Abraham Gottlob Werner (1749-1817) est le fils d’un sidérurgiste de Lusace. Formé à Freiberg, puis à Leipzig, il publie en 1774 Des caractères extérieurs des fossiles. Dès l’année suivante, il est nommé inspecteur des Mines et se voit chargé des cours de minéralogie et de l’art d’exploiter les mines à la Bergakademie de Freiberg. Au sein de cet institut fondé en 1765 pour développer l’exploitation du riche district minier de l’Erzgebirge, Werner propose un enseignement qui part de l’observation concrète du sous-sol et des affleurements de surface pour bâtir le savoir minéralogique ou « géognostique1 ». La « géognosie » est une science descriptive pratiquée par des hommes qui, pour la plupart, ont en charge l’exploitation de mines. Pour étudier le sous-sol, ces géognostes le décomposent en grandes unités lithologiques superposées dont ils cherchent à établir le contenu ainsi que les relations mutuelles à l’intérieur du gisement. Par l’enseignement de la géognosie qu’il dispense à Freiberg, Werner contribue à asseoir le statut de celle-ci parmi les sciences de la terre2. La notoriété du géognoste est telle qu’à partir des années 1790, Freiberg attire des élèves de la plupart des états européens. Âgés de 16 à 25 ans, ils suivent un cursus qui, pendant 3 années, associe des cours de mathématiques, de chimie, de droit et des cours relatifs à la science des mines3.
Jean-François d’Aubuisson de Voisins (1762-1841) fait partie des élèves de Werner, même si la singularité de son parcours lui confère un statut particulier. Issu de la noblesse toulousaine, d’Aubuisson est en 1789 aspirant au corps royal d’artillerie. Le 22 septembre 1791, il quitte la France et fait le choix de servir dans l’armée des frères de Louis XVI, il participe aux campagnes entre 1793 et 1797 au sein de la compagnie noble d’artillerie du prince de Condé. Après la paix de Campo-Formio (18 octobre 1797), il se rend en Saxe, à Freiberg, où il reste de novembre 1797 à l’automne 1802. En dépit de son ardeur à se présenter comme disciple de Werner, d’Aubuisson n’a pas suivi les enseignements du maître dès son arrivée à Freiberg, mais seulement à partir de 1800 et pour deux années au lieu de trois. Selon Charpentier qui a occupé la chaire de mathématiques et de physique à Freiberg, d’Aubuisson était au début de son séjour à Freiberg « entièrement opposé à Werner sous tous les rapports4 ». Les sources ne font pas état des raisons qui, en 1800, ont finalement conduit d’Aubuisson à suivre les leçons de Werner. On sait en revanche qu’il profite de son séjour dans cette ville pour dispenser lui-même des leçons de mathématiques et effectuer de nombreux voyages, pour étudier le sol et les modalités d’exploitation des ressources (organisation des mines, machines utilisées, etc.). À partir de 1801, d’Aubuisson cherche le moyen d’effacer son passé d’émigré et de rentrer en France ; c’est alors que commence son entreprise de « wernerisation ». Jusqu’en 1807, il tente de concilier deux objectifs : diffuser la pensée de Werner en France et devenir ingénieur des Mines afin d’être « placé » comme il l’écrit lui-même. Il parie sur le fait que la figure de disciple de Werner pourra lui conférer une légitimité scientifique suffisante pour autoriser son retour en France et lui permettre d’accéder au corps des Mines alors qu’il n’est pas passé par l’École polytechnique et qu’il n’a pas été élève des Mines5. Les 19 lettres que d’Aubuisson adresse à Werner entre 1801 et 18096, comparées aux travaux de différentes natures qu’il produit, permettent de suivre les étapes de cette entreprise de « wernerisation », elles offrent aussi un témoignage éclairant sur le fonctionnement du corps des Mines sous le Consulat et l’Empire7, sur la place que prennent les controverses minéralogiques dans les carrières des ingénieurs et des savants.
