De l’antidote universel à l’objet d’art, trois siècles d’histoire du bézoard

From a universal antidote to an art object: three centuries in the history of bezoars

Vom universellen Antidot zum Kunstobjekt: drei Jahrhunderte in der Geschichte der Bezoare

DOI : 10.57086/sources.794

p. 29-48

Résumés

Les savants de l’époque moderne considèrent la pierre de bézoard comme une concrétion qui se produit dans les intestins de nombreux animaux en Asie et en Amérique. Outre son utilisation en médecine, le bézoard est également un objet d’art collectionné dans les cabinets de curiosités. Au croisement entre science et art, entre Orient et Occident, cet objet attire l’attention des historiens de l’art. Entre le xvie siècle et le xviiie siècle, quantité d’ouvrages évoquent cet objet singulier et en fournissent parfois des définitions qui permettent de mieux l’identifier. On y découvre quelques vertus qui étaient prêtées aux bézoards, notamment sur le plan médicinal et économique. Cela permet de comprendre pourquoi et comment ils ont servi de base à la conception et à l’élaboration d’objets d’art étonnants, comme ceux qui sont actuellement conservés au Kunsthistorisches Museum de Vienne.

In the modern period, scientists considered bezoar stones as concretions formed in the intestines of many animals in Asia and America. In addition to being used in medicine, bezoars were also considered as art objects and often found in cabinets of curiosities. At the crossroads between science and art, between East and West, bezoars have been attracting the interest of art historians. Between the 16th and the 18th centuries, many books mentioned this singular object and gave definitions that can help better identify it. They described the virtues that were then attributed to bezoars, especially from a medical and economic point of view. This can help understand why and how they were used as a basis for the creation of astonishing art objects, such as those that are currently housed in Vienna’s Kunsthistorisches Museum.

In der Neuzeit betrachteten Wissenschaftler Bezoarsteine als Konkretionen, die sich in den Därmen zahlreicher Tiere in Asien und Amerika gebildet hatten. Neben ihrer Verwendung in der Medizin wurden Bezoare auch als Kunstobjekte betrachtet und befanden sich häufig in Kuriositätenkabinetten. An der Schnittstelle zwischen Wissenschaft und Kunst, zwischen Ost und West angesiedelt, haben Bezoare das Interesse der Kunsthistoriker auf sich gezogen. Zwischen dem 16. und dem 18. Jahrhundert wurde dieser einzigartige Gegenstand in vielen Büchern erwähnt und definiert, um ihn besser identifizieren zu können. Die Werke beschreiben die Tugenden, die man den Bezoaren damals zuschrieb, vor allem aus medizinischer und ökonomischer Sicht. Dies hilft zu verstehen, warum und wie sie als Grundlage für die Schaffung erstaunlicher Kunstobjekte verwendet wurden, wie etwa jene, die sich derzeit im Kunsthistorischen Museum in Wien befinden.

Plan

Notes de l’auteur

Cette recherche a été menée avec le soutien financier de la Bourse de Master du Comité français d’histoire de l’art de 2018.

Texte

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La pierre de bézoard fut également inconnue dans le temps. Certains considèrent qu’il s’agit de la larme du cerf. Après avoir dévoré un serpent, le cerf se lance dans l’eau afin de digérer le venin, et il a l’habitude de pleurer fortement. Dès lors, on dit que cette larme durcie et tombée par terre est le bézoard. Mais c’est faux2.

De nos jours, le bézoard est défini comme un « corps étranger trouvé dans l’estomac et l’intestin grêle3 ». Il n’existe pas de définition universelle et absolue du bézoard à l’époque moderne, mais les savants de cette période considèrent également la pierre de bézoard comme une concrétion. Celle-ci se produit dans les intestins de nombreux animaux mammifères tels que la chèvre, le singe, le serpent, le porc-épic, le sanglier, le bœuf, le cheval, l’éléphant, l’hippopotame ou le rhinocéros. Sa formation dépend dans une large mesure des herbes aromatiques et résineuses qui ne poussent que dans des pays chauds4. Pour cette raison, le bézoard est principalement importé d’Inde et de Perse par les marchands et les colonisateurs qui y séjournent.

Le bézoard est désigné de trois manières : en premier lieu, le bézoard oriental que l’on trouve principalement en Asie ; puis le bézoard occidental originaire d’Amérique et découvert après le précédent, mais dont la vertu est moins estimée par les marchands ; enfin la pierre de Goa qui désigne le bézoard artificiel5. Quand ils arrivent en Inde à la fin du xve siècle, les Portugais commencent à recenser les richesses du pays, parmi lesquelles se trouve le bézoard. Certaines rumeurs évaluent son prix comme étant dix fois supérieur à celui de l’or6. Le fait résulte d’une part de la rareté de cet objet, de l’autre de ses applications dans le domaine de la médecine. En Europe, l’utilisation du bézoard en tant que médicament remonte au Moyen Âge. Ses propriétés médicinales étaient déjà connues au xiiie siècle, au Proche-Orient, chez les médecins arabes7. Du fait des échanges entre l’Europe et l’Asie, du Portugal aux régions germaniques, l’utilisation du bézoard se répand à travers l’Europe, où on l’utilise surtout pour se prémunir des poisons et de certains troubles de l’humeur, à l’instar de la mélancolie alors perçue comme une maladie.

