Le répertoire pour orgue en France à l’époque de Louis XIV a réveillé l’intérêt de musiciens et de chercheurs à partir du mouvement de redécouverte de la musique ancienne mené par la Schola cantorum de Paris vers la fin du 19e siècle1. Cet intérêt se développe au siècle suivant à travers la parution de quelques études approfondies sur le sujet2. Or, malgré la volonté de faire connaître une tradition musicale appartenant à l’un des moments culturels les plus rayonnants de l’histoire de France, ces études expriment souvent une certaine condescendance face à sa valeur artistique, la considérant comme trop contraignante à cause de son caractère stéréotypé (cette musique se compose de pièces codifiées au niveau formel et expressif qui seront reproduites par l’ensemble des organistes), mais aussi face à sa valeur religieuse, l’estimant comme une expression de décadence spirituelle en raison de son lien étroit avec les styles profanes de l’époque (notamment le chant lyrique et la danse)3.
Pourtant, la forte cohésion formelle et expressive du répertoire, ainsi que la pérennité de cette école organistique (elle englobe plusieurs générations d’organistes entre les années 1660 et l’aube de la Révolution), invitent à reconsidérer ces points de vue. Dans cet ordre d’idées, nous étudierons la manière dont la musique pour orgue répond au phénomène de production de normes qui marque le panorama culturel du 17e siècle français (aspect qui lui donne toute sa valeur en tant que manifestation artistique de son temps, et toute sa cohérence en tant qu’objet esthétique accomplissant une fonction religieuse)4.
Institution des modèles formels et expressifs de l’orgue classique français : le cérémonial parisien de 1662 et les « préfaces » des livres d’orgue
Dès 1665, avec la parution du premier Livre d’orgue de Guillaume‑Gabriel Nivers organiste de l’église de Saint-Sulpice à Paris et de la chapelle royale de Versailles, on observe l’institution d’une musique moderne constituée de pièces très codifiées qui deviennent des modèles à imiter5. Cette codification sera définie d’une part par les stipulations des textes normatifs de l’Église, et d’autre part par les recherches des organistes eux-mêmes, marquées par le goût de l’époque6.
La genèse de ce répertoire se trouve ainsi sous une triple influence normative : premièrement, la réglementation du cérémonial parisien de 1662 (conforme à l’esprit de la Réforme tridentine) qui cherche à circonscrire les prestations des organistes dans la liturgie7 ; deuxièmement, les préfaces des Livres d’orgue publiés à l’époque, textes explicatifs qui fixent les canons théoriques et esthétiques pratiqués ; finalement, comme résultat implicite des deux sources prescriptives précédentes, le principe de convenance, qui détermine la nature formelle et expressive du répertoire8. Ces axes normatifs dirigent la praxis des organistes, permettant non seulement sa lisibilité, mais son efficacité en tant que manifestation artistique destinée avant tout à l’éveil du sentiment religieux.
La première source à définir les normes de production des organistes français se trouve dans les ordonnances ecclésiastiques. En effet, à la suite du concile de Trente, l’Église catholique s’efforce à circonscrire les interventions musicales dans les célébrations liturgiques pour éviter des déviations vers le « profane ». Dans cette politique, le Caeremoniale Parisiense (Sonnet, 1662) devient un texte paradigmatique. Le chapitre VI, intitulé De organista et organis présente une série de prescriptions qui, outre la désignation des célébrations dans lesquelles l’orgue prend place, cherchent à définir les enjeux expressifs de l’instrument vis-à-vis de sa fonction religieuse. En ce sens, le quatrième article indique :
Cauendum autem est ne sonus Organi fit lasciuus, aut impurus, & ne cum eo proferantur cantus qui ad officium quod agitur non spectent, ne dui prophani, aut ludicri, nec alia instrumenta musicalia cum Organo pulsentur […] (Sonnet, 1662 : 534)9.
Dans cette même ligne directrice, la dernière partie du chapitre présente une série d’articles qui déterminent « en quelles parties de l’office l’orgue doit moduler, jouer gravement, suavement, doucement, pour stimuler la dévotion des âmes du clergé et du peuple » (Sonnet, 1662 : 538). Derrière ces stipulations, on peut entrevoir deux principes rhétoriques interdépendants : le principe de decorum (ou bienséance) et le principe de varietas.
