Nous tenons à remercier tout particulièrement Mme Ana Hernández Callejas, chef de section à l’Archivo General de Indias, ainsi que les pères Frances Canovas Aldrufeu et Germán Aute Puiggarí de l’Archivium Historicum Societas Iesu de Barcelone. Enfin et surtout nous voudrions exprimer notre immense gratitude au regretté père Jordi Roca i Coll, qui nous a accueilli pendant deux ans à l’Arxiu, toujours une cigarette brune et un doux sourire aux lèvres, et nous y a donné tellement plus que l’accès à de vieux papiers.
Notes d’édition
Plutôt qu’une source unique, nous avons décidé de présenter au lecteur des documents variées. D’une part, ceci nous permet d’aborder plusieurs dimensions du problème de l’esclavage. D’autre part, cela donne à voir au lecteur la pluralité des regards posés sur la question par les contemporains des faits et de saisir sur la moyenne durée l’évolution de la problématique. Enfin, dans la mesure où ce dossier a aussi pour but de présenter le système colonial espagnol dans toute sa complexité, cette diversité nous met face à l’hétérogénéité des intérêts et des stratégies des acteurs qui le composent. Nous présentons donc des sources issues des trois pôles principaux que sont la métropole, les administrateurs locaux et les institutions religieuses.
Du fait de son histoire particulière, la colonie philippine a fait, depuis, l’objet d’une grande attention historiographique. Du fait de l’importante proportion dans la société coloniale de religieux lettrés et soucieux de laisser une trace de l’action de leur ordre, les chroniques et autres histoires produites par les congrégations abondent. Plus tard, au tournant du xixe et du xxe siècle, la volonté de s’approprier le passé pour les uns, et de ne pas perdre prise sur lui pour les autres, a donné lieu, tant du côté nord-américain1 qu’espagnol2, à la publication d’énormes collections de documents, un effort d’ailleurs parfois prolongé après la seconde moitié du xxe siècle3. Conséquemment, l’exclusivité absolue d’un document est chose rare dans les études philippinistes et un certain nombre de ceux que nous proposons au lecteur ont déjà été publiés. Ils sont cependant tous inédits en français, et réunis ici dans le premier corpus documentaire strictement dédié au thème de l’esclavage aux Philippines. En outre, nous avons pu intégrer des sources jésuites absolument inédites et possiblement jamais étudiées qui proposent un point de vue original sur la question.
Enfin, quelques remarques sur les options de transcription et traduction que nous avons prises. L’orthographe des noms propres a été modernisée de façon à ce que le lecteur puisse aisément retrouver les personnages évoqués en dehors de cette publication. Par contre, dans la mesure où ils n’étaient pas accentués à l’époque, nous n’avons pas réintégré les accents des noms propres dans l’édition des textes. Nous avons tâché de retranscrire les abréviations comme elles sont utilisées dans le texte en cherchant toujours à proposer leur équivalent français. D’autre part, nous avons conservé, les majuscules et minuscules telles qu’elles apparaissent dans les documents à chaque fois que leur usage nous a semblé significatif d’un point de vue sémantique. Pour ce qui est de la méthode de traduction mise en œuvre, nous avons cherché à être au plus près du texte original et à changer le moins possible la structure des phrases et la ponctuation. N’ayant pas cherché à imiter un texte français du Grand Siècle, nous avons cependant systématiquement vérifié que les termes que nous employions étaient en usage à l’époque de la rédaction des documents.
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Document 1 : Cédule Royale demandant des informations au sujet des esclaves aux Philippines
18 mai 1572
AGI, Filipinas, 339, 1, f° 42r°-42v°4
En 1570, l’augustin Diego de Herrera fait parvenir à Philippe II une plainte quant aux pratiques esclavagistes des Espagnols5. La réaction de Madrid est reproduite ici. Il est à noter que, s’il est demandé de ne pas faire payer de tribut aux esclaves potentiels, c’est tout simplement afin qu’ils ne puissent pas être considérés comme entrant dans la catégorie d’Indiens, puisque c’est en tant que les Indiens sont des sujets du roi de plein droit qu’ils lui payent tribut.
Le Roi
[Dans la marge] Qu’on envoie une relation des esclaves qu’il y a et du nombre de religieux de l’ordre de saint-augustin
Notre gouverneur et officiers des îles philippines de l’orient, vous savez qu’on nous a fait relation de ce que dans ces îles il y a des esclaves qui sont capturés, lesquels il serait bon d’envoyer à la nouvelle Espagne afin qu’ils s’occupent à l’activité des mines, ce dont il résulterait un bénéfice. On devrait les exempter maintenant de tout type de tribut en vertu du fruit qu’ensuite on en tirerait pour mes finances et avec cette liberté il serait bon de commencer à arrêter d’exploiter lesdites mines jusqu’à ce que le trafic de ceux-ci soit introduit. Et parce que je veux être informé de ce qui se passe en la matière, je vous demande que vous trouviez des informations au sujet des esclaves qu’il y a dans ces îles, comment ils le sont et avec quelle justification ainsi que du nombre de Religieux de l’ordre de Saint-Augustin qu’il y a aussi dans ces îles. Je vous demande que vous nous envoyiez un rapport particulier sur ceci ainsi que votre avis sur la question afin qu’on dispose comme il convient. Fait à Madrid, le XVIII mai mille cinq cent soixante-douze. Moi, le Roi, validée et signalée6.
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Document 2 : Lettre du gouverneur Guido de Lavezares sur les esclaves des Philippines
vers 1573
AGI, Filipinas, 6, 2, n° 167
Suite au décès de l’adelantado8 et gouverneur Miguel Lope de Legazpi, Guido de Lavezares (1512-1582) devient le second gouverneur des Philippines le 20 août 1572. Il occupera cette fonction jusqu’en août 1575, date d’arrivée de son successeur Francisco de Sande. Né à Séville, il est le fils d’un libraire d’origine génoise, et c’est dans le cadre de cette activité qu’il s’embarque en 1536 pour la Nouvelle-Espagne. En 1542, il participe à l’expédition malheureuse de Ruy López de Villalobos vers les Moluques. Comme gouverneur des Philippines, il a dû notamment faire face en 1574 à l’attaque du pirate chinois Limahong, à l’occasion de laquelle les Espagnols sont amenés à entrer en contact avec les autorités de l’Empire du Milieu.
Lavezares répond ici à la demande faite dans le document précédent.
V. Mté me demande par une sienne Royale cédule, faite à Madrid le dix‑huit mai de 72, de faire une relation au sujet des esclaves présents dans ces contrées, de la raison et de la justification de leur état. Voici ce qu’on a pu comprendre jusqu’à présent en ces contrées à propos des esclaves :
Certains sont esclaves de naissance, fait dont l’origine est inconnue puisque leurs parents, leurs grands-parents et ancêtres l’étaient aussi, et bien qu’on n’en connaisse pas la cause, on est en droit de croire que ce fut pour l’une des raisons écrites ci-dessous.
D’autres ont été capturés au cours des guerres que mènent certains peuples contre d’autres en vertu d’offenses ou d’injustices anciennes ou récemment survenues.
D’autres sont des captifs de guerre de peuples avec lesquels ils n’ont aucun lien ni commerce mais qu’ils allaient voler sans aucune raison du fait que, à la mort du chef d’un peuple, en vertu d’une sorte de deuil ou tristesse, les parents proches promettent de ne pas manger de pain, c’est-à-dire du riz, du mil ou du maïs, ne portent ni or ni ornements jusqu’à ce qu’ils aient fait une prise ou qu’ils aient tué ou capturé des hommes. Et ils faisaient cela partout où ils le pouvaient, du moins s’il ne s’agissait pas d’un peuple ami ou suffisamment puissant pour se venger facilement.
D’autres, en particulier ceux qui se vantent d’être courageux, ont pour habitude de prendre leur sabre et de piller sans aucune raison des peuples avec lesquels ils n’ont aucun commerce ou parenté, ou sur lesquels ils tombent lors d’une excursion en mer, et c’est merveille s’ils épargnent les parents lorsqu’ils [ne ?] sont [pas ?] plus puissants qu’eux.
D’autres font des esclaves pour de petits larcins comme le vol d’un couteau, d’une patate douce, de quelques cannes à sucre ou d’un peu de riz.
D’autres sont esclaves parce que quelqu’un s’est porté témoin et a dit [contre eux] quelque chose qu’ils n’ont pu démentir.
D’autres ont commis un délit ou ont contrevenu à un de leurs rites, cérémonies ou une chose par eux interdite, ou bien n’ont pas répondu assez vite à la sollicitation d’un chef ou pour quelque autre chose semblable, et sont condamnés. S’ils ne peuvent s’acquitter de la peine, ils sont réduits en esclavage pour cela.
Pour quelque délit qui se puisse commettre, aussi grave soit-il, comme le meurtre, l’adultère, l’empoisonnement ou autre chose d’égale gravité, même s’il n’y a pas de preuve de cela mais de simples suspicions et si c’est à l’encontre d’une personne de haut rang, mais aussi de ses fils, frères, parents, membres de la familles ou esclaves, ou même d’un de ses parents ou esclaves que le mal a été fait, ils réduisent le coupable en esclavage ou le tuent.
Si un enfant devenu orphelin est accueilli dans la maison de quelqu’un, même si celui-ci est de sa famille, s’il n’est pas son oncle germain du côté du père ou de la mère, l’enfant est fait esclave en échange de la nourriture ; la même chose en temps de famine et de nécessité, où ils sont vendus comme esclaves pour peu qu’on leur ait donné à manger.
On fait également beaucoup d’esclaves à cause des prêts qui leurs sont faits, car la dette est doublée9 de trois mois en trois mois ou de quatre mois en quatre mois et ainsi, aussi minime que soit la somme prêtée, au bout de deux ans environ ils sont faits esclaves et votre majesté sacrée s’en voit lésée.
Dans les contrées et aux endroits où vivent les espagnols, puisqu’on ne réduit en esclavage par aucun moyen et d’aucune façon, ceux qui l’étaient déjà ou l’avaient été avant qu’on ne s’installe ici le sont toujours aujourd’hui et travaillent pour les natifs, labourant les terres ou s’afférant à d’autres négoces ou occupations qui sont les leurs, et sans eux cette contrée ne pourrait subsister. Ceci est, votre majesté sacrée, ce qu’il en est des esclaves et ce que j’en ai pu comprendre après m’en être bien enquis, et avoir tâché de m’informer à leur sujet auprès des personnes qui comprennent leur langue et affaires.
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Document 3 : Cédule Royale au gouverneur Francisco de Sande
7 novembre 1574
AGI, Filipinas, 339, 1, f° 57v°-58r°
Fort d’une formation en droit suivie à l’université de Salamanque puis de Séville, Francisco de Sande (1540-1602) va exercer au Mexique le métier d’avocat, avant d’y être nommé alcalde del crimen (juge criminel) en 1568 puis auditeur en 1572, fonction qui va le confronter au problème de la guerre chichimèque. Après avoir exercé les fonctions de gouverneur des Philippines (1575-1580), il sera à nouveau auditeur au Mexique, puis visiteur et président de l’Audience de Guatemala, pour finir sa carrière et sa vie comme président de l’Audience de Nouvelle-Grenade10. Sande représente donc le profil idéal et précoce de ces fonctionnaires itinérants de l’Amérique espagnole dans lesquels Benedict Anderson verra une des sources du sentiment indépendantiste panaméricain11. En tant que gouverneur des Philippines, il va lancer l’expédition contre Brunei, Mindanao et Jolo en 1578, suite à laquelle les potentats musulmans reconnaîtront, tout aussi virtuellement que temporairement, l’autorité du roi d’Espagne. De même, il réactive les projets d’occupation des Moluques et contribue à populariser un projet de conquête de la Chine12 qui sera pris très au sérieux à la cours de Philippe II jusqu’au début des années 159013.
Il est peu probable que cette cédule royale réponde au rapport précédemment présenté, puisque, comme on va le voir, l’esclavage indigène n’y est pas pris en compte. En outre, son contenu émancipateur s’oppose à la demande d’information à Lavezares de 1572, au point que nous serions tentés de voir dans celle-ci une demande de la part d’administrateurs du Conseil des Indes et dans la cédule une volonté spécifique de Philippe II. Quoiqu’il en soit, on peut dire que ce document pose la logique abolitionniste de la Couronne en même temps qu’il inaugure en quelque sorte le long malentendu auquel va donner lieu la question de l’esclavage.
Le Roi
[En marge] Afin que les espagnols des îles Philippines ne puissent en aucune manière posséder comme esclave aucun indien.
À Notre Gouverneur des îles Philippines. Nous sommes informés de ce que les Espagnols qui résident sur ces îles aspirent à détenir comme esclaves des indiens de la région ; ma Volonté est que ces indiens ne puissent être faits esclaves. Je vous demande de faire le nécessaire pour qu’aucun Espagnol ne puisse, en aucune manière, détenir des indiens comme esclaves, quand bien même l’indien et esclave ait été assujetti par les indiens et obtenu de bonne guerre, et si les dits Espagnols venaient à posséder des esclaves de cette manière ou d’une autre, faites leur donner la liberté puisque nous, par la présente, les libérons, considérons libres et ordonnons que ce qui vient d’être dit soit respecté et appliqué et que rien ne puisse y contrevenir en aucune façon. Fait à Madrid le sept novembre de l’an mille cinq-cent soixante-quatorze, moi le roi, à la demande de S. Mté, Antonio de Eraso14. Confirmé par les membres du conseil.
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Document 4 : Résolution que l’évêque de Manille a prise au sujet de la cédule de libération des esclaves
16 octobre 1581
AGI, Filipinas, 84, n° 2115
Comme nous l’avons dit dans l’introduction générale, l’arrivée du premier évêque de Manille, le dominicain Domingo de Salazar et la subséquente tenue du premier synode de Manille en 1582 vont profondément déterminer l’orientation ultérieure de la colonisation espagnole aux Philippines. La réunion ici rapportée a lieu moins d’un mois après l’entrée de Salazar à Manille le 17 septembre 1581, accompagné de son coreligionnaire Cristobal de Salvatierra, de 20 augustins, 8 franciscains, et de 3 jésuites, les pères Antonio Sedeño, Alonso Sánchez ainsi que le frère lai Nicolas Gallardo. On a ici un éloquent exemple de la façon dont, très vite, l’institution ecclésiastique, en cette occasion en parfaite syntonie avec les représentants des ordres religieux16, considère pouvoir légitimement se positionner comme une interface active entre l’autorité royale et ses représentants locaux. On remarquera en outre que, sans doute en grande partie du fait que l’évêque vient d’arriver dans l’archipel et n’a vraisemblablement pas eu le temps de s’informer en détail de la situation locale, la question de l’esclavage indigène n’est à nouveau pas réellement appréhendée.
