Sic.

88 Louis de Beer fait référence ici à sa descente dans le cratère du Mont Vésuve, au printemps de l’an 9. Un journal alsacien d’abord, Hammer (le

89 Jean-Ulrich Metzger (1752-1836), homme politique, juriste, agronome, homme d’affaires. Conseiller de la ville de Colmar. Proche des de Beer, il a

90 Mathias Engel (1755-1811), pasteur et bibliothécaire à Colmar chez qui Louis de Beer a passé une partie de ses années d’instruction.

91 Espèce minérale.

92 Guitarrero, avec deux « r », désigne en espagnol celui qui fabrique les guitares. Louis de Beer voulait probablement dire guitarristas, « 

93 « J’attends de vous, Sieur Colendissimo [titre de fantaisie sans doute] une très longue [lettre] dans laquelle vous aurez la gentillesse de me

94 30 septembre 1802.

95 Comte Antoine de Laforest (1756-1846). Il a entre autres été consul général de France aux États-Unis. En l’an X, il est ministre plénipotentiaire à

96 21 août 1802.

97 29 juin 1802.

98 Département.

99 « Car j’en ai assez de la vie de gredin ».

100 Louis de Beer a en fait 26 ans  

101 « Ainsi ont voulu les dieux ».

102 Il s’agit de Nicolas Félix Desportes (1763-1849), secrétaire général du Ministère de l’Intérieur sous Lucien Bonaparte puis son premier secrétaire

103 Lucien Bonaparte.

104 Friederike Luise von Closen (1764-1820), fille du général von Closen qui a combattu lors de la guerre d’Indépendance des États-Unis. Elle épouse

105 Noël Jean François Joseph Michel (1756-1841), prédécesseur de Desportes à la préfecture du Haut-Rhin.

106 Marie-Caroline d’Autriche (1752-1814), épouse de Ferdinand IV, roi de Naples et de Sicile.

107 Marie-Antoinette de Naples et de Sicile (1784-1806). Fille de la précédente, elle épouse le 4 octobre 1802 le futur Ferdinand VII, fils aîné du

108 « Les noces ».

109 25 novembre 1802.

110 Renseignements.

111 25 octobre 1802.

112 30 septembre 1802.

113 Talleyrand.

114 Secrétaires d’ambassade.

115 Francs.

116 Fait probablement référence au bref épisode de la République parthénopéenne (21 janvier 1799-24 juin 1799), proclamée par les troupes françaises

117 Monnaie italienne.

118 Pour.

119 Le mot est écrit en graphie allemande. Kan est un titre de grande dignité chez les Tartares.

120 27 décembre 1802.

121 17 novembre 1802.

122 « Confiance en soi ».

123 Avec waker au lieu de wakrer : « un homme brave et fort, à la place d’un homme sensible et [bon] mais inutile pour le monde et pour lui-même ».

124 Sic. Veut-il dire « entente », « entendement » ?

125 Ribeauvillé.

126 Proverbe. Littéralement : « Cela est parti en fumée comme cela avait été gagné ». Correspond au proverbe « Ce qui vient de la flûte, s’en retourne

127 Son grand-père maternel.

128 Il s’agit peut-être de Jean-Georges Reber (1731-1816), manufacturier mulhousien, qui fut maire de Sainte-Marie-aux-Mines.

129 Terme allemand qui désigne une personne qui évite la compagnie des autres gens, timide.

130 « Salutations à Joe ».

131 24 janvier 1803.

132 Il s’agit d’une comédie allemande de 1746.

133 Manuella, enceinte, a été envoyée dans un couvent où elle fait une fausse couche. Elle a subi à de nombreuses reprises la colère de son père.

134 « On appelle “Maisons de force”, des maisons où l’on enferme les gens indisciplinables, de mauvaises mœurs, et qu’on veut corriger » (Dictionnaire

135 « françaises et italiennes ».

136 « guitare » en espagnol.

137 13 mars 1803.

138 19 février 1803.

139 Ce courrier sera démenti et Louis n’obtiendra ce poste qu’en 1805. 141 Manuela.

140 Laurence Sterne, Voyage sentimental en France et en Italie, trad. de l’anglais, Amsterdam-Paris, M. M. Rey, 1769.

141 Littéralement « les Messieurs Kähte ». Nous ne savons pas de qui il s’agit, c’est l’unique mention qu’en fait Louis de Beer.

142 18 et 19 avril 1803.

143 3 avril 1803.

