Fondé en 1964 par André Malraux dans le contexte d’effervescence culturelle des Trente Glorieuses, l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France procédait de la nécessité pointée par André Chastel de réinventer la recherche régionale2. Sa mission était en effet de « recenser, étudier et faire connaître » ce que l’on n’appelait pas encore le patrimoine régional sur l’intégralité du territoire national. Relevant du Ministère de la Culture et placés depuis 1983 sous la responsabilité des Directions régionales des affaires culturelles (DRAC), les services de l’inventaire général du patrimoine culturel ont été transférés aux collectivités régionales par la loi du 13 août 2004. Si ce changement de tutelle a induit une inflexion des missions des services vers une logique plus opérationnelle et davantage tournée vers les publics, leurs missions premières, la recherche et l’accompagnement de la recherche dans le domaine du patrimoine régional, s’est maintenue. C’est dans ce cadre qu’il convient de considérer l’étude de la Neustadt de Strasbourg, engagée par le service de l’inventaire du patrimoine de la région Alsace depuis 2010.
Objet et contexte de l’étude
La Neustadt de Strasbourg, un héritage exceptionnel
La Neustadt de Strasbourg, également appelée quartier allemand ou impérial, correspond à l’ensemble planifié et partiellement construit durant la période de l’annexion allemande. Fruit d’un premier plan d’extension officiellement approuvé en 1880 et agrandi d’un second en 1909, elle conduisit au triplement de l’espace urbain intra-muros3. Sa réalisation effective, engagée dès avant l’entrée en vigueur du plan, se poursuivit jusqu’au milieu du xxe siècle, soit bien après le retour de la ville dans le giron français. Le projet fut dans un premier temps encouragé sinon piloté par l’administration allemande4. Il s’agissait en effet de faire de Strasbourg la capitale du nouveau Reichsland Elsass-Lothringen, de témoigner de la puissance du nouvel Empire à quelques kilomètres de la frontière nouvellement établie, mais aussi d’être en mesure d’accueillir une importante émigration encouragée, pour des questions stratégiques, par les autorités allemandes5. En cela, elle bénéficia de moyens exceptionnels qui permirent la réalisation d’ensembles monumentaux remarquables. Par la suite, à compter des années 1895, elle fut davantage le fait d’une politique municipale novatrice et ambitieuse6. Sa planification, contemporaine des premiers traités d’urbanisme en Allemagne, offre en outre un très bel exemple de la mise en pratique des principes et théories élaborés et discutés dans cette nouvelle discipline. Enfin, malgré le désamour dont l’architecture du xixe siècle fit l’objet durant une bonne part du siècle suivant – rappelons qu’il fut un temps envisagé de raser le palais du Rhin – la Neustadt de Strasbourg est parvenue jusqu’à nous dans un état de conservation relativement bon, voire excellent, si on le compare à celui des grandes villes allemandes. À ce titre, elle constitue l’un des principaux témoignages de l’architecture éclectique et de l’urbanisme allemand de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle.
Consciente de la valeur de cet héritage, la ville de Strasbourg a engagé en 2008 une démarche de candidature de cet ensemble urbain sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité, en lien avec la Grande Île inscrite depuis 19887. Parallèlement, l’État et la communauté urbaine de Strasbourg ont amorcé une procédure de révision et d’extension du secteur sauvegardé de Strasbourg afin, notamment, d’y intégrer une partie de la Neustadt8. Compte tenu de ces projets, la ville, la communauté urbaine de Strasbourg et la région Alsace ont décidé d’engager ensemble l’inventaire du patrimoine urbain de la Neustadt de Strasbourg. Initiée à l’automne 2010, cette opération est appelée à se terminer en 2016. Elle est conduite par le service de l’inventaire du patrimoine de la région Alsace, compétente dans le domaine, qui y affecte une équipe de neuf agents.
Dans le cadre de ce projet à visée opérationnelle, il s’agit de fournir des éléments pour alimenter le dossier de candidature à l’Unesco et des renseignements utiles pour l’établissement du plan de sauvegarde et de mise en valeur lié au secteur sauvegardé. Ce travail s’inscrit également dans la lignée des études urbaines engagées depuis près de deux décennies par les services régionaux d’Inventaire.