Le lundi seize octobre de l’an mille cinq cent quatre-vingt-un, l’llme et Rme frère don Domingo de Salazar, premier évêque de ces îles Philippines, en le monastère de San Agustin17 de Tondo18, fit appeler et réunir les très pieux pères frère Pablo de Jesus, gardien de l’ordre de Saint-François19, frère Andres de Aguirre provincial de l’ordre de Saint-Augustin20, le père Antonio Sedeño Recteur de la compagnie de Jésus21, le frère Francisco Manrique22, prieur du monastère de San Agustin de Manille23, le frère Diego de Mujica24, prieur dudit couvent de Tondo, le père Alonso Sanchez25, de la compagnie de Jésus, frère Cristóbal de Salvatierra26 de l’ordre des Dominicains et compagnon de monseigneur l’évêque, le frère Cristóbal de Plasencia27 de l’ordre de Saint‑François, le frère Alonso de Castro28, le frère Juan Pimentel29 de l’ordre de Saint-Augustin, et il leur présenta comment le très İllme sieur Don Gonzalo de Ronquillo de Peñalosa gouv. pour sa majesté de ces dites îles30, avait fait part à s. sie31, à propos de la cédule concernant les esclaves, de certains moyens qui lui paraissaient convenir pour que soit appliqué32, en douceur et avec le moins d’obligation et de mécontentement pour la République33 possible, ce que S. Mté à travers elle avait ordonné ; l’honorable assistance en ayant pris connaissance, monseigneur l’évêque dit que l’affaire lui paraissait être d’une si grande importance, tant elle touchait dans le vif les consciences, qu’on ne devait pas en décider sans s’en être concerté avec les prélats des religions, et avec les personnes graves et doctes qu’elles comptent en leur sein, puisque c’est pour de telles nécessités et de telles affaires que S. Mté les avait envoyés vers ces contrées et les y sustentaient34. Après avoir rendu compte de tout cela à tous les susdits pères, s. sie dit qu’il les avait invités afin de leur soumettre les questions suivantes :
En premier lieu, si l’opposition qu’on peut présumer exister du côté de ceux qui possèdent des esclaves, ou n’importe quel argument qu’ils pourront opposer, sont des raisons suffisantes pour que le gouverneur renonce, en son âme et conscience, à publier et exécuter ladite cédule.
Deuxièmement, si après l’avoir publiée et mise à exécution il pourra, en son âme et conscience, renoncer à veiller à ses effets et à son exécution si les maîtres d’esclaves l’imploraient d’intercéder auprès de S. Mté.
Troisièmement, est-ce que, une fois ladite cédule mise à exécution, le sieur gouverneur pourra, en bonne conscience, déterminer un terme à l’issu duquel les maîtres devront relâcher les esclaves, pour que de fait ils soient libres, ou s’il sera obligé de déclarer leur liberté immédiate. Puisque la chose était si grave, il les pria et les chargea de s’en remettre à Dieu, de se concerter, et, que, en toute conscience, liberté et sincérité ils déclarassent ce qu’ils en pensaient. Après en avoir discuté et s’être concerté entre eux, ils se résolurent à ce qui suit :
En ce qui concerne le premier point, ils déclarèrent que la cédule de S. Mté ne constitue pas une loi ou un mandat nouveau, mais seulement une sentence de justice que la question des indiens comporte en elle-même, ainsi que la réponse et la résolution relatives aux requêtes et rapports qui d’ici lui ont été adressés. En outre, elle en confirme une autre qu’en l’an mille cinq cent trente, pour laquelle, l’empereur Charles Quint, d’illustre mémoire, ordonne que, à partir de la date de sa rédaction, dans toutes les Indes découvertes et à découvrir, il ne soit permis qu’il y ait des esclaves, en aucune manière, qu’ils soient acquis en guerre juste, obtenus ou achetés aux natifs, même si parmi eux ils étaient considérés comme esclaves légitimes. Il est donc clair qu’aucune crainte ni aucune suspicion qu’on puisse avoir à propos d’un quelconque inconvénient ou difficulté ne peut constituer une raison suffisante pour que le sieur gouverneur ou quiconque qui aurait à exécuter la dite cédule, ne laisse de l’exécuter et de déclarer la liberté que les indiens possèdent en eux‑mêmes ; et S. Mté déclare et concède que quiconque ferait le contraire, au‑delà du péché gravissime commis, serait bien entendu dans l’obligation de dédommager les Indiens pour les services rendus, ainsi que pour toutes les offenses à l’encontre de leur personne, biens et honneur. Ainsi les précédents gouverneurs étaient dans l’obligation de officium d’accomplir cette libération, et ce même s’ils ne recevaient pas de nouvelle cédule de la part de S. Mté eu égard à celle déjà en vigueur et à l’évidente injustice qu’ils voyaient être faite à ceux qu’ils étaient dans l’obligation de défendre, de protéger et envers lesquels ils devaient rendre justice, car ils avaient été envoyés en ces terres par S. Mté pour remédier à ce type de maux, déchargeant ainsi sa conscience sur eux. On ne peut croire que des gens aussi loyaux et aussi obéissants de sa loi puissent craindre des difficultés lorsqu’on leur ordonne d’obéir à des choses aussi justes et aussi rationnellement posées.
Eu égard au deuxième point, ils répondirent que de ce qui avait été dit dans le premier chapitre on pouvait clairement en déduire que le sieur gouv. ne pouvait, en bonne conscience, laisser de persister dans la libération des indiens, et ce même si les maîtres se plaignent de la cédule, car il nous semble que S. Mté est très bien informée de cette affaire, comme il apparaît dans les anciennes et nouvelles cédules ainsi que par leur usage universel dans toutes les autres Indes où rien de contraire à celles-ci n’a été admis, et où n’a été permis l’existence d’aucun esclave ; il est donc évident que le fait d’implorer maintenant ne fait qu’intensifier et faire durer l’injustice, et que le juge qui serait en charge de cette affaire ne peut, en bonne conscience, laisser d’exécuter la cédule et d’œuvrer pour la liberté des Indiens, nonobstant toute supplication ou diligence allant dans le sens contraire.
En ce qui concerne le troisième point, ils dirent que ce qui dépend du droit naturel et divin ne peut clairement être différé, de la même façon que celui qui a en sa possession le bien d’autrui, à partir du moment où il en prend connaissance, est obligé de le restituer, tandis que le juge chargé de l’affaire doit en ordonner la restitution. Mais ils ont été d’avis que la liberté ayant été rendue aux Indiens, le sieur gouv. pouvait leur demander que pendant une courte période ils ne quittent pas leurs maîtres, à cause de l’incommodité occasionnée par un départ immédiat. Concernant la durée pour laquelle s. sie pouvait, sans mauvaise conscience, les retenir, ils ont dit que cela devait être à la discrétion du jugement d’un homme de bien et prudent, et qu’il leur paressait à tous que s. sie pouvait proposer un délai de vingt ou trente jours, mais, quiconque oserait les retenir plus longtemps pécherait mortellement et se verrait dans l’obligation de restituer [le dû].
Après avoir pris connaissance de l’avis des susdits pères, Mgr l’évêque dit également que s. sie après s’être séparée du gouv. avait examiné attentivement la question et discuté avec des personnes graves, cultivées et intègres, et que lesdits avis lui paraissaient très conformes à la loi de Dieu, le droit naturel, divin et humain, et fondés en toute vérité et justice, et, que par conséquent, il les approuvait et confirmait, in nomine patris, et filii, et Spiritus Sancti. Amen. Et ainsi sa seigneurie le signa et y fit apposer son sceau. Ceux cités plus haut le signèrent également, leurs avis ayant été rapportés sous la forme ci-contenue, nemine discrepante. Fait en le couvent de Tondo le dix-sept octobre de l’année susdite.
Cet avis a été signé par tous les Religieux ici mentionnés et transmis au gouverneur, en témoignage de quoi je l’ai signé de ma main.
F. D. évêque des îles Philippines.
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Documents 5, 6, 7, 8, 9, 10 : Cas Moraux
Début xviie siècle
Archivium Historicum Societas Iesu Cataloniae, FILDIV-010, tome I
Après le rétablissement de la Compagnie au xixe siècle et la reprise de la mission des Philippines à partir de 1859, c’est à la Province jésuitique d’Aragon qu’est confiée l’administration de l’archipel. Ceci explique le nombre important de Catalans parmi les jésuites qui y officient durant la dernière période de la présence espagnole, dont l’infatigable Pablo (Pau) Pastells (1846-1932), missionnaire à Mindanao à l’époque où l’île passe complètement sous administration espagnole, puis assistant d’Antonio Astrain dans la rédaction de la monumentale Historia de la Compañía de Jesús en la asistencia de España35 et auteur d’ouvrages tout aussi imposants tels que l’Historia General de Filipinas36 et l’Historia de la Compañía de Jesús en la provincia del Paraguay37. Les documents qu’il a recopiés ou fait recopier, en même temps que bien d’autres, sont compilés dans une énorme collection en 119 volumes conservée à l’AHSIC, une institution qui recèle de nombreux trésors pour les historiens travaillant sur l’archipel38.
Parmi ceux-ci, deux volumes contenant des écrits manuscrits de la première moitié du xviie siècle. Il s’agit des Casos Morales, c’est-à-dire de problèmes d’ordre moral résolus par un raisonnement casuistique, en particulier par le père Diego de Bobadilla, qui n’arrive aux Philippines qu’en 161539 et qui ne saurait donc être l’auteur des textes que nous publions ici, sinon le compilateur postérieur d’écrits prééexistants, ce qui expliquerait la retranscription erronée de nombreux passages en latin. Une note préliminaire nous dit qu’ils ont été donnés à la Compagnie par le père augustin Celestino Fernández Villar, qui les auraient trouvés « presque jetés au sol » en 1902 lors d’un voyage en Australie. Comment s’y sont-ils retrouvés ? La question reste entière. Quoiqu’il en soit, ils ont été magnifiquement restaurés, de sorte que leur lecture ne pose aucun problème majeur, citations en latin souvent erronées et foisonnement d’abréviations mis à part.
Il s’agit donc d’un témoignage unique, d’une part sur les grandes questions qui agitaient la colonie au début du xviie siècle, et aussi sur la perspective des Jésuites sur ces mêmes questions. Pourtant, ces textes n’ont jamais été publiés, étudiés, ni même, à notre connaissance pour le moins, mentionnés dans aucun travail scientifique. Nous avons sélectionné ici ceux qui nous ont semblé être les plus représentatifs de la question de l’esclavage, abordée essentiellement sous le prisme des pratiques indigènes d’une part, et de la subséquente question de la légitimité ou non de leur réduction en esclavage d’autre part.
Les jésuites sont particulièrement désireux de mettre fin aux incursions musulmanes dans les îles Visayas. En effet, en vertu du partage des zones de mission de 1595, années de la création de l’archevêché de Manille et des évêchés régionaux, c’est dans cette région qu’ils installent leurs missions. Or, le travail de réduction des indigènes, qu’ils s’attachent à rassembler autour d’une église dans des villages, facilite grandement les déprédations lancées depuis le Sud. Conséquemment, dès la fin du xvie siècle, les Jésuites tendent à s’attacher des acteurs politico-militaires majeurs de la colonie afin qu’une grande opération de pacification soit lancée. C’est le cas du riche capitaine Esteban Rodríguez de Figueroa, vétéran de la campagne punitive de 1578, qui verse depuis 1586 une rente de mille pesos à la Compagnie, et qui se lancera en 1596 dans la tentative de conquête de Mindanao qui causera sa perte. Ce sera aussi le cas du gouverneur Gomez Pérez Dasmariñas (1590-1593), choisi, rappelons-le, par le jésuite Alonso Sánchez qui meurt cependant en 1593, assassiné par des rameurs chinois mutinés, au cours de la grande expédition qu’il organise vers les Moluques et où plusieurs jésuites l’accompagnent40. Enfin, c’est celui du gouverneur Pedro Bravo de Acuña (1602-1606), qui s’était engagé à se lancer dans l’entreprise de Mindanao après avoir conquis les Moluques41 en 1606.
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Document 5
f° 140v°
On demande si les Indiens obtenus durant une guerre juste pouvaient être faits esclaves ?
[En marge] Esclaves
Aristote 1. Politique c. 4 D. Isidorus ut refert in C. jus gentium d. 1 et idem habet in §
Bien que dans le cadre du jure gentium42, ceux qui sont capturés lors de guerres justes peuvent être faits esclaves, et il s’agit là d’un traitement miséricordieux puisque, méritant la mort, leur peine est commutée en esclavage, ce qui pour eux est un moindre mal, malgré tout, S. Mté. peut renoncer à ce droit et ordonner (comme il l’a déjà fait) que les Indiens de ces îles ne soient pas faits esclaves, comme il l’a ordonné au Pérou et en Nouvelle-Espagne. Ce mandat étant en faveur de la liberté, il doit être obéi jusqu’à ce que sa Majesté n’ordonne autre chose. Au chapitre 51 des instructions à Gómez Pérez43 sa Majesté conclut en disant : J’ordonne que dès votre arrivée aux dites îles Philippines, vous libéreriez tous les Indiens que les Espagnols possèdent comme esclaves44.
Et au chapitre 5 il est dit : le châtiment qui a été infligé aux Indiens Zambales à cause des dommages, des trahisons, des soulèvements et autres délits perpétrés est juste ; mais quant à les réduire en esclavage, il semble que cela ne convienne pas, puisque cela va à l’encontre de ce que j’ai disposé et qui doit être accompli45. De même sa sainteté Grég.14, dans un bref qu’il donna le 18 avril 1591 dit ainsi :
Postremo, cum sicut accepimus, charissimus in Christo filius noster Philippus Hispaniarum Rex Catholicus prohibuerit, quod nullus Hispanus in prædictis Insulis Philippinis Mancipia, sive servos, etiam Jure belli justi, & injusti, aut emptionis, vel quovis alio titulo, vel prætextu propter multas fraudes inibi committi solitas facere, vel habere, seu retinere audeant, & non nulli adhuc eadem mancipia, apud se contra ipsius Philippi Regis edictum, vel manda tum detineant. Nos, ut ipsi Indi ad doctrinas Christianas, & ad proprias ædes, & bona sua libere, & secure absque ullo fervitutis metu ire, & redire valeat, ut rationi congruit, & æquitati ; omnibus, & singulis cujuscumque Status, gradus, conditionis, ordinis, & dignitatis existant, in eisdem Insulis existentibus personis, in virtute Sanctæ obedientiæ, & sub excommunicationis pœna præcipimus, & mandamus, quatenus publicatis præsentibus, quæcumque mancipia, & servos Indos, si quos habent, seu apud se detinent, ac omni dolo, & fraude cessante, liberos omnino dimittant, & imposterum, nec captivos, nec servos nullo modo faciant, aut retineant, juxta dicti Philippi Regis edictum, seu mandatum 46. Ce bref a été ainsi émis pour confirmer le mandat royal auquel on fait ici référence.
La pratique dans ces îles est que les esclaves d’Espagnols ont été libérés mais pas les esclaves des Indiens, car il n’est pas fait mention d’eux dans l’interdiction47, et si une Indienne se marie avec un Espagnol, elle conserve ses esclaves.
Cette année de 1603, voyant que les Mindanaos48 et Camucones49 avaient capturé et emporté comme captifs plus de deux mille âmes indiennes et même espagnoles, et du fait que les soldats espagnols [ne] sont [pas] autorisés à capturer les indiens, ils n’ont guère envie de se battre (étant donné que contre ce genre d’ennemis il ne peut y avoir d’autre prise ou vol que celui des personnes elles-mêmes puisqu’il s’agit de gens nus) et voyant que les Galères du Roi N. S. ne sont point armées à cause du manque d’hommes d’équipage, le Sieur Gouv. Don Pedro de Acuña a soumis à discussion et débat la possibilité de les réduire en esclavage.