Le decorum implique la pertinence du style pour traiter un sujet donné, que ce soit dans l’art oratoire, les Beaux-arts, la littérature, ou la musique. Bien que contraignante, cette notion n’est pas complètement rigide puisqu’elle peut varier selon le goût esthétique des époques. Marc Fumaroli l’explique en ces termes :
Le decorum peut être ritualisé, objectivé, institutionnalisé, ne laissant place à aucune variation et exigeant même une discipline exacte définie en relation avec un ordre absolu et sacré. Mais il peut faire preuve à l’autre extrême de l’adaptabilité la plus souple et sensible aux modifications impalpables de l’heure, du lieu, du moment, de l’humeur, bref, de la conjoncture […]. Ni decorum, ni convenientia, ni decentia ne sont dans la tradition romaine, même liturgique, des codifications figées. Ils changent de sens et de style selon les époques, les régimes, les milieux, les individus, tout en maintenant intacte cette exigence d’accord entre la parole, le geste, et la nature du drame qui les postule […] (Fumaroli, 2009 : XIV).
Le decorum définit donc l’expression du discours et par conséquent la capacité de l’orateur à s’adapter à l’ethos exigé par le sujet abordé à travers l’utilisation de styles et des figures rhétoriques convenables. De ce principe de bienséance découle un deuxième, le principe de varietas, qui implique la modulation entre les styles oratoires (élevé, moyen et bas) afin de donner de l’efficacité au discours.
Cette tripertita varietas, gamme dont l’orateur est le modérateur, résume en quelque sorte les pouvoirs de l’éloquence : le choix de l’une et de l’autre « clef » de style est commandé par le decorum, ce que les classiques français appelleront bienséance, c’est-à-dire l’exacte proportion entre le style adopté et les circonstances, le sujet, le public, la personne de l’orateur […] (Fumaroli, 2009 : 54).
Ainsi, lorsque Martin Sonnet indique les divers caractères que l’orgue doit adopter selon le moment liturgique (gravement, suavement et doucement), il met en évidence les principes de bienséance et variété, principes qui doivent assurer l’opportunité et l’efficacité de la démarche musicale dans l’Église10.
Certains spécialistes considèrent que les organistes ne tiennent pas toujours compte des prescriptions du cérémonial de Sonnet en raison du caractère « mondain » qui domine leur musique (nous aurons l’occasion d’évoquer leurs propos un peu plus loin). Or, la constitution progressive d’un réservoir de pièces caractérisées dont chacune joue un rôle expressif spécifique semble contredire cette opinion, car elles témoignent d’un effort discursif réfléchi qui montre une correspondance entre sens musical et sens liturgique.
Dans cette optique, les pièces de caractère majestueux (il s’agit principalement du Plein-jeu, du Grand-jeu et du Grand dialogue) servent à ouvrir et clore solennellement les hymnes, les magnificat et les diverses parties de l’Ordinaire de la messe, traduisant souvent l’idée de la plénitude, de la majesté et de la gloire divine grâce à leur sonorité éclatante, à leur texture harmonique, ainsi qu’aux figures rythmiques empruntées à l’Ouverture à la française11. Voici deux exemples caractéristiques composés par Louis Marchand et Louis-Nicolas Clérambault :
Les pièces de caractère dansant (notamment des duos et des trios) apparaissent souvent à des moments liturgiques qui expriment la louange divine. Tel est le cas du Duo pour le Glorificamus te de la Messe pour les paroisses de François Couperin, mélangeant les styles de la gigue à l’italienne et la gigue à la française :
Les pièces de caractère lyrique et intime (le Récit de cromorne et la Tierce en taille sont les exemples les plus représentatifs) sont destinées aux moments de recueillement et d’imploration de la miséricorde divine. Ainsi le montrent deux exemples tirés du Livre d’orgue de Louis-Nicolas Clérambault correspondant au verset Suscepit Israel du Magnificat. Dans ces pièces la supplique est exprimée à travers les agréments mélodiques et la gamme chromatique descendante à la basse (figure correspondant au topique musical du lamento12) :
Les pièces de type martial évoquent de façon efficace la grandeur de Dieu, comme le montre bien le Dialogue sur les jeux de Trompettes de la Messe des paroisses de François Couperin (destinée au verset Domine Deus Rex caelestis du Gloria), dont les figures typiques de la musique militaire (fanfares et notes répétées), unies au style « majestueux » (notes inégales), offrent une image triomphale et puissante du « roi des cieux ».