L’inventaire général du patrimoine culturel et les études urbaines
Bien que dès sa création il se soit intéressé à l’architecture en tissu urbain9, l’Inventaire ne s’est engagé que relativement récemment dans les études urbaines10. Entendons par ce terme l’appréhension de la ville en tant qu’objet d’étude propre et non simplement comme contenant d’une succession d’édifices. Dans ce domaine, et pour rester dans le cadre des études d’inventaire, les opérations menées à partir des années 1990 au Havre et à Rennes ont joué un rôle déterminant. Elles s’inspirent dans leur approche des acquis des études de morphologie urbaine mises en œuvre par les géographes et les architectes depuis quelques années11 et les appliquent à la méthodologie et aux outils de l’Inventaire, soit un va-et-vient permanent entre exploitation de sources documentaires (sources et bibliographie) et analyse de terrain, le tout alimentant un traitement statistique et géographique12.
Cette approche nous semblait fondamentale au moment d’engager l’étude de la Neustadt de Strasbourg. En effet, eu égard au contexte spécifique de sa création, il apparaissait nécessaire de la considérer comme un objet propre dont chaque édifice, chaque élément d’urbanisme, chaque rue formait une partie constituante. Par ailleurs, la toile de fond historique dans laquelle s’inscrit la construction de la Neustadt appelait une approche sociale interrogeant les acteurs de la Neustadt, maîtres d’œuvre, commanditaires, habitants. En cela, notre étude s’inscrit dans la lignée des travaux menés ces dernières années par les services d’inventaire du patrimoine dans le domaine de la villégiature13, ainsi que de recherches universitaires menées outre-Rhin14.
En effet, si au moment de l’engagement de notre étude, la Neustadt n’était plus depuis longtemps un champ de recherche en friche, les travaux antérieurs s’étaient essentiellement consacrés à l’étude du plan d’extension et aux monuments publics, aux questions relevant de la politique urbaine ou de certains aspects stylistiques15. L’histoire de la construction effective de ce morceau de ville, l’analyse de son fonctionnement et de son évolution, son impact dans l’histoire urbaine de Strasbourg et, plus globalement, dans celle de l’Alsace restaient encore largement à explorer. C’est cette orientation que nous avons souhaité donner à notre étude.
À l’issue des lectures liminaires, il nous est apparu que la Neustadt de Strasbourg allait bien au-delà du projet politique, militaire et symbolique. Certes, cet aspect est bien réel, comme l’a montré Klaus Nohlen16, et il appelle un questionnement sur la dimension politique et nationale de l’architecture produite durant cette période, ainsi qu’un rapprochement entre Strasbourg et d’autres régions frontalières de l’Empire allemand17. Toutefois, la Neustadt est un objet plus complexe : elle procède d’interventions d’acteurs divers et sa forme a évolué dans la durée. Moment majeur de l’histoire urbaine strasbourgeoise, elle a permis à la ville de s’ouvrir à la modernité. Les outils réglementaires, les expériences mises en œuvres et menées lors de sa construction en ont fait un laboratoire urbain, architectural, artistique et social dont l’impact outrepasse largement les limites géographiques de la Neustadt et celles, chronologiques de l’Annexion.
La méthode mise en œuvre
Un premier travail d’identification des sources écrites, iconographiques et cartographiques a permis de mettre en évidence l’exceptionnelle richesse des fonds locaux présents aux archives départementales et municipales, à la bibliothèque nationale et universitaire, à la bibliothèque municipale et aux archives de la Direction régionale des affaires culturelles d’Alsace (Denkmalarchiv). Aussi, pour des raisons pratiques, le choix a-t-il été fait d’exploiter préférentiellement ces fonds ainsi que ceux accessibles en ligne18 et de ne recourir aux ressources des autres institutions que de manière ponctuelle.
l’établissement d’une cartographie de référence
La compréhension de la Neustadt, du territoire dans lequel elle s’insère et de leur évolution a constitué une étape fondamentale de la recherche. Pour l’établir, une sélection de vingt-deux cartes anciennes a été établie. Le choix a porté tant sur des cartes figurant l’existant (treize documents) que sur des cartes figurant des projets (neuf occurrences).
Parmi les cartes traduisant un état existant, certaines sont à l’échelle parcellaire (1/7 500 ou 1/4 000), pour permettre l'analyse de l’évolution de la production bâtie. À cette fin, les cartes ont été sélectionnées à la fréquence d’une par décennie durant la période 1870-1920, puis tous les 20 à 30 ans19. Des documents à plus petite échelle (1/10 000, 1/15 000 ou 1/20 000) ont également été retenus afin de pouvoir replacer la Neustadt dans l’agglomération strasbourgeoise en évolution20.
