La question de l’union entre art et industrie est au centre de nombreux débats et projets de réforme dans le secteur des arts décoratifs durant toute la deuxième moitié du xixe siècle. D’un point de vue historique, ce sujet est considérable car il condense les positions variées que les divers gouvernements adoptent – surtout dans les États récemment formés – vis-à-vis de leur histoire artistique et de leurs racines culturelles, afin d’engager un processus de modernisation des systèmes productif et politique. La volonté d’éduquer au « bon goût » tant les producteurs que le public passe à travers la réforme de l’enseignement artistique dans le domaine des arts décoratifs et industriels. En Belgique, la réforme de l’enseignement artistique prévoit d’améliorer à la fois la qualité du dessin du produit industriel ainsi que l’enseignement dans les académies et les écoles de dessin, instituts destinés à former désormais non plus une majorité de peintres et de sculpteurs, mais davantage les dessinateurs et les ornemanistes qui doivent revitaliser la production décorative du pays.
Cet article a pour ambition d’examiner la période qui précède l’avènement de l’Art nouveau en Belgique d’un point de vue différent par rapport aux études déjà parues qui se sont davantage concentrées sur l’enseignement académique ou sur une lecture esthétique et stylistique de la production architecturale et décorative belge. L’analyse que nous proposons ici se situe dans le sillage de certaines contributions récentes dont le mérite est d’avoir entamé une réflexion plus large sur les rapports entre architecture et design belge1, ainsi que sur les artistes et artisans ayant contribué à leur développement. En se concentrant sur les réformes lancées à partir de la deuxième moitié du xixe siècle en Belgique ainsi que sur les nouvelles méthodes d’enseignement des écoles situées dans les faubourgs bruxellois2, cette recherche propose une lecture plus ample de la formation aux métiers de l’architecture en Belgique.
Les origines de la réforme
Devenue rapidement après son unification en 1830 l’un des pays les plus riches et industrialisés d’Europe, la Belgique s’interroge sur le problème de la qualité esthétique de ses produits industriels dès la première moitié du xixe siècle, à l’occasion des expositions de l’industrie nationale organisées en 1830, 1835, 1841 et 1847. Les premières observations concernant la présence de possibles lacunes dans l’instruction de la main d’œuvre spécialisée remontent aux années 1840 ; dès 1847 un cours d’arts décoratifs fut créé dans ce but à l’académie d’Anvers, alors la plus importante de Belgique3. La relation entre les méthodologies d’éducation, les études artistiques et historiques et le contexte économique local, deviennent le thème principal des discussions autour du nœud art-industrie, suite à l’échec belge lors de la grande Exposition de Londres en 1851. La production décorative belge exposée en cette occasion laissait à désirer au point de pousser le comte de Laborde à critiquer férocement, dans son célèbre rapport, les « meubles et tapis ordinaires, […] porcelaines mi-françaises mi-anglaises […] contrefaçons sans le moindre mérite d’originalité4 ». Laborde soulignait particulièrement le manque d’engagement de l’État dans le domaine de l’éducation artistique. Le problème n’était donc pas seulement stylistique ou économique, mais également politique. L’origine de cette faillite est alors vite identifiée : incapables d’adapter leur enseignement à la réalité culturelle, sociale, politique et économique post-unitaire, les académies des Beaux-Arts devaient être profondément transformées5. Dans le sillage des propositions étrangères formulées après la Grande Exposition de 1851, sont ainsi redécouverts le mythe de l’atelier médiéval et de la Renaissance ainsi que la valeur culturelle, artistique, économique et sociale des « arts mineurs ». Au lendemain de l’Exposition de Londres, naît l’Association pour l’encouragement et le développement des arts Industriels en Belgique. Soutenue par divers politiciens, artistes, producteurs et industriels belges, l’association entend améliorer la production décorative du pays au moyen de l’organisation d’expositions périodiques et de la formation de collections d’objets d’arts industriels6. C’est toutefois à travers la réorganisation de l’enseignement artistique lancée par le ministre de l’Intérieur Charles Rogier à partir de 1852 et surtout grâce à l’enseignement dispensé dans les nouvelles écoles de dessin créées dans les faubourgs de Bruxelles dans les années 1860, que l’alliance entre l’industrie, l’architecture et les arts appliqués, révèle de nouvelles possibilités méthodologiques et opérationnelles.
La première moitié des années 1860 représente un moment crucial pour l’aboutissement de certaines réformes qui touchent le système éducatif artistique belge. Les mesures jusque-là mises en œuvre par le gouvernement, d’abord par le biais de la commission formée en 18527, puis, à partir de 18598, par le Conseil de perfectionnement de l’enseignement des arts du dessin, sont considérées insuffisantes car il ne s’agit essentiellement que de quelques modifications d’un cursus standardisé pour une instruction exclusivement académique. Cette réforme est donc attaquée par l’opinion publique et par les mêmes fonctionnaires d’État qui jugent nécessaire l’amélioration d’un enseignement devant favoriser la diffusion du « bon goût » parmi les masses. Ainsi tous les corps de métiers pourraient intégrer l’art dans l’acte productif, et l’instiller dans l’utilisation et le choix-même des produits à diffuser dans les diverses couches de la population.