Autre exemple parlant est la Basse de trompette du 1er ton de J.‑-A. Guilain (destinée au verset Deposuit potentes du Magnificat), dont les batteries et les gradations mélodiques en catabase et anabase figurent efficacement le sens du texte : la chute des « puissants » et l’élévation des « humbles » :
Ces exemples nous permettent d’observer que les principes rhétoriques de decorum et de varietas, suggérés par les prescriptions du cérémonial parisien, sont essentiels dans le développement de la forme et la signification musicale du répertoire d’orgue français13.
La deuxième source de modélisation se trouve dans les préfaces des livres d’orgue, rédigées principalement à l’intention des organistes provinciaux pouvant méconnaître les usages parisiens. Ces introductions explicatives ont permis la systématisation progressive du répertoire14. À la différence des rares renseignements fournis par les organistes d’autres traditions européennes, les organistes français se sont souciés de prescrire minutieusement des éléments d’ordre théorico-pratique afin d’assurer une bonne « lecture » des diverses pièces. En ce sens, la préface du Livre d’orgue contenant cent pièces de tous les tons de l’Église de Guillaume-Gabriel Nivers aborde, outre l’explication des tons musicaux pratiqués à l’époque15, le caractère des pièces, la mesure, l’ornementation, l’articulation du phrasé et le doigté, de même qu’une classification embrassant le « dénombrement des jeux ordinaires de l’orgue » et le « mélange des jeux » propre à chaque forme musicale16.
L’exemple de l’organiste de Saint-Sulpice sera suivi et développé par les organistes titulaires des plus prestigieuses tribunes parisiennes. Ainsi, en 1676, Nicolas Lebègue, organiste de l’église de Saint‑Merry, contribue à la consolidation du « modèle » en offrant une classification plus développée et plus précise du caractère des pièces et de la combinaison des jeux17. Cette attitude obéit clairement à une volonté d’institutionnalisation générale de la pratique des organistes de la capitale, tel qu’on peut le lire dans la page de garde et dans les premières lignes de la préface :
[…] Pièces d’orgue avec la variété des agréments, et la manière de jouer l’orgue à présent sur tous les jeux, et particulièrement ceux qui sont peu en usage dans les provinces comme la Tierce et Cromorne en taille […]. Ces pièces ne seront pas inutiles aux organistes éloignés qui ne peuvent pas venir entendre les diversités que l’on a trouvées sur quantité de jeux depuis plusieurs années […] (Lebègue, 1676 : [I]).
Dans le même esprit, Nicolas Gigault, organiste de Saint Nicolas-des-Champs, déclare ouvertement l’importance de la question des règles dans sa démarche artistique (preuve d’un esprit tout à fait classique) :
[…] dans tout le nombre de ces pièces, j’ai cherché le plus que j’ay pu, de l’harmonie, de la modulation, du chant, du dessein, de l’invention, selon la discipline des règles à présent en usage, pour les dissonances, je les ai traités selon la pratique moderne pour donner un plus grand goût aux consonances […] (Gigault, 1685 : 2‑3).
Quant à André Raison, l’avis au lecteur de son 1er Livre d’orgue, qui attire particulièrement l’attention, rend compte de la manière dont l’instrument se nourrit des modèles profanes en déclarant que les pièces adoptent « les plus beaux mouvements qui sont en usage dans toutes les musiques vocales et instrumentales » (Raison, 1688 : D [4]).