Les cartes figurant des projets concernent tant des projets d’extension : le plan d’extension de 188021, bien entendu, auquel il faut ajouter les plans masse de l’Université et de la faculté de médecine dessinés par Hermann Eggert22, mais également le plan de la seconde extension de l’hôpital de 190623, le plan de l’extension au devant de la porte des Bouchers de 190924, le plan dit Laforgue de 193725 et le plan Vivien de 196326. Fort logiquement, leur échelle est variable en fonction du projet : de 1/1 000 pour un projet portant sur un ensemble urbain (extension de l’hôpital) à 1/100 000 pour les projets d’agglomération (plan Vivien).
L’ensemble de ces documents a bénéficié d’une photographie en haute définition. Si une analyse comparative de visu est déjà fort instructive, il s’est avéré nécessaire, au moins pour certains d’entre eux, de les géo-référencer et de les intégrer dans un système d’information géographique. À cette fin, des données issues du système d’information géographique de la Communauté urbaine de Strasbourg ont été mises à disposition du projet. Constituées d’informations portant sur le parcellaire et la voirie actuels, elles ont servi de référentiel pour les cartes historiques.
Le recensement
Parallèlement, un important travail de recensement exhaustif a été engagé à l’automne 2010. Celui-ci a porté tant sur des données issues d’archives que sur une observation de terrain.
Lors de l’identification des sources disponibles, trois types de fonds ont été retenus et leur intérêt pour l’étude a justifié un dépouillement exhaustif : il s’agit des délibérations du conseil municipal de Strasbourg, des actes de vente des terrains conservés dans les fonds du Domaine et des archives de la police du bâtiment27.
Partant du postulat que toute opération urbanistique, tout projet architectural important mené sur le territoire de la Neustadt de Strasbourg était au moins évoqué lors des débats du conseil municipal, quand bien même la ville n’était pas maître d’ouvrage, nous avons procédé à un dépouillement complet des délibérations du conseil municipal entre 183528 et 1950. Ce travail effectué entre l’automne 2010 et le printemps 2011 a permis d’établir une trame chronologique où figure toute discussion relative à un projet d’aménagement urbain, de construction d’édifice ou d’équipement public, de réglementation, de vente ou d’achat de terrain.
Par la suite, et en complément de ce premier travail, un dépouillement des actes de vente des terrains des anciennes fortifications a été effectué. En effet, en 1875, durant la genèse du plan d’extension, la ville avait dû racheter à l’Empire les terrains des anciennes fortifications pour un montant de 17 millions de marks. Si cette transaction faisait de la ville le principal propriétaire foncier de la Neustadt, l’importance des sommes engagées rendait nécessaire une revente rapide d’une partie au moins des terrains acquis. L’analyse de ces transactions permet ainsi de connaître aisément une part importante des personnalités qui ont investi dans l’extension. Ainsi, un dépouillement de l’intégralité de 625 actes de vente a été effectué en 2012 et intégré dans une base de données. Certes, la vision ainsi établie n’est pas exhaustive, car l’information demeure manquante pour les terrains privés dont l’étude aurait rendu nécessaire le dépouillement de fonds notariés beaucoup plus difficiles d’accès. Néanmoins, cette lacune peut être partiellement comblée par l’analyse ponctuelle de plans et documents cadastraux. Si ce travail, dont l’exploitation est aujourd’hui en cours, permettra d’apporter des éléments sur les jeux fonciers qui opérèrent dans la Neustadt, il ne fournit aucune information quant au bâti. C’est pourquoi, le dépouillement des archives de la police du bâtiment était également nécessaire.
