Texte

Ce numéro sur les normes et les processus normatifs qui les mettent en œuvre a pour ambition d’en cerner différents enjeux du point de vue de la conceptualisation des rapports entre individu et société et aussi de leurs effets dans l’organisation des sociétés. La diversité des questions suscitées nécessiterait de se nourrir d’apports de différents champs disciplinaires, tels que la sociologie, la psychologie, la philosophie, l’histoire, et aussi les sciences de l’éducation et les sciences politiques… Ils ne seront pas tous représentés ici.

Constituées d’un ensemble de représentations, habitées d’affects, mises en langage au travers des relations et divers supports, les normes sont autant de vecteurs de transmission de valeurs culturelles. Celles-ci ont d'abord été associées au droit en désignant des prescriptions contraignantes dont la transgression conduit à des sanctions ; puis le concept de normes s'est peu à peu élargi aux autres sciences humaines et sociales, et englobe les codes de comportements prescrits dans une situation et un environnement donnés, qu'ils procèdent – ou non – d'une règle formelle écrite ou orale, qu'ils soient ou non contraignants, et qu'ils fassent ou non l'objet de sanctions en cas d'infraction.

Parce que la norme fonctionne comme un modèle voire un idéal et contient une dimension prescriptive, elle a pour effet de produire ce qu’Assoun appelle une « normativation » des comportements et des existences (Assoun, 2006). Ainsi la nature sociale des normes a conduit les chercheurs en sciences humaines et sociales à interroger les modes de suivi de ces dernières et à prêter attention à leurs variabilités historiques et sociales. Les travaux de Foucault (1963) en sont un exemple en désignant une nouvelle articulation du savoir et du pouvoir qui a ouvert à un gouvernement de la vie des corps et des populations. Celui-ci implique une extension de la médecine au-delà de son territoire, ouvrant une fonction à caractère social, notamment par la mise en œuvre de politiques de santé. Une mise en perspective des heurs et malheurs des normes au fil des époques et des contextes géographiques permet un écart et un regard décentré sur notre société (Dupont, 2013), à même d’interroger et de déconstruire certaines de nos catégories de pensée.

Si les normes et les normativités que produisent les sociétés sont le fruit d’une histoire et s’inscrivent dans des contextes définis, elles sont aussi nécessaires à la structuration du groupe ou de la société qui les ont émises. Les phénomènes de résistance, les jeux avec les normes (Goffman, 1973) et les profits symboliques éventuels qu'ils suscitent ont amené les chercheurs à porter leur intérêt aux phénomènes d'adaptation qu'elles impliquent. D'autres travaux ont par ailleurs insisté sur le fait que les normes ne pouvaient être réduites à de simples enjeux et instruments de luttes entre groupes sociaux, elles constituent des repères dont les individus se saisissent, ou qu’ils remettent en cause, afin de se situer dans le groupe. Parce que les normes sont éminemment plurielles, il s’agit de les appréhender à l'aune des tensions et arbitrages qu'elles imposent aux individus.

L’étude des normes et normativités recouvre celle des rapports entre l’individu, les groupes sociaux et les institutions dans lesquels il trouve les repères nécessaires à sa construction identitaire, et dans lesquels il est amené à vivre. Si l’idéal d’un sujet autonome a fait l’objet de la dernière journée doctorale de l’ED 519, c’est peut-être parce qu’il condense le paradoxe dans lequel le sujet se trouve face à la prescription normative. L’injonction à être autonome met en évidence un message énigmatique appelant chacun à se positionner, entre soumission, adaptation, appropriation ou contestation. En tant que discours, la valeur donnée à l’autonomie demande à être située dans ses variations spatio-temporelles et ses conditions (matérielles, sociales, psychologiques) de production et de pérennisation.

Bibliographie

Assoun, P.-L., 2006, « Malaise de la recherche, recherche sur le malaise. Le normal et le pathologique en psychanalyse », Recherches en psychanalyse, n5, p. 9‑23

Dupont, F., 2013, L’Antiquité, territoire des écarts. Paris, Albin Michel.

Foucault, M., 1963, Naissance de la clinique, Paris, PUF.

Goffman, E., 1973, La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit.

Citer cet article

Référence électronique

Anne Thevenot, « Avant‑propos », Strathèse [En ligne], 7 | 2018, mis en ligne le 01 janvier 2018, consulté le 04 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/strathese/index.php?id=561

Auteur

Anne Thevenot

Professeur de psychopathologie clinique, EA 3071–SuLiSoM, université de Strasbourg. Coordonnatrice du numéro.

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