144 Cordiglia.

145 Cette affaire désigne les négociations concernant les créances de Guillaume de Beer (voir note 7).

146 La République ligurienne est proclamée en 1797 à Gênes (République sœur).

147 Honoré Vial (1766-1813), général de division. Nommé Ministre plénipotentiaire à Malte en l’an X.

148 Cette campagne a eu lieu au printemps 1799. Dirigée par Masséna, l’armée d’Helvétie conquiert les vallées des Grisons face à l’Autriche.

149 Thermidor

150 27 et 29 juillet 1803.

151 9 juillet 1803.

152 « Costume. Mot pris de l’Italien, et qui signifie “les usages des différens temps, des différens lieux, relatifs aux objets extérieurs auxquels le

153 « Du reste, ne vous inquiétez pas pour moi. Il ne me manque ni l’espoir, ni le courage, ni les moyens de vaincre la fortune/gagner de l’argent ».

154 Cordiglia.

155 Littéralement, Korb signifie « panier ». L’expression ein Korb bekommen (littéralement « recevoir un panier ») signifie en langage familier « se

156 Louis Guillaume Otto, comte de Mosloy (1754-1817), diplomate, conseiller d’État, secrétaire d’État. De 1803 à 1809, il représente le gouvernement

157 5 avril 1804.

158 Louis-Antoine-Henri de Bourbon, Duc d’Enghien (1772-1804). Au début de l’année 1804, la police démasque une conspiration menée par le général

Bonaparte pour rétablir la monarchie. Bonaparte soupçonne le duc d’Enghien d’être derrière ce complot. Il le fait arrêter et après un jugement bâclé

159 29 février 1804.

160 « Quaker » désigne grosso modo les anabaptistes.

161 Un des foyers de l’émigration. C’est là que le duc d’Enghien s’était réfugié. Un millierd’hommes sont envoyés à Ettenheim pour l’enlever.

162 Peut-être « Bonjour » avec l’accent italien.

163 Dans la Rome antique, partie des thermes où l’on prend des bains chauds.

164 Par.

165 « Sensible ». Employé, probablement par erreur, au singulier.

166 « petite fille ».

167 Cependant.

168 « Ton fidèle Louis ».

169 Cardinal Haeffelin (1737-1827), né dans le duché de Deux-Ponts, il fut ministre de Bavière.

170 Il s’agit probablement de Talleyrand.

171 Maximilan comte de Montgelas (1759-1838), homme d’État bavarois. Il est alors premier ministre de la Bavière.

172 Son Altesse Sérénissime.

173 Littéralement : « l’oncle abattu à la maison ».

174 Louis de Beer n’a jamais revu Manuella.

175 Lieu-dit de la commune de Nierderhergheim (Haut-Rhin) où se trouve une tuilerie (Ziegel signifie tuile).

176 Littéralement, la « maison-jardin protégée ».

177 Tædium vitæ : « dégoût/fatigue de la vie ».

178 La feuille est trouée.

179 Louis fait ici précéder « 96 » d’un signe mal lisible : parenthèse ouverte, ou apostrophe.

180 Poète allemand (1752-1851).

181 La moitié de la feuille manque, coupée au ciseau/couteau.

182 La moitié de la feuille manque. Impossible de savoir s’il y avait encore quelque chose d’écrit.

183 En avril 1809, l’archiduc Charles d’Autriche envahit la Bavière, allié de la France.

184 Louis de Beer tient lui-même un journal de dépenses. Il en est conservé plusieurs cahiers aux ADHR sous la cote 10J19.

185 Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

186 Gouverneur de Bénévent.

187 Louis voulait probablement écrire « mains ».

188 Son grand-père paternel.

189 Expression qu’on peut sans doute traduire : « Qui sert à la Cour meurt sur la paille » ou « sur une paillasse ». Pagliare (de paglia, paille) est

190 Commune de Bavière.

191 Littéralement « m’abattre à la maison ». L’idée est qu’un homme à la maison est un homme abattu.

192 Strubberg, mari de Mina et beau-frère de Louis de Beer.

193 En 1803, Guillaume de Beer acheta le château de Ribeauvillé.

194 Il s’agit peut-être de Jean Frédéric Lichtenberger (1743-1831), historien et enseignant au Gymnase à Strasbourg.

195 Il s’agit vraisemblablement du père de Sigismond de Berckheim.

196 Signifie littéralement « romand ». Dans ce contexte, désigne probablement la langue française qui n’a pas été pratiquée depuis un certain temps.