En effet, la création en 1892 d’un service chargé de l’examen de tout permis de construire, la police du bâtiment, offre aujourd’hui une véritable manne d’information pour le chercheur en histoire de l’architecture. Si, dès avant cette date, de nombreux permis de construire étaient déjà déposés, la procédure devint alors systématique. Par ailleurs, la mise en place de formulaires à renseigner par les pétitionnaires en permet une exploitation aisée. Toutefois, compte tenu de l’important nombre de dossiers pour les édifices de la Neustadt29, il a été jugé opportun d’extraire de manière systématique un certain nombre de données30, repoussant l’exploitation fine de quelques liasses à un stade ultérieur de l’étude. Effectué durant l’automne et l’hiver 2010-2011 avec le soutien de la Communauté urbaine de Strasbourg, ce dépouillement a permis d’obtenir des données historiques minimales pour plus de 85 % des édifices sis dans la Neustadt31. Toute intéressante qu’elle soit, cette information n’était pas directement exploitable de manière statistique à l’issue du dépouillement. En effet, afin d’éviter tout risque de déformation lié à une interprétation ou une traduction, il a été demandé aux différentes personnes chargées du dépouillement de ce fonds de retranscrire fidèlement les informations figurant dans les liasses.
À l’issue de ce travail, les données ont été vérifiées et traduites par deux chercheurs de l’équipe. Ce travail, effectué au printemps 2011, s’est tout particulièrement attaché à l’identification et au « dédoublonnage » des noms des maîtres d’œuvre. Toutes les occurrences ont été reprises une à une et comparées à celles qui figurent dans une base de données vouée aux architectes et entrepreneurs actifs en Alsace, constituée par le service de l’Inventaire dans les années 1990 et alimentée depuis cette date32. Il s’agissait en effet d’identifier les maîtres d'œuvre dont le prénom avait pu être germanisé après 1870 ou francisé après 1918 ou de développer les initiales des prénoms. Ainsi, celles-ci ont été développées seulement si la base de données des maîtres d’œuvre comportait une occurrence unique à ce nom avec un prénom correspondant à l’initiale, et si le maître d’œuvre présentait une période d’activité compatible avec la date relevée lors du dépouillement. Le même parti a été adopté pour la traduction des prénoms qui ne l’ont été que lorsqu’il a été possible de s’assurer de manière quasi certaine qu’il s’agissait bien de la même personne. Ainsi, s’il a été possible de dire que Franz et François Scheyder sont la même personne, il n’a pas été possible d’identifier plus précisément A. Brion : Auguste ou Albert ? Tous deux sont en effet actifs à la fin du xixe siècle. Il conviendra de trancher au cas par cas lors de l’étude ultérieure. Néanmoins, ces réserves faites, ce premier toilettage a permis d’établir une liste de 877 occurrences de maîtres d’œuvre dans la Neustadt33.
Enfin, ces données ont été intégrées dans une base de données constituée pour l’enquête qui a permis de les croiser avec les informations collectées par l’équipe sur le terrain.
Engagé à l’automne 2011 et finalisé à la fin 2012, le travail de recensement sur le terrain a permis d’établir une fiche analytique pour les 3 156 immeubles sis dans l’aire d’étude sans distinction d’affectation, de qualité architecturale et toute période confondue. Les données collectées portaient sur l’emplacement de l’édifice dans son environnement, sa mise en œuvre (matériaux, nombre d’étage, forme du toit, etc.), la présence et la nature de décor de second œuvre, une datation de visu, son affectation actuelle, son degré d’intégrité et sa qualité patrimoniale34. Ce travail a été complété de photographies de l’édifice et, le cas échéant, de relevés d’inscriptions.
Croisées aux informations issues des archives de la police du bâtiment, intégrées dans une base de données et liées au système d’information géographique mentionné plus haut, ces renseignements constituent la matière première sur laquelle s’appuie l’étude architecturale de la Neustadt. En effet, avec la constitution de cet outil finalisé au printemps 2013, il est désormais possible de croiser des informations descriptives et historiques relatives à ces édifices, d’en obtenir les résultats sous forme statistique ou de les localiser dans l’espace de la Neustadt.
L’étude
Les données de recensement constituent le socle de l’étude de la Neustadt proprement dite, qu’il s’agisse de l’étude architecturale (dossiers de la police du bâtiment, recensement terrain) ou de l’étude urbaine (délibérations du conseil municipal, fonds des Domaines). Cette étude est réalisée selon la méthode de l’inventaire général du patrimoine culturel, soit la constitution d’un ensemble de dossiers documentaires organisés hiérarchiquement, comportant chacun un historique, une description et une synthèse et illustrés de photographies, relevés et cartes35. Leur réalisation nécessite un retour sur le terrain pour une étude approfondie ainsi qu’un travail documentaire poussé.