C’est en se présentant comme « élève de l’École Wernerienne » (lettre du 5 juin 1801, Dresde) ou comme « l’élève du célèbre Werner » (lettre du 4 décembre 1803) que d’Aubuisson essaie de se faire connaître des membres du corps des Mines, d’abord sous un faux nom – Eflinger ou Helfinger – puis lorsqu’il est démasqué par Brochant et qu’il se rend compte que le nom de Werner lave le sien de tout soupçon, malgré son passé d’émigré, il cesse de se cacher. À partir de 1801, les promesses faites par Dolomieu et Brochant d’intervenir en sa faveur auprès de Chaptal, qui est alors ministre de l’Intérieur, l’incitent vraisemblablement à cultiver la figure du disciple. Quelques mois plus tard, il soumet au Conseil des mines un « mémoire sur la partie économique et administrative de la Saxe », mémoire qui est publié très rapidement dans le Journal des mines8. Le texte de d’Aubuisson est précédé d’un chapeau introductif rédigé par les rédacteurs du périodique qui précise : « Ce mémoire est écrit avec méthode, et il prouve de la part de son auteur une connaissance approfondie de tout ce qui est relatif à l’art des mines ». Cette appréciation est de bon augure pour d’Aubuisson qui, pour pouvoir revenir à Paris, cherche à se rendre utile.
En 1802, il publie à Freiberg la traduction française de la Nouvelle théorie de la formation des filons de Werner9. Werner lui-même adresse un exemplaire de la traduction française de son livre au Conseil des mines, vraisemblablement pour soutenir le projet de d’Aubuisson. Les membres du Conseil des mines remercient très rapidement Werner et précisent que « la traduction que vient d’en faire sous son nom le Cen d’Aubuisson lui donne beaucoup de prix » puisqu’elle est validée par l’auteur10. Dans la préface qu’il joint à sa traduction, d’Aubuisson insiste sur la singularité de son livre au sein de la production consacrée à Werner. Il mentionne le Traité de minéralogie suivant les principes de Werner publié par Brochant de Villiers, l’ingénieur des Mines chargé de dispenser les cours de minéralogie à l’École des mines11. Tout en rendant hommage à cette initiative, il souligne que Brochant n’a eu qu’un accès indirect aux travaux de Werner, et qu’il n’a pas pu suivre ses enseignements… deux privilèges dont d’Aubuisson, lui, a pu jouir12. D’Aubuisson revendique aussi son choix de « donner l’original même écrit en français », au risque de livrer un texte composé dans un style « raboteux » et « chargé de répétitions dissonantes13 ». Sa traduction se veut donc absolument fidèle au texte de son maître.
Dans sa préface, le disciple présente Werner comme un minéralogiste de terrain qu’il compare à Dolomieu et Saussure ; il en fait un « géognoste observateur14 » qui, grâce à ses observations répétées, a pu montrer que la structure particulière des filons peut fournir des informations précieuses sur la structure du globe terrestre. Ne se satisfaisant pas de décrire précisément le travail de terrain de son maître, d’Aubuisson fait composer en majuscule le verbe « voir » qui revient trois à quatre fois par page pour marteler que « sa théorie des filons n’est qu’une conséquence naturelle et nécessaire des faits qu’il a observés15 ». Cette revendication n’est évidemment pas anodine puisqu’elle est rendue publique juste après qu’Haüy a fait paraître son Traité de minéralogie sous le patronage du Conseil des mines16. Dans une brève note glissée dans sa préface, d’Aubuisson rend hommage aux travaux de Haüy mais, à la même période, les lettres qu’il écrit à Werner témoignent de son opposition radicale à la démarche du minéralogiste parisien. D’Aubuisson s’emploie à combattre contre la « sotte idole », ou encore « l’idole de quelques sots enthousiastes », c’est-à-dire la molécule, et réprouve totalement l’approche cristallographique défendue par Haüy, approche qu’il juge trop théorique. Le caractère expérimental de la cristallographie conduit d’Aubuisson à la regarder comme hypothétique ; la manière d’identifier la structure interne des cristaux conduit pour lui à de grandes distorsions avec ce que les hommes de terrain peuvent observer à l’occasion de leurs excursions minéralogiques. Dans les commentaires qu’il envoie à Werner entre 1801 et 1809, le disciple semble suggérer l’existence de deux clans au sein du corps des Mines comme chez les savants : ceux qui suivent Haüy – que d’Aubuisson estime peu nombreux – et ceux qui se réclament de Werner. Il prend soin d’indiquer à Werner l’estime que ceux qu’il côtoie à Paris ont pour ses travaux. À travers ces deux groupes, on retrouve une opposition entre une minéralogie systématique et spéculative et une minéralogie fondée sur une grande familiarité avec le terrain. Qu’il soit lui-même en excursion ou qu’il évoque celles des autres, d’Aubuisson revient souvent dans ses lettres sur la dimension empirique consubstantielle, à ses yeux, à toute pratique de la minéralogie. Et il insiste beaucoup sur le statut heuristique acquis par l’observation dans la géognosie de Werner.