À l’image du processus unificateur expérimenté par la littérature et les Beaux-arts à l’époque de Louis XIV, le phénomène de systématisation illustré par ces préfaces et par les pièces elles-mêmes, révèle que les premiers musiciens de cette école s’efforçaient à établir un modèle à imiter dans le but d’ériger un « langage officiel » qui puisse se répandre dans tout le royaume. C’est la raison de l’enthousiasme pour la rédaction d’avis préliminaires que l’on observe dans les premiers recueils publiés ; une fois les règles du langage musical devenues « doctrine », l’ajout des préfaces explicatives devient superflu18.
La question de l’ambiguïté entre le sacré et le profane dans l’orgue français
Les propos tenus par les organistes dans leurs préfaces reflètent non seulement leur volonté de modélisation mais aussi leur préoccupation quant à la fonction religieuse de la musique dans l’Église. Ainsi le fait comprendre Nicolas Lebègue lorsqu’il affirme avoir choisi « les chants et les mouvements les plus convenables et les plus conformes au sentiment et à l’esprit de l’Église » (Lebègue, 1676 : [3]), ou encore André Raison lorsqu’il parle de sa musique comme d’une « pompe modeste qui touche les peuples et qui élève leurs cœurs par la vue et l’intelligence des choses sensibles au désir et à l’amour de celles qui passent la portée de leur sens » (Raison, 1688 : B‑C [2‑3]).
Nous voici confrontés à l’une des problématiques essentielles de l’orgue classique français car, en dépit de ces déclarations, l’amalgame entre les styles musicaux traditionnellement religieux (comme la fugue et le cantus firmus) et d’autres nettement séculiers semble contredire les stipulations du cérémonial parisien quant à la nécessité d’éviter des « signes profanes » dans la musique d’Église. Effectivement : comment expliquer la présence de modèles chorégraphiques, du lyrisme opératique et des fanfares militaires alors que, tant les autorités ecclésiastiques que les organistes eux-mêmes, déclarent leur préoccupation pour la bienséance musicale ?
Comme nous l’avons annoncé précédemment, cet aspect contradictoire a provoqué le doute de certains musicologues au sujet de la légitimité du répertoire, le considérant comme un objet d’ameublement liturgique dénué de sens religieux. Norbert Dufourcq (auteur du premier ouvrage approfondi en la matière) pose cette problématique à travers les questionnements suivants :
[…] cette musique d’orgue classique […] n’est-elle donc plus exclusivement d’ordre religieux ? Peut-elle obéir à des constantes imposées de l’extérieur ? Doit-elle accepter ces impuretés que lui apporte une assemblée de fidèles, expression même d’un peuple qui rit, qui boit, qui chante et qui danse ? Aperçoit-on désormais le paradoxe qu’offre aux yeux comme aux oreilles cette musique d’orgue utilitaire, et qui amalgame, autant que faire se peut, sources grégoriennes et sources mondaines ? […] Toute page confiée à l’instrument correspond-elle à l’idée que le commun des mortels se peut faire de la musique sacrée ? (Dufourcq, 1972 : 9‑11).
Ces propos semblent subjectifs dans la mesure où la notion de « musique sacrée » au 17e siècle n’est pas la même qu’au 19e siècle ou bien que celle d’aujourd’hui puisqu’elle dépend d’attributions et de conventions propres à chaque culture. Quoi qu’il en soit, cette musique correspondait de toute évidence à « l’idée que le commun des mortels » se faisait de la musique religieuse dans le contexte du Grand Siècle ; en effet, bien que la présence de styles profanes dans les églises ait pu choquer profondément aux 19e et 20e siècles, cela n’était pas forcément le cas au 17e siècle19. Car si cette musique n’était pas convenable ou si elle allait à l’encontre des stipulations ecclésiastiques, pourquoi fut-elle cultivée sans remontrance par plusieurs générations d’organistes dans une Église (et dans une société) qui cherchait sans cesse le décorum ?
Pour expliquer la pertinence de l’orgue français dans son horizon historique ou, autrement dit, pour comprendre la manière dont il pouvait accomplir sa tâche en tant qu’expression d’art religieux (véhiculer le sacré), il faut considérer le principe de convenance, dirigé par deux règles essentielles de la doctrine classique française : la bienséance et la vraisemblance.