Toutes les religions ont répondu favorablement à leur condamnation aux galères pour six ou huit ans, et en ont informé S. Mté. Mais tous n’ont pas consenti à les réduire en esclavage. Certains pensaient qu’on pouvait les y réduire, d’autres que non, ou si c’était le cas seulement pour le temps que la nécessité imposerait en en informant S. Mté, d’autres dirent que S. Mté ne parlait pas des Camucones, Mindanaos et Ternates, qui sont Maures et professent la Loi de Mahomet, mais seulement des Indiens de ces Îles, ce en quoi ils n’ont pas tort. Quoi qu’il en soit, le Sieur Gouv. est déterminé (comme il me l’a confié) à supplier sa Majesté de pouvoir les réduire en esclavage comme punition, récompense pour les soldats et réserve pour les galères.
Lorsqu’arrivera la licence de S. Mté permettant de les réduire en esclavage, cela pourra se faire nonobstant la bulle ou le bref cités plus haut, car ces derniers font précisément allusion à la volonté de S. Mté. Le reste n’a pas été publié dans ces îles et encore moins été reçu comme il apparait dans les ordres publiés, parmi lesquels il est stipulé par exemple que l’évêque doit visiter les Religions, et bien que cela ait été autorisé, cette directive a été occultée à l’époque de Gomez Perez, et les originaux ont été retenu par le Conseil [des Indes] avec d’autres envois du P. Alonso Sanchez.
[En marge] 15 avril 1603
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Document 6
f° 142r°.
À certains endroits les Indiens ont pour habitude de se vendre eux‑mêmes. On demande si un Indien pourrait se vendre à quelqu’un d’autre en disant : un esclave vaut 20 pesos, donne-m’en 10 et je serai ton demi‑esclave, ou donne-m’en 5 et je te donnerai une quatrième partie de mon travail, et ainsi de suite.
Ceci est une mauvaise habitude qui est en train d’être corrigée.
Premièrement, théoriquement quelqu’un peut tout à fait se vendre lui‑même en cas d’extrême nécessité, dans ce cas l’esclavage n’est pas irraisonnable ; cependant, parmi les Indiens on ne trouve pas ce genre de causes ou elles sont exceptionnelles, et ainsi les Ministres50 doivent les prévenir qu’ils ne doivent pas se comporter comme des bêtes.
Une autre type d’arrangement parmi eux consiste à percevoir une certaine somme en échange de laquelle ils proposent leurs services, et chaque mois travaillé fait diminuer leur dette jusqu’à son remboursement complet. Ceci est permis puisqu’il s’agit un d’un contrat de service libre, mais le fait de se vendre comme un demi-esclave, un entier ou un quart n’est en aucune façon tolérable car il s’agit d’usure. Ainsi, disposant librement du capital, ils utilisent la personne comme un outil de travail, ce qui normalement est rétribuable en argent et recipit ultra sorte. La méthode employée par les confesseurs et les alcaldes51 consiste à calculer les mois de service et d’en faire un décompte.
Ceci est valable seulement pour ceux qui se vendent eux-mêmes, et non pas les esclaves ou demi-esclaves qui sont possédés par voie de iure heredit. Pour ceux-là, la loi est toute autre, il s’agit d’esclavage à proprement parler vis-à-vis duquel la coutume des natifs fait loi et face à laquelle sa Majesté ne veut guère d’innovations.
Il est à noter que quoique l’Audience Royale de ces îles ait prononcé un acte conforme aux lois de Castille qui déclarent que partus sequitur ventrem et que, conséquemment, si la mère est libre le fils doit l’être également, elle en a émis un autre par la suite dans lequel elle confirme les coutumes des natifs, et c’est cela qui est appliqué.
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Document 7
f° 143r°.
On demande si les Indiens qui sont à demi-esclaves et à demi‑libres pourront être libérés totalement en payant à leurs maîtres ce qu’ils valent etiam renuentibus Dominis.
Ce cas s’est présenté à Cebu et la principale cause de doute en la matière vient du fait que Monseigneur l’Evêque Fr. Don Pedro de Agurto52 a décidé de les libérer sans l’accord de leurs maîtres, considérant que cet usage a été introduit par les Espagnols, et on peut justifier cette opinion en faisant appel à la règle générale in L. imutum c. de contractibus, emptionis et vendit[ionis], et lege, nec emere c. de jure quas refert Covarr. 3° Vicariis Resolucionum, cap. 14 neminem invitus cogendio fore propriam rem rendere. Prota quia Regis mandato cautu est53 qu’on n’aille pas contre les coutumes des natifs.
Malgré tout, il a semblé aux pères de ce Collège de Manille54 qu’on peut libérer les demi-esclaves etiam renuentibus Dominis.
[En marge] Decisio
En premier lieu, cela est possible parce que l’Audience Royale fait ainsi et autorise à libérer quiconque possède une part de liberté ; la même chose est prévue par les autres instances de justice. Cet usage de la part d’hommes Doctes est un argument fort. Deuxièmement, Monseigneur l’Archevêque Fr. Don Miguel de Benavides55 a beaucoup suivi dans un premier temps les pratiques de l’Audience dans ces contrées, mais en examinant la chose de plus près, il a décidé qu’il serait juste de leur donner la liberté comme l’a dit le P. Luis Gomez56, et effectivement, considérant le caractère injustifié de l’esclavage chez ces Indiens, et le fait qu’au début leur baptême s’en trouvait retardé, il semble plus conforme à la raison de favoriser dans ces esclavages la part de liberté.
Troisièmement, une chose est sûre, en droit comme en fait, et c’est que si deux, trois personnes ou davantage ont un esclave, en accordant la liberté à l’un de ceux-ci, les autres peuvent être obligées à céder leur part moyennant rétribution adéquate. Dès lors, celui qui possède la moitié de sa liberté pourra plus facilement obliger le maître qui possède l’autre moitié de liberté à négocier, puisque la possession qu’on a de soi n’est pas moindre que celle d’un homme qui possède celle d’un autre mais au contraire cæteris paribus, le pouvoir de quelqu’un sur la moitié de sa propre personne en vue de se libérer complétement est supérieure à celui que quelqu’un peut avoir sur un autre, de sorte qu’en droit on puisse se libérer expresse habetur in L. 1 & His itaque C. de communi servo manumisso57, et dans les Lois du Royaume L. 2, tt° 22 p. 458.
Quatrièmement, on peut répondre à l’objection possible en évoquant le fait qu’il y a déjà de nombreuses années que l’on a l’habitude de libérer les Indiens demi-esclaves sans que ni les Maîtres, ni les personnes en charge de la protection des natifs que sont les Procureurs du Roi, des hommes doctes, n’y trouvent à redire, ce qui est un bon argument afin de faire prévaloir une habitude si raisonnable face à une autre moins justifiée.
Cinquièmement, libérer ces esclaves c’est ôter aux maîtres une occasion d’abuser et d’augmenter la dette de l’esclave qui le serait ainsi chaque jour davantage, ainsi qu’ils le faisaient jadis de sorte que jamais esclave ne se trouvait libéré mais au contraire voyait son esclavage empirer jusqu’à devenir esclave perpétuel. S’ajoute à cela le fait que, comme l’ont signalé certains Pères truchements, ils ne laissent pas jouir le demi-esclave de sa demi-liberté, mais on se sert au contraire de lui comme d’un esclave à part entière ; et ce qui est dit plus haut lege invitū c. de contractu empt[ionis] et vendit[ionis] comme le dit la note précédente et Covarrubias ubi supra. Cela n’est pas assez précis pour qu’il n’y ait pas beaucoup d’exceptions, parmi lesquelles le cas présent, comme le dit la glose plus haut in L 1 § his itaque C. de Co[mmun]i servo es[t] et en dehors de cela il y a beaucoup de cas où le maître a été obligé apuerenda [?] la chose etiam invito. À cause de tout ceci, ainsi que du doute énorme en ce qui concerne la justice de ces esclavages et en faveur de la liberté que omnibus favorabilices est, et pour confirmer la possession [d’eux-mêmes] que possèdent déjà les esclaves, il convient de n’avoir aucun scrupule à continuer ce qui a déjà été fait salvo meliori judicis. 13 Novembre 1606.
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Document 8
f° 145r°
On demande si sur ces îles on a l’autorité de faire la guerre à d’autres nations ?
[En marge] Guerre à d’autres nations
Communément, les Docteurs disent que personne ne peut déclencher de guerre si ce n’est le Prince ou une République qui n’obéisse à aucune instance supérieure ou celle qui possède ce droit en vertu de son accord, mais il peut y avoir des cas où le besoin urgent d’une juste vengeance peut faire office de licence comme l’a dit le Maître Victoria par ces mots : Necessitas hanc licentiam santa aucthoritatem concedere posset si in medium regno una civitas aliam oppugnaret, et Rex neglegeret, aut non auderet vindicare iniurias illatas posset civitas, aut dux qui passus est iniuriam non solum se defendere, sed etiam bellum inferre, et animadvertere in hostes, et occidere59.
[En marge] Entrées
Sa Majesté a donné une licence pour les entrées60 et nouvelles découvertes à venir dans le chap. 25 des instructions de Gomez Perez Dasmariñas61, dans les termes suivants : En ce qui concerne ce que vous dites des entrées, des nouvelles découvertes et combien elles sont nécessaires pour l’occupation62 des soldats, ayez donc toujours à l’esprit ce qu’il convient de faire et agissez en conséquence en fonction de la disposition et de l’état de la terre et des gens que s’y trouveraient.
[En marge] Châtiments
Les châtiments, même de feu ou de sang, sont autorisés et pré‑entérinés63 lorsqu’ils sont infligés à des populations rebelles, l’attente d’instructions en provenance d’Espagne étant clairement dangereuse.
Dans le chap. 5 d’une consigne adressée le 10 juin de l’année 92 à Gómez Pérez, S. Mté a dit en ces termes : le châtiment qui a été infligé aux Indiens Zambales à cause des dommages, des trahisons, des soulèvements et autres délits perpétrés est juste ; mais quant à les réduire en esclavage, il semble que cela ne convienne pas, puisque cela va à l’encontre de ce que j’ai disposé et qui doit être accompli.
À propos de la consultation que les Seigneurs de l’Audience Royale de ces îles Philippines ont tenu avec le Conseil Municipal et les Religions de cette Ville de Manille le 12 Déc. 160664.
1° Peut-on faire la guerre aux Mindanaos ?
2° Peut-on faire la guerre ou punir les Zambales ?
3° Pourra-t-on réduire en esclavage les uns et les autres ?
À propos du premier point, les Docteurs disent communément que nul ne peut déclencher une guerre à part le Prince ou une République qui ne reconnaisse pas d’instance supérieure, mais ils disent également qu’il peut y avoir des cas où le besoin de vengeance du moment, dans le respect de la justice et de la République, autorise à faire la guerre. C’est ce que dit Maître Vitoria : Necessitas hanc licentiam santa aucthoritatem concedere posset si in medium regno una civitas aliam oppugnaret, et Rex neglegeret, aut non auderet vindicare iniurias illatas posset civitas, aut dux qui passus est iniuriam non solum se defendere, sed etiam bellum inferre, et animadvertere in hostes, et occidere. Les Docteurs Luis de Molina65, Gabriel66, Navarro67 et Angelo68 disent la même chose ; et si cette Doctrine est suivie dans d’autres parties du monde, elle est d’autant plus valide dans ces Îles Philippines où le remède est si éloigné et où les maux sont si certains et imprévisibles ; dans le cas présent des Mindanaos, le besoin est si urgent et les raisons si justifiées de leur faire la guerre qu’il ne peut y avoir de doute car comme nous le savons ils ont détruits les îles des Pintados69 en tuant et capturant nombre de natifs des îles de Bantayan, Dulag70, Panay, Butuan71, Mindoro, Batangan72, et d’autres endroits, brûlant villages et églises, faisant en sorte que leurs prisonniers (qui sont aujourd’hui plus de quatre mille) abandonnent la Sainte Foi Catholique, comme l’ont fait tant d’autres, pour rejoindre la secte de Mahomet qu’ils professent publiquement ; de sorte que dans ce cas concourent tous les titres de guerre juste puisqu’on se bat pour la Religion contre des Mahométans, pour la patrie, pour la défense des natifs, vassaux de S. Mté, pour la liberté, les biens, les femmes et les enfants, pour la libre circulation73 sur les mers qui ne sont pas sûres à cause des expéditions de course qu’ils lancent constamment contre nos côtes. Surtout, bien qu’on ait essayé de les réduire aux arguments de la paix, ils n’ont pas tenu leur parole ni les engagements qu’ils ont pris à maintes reprises. Tout cela semble ne pas laisser place au doute et justifier que nous leur fassions la guerre.
À propos du second point, concernant les Zambales, leurs vols et les meurtres qu’ils ont perpétrés et qu’ils perpétrent continuellement étant notoires, et s’agissant de gens insoumis, on ne doit pas s’attendre à un amendement humain, si ce n’est par la voie d’une punition bien méritée, de sorte que cela semble justifié et ne pas laisser place au doute.
Au troisième point74 on a répondu en présupposant qu’il s’agissait de iure gentium, de sorte que les uns comme les autres peuvent être faits esclaves à perpétuité, et qu’on ferait montre de miséricorde à leur égard puisqu’ils méritent la mort et qu’on commute leur peine en esclavage, ce qui est un moindre mal ; et bien qu’en droit privé S. Mté ait interdit de réduire en esclavage, le besoin est si urgent et le remède si uniquement limité à leur mise en esclavage, qu’il a semblé qu’on devait en user ainsi en en informant S. Mté.
En premier lieu, parce que les îles des Pintados sont sur le point d’être perdues si elles ne sont pas secourues par des gens de guerre. Cependant, vu que ceux-ci ne sont motivés que par l’intérêt et que les caisses royales n’ont plus un denier75, on ne voit d’autre source de revenus que de réduire en esclavage les ennemis.
Deuxièmement, les Indiens amis avec lesquels cette punition doit principalement être infligée ne sont pas empêchés par la législation de S. Mté de posséder d’autres Indiens en tant qu’esclaves anciens, d’autant plus que l’esclavage entre eux est moins rigoureux que parmi les Espagnols76.
Troisièmement, sa Majesté a demandé à ses gouverneurs d’avoir bien présent à l’esprit la nécessité d’entretenir les soldats. Il dit à Gomez Perez : quant aux revenus et aux découvertes, vous savez à quel point ils sont importants pour l’entretien des soldats, ayez donc toujours à l’esprit ce qu’il convient de faire et agissez en conséquence en fonction de la disposition et de l’état de la terre et des gens que s’y trouveraient77.
Quatrièmement, en 1603, les Religions de cette Ville ont signé l’autorisation d’envoyer aux galères les Mindanaos et les C[a]mucones en tant qu’esclaves pour une période de six à sept ans en prévenant toutefois sa Majesté.
Pour ces raisons et d’autres encore, ils ont jugé qu’on devait réduire en esclavage à vie tous ceux qui avaient été capturés lors d’une guerre juste, à condition d’informer le Roi N. S. de ce qui serait fait, en ayant la certitude d’avoir l’assentiment de S. Mté.
12 décembre 1606.
En la présence du Doyen de Manille, l’Archidiacre Arellano78, le Chantre Santiago de Castro79, le Professeur d’Ecole de Manille p. Juan de Santo Tomas80, p. Francisco de San Joseph81, p. Pedro de Arce82, p. Esteban Carrillo83, p. Roque de Barrionuevo84, p. Miguel Gorria85, Gregorio Lopez86, Pedro de Montes87, Juan de Rivera88.
