« Délivré d’un lourd et importun fardeau,
et détaché du monde, ô mon cher Seigneur,
vers toi je reviens épuisé comme une frêle barque
fuit l’horrible ouragan pour la paix retrouvée. »
Michel-Ange1
Le plaisir particulier que suscitent certaines œuvres d’art semble tenir à ce que Roland Barthes a décrit comme « cette imperfection mystérieuse et souveraine, plus belle que l’art achevé », ce « tremblement du temps2 » des grands génies, en leurs derniers feux. Ainsi en est-il de la Pietà Rondanini de Michel-Ange. Parmi les rares documents qui s’y rapportent, figure une lettre datée du 11 juin 1564 adressée par Daniele da Volterra à Leonardo Buonarroti, neveu du sculpteur : « Je ne me souviens pas, note Daniele da Volterra, si, dans tout ce que j’ai écrit, j’ai inclus comment toute la journée du samedi précédant le dimanche du Carnaval, Michel-Ange a travaillé debout au corps du Christ de la Pietà3 ». Deux jours plus tard, soit le lundi 14 février 1564, l’état de santé de Michel-Ange paraît s’être considérablement détérioré. Étant donné qu’il est mort le vendredi 18 février, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, ce marbre en ronde-bosse d’un mètre quatre-vingt-quinze de haut est bien sa toute dernière production.
Elle est également mentionnée dans l’inventaire des biens de Michel-Ange effectué juste après le décès de l’artiste par le notaire du Gouverneur de Rome. Cette description sommaire évoque un groupe composé d’un Christ et d’une autre figure qui le surplombe, les deux personnages étant comme reliés l’un à l’autre, ébauchés et inachevés4. On précisera encore qu’à une date inconnue, un anonyme a gravé sur la base de la statue l’inscription toujours lisible aujourd’hui : SS. [Santissima] PIETÀ DI MICHELANGELO BUONAROTA ― le nom de « Rondanini » ayant été ajouté par la suite, lorsque elle a été placée au Palazzo Rondanini, qui fut l’ambassade de Russie au xixe siècle. Depuis le 20 décembre 1952, date de son acquisition par la ville de Milan, elle est conservée au Château Sforza, simplement posée sur l’autel romain de l’époque de Trajan où elle avait été placée dès 19045.
Avec une constance qui n’a rien de surprenant, tous les commentateurs de cette œuvre ont été frappés par son aspect à peine ébauché, monolithique et finalement différent de celui des autres groupes sculptés de Michel-Ange. Pourtant, malgré cet aspect inachevé, et même si le notaire du Gouverneur de Rome paraît quant à lui avoir hésité, le personnage qui soutient le corps sans vie du Christ a longtemps été identifié avec la Vierge et donc, à la suite de Daniele da Volterra, les commentateurs se sont le plus souvent accordés pour considérer que ces deux personnages constituaient bien une Pietà6. Mais une Pietà qui résultait d’un processus de désagrégation à partir d’une première étape, sorte d’équivalent sculptural du chef-d’œuvre inconnu de Frenhofer dans la célèbre nouvelle de Balzac. Avec, comme un vestige surgit miraculeusement des décombres d’un monument en ruine, un bras droit musculeux et solitaire, fragment intact au modelé fort différent du reste du groupe, seul élément échappé à l’érosion qui devait suivre.
Plusieurs indices donnent à penser que lorsque Michel-Ange a entrepris ce groupe sculpté, soit vers 15527, il avait en vue une œuvre d’un tout autre aspect que celui qu’elle présente aujourd’hui. Selon un modus operandi qui a fait couler beaucoup d’encre, il travaillait parallèlement à une autre Pietà, celle du Duomo, à Florence, qu’il avait commencée à la fin des années 1540. Vasari nous apprend que vers la fin de l’année 1555, Michel-Ange fut subitement pris d’un accès de rage destructrice en raison de la mauvaise qualité de son marbre, qui était très dur et parcouru de multiples nœuds, mais aussi parce que ses aspirations étaient bien trop élevées pour être jamais satisfaites de ce qu’il faisait émerger de la pierre. En outre, toujours selon Vasari, sa colère avait été attisée par le serviteur de l’artiste, Francesco Amatore, dit Urbino, qui le pressait quotidiennement d’achever cette Pietà à un moment où il l’avait déjà prise en haine, en raison des difficultés techniques qu’elle lui occasionnait8. Si les principaux morceaux en ont ensuite été réajustés et restaurés par Tiberio Calcagni, un élève de l’impétueux sculpteur, la jambe gauche du Christ de la Pietà du Duomo reste définitivement manquante9.