L’entreprise de wernerisation conduite par d’Aubuisson est systématique ; il ne néglige aucune institution savante majeure17. On devine au fil des lettres que son réseau de sociabilité se consolide peu à peu, au sein notamment de l’Institut, du Muséum d’histoire naturelle et de la Société philomathique. En 1802, à peine arrivé et installé à Paris il lit devant la classe des sciences physiques et mathématiques de l’Institut son « Mémoire sur les basaltes de la Saxe accompagné d’observations sur l’origine des basaltes en général ». Dans ce texte, d’Aubuisson reprend l’analyse de Werner et conclut à l’origine aqueuse des basaltes18. Ramond et Haüy rapportent sur ce texte de manière mitigée mais en rendant hommage aux travaux de Werner et à sa méthode. Leur rapport est publié l’année suivante et Ramond intervient pour qu’une allocation soit attribuée à d’Aubuisson pour lui permettre d’aller observer les basaltes en Auvergne afin de constater sur le terrain les conclusions de Nicolas Desmarest sur l’origine volcanique des basaltes19. En 1802, Léopold de Buch, élève et disciple lui aussi de Werner, s’est déjà rendu en Auvergne où il a reconnu l’origine volcanique du basalte. Le piédestal de Werner commence à s’effriter. En 1804, lorsque Daubuisson rend compte à l’Institut des résultats de son voyage, il reconnaît que le basalte est une lave mais il ne renonce pas à la doctrine de Werner ; les plaidoyers en faveur de ce dernier qu’il publie quelques années plus tard dans le Journal de physique et les Annales de chimie en témoignent.
D’Aubuisson n’aspire pas seulement à la reconnaissance savante. Son projet reste avant tout d’intégrer le corps des Mines : aussi cherche-t-il à faire valoir ses compétences en matière d’exploitation des ressources minérales. En 1802, il publie à Leipzig un traité intitulé Des mines de Freiberg en Saxe et de leur exploitation20. Dans son introduction, il place son ouvrage sous le patronage de Werner, notant même qu’ » il y a même des chapitres, tel le troisième, que l’on doit regarder comme un abrégé de ce qu’il expose lui-même dans son cours sur l’art des mines » ou encore que « ce que je dis dans l’introduction sur les gîtes de minerai n’est également qu’un abrégé de ce qu’il m’a appris sur ce sujet21 ». Il range son livre parmi les guides, donnant aussi, notamment dans les notes, des conseils aux voyageurs qui l’utiliseraient à l’occasion d’un voyage à Freiberg, il leur suggère des itinéraires, les invite à privilégier telle ou telle mine et témoigne ainsi de la familiarité qu’il a acquise avec ce territoire. D’Aubuisson se présente lui-même comme un guide, comme un intermédiaire qui met sa parfaite connaissance des mines de Freiberg au service des Français qui voudraient s’y rendre et s’en inspirer. Les lettres qu’il écrit à Werner contiennent aussi des propositions d’excursions à suggérer à ceux qui se rendent à Freiberg.
En dépit de tous les efforts qu’il déploie, la nomination de d’Aubuisson au sein du corps des Mines paraît compliquée. À la fin de l’année 1802, il apprend que faute d’être passé par l’École polytechnique et l’École des mines, il ne pourra pas être nommé ingénieur. Toutefois, au début de l’année suivante le Conseil des mines doit remplacer Clouet qui était le bibliothécaire de la Maison des mines depuis la fin de l’an II et qui vient de mourir. Gillet-Laumont propose à d’Aubuisson de devenir traducteur au Conseil des mines, de prendre en charge la bibliothèque ainsi que le suivi des collections minéralogiques. C’est en janvier 1803 que cette nomination tant attendue intervient.