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Document 9
f° 147r°
La question posée est de savoir si l’on doit aux Philippines appliquer la coutume qui existe en Espagne de partus sequitur ventrem.
La première Audience des Philippines89 a émis un acte en 1589 qui disait en ces termes : ceux qui naîtraient d’une mère libre, et ce même si leur père est un esclave, doivent être libres, et que ceux qui à cause de cela ont, jusqu’à présent, été considérés comme esclaves soient dorénavant [libres]. Que cet acte soit entendu dans sa plus large extension et qu’il soit appliqué aux natifs de ces dites îles.
Cet acte va à l’encontre des coutumes des natifs, lesquelles S. Mté ordonne de respecter et de préserver tant qu’elles ne s’opposent pas au droit naturel ou divin, comme on peut le voir dans les cédules Royales imprimées à Mexico et dans les Ordonnances de l’année 1598 à destination de l’Audience de ces îles Philippines, et dans bien d’autres endroits où sa Majesté réitère l’ordre de respecter et de préserver les coutumes des Indiens tant que celles-ci ne s’opposent pas au Droit naturel ou divin.
Ceci étant posé, il nous reste à déterminer si la coutume de ces natifs, qui est de faire alterner le statut des esclaves venus au monde, un sur deux devenant esclave, selon que l’un des deux parents s’avère être un esclave, ne s’oppose pas au droit Naturel ou Divin, car dans le cas où elle ne s’y oppose pas, il n’y a pas de raison de leur ôter leurs coutumes. Une chose est sûre, et aucun Auteur ne la remet en cause, c’est que cette loi partus sequitur ventrem, peut être naturelle seulement si quo ad alimenta qui le nourrit incombe à la mère, qui a obligation de l’alimenter, mais pas quo ad servitutes quae introductae sunt iure Gentium, et par coutume et contrat moral et humain, et de là vient qu’en de nombreux Royaumes et Provinces, les fils suivent le Père, et non la Mère comme le dit st Thom. : in quibusdam tamen terris quae iure civili non reguntur, partu sequitur deteriorem conditionem, ut, si sit pater servus quamvis mater sit libera, erunt filii servi90. St Isidore affirme la même chose dans chap. Liberi 32 q. 4 où il est dit Liberi dicti, quia ex libero sunt matrimonio orti nam filii ex libero et ancilla servilis conditionis sunt semper enim qui nascitur deteriorem partem sumit. Et la glose sur ce point dit Hoc est verum sive Leges Romanorum, donnant ainsi à entendre qu’il y a plusieurs coutumes et Panormitanus91 dans le chap. Licet de coniugio servorum dit valet statutum et consuetudo ut sequat conditio patris, et hec consuetudo in multis locis viget, par quoi on voit qu’à l’époque de Panor., cette pratique faisait loi. De même Soto in 4. dist. 35 ar. 4, où il dit in quibusdam terris en employant les mêmes mots que st Thom. et il conclue : quod in odium mulieris, qui servo suo nub senit aliqua lege cautum fuit ut part, se queretur patrem Lege 1a, codice de mulieribus, quae suis propriis servis invenierunt [sic]. De même chez le P. Docteur Molina qui dit ainsi : Si [autem quo ad alia] esset alicubi aliud peculiare ius aut consuetudo, nempe ut proles sequeretur patrem, vel ut ad illius servitutem necessarium esset utrumque parentem esse servum, vel aliud simile, standum esset illi iuri aut consuetudini, ut ex cap. coniugio servorum colligitur et docet Panormitanus92.
De ceci et de nombreuses autres choses qu’on a pu évoquer, on voit clairement que cete maxime partus sequitur ventrem ne dépend pas du droit naturel mais bien des coutumes particulières aux Romains, aux Espagnols et à d’autres royaumes, et que par conséquent cela a été une grave injustice faite aux natifs de ces îles que de leur enlever leurs esclaves du fait de la loi et de la coutume propre à l’Espagne.
Le Sieur Archevêque Don Pedro Miguel de Benavides m’a dit qu’il était déterminé à ne pas appliquer l’Acte de l’ancienne Audience dans les affaires matrimoniales, dans lesquelles la question de l’esclavage importe tellement, car cela lui paraissait être injuste. Le Sieur Évêque Fr. Pedro de Agurto a exprimé à ce sujet son avis dans un texte fort Docte dans lequel il prouve qu’on doit laisser les Indiens dans leurs coutumes concernant l’esclavage puisqu’elles ne dépendent pas de l’ordre naturel ou Divin. […]
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Document 10
f° 185r°
Esclaves Mindanaos
Les Lutaos93 et les Dapitan94 achètent des esclaves Mindanaos aux Mindanaos eux-mêmes ou à d’autres peuples qui sont nos ennemis, esclaves que les Espagnols viennent ensuite à acheter.
La question est si l’on peut admettre que ceux qu’ils possèdent sont effectivement des Esclaves. La raison d’en douter vient de ce qu’ils n’ont pas été obtenus lors d’une guerre. On répond que supposément les Mindanaos sont réduits en esclavage pour de nombreuses raisons, et on pourra admettre que les gens obtenus par voie d’achat puissent être tenus pour esclaves. Le P. Molina t. 2 disp. 35 con° 1 : Si mancipia sint ex eis locis, in quibus disputatione præcedente dictum est esse Lusitanis justum bellum, eoque tempore inde sint asportata, quo tale fuit bellum, non est quod mercatores, qui illa inde asportant, ullam inquisitionem faciant, sint ne juste in servitutem redacta, quando verisimilis aliqua præsumptio in contrarium de aliquo, aut de aliquibus non se offert : & multo minus est quod inquisitionem faciant, qui in hoc regno a mercatoribus, aut ab aliquo alio, ea emunt, aut quovis alio titulo comparant.95 Il en va de même dans les choses de Barbarie, où les Maures étant Maures, ils sont pris comme esclaves. Août 1608.
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Document 11 : Vocabulaire de la langue bisaya, entrée « esclave »
Début du xviie siècle
Manille, au Collège de la Compagnie de Jésus par D. Gaspar Aquino de Belen, 1711, f° 382r°-382v°.
Le texte que nous présentons ici est un extrait du Vocabulario de la lengua bisaya compuesto por el R. P. Matheo Sanchez de la Sagrada Compañia de Jesus y aumentado por otros PP. de la misma Compañia para el uso, y Comodidad de ministros de los PP. Ministros de los Partidos de Bisayas : A expensas de la Vice Provincia de Pintados, que le dedica, y Consagra a la Soberana Emperatriz de los Cielos, Maria santissima Madre de Dios, y Señora nuestra Concebida sin pecado Original96, précisément l’entrée Oripun, esclave.
L’auteur principal en serait donc le père Mateo Sánchez, né à Plasencia, Espagne, en 1562, arrivé aux Philippines en 1595 au moment de l’établissement de la mission permanente, et mort en 1618 à Dagami, sur l’île de Leyte, en 161897. Si tel est le cas, ce que le fait que le Bisaya exposé dans ce texte soit du Waray-waray98, précisément parlé dans la partie est de l’île de Leyte où Sanchez a exercé son sacerdoce, semble confirmer, nous avons là un témoignage unique de la culture indigène, ou plus précisément de la culture indigène comme elle a été comprise par les missionnaires jésuites, au tout début du xviie siècle, soit une dizaine d’années à peine après le début de l’évangélisation de la région.
La consultation d’un article de dictionnaire dans une langue sans doute inconnue pour le lecteur peut s’avérer fastidieuse. Cependant, dans le cadre d’un dossier dont l’objectif est de proposer des sources présentant différents points de vue sur un même sujet, il nous a semblé important de faire figurer ce type de matériel. De maniement délicat puisque le filtre interprétatif de l’auteur sur la réalité qu’il décrit y est difficile à évaluer, son intérêt n’en est pas moins manifeste puisqu’il nous présente un ensemble de pratiques et de concepts indigènes que les chroniques, si elles ne les occultent pas totalement, présentent souvent exclusivement en fonction de l’objectif final de conversion à la foi et aux pratiques des chrétiens. Malheureusement, il est souvent négligé, ce qui, dans le cas de l’historiographie philippine, revient à dire qu’il n’a fait l’objet d’aucun travail jusqu’à présent.
Oripun99 : uc. f. Oripunon, vel oripnun : Esclave. Tag oripun : Le maître. Nagtag oripun dacun si coan : Un tel est mon maître. Patag oripun ba lamang quita sa diablo : Ainsi nous allons nous livrer comme esclaves au diable. Nag oripun : Faire esclave quelqu’un, réduire à la servitude, à l’esclavage. Sino nag oripon dimo ? : Qui te fait100 esclave ? Pag oripnun aco niño, vel, pag oripunun aco ninyo lugaring101, cay naluya, ug tinatambongan hin isug ninyo102. Ginoripuna co nila cay an utang cono sa acun amay103, panguripunun cami an manga maluya104, ca nino ca oripun105, Can coan aco Oripun aco ni coan106.
Oripnanun : Celui qui possède des esclaves. Nahaoripon : Se faire esclave. Pahaoripun aco dimo : Je viens me faire ton esclave, je veux être ton esclave. An iya lauas ingi pahaoripun na107 : Il est devenu esclave.
Nacaoripun : Posséder ou acheter un esclave. Nacaorupun si coan an buhatan nga tao108, lubus nga oripun vel bugus : esclave entier. Binobugus aco nila pagoripun109, bugos mo ba iton oripun cun an picas lamang110.
Hinoripnan : Celui qui s’est fait esclave d’une personne pour avoir reçu d’elle un bahande111, et le bahandi pour lequel il est esclave. An hioripnan sin tao, duha ca agung lamang112, hin oripnan co si coan cay varay malooy dacun sa acun manga otod113. Caoripnan : L’esclavage de quiconque, ou la multitude d’esclaves. Picas lamang an caoripnan co114 vel, an caoripun co, vel, an pagca oripun co diri115camo an caoripnan labut sini nga capolonganan, an catimauan116 in pinanungdan sini117.
Maghioripun, Nanbinguripun : appeler quelqu’un d’autre esclave, lui jeter à la face sa condition d’esclave. Pinan hinguripnan aco niya : Il m’a appelé esclave. Nagtonboy dacun sa acun caoripun118.
Magorooripun, mag inoripun : Agir vilement comme un esclave ou une personne faible. Ngaa nga mag oro oripun ca119, mag oro oripun an buut mo, an gavin mo, an tolos mo cay baga ca nan oripun nga tanan120.
Oripunhun nga buhat, vel inoripun nga buhat, nga buut : Acte d’esclave, ou caractère d’esclave, oripun in buut icao : tu as un caractère d’esclave.
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Document 12 : Mémorial d’Hernando de los Ríos Coronel
ca. juillet 1605
AGI, Filipinas, 27, n° 51 (extraits)
Hernando de los Ríos Coronel (1559-1624 ?) est un personnage fondamental dans la colonie espagnole des Philippines du premier quart du xviie siècle. Arrivé aux Philippines en 1588 comme soldat, il voyagera au Cambodge et en Chine, sera administrateur de l’Hôpital Royal, amiral, cartographe et inventeur d’un astrolabe. Rentré en Espagne en 1606, il est ordonné prêtre à Séville en 1610, avant de revenir aux Philippines121. Mais davantage que pour toute autre raison, Ríos Coronel est une figure importante dans la mesure où il occupera à deux reprises, de 1606 à 1610 et à nouveau de 1618 jusqu’à sa mort survenue en Espagne, les fonctions de Procurador General de la ville de Manille et par là même, représentant de toute la colonie philippine auprès de la cour. De ce fait, il est l’auteur en 1621 d’un mémorial extrêmement important, dans lequel il présente la condition de la colonie, ses besoins, ses requêtes, et justifie les pratiques qui y ont lieu, notamment en ce qui concerne le commerce du galion122.
Les deux items qui sont présentés ici123 sont extraits d’un mémorial précoce rédigé depuis Manille avant son départ pour l’Espagne. Ils évoquent le problème des esclaves acheminés à Manille par les Portugais et la question de la promiscuité sexuelle induite par la présence de femmes esclaves à bord des navires124. Ces deux requêtes feront l’objet de deux demandes d’information par cédules royales en 1608125.
#18 : Les Portugais amènent ici de Malacca une grande quantité d’esclaves, noirs pour la majeure partie, et d’ordinaire ils se défont ainsi des pires qu’ils ont. Ils sont ivrognes, voleurs, fuyards et se livrent au brigandage. Cette terre s’en trouve grandement menacée car ils sont nombreux et il serait bon que V. Altesse demande qu’on ne fasse pas venir lesdits noirs ni les esclaves âgés de plus de douze ans sous peine qu’on les arrête et que ceux-ci soit exécutés irrémissiblement.
#30 : Qu’aucun des passagers ou marins n’amène avec lui des femmes esclaves car c’est une très grande offense faite à Dieu et on peut être sûr qu’elles sont perdues126 à l’arrivée à Acapulco. Il convient d’ordonner cela car beaucoup ont commerce avec elles, si ce n’est les maîtres, d’autres passagers du navire et ce n’est pas raisonnable qu’en une circonstance où on prend tant de risques127 il y ait occasion d’irriter Dieu et j’ose affirmer que depuis dix ans que cette pratique s’est établie, beaucoup de catastrophes sont survenues.
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Document 13 : Demande d’Hernando de los Ríos Coronel au sujet de l’esclavage des Indiens mahométans
30 juin 1607
AGI, Filipinas, 27, n° 63
Au début du xviie siècle, la question musulmane aux Philippines est doublement urgente. D’une part, suite à l’arrivée des Flamands dans la région, il devient impératif de reconquérir les Moluques avant que ceux-ci ne le fassent, ce qui sera cependant le cas en 1605, suite à quoi une gigantesque opération128 sera lancée en 1606, laquelle parviendra, en apparence tout au moins129, à placer les « Îles aux Épices » sous l’autorité des armes du Roi Catholique. Le second axe de la question est bien évidemment les musulmans du Sud, dont nous avons précédemment évoqué la belligérance accrue au début du xviie siècle. Afin de ne pas avoir à combattre sur deux fronts différents et de pouvoir déployer toutes leurs forces vers les Moluques, les Espagnols entament des pourparlers avec les autorités musulmanes de Jolo et Mindanao à partir de 1605, lesquelles vont déboucher sur un accord de paix en 1609. Mais Ríos Coronel est parti pour l’Espagne en 1605, de sorte qu’il n’est certainement pas au fait de ces événements, lesquels ne garantissent de toute façon évidemment pas une résolution définitive du problème militaire.
Ce document de 1607, présenté en personne par Ríos Coronel à Madrid, propose donc la réduction en esclavage des musulmans du Sud de l’archipel comme solution au problème qu’ils constituent.
Il est à noter que l’émission d’une réponse, positive, à cette demande, explicitement présentée comme telle, n’aura lieu qu’en 1620130, à une époque où la belligérance musulmane n’a pas encore reprise. On a là un parfait exemple des péripéties péninsulaires auxquelles sont soumises les affaires des Indes puisqu’il semble que, après le long relâchement propre à l’administration du Duc de Lerma, on assiste à une reprise en main des dossiers, flagrante dans le cas des Philippines, que l’on peut d’abord attribuer à la gestion de Baltasar de Zúñiga y Velasco, aux affaires de 1618 à 1621.
Soulignons enfin que Ríos Coronel possédera lui-même deux esclaves, Juan, originaire de Ternate, et Cosme, un chinois131.