Michel-Ange retourna ensuite à la Pietà Rondanini à laquelle, à partir de 1555-156010, il fit subir une métamorphose si radicale qu’on pourrait, là aussi, parler de mutilation. De la première version, en effet, il ne subsiste plus que quelques traces, notamment dans la tête de la Vierge, et, comme on l’a rappelé, dans ce bras détaché du bloc principal, résidu insolite qui aurait facilement pu être abattu d’un coup de masse, mais dont la présence ajoute au caractère étrange de l’ensemble. La Vierge et le Christ ont donc été sculptés dans le volume de leur premier corps, ce qui, forcément, a conduit Michel-Ange à réduire leurs dimensions, à les redresser, à les incurver et à reculer le Christ au point de l’agglutiner à sa mère, ramenant le groupe à son état de bloc originel en élaguant toutes les parties saillantes.
Un superbe dessin à la sanguine conservé à l’Albertina, à Vienne, offre une parenté formelle assez frappante avec la Pietà Rondanini. Il représente un Christ mort, en position verticale, légèrement appuyé sur un sarcophage et soutenu par une figure drapée placée derrière lui. Pour certains auteurs, cette feuille permettrait de se faire une idée plus précise de l’aspect que devait avoir le corps du Christ dans la première version de la Rondanini 11. Sa position actuelle, pratiquement verticale, doit inciter à une attention particulière. En effet, si l’on peut penser que la première intention de Michel-Ange était d’aborder la thématique de la Déposition ou de la Mise au tombeau, il est indiscutable qu’il a fini par donner au thème de la Pietà un traitement proche de la tradition de l’imago Pietatis, ces images de dévotion centrées sur la représentation du dieu mort, avec un effet visuel qui se rapproche des images de la Trinité, où l’on voit Dieu le Père tenir le corps brisé de son fils12.
L’interprétation de la Pietà Rondanini se heurte donc à toutes sortes de difficultés qui ressortissent autant à l’histoire même de son élaboration qu’à son aspect protéiforme : travaillée, polie, abandonnée, reprise, ravinée et finalement interrompue brusquement au terme d’une période qui aura couvert une dizaine d’années, on comprend aisément qu’elle ait fait couler beaucoup d’encre, en particulier sur l’inévitable question du non finito.