197 Henriette.

198 Figure biblique. Désigne l’instigateur du mariage pour les autres ; celui qui s’efface.

199 Littéralement « saucisse contre saucisse ». Expression qui désigne une compétition, un défi.

200 Jacques Frédéric Nicolas Titot (1754-1815), pasteur. Il a enseigné à l’Académie militaire de Pfeffel à Colmar où Louis de Beer a étudié.

201 « Si Mina avait l’esprit de Henriette ». Rappelons qu’il s’agit des deux sœurs de Louis de Beer.

202 Probablement « Sa Majesté Bonaparte ».

203 Cependant.

204 Alquier.

205 Parade.

206 « J’ai plus de 32 ans, et je ne me suis pas encore débarrassé de mes scories ».

207 Le Prince Maximilien de Deux-Ponts.

208 Expression utilisée familièrement pour dire « À votre santé ».

209 Talleyrand.

210 Son Altesse.

Notes

1 La correspondance familiale de Louis de Beer est conservée dans le fonds de Beer, dans la sous-série 10J des Archives Départementales du Haut Rhin (ADHR) sous la cote 10J20/1. En tout, elle est composée de 185 lettres manuscrites écrites par Louis de Beer entre le 18 avril 1790 et le 1er novembre 1821. Cent-treize lettres sont destinées à son père, soixante-dix à son frère Charles, une à son beau-frère Parade et une autre à sa sœur Wilhelmine, dite Mina. Les correspondances de son père Guillaume et son frère Charles (à l’exception de trois lettres de celui-ci à son père et une à ses sœurs), et donc les lettres qu’ils ont adressées à Louis, non pas été conservées, à l’exception de celle que Charles a adressée à Louis à l’occasion de la mort de leur père. Nous n’avons pas retrouvé non plus de lettres écrites à sa mère ou à ses sœurs, à l’exception d’une lettre à Mina. Nous avons retrouvé trois lettres de celle-ci à Louis. À ce jour, seul l’érudit Auguste Marie Pierre Ingold (1852-1923) a travaillé sur les archives de Beer. Il a entre autre publié en 1912-1913 dans la Revue Catholique d’Alsace des extraits de lettres de Louis de Beer qu’il insère dans huit récits chronologiques, rédigés à la manière d’un roman-feuilleton, puis dans Bénévent sous la domination de Talleyrand et le gouvernement de Louis de Beer en 1916.

2 Le 19 novembre.

3 Après quelques mois d’études à Heidelberg en 1790, Louis de Beer poursuit son éducation à Colmar d’abord chez l’ingénieur Chassain qui lui enseigne la topographie, tandis que Mr Wild, chez qui il loge, lui enseigne les mathématiques. Il entre le 6 novembre 1791 à l’École Militaire du poète colmarien Théophile Conrad Pfeffel.

4 Sans doute un domestique des de Beer.

5 Signifie : « Tournez la page ».

6 En 1797, Louis de Beer est envoyé à Paris pour s’occuper de négociations dont il est question dans toute la correspondance à propos des créances de son père sur la maison des Deux-Ponts. Il profite de ce voyage pour s’instruire.

7 13 avril 1798.

8 Auteur d’une conjuration échouée contre Néron, Pison est contraint par l’empereur de se suicider.

9 Aujourd’hui, « Ribeauvillois » est la dénomination d’usage. « Ribeauvilléens » serait plus juste grammaticalement. Mais au début du xviiie siècle, la dénomination française correcte de la ville était Ribauvillers, ce qui justifie le suffixe « ois ». Ainsi, l’utilisation du suffixe « ain » en toute bonne foi par Louis de Beer n’est pas invraisemblable pour une ville qui a changé plusieurs fois de nom et où les habitants utilisent la désignation en dialecte (Rappschwihrer). Cependant, les archivistes de Ribeauvillé, que nous avons contactés, ne connaissent pas ce terme. On peut donc émettre l’hypothèse que l’usage de « Ribeauvillains », qui permet un jeu de mots (beau/villain), est révélatrice du peu d’estime que porte Louis de Beer aux habitants de Ribeauvillé et aux Alsaciens en général. C’est un thème récurrent de la correspondance. Ici, le diminutif de Charles en « charlot » va également dans ce sens.

10 « Pour des siècles et des siècles ». 

11 Cf. note 7.

12 Claudine Guérin de Tencin (1681-1749). Mère de D’Alembert, elle accueille dans son célèbre salon savants et gens de lettres, parmi lesquels Fontenelle et Montesquieu. Son caractère et sa conduite sont souvent attaqués.