Une occasion d’introduire quelques innovations s’offre lors de la réorganisation laborieuse de l’Académie des Beaux-arts de Bruxelles, qui se clôt dans le sillage d’une tradition académique encore très profondément enracinée9.
Quelques pas sont toutefois faits en faveur du renforcement des cours de composition, de sculpture d’ornement et de gravure, tandis que l’architecture demeure dans une certaine mesure et, selon la coutume, une discipline propédeutique à la représentation géométrique. Par ailleurs, le projet de créer des filiales de l’académie bruxelloise dans les faubourgs de la capitale, d’où provient une très grande partie de la population de cette institution, échoue, puisqu’il pose un problème assez sérieux d’harmonisation entre les administrations des différentes communes intéressées. Naissent alors plusieurs institutions dans les faubourgs de Bruxelles qui entendent apporter une réponse à la pénurie d’écoles et au manque d’instruction en dehors du centre historique de la ville. Ces écoles ont beaucoup de succès, fruit, dans la plupart des cas, des nouvelles méthodes de dessin et de l’introduction de la spécialisation dans différentes branches de l’art. Ce succès, consacré plus tard par leurs résultats, est également souligné par l’illustre opinion de Marius Vachon, chargé par le ministère des Beaux-Arts et de l’Enseignement français d’étudier sur le terrain les musées et écoles d’art en France et en Europe10. Vachon est témoin de la renaissance artistique belge qu’il décrit dans son rapport de 1888, s’arrêtant sur la description des écoles qui sont selon lui un des éléments fondamentaux de ce grand renouveau, puisqu’elles contribuent à la formation d’ouvriers habiles, surtout en ce qui concerne le domaine des métiers de l’architecture.
Aujourd’hui, on emploie partout le fer forgé […] La sculpture ornementale et la taille des pierres ont reçu un développement considérable11.
Entre tradition et modernité : l’École de dessin et de modelage d’Ixelles
Ouverte le 19 juin 1863, la plus ancienne de ces écoles, l’École de dessin et de modelage d’Ixelles, suit toutefois le modèle académique pendant ses premières années d’activité12. Animée pendant 40 ans par le peintre académique Émile Bouilliot, directeur et professeur de dessin, et le statuaire Pierre Louis d’Union, chargé du cours de modelage, l’école connaît un énorme succès, obtenant des résultats très satisfaisants en peu de temps. Elle compte déjà 138 élèves lors de l’année scolaire 1863-1864, et dépasse les 200 en 1867, obligeant les autorités à trouver des locaux plus spacieux pour y transférer l’école, qui entre-temps agrandit ses collections de modèles grâce au don du duc d’Arenberg. Celui-ci confie à l’institution une somptueuse collection de plâtres d’après des œuvres antiques, qui décorait son hôtel du Petit-Sablon13. Il s’agit d’une école gratuite où les ouvriers peuvent compléter leur formation grâce aux cours de dessin et de mathématiques ; son enseignement, comme le rapporte Marius Vachon14, change en fonction des nécessités du moment. L’enseignement y est toutefois encore traditionnel. Les premiers rudiments du dessin qui sont dispensés comprennent la géométrie élémentaire, le dessin d’après l’estampe, l’ornement à la craie et au crayon. L’enseignement moyen inclut l’étude de l’ornement d’après le plâtre et de la tête d’après l’estampe et le plâtre, tandis que l’enseignement supérieur comporte le dessin d’après l’antique et la nature humaine. L’année 1867 voit l’ouverture d’une classe d’architecture confiée en 1872 à Valère Dumortier, personnage à l’origine de la fondation de la Société centrale d’architecture de Belgique (1872) et de la revue mensuelle de cette association, L’Émulation (1874)15, qui se révéleront toutes les deux déterminantes pour la professionnalisation du métier d’architecte au cours du dernier quart du xixe siècle. La classe élémentaire d’architecture propose un cours de projections d’après solides ; le cours moyen est axé sur l’étude des ordres, tandis que l’enseignement supérieur touche aux applications industrielles. Rebaptisée École des arts industriels et décoratifs en 1884, l’école est encore réorganisée en 1898 à la demande de son comité de perfectionnement selon un nouveau programme comprenant six années d’études16. Les deux premières sont obligatoires pour tous ; à partir de la troisième année, l’enseignement se divise en quatre branches principales : architecture, dessin d’art, modelage, peinture industrielle et décorative. Des cours de technologie, d’histoire de l’art et de composition, fondés sur l’interprétation créative des plantes, sont donc ajoutés vers la fin du siècle. Cette dernière innovation est cependant introduite très tard par rapport à d’autres établissements, et seulement initiée à la suite d’une visite effectuée à l’École nationale des arts décoratifs de Paris, où cet enseignement représentait un des fondements du programme d’études.