Ces dossiers sont constitués concomitamment de façon topographique et thématique. L’approche topographique, motivée par la dimension opérationnelle du projet, permet, en divisant l’aire d’étude en 11 secteurs, d’apporter rapidement des informations précises sur les édifices identifiés comme les plus remarquables lors du recensement, tout en privilégiant les territoires concernés par un projet urbain ou patrimonial. En outre, elle a été engagée parallèlement à la phase de recensement afin de répondre au calendrier opérationnel des partenaires. À ce titre, les deux premiers secteurs traités dans le cadre de l’opération ont été l’axe impérial en raison des projets d’extension du secteur sauvegardé et du périmètre du bien inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, ainsi que l’hôpital civil dont le site est actuellement en reconversion. Après avoir couvert le quartier du parc de Contades, l’étude par secteurs se poursuit actuellement sur l’axe avenue des Vosges – avenue d’Alsace – avenue de la Forêt-Noire et sur l’île Sainte-Hélène.
Néanmoins, aborder la ville comme une juxtaposition d’ensembles urbains ou d’édifices remarquables serait fortement réducteur. Il convient d’envisager la Neustadt comme un tout, dans laquelle chaque partie, présentant un intérêt patrimonial important ou moindre, participe de la compréhension de l’ensemble. Cette approche n’a pu être engagée qu’à l’issue de la phase de recensement afin de bénéficier d’une vision générale de l’aire d’étude, soit à compter du printemps 2013. Les dossiers constitués dans ce cadre sont organisés de manière collective (par famille d’individus) ou par thématiques afin de répondre aux questions posées lors de la problématique. Il s’agit donc d’établir des corpus définis puis structurés à partir de critères discriminants. Conformément à la méthodologie de l’inventaire général du patrimoine culturel, si chaque dossier collectif ou thématique propose une synthèse, il renvoie également vers des dossiers monographiques qui illustrent le propos et s’intègrent dans l’arborescence documentaire évoquée plus haut. Néanmoins, à la différence des dossiers traités lors de l’approche par secteurs, sont retenus non seulement les éléments les plus remarquables patrimonialement, mais ceux jugés, à l’issue d’un premier travail de synthèse, plus à même d’illustrer le propos général.
Ainsi, dans le cadre de la réalisation d’un dossier collectif sur la voirie, un premier travail d’identification et de datation des 287 voies et tronçons de voies qui constituent la Neustadt a été effectué. Il a permis d’établir une série de cartes de la formation du réseau viaire et de constituer un échantillonnage de 97 voies. Celui-ci a fait l’objet d’une analyse typologique (emplacement, tracé, analyse des profils, identification des aménageurs, reprise de tracés anciens, etc.) fondée sur un travail croisé d’analyse sur le terrain et d’exploitation des sources. À l’issue de cette étape, il a été possible de rédiger une première version du dossier de synthèse et de pointer les voies les plus représentatives (les typica) ou les plus remarquables (les unica) dont l’étude approfondie sous forme de monographies permet d’illustrer et, le cas échéant, d’amender le dossier de synthèse.
Il en va de même d’un autre sujet, primordial pour notre étude, portant sur l’immeuble. Si lors de la phase « topographique », les édifices les plus remarquables ont donné lieu à une étude approfondie, d’autres font depuis cette année l’objet de plusieurs analyses thématiques portant sur le mode d’habitat, les questions stylistiques ou la présence d’activités commerciales ou tertiaires. Pour traiter de ces questions, encore une fois, il est nécessaire d’envisager, au moins au début, tout le corpus afin de pouvoir identifier les individus les plus représentatifs. Ceux-ci s’intègrent ensuite dans l’arborescence documentaire (figure 3), aux côtés des édifices remarquables précédemment étudiés, mais seront également liés aux dossiers de synthèse qu’ils illustrent.
Cette méthode, propre à l’inventaire général du patrimoine culturel, permettra, nous l’espérons, de renouveler la connaissance actuelle de la Neustadt en mettant en évidence ses éléments les plus remarquables – dont la préservation serait souhaitable –, mais également en répondant à un certain nombre de questions, portant tant sur la construction effective de la Neustadt que son mode de fonctionnement, ses acteurs ou son évolution.