La proportion des statues laissées inachevées par Michel-Ange tranche nettement, on le sait, avec la production habituelle des sculpteurs de la Renaissance13. Il semble donc un peu court de n’y voir que la conséquence d’une suite de circonstances malheureuses plus ou moins liées à une existence erratique, à l’abondance des commandes, voire à l’inconstance des commanditaires. En même temps, affirmer que cette propension à l’inachèvement procède d’un conflit insurmontable entre l’esprit et la matière, ou, plus précisément, entre des aspirations spirituelles essentiellement chrétiennes et la nécessité de leur donner une forme « païenne » à travers des corps de marbre monumentaux, ne parait guère plus satisfaisant14. Dès la Renaissance, des théoriciens avaient suggéré que l’artiste en proie à l’inspiration exprimait plus spontanément sa pensée en quelques coups ou en quelques touches, alors qu’il risquait de l’affaiblir quand il devait faire l’effort de passer à l’œuvre achevée. Que la richesse d’interprétation d’une esquisse puisse être plus grande que celle d’une composition menée à son terme est une idée qui s’est donc manifestée bien avant les années romantiques. Ainsi, pour Vasari, l’état d’inachèvement des statues réalisées par Michel-Ange pendant ses années de maturité s’expliquait par l’élévation de ses conceptions et un sentiment d’insatisfaction dû au travail régulier et laborieux sur un matériau souvent rétif15. Pourtant, les critères qui nous font aujourd’hui apprécier des figures fragmentaires comme des œuvres d’art à part entière étaient loin d’être toujours partagés par les hommes de la Renaissance – n’oublions pas qu’il a fallu attendre le xixe siècle pour que l’inachevé et la brisure soient élevés au rang de catégorie esthétique. Parmi les différents auteurs qui ont participé à cette promotion, il convient bien sûr de mentionner John Ruskin qui, en 1849, s’en prenant à ce qu’il appelait la « vile manufacture », glorifiait le coup de ciseau comme expression de l’énergie et de la sensibilité personnelle de l’artiste :
Je ne saurais trop le répéter, ce n’est pas une sculpture grossière, ce n’est pas une sculpture bavochée, qui nécessairement est mauvaise, mais c’est une sculpture froide – l’apparence d’une peine également répartie – la tranquillité paisible, partout identique d’un travail apathique – la régularité de la charrue dans le champ uni. Le froid sera dans un travail fini plus sensible encore que dans un autre – les hommes se refroidissent et se lassent au fur et à mesure qu’ils complètent: si c’est le poli qui doit produire la perfection, et si elle ne se peut atteindre qu’à l’aide du papier de verre, mieux vaut s’en remettre tout de suite au tour mécanique16.
L’on a peine à croire qu’écrivant ces lignes, Ruskin n’ait pas songé à Michel-Ange ; moins d’une vingtaine d’années plus tôt, Delacroix évoquait déjà, à propos des Esclaves, « cette fougue extraordinaire » qui portait le sculpteur florentin « à laisser toujours dans ses marbres quelque chose d’incomplet17 ». Cependant, tout comme il est nécessaire de distinguer les conceptions de Vasari de celles de Michel-Ange, il s’avère utile de placer l’inachèvement du Saint Mathieu ou des Esclaves sur un plan différent de celui de la Rondanini. Cette dernière, en effet, nous est parvenue comme inachevée dans son inachèvement. Si elle se présente à nous dans l’état qui est le sien aujourd’hui, c’est bien, en premier lieu, parce que la maladie et la mort ont brutalement interrompu son développement. Or, comme l’atteste Vasari, Michel-Ange, peut-être plus que tout autre, refusait fermement de montrer ses œuvres lors de leur phase d’élaboration ; une exigence bien connue et reprise dans certains textes fondamentaux qui se rattachent au genre des « Vies » d’artistes : une cinquantaine d’années après la mort de Michel-Ange, Karel Van Mander répétait que jamais celui-ci n’aurait admis que l’on pût voir une de ses compositions lorsqu’il la considérait comme inachevée18. Quoi qu’il en soit, l’inachèvement de la Rondanini a moins été attribué à la fatigue, à la lassitude, ou tout simplement à l’épuisement du vieux sculpteur, ni même aux difficultés techniques qu’avaient pu entraîner les modifications radicales opérées par rapport à la première version, qu’à la quête passionnée d’une expressivité d’autant plus intense que, selon une tradition dont l’origine demeure assez obscure, Michel-Ange destinait l’œuvre à sa propre sépulture19.
Comme tous les artistes exceptionnels, Michel-Ange n’a pas été épargné par les récits légendaires et les pures affabulations autour de sa vie20. Les nombreuses allusions à cette énergie farouche et hardie dont le vieux maître, selon différents témoignages plus ou moins crédibles, était encore animé à la veille de sa mort21, n’y ont pas peu contribué. Mais les multiples interprétations qui ont été proposées de sa toute dernière œuvre ont surtout été conditionnées par le contexte particulier dans lequel elle a été redécouverte : le fait de lui avoir accordé la valeur d’un accomplissement suprême apparaît en effet indissociable d’un des grands mythes de la modernité, la quête d’une perfection inaccessible transcendant la simple visibilité22.