L’introduction de nouvelles méthodes de dessin : Henri Hendrickx et l’école de Saint-Josse-ten-Noode
Si l’école d’Ixelles maintient pendant de longues années une organisation de type traditionnel, d’autres établissements se consacrent de manière plus spécifique à un enseignement novateur. Sur ces fondements naît, en effet, l’école de Saint-Josse-ten-Noode, œuvre du peintre illustrateur Henri Hendrickx, qui en 1864 propose au conseil communal de créer un cours de dessin. Hendricks est en fait persuadé d’avoir identifié les causes précises du déclin du secteur décoratif en Belgique. Tout d’abord l’on observe un manque d’originalité, selon un principe cher à Owen Jones, qui l’avait exposé dans son texte The Grammar of Ornament17. Ce manque d’originalité était la conséquence d’un défaut d’abstraction, d’une interprétation trop directe et banale de la nature. Ensuite, la carence de « bon goût » était quant à elle imputable à l’insuffisance d’analyse et de comparaison entre les diverses productions artistiques (en effet les modèles étudiés dans les écoles appartenaient tous au monde classique). L’imitation servile, l’inertie, enfin, dépendaient directement d’un vice organique de l’enseignement, de l’absence de principes élémentaires. Hendrickx concluait en proposant l’adoption d’un programme logique et graduel capable
de faire, au lieu d’un servile copiste, un dessinateur producteur original (à quelque branche qu’il se destine), en un mot, un programme des études capable d’amener l’élève […] à se servir du dessin comme de tout autre langage, pour interpréter l’esprit et les besoins publics18.
L’école est ainsi créée avec l’objectif d’enseigner aux jeunes élèves une nouvelle méthode pour dessiner et propager le « bon goût ». Elle ouvre ses portes en 1864 et dispense initialement ses cours à 57 élèves. L’établissement est ensuite transformé en une École normale des arts et du dessin. Hendrickx et ses collaborateurs y travaillent à titre bénévole sur requête du conseil communal. La méthode utilisée par Hendrickx, précédemment expérimentée dans l’athénée de Bruxelles19, repose sur l’enseignement des principes élémentaires du dessin, exécuté sans l’aide d’instruments, au tableau noir et à différentes échelles : lignes droites, figures géométriques simples, courbes, etc., selon un procédé graduel, en utilisant comme base un tracé géométrique qui « enveloppe » l’ensemble du sujet à représenter ; ce qui permet à l’élève d’analyser les formes pour ensuite pouvoir reproduire aisément des motifs décoratifs. Cette première partie de la méthode est propédeutique de la seconde, où l’élève apprend à dessiner d’après le relief jusqu’à la figure humaine dans ses trois dimensions. Les résultats que donne son expérimentation dans un temps très court poussent les conseils provinciaux de Liège, du Brabant, de Namur et du Hainaut à l’utiliser pour préparer les instituteurs. L’État et la Province dotent l’école de subsides tandis que le ministère décide d’octroyer une réduction de 50 % sur les chemins de fer à tout membre enseignant qui se rend à l’école. En conséquence, l’administration doit agrandir les locaux destinés aux cours et, pendant l’année académique 1869-1870, l’école s’installe dans un nouveau bâtiment. La renommée de l’école à l’époque est telle qu’elle pousse le ministre de l’Instruction publique français Victor Duruy à appeler Hendrickx à Paris afin qu’il expose sa méthode aux professeurs français. Celle-ci est ensuite adoptée dans plusieurs instituts français, à Paris, Lyon et Cluny. L’école de Saint-Josse-ten-Noode poursuit entre-temps ses cours dont la base repose sur le dessin linéaire, destiné tout spécialement aux ouvriers et contremaîtres, avant de passer au dessin architectural et au dessin artistique. L’importance de cette école réside, néanmoins, non seulement dans la diffusion d’une nouvelle méthode de dessin, mais aussi dans la propagation d’un enseignement très rationnel, dispensé par le fils d’Henri Hendrickx, Ernest20. Ce dernier avait en effet acquis ces mêmes principes lors de sa fréquentation de l’agence de Viollet-le-Duc, alors placé sous la direction d’Anatole de Baudot, et qu’il divulgua par la suite, en tant que professeur dans l’école paternelle, au sein du Cours d’applications professionnelles de l’architecture en rapport avec les métiers du bâtiment.