13 Marie-Thérèse Rodet Geoffrin (1699-1777). Femme du patron de la manufacture SaintGodin, salonnière. Son salon est notamment rendu célèbre par le tableau de Lemmonier (1814).

14 Signifie, figurément et familièrement, un homme d’une humeur farouche, qui ne veut avoir de société avec personne (Dictionnaire de l’Académie française, 6e édition, 1832-1835).

15 11 août 1799. Louis de Beer est à Strasbourg pour effectuer son service militaire.

16 5 août 1799.

17 Littéralement : « Mais le fanatisme d’amitié [en fait] un je ne sais quoi de doux et généreux ».

18 « La perfection, c’est de réunir l’utile à l’agréable » (Horace, Art poétique, 343).

19 Il s’agit peut-être de Rodolphe Kreutzer (1766-1831), violoniste français.

20 Jean-Baptiste Parade, époux d’Henriette de Beer. Capitaine d’État-Major originaire du Périgord.

21 Région du Péloponnèse. Dans la mythologie, symbole d’un âge d’or, lieu notamment d’idylles entre bergers et/ou bergères.

22 Il s’agit peut-être de Rosine Lebrun (1783-1855), soprano munichoise.

23 Le sens nous est demeuré obscur. Le contexte nous permet de formuler l’hypothèse d’une maison close. Cette hypothèse est renforcée par l’usage d’une abréviation, pour désigner un lieu « innommable » au sens propre.

24 L’indication deux lignes plus bas relative à la Robertsau nous laisse penser qu’il s’agit peutêtre de Madame de Sainte-Suzanne, née Dorothée-Catherine Zorn de Bulach (Strasbourg 1773-Strasbourg Roberstau 1807), épouse du comte Gilbert de Brunetau de Sainte-Suzanne.

25 Ruprechtsau est le mot allemand pour « Robertsau », actuel quartier nord de Strasbourg.

26 Là encore, nous ne formulons que des hypothèses. Il existe bien un Monsieur Charpentier Germain (1771-1860) originaire de Fort-Louis, colonel et baron d’Empire, mais il ne peut s’agir de sa femme puisqu’il ne se marie qu’en 1811, ni de sa mère décédée en brumaire VII. Peutêtre est-ce sa sœur ?

27 Il s’agit probablement de la famille de Georges Duperreux (Paris 1766-Strasbourg 1852), intendant militaire, chevalier de Saint-Louis, officier de la Légion d’Honneur, député de 1824 à 1827.

28 Il s’agit probablement de François-Xavier Levrault (1773-1844), marié à Antoinette Liechtlé. Militaire dans les armées de Desaix puis Bonaparte, il reprend l’imprimerie familiale après avoir été blessé à Marengo.

29 Surnom que Louis de Beer se donne parfois lorsqu’il écrit à Charles.

30 « Compagnons de voyage ».

31 Littéralement « Un bouton dans un mouchoir ».

32 Charles aspire à une carrière d’écrivain, ce que Louis réprouve.

33 Zitella signifie « vieille fille ». « Adieu, cher vieux garçon ». Jeu avec l’italien sur le prénom Louis.

34 Espagne.

35 Il s’agit peut-être de François-Joseph Jary (1739-1805), homme politique.

36 Abréviation de Repositorium. Sorte de secrétaire où sont gardés et classés les documents de la vie quotidienne.

37 Au début de l’année 1800, Louis suit Alquier en Espagne.

38 29 mars 1800.

39 En latin, pacate signifie « paisiblement, pacifiquement ».

40 7 mars 1800. Loi qui met à la disposition du gouvernement tous les Français dont la vingtième année a été terminée le 1er vendémiaire an 8.

41 « Tous les réquisitionnaires et conscrits autres que ceux désignés dans les articles 5 et 6 ciaprès, qui ont précédemment obtenu des congés ou des exemptions pour cause de maladies, d’infirmités, ou d’inaptitude au service militaire, seront tenus ou de rejoindre leurs corps respectifs, ou de se faire remplacer par un suppléant, ou de payer trois cents francs pour l’habillement et l’équipement des conscrits nouvellement appelés par la loi ». Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, réglemens, et avis du conseil-d’État de 1788 à 1824, Paris, Guyot et Scribe, 1824-1834, tome 12.

42 5 avril 1800.

43 « À vous détendre ».

44 Citoyen Alquier.

45 Il s’agit probablement du Ministre des Relations extérieures, Talleyrand, nommé à cette place le 18 juillet 1797.

46 Littéralement, le mot espagnol signifie « place, endroit ». Ici, il est peut être utilisé pour désigner le lieu de résidence de Louis de Beer.