Une recherche en lien avec le public et l’Université
Restitution et valorisation des résultats de l’étude auprès du public
Dès l’engagement du projet, la région Alsace et ses partenaires ont souhaité que les résultats de l’étude puissent être partagés avec le public. Si une restitution finale est envisagée à l’horizon 2016, il est apparu judicieux, compte tenu de l’importance du projet et des enjeux connexes, de proposer différents rendus tout au long de l’étude. Ainsi, une première petite publication, sous forme d’un guide de visite de la collection « Parcours du patrimoine » consacré à l’Université impériale, a été éditée en 201236.
En 2013, la tenue à Strasbourg de l’exposition « Interférences/Interferenzen, Architecture France-Allemagne 1800-200037 » a permis de présenter les premiers résultats de l’étude et de les mettre en perspective avec d’autres travaux. Enfin, certains éléments apportés pour nourrir le dossier Unesco figurent dans la publication accompagnant le dossier de candidature pour l’extension du bien inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité38.
Néanmoins, il s’agissait aussi pour les collectivités partenaires de créer un événement susceptible de sensibiliser les habitants à la qualité patrimoniale de la Neustadt. C’est à cette fin qu’en 2012 ont été créés les « Rendez-vous de la Neustadt », événement destiné au grand public au cours duquel le service de l’Inventaire du patrimoine présente sous un mode convivial et parfois ludique les résultats de l’étude en cours et les moyens mis en œuvre pour les obtenir. Cette manifestation est également l’occasion d’associer les partenaires qui, aux côtés du service, participent à cette étude et, en premier lieu, l’Université de Strasbourg.
L’Université, un partenaire clé du projet d’inventaire
Si les liens entre le service de l’Inventaire et l’Université de Strasbourg sont largement antérieurs à l’étude de la Neustadt, celle-ci a permis de les renforcer sensiblement. En effet depuis 2006, une étude est conduite par le Jardin des sciences de l’Université de Strasbourg en partenariat avec le service de l’inventaire du patrimoine de la région Alsace sur les collections scientifiques de l’Université. Menée de manière autonome à ses débuts, elle a été rapprochée de l’inventaire de la Neustadt, eu égard à la provenance et à la destination d’une grande partie de ces collections conçues ou achetées pour les instituts de l’Université impériale. Cette connexion a permis de montrer de manière probante combien la Neustadt fut, dans ses débuts du moins, une opération pensée globalement et quels furent les jeux d’interdépendance entre l’urbanisme, l’architecture et l’instrumentation scientifique39. En retour, l’inventaire de la Neustadt a permis d’éclairer et de remettre en perspective les premières conclusions de l’étude des collections scientifiques de l’Université.
L’étude de la Neustadt a également fourni l’opportunité de mettre en connexion la recherche menée par un service patrimonial avec l’enseignement et la recherche universitaire. En effet, dès son engagement, les étudiants de la faculté des Sciences historiques ont été associés à l’étude. Tous les ans, le Service accueille plusieurs étudiants en stage. Ils sont alors associés à l’équipe de recherche. De surcroît, lors du séminaire « Étudier l’histoire de l’architecture à Strasbourg aux xixe et xxe siècles à Strasbourg » dirigé par Hervé Doucet dans le cadre du Master d’histoire de l’art, de l’architecture et du patrimoine, les étudiants sont initiés à la pratique de l’inventaire et sont amenés à rédiger un dossier documentaire avec l’aide de membres du service. Ce travail, qui leur offre l’opportunité d’une première expérience de recherche appliquée dans le domaine du patrimoine, peut se prolonger par une valorisation auprès du public. En effet, depuis 2012, les étudiants du Master qui le souhaitent sont associés aux « Rendez-vous de la Neustadt ». Sous la direction d’Hervé Doucet et de l’équipe du service, ils conçoivent et animent un parcours de visite dans la Neustadt et bénéficient ainsi d’une première expérience professionnelle dans le domaine de la médiation du patrimoine.
Conçu comme un projet de recherche ambitieux, l’inventaire du patrimoine de la Neustadt mobilise une importante équipe pour une durée de six ans. À ce titre, elle constitue la plus importante opération menée par le service et a nécessité la conception d’une méthode d’approche spécifique fondée sur les ressources disponibles et les résultats escomptés. S’il s’agit avant tout d’étudier cet ensemble, il importe également de mieux le faire connaître auprès des différents publics, amateurs, scientifiques, riverains et grand public. En effet, si la connaissance est une étape fondamentale de la préservation du patrimoine, son appropriation et donc sa reconnaissance, en est également une, non moins contournable.