La méthode appliquée à Saint-Josse n’est toutefois pas unanimement appréciée : certains documents qui la mentionnent font habituellement l’éloge de la rapidité avec laquelle les élèves arrivent à dessiner habilement21, d’autres considèrent que ce procédé ne laisse pas suffisamment la place à l’initiative personnelle. Il est souvent reproché aux travaux des élèves une géométrisation excessive, un certain manque d’expression. En 1878, l’école est invitée à l’Exposition universelle de Paris, où elle présente des dessins de palmettes grecques sur fond noir, des dessins d’ornements d’après l’estampe, des exemples de peinture décorative et des dessins d’architecture. Le jugement de l’auteur du rapport concernant l’enseignement du dessin à l’Exposition, le sculpteur Auguste Ottin, inspecteur de l’enseignement du dessin des écoles communales de Paris, qui décrit le procédé comme « la méthode officielle en Belgique », n’est pas flatteur :
La peinture décorative c’est bien, mais ça laisse peu d’impression, vu le peu d’originalité et dans la composition et dans le rendu. […] nous voyons comme résultats produits par la méthode Hendrickz [sic] : la symétrie continuelle, le trait filé et le contour rond, mou et froid.[…] Nous n’avons rien à dire en ce qui a rapport aux formes géométriques prises comme exercice de main, aussi les plâtres de cette catégorie peuvent-ils être acceptés ; mais il n’est pas de même des rosaces et ornements en plâtre qui sont exposés avec ces modèles qui, à coup sûr, ne peuvent pas être donnés comme modèles de goût ou comme exécution à imiter22.
L’enseignement offert à Saint-Josse-ten-Noode, se focalisant sur la nature abstraite des formes, ainsi que sur la répétition des dessins des lignes droites et courbes, annonce les premières manifestations d’une nouvelle esthétique, dans l’utilisation emphatique de la ligne et des contours marqués, qui trouveront par la suite une application significative autour des années 1890. L’école de Saint-Josse compta parmi ses professeurs un personnage clé, Georges Houtstont, ornemaniste français actif dans un grand nombre de projets d’envergure à Bruxelles (notamment ceux d’Henri Beyaert)23 et forma en effet plusieurs artistes, architectes et décorateurs comme Privat Livemont, et Adolphe Crespin qui intervinrent par la suite dans des chantiers notables de l’Art nouveau24. Ottin préfère, quant à lui, aux travaux de l’école de Saint-Josse, ceux provenant de l’École de dessin, de peinture décorative et de modelage de Molenbeek, où l’enseignement dispensé, construit sur des critères nouveaux, réalise la synthèse entre une approche artistique et la rigueur du dessin linéaire.
L’étude rationnelle de la plante dans l’ornementation
L’école de Molenbeek, ouverte à tous, est fondée en 1865 par le peintre et lithographe de monuments et de vues urbaines Franz Stroobant. Dans son rapport, Marius Vachon affirme que cet établissement est mal vu par certains industriels car l’éducation qui y est dispensée contribue à la formation d’ouvriers émancipés et habiles25. En effet, le programme des cours de l’école divisé en trois parties – enseignement élémentaire, moyen et supérieur – se révèle très complet sous tous les aspects26. Il s’agit d’une école pour le perfectionnement des ouvriers où sont enseignés, dans un but pratique, tous les métiers liés aux grandes disciplines : dessin, modelage, sculpture sur pierre, sur bois et applications de l’art à l’industrie. L’importance donnée à l’analyse de l’ornement est évidente dès les premières leçons : elle se fait d’abord en reproduisant géométralement des ornements, et ensuite en reproduisant les mêmes motifs d’après le relief, puis en les plaçant successivement en différentes positions pour permettre aux élèves de saisir leur forme de divers points de vue. Le programme vise donc à transmettre une méthode d’apprentissage qui porte l’élève à s’emparer des moyens techniques et culturels – grâce aux cours abrégés d’art décoratif et des différents styles qui s’y rattachent – favorisant le développement d’un goût personnel. Dans les premières leçons, Stroobant enseigne à ses élèves, à travers l’emploi de règles géométriques élémentaires, la maîtrise des premiers rudiments du dessin. En permettant à l’élève de comprendre les mécanismes pratiques de cet art, Stroobant échappe de plus à l’erreur, assez répandue à l’époque, de ne pas s’appuyer sur une méthode d’apprentissage intelligente et rationnelle, et évite ainsi les critiques concernant l’inaptitude supposée des professeurs de dessin.