47 Maison de France.

48 À partir de 1795, la principauté de Liège disparaît, le territoire est intégré à la France, trois départements sont créés : Ourthe, Meuse-Inférieure, Sambre et Meuse. Louis évoque probablement des individus envoyés en mission dans ces départements, notamment son beaufrère Parade.

49 « Petit garçon » en Alsacien. Louis désigne ici son neveu, le fils de sa sœur Henriette et de Parade.

50 Il s’agit peut-être de Marie Joseph Brassier (1770-1840), médecin militaire.

51 Probablement une domestique des de Beer.

52 13 juillet 1800.

53 22 juin 1800.

54 Le 4 juin 1800, les Français réfugiés dans Gênes doivent capituler face aux Autrichiens qui assiègent la ville.

55 Louis de Beer fait ici référence à la victoire in extremis de Marengo.

56 Référence à la campagne d’Égypte.

57 Parade.

58 Voir note 50.

59 Négociants.

60 Pierre-Léon Basterrèche (1763-1801), armateur, financier, banquier, il fut un des fondateurs de la banque de France.

61 Négociant à Bayonne pour le Citoyen Alquier Ambassadeur.

62 Maximilien Ier de Bavière (1756-1825), qui est aussi duc de Deux-Ponts.

63 Littéralement, avec Erschütterung pour Erschüttrung : « Jusqu’à l’ébranlement du diaphragme ».

64 « Esprit ». Le mot est écrit en graphie allemande.

65 Amateur d’histoire naturelle.

66 Le Clos Windsbuhl est un lieu-dit appartenant à la commune de Hunawihr (Haut-Rhin), non loin de Ribeauvillé.

67 José Clavijo (1730-1806), écrivain espagnol, vice-directeur du cabinet d’histoire naturelle de Madrid. Il eut une liaison avec la sœur de Beaumarchais, ce qui donna lieu à une affaire d’honneur entre les deux hommes. Goethe écrivit une pièce, Clavijo (1774), à partir de cette affaire.

68 « Mille salutations à Joe ». Joe est sans doute un domestique des de Beer.

69 « V.M. » pour Vuestra Madre, peut-être, ici ? Ou plus simplement « Votre Majesté », Votre Grâce : qu’elle « vive mille ans ».

70 « Poulet, se dit aussi d’un billet de galanterie. “Écrire un poulet, des poulets. Recevoir des poulets. Du papier à poulet” » (Dictionnaire de l’Académie française, 5e édition, 1798).

71 Votre Grâce.

72 En 1801, Alquier est envoyé en Italie pour traiter de la paix avec le roi des Deux-Siciles. Accompagné de Louis de Beer, il s’établit à Naples, capitale de ce royaume. Ils font étape à Milan.

73 21 mars 1801.

74 « Barbet. Chien à poil long et frisé, qui va à l’eau. On dit familièrement d’un homme fort crotté, qu’ “Il est crotté comme un barbet” ; et d’un homme qui en suit un autre partout, qu’ “Il le suit comme un barbet”. Et dans le discours familier, en parlant d’un homme soupçonné de rapporter tout ce qu’on fait, tout ce qu’on dit, on dit que “C’est un barbet” » (Dictionnaire de l’Académie française, 5e édition, 1798).

75 Citoyen Alquier.

76 Les Révolutions de 1793 : il s’agit de la révolte fédéraliste et de sa répression.

77 Maison sur les hauteurs de Chambéry où a vécu Rousseau.

78 « La vanité des hommes   ».

79 Suse. Débouché classique des troupes françaises dans le Piémont – concerné par les guerres d’Italie au début du xvie siècle.

80 La route de Ferrières au Mont Cenis est célèbre chez ceux qui font le voyage d’Italie.

81 « Les messieurs » espagnols.

82 « Les messieurs » italiens.

83 Il s’agit de sa sœur Wilhelmine dite Mina (1781-1863). Elle épouse Jean Strubberg.

84 Henriette.

85 « Porte-toi bien et aime-moi ».

86 24 décembre 1801.

87 Sic.

88 Louis de Beer fait référence ici à sa descente dans le cratère du Mont Vésuve, au printemps de l’an 9. Un journal alsacien d’abord, Hammer (le gendre du naturaliste Jean Hermann) ensuite, auraient beaucoup modifié le récit de cette descente, de sorte que Louis s’en serait senti ridiculisé.