Procureur général des Philippines, au nom de ce royaume, je déclare que dans un autre mémoire j’ai supplié Votre Alt. afin que soient faits esclaves les indiens de Mindanao, de Jolo et des régions circonvoisines alentour, étant donnée l’importance et la convenance de ceci pour le service de Dieu N. S., et celui de V. Alt., pour le bien-être et la paix de ces îles, ainsi que pour la propagation du Saint Évangile, et il a été répondu à mon mémoire que je devais en informer l’audience royale, le gouverneur et l’Archevêque et qu’entre temps on fît là-bas ce qui convînt le mieux, et parce que de la résolution de cette affaire dépendent des choses d’une si grande importance et que la retarder afin que depuis là-bas ils puissent en informer, étant donné que le trajet est si long, présente tellement de difficultés, alors que ceci requiert une très prompte résolution, je supplie V. Alt. que soient considérées les raisons suivantes :
La première c’est que ce sont nos ennemis et qu’ils sont presque tous mahométans, ennemis de notre sainte foi Catholique, contre lesquels la guerre est Juste.
La seconde c’est qu’ils viennent voler sur nos terres, où nous n’avons aucune sécurité et où ils ont tué et capturé un grand nombre de gens natifs des îles, Vassaux de V. Alt. envers lesquels il y a obligation de défense et de protection ; ils ont brûlé beaucoup de villages, d’églises et, jetant l’opprobre sur Notre Ste Foi Catholique, ils ont injurié les images en les éventrant, en les réduisant en morceaux et en profanant les choses sacrées, buvant dans les calices et s’en servant dans leurs banquets, de même que les patènes et autres verres sacrés. Ils ont capturé un grand nombre de gens, et si on souhaite en racheter quelques-uns, ils nous les vendent à des prix excessifs. De plus, la nation espagnole y perd beaucoup de sa réputation, elle qui parmi tant de nations nous soutient.
La troisième c’est qu’effectivement il est licite de les tuer comme cela est fait maintenant, mais pour leur intérêt132 il serait mieux d’en faire des esclaves.
La quatrième c’est que les réduire en esclavage serait le moyen le plus efficace pour arranger tout cela et éviter à V. Alt. de nombreuses dépenses afin de protéger ses terres et les natifs puisqu’ils sont mis in contingentia et risquent de se rebeller, comme d’ailleurs l’ont fait certains Indiens de l’île de Panay et de l’île de Leyte ; par ailleurs les indiens natifs subissent des dommages considérables des Ennemis et comme les Espagnols sont peu nombreux et ne peuvent donc les défendre ni leur apporter l’assistance qu’ils leurs doivent, afin qu’on parvienne à ce que la guerre prenne fin et qu’on assure paix et tranquillité aux vassaux de V. Alt., ceci est le moyen nécessaire, car si on devait attendre que là-bas l’audience et le gouverneur soient informés, alors qu’ils sont si loin, avant que les choses ne s’arrangent, on perdrait la contrée, et puisqu’il y a là-bas des personnes de science et de conscience en qui on peut se fier, et qu’à ceux auxquels j’ai fait référence on peut ajouter les négrillons133 et les Zambales134 voisins de la [province de] Pampanga, des gens qui tuent seulement pour se glorifier du nombre de têtes qu’ils ont coupées – celui qui en coupe le plus est celui qui est le plus honoré – je supplie donc V. Alt. de demander à l’audience, au gouverneur et aux prélats, comme bien consciente et au fait du problème, de déterminer ce qu’il convient de faire et, puisque cela convient au service de Dieu, de V. Alt., ainsi qu’au bien de la république, que soient faits esclaves les dits indiens de guerre.
Hernando de los Rios Coronel
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Document 14 : Lette du Gouverneur Sebastián Hurtado de Corcuera au roi
30 juin 1636
AGI, Filipinas, 8, 3, n° 58 (extrait)
S’il est un gouverneur des Philippines auquel il conviendrait de consacrer une monographie, c’est bien Sebastian Hurtado de Corcuera (1635-1644). Son long mandat est en effet marqué par des événements de toute première importance, comme la grande entreprise lancée contre les musulmans du Sud et l’occupation militaire qui s’en suit à partir de 1637, mais aussi l’abandon des positions espagnoles à Formose en 1642 et la délicate gestion des relations avec Macao dans le cadre de l’indépendance du Portugal. Le personnage lui-même ne laisse pas d’être intéressant. Chevalier de l’Ordre d’Alcantára, vétéran des Flandres, mestre de camp au port du Callao puis gouverneur de Panama de 1632 à 1634, il est une sorte de comte-duc d’Olivares du bout du monde, obsédé par la réputation des Armes Espagnoles et terminant toutes ces missives au Conseil par les mots « je baise les pieds de Votre Majesté ». Il est aussi autoritaire, partial et népotique, ce qui lui vaudra, entre autres raisons, un douloureux jugement de résidence135 qui se soldera par une peine de prison de cinq ans, à l’issue de laquelle il sera nommé gouverneur des Canaries.
Le très court document que nous proposons ici, en même temps qu’il montre déjà la relation toute particulière que le gouverneur va entretenir avec les jésuites, pose de façon inattendue le problème des esclaves noirs libérés en même temps qu’il permet d’entrevoir la complexité ethnique de la société manillaise dans lequel il s’inscrit. La proposition de Corcuera reçoit le 15 mars 1638136 une réponse dans laquelle il lui est signifié que sa solution au problème ne semble pas opportune.
Seigneur
À peine arrivé dans ces îles, la ville m’a demandé que j’en fasse sortir les noirs libres et affranchis, qui seraient de quatre cents à cinq cents, à cause des désordres qu’ils causaient, en particulier les vols qu’ils commettaient de mèche avec les esclaves, lesquels recevaient et emportaient en dehors de la ville afin de le vendre ce que ces noirs avaient volé. La ville prétendait qu’ils devaient être conduits à neuf lieues d’ici. Cela ne semblait guère convenir. Les PP. de la Compagnie m’ont donné un îlot137 qu’ils ont au milieu du fleuve, afin de les y installer, avec l’obligation toutefois de leur inculquer la Doctrine, mais sans que pour autant on doive leur concéder des émoluments autres que ceux qu’ils perçoivent de la caisse communautaire des Sangleys138 qu’ils [les jésuites] ont à Santa Cruz139, en plus des six réaux de service à sa majesté annuels et de la licence générale qui les autorise à vivre là-bas avec les PP.
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Document 15 : Mémorial de Pedro de Mendoza, esclave de Sebastián Hurtado de Corcuera
AGI, Filipinas, 4, n° 40140
Au sud de l’archipel philippin, les années 1620 sont sous le signe de la restructuration politique. Malgré l’attaque de 1616, les accords de paix du début du xviie siècle n’ont pas été officiellement rompus. Au contraire, dans la première moitié de la décennie, le jeune Cachil Kudarat141, le fils de Datu Bwisan, dirigeant maguindanao et principal opposant des Espagnols durant la période antérieure, vient demander de l’aide aux Espagnols pour régler un conflit avec un rival. On lui prête 12 hommes et quelques pièces d’artillerie142. Un an plus tard, une nouvelle requête musulmane donne lieu à l’envoi de 500 hommes, mais la collaboration finit cette fois par une rixe entre combattants des deux camps et 9 morts parmi eux. À la même époque, toujours dans le cadre d’une lutte dynastique, le sultan de Jolo envoie le Datu Ache143 négocier de l’aide, mais un malentendu le fait jeter dans les geôles manillaises. Le nouveau gouverneur Juan Niño de Tavora (1626-1632) enverra finalement les renforts sollicités, mais le mal est fait. S’ouvre alors une phase de violentes attaques joloanes auxquelles les Espagnols ne répondront finalement qu’assez timidement en 1628 et 1630144.
En 1634, l’année précédant l’arrivée d’Hurtado de Corcuera, les Magindanaos reprennent à leur tour les hostilités, ce qui incite le gouverneur intérimaire Cerezo de Salamanca (1633-1635) à envoyer des forces au sud-ouest de Mindanao afin de construire au bout de la péninsule de Zamboanga une forteresse qui permettrait de mieux surveiller la zone de sortie des flottes ennemies. Le 16 février 1635, Madrid adresse au futur gouverneur des Philippines (Corcuera entre en fonctions le 24 juin 1635) une cédule qui, suite à une lettre de l’archevêque García Serrano de 1634 dans laquelle l’ecclésiastique avance le chiffre de 20 000 chrétiens capturés en l’espace de trente années, demande enfin formellement d’intervenir contre Jolo, les Maguindanaos et les Camucones dans la mesure où, avec la répétition des attaques musulmanes en territoire christianisé, « la réputation de mes armes est mise en péril145 ». La grande geste de Corcuera aux airs surannés de reconquête, largement appuyée et promotionnée par des jésuites qui y ont un intérêt matériel réel et qui y voit sans doute aussi l’occasion d’ouvrir un nouveau glorieux chapitre missionnaire au moment où se ferme celui du Japon146, peut ainsi commencer. Elle sera de fait couronnée de succès, puisque, entre 1637 et 1638, les Maguindanaos sont défaits, Kudarat doit se réfugier à l’intérieur des terres, la région du lac Lanao, au centre-nord de Mindanao où les Maranaos musulmans sont installés, est ocupée, la cité de Jolo est prise, les Espagnols sont installés dans la forteresse Nuestra Señora del Pilar de Zamboanga, et toutes les autorités musulmanes officiellement en place acceptent les capitulations imposées.
C’est dans ce contexte que, selon Corcuera, s’inscrit l’esclavage de Pedro de Mendoza dont il est question dans ce document.
[page de garde]
Je remets au Conseil des Indes le mémorial ci-joint de Pedro de Mendoza, Indien de Nation147, et je vous prie de me consulter sur ses prétentions ainsi que sur ce qu’il conviendra de faire et de décider.
À Madrid, le 4 oct. 1655
[…]
Au comte de Peñaranda148
Monsieur,
Pedro de Mendoza indien de nation natif des Philippines aux Indes, affirme être venu en Espagne avec Don Sebastian Hurtado de Corcuera et que, à cause du mauvais traitement que celui-ci lui infligeait, il partit de sa maison afin de rejoindre sa contrée, mais il fut arrêté à Séville, où on le marqua au fer et soumit à force tracas et vexations uniquement parce que ledit Don Sebastian Hurtado de Corcuera le tenait pour son esclave. Il supplie humblement S. Mté d’exiger de Don Sebastian les documents qui prouvent que je suis149 bien son esclave, alors que par cédule de V. Mté tous les indiens sont libres. Voici ce qu’implore humblement à V. Mté Pedro de Mendoza, qui espère recevoir pleine satisfaction de la main libérale et de la grandeur de S. Mté avec Justice.
[…]
Monsieur,
Don Sebastian de Corcuera, dit que V. Mté lui a fait l’honneur de lui faire parvenir une sienne Rle Cédule citée plus bas faite à Madrid le 16 fév. 1635, composée de six rubriques et ratifiée par sieur Don Gabriel de Ocaña y Alarcon150. Ayant appris par l’intermédiaire des Auditeurs de la Rle Audience des Philippines que les Indiens mahométans151 âgés de vingt et quelques années, en provenance des îles de Mindanao, de Jolo et de Bornéo commettaient des pillages dans les territoires de V. Mté, qu’ils capturaient les Indiens chrétiens, captifs152, femmes et enfants et que les Gouverneurs, bien que vous l’ayez ordonné, n’avaient pas mis l’ardeur nécessaire afin de remédier à ces désordres et de les punir, ainsi que d’autres raisons qui apparaissent dans la susdite royale cédule dont l’original est inclus dans son jugement de résidence153, et parce que Don Juan Niño de Tavora154 avait envoyé le Mestre de Camp Don Lorenzo de Olaso155 et le Gal Don Cristobal de Lugo y Montalvo156 afin de les punir, et que ceux-ci n’avaient pu exécuter les ordres qu’ils portaient à cause de la grande force des Maures de Mindanao et de Jolo, qui s’étaient retranchés dans les hauteurs, parce qu’avant cette campagne, Esteban Rodríguez de Figueroa157 y était allé, et avait été tué par les Maures de Mindanao, qu’après lui, le Mestre de Camp Gallinato158, soldat dans les Flandres, n’eut guère plus de succès dans son expédition, il [le gouverneur Hurtado de Corcuera] avait pris la décision d’y aller en personne afin d’exécuter et d’obéir à ce que V. Mté avait demandé, et ses Rles armes eurent tellement de chance qu’en l’année 37 le Roi de Mindanao fut châtié, délogé de sa montagne, de ses fortifications et désarmé de plus de 40 pièces d’artillerie, vingt et quelques couleuvrines et plus de 200 mousquets et arquebuses, ce pour quoi V. Mté, après avoir été informé des événements, a eu la bonté de lui faire envoyer des remerciements comme il apparait dans les Rles cédules qu’il a en son pouvoir.
L’année suivante, en 38, il alla de même châtier le Roi de Jolo, mais celui‑ci était si bien retranché dans sa montagne qu’il ne put l’assaillir comme celui de Mindanao. Il dut alors l’assiéger afin de l’affamer, ce qui dura trois mois et dix-sept jours au bout desquels le roi indien descendit, protégé par la capitulation en vertu de laquelle il devenait vassal de V. Mté, et payerait tribut lui et ses Maures. Étant à portée de la force d’artillerie de V. Mté et parce qu’une forte averse s’était soudainement abattue quand ils étaient déjà en dehors de la palissade pour entrer dans les quartiers qu’on leur avait signalé, un capitaine de l’armée du Roi appelé Datu Ache, lequel craignait d’être puni, profita de l’occasion et faisant de l’arrière-garde l’avant-garde, s’enfuit avec tous les Maures et les femmes, laissant sur place leurs vêtements et les enfants, qui étaient plus de deux-cents, âgés de trois mois à quatre ans, lesquels, après que les soldats avaient pris en chasse les fugitifs à travers les collines et les aspérités du terrain, furent recueillis et furent baptisés. Mais ils étaient si petits qu’ils ne savaient pas manger, et à peine furent-ils baptisés qu’ils moururent.
Les autres furent ramenés à Manille et furent répartis dans les couvents et les églises, deux dans chaque établissement ; six furent placés comme esclaves du St‑Sacrement dans la chapelle Rle royale de V. Mté, douze dans l’hôpital Rl et certains autres furent donnés à l’archevêque et à des particuliers à condition de leur inculquer la doctrine, de les faire baptiser et de les éduquer dans la connaissance de Notre Ste Foi Catholique, comme cela fut fait avec 41 hommes et femmes de noble lignage qui n’avaient pu fuir comme les autres et furent capturés. Ils furent baptisés et jurèrent allégeance et fidélité à V. Mté. Leurs parrains leur firent des dons, après quoi ils purent retourner chez eux, dans le village situé au pied du fort de V. Mté de San Joseph à Zamboanga.