Parmi les premiers objets que Stroobant fait reproduire comme exercice de dessin, on trouve les feuilles des plantes, qui permettent à chaque élève d’identifier les éléments végétaux fondamentaux dans la genèse des expressions stylistiques classiques. Il revient donc à la nature, au vrai, avec l’idée précise d’expliciter l’origine et la raison de l’ornement. La phase la plus ardue dans la formation des élèves – qui se spécialise au degré moyen – s’articule autour de l’exploration de l’ornementation composée à partir de la plante vivante, utilisée dans la décoration ou l’architecture, ou comme référence pour la serrurerie, la sculpture en bois, etc., en partant de modèles choisis parmi les chefs-d’œuvre de l’art flamand27. L’observation et la compréhension de la nature et des styles du passé, au moyen d’exemples choisis dans le répertoire artistique national, ainsi que l’élaboration conséquente de nouveaux modèles constituent le cœur du parcours éducatif de l’école, qui se révèle donc très avancé pour l’époque, puisqu’il introduit une méthode raisonnée et surtout fondée sur l’étude directe de la nature.
Les écoles Saint-Luc : un système d’enseignement artistique complet pour l’art et l’architecture
Parmi les écoles bruxelloises qui se situent en dehors du cadre strictement académique, nous devons mentionner les écoles Saint-Luc. Fondées sous l’impulsion de l’architecte et décorateur Jean Baptiste Béthune, elles se positionnent en effet comme une alternative à l’enseignement dispensé dans les académies : leur enseignement d’un point de vue pratique, conduit surtout à une professionnalisation très spécifique et purement artisanale. Ces écoles naissent dans une période de revendications de la part d’un catholicisme militant qui trouve son moyen idéal d’expression dans la représentation figurative gothique, inspirée par la lecture critique des écrits d’Augustus W. N. Pugin, introduits, traduits et diffusés en Belgique grâce à une colonie d’artistes anglais catholiques installée à Bruges28. Elles contribuent pleinement à enrichir la variété de l’offre de formation tendant à améliorer l’instruction artistique et décorative qui s’établit dans les années 1860 en dehors du cadre strictement académique. Ces écoles naissent en réponse à l’interprétation académique du style gothique, qui se sert de ce langage dans le cadre d’une recherche d’identité nationale et d’une diffusion de modèles inspirés de l’histoire de la patrie. Elles se positionnent en effet comme une alternative à l’enseignement dispensé dans les académies et dans les écoles de dessin : l’approche du gothique choisie par les architectes gravitant autour de ces institutions est en fait considérée inappropriée, conçue autour de ses caractéristiques purement pittoresques. Les origines de la première école Saint-Luc sont à rechercher dans l’œuvre du frère Joseph Marès, né Charles De Pauw, qui est appelé par la Société Saint-Vincent-de-Paul à instituer un cours du soir de dessin pour les jeunes ouvriers défavorisés, avec l’objectif de les initier à l’apprentissage d’un métier lié à l’architecture et aux arts décoratifs. Le but social de cette démarche est évident et le cours devient immédiatement très populaire. Il est soutenu par Jean-Baptiste Béthune, architecte, peintre, mosaïste et verrier d’art, figure de proue du mouvement néogothique belge, et par le comte Joseph de Hemptinne, industriel gantois catholique ultramontain. Le frère Marès conçoit un système d’enseignement artistique pluridisciplinaire complet pour l’enseignement de l’art et de l’architecture qui acquiert rapidement une grande renommée. Si l’inspiration du mouvement lié aux écoles Saint-Luc est d’origine anglaise, les programmes d’étude dispensés sont, eux, suite à l’admission du frère Marès, tenant des théories de Viollet-le-Duc : au dessin linéaire et aux exercices de géométrie élémentaire succède l’étude de la nature, en particulier du monde végétal, des feuilles, représentées sous tous les aspects, réels ou abstraits, ensuite combinées selon leurs possibles applications décoratives. L’enseignement dans les écoles Saint-Luc, d’un point de vue pratique, est donc organisé de manière très différente, et conduit surtout à une professionnalisation très spécifique et purement artisanale. Toutefois, la création de ces écoles ne fait pas simplement partie d’une reprise du style gothique, ni seulement d’un projet pédagogique ou social : cet événement s’insère dans une perspective plus ample, dans le cadre de l’essor du mouvement catholique ultramontain, qui utilise le langage formel du gothique comme véhicule idéologique29. Le choix normalisateur d’un style qui interprète à la fois des valeurs nationales, chrétiennes et rationnelles, et évoque un modèle de société idéale, fondé sur les valeurs solides de la morale chrétienne, dans lequel il existe moins d’inégalités sociales, répond donc parfaitement à un programme politique précis. Le gothique de Saint-Luc se développe par ailleurs, dans un contexte de très fort antagonisme entre les libéraux et la minorité politique catholique. Cette dernière a besoin non seulement d’un langage qui peut la distinguer, mais également d’un puissant moyen de transmission de ce langage, identifié dans la création d’une école et successivement d’un système d’établissements. Ceux-ci recouvrent une tâche multiple : rapprocher puis conquérir les classes ouvrières, créant par là-même une phalange d’artisans et d’ouvriers spécialisés apte à la création d’un art chrétien, qui constitue aux yeux des partisans catholiques un élément catalyseur et évangélisateur.