89 Jean-Ulrich Metzger (1752-1836), homme politique, juriste, agronome, homme d’affaires. Conseiller de la ville de Colmar. Proche des de Beer, il a notamment avancé de l’argent à Louis lorsque celui-ci a pris ses fonctions de secrétaire d’ambassadeur à Munich.

90 Mathias Engel (1755-1811), pasteur et bibliothécaire à Colmar chez qui Louis de Beer a passé une partie de ses années d’instruction.

91 Espèce minérale.

92 Guitarrero, avec deux « r », désigne en espagnol celui qui fabrique les guitares. Louis de Beer voulait probablement dire guitarristas, « guitaristes ».

93 « J’attends de vous, Sieur Colendissimo [titre de fantaisie sans doute] une très longue [lettre] dans laquelle vous aurez la gentillesse de me donner des nouvelles sur toutes les circonstances [les affaires] de notre très gracieuse famille ; et gardez-vous, je vous prie, de m’obliger à agréer encore votre paresse [celle de Charles lui-même], car rien qu’à écrire ces quelques lignes, la rougeur de la colère allume mon visage et ma juste indignation pourrait vous prouver jusqu’où un frère outré peut porter sa vengeance. (Il m’arrive de mêler l’Espagnol à l’Italien). Adieu, mon cher ; transmettez mes plus tendres sentiments à notre famille : embrassez pour moi mes sœurs enceintes et leurs maris [pregnatori, étymologiquement et littéralement : leurs metteurs enceintes, expression bien dans le ton général de la lettre] ».

94 30 septembre 1802.

95 Comte Antoine de Laforest (1756-1846). Il a entre autres été consul général de France aux États-Unis. En l’an X, il est ministre plénipotentiaire à Munich.

96 21 août 1802.

97 29 juin 1802.

98 Département.

99 « Car j’en ai assez de la vie de gredin ».

100 Louis de Beer a en fait 26 ans  

101 « Ainsi ont voulu les dieux ».

102 Il s’agit de Nicolas Félix Desportes (1763-1849), secrétaire général du Ministère de l’Intérieur sous Lucien Bonaparte puis son premier secrétaire d’ambassade. Accusé de malversations, il fut destitué de ses fonctions de préfet du Haut-Rhin en 1813.

103 Lucien Bonaparte.

104 Friederike Luise von Closen (1764-1820), fille du général von Closen qui a combattu lors de la guerre d’Indépendance des États-Unis. Elle épouse le 10 avril 1781 Johann Christian von Hofenfels, homme d’État, diplomate et ministre du duc Charles II de Deux-Ponts.

105 Noël Jean François Joseph Michel (1756-1841), prédécesseur de Desportes à la préfecture du Haut-Rhin.

106 Marie-Caroline d’Autriche (1752-1814), épouse de Ferdinand IV, roi de Naples et de Sicile.

107 Marie-Antoinette de Naples et de Sicile (1784-1806). Fille de la précédente, elle épouse le 4 octobre 1802 le futur Ferdinand VII, fils aîné du roi Charles IV d’Espagne.

108 « Les noces ».

109 25 novembre 1802.

110 Renseignements.

111 25 octobre 1802.

112 30 septembre 1802.

113 Talleyrand.

114 Secrétaires d’ambassade.

115 Francs.

116 Fait probablement référence au bref épisode de la République parthénopéenne (21 janvier 1799-24 juin 1799), proclamée par les troupes françaises face au roi Ferdinand IV.

117 Monnaie italienne.

118 Pour.

119 Le mot est écrit en graphie allemande. Kan est un titre de grande dignité chez les Tartares.

120 27 décembre 1802.

121 17 novembre 1802.

122 « Confiance en soi ».

123 Avec waker au lieu de wakrer : « un homme brave et fort, à la place d’un homme sensible et [bon] mais inutile pour le monde et pour lui-même ».

124 Sic. Veut-il dire « entente », « entendement » ?

125 Ribeauvillé.

126 Proverbe. Littéralement : « Cela est parti en fumée comme cela avait été gagné ». Correspond au proverbe « Ce qui vient de la flûte, s’en retourne au tambour ». Le bien acquis trop facilement, ou par des voies peu honnêtes, se dissipe aussi aisément qu’il a été amassé (Dictionnaire de l’Académie française, 6e édition, 1832-1835).

127 Son grand-père maternel.

128 Il s’agit peut-être de Jean-Georges Reber (1731-1816), manufacturier mulhousien, qui fut maire de Sainte-Marie-aux-Mines.

129 Terme allemand qui désigne une personne qui évite la compagnie des autres gens, timide.

130 « Salutations à Joe ».