Les enfants qui restèrent chez lui [Hurtado de Corcuera] furent élevés et éduqués du mieux possible ; ils furent ensuite envoyés à la Nouvelle-Espagne en l’an 42 avec Doña Maria de Francia, la femme de son neveu Don Pedro Simon de Corcuera159, qui fut tué lors de l’assaut de la montagne de Mindanao. Elle se remaria pour la seconde fois en Nouvelle-Espagne avec Don Andres de Medina160 et mourut peu de temps après. Ledit Andres se mit alors à les vendre à l’Archevêque161, au Mestre de camp Don Antonio de Vergara162, à l’officier de justice et au procureur royal de l’Audience, puis plaça quelques indiennes comme esclaves dans les couvents. Il fit réunir ceux qui restèrent et les ramena dans ce royaume, se servant d’eux plus comme des fils que comme des esclaves. Il s’agissait assurément d’une guerre Vive et Juste ordonnée par V. Mté contre ces indiens mahométans qui sont considérés comme esclaves perpétuels là-bas dans toutes les Indes et qui semblent devoir l’être aussi en Espagne. Néanmoins, il leur promit la liberté à sa mort, pour qu’ils puissent vivre chrétiennement en sa maison, et ceux qui moururent, qui furent plus de sept, ont clairement donné des signes de s’être dirigé vers leur salut.
Maintenant il semble que Pedro de Jolo qu’on appelle Mendoza parce que son parrain s’appelait Don Pedro Diaz de Mendoza163, a adressé un mémoire à V. Mté, où il se dit libre, et qu’à cause de sa fugue il a été marqué au fer à Séville. Tout cela est vrai. L’ayant envoyé ici avec quelques chevaux, il doit y avoir deux ans de cela, quand ceux de Sa Majesté furent amenés de son écurie royale de Cordoue, il vola un plat en argent chez le gouverneur de forteresse Don Mateo Varona164 et prit la fuite. Grâce aux mesures qui furent prises, on l’arrêta et le plat reparut, le lieutenant de justice prit l’affaire en main et le fit fouetter et envoyer aux galères. À l’occasion d’une visite de la prison, le cons. de Castille165 demanda à ce qu’il lui fut livré comme étant son esclave. Ayant été ramené à sa maison et étant traité avec le même soin que les autres, il n’hésita pas à réaliser de nouveaux vols, contre ses propres compagnons, ainsi que la croix d’un ostensoir. Craignant d’être puni, il fuit à Séville où le lieutenant-assistant le fit arrêter comme fuyard et ordonna qu’il fut envoyé aux galères de V. Mté à perpétuité ou qu’il fut marqué au fer sur le visage afin qu’il ne puisse plus fuir. Cela fut ainsi fait et il fut envoyé chez Don Sebastian par l’entremise d’un muletier.
De la même façon, Manuel de San Juan de nation de Ternate166, Maure et qui, captif des soldats de V. Mté en ses fortifications des îles Moluques, puis acheté par le Gen. Don Pedro de Mendoza pour la somme de 130 pesos d’argent167, ce qui correspond au prix fixé pour de tels esclaves destinés aux galères de V. Mté, lança une procédure de mise en liberté, après 19 ans passés à servir comme l’esclave qu’il est, et il sera facile de s’informer du fait que tous ceux qui viennent de ces terres sont considérés comme esclaves légitimes puisqu’ils ont été capturés au combat.
Il a voulu rédiger ce rapport afin d’informer V. Mté de la juste raison en vertu de laquelle il possède ces indiens comme esclaves en sa maison, où il les traite avec amour et les éduque comme s’ils étaient ses enfants, ce qui est notoire, et que c’est l’excès d’affection qu’il leur montre qui les amènent à être ingrats, en intentant des procès si injustes, et si V. Mté a soumis ce cas au Conseil Rl des Indes, celui-ci lui donnera raison et lui rendra Justice avec la probité et circonspection qui le caractérise. Car il n’est pas juste que des nouveaux chrétiens encore Maures hier remettent en question la bonne réputation d’un chrétien, fidèle vassal de V. Mté, qu’il a acquise après tant d’années. Et si après avoir écouté sa requête, le conseil décidait qu’il fallait leur rendre leur liberté et les renvoyer chez eux, ceux-là et les autres qui sont en sa maison, il les livrera et s’en défera de bon gré, car ils lui coûtent plus qu’ils le servent, et s’il souffre et a souffert leur présence, c’est seulement afin qu’ils ne se perdent pas et ne reviennent dans leur contrée au grand risque de se condamner168.
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Documents 16, 17 et 18 : La cédule de 1679 et ses conséquences
1682-1689
En 1640 dans la Péninsule, et à la fin de l’année 1641 en Extrême-Orient, le Portugal s’émancipe de la tutelle espagnole. Après un temps d’hésitation au cours duquel Macao considère la possibilité de rester rattachée à l’Espagne169, les deux cités deviennent officiellement ennemies jusqu’en 1668, date de la reconnaissance officielle par les Habsbourg de l’indépendance de leur voisin. Le commerce entre Espagnols et Portugais, qui perdent Malacca en 1642, et notamment le commerce des esclaves, n’en continue pas moins d’avoir cours, bien plus au sud, à Macassar, proche des Moluques où les Espagnols sont encore présents170. Mais cette porte se ferme définitivement en 1669, date à laquelle les Néerlandais s’emparent du sultanat et en expulsent les Ibériques.
Au sud des Philippines, où les troupes espagnoles stationnent depuis la fin des années 1630, et où prisonniers de guerre et individus achetés aux musulmans171 constituent autant d’esclaves qui sont ensuite acheminés vers Manille, la guerre ouverte éclate à nouveau après que Kudarat a lancé un appel à la guerre de tous les musulmans de la région contre les Espagnols, troquant par la même occasion son titre de Cachil pour celui de Sultan. En 1663, suite au nouveau soulèvement des Sangleys de Manille et à la menace d’une invasion par le pirate chinois Coseng, le gouverneur Sabiniano Manrique de Lara (1653-1663) décide de démanteler les fortifications de Zamboanga, Calamianes172, Iligan173 et Ternate aux Moluques, où ils ne retourneront jamais, tandis que le préside de Zamboanga ne sera réoccupé qu’en 1719174.
Dans ce contexte déjà morose, une série de lois publiées au cours de la décennie de 1670 sont de funeste présage pour les possesseurs d’esclaves aux Philippines. Le 23 décembre 1672, la reine Marianne fait parvenir au vice-roi de Nouvelle Espagne un décret lui ordonnant de libérer tous les esclaves américains et asiatiques175. L’année suivante, le même vice-roi Antonio Álvarez de Toledo y Salazar (1664-1673), alors sur le départ, écrit au Conseil pour signaler qu’il a bien reçu les ordres du 9 mai 1672176 lui demandant de prohiber l’esclavage des Chichimèques. Puis, un an plus tard, c’est au tour des indios de guerra araucans d’être libérés177. Finalement, le 12 juin 1679, une cédule imprimée pour l’occasion proclame la liberté universelle des Indiens.
Sa réception à Manille crée un terrible choc, dont la première manifestation est la rédaction en 1682 d’un rapport touffu, confus et, oserait-on dire, passablement hystérique178. Vient ensuite en 1684 un second dossier produit par l’Audience, beaucoup plus apaisé dans son ton et sa présentation. Madrid publie alors deux cédules le 1er mai 1686 qui demandent au vice‑roi et à l’Audience de Manille, au vu du contexte particulier de l’archipel, de réunir les informations nécessaires à la prise de décision adéquate179. Enfin, en 1689, Manille y répond.
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Document 16 : Rapport de l’Audience et des autorités civiles et ecclésiastiques des îles Philippines sur la liberté des esclaves
25 juin 1682
AGI, Filipinas,13, 2, n° 17180
[f° 4v°] Demande
Très Puissant seigneur – Le Conseil Municipal, la Justice et les conseillers181 de la très noble et Toujours fidèle Ville de Manille182 ; et le Vénérable Doyen du chapitre ecclésiastique de l’Église métropolitaine de celle‑ci, avec les Prélats des Religions, couvents, Collèges et séminaires qui signons ici devant V. Alt., exprimons en vertu de ce qui nous semble le meilleur droit et ce qui convient au nôtre, et déclarons que nous avons eu connaissance qu’a été publiée sur ordre de V. Alt. une Cédule Royale faite à Madrid le 12 juin de l’an mille six-cent soixante-dix-neuf dans laquelle Votre Majesté, que Dieu la garde, demande que sous aucun prétexte on ne fasse ni vende comme esclaves les indiens de ses Indes occidentales183 avec les autres clauses de rigueur et force qui s’expriment, ce pour quoi V. Alt. a mis ou maintenu en liberté un nombre excessif d’esclaves des deux Indes, ce dont il résulte des inconvénients qui sont notoires, et avec raison on peut appréhender des conséquences plus pernicieuses encore à l’avenir, du fait que cette disposition et ici ladite cédule sont de celles qui, lorsqu’elles sont ainsi annoncées, doivent ne pas être exécutées, mais au contraire, on doit s’interposer par le biais d’une supplique et réécrire au Prince184 pour que, mieux informé, il pourvoie à ce qu’il convient, c’est-à-dire que V. Alt. suspende l’exécution de cette Cédule Royale et admette cette supplique […]185. Et si cela devait être refusé, il faut que V. Alt. demande qu’on exécute ladite Cédule Royale seulement parmi les natifs des Indes occidentales, dont précisément elle parle, et si cela devait être refusé aussi, que V. Alt. ait l’obligeance, au cas où il faille exécuter ce qui est prévu dans la Cédule royale avec les esclaves qu’on fait venir de l’inde Orientale à ces îles, que cela soit seulement en ce qui concerne ceux qui viendraient à l’avenir ou auraient été amenés à partir du jour de la publication de ladite Cédule Royale sans que la disposition soit rétroactive en ce qui concerne les esclaves conduits ici avant sa publication.
[…]
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Document 17 : Lettre de l’Audience de Manille sur la liberté des esclaves
22 juin 1684
AGI, Filipinas, 24, 5, n° 28186
Seigneur
[En marge] Contenu de la Cédule du 12 juin 1679
V. Mté a été servie d’envoyer sa Cédule Rle du 12 juin 1679 en confirmation d’autres qui parlent en substance de la liberté des Indiens, fixant pour loi générale que pour aucune raison, ni sous aucun prétexte, ne soient faits esclaves les indiens natifs des Indes Occidentales et îles adjacentes ; mais au contraire qu’ils soient traités comme des Vassaux de V. Mté qui ont tant agrandi sa Couronne ; et que désormais pour aucun motif de juste guerre, ou un quelconque autre, les Indiens ne puissent demeurer esclaves, ni être vendus comme tels, qu’ils soient pris aux Indes ou en dehors de celles-ci ; et que tous ceux qui aujourd’hui vivent en esclavage et leurs fils soient rendus libres =
[En marge] Cette Aude Rle a obéi et demanda à ce qu’elle [id est : la cédule] soit publiée et les chapitres ecclésiastiques et séculiers, les ordres religieux, les Pampangos187 et les métisses sangleys demandèrent qu’on en suspende l’exécution.
Cette Aude Rle, remplissant ainsi son obligation, non seulement a obéi mais encore a ordonné qu’on lui obéisse et l’exécute. On publia un Ban dans cette Ville, dans ses environs et ailleurs, afin que tous s’en informent et qu’on ne puisse alléguer ignorance = En cette occasion les esclaves qui se présentèrent en réclamant leur liberté furent si nombreux que cette Aude Rle ne pouvait ouvrir un dossier, même traité avec brièveté et sommairement, pour chacun des multiples cas qui se présentaient. En outre, les deux chapitres ecclésiastiques et séculiers188, les Religions, la province de Pampanga, une grande partie des métisses de Sangleys se présentèrent en demandant que Votre Prest et [vos] auditeurs suspendent l’exécution de la Cédule, et qu’on supplie V. Mté dans ce sens du fait des graves dommages communs et particuliers qui en résultaient, lesquels ils exprimèrent dans les écrits qu’ils présentèrent, dont il a été donné une transcription à Votre Procureur, lequel insista en demandant que l’ordre soit purement et simplement exécuté =
[En marge] Du fait de la gravité de cette affaire il fut déterminé ce qui est contenu dans l’Acte Concerté du 7 septembre 1682189.
Cependant, cette Aude Rle se trouvant accablée par la gravité de cette affaire, elle dut prendre la résolution que V. Mté verra dans l’Acte Concerté190 du 7 septembre 1682 qui est joint avec les autres documents relatifs à cette affaire.
[En marge] Les formes d’esclavages de ces îles ne sont pas comparables à celles des autres Indes.
Le fait est que ces îles ne doivent pas être estimées comme les autres Royaumes et provinces de l’Amérique191, où tous les esclaves, ou sont noirs et mulâtres, ou sont de purs indiens, parce que dans ces îles on rencontre une si grande diversité de Nations qu’il est difficile de les comprendre, et impossible de les énumérer toutes, et c’est seulement en citant les Castes en général qu’on pourra se faire quelque idée sur la multitude de types d’esclaves qu’on trouve dans ces contrées-ci ; et pour que V. Mté détermine ce qu’elle serait servie de faire, cette Aude Rle se voit dans l’obligation de les spécifier en ajoutant à ceci ce qu’elle a réalisé jusqu’au moment de la présentation de la Cédule du 9 juin [sic] et ce qui reste à décider.
[En marge] Dans ces provinces on trouve d’innombrables esclaves de la démarcation de Castille et Portugal et lesquels sont ceux [qui viennent] de celle du Portugal.
Dans ces Provinces on trouve d’innombrables esclaves et affranchis, qu’ils soient de la démarcation de Castille comme de celle du Portugal, car depuis plus de Cent Ans qu’ils viennent en bateau pour commercer, ils ont amené de nombreux esclaves des Nations suivantes : Bengalis, Malabarais, Cochinois, Macassarois, Timorais192, parmi beaucoup d’autres qui se différencient seulement par le nom des provinces et Royaumes dont ils sont natifs. Cette Aude Rle a observé la règle de déclarer [les individus de] ces Nations comme libres dès qu’ils l’ont réclamé, par manque d’information précise, car même si de nombreux Maures viennent, et qu’ils peuvent être pris en juste guerre par des Catholiques, les certifications que ces derniers amènent avec eux ne sont pas suffisantes car elles ne déclarent rien d’autre que le fait qu’ils soient esclaves en vertu d’un juste titre et d’une juste captivité, de sorte que ce que cette Aude Rle a toujours eu coutume de faire continue à être pratiqué.
[Commentaire] 1° Le Procureur193 a vu cette lettre avec les actes qui l’accompagnent : Ce que à ce propos a reçu dernièrement D. Gabriel de Curuzealegui194, et envoie le fiscal de l’Aude. Et il dit que, le dossier doit se réduire à deux points, qui sont référés ici. Son impression sur chacun d’eux est la suivante : dans celui qui contient ce paragraphe, il semble que tous les esclaves de cette qualité qui se trouvent aux Philippines et qui y viendraient, s’ils sont Maures, doivent être expulsés des Îles et ne pas y être admis, et que la même chose soit exécutée avec ceux qui viendraient du Levant195 et élevés parmi les Maures, comme il semble que sont ceux-là, de sorte qu’ainsi on prévienne la Loi 19 titre 26 livre 9196, ce qui ne semble pas poser de difficulté, puisque comme ils sont libres du fait de la résolution que prend l’Aude, on ôte tout embarras, ce qui jamais ne pourra être réussi si on a introduit [des esclaves] en fraude de la loi. Et tel est son sentiment [paraphe] 2 août 1685 [?]