Ces écoles jouissent d’un vaste soutient de la part des élites catholiques et comptent également sur un système de promotion, qui comporte la formation d’associations et de guildes – dont la plus importante est la société archéologique pour l’étude des monuments du Moyen Âge, la Guilde de Saint Thomas et Saint Luc, fondée par le futur conservateur du South Kensington Museum, James Weale – et l’implication d’une presse spécialisée, à savoir le Bulletin de la Guilde de Saint Thomas et Saint Luc, le Bulletin des métiers d’art et la reprise, en 1882, de la Revue de l’art chrétien française30. Le succès de la première école entraîne en effet d’autres implantations en Belgique, notamment dans les faubourgs bruxellois de Molenbeek (1882), Schaerbeek (1887), et Saint-Gilles (1904).
Marius Vachon, qui visite les établissements de Saint-Luc, soutient toutefois que « les idées de Viollet-le-Duc [y] ont perdu de leur ampleur et de leur libéralisme artistique31 », tout en soulignant la grande place laissée à l’enseignement de l’architecture, largement développée et minutieusement approfondie dans ses aspects techniques ; la diffusion du style néogothique étant d’ailleurs très étendue dans le domaine de l’industrie religieuse du bâtiment.
Malgré cela, le niveau des études dans ces écoles demeure insuffisant : la peinture et la sculpture sont en effet de qualité très inférieure par rapport aux autres établissements listés dans les rapports de l’écrivain français. Cela est dû à l’éducation religieuse, qui exclut le dessin de la figure humaine de l’enseignement. L’étude des productions artistiques classiques n’est pas davantage encouragée car les œuvres de l’époque de la Renaissance et de l’Antiquité sont en effet considérées comme entachées par le paganisme et l’absence de pudeur. La seule exception vient de certains exemples dans le domaine de la sculpture empruntés à la néo-Renaissance flamande.
M. Marès m’a déclaré nettement n’avoir d’autre méthode que l’étude constante de la nature et des œuvres des maîtres, avec la préoccupation de développer l’imagination et l’esprit de recherche de l’élève. Par la plus étrange des contradictions, une méthode si rationnelle, si logique, conduit à l’imitation servile du moyen âge32 !
Vachon considère l’enseignement des jésuites comme plus libéral et audacieux ; son dernier jugement sur les productions des écoles Saint-Luc est toutefois impitoyable : elles ne sont selon lui que des « copies exécutées sans habileté ni goût33 ». Pourtant, l’historien français juge intéressante la création de ces écoles, en évaluant leur apport dans le cadre général de la renaissance artistique belge, puisqu’en effet ces établissements dispensent avec succès une bonne instruction artistique aux ouvriers. L’opinion de Vachon, malgré son autorité, néglige toutefois certains aspects fortement liés aux théories rationalistes promulguées par Viollet-le-Duc. L’approche qui caractérise l’enseignement dans les écoles Saint-Luc est orientée vers une application logique de chaque élément, qui doit posséder une fonction pratique et décorative en même temps : cela est mis en évidence par le caractère rationnel des projets nés dans ces établissements, qui refusent l’emploi de stucs ou du papier mâché en faveur des matériaux naturels, considérés, de plus, comme une expression directe de l’essence divine.
Les écoles Saint-Luc offrent un enseignement qui consacre à l’architecture et aux métiers qui en dépendent une part non négligeable de ses ressources, développant également en son sein toutes les disciplines décoratives qui en découlent : la serrurerie, la broderie, la gravure et la sculpture ornementale sur bois et sur pierre, l’ébénisterie, la ferronnerie, l’art du vitrail. Le modèle recherché par les écoles Saint-Luc privilégie une approche de type synthétique qui voit le concours de toutes les différentes disciplines décoratives dans la création d’une œuvre d’art collective, que l’on peut identifier au modèle d’excellence de la cathédrale gothique. Cela explique l’importance accordée à l’étude de l’architecture dans le système d’enseignement de ces établissements, et similairement leur anti-académisme : à l’expression individuelle, généralement privilégiée par les académies, les écoles Saint-Luc opposent un enseignement particulier qui s’insère dans un dessein aux dimensions plus amples.
L’objectif social caractéristique de ces établissements se manifeste, de plus, dans l’importance accordée à la manualité et à l’expérience pratique, concrétisée à travers la participation active dans les chantiers de restauration des monuments gothiques ou dans le cadre d’une alliance avec des ateliers ou manufactures qui emploient de la main d’œuvre issue des écoles Saint-Luc, établissant ainsi un cycle vertueux de relations entre le monde de l’enseignement et celui d’un travail qualitativement élevé.