131 24 janvier 1803.

132 Il s’agit d’une comédie allemande de 1746.

133 Manuella, enceinte, a été envoyée dans un couvent où elle fait une fausse couche. Elle a subi à de nombreuses reprises la colère de son père.

134 « On appelle “Maisons de force”, des maisons où l’on enferme les gens indisciplinables, de mauvaises mœurs, et qu’on veut corriger » (Dictionnaire de l’Académie française, 5e édition, 1798).

135 « françaises et italiennes ».

136 « guitare » en espagnol.

137 13 mars 1803.

138 19 février 1803.

139 Ce courrier sera démenti et Louis n’obtiendra ce poste qu’en 1805. 141 Manuela.

140 Laurence Sterne, Voyage sentimental en France et en Italie, trad. de l’anglais, Amsterdam-Paris, M. M. Rey, 1769.

141 Littéralement « les Messieurs Kähte ». Nous ne savons pas de qui il s’agit, c’est l’unique mention qu’en fait Louis de Beer.

142 18 et 19 avril 1803.

143 3 avril 1803.

144 Cordiglia.

145 Cette affaire désigne les négociations concernant les créances de Guillaume de Beer (voir note 7).

146 La République ligurienne est proclamée en 1797 à Gênes (République sœur).

147 Honoré Vial (1766-1813), général de division. Nommé Ministre plénipotentiaire à Malte en l’an X.

148 Cette campagne a eu lieu au printemps 1799. Dirigée par Masséna, l’armée d’Helvétie conquiert les vallées des Grisons face à l’Autriche.

149 Thermidor

150 27 et 29 juillet 1803.

151 9 juillet 1803.

152 « Costume. Mot pris de l’Italien, et qui signifie “les usages des différens temps, des différens lieux, relatifs aux objets extérieurs auxquels le peintre est obligé de se conformer”. Il se dit surtout des habillements » (Dictionnaire de l’Académie française, 5e édition, 1798).

153 « Du reste, ne vous inquiétez pas pour moi. Il ne me manque ni l’espoir, ni le courage, ni les moyens de vaincre la fortune/gagner de l’argent ». Nous proposons de garder les deux sens de Vincere fortuna, tous deux possibles grammaticalement et en ce qui concerne le sens. Cette formule permet à Louis de jouer sur les mots.

154 Cordiglia.

155 Littéralement, Korb signifie « panier ». L’expression ein Korb bekommen (littéralement « recevoir un panier ») signifie en langage familier « se faire envoyer sur les roses ». Louis écrit ici la moitié de l’expression en français (« qui ont reçu un »), l’autre en allemand (Korb).

156 Louis Guillaume Otto, comte de Mosloy (1754-1817), diplomate, conseiller d’État, secrétaire d’État. De 1803 à 1809, il représente le gouvernement consulaire puis impérial à Munich.

157 5 avril 1804.

158 Louis-Antoine-Henri de Bourbon, Duc d’Enghien (1772-1804). Au début de l’année 1804, la police démasque une conspiration menée par le général chouan Georges Cadoudal contre

Bonaparte pour rétablir la monarchie. Bonaparte soupçonne le duc d’Enghien d’être derrière ce complot. Il le fait arrêter et après un jugement bâclé, le duc est fusillé dans la nuit du 20 au 21 mars 1804 dans les fossés du château de Vincennes. C’est un acte fondateur de l’Empire.

159 29 février 1804.

160 « Quaker » désigne grosso modo les anabaptistes.

161 Un des foyers de l’émigration. C’est là que le duc d’Enghien s’était réfugié. Un millierd’hommes sont envoyés à Ettenheim pour l’enlever.

162 Peut-être « Bonjour » avec l’accent italien.

163 Dans la Rome antique, partie des thermes où l’on prend des bains chauds.

164 Par.

165 « Sensible ». Employé, probablement par erreur, au singulier.

166 « petite fille ».

167 Cependant.

168 « Ton fidèle Louis ».