[En marge] De quelle Caste sont les cafres, et des autres nègres197 de la démarcation du Portugal
De même, de la démarcation du Portugal sont venus des Nègres, qu’on appelle vulgairement dans ces îles Cafres, et qui sont de Nations provenant de la Guinée, du Mozambique, du Cap Vert198, avec d’autres de cette qualité, lesquels on a conservé dans leur condition d’esclave du fait de la coutume générale, de la permission de V. Mté, et parce qu’ils sont des mêmes Castes que ceux qu’on introduit dans les Royaumes du Pérou et Nouvelle Espagne. Et bien que depuis quelques années il n’y a pas eu beaucoup d’esclaves de cette qualité dans ces îles, aujourd’hui les habitants se voient obligés d’en acheter et d’en demander du fait du grand manque de serviteurs et du grand nombre de ceux des autres Nations qui ont été déclarés libres = Et il semble que le fait qu’il n’y ait pas eu de Nègres par le passé est dû au fait que vers 1608 les habitants de cette Ville se trouvèrent mécontents des esclaves de cette Caste parce qu’ils les trouvaient à ce moment-là Vicieux, Voleurs et fugitifs et qu’ils se livraient au brigandage199 ; et pour éviter les dommages qu’ils causaient ils supplièrent sa Majesté le Seigneur Roi Philippe le Troisième, qu’il soit servi de demander qu’on n’amène plus de ces Noirs dans ces îles, ce pour quoi une cédule du 6 mars 1608 fut envoyée200, dans laquelle on demanda au gouv. de ces îles qu’il s’informe et pourvoie en attendant aux remèdes nécessaires. C’est pour cette raison qu’il semble qu’on ait arrêté d’en amener et qu’aujourd’hui on en achète à nouveau, de par la Nécessité urgente due au manque de serviteurs =
[Commentaire] 2° Le fiscal. Étant donnée la nature de ces noirs ici décrite, il n’y aura pas de problème à ce qu’on les conserve dans l’esclavage : Mais dans leur introduction on devra garder ce qui est stipulé dans le contrat avec l’asentista201, car si par rapport à cela il y a des clauses spéciales, on ne peut pas lui porter préjudice et s’il n’y en a pas, il est nécessaire de faire en sorte que soient payés les droits correspondants à ce qui est stipulé pour la Nouvelle Espagne et le Pérou, même si on ne peut pas laisser de solliciter le rapport qu’il est dit avoir été demandé en 1608, et au cas où on constate encore aujourd’hui chez eux ce dont on dit qu’ils ont fait montre au début, qu’on prenne une résolution quant à leur introduction, puisque si ceux qui sont ici prescrits pour les assister sont de si mauvais éléments, et si dommageables à la république, il ne convient pas de les introduire. Et ainsi se trouve prévenue la loi L. 8 du même titre et Livre202, d’autant plus quand la raison de nécessité qui pour les admettre est ici alléguée évoque la disposition que ci-dessous le procureur demande qu’on prenne. Date ut supra [signature]
[En marge] De la démarcation de Castille viennent de nombreux esclaves des Domaines de V. Mté et des Domaines d’autres rois maures, et qui ils sont
De la Démarcation de Castille viennent des esclaves : Les uns qui sont des Domaines de V. Mté, et les autres les Vassaux de Rois et Seigneurs qui ne reconnaissent pas la Vassalité envers V. Mté comme le sont les Nations suivantes : Joloans, Mindanaos, Brunéiens, Camucones, Ternatais, et d’autres nombreuses autres Castes, sujettes à ceux-là, lesquels avec leurs Rois sont Maures Mahométans et le furent depuis avant que les espagnols n’arrivent sur ces îles. Et dans les guerres qu’ils ont eu avec les Vassaux de V. Mté, ils ont perpétré de nombreuses attaques, vols et pirateries, jusqu’à en venir à ne pas donner de quartiers aux espagnols, même en temps de paix, comme aujourd’hui c’est le cas depuis l’époque de Don Diego Fajardo203, en particulier avec les Rois de Jolo et Mindanao, lesquels n’arrêtent pas de provoquer tous les dégâts qu’ils peuvent, obligeant Vos Gouverneurs de garder prêtes des divisions de troupes compétentes à Cebu, Oton204, et dans cette ville [id est : Manille] pour repousser ces ennemis communs = Il semble Sgr que depuis l’époque de la guerre que fit à ces Nations Don Sebastian Hurtado de Corcuera, qui fut Gouv. Et Cne Gal de ces îles, il demeura un grand nombre d’esclaves que cette Aude Rle a conservé dans leur esclavage, puisqu’il est patent qu’il s’agit de Maures Mahométans et qu’ils nous font la guerre comme ils l’ont fait même en temps de paix, et nous prions V. Mté qu’il prête attention à ceci afin de déterminer, au regard des Actes qui sont ici envoyés et de ce que disent les témoins sur la qualité des Joloans, Mindanaos, Brunéiens et Camucones, que ceux de ces castes soient déclarés esclaves quand ils sont pris en juste guerre, en tenant compte de leur autre qualité de Maures Mahométans depuis des temps immémoriaux = Et en ce qui concerne le fait qu’il reste peu d’esclaves de cette qualité, cette Aude Rle n’a aujourd’hui personne en qui pratiquer les Cédules anciennes et Modernes de V. Mté pour la raison qu’on hésite à acheter ces esclaves, du fait que beaucoup ont été déclarés libres par la promulgation des cédules de [1]676 et [1]679.
[Commentaire] 3° Le procureur. En ce qui concerne les esclaves de ces domaines, il semble qu’il ne faille pas admettre qu’on les introduise, étant donné ce qui est résolu dans la loi 19 antécédente. Mais, du fait de la Guerre, ils doivent demeurer esclaves et être conservés dans l’état d’esclavage. Car à partir du moment où ce motif n’est pas Volontaire, il est aussi Juste que nécessaire, et va dans le sens de l’Introduction. Et ainsi il est convenable que tous ceux qui seraient de cette qualité et obtiendraient, en vertu de la Cédule, la liberté, retournent à l’esclavage, du fait que celle [la liberté] qu’ils ont obtenue par elle [la cédule] n’évoquait pas leur cas. Date ut supra [paraphe]
[En marge] De la juridiction de cette Audience viennent beaucoup d’esclaves ; quels sont les noirs des bois205 et leur qualité
Des Domaines de V. Mté, pour ce qui est de la juridiction de cette Aude Rle, on trouve d’autres Castes, desquelles il y a eu et il y a toujours des esclaves en servitude, qu’ils soient possédés par les espagnols ou, ce qui est incomparablement plus souvent le cas, possédés par les indiens natifs Vassaux de V. Mté, lesquels sont de la forme et façon suivante = Dans les parties reculées de ces îles vivent206 des petits nègres, qu’il n’a pas été possible d’amener à vivre dans des Villages207 parce qu’ils habitent en des endroits inhospitaliers. Ceux-là n’ont pas été ni ne sont soumis à la servitude et ne veulent pas recevoir la loi évangélique, et ils montrent une grande répugnance vis-à-vis de la chrétienté. Ils vivent fort contents de par les monts les plus inhospitaliers, sans vouloir couvrir leur nudité, de sorte que leur vie est plus bestiale que rationnelle. Énormes sont les dégâts qu’ils font parmi les indiens natifs qui vivent dans les Villages voisins des Montagnes du fait que chez eux un homme n’est réputé valeureux que s’il a coupé de nombreuses têtes desquelles ils font des récipients pour boire qu’ils appellent par ici Jongotes, et ainsi ils partent à la chasse des hommes aussi bien que des cerfs, étant le plus respecté de tous celui qui possède le plus de crânes, et ce désir est chez eux si grand que pour apaiser la douleur de la mort naturelle de leurs parents ou de quelque membre de leur famille, ils coupent une tête, et s’ils n’en trouvent pas une d’espagnol ou d’indien, ils coupent celles de leurs voisins. Ils observent la même pratique lorsqu’ils récoltent le Fruit Nouveau de leur moisson208, laquelle ils célèbrent avec les têtes qu’ils coupent. Ce ne sont pas des hommes de Combat car ils tuent toujours par trahison et pas d’une autre façon car ils évitent les face-à-face, et si ces noirs ne pullulent pas, c’est parce qu’ils se consument les uns contre les autres avec les petites guerres que ceux d’un bosquet livrent à ceux d’un autre bosquet, ceux d’une famille avec une autre. Cette Aude Rle n’a rien eu à faire en ce qui concerne l’esclavage de ceux-là, car ils ont toujours été dans leur liberté209.
[Commentaire] 4°Le procureur dit que, bien que ces Noirs aient toujours été en liberté, lorsqu’ils sont appréhendés par les Indiens ils doivent rester Esclaves, parce qu’ils sont acquis de par un titre Juste et conforme au Droit et si évident, comme le manifeste la relation que fait le rapport de leur Vie et coutumes, lesquelles sont préjudiciables à la quiétude de ces Îles, et au droit des natifs à leur propre défense, de sorte qu’il est conforme au Droit de les réduire à la servitude, ce par quoi on évite les mauvaises Conséquences qu’autant sur le plan temporel que spirituel la décision contraire induit, spécialement si assurément ils sont requis210 comme le demande le procureur. Car ils ne peuvent plus alléguer contre l’esclavage une Cause Juste, d’autant plus que, à cause de leur férocité, il n’y a pas, comme il semble que ce soit le cas, d’autre moyen de les réduire à la force de l’Évangile qu’ils estiment si peu, de sorte que, comme conséquence de cet état, ils doivent céder tout droit naturel. Date ut supra = [paraphe]
[En marge] D’autres nombreux indiens qui vivent dans les bois et ne reconnaissent pas la Vassalité envers V. Mté 211
Pareillement, dans les mêmes montagnes il y a des indiens Natifs qui n’ont pas reconnu la Vassalité envers V. Mté, beaucoup plus nombreux que les Noirs. Ils ont le même vice de couper des têtes, mais il s’agit de gens plus rationnels, et qui pour la plupart vivent dans des villages, ou dans des hameaux. Ces Nations sont nombreuses et diverses de même que leurs noms. Les Alcaldes des Provinces avaient l’habitude dans le passé de faire des incursions et réduisaient en esclavage ceux qu’ils prenaient, qu’ils vendaient à des tiers = Cette Aude Rle, puisque la liberté fut proclamée, les a mis en liberté, de sorte que parmi les espagnols on trouve très peu de ces natifs asservis, et à présent il y a très peu à faire au sujet de leur liberté =
[En marge] Des Zambales et de leur qualité
Parmi ces Nations de Natifs Indiens qui viennent d’être évoquées, il y en a une qu’ils appellent Zambales, desquels vers 1609 il a été rendu compte à la Mté du Sr Roi Philippe Trois dans un document que le Procureur de cette Ville a présenté212. Ceux de cette Caste étaient des gens qui vivaient dans les collines213, sans villages, et qui étaient si portés à tuer, que d’ordinaire ils étaient doués pour cela, descendant vers la province de Pampanga, prenant les Natifs, qui étaient occupés à leurs moissons et faisant de gros dégâts, raison pour laquelle les Pampangos avaient demandé qu’on leur laisse les mains libres pour tuer les Zambales, et faire esclaves ceux qu’ils pourraient. Par Cédule du 8 août 1609214, sa Majesté a demandé un rapport au Gouv. et Cne Gal de ces Îles, et qu’en attendant il fît ce qui lui semblerait le mieux convenir au service des deux Majestés215. Et il semble au vu des faits que ces natifs ne furent jamais faits esclaves, les Pampangos se contentant de tuer tous les Zambales qu’ils ont pu, au nom de la défense naturelle = Une partie d’entre ceux-ci ont reconnu la vassalité envers V. Mté et ont été administrés par les PP. Récollets de Saint Augustin, et le sont aujourd’hui par les PP. de St Dominique, bien que la majeure partie vive dans les montagnes dans l’exercice commun du coupage de tête. Cette Aude Rle n’a pas eu à œuvrer dans le sens de la liberté de ces Natifs car ils n’ont jamais été asservis comme il a été dit =
[Commentaire] 5° Le procureur, en ce qui concerne ce chapitre et le précédent dit que, étant donné que pour les Uns et Autres Indiens les raisons sont différentes, il doit en être de même en ce qui concerne la liberté ou servitude en fonction de ce qu’on estime convenir ; en ce qui concerne la servitude des Indiens auxquels dans ce paragraphe on fait mention, il semble que pour le moment il faille interrompre [l’application de la cédule], puisque, étant donné qu’ils sont sans elle réduits [à l’esclavage] par eux [id est : d’autres Indiens], ils pourraient avec le temps être attirés vers la foi et la Loi Divine si on continue la Conversion, et d’autant plus si les Indiens voisins ne les réduisaient pas en esclavage et se contentaient pour leur défense de tuer tous ceux qu’ils pouvaient. Mais il est aussi certain que si lesdits Indiens soulevés persistaient dans ce méchant exercice, il semble qu’on devrait exécuter sur eux ce que dit le procureur dans les points suivants, car à cela concourt un ensemble de raisons. Date ut supra = [paraphe]
[En marge] Des esclaves des indiens qui sont les uns des autres, pour quelle raison, de leur qualité et de leurs coutumes et celles qu’on observent lorsqu’on possède la moitié ou le quart de leurs corps216
Ce qui a causé le plus d’embarras a cette Audience Rle, ce sont les esclaves que possèdent les Indiens Vassaux de V. Mté pour leur usage, parmi eux-mêmes, puisqu’ils le sont les uns des autres ; coutume qu’ils ont observé depuis l’époque où ils étaient gentils et qui découlait de la vente ou de la mise en gage qu’ils faisaient de leurs corps, ou du fait du tort qu’ils avaient causé, ou du manque de respect envers leurs chefs. Pour ces raisons, ils devenaient esclaves et aujourd’hui leurs descendants le sont tous = Ils les possèdent soit en entier, soit la moitié de leurs corps, ou encore le quart, de sorte qu’il y a souvent des esclaves qui ont deux, trois ou quatre maîtres qu’ils assistent en distribuant le service sur les jours de la semaine. De même, ils observent la règle en vertu de laquelle ceux qui naissent d’un Ventre libre et d’un Pe esclave naissent à moitié esclave, comme ceux qui naissent de Pe esclave et de mère esclave naissent esclaves, la coutume variant en la matière selon les provinces et les villages, car il semble que ce n’est pas une règle générale = La Mté du Sr Roi Philippe III a envoyé à cette Audience Rle une cédule du 8 août 1609 afin qu’elle l’informe de la situation en la matière, et il semble qu’elle n’ait pas été obéie de sorte que, jusqu’à aujourd’hui, on a conservé la coutume de ces esclavages dans sa substance. Et à l’occasion de la cédule de V. Mté de [1]679, l’agitation des Natifs Vassaux de V. Mté et Maîtres de ces esclaves fut telle, du fait que beaucoup se mirent à les mettre en liberté, que Votre Président et les Auditeurs furent obligés d’interrompre l’exécution de cette Cédule Rle en ce qu’elle concerne les esclaves des Natifs jusqu’à ce que V. Mté pourvoie Autre Chose, en vertu des raisons qui se sont présentées à cette Aude Rle dans l’Accord, qu’elle a célébrée, et dans l’acte auquel elle s’est déterminée le 7 sept. [1]682. Celui-ci se réduit à ce que disent les témoins dans les rapports qui accompagnent cet Acte ; à savoir qu’il est Très Dommageable, et préjudiciable de mettre en liberté les esclaves des Natifs, du fait que les chefs ont en eux leur principale richesse et se servent d’eux pour leurs récoltes, grâce à quoi ces Provinces sont approvisionnées en riz et autres denrées, et si on met en liberté ces esclaves l’approvisionnement général de ces Îles cessera et elles seront détruites, alors qu’au contraire il n’y a aucun inconvénient pour ceux qui sont soumis à cette servitude, puisqu’ils sont bien traités par leurs maîtres, qui les élèvent, les conservent dans les bonnes mœurs en les envoyant tous les jours de fête à l’Église pour qu’ils soient instruits par les Pes, les aiment comme des fils, mangent avec eux et leurs donnent même moins de travail qu’à eux‑mêmes = On peut légitimement craindre que, en les mettant en liberté, les provinces éloignées de Manille comme les Visayas, Nueva Segovia et d’autres, se révoltent et se soulèvent, et que mécontents, les caragas217 et subanos218 qui sont sur la terre continentale de l’Île de Mindanao puissent passer dans le camp des Maures. Pour toutes ces raisons et d’autres encore, qui sont exprimées par les témoins dans leurs déclarations, il a semblé bon à cette Aude Rle d’interrompre l’exécution de la Cédule, en ce qui concerne les esclaves des Natifs, en attendant que V. Mté, au vu des actes et de ce rapport, détermine ce qui conviendra =