Vers la fin du siècle, Eugène Nève fait l’éloge de cette attitude, en affirmant que :
Les Écoles Saint-Luc ont formé, dans toutes les branches des arts plastiques, des ouvriers et des artistes de talent. […] Ses architectes ont construit et restauré une foule de monuments. Depuis les vitraux éclatants, les broderies chatoyantes, les bijoux somptueux, jusqu’aux dressoirs et aux bahuts sculptés, il n’est pas une partie de mobilier qui ne soit exécutée par des patrons habiles, capables de composer un modèle original et doué de ce cachet d’adaptation si pratique, si frappant dans les œuvres du Moyen Âge. Les préjugés qui, il y a trente ans, maintenaient le public dans l’hostilité ou l’indifférence, se sont peu à peu évanouis. Le classicisme survit encore dans les écoles officielles, mais il n’y règne plus exclusivement. On peut affirmer que l’exemple donné par les Écoles Saint-Luc est pour une bonne part dans cet affranchissement : il a précédé et préparé la renaissance des arts industriels en Belgique34.
L’opinion de Nève, huit ans après celle de Vachon, tend à restituer dans une perspective plus étendue la contribution réelle que les écoles Saint-Luc ont apportée au développement et au rayonnement des arts décoratifs, anticipant l’essor dont elles jouiront au début de la dernière décennie du xixe siècle. Toutefois, on retrouve dans le rapport de Vachon les origines du mouvement. En faisant les éloges de la Belgique qui a montré l’exemple à travers les transformations opérées grâce à l’influence des nouvelles idées sur le rôle social de l’art, il affirme que les idées géniales des grands théoriciens français comme Viollet-le-Duc ou Laborde ne sont pas appliquées en France, où fait défaut un enseignement valorisant les progrès des ouvriers, tout en soulignant qu’elles ont été remarquablement suivies et mises en œuvre à l’étranger.
Vers un nouvel équilibre entre décoration et architecture : l’École des arts décoratifs de Bruxelles
Parmi les écoles ayant contribué au développement de l’architecture à Bruxelles, l’École des arts décoratifs (1886) a participé à une formation complète et large. Elle est conçue pour perfectionner la formation de toutes les catégories d’artistes, mais surtout des architectes et des artisans de la capitale et de ses faubourgs, par le bourgmestre esthète Charles Buls, homme politique libéral, partisan actif des réformes éducatives et sociales et pionnier dans le développement et la promotion des arts décoratifs belges. Buls est persuadé que la revitalisation de l’art belge repose sur le progrès des arts industriels, qui revêtent un rôle de premier plan dans sa vision politique réformiste. Il attribue, en effet, la mauvaise qualité des productions industrielles de l’époque à une étude impropre des exemples du passé, conséquence de l’incapacité des dessinateurs et des industriels à savoir interpréter correctement les logiques à la source de la conception de l’objet, méconnaissant surtout le rôle de la décoration, la plupart du temps appliquée à la forme sans aucun critère fonctionnel. Son projet d’école des arts décoratifs accélère en particulier le processus d’intégration des métiers de décoration dans l’enseignement de l’architecture, grâce à la contribution du nouveau directeur Jean Baes, alors à la tête du chantier du Théâtre Flamand, bâtiment iconique de la néo-Renaissance flamande, inauguré en 1887. Baes réalise en effet les ambitions didactiques de l’école au travers de programmes d’une conception très avancée35, qualité que l’on retrouve également dans ses projets architecturaux où se mêlent des typologies innovantes, l’utilisation de nouveaux matériaux et une forte synesthésie entre les arts, annonçant déjà l’avènement de l’Art nouveau36.