Il n’est pas indifférent que les dernières œuvres de Michel-Ange aient commencé à être réévaluées au cours des premières années du xxe siècle, dans un contexte fortement marqué par les mouvements d’avant-garde, en particulier par l’expressionnisme. Sans que cela puisse être imputé au hasard, le premier historien d’art à avoir manifesté un intérêt profond pour la Pietà Rondanini a été Wilhelm Worringer, théoricien de l’abstraction et grand promoteur de la redécouverte du gothique, dont il voulait faire l’expression la plus profonde et la plus inaliénable de l’âme nordique23. Dès 1909, Worringer interprétait la Rondanini comme une œuvre pathétique marquée par des similitudes avec l’élan vertical et la « transcendance » du gothique24. Frappé de ce que les personnages ébauchés par Michel-Ange semblent à peine émerger du bloc dont ils sont issus et que leurs bras demeurent étroitement soudés au corps, Worringer y décelait le principe de la clôture de la forme dont il faisait un des traits essentiels des statues archaïques. Selon lui, aucune sculpture de Michel-Ange ne traduisait aussi bien l’effort impuissant des figures à vouloir se libérer de la gangue qui les emprisonnait, une interprétation caractéristique de ce qu’on a appelé par la suite une « histoire de l’art expressionniste25 ».
En 1911, dans un court texte consacré au peintre de la Sixtine, Georg Simmel revenait sur les questions soulevées par Worringer, notamment celle du dualisme entre la pesanteur physique du corps et les élans de l’âme en conflit avec cette pesanteur : pourquoi, se demandait-il, la référence au gothique semblait-elle à ce point inévitable, y compris lorsqu’on analysait les œuvres d’un des plus remarquables représentants de la Renaissance italienne ? Et surtout, à quelle spécificité du gothique cherchait-on à les rattacher ? Simmel, plutôt clairvoyant quant aux motivations profondes de Worringer, voyait bien que c’était à celle du gothique « nordique », qui, « dans l’étirement, la sveltesse exagérée, la pliure et la torsion artificielles, fait de la forme du corps le pur symbole de la fuite vers une hauteur suprasensible, tendant à dissoudre la substance naturelle au profit du spirituel26 ». Cependant, si la Rondanini était une œuvre ultime, c’était aussi parce qu’elle avait dépassé ces tensions et ce dualisme :
Dans la Pietà Rondanini, la violence, le mouvement qui s’oppose, la lutte, ont complètement disparu ; il n’y a pour ainsi dire plus de matière contre laquelle l’âme aurait à se défendre. […] Le combat est abandonné, sans victoire et sans conciliation. L’âme, libérée du poids du corps, n’a pas amorcé sa course victorieuse vers le transcendant, mais elle s’est effondrée au seuil de ce dernier. C’est l’œuvre la plus révélatrice et la plus tragique de Michel-Ange, qui scelle son incapacité à parvenir à la libération par la voie de la création artistique centrée sur l’intuition des sens27.
Et le philosophe berlinois ne manquait pas de retrouver l’expression de ce sentiment d’impuissance dans les derniers poèmes de l’artiste.
En 1934, la parution d’un article fondateur de Charles de Tolnay accompagné de reproductions photographiques de qualité, focalisa l’attention des spécialistes de Michel-Ange sur sa dernière Pietà28. Mais les clichés en noir et blanc, conjugués aux effets de la patine, ne faisaient qu’accentuer les parentés formelles qu’elle leur paraissait offrir avec les statues-colonnes érodées par le temps qu’ils admiraient aux portails des cathédrales gothiques. Aussi, pour une part non négligeable, leurs analyses restaient-elles redevables des interprétations expressionnistes de leurs prédécesseurs29. Fondant ses démonstrations sur des comparaisons entre la Rondanini et d’autres œuvres de la dernière période du maître, Fritz Baumgart y vit l’empreinte de la sculpture médiévale germanique et crut bon d’appuyer ses dires sur une reconstitution en terre cuite de la première version, reconstitution qu’Arno Breker, le sculpteur préféré de Hitler, avait réalisée en suivant ses indications30. Par la suite, Herbert von Einem31, Dagobert Frey32et Kenneth Clark y décelaient à leur tour des allusions au gothique :
Dans l’humilité de ses dernières années, écrivait Kenneth Clark, [Michel-Ange] a supprimé tout ce qui pouvait suggérer l’orgueil du corps, au point de retrouver les formes blotties d’une sculpture en bois gothique. Il a même éliminé le torse car un dessin nous laisse supposer que le bras droit, aujourd’hui curieusement isolé, était autrefois relié au corps. Et le sacrifice de cette forme qui avait été pour lui, durant plus de soixante ans, le moyen de communiquer ses convictions les plus intimes, donne à ce tronc mutilé un accent incomparable33.