169 Cardinal Haeffelin (1737-1827), né dans le duché de Deux-Ponts, il fut ministre de Bavière.

170 Il s’agit probablement de Talleyrand.

171 Maximilan comte de Montgelas (1759-1838), homme d’État bavarois. Il est alors premier ministre de la Bavière.

172 Son Altesse Sérénissime.

173 Littéralement : « l’oncle abattu à la maison ».

174 Louis de Beer n’a jamais revu Manuella.

175 Lieu-dit de la commune de Nierderhergheim (Haut-Rhin) où se trouve une tuilerie (Ziegel signifie tuile).

176 Littéralement, la « maison-jardin protégée ».

177 Tædium vitæ : « dégoût/fatigue de la vie ».

178 La feuille est trouée.

179 Louis fait ici précéder « 96 » d’un signe mal lisible : parenthèse ouverte, ou apostrophe.

180 Poète allemand (1752-1851).

181 La moitié de la feuille manque, coupée au ciseau/couteau.

182 La moitié de la feuille manque. Impossible de savoir s’il y avait encore quelque chose d’écrit.

183 En avril 1809, l’archiduc Charles d’Autriche envahit la Bavière, allié de la France.

184 Louis de Beer tient lui-même un journal de dépenses. Il en est conservé plusieurs cahiers aux ADHR sous la cote 10J19.

185 Nous n’avons pas retrouvé cette lettre.

186 Gouverneur de Bénévent.

187 Louis voulait probablement écrire « mains ».

188 Son grand-père paternel.

189 Expression qu’on peut sans doute traduire : « Qui sert à la Cour meurt sur la paille » ou « sur une paillasse ». Pagliare (de paglia, paille) est un terme dialectal désignant une meule.

190 Commune de Bavière.

191 Littéralement « m’abattre à la maison ». L’idée est qu’un homme à la maison est un homme abattu.

192 Strubberg, mari de Mina et beau-frère de Louis de Beer.

193 En 1803, Guillaume de Beer acheta le château de Ribeauvillé.

194 Il s’agit peut-être de Jean Frédéric Lichtenberger (1743-1831), historien et enseignant au Gymnase à Strasbourg.

195 Il s’agit vraisemblablement du père de Sigismond de Berckheim.

196 Signifie littéralement « romand ». Dans ce contexte, désigne probablement la langue française qui n’a pas été pratiquée depuis un certain temps.

197 Henriette.

198 Figure biblique. Désigne l’instigateur du mariage pour les autres ; celui qui s’efface.

199 Littéralement « saucisse contre saucisse ». Expression qui désigne une compétition, un défi.

200 Jacques Frédéric Nicolas Titot (1754-1815), pasteur. Il a enseigné à l’Académie militaire de Pfeffel à Colmar où Louis de Beer a étudié.

201 « Si Mina avait l’esprit de Henriette ». Rappelons qu’il s’agit des deux sœurs de Louis de Beer.

202 Probablement « Sa Majesté Bonaparte ».

203 Cependant.

204 Alquier.

205 Parade.

206 « J’ai plus de 32 ans, et je ne me suis pas encore débarrassé de mes scories ».

207 Le Prince Maximilien de Deux-Ponts.

208 Expression utilisée familièrement pour dire « À votre santé ».

209 Talleyrand.

210 Son Altesse.

Illustrations

Cote : 10J20/1 aux Archives Départementales du Haut-Rhin (ADHR). Ce n’est pas seulement pour faire des économies de papier que Louis de Beer noircit ses lettres jusque dans les marges. Pour des très proches, il paraît impossible de se quitter tant que le papier n’est pas saturé. « Voilà ce qui s’appelle des lettres, et si tu prenais du papier aussi grand, et que tu écrivisses sur les quatre pages autant de billevesées que moi, tu me ferais encore plus de plaisir que ne m’en causent déjà tes lettres que je reçois trop rarement », écrit-il à son frère le 24 Thermidor 7.

(cliché Juliette Deloye)

Cote : 10J20/1 aux ADHR. S’attacher à la matérialité des documents offre un accès à la pratique intime que constitue l’écriture des lettres. Ici, les nombreuses ratures et insertions peuvent être la marque d’une relecture attentive et de la recherche d’un style, tout comme de l’empressement dans lequel Louis de Beer écrit les lettres à sa famille, débordé par ses fonctions administratives.

(cliché J. Deloye)

Cote : 10J20/1 aux ADHR. Le père de Louis de Beer a noté presque systématiquement, dans le chapeau des lettres qu’il a reçues de son fils, la date de réception, de classement par ses soins (reps) et un résumé de sa réponse.

(cliché J. Deloye)

Citer cet article

Référence papier

Louis de Beer, « Correspondance de Louis de Beer. Extraits choisis, 1791-1813 », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 5 | 2014, 143-189.

Référence électronique

Louis de Beer, « Correspondance de Louis de Beer. Extraits choisis, 1791-1813 », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 5 | 2014, mis en ligne le 22 septembre 2023, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=382

Auteur

Louis de Beer

Éditeur scientifique

Juliette Deloye

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