Baes montre un intérêt spécifique pour l’association des arts décoratifs et des métiers, qui dérive vraisemblablement de sa formation et de la collaboration avec ses frères : Henri, peintre décorateur, et Charles, entrepreneur. Il propose un enseignement fondé sur l’étude raisonnée et comparée des différents styles du point de vue de la décoration, dans leur composition générale et leurs détails, en les mettant en rapport direct avec leurs différentes applications, en particulier l’architecture. Pour cette raison, l’imitation des objets n’est pas suffisante : afin de former des élèves capables, il faut stimuler leur imagination, en les encourageant à trouver des solutions originales aux problèmes de composition. Pour ce faire, il faut que l’élève soit capable de comprendre la nature des formes qu’il doit représenter : ce savoir est par conséquent une part essentielle de l’enseignement fondé sur l’apprentissage du dessin, un code linguistique adapté à la création d’artisans conscients et susceptibles d’intervenir sur la production de n’importe quel objet. Le procédé que Baes décrit repose sur l’association entre formes et objets : la démonstration géométrique d’une forme, un cercle par exemple, se fait en l’associant à des objets faisant partie du quotidien, comme une médaille, une horloge, une couronne ou un tambourin. Cet exemple est suivi d’un autre, dans lequel un solide à trois dimensions – un cylindre – est associé à un bocal, à une colonne, à un carquois, et ainsi de suite. Un tel enseignement sert à montrer que tous les objets et figures se caractérisent selon des formes ou des contours qui représentent les bases du dessin, et qui peuvent être transposés, entièrement ou en partie, dans des figures géométriques ou dans la stéréotomie, offrant ainsi une application pratique immédiate et développant en même temps l’esprit d’observation et d’initiative des élèves ; la seule capacité de dessiner n’étant pas suffisante à l’artiste ou à l’artisan pour concevoir un quelconque projet. Cette étude des formes se fait également à l’aide d’objets décoratifs réels, selon une progression allant du modèle simple bidimensionnel au modèle composé tridimensionnel, selon leurs styles et leurs propriétés techniques, en les mettant en rapport avec le contexte dont ils sont extraits. La connaissance de la nature, de l’histoire, de la tradition, de la mythologie et du symbolisme fait partie des savoirs requis pour l’application correcte de l’ornement. Baes remarque la nécessité de mettre de bons modèles sous les yeux des élèves : le petit musée annexé à l’École des arts décoratifs qu’il dirige donne un aperçu des œuvres décoratives modernes réalisées dans le domaine des émaux, des tissus, des céramiques et de la verrerie pour mieux orienter le goût et améliorer la production nationale, semble-t-il déficitaire au regard de ce qui se réalise dans les autres pays européens. À côté des exemples conservés dans le musée et des recueils d’ornements, Baes conseille également l’utilisation de L’Art pour tous (revue française fondée par Émile Reiber en 1861) dont la conception particulière des fascicules en planches susceptibles d’être démembrés, permet une ample liberté d’utilisation didactique. C’est seulement après avoir assimilé ces leçons que l’élève peut se confronter aux cours de composition ornementale, où il fera :
[un] choix judicieux et une application raisonnée des ornements, en tenant compte de leur valeur relative, de l’expression et de la signification particulière à chacun d’eux ; évitant toute réunion désordonnée d’ornement disparates ou ne concourant pas pleinement à renforcer le caractère esthétique de l’œuvre37.
Conclusion
L’analyse de l’origine, des programmes d’étude et du développement de ces nouveaux établissements permet d’affirmer que le premier effort pour moderniser l’enseignement artistique sous le signe de l’union des arts à Bruxelles est réalisé dans les écoles nées d’initiatives privées à partir des années 1860. L’approche rationnelle de l’enseignement du dessin constitue le fil rouge reliant les différentes expériences qui se succèdent en Belgique pendant la deuxième moitié du xixe siècle. En effet, ces écoles participent au développement des disciplines décoratives et contribuent également, grâce aux nouvelles méthodes d’enseignement du dessin, à modifier, quoique lentement, l’esthétique et le style dans leurs productions. De plus, grâce aux différents débats et discussions, on assiste à une prise de conscience majeure des bénéfices que l’enseignement des arts décoratifs pourrait porter en termes de prestige international, politique et économique. Commencent alors à se dessiner de nouveaux équilibres entre décoration et architecture en tant que domaines d’application de l’art du dessin, en particulier grâce aux écoles Saint-Luc et à la nouvelle École des arts décoratifs de Bruxelles – qui expérimentent un concept cohérent d’unité des arts. Le succès de ces écoles pousse les académies vers un processus réformateur analogue, qui trouvera dans le concept de l’unité des arts, anticipé et promu par ces établissements, la justification de l’inclusion des arts décoratifs dans le cursus des académies et des écoles de dessin. La réforme ou l’institution d’organismes préposés à l’éducation au « bon goût », fruit de la discussion autour du rapport entre les arts et leur objectif didactique et opératif, permet ainsi d’évaluer les résultats obtenus par la Belgique dans les cadres théorique et didactique. Dans le contexte belge, ceux-ci se révèlent riches de connexions méthodologiques propres à engendrer un vivier d’initiatives qui, sur les aspects didactique et pratique, est comparable à celui des pays les plus avancés. De plus, ces initiatives permettent de retrouver les racines culturelles et pédagogiques de l’Art nouveau belge, caractérisé davantage – et avant d’autres « variantes » occidentales – par une synesthésie très marquée, mûrie dans les écoles d’art instituées à partir des années 1860, ainsi que par l’absence de divisions hiérarchiques.
Fig. 1 : « Feuilles de chène », un des modèles utilisés à l’école Saint-Luc, 1882. Joseph Marès, Modèles gradués pour servir d’exercices préparatoires à l’étude du dessin à main levée, séries D, 2e cahier, Bruges, Desclée/De Brouwer & Cie, s. d., pl.16.
© Erfgoedbibliotheek Hendrik Conscience, Anvers.
Fig. 2 : Curriculum de l’École des arts décoratifs paru dans L’Emulation, n° 8, août 1893.
© Erfgoedbibliotheek Hendrik Conscience, Anvers.