Le goût pour le caractère évocateur de la statuaire des cathédrales a donc interféré dans les interprétations de la toute dernière œuvre de Michel-Ange. Un goût indissociable de la nouvelle approche de la sculpture qui a émergé lorsqu’on a commencé à accepter que les fragments de Rodin puissent être regardés comme un tout34.
L’absence de bras, qui donne à la fois aux figures un aspect de noyau d’énergie et un caractère monolithique, n’avait jamais été autant admirée que depuis la fin du xixe siècle. Dans le sillage de Medardo Rosso, de Rodin ou de Matisse, l’esquisse modelée, avec ce qu’elle supposait de rugosité des surfaces, de lignes indécises, de fragmentation du corps, était maintenant élevée au rang d’œuvre finie35. Les mots d’Alberto Giacometti sont éloquents :
Aucune sculpture ne détrône jamais une autre. Une sculpture n’est pas un objet, elle est une interrogation, une question, une réponse. Elle ne peut être ni finie, ni parfaite. La question ne se pose même pas. Pour Michel-Ange, avec la Pietà Rondanini, sa dernière sculpture, tout recommence. Et pendant mille ans Michel-Ange aurait pu continuer à sculpter des Pietàs sans se répéter, sans revenir en arrière, sans jamais rien finir, allant toujours plus loin. Rodin aussi36.
En cette période fascinée par l’incursion du hasard, de l’accidentel et de l’hybridation au sein même de l’activité créatrice, la Rondanini avait tout pour devenir l’œuvre la plus remarquable de Michel-Ange. Le point de vue d’Henri Moore est, sur ce point, aussi instructif que celui de Giacometti. Moore déclara qu’il prisait par-dessus tout le contraste entre les zones les plus abouties – le bras rescapé et les jambes du Christ – et celles qui étaient à peine ébauchées. Pour lui, la partie inférieure présentait la perfection formelle de l’art renaissant, tandis que la partie supérieure était d’esprit gothique. Ce qui, à ses yeux, donnait un caractère exceptionnel à cette sculpture : elle échappait entièrement aux arguments de tous ceux qui pouvaient encore soutenir qu’une œuvre n’est belle qu’en raison de son homogénéité stylistique37.
Parce qu’elle allie des formes indéterminées et hétérogènes, qu’elle incorpore des fragments plus anciens et qu’elle laisse paraître la trace de l’outil sur une grande partie du bloc, la Pietà Rondanini a captivé le regard contemporain – celui des artistes, autant que celui des critiques ou des historiens d’art38. Que Michel-Ange ait pu changer d’avis en cours d’exécution n’a rien de très surprenant : bien avant d’entreprendre cette œuvre, il avait été coutumier du fait, tant dans ses sculptures, que dans ses peintures ou ses projets architecturaux. Plusieurs de ses statues portent ainsi les stigmates de ses repentirs. Mais aucune d’elle ne donne à ce point l’illusion au spectateur de pouvoir ressaisir ce que Michel-Ange, on l’a dit, refusait à ses contemporains : l’intimité de la gestation, le cœur du processus créateur ; illusion à l’origine d’une confusion analytique entre la phénoménologie du geste artistique et celle de sa contemplation39.