Avant‑propos

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Ce numéro de la revue Strathèse ayant pour thématique « réseau(x) et passage(s) » ambitionne de renouveler un chantier de réflexions à travers d’approches nécessairement interdisciplinaires dans les recherches en sciences humaines et sociales. La thématique « réseau(x) et passage(s) » favorise en effet la production des analyses transversales, appelle à croiser les regards disciplinaires, et constitue au final une clé pour appréhender les enjeux sociétaux majeurs qui les sous-tendent : « Tous nos problèmes, aujourd’hui encore, sont interdisciplinaires. Le chômage, par exemple, touche aussi bien l’économie, que la finance, la démographie, la géographie… » (Serres, 2014). Elle est très symbolique à l’égard des travaux menés au sein de l’École Doctorale « perspectives européennes ».

Cette grande ouverture thématique englobe le réseautage, les cercles scientifiques et culturels, toutes les structures dites « en réseau » … Des doctorants en sciences humaines, déjà bien engagés dans leur projet doctoral, ont imaginé des approches diversifiées permettant d’explorer des aspects variés, prenant en compte autant la dimension heuristique et épistémologique du thème que ses domaines d’application.

Le phénomène des Big Data (collecte massive de données) comme la formation ouverte à distance par exemple, sont devenus des enjeux majeurs au niveau mondial, tant pour les organisations qui compilent et qui exploitent les données, que pour les humains dont les traces sont systématiquement suivies, répertoriées, analysées et croisées… de ce point de vue, les questions éthiques, liées à la banalisation de l’usage de ces données massives et intrusives restent posées (Cotton, 2017).

De la même façon, l’accès aux connaissances se voit profondément modifié par l’effet de densification et un accès universel et quasi instantané. Les enseignants ne peuvent désormais plus envisager le savoir en termes de monopole ; le nier c’est risquer l’obsolescence. Mais on ne peut concevoir de réseau d’échange des savoirs qui ne soit confronté à leur valeur d’échange, et les apprenants ne sont pas les maîtres de la Bourse ! (Héber-suffrin, 1998). À cet égard, si l’information est déjà largement médiatisée, le rôle de passeur de connaissances n’a sans doute jamais été aussi prégnant. Les savoirs sont universels, leur appréhension, leur hiérarchisation, leur localisation dans les réseaux auxquels ils appartiennent, nécessitent plus que jamais la présence d’un passeur compétent.

Le réseau est fait de liens multidimensionnels entre des lieux, alternativement visibles ou invisibles, il entrelace surface et profondeur. On y suit des chemins et y rencontre des carrefours. Il est lieu de passage (vers d’autres réseaux notamment) et de médiation. Le réseau technique ne serait à cet égard que « la mécanisation du passage », selon Anne Cauquelin (2015), permettant de passer d’une rive à l’autre. Ainsi, l’arbre dominante du réseau technique cache-t-il la forêt du lien social. La communication est au final indissociable des conditions matérielles et intellectuelles qui lui servent de support (Signorile, 1993).

Historiquement, Saint-Simon (1803) est à l’origine d’une philosophie des réseaux. Sa « doctrine » s’appuie sur la notion de réseaux physiques. Le concept évolue au cours des siècles et l’avènement des télécommunications file la métaphore du système nerveux central. Au sein d’une telle analogie, les synapses, qui font la liaison entre les neurones, représentent les liens de télécommunications, qui se réorganisent dans la société. Pierre Musso (2003) critique ce type de philosophie qui pose avec acuité la question de la relation à l’autre : ainsi l’instrument dissimule-t-il l’idéologie.

À partir de ces quelques éléments conçus comme une amorce de problématisation, les articles proposés s’inscrivent dans les thématiques suivantes :

  • La définition de critères se rapportant aux réseaux matériels (communications physiques, flux de populations etc.) par rapport à ceux qui concernent des réseaux immatériels (information, contrôle administratif)
  • La symbolique du réseau et son ambivalence : le terme de circulation (synonyme de fluidité) s’opposant ici à celui de surveillance
  • la figure métaphorique du « passeur », en particulier dans le champ éducatif
  • la question de la relation à autrui

Bibliographie

Cauquelin, A., 2015, Les Machines dans la tête, Paris, PUF.

Cotton, A.-M., 2017, Qu’apporte l’identité collective des associations professionnelles à la construction de l’identité professionnelle du responsable de la communication ? Question(s) de management 1, n° 16.

Héber-Suffrin, C., 1998, Les savoirs, la réciprocité et le citoyen. Desclée de Brouwer.

Musso, P., 2003, Critique des réseaux. PUF.

Saint-Simon, Cl.-H. de, 1805, Lettres d’un habitant de Genève à ses contemporains. Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 4-41814.

Serres, M., 2014, Pantopie : de Hermès à petite poucette. Entretiens avec Martin Legros et Sven Ortoli, Paris, Le Pommier.

Signorile, P., 1993, Paul Valéry philosophe de l’art l’architectonique de sa pensée à la lumière des “Cahiers”, Paris, Vrin.

Citer cet article

Référence électronique

Loïc Chalmel, « Avant‑propos », Strathèse [En ligne], 8 | 2018, mis en ligne le 01 septembre 2018, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/strathese/index.php?id=706

Auteur

Loïc Chalmel

Professeur, université de Haute Alsace – LISEC

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