Le bézoard est ainsi un objet très prisé par les collectionneurs européens de l’époque moderne. Certains bézoards sont d’ailleurs ornés de métaux rares et de pierres précieuses, en particulier des joyaux, et conservés dans des cabinets de curiosités. Cette pierre « précieuse » et « magique » est parfois suspendue dans le temple des divinités des Indiens8. On lit dans le Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle qu’en Hollande, cette pierre est portée sur le corps dans une boîte d’or ou d’argent, parfois recouverte d’une sorte de filigrane et que l’on en voit dans plusieurs cabinets de curieux et de naturalistes9. Elle peut aussi être montée sur un pied de métal précieux, accompagnée de motifs végétaux et animaliers. Certains bézoards sont placés à l’intérieur d’un récipient fabriqué avec des matières précieuses et gravé en bas-relief, afin d’en faciliter la consommation et de renforcer leur effet médicinal. Généralement associés à un travail de monture et de décoration, les bézoards qui sont conservés dans les cabinets de curiosités sont dotés d’une dimension esthétique qui a retenu l’attention des historiens de l’art. En posséder, c’est, pour les collectionneurs, apporter à la fois la preuve de leur richesse et de leur statut social élevé. Cependant, à la fin du xviiie siècle et durant tout le xixe siècle, des voix s’élèvent pour critiquer les pratiques des siècles passés, considérées comme irrationnelles. Dès lors, les points de vue favorables au bézoard se raréfient de plus en plus.

Si l’on en juge à la fois par les catalogues de vente publiés du xvie au xviiie siècle et par les collections des musées, il est certain que l’engouement remarquable qu’a suscité le bézoard a concerné la quasi-totalité de l’Europe entre le xvie siècle et le xviiie siècle. Les princes sont alors fascinés par cet objet paradoxal, à la fois médicinal et artistique, lié aussi bien à l’alchimie qu’à l’essor de la science moderne. Dans ce contexte, la collection de la Maison de Habsbourg, collection privée des empereurs du Saint-Empire romain germanique désormais conservée au Kunsthistorisches Museum de Vienne, requiert toute notre attention.

Ainsi, l’étude du bézoard rentre dans le cadre de la recherche non seulement sur les cabinets de curiosités de l’époque moderne, mais également sur le croisement entre l’art et les savoirs. Il est curieux de se demander, outre les valeurs médicinales et économiques maintes fois évoquées depuis des centaines d’années, quelles compréhensions et réflexions épistémologiques peuvent être apportées au bézoard dans le champ de l’histoire de l’art de nos jours.

Les études consacrées au bézoard ne sont pas tombées dans l’oubli malgré son déclin au xviiie siècle. Si Julius von Schlosser, au début du xxe siècle, offre pour la première fois un panorama détaillé des collections habsbourgeoises10, cette pierre précieuse, qui a suscité de nombreuses passions voire de nombreux fantasmes dans le passé, n’est pas l’objet d’une attention particulière. Plus récemment, le bézoard a de nouveau été étudié dans un des articles du catalogue édité par Dominique Moncond’huy et publié en 2013, prenant le terme du « bézoard » dans son intitulé. Pourtant l’auteur met plus l’accent sur la falsification de l’objet, son prix et son aspect exotique. La thèse de Jean-Baptiste Maillé soutenue un an plus tard creuse plus profondément la question du bézoard. Cependant, cette thèse insiste davantage sur les aspects médicaux et scientifiques de celui-ci11. Bien que depuis la Renaissance, nombre de savants aient consacré leur effort à retracer l’historiographie du bézoard et à le décrire de manière détaillée et minutieuse, l’objet est très rarement étudié en tant qu’œuvre d’art par les historiens de l’art. Pourtant, si l’on tient compte de son histoire, de ses origines, de la diversité de ses usages, le bézoard garde aujourd’hui tout son pouvoir de fascination, qui tient à sa nature polysémique, au croisement entre arts, sciences et savoirs. Partant de ce constat, on commencera par explorer quelques sources qui, du xvie siècle au xviiie siècle, permettent de proposer une définition plus précise du bézoard, de ses caractéristiques et de ses composantes. Après quoi, on tentera de mieux cerner les propriétