Le Discours préliminaire sur l’établissement en général des prisons a été écrit le 28 novembre 1806 par Pierre Valentin Boudhors, architecte en chef de la ville de Strasbourg. Il se présente sous la forme de cinq folios reliés entre eux sans aucune indication de destinataire. Il devait certainement accompagner une lettre de l’architecte ainsi que les plans, l’avant-métrage et le devis du projet. Ce document manuscrit se trouve aux Archives départementales du Haut-Rhin1 avec un plan masse du projet et une partie de la correspondance relative à la prison centrale d’Ensisheim. Quant aux plans et élévations, ils sont conservés aux Archives de la ville et de la communauté urbaine de Strasbourg2. Ces documents ne sont pas signés de Boudhors, comme cela était d’usage à cette époque lorsque les dessins étaient accompagnés d’un courrier. À l’occasion d’une étude sur l’œuvre Boudhors, nous avons fait le rapprochement entre le plan masse de Colmar et les élévations de Strasbourg. Les formes spécifiques de plusieurs corps de bâtiment permettent d’affirmer que ces deux corpus de documents figurés décrivent le même projet.
Pierre Valentin Boudhors (1754-1831), un architecte atypique
Pierre Valentin Boudhors écrit le Discours préliminaire sur l’établissement en général des prisons en 1806, cinq ans après sa réintégration dans ses fonctions d’architecte en chef de la ville de Strasbourg.
Fils d’un inspecteur des Ponts et Chaussées, il a eu l’opportunité de faire ses études à Paris entre 1773 et 1777, grâce à l’aide financière du Magistrat de la ville. Dans la seconde moitié du xviiie siècle à Strasbourg, la formation des Bauinspektor se limitait à un apprentissage comme maçon, puis le travail, l’expérience voire le talent, permettaient de briguer le poste d’inspecteur des Bâtiments. Après l’école des arts et métiers3, Pierre Valentin a la chance d’être repéré par le préteur royal François Baron d’Autigny et de parfaire son éducation à Paris auprès des meilleurs architectes de son temps. Il débute son voyage d’études en suivant les cours au Collège des Quatre Nations et à l’Académie royale d’architecture, alors dirigée par Jacques-François Blondel. Puis il intègre l’agence de l’architecte Jean-François-Thérèse Chalgrin, l’un des promoteurs du style néo-classique dans la seconde moitié du xviiie siècle. Au cours de ce séjour parisien, le préteur royal n’a recueilli que des échos favorables sur son protégé :
[…] Le Sr Boudhors fils annonçoit dès lors des dispositions que vous voulutes bien le mettre à même de developper, en lui permettant de se rendre à Paris pour y travailler sous les grands maitres. J’ai été à meme de juger par les témoignages que m’ont rendu sur son compte ceux qu’il a fréquenté à Paris, ainsi que par différents ouvrages de sa composition qu’il m’a envoyés, qu’il a donné tous ses soins à se perfectionner dans son art et que vous pouvez dès à présent mettre à exécution les vües que vous aviez sur lui4…
Les « vües » qu’avaient le Magistrat et les Bauherren (les directeurs des Bâtiments) de Strasbourg consistaient à faire de leur cité l’égale des grandes villes françaises. En effet, l’embellissement d’une ville supposait une vision globale de l’espace urbain. Les rues se devaient d’être tirées au cordeau ; l’articulation entre la voirie et les espaces plus ouverts, comme les places, était au cœur des réflexions des architectes. Et Strasbourg n’échappait pas à cette ambition. En 1765, le préteur royal François-Marie Gayot avait sollicité, par l’entremise du duc de Choiseul, les talents du théoricien Jacques-François Blondel. L’architecte parisien fournit en 1769 un vaste plan de la ville redessinant les rues et les places selon les préceptes de la symétrie et de la rectitude classiques. Faute de moyens financiers, ce projet fut abandonné. L’embellissement de la ville était alors laissé à l’initiative des particuliers.
C’est dans ce contexte que Pierre Valentin Boudhors revient dans sa ville natale en 1777. Il prend alors ses fonctions d’inspecteur des Bâtiments et, fort de sa formation parisienne, tente d’y introduire le nouveau style en vogue, le néo-classicisme. L’occasion lui est donnée de faire ses preuves. Comme ville-frontière, Strasbourg a l’obligation de loger une garnison militaire importante. Or, les casernes sont alors vétustes et en nombre insuffisant. À partir de 1780, Boudhors entame un vaste projet de bâtiments militaires dans le quartier Saint-Nicolas (1782-1784), au Faubourg de Saverne (1784) et aux Ponts Couverts (1787). Parallèlement, il élabore deux projets d’hôtels de ville situés sur la place du Marché-aux-Herbes (l’actuelle place Gutenberg). En dépit des critiques de ses confrères qui contestent sa capacité à construire des édifices solides, Boudhors parvient à réaliser la plupart des casernes5. En revanche, les projets d’hôtels de ville ne voient pas le jour. En 1789, le Magistrat de Strasbourg notifie à l’architecte sa destitution6. Aucune archive ne mentionne les motivations de ce licenciement. Peut-être son caractère intransigeant ou la cabale de ses confrères ont-ils été la cause de son renvoi.
Nous perdons sa trace pendant les premières années de la Révolution. Il s’est certainement retiré dans le domaine agricole de sa mère à La Wantzenau. En 1794, il obtient un poste d’inspecteur provisoire des Ponts et Chaussées dans le district de Wissembourg et sept ans plus tard, il reprend son poste d’architecte en chef de la ville de Strasbourg. En 1802, le maire Hermann lui demande de chercher un endroit où entreposer les orangers du prince de Hesse-Darmstadt confisqués comme bien national et offerts à la Ville. Faute de lieu propice, la municipalité décide de construire une orangerie ex nihilo et confie ce projet à l’architecte. Boudhors élabore un bâtiment dans le plus pur style palladien mais, devant l’opposition du préfet du Bas-Rhin Shée, il doit revoir son projet. Il dessine alors les plans d’un édifice plus vaste qui doit servir également de lieu de villégiature au couple impérial lors de sa venue en Alsace. La construction de ce bâtiment a créé une vaste polémique faisant éclater au grand jour l’opposition entre le maire et le préfet7.
En 1807, Boudhors est chargé de revoir les plans du nouveau théâtre commencé quelques années plus tôt8. Le bâtiment provisoire, situé sur la place du Marché-aux-Chevaux (l’actuelle place Broglie) avait entièrement brûlé en 1800. Un concours avait été lancé, au grand dam de Boudhors9. Ce sont les dessins de Casimir Robin qui emportèrent l’adhésion des édiles et de Paris. La construction subit cependant de nombreux déboires, faute de moyens financiers suffisants. Boudhors reprend les plans de son concurrent et définit un nouveau cahier des charges. Mais les travaux s’éternisent ; l’argent manque cruellement et les événements politiques de l’Empire interrompent à nouveau le chantier.
Boudhors n’en suit pas la réalisation puisqu’il est à nouveau limogé en 1810. Il semble que cette fois-ci, il subit les conséquences de la querelle entre le maire et le préfet puisque son licenciement coïncide avec celui de Jean Frédéric Hermann. Sa carrière professionnelle prend fin malgré plusieurs demandes de réintégration après 1815.
Le projet pour la prison centrale d’Ensisheim
En 1805, à la demande du ministre de l’Intérieur, le préfet du Haut-Rhin Félix Desportes10 avait sollicité l’ingénieur des Ponts et Chaussées Messier pour transformer le dépôt de mendicité11 d’Ensisheim en une prison centrale pouvant accueillir les condamnés de dix départements environnants. Ses inspecteurs étant très occupés, ce dernier demande à contacter l’architecte de la ville de Strasbourg, ce qui est accordé12. Boudhors accepte alors ce travail. Un an plus tard, l’architecte envoie les plans, un avant-métrage et un texte explicatif au préfet. Ce Discours se compose de deux parties13. Dans sa longue introduction, Boudhors évoque la question de la prison et le reste du texte s’applique à illustrer son propos en décrivant son projet architectural.
La condition humaine était une des préoccupations des intellectuels du xviiie siècle. Comment aspirer à l’égalité des hommes sans améliorer leur quotidien ? C’est dans cette perspective que le pouvoir monarchique s’était penché sur le système pénitentiaire et avait limité les mesures d’exception : la pratique de la torture lors des interrogatoires avait été abolie par Louis XVI ; les lettres de cachet avaient fortement diminué. En 1780, le ministre Necker avait demandé à Lavoisier un rapport sur les prisons de Paris qui avait conclu à la surpopulation et à l’insalubrité généralisées. La même année, Malesherbes avait fait réaménager à Paris la prison de la Force. Cette prison-modèle présentait un agencement novateur qui séparait les prisonniers par sexe, par âge et en fonction des délits et des peines. La Révolution et le Premier Empire poursuivirent cette réflexion. Napoléon Ier réorganisa le système carcéral. Les nouvelles maisons centrales en projet devaient être financées et administrées non plus par les municipalités mais par l’État et les préfets.
Dans ce contexte d’intense réflexion sur la détention et sur le fonctionnement des prisons14, Boudhors apporte une contribution théorique dont les principes rejoignent les préoccupations de ses contemporains. Il en propose cependant une mise en œuvre architecturale originale.
Une prise en compte de l’humanité des détenus transparaît dans l’ensemble du texte. Certes les « facultés que les hommes ont reçu[e]s de la nature » – et non plus de Dieu – peuvent être utilisées par certains pour nuire aux autres. La société doit donc réagir en construisant « des prisons qui leur ôtent les moyens d’attenter à la tranquilité des citoyens paisibles ». Le rôle punitif de la loi apparaît dans toute sa mesure en édictant des « sentances terribles » qui assurent la sûreté publique. Mais la sévérité des sanctions ne doit pas pour autant nier l’humanité des prisonniers. La prison n’est pas uniquement un lieu d’enfermement, elle a une vocation sociale de réinsertion. Alors que les geôles de l’Ancien Régime abandonnaient les condamnés à leur sort dans l’inaction, les prisons de la Révolution et du xixe siècle proposent aux détenus de travailler : « … le condamné traîne une vie lente qui achève d’éteindre en lui jusqu’au moindre germe de ses facultés morales et physiques en le rendant impropre, à tout espèces de travail… ». Afin de réussir ce retour dans la société, les conditions de détention doivent être améliorées. Jusqu’alors, les prisonniers étaient entassés à plusieurs dans des prisons municipales ou seigneuriales. Selon leurs moyens financiers, ils pouvaient adoucir leur séjour en payant au geôlier une cellule isolée et des repas conséquents. Néanmoins, la majorité croupissait dans des cellules humides et infestées d’animaux en tout genre. Dorénavant, les objectifs essentiels d’une prison centrale modèle se résument en trois concepts : la sûreté, la salubrité et l’humanité.
Dans la seconde partie du Discours préliminaire, Boudhors traduit architecturalement ces nouvelles notions. L’idée d’un édifice dédié uniquement à l’enfermement est apparue à la Révolution. Mais dès la seconde partie du xviiie siècle, les architectes, soucieux de développer une nouvelle approche d’une architecture plus « parlante15 », s’étaient penchés sur ce type d’édifice édilitaire. Influencés par la série des Prisons de Piranèse publiée en 174516 et largement diffusée dans toute l’Europe, ils avaient conçu des bâtiments exprimant les valeurs morales d’une société humaniste. Boullée avait réaménagé la prison de la Force ; Ledoux avait dessiné les plans d’une prison à Aix-en-Provence et Pierre-Gabriel Bugniet avait élaboré en 1765 un modèle novateur de prison panoptique qui eut un vif succès aux États-Unis17.
Dans le sillage de ces architectes, Boudhors confère à son projet une fonction éthique. Il développe un programme carcéral dont l’objectif premier est la sûreté. S’appuyant sur les édifices à plusieurs étages du dépôt de mendicité18, il dessine de nouveaux corps de bâtiments le long de la muraille de l’enceinte (figure 1). La gendarmerie en vis-à-vis (P sur le plan masse) vient renforcer le dispositif de maintien de l’ordre. La sûreté se conçoit en grand en divisant l’ensemble en petits espaces distincts qui réduisent la promiscuité des différents types de prisonniers : ainsi, un condamné pour dettes ne côtoie pas un criminel.
[…] les deux plus grands quartiers sont pour le dépôt général de mendicité et pour les condamnés par les tribunaux, la 3ème partie pour les prisonniers pour dettes et ceux pour lesquels on paye pensions, la 4ème pour des prisonniers d’État et la cinquième pour les maniaques que nous croyons devoir se trouver plutôt avec le dépôt des pauvres que dans les hôpitaux ordinaires…
Cette séparation permettait également de mieux surveiller les détenus. Un système de circulation composé de couloirs, de cours et de galeries donne une plus grande sensation d’enfermement (figure 2). Les cellules de certains quartiers (U, 37) ne donnent pas directement vers l’extérieur mais sont flanquées de couloirs. Des tours de guet qui surplombent les principales cours (U, 37) facilitent la surveillance des prisonniers lors de leur promenade.
Le deuxième concept développé par Boudhors est la salubrité. L’hygiène des anciennes prisons était très souvent décriée par les intellectuels au xviiie siècle19. Le manque d’eau potable, la promiscuité et l’humidité20 étaient une des causes de la surmortalité carcérale. Beaucoup de cachots se trouvaient dans des caves ou dans des endroits reculés de la ville qui ne laissaient que rarement passer l’air et la lumière. À l’inverse, Boudhors élabore une prison de grande ampleur. Sur une superficie qui fait le double de celle du dépôt de mendicité, il peut ainsi aménager différentes cours plus ou moins vastes, favorisant l’aération. Il propose de supprimer une « … grande partie des canaux actuellement répandu dans l’ancien batiment et qui rendent plutôt la maison humide et malsaine que salubre… » pour ne conserver « … que ceux nécessaires pour l’écoulement des eaux et des latrines […] cette methode est infiniment préférable à cette quantité d’aqueducs sous terrain qui répandent une humidité desastreuse pour les murs et les habitants de la dite maison. ». L’hygiène des prisonniers est également importante puisque des bâtiments sont dévolus aux bains (19). La pratique du bain avait été redécouverte au xviiie siècle avec les nouvelles théories médicales : l’eau n’est plus porteuse de miasmes et de maladies. Bien au contraire, ces conceptions mettent en avant les méfaits de la saleté sur la santé. Elles ont d’abord cours chez les élites, puis elles gagnent les couches sociales inférieures pour se diffuser largement à partir de la Révolution.
Boudhors prend également en compte le confort des détenus puisqu’en été, un système de pompage doit faire circuler l’eau du canal dans des rigoles creusées dans les cours afin de rafraîchir l’air21.
Dans son programme, Boudhors insiste sur les conditions de détention que réclamaient les encyclopédistes : la faute commise n’enlevait pas l’humanité des prévenus. Néanmoins, il n’en oublie pas pour autant une mission essentielle de la prison, le redressement : « … faire du prisonnier un homme qui puisse un jour rentrer dans la société… ». L’inaction est donc proscrite ; le prisonnier est incité à travailler. Pour cela, il faut pouvoir disposer d’espace. Bien que Boudhors en parle, il ne développe pas plus cette idée. De quelle activité veut-il parler ? Certainement de travaux manuels comme il s’en faisait à cette époque.
Cet espace doit être organisé selon les préceptes néo-classiques : la prison doit « … former un ensemble régulier avec ce qui existe de bon de l’ancien établissement22 et tout en régularisant la disposition des corps de batimens et en les séparant par des cours qui se scindent dans un ordre simétrique… ». L’unique entrée de la prison est prolongée par un axe central traversant trois autres accès qui desservent les cours principales. Contrairement à Ledoux qui a privilégié le seul carré pour le projet de prison à Aix-en-Provence, Boudhors différencie les espaces par un jeu de formes géométriques variées dont les principales sont le fer à cheval et le trapèze.