En tant qu’« adjoint au conservateur des collections minéralogiques de l’École des mines de Paris et chargé spécialement de l’examen et de la traduction des mémoires étrangers », d’Aubuisson fait partie des personnels de la Maison des mines les mieux rémunérés. Il perçoit 2 500 francs par an ; seul le conservateur des collections reçoit un traitement plus élevé (3200 francs). Par ailleurs, comme les conservateurs, il est logé rue de l’Université, au sein de la Maison des mines, un lieu singulier qui rassemble un laboratoire, des collections minéralogiques, une bibliothèque, une salle de conférences, ainsi que les bureaux du Conseil des mines22. Son témoignage apporte un éclairage sur la dimension collégiale du travail accompli dans ce bâtiment, mais il laisse aussi transparaître les rivalités qui opposent certains ingénieurs soucieux de défendre leur position au sein du corps ou leur statut parmi les minéralogistes.
Sitôt nommé par le Conseil des mines, d’Aubuisson s’attelle à mettre en ordre la partie française de la bibliothèque, les collections de cartes géographiques qui en dépendent, puis il s’intéresse particulièrement aux livres écrits en langue étrangère ; il les reclasse, répertorie ceux à faire relier23 et dresse la liste des ouvrages à acquérir pour compléter les lacunes de la bibliothèque. Le 1er pluviôse an XIII (21 janvier 1805), il se désole par exemple qu’aucun livre n’ait été acheté depuis plus d’un an, alors que « plusieurs ouvrages intéressants relatifs à l’art des mines et usines » sont parus, des ouvrages dont l’acquisition lui paraît « nécessaire pour entretenir au complet la belle collection de livres sur les mines et sur la minéralogie24 ». La plupart des lettres que d’Aubuisson adresse au Conseil des mines insistent sur la nécessité de suivre les publications scientifiques pour qu’une bibliothèque reste utile. En l’an XIII, il envoie au Conseil des mines une liste des « principaux ouvrages relatifs à l’art des mines et à la minéralogie qui ont paru en Allemagne depuis deux ans » ; chacun des titres est suivi d’une estimation du prix de chaque volume. Cette liste réunit les ouvrages de Rinman, de Tiemann, de Moll, Stunkel, Charpentier, Schwabe, Hausmann, Stutz, Reuss et Brüner, ainsi que la traduction allemande du traité de Haüy. Elle représente un coût d’environ 160 francs. Les archives dépouillées ne permettent pas de savoir si le Conseil des mines a pu honorer cette demande, néanmoins l’existence de cette liste montre que, devenu bibliothécaire, d’Aubuisson continue son entreprise de wernerisation et, au delà, de diffusion de la minéralogie allemande en France.
Bien qu’il ne soit pas le premier bibliothécaire de la Maison des mines à procéder à des traductions, d’Aubuisson semble avoir été particulièrement actif dans ce domaine. Il a notamment traduit les tables des matières de tous les ouvrages qui lui paraissent « d’un intérêt direct pour les mineurs25 ». Ces tables converties en français devaient permettre aux membres du corps des Mines de « sélectionner les passages dont la traduction française pourrait circuler avec profit auprès des exploitants », d’Aubuisson se chargeant ensuite de la réaliser. Parmi ces ouvrages, on trouve par exemple les travaux de Voigt sur les houilles, les mémoires de Wentzel, Baader et Schroll26. D’Aubuisson a également traduit la table générale de tous les articles contenus tant dans le Bergmännisches Journal publié à Freiberg que dans le Magazin für die Bergbaukunde publié par Lempe qui sont les deux périodiques savants les plus importants à cette époque dans le domaine de la minéralogie. Ces tables reprennent pour chaque volume le nom des auteurs, le titre traduit en français des articles publiés et la pagination. Il s’agit à l’évidence d’outils précieux pour tous les usagers de la bibliothèque, qu’ils soient employés de bureau, savants ou élèves, ou encore rédacteurs du Journal des mines. Partageant son temps entre la bibliothèque et le cabinet de minéralogie de la Maison des mines, d’Aubuisson traduit aussi les catalogues des collections qui sont envoyées d’Allemagne au Conseil des mines27. Sa contribution à la wernerisation de la France passe aussi par une réorganisation d’une partie des collections ou du moins par l’aménagement d’une partie des collections de minéraux suivant la classification de Werner. L’enjeu est important puisque les échantillons sont censés faciliter l’identification des substances citées par Werner dans ses travaux28.