Comme observé précédemment, la bienséance exige l’utilisation d’un langage adéquat selon le lieu et les circonstances, proscrivant toute sorte d’actions et de représentations qui iraient à l’encontre de la morale en général. Or, pour que cette bienséance ait lieu, il faut de la vraisemblance, c’est-à-dire une logique adaptée à ce que le public de cette époque pouvait croire (il s’agit donc d’une logique de l’opinion courante20). André Raison laisse entrevoir ce principe dans la dédicace de son premier livre d’orgue, adressée à François Morin, supérieur de l’Abbaye de Sainte Geneviève du Mont à Paris :
Comme ce petit ouvrage peut contribuer quelque chose à la satisfaction de votre zèle, je prends la liberté de vous le présenter. […] depuis vingt-deux ans que j’ai l’honneur de toucher [jouer] l’orgue de votre célèbre abbaye de Sainte Geneviève, et c’est l’approbation qu’il vous a plu si souvent de donner aux pièces qu’il contient [le recueil] qui lui doit attirer celle du public […] (Raison, 1688 : B-C [2-3]).
À travers ces lignes, Raison nous fait comprendre que ses pièces d’orgue correspondaient bien aux attentes générales, à ce que les gens de cette époque entendaient par bienséant, et en corollaire par vraisemblable. De ce point de vue, la présence de styles profanes dans l’orgue français ne porterait aucun préjudice aux règles de convenance ecclésiastique.
La question de l’apparente ambiguïté qu’apportent les modèles de la musique profane s’explique ainsi par la nécessité de crédibilité : c’est la vraisemblance qui permet que le modèle de l’Ouverture à la française tiré de la musique officielle de la Cour puisse exprimer de façon crédible la majesté divine, que la légèreté et la grâce des modèles chorégraphiques puissent évoquer la joie laudative et l’harmonie céleste21, que le lyrisme tiré de l’opéra et de l’air de cour puisse traduire le sentiment de la prière (sentiments de dévotion ou de contrition) et l’échange intime avec le divin ; en outre, quoi de plus vraisemblable que les topiques de la musique militaire (notamment les fanfares de trompettes) pour évoquer le « combat spirituel » chrétien et la gloire eschatologique ?
En somme, l’axe double bienséance-vraisemblance permet de comprendre la pertinence de cette musique en tant que manifestation d’art religieux, car elle vise la représentation des émotions et des symboles présents dans la liturgie à travers des codes clairs et naturels, compréhensibles par le plus grand nombre.
Conclusion
La production musicale des organistes français de l’époque classique a été sous-estimée par une grande partie de la critique musicologique durant le 20e siècle, d’une part par son caractère contraignant et schématique, et d’autre part par sa proximité avec les styles musicaux profanes, l’éloignant apparemment d’une fonction religieuse légitime. Pourtant, la praxis des organistes laisse observer un phénomène de constitution de règles explicites et implicites (dictées tant par les préceptes ecclésiastiques que par les principes esthétiques de l’époque), qui déterminent l’utilisation de la variété expressive des formes musicales en fonction de la signification des divers moments liturgiques, montrant ainsi un rapport étroit entre production artistique et sens moral (c’est d’ailleurs cet aspect qui relie le plus la musique pour orgue au classicisme français).
Somme toute, la considération de la pensée de cette époque, tellement attachée au naturel et à l’imitation de modèles clairs susceptibles d’assurer la convenance et l’efficacité de l’expression artistique, nous situe dans une perspective qui redonne de la valeur à un répertoire intelligible et façonné dans la volonté de communiquer (au même titre que toute manifestation d’art religieux). Les axes normatifs évoqués dans cet article favorisent non seulement la consolidation d’un langage musical spécifiquement français, mais aussi les intérêts de l’Église, car ce répertoire fut destiné avant tout à soutenir la doctrine chrétienne sur les plans sensible et cognitif à travers l’institution de modèles musicaux « idéaux » caractérisés par l’ordre, la clarté et la vraisemblance, seuls éléments capables de garantir un consensus entre « émetteur » et « récepteur » (entre les organistes et les fidèles).