La prison est le monument de l’éducation par excellence qui punit par l’enfermement et qui effraie pour éduquer. L’aspect général extérieur doit donc signifier l’isolement complet du détenu sans recourir aux décors ou ornements, qui prévalaient au siècle précédent23. Malheureusement, les archives de la ville de Strasbourg ne conservent que trois élévations du projet24. À l’étude de ces dessins, il s’avère que Boudhors a pensé les bâtiments avec une grande austérité et a particulièrement soigné le traitement des portes d’entrée des grandes cours. Il y réaffirme les conceptions de l’architecture « parlante » en mêlant des éléments issus de l’Antiquité, du Moyen Âge et de la Renaissance25. Chaque élévation de corps de logis est scandée par un ressaut central très travaillé. Ainsi, la première façade reprend le thème de la porte d’hypogée telle qu’on pouvait le voir dans les tombes étrusques (figure 3, au fond de la cour n°36 sur le plan masse). Cette vaste entrée est surmontée d’une ouverture demi-sphérique, puis d’une fenêtre rectangulaire. L’ensemble est couronné par un fronton à bossage à claveaux harpés qui rappelle l’architecture de la Renaissance française26. La notion de surveillance est traduite dans la pierre par cette tour qui surplombe la cour. Le bossage y est traité en chaînage harpé qui s’inspire de l’architecture castrale médiévale. Afin de rappeler aux prisonniers leur détention, une chaîne brisée est sculptée en forme de guirlande baroque. Plusieurs portes d’hypogée jalonnent le rez-de-chaussée du corps de bâtiment et semblent symboliser l’entrée dans le monde chtonien. Dans la deuxième élévation, le même principe est repris (figure 4, au fond de la cour U sur le plan masse). Boudhors change de langage tout en maintenant un lien avec le premier dessin. La transition se fait avec le réemploi de la porte-hypogée, de l’oculus et du fronton à claveaux harpés. Les nouveaux apports se trouvent dans le traitement de l’entrée qui puise son inspiration dans la Saline d’Arc-et-Senans de Ledoux. Cette porte-grotte, cachée derrière une colonnade dorique, fait référence aux fabriques des jardins italiens de la Renaissance qui invitaient les promeneurs à entrer dans l’univers mystérieux des dieux et des monstres. Le changement s’opère dans le traitement de la tour de surveillance posée sur le toit. L’architecte fait référence au classicisme français avec ses couronnements en dôme. Quant à la troisième façade, l’architecte y a largement réinterprété les thématiques de Ledoux à Arc-et-Senans (figure 5, au fond de la cour V sur le plan masse). La grotte est doublée en hauteur et se cache à nouveau derrière une colonnade dorique. L’ordre est, ici, très épuré puisque les fûts sont posés directement sur le sol et ne sont pas cannelés, affirmant ainsi sa symbolique masculine. L’ensemble est flanqué de deux pilastres à fort bossage. Contrairement à Ledoux qui avait réinventé la colonne au bossage géométrique proéminent, Boudhors le traite simplement en refend. L’entablement est simplifié et sculpté de consoles qui semblent supporter les claveaux harpés du fronton. Cependant, la partie centrale n’est pas couronnée d’une tour de guet. Pourquoi ? Peut-être était-elle inutile puisque ce bâtiment termine la succession des cours en enfilade. La monumentalité expressive et pédagogique de ces trois façades doit rappeler aux prisonniers leur condition et célébrer ainsi le rôle social et moral de la prison. En passant dans ces grottes « infernales », le délinquant est retiré du monde et, seul face à lui-même et face à Dieu, il est amené à réfléchir sur l’ordre de la nature et à s’amender.
Le projet de prison fut refusé par le ministre de l’Intérieur qui, dans une lettre au préfet du Haut-Rhin, critiquait l’ampleur, le coût et l’esthétique du projet :
[…] ces plans ont grand besoin d’être rectifiés, et dégagés surtout de cette complication de toutes sortes de formes demi rondes trapezoïdales, barlongues à angles rentrans et saillants, obtus, aigus ; il sembleroit que l’architecte s’est attaché à employer toutes les figures géométriques et qu’il en a écarté les plus simples comme celles à angles droits ou parfaitement circulaires. En effet l’aspect de ce plan offre plutôt la figure d’une fortification que celle d’un batiment à usages civils27.
À la lecture du Discours préliminaire et des dessins, il ressort que Boudhors a eu un regard humaniste sur son art. L’agencement des différents bâtiments fait ressortir un système efficace d’isolement des détenus soustraits à la société civile, tout en leur offrant une solution de réinsertion sociale. Boudhors y applique les préceptes d’une architecture « parlante » qui affiche d’emblée sur les façades et dans son organisation la destination de l’édifice. Cette architecture avait vocation à susciter des émotions et de participer à l’éducation du spectateur. Ce projet de prison centrale est l’un des derniers conçu par l’architecte qui n’a eu à son actif que peu de réalisations28. Architecte prolixe et visionnaire, il s’est heurté à l’incompréhension et aux intrigues politiques des édiles strasbourgeois.