Attaché au bureau du Conseil des mines, d’Aubuisson traduit enfin des textes juridiques. À partir de 1805-1806, le Conseil des mines réfléchit à une réorganisation du corps et commande à d’Aubuisson des traductions de réglementations mises en œuvre dans les mines de l’espace germanique. Ces textes plaident en faveur d’une intervention importante de l’État et coïncident avec la conception que les ingénieurs des Mines ont de leur rôle. D’Aubuisson rédige une version française d’une ordonnance sur les usines à fer des États prussiens qui insiste sur le rôle des officiers royaux dans les mines qui appartiennent au roi et dans celles qui appartiennent à des particuliers ; il traduit aussi un supplément concernant la création d’un corps d’élèves et de cadets des mines destinés à occuper des emplois dans l’administration29. À tout cela viennent encore s’ajouter les 39 textes que d’Aubuisson publie dans le Journal des mines entre 1803 et 1807. La plupart vise à faire connaître les modes d’exploitation développés outre-Rhin, on compte également un nombre important de recensions qui concernent des travaux publiés en allemand. En 1807, lorsqu’il adresse au ministre de l’Intérieur une lettre dans laquelle il cherche à le convaincre de sa capacité à intégrer le corps des Mines, d’Aubuisson rappelle la contribution qu’il a apportée à la connaissance de la législation relative aux mines30. Si actif qu’il soit, d’Aubuisson se plaint pourtant de ce travail sédentaire, il déplore devoir passer ses journées à noircir du papier, et aspire à plus de pratique et à plus d’action.
La nomination qu’il convoite tellement intervient au moment où l’administration des mines doit nommer trois ingénieurs ordinaires alors que seuls deux élèves des Mines sont en état d’être présentés. Le 15 mai 1807, après avoir narré tous ses déboires et ses espoirs déçus à Werner, d’Aubuisson lui annonce qu’il vient d’être nommé ingénieur des mines et qu’il doit partir le surlendemain dans le Piémont pour prendre son poste. C’est là quasiment la dernière lettre qu’il adresse à son maître, comme si l’entrée dans le corps ne justifiait plus d’entretenir cette relation épistolaire. Le mémoire publié en deux parties en 1809 dans les Annales de chimie permet à d’Aubuisson d’exposer une dernière fois l’importance des travaux de Werner, comme s’il s’agissait pour lui de solder la dette qu’il avait contractée à l’égard du « maître de Freiberg ».
Le retour en France de l’émigré d’Aubuisson est, à l’évidence, facilité par le statut de disciple de Werner, statut qu’il a méticuleusement construit afin de devenir légitime aux yeux des membres du corps des Mines comme à ceux des minéralogistes et des chimistes parisiens. Fort de cette position, il investit conjointement plusieurs lieux de savoir et publie régulièrement dans les principaux périodiques savants. Si la stratégie individuelle fonctionne – puisqu’à partir de 1807 la carrière de d’Aubuisson au sein du corps des Mines se poursuit de la même manière que celle de ses collègues –, l’entreprise de wernerisation subit quant à elle quelques secousses. En 1809, les principes de l’École wernerienne ne font plus l’unanimité. L’admiration que le savant suscite perdure mais les lettres de d’Aubuisson montrent que nombre de ses élèves prennent leurs distances à l’égard de certaines de ses analyses. Elles illustrent l’aura de celui-ci en France mais elles permettent aussi de nuancer le schéma longtemps validé par l’histoire de la minéralogie qui aurait consisté en une diffusion et adoption progressive par la France des principes de Werner31. La place prise en France par la cristallographie montre qu’une autre manière d’aborder l’étude des minéraux s’est affirmée au cours de cette période et que de nombreux membres du corps des Mines ont bâti leur approche de la minéralogie sous cette double influence.