[commentaire] [rature] 6° Le procureur dit que la servitude dans laquelle ont été les indiens dont il est fait ici mention est cependant différente de celle à laquelle le Gouv. fait référence dans sa lettre ainsi que l’évêque de Nueva Caceres219, puisqu’ils disent que [cette servitude] a été fixée à dix ans tandis que ladite Aude parle de perpétuité, il semble qu’il n’y a pas d’inconvénients à ce qu’on continue la forme qu’a pris jusqu’à présent cet esclavage, et que, vendus par les Indiens, on se contente de computer la durée de dix ans et pas plus. Cet esclavage paraît juste puisque, à supposer qu’il n’existe pas, comme le prouve bien l’expérience, il y aurait péril tant sur le plan spirituel que temporel [rature]. Et d’autant plus si on considère le bon traitement qu’ils reçoivent de leurs maîtres et comme ils sont nécessaires pour l’approvisionnement de ces Îles, spécialement si on considère l’éducation adéquate dans laquelle ils sont élevés et instruits. Et ce n’est pas le moindre des dangers auquel s’exposent ces Îles que leurs maîtres se soulèvent, puisqu’en eux ils possèdent leur plus grande richesse, d’autant plus que, sans préjudice pour eux et inconvenance pour les Îles, il apparaît qu’ils font rapidement l’acquisition de la religion Chrétienne, tandis qu’il semble qu’il n’y ait pas d’autre moyen [pour qu’ils deviennent chrétiens]. Et en vue de ne pas expérimenter dans le cas contraire la ruine que pourrait induire leur liberté, on doit considérer comme Juste leur esclavage, limité à un temps réduit durant lequel bien que cette façon de faire soit contradictoire [?], il y a ici une bonne raison de ne rien changer puisque l’introduction d’une nouveauté causerait un très grand dommage aux Indiens Vassaux, car comme elle ne distingue pas leurs raisons, l’Introduction [de la loi] pose que tout soit en leur détriment et soit changé, ce qui provoque de l’agitation. Si le procureur considère qu’on pourra trouver un moyen pour éviter ce péril qui soit meilleur, il faudra demander qu’on observe pendant ce temps limité ce que dispose ledit Procureur, ce pour quoi le Conseil [des Indes] pourra envoyer au Président actuel [de l’Audience] un dossier dans lequel il présenterait ce qu’il estime devoir être fait et la même chose devra être confiée à l’évêque de Nueva Caceres, de sorte qu’il puisse faire parvenir l’information avec plus de sécurité [rature]. Et si cet esclavage est autorisé, il faut continuer les expéditions d’incursion220 sous la forme sous laquelle elles étaient menées par le passé, car celle qu’a nouvellement réalisée l’Aude fut justifiée par le fait qu’on supposait que les Indiens n’allaient pas y trouver d’intérêt, alors que c’est le cas avec des incursions réalisées comme par le passé, de sorte qu’il faut garder cette pratique [rature]. Il semble qu’il y a plus de sécurité à suivre ce qui a été dit, car par cette disposition on n’a pas besoin d’admettre les nègres et d’autres dont l’introduction a les mauvaises conséquences qui ont été évoquées. Le Conseil sur toutes ces matières décidera ce qui lui semblera convenir. Date ut supra : [paraphe]
[En marge] Cette Aude Rle demande à V. Mté qu’elle détermine ce qui devra être fait avec les esclaves des Indiens, avec les Negritos et avec les Joloans, Mindanaos et Camucones
De sorte Seigneur que Vos Cédules Rles, qui parlent du sujet de la liberté des Indiens, soient éxécutées en ce qui concerne les Espagnols en tout et par tous. Cinq-cent soixante-dix esclaves ont été mis en liberté, comme il apparaît dans le rapport qui est joint aux actes et le traitement des dossiers de libération est en cours. Il ne manque à V. Mté qu’à déterminer ce qu’on doit faire avec les Indiens esclaves des Indiens eux-mêmes, en quoi l’exécution de la Cédule Rle a été interrompue, et de même si on doit déclarer esclaves les Joloans, Mindanaos, Brunéiens, Camucones, Ternatais et d’autres de castes semblables, du fait qu’ils sont Maures, comme à cause des hostilités et des guerres qu’ils ont menés et mènent contre nous = Enfin il faut déclarer si les Negritos des Montagnes de ces Îles doivent être réduits en esclavage afin que, par ce moyen, ils reçoivent la loi Évangélique, comme il est coutume de le faire avec les autres noirs d’Angola, du Cap-Vert, de Guinée et du Mozambique, ou si on doit les laisser vivre dans les bois, comme des animaux, causant les importants dégâts mentionnés. V. Mté déterminera en tout ce qui lui plaira. Que N. Sr garde votre Catholique et Rle personne de nombreuses années pour le réconfort de vos Vassaux et la défense de votre Monarchie. Fait à Manille le 22 juin 1684.
Juan de Vargas y Hurtado221 [paraphe]
D. Diego Calderon y Serrano [paraphe], Antonio de Viga [paraphe]
Don Pedro Sebastian de Bolivar y Mena [paraphe]222
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Document 18 : Lettre de l’Audience de Manille sur la liberté des esclaves
6 juin 1689
AGI, Filipinas, 25, 1, n° 46
[f° 4r° du dossier, numéroté 1] Très Puissant Seigneur =
votre procureur dit que sa majesté (que Dieu la garde), en raison de la supplique que lui fit223 Cristobal Romero224, gouverneur de la forteresse de Santiago de cette ville, du fait des Grands inconvénients et préjudices que subiraient les habitants et les natifs de vos îles si on mettait à exécution le mandat de V. Mté concernant l’esclavage des Timorais, des Malabars, des Bengalis, des Mahométans et des Cafres et les avantages qu’il y avait à le maintenir pour Votre Rl Service et Utilité desdits habitants et natifs, a été servie de publier la cédule Rle ci-jointe, laquelle stipule qu’à la première occasion qui se présente, le Pdt et auditeur officiers de justices de cette Votre Aude Rle envoie des rapports avec tous les éléments nécessaires à Votre Vice-roi et audience de mexico au sujet de tout ce qui pourrait concerner cette affaire afin qu’ils puissent déterminer en pleine connaissance et sûre science des choses dont ils disposent et déterminent ce qu’il convient d’exécuter =
Je supplie V. Alt. de faire exécuter la Cédule Royale présentée ici, ce pour quoi le Sr Docteur Don Lorenzo de Avina Echavarria, de Votre Conseil et Votre auditeur de cette audience Rle225 ici s’engage à faire le rapport dont il est question ici afin qu’en pleine connaissance de cause il mette en tête des actes une transcription de la Cédule Rle, se conformant en tout et pour tout à elle de sorte qu’on puisse se faire une idée afin de déterminer sur ce point ce qui serait le plus convenable à Votre Rl Service, je demande Justice etc.
= Le licencié Barredo226 =
[en marge] Acte
En la ville de Manille, le vingt-neuf du mois de mars mille-six-cent quatre-vingt-neuf, devant les Srs Président et auditeurs de l’audience et de la chancellerie royale227 de ces Îles Philippines, sur les estrades Rles de celle-ci, cette pétition a été présentée par le Sieur mentionné ci-dessus et vue par lesdits messieurs. Ils ont ensuite déclaré qu’elle serait appliquée avec tout le respect qu’il se doit et, en vue de son exécution et accomplissement, le Sr docteur Lorenzo de Avina Echevarria, auditeur de cette audience Rle, s’engage à réaliser le rapport en conformité avec ce que ladite cédule demande. Pour ce faire le greffier de l’audience lui remet une transcription authentique de ladite cédule Rle qui sera placée en tête des actes. Ainsi fut-il disposé, ordonné et paraphé, ce dont je donne foi = devant moi Joseph tello de guzman228 greffier Récepteur.
[en marge] Cédule
Le Roi. Président et auditeurs de mon audience Royale de la ville de Manille aux Îles Philippines, Cristobal Romero Gouverneur de la forteresse de Santiago de cette même ville de Manille a écrit une lettre le deux juin mille six‑cent quatre-vingt-trois dans laquelle il dit (entre autres choses) que quand ces Îles ont été dominées et se sont rendues à mon obéissance, ni la province de Caraga, ni celle de Calamianes ne ne se sont soumises du fait qu’il s’agit de Mahométans229, et ceux de Caraga, comme des ennemis qui ne veulent ni se pacifier, ni se soumettre au Roi de mindanao qui, en vertu d’accords de Paix domine l’île, tandis que les Calamianes, qui n’ont pas été pacifiés, ont toujours été adorateurs du Roi de Borneo. Dans les incursions armées qu’on faisait parmi eux, ces désobéissants mahométans furent capturés, réduits en esclavage et vendus en les faisant baptiser avec Amour afin de libérer leurs âmes de la mort éternelle et par ce moyen on leur faisait le plus grand bien. Dans les Guerres contre les mindanaos, joloans et brunéiens, on en capturait quelques‑uns et, une fois le quinto afférant prélevé230, on les adjudiquait aux Soldats et aux Gens de guerre et mer et ils étaient tous vendus comme esclaves. À Zamboanga, où nous avions des forces, on achetait aux mindanaos les esclaves231 qu’ils capturaient dans d’autres royaumes, et on les amenait à la Ville de manille comme Esclaves des habitants qui les achetaient parce que ces nations elles-mêmes capturaient mes Vassaux espagnols, les prêtres, religieux, les Indiens, et les emportaient pour les vendre comme esclaves dans d’autres royaumes en en tirant à l’accoutumée grand profit, puisque ce n’était pas moins de 200 personnes par an. Les habitants de Manille [quant à eux] envoyaient [des navires] vers les Royaumes voisins et vers la côte de l’inde où ils achetaient des Timorais, des Malabars gentils, des Bengalis et des gens d’autres nations, des mahométans et des cafres qu’ils faisaient christianiser et amenaient à cette ville pour qu’ils soient mes Vassaux avec leur argent sans qu’on n’y trouve d’inconvénient.
Et tandis qu’ils jouissaient paisiblement de leur possession, sont arrivées mes Cédules afin qu’ils mettent en liberté ces Esclaves comme on l’a fait en Nouvelle Espagne pour tous ceux qui ont été envoyés pour les vendre depuis ces îles. Il en résultat que de nombreux habitants de cette ville se sont retrouvés sans personne pour les servir, et ce lignage de gens continuellement orgueilleux [id est : les Indiens] s’agitèrent dans les provinces de ces Îles, au point d’arrêter de cultiver. Reconnaissant le danger de la situation, l’audience a décidé de suspendre l’ordonnance au motif que, comme le présente Cristobal Romero, les habitants et natifs de ces Îles ont acquis avec leur argent ces esclaves et les ont réduits en les christianisant à la foi Catholique au bénéfice de Leurs Âmes, en les amenant à être mes Vassaux en paisible possession desquels ils ont été, puisque ceci a été établi et perpétué depuis que ces Îles m’obéissent. Grands, dangereux et périlleux sont donc les dommages qui vont résulter si on exécute les Cédules, car nombreux sont les esclaves que possèdent les habitants de Manille et les natifs pour les assister dans la semence et la culture des graines de l’alimentation Universelle, ce qui cessera si on les leur enlève du fait du grand manque de gens qu’il y a et à cause de ce que ces esclaves gardent leurs maisons sans faire défaut dans les occasions de guerre, puisque les Esclaves servent aussi de fantassins avec lesquels on grossit beaucoup les troupes, et ils aident et combattent comme n’importe quel Soldat, s’employant aussi bien que leurs maîtres. S’ils étaient libérés, ils seraient livrés à eux-mêmes et cette ville courrait grand risque, puisque, comme les vagabonds qu’ils seraient, ils pourraient occasionner des dommages irréparables, empêchant les Habitants de se rendre chez eux ou à la guerre. Et la terre se retrouverait sans résistance du fait du manque d’hommes.
Mon Conseil Rl s’étant réuni et concerté sur ce point, le procureur m’a conseillé de vous ordonner les dispositions que je m’apprête à vous dicter : à la première occasion, informez mon vice-roi et l’audience du Mexique, documents à l’appui, de tout ce qui pourrait être utile à cette affaire afin que, en pleine connaissance de cause, on puisse fixer clairement les faits et ce qu’il convient d’exécuter, puisque sur la base de ce que vous lui direz je vous ordonne en ce jour de proposer ce que vous estimeriez le plus convenable à exécuter dans ces Îles. Ainsi vous ferez et ferez observer. Fait au Buen Retiro232, le premier mai mille six-cent quatre-vingt-six = Moi le ROI = sous mandat du Roi notre Seigneur, Don Antonio Ortiz de Otalora233 =
Cela concorde avec l’acte original234 qui lui a été fourni et la Cédule Rle de Sa Majesté, d’où provient cette transcription sûre et véritable à laquelle je renvoie, et en vertu dudit acte je délivre celui-ci en la ville de Manille le vingt avril seize-cent quatre-vingt-neuf, étant témoin Juan Mariano et José de Mendiola235 = En témoignage de quoi ils le signent comme authentique.
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Épilogue
On le voit, il semblerait qu’en 1689, on soit revenu au point de départ, au grand soulagement de la communauté espagnole ecclésiastique comme laïque, mais aussi de l’élite indigène de l’archipel. Pourtant, la question de l’esclavage en territoire espagnol se fait de plus en plus discrète dans la documentation officielle et, dans la première moitié du xviiie siècle, c’est l’esclavage des autres, celui pratiqué par les Anglais et les Néerlandais236, mais surtout celui des musulmans du Sud, dont la bellicosité va reprendre de plus belle à partir des années 1720, qui occupe l’espace discursif. Les Espagnols auraient-ils renoncé à leurs esclaves ? Peut-être, car les temps ont changé et le dernier gouverneur du siècle, Fausto Cruzat y Góngora (1690-1701), anticipe déjà les réformes des Bourbons en disciplinant l’administration centrale et locale de la colonie et en ouvrant celle-ci à de nouvelles perspectives économiques. Les indigènes auraient-ils renoncé à leurs esclaves ? Certainement pas dans les régions périphériques et sans doute qu’à moitié dans l’espace colonial officiel. Dans tous les cas, il est certain que la dette comme « fait social total » des sociétés philippines demeure une réalité majeure qui s’est assurément très bien accommodée d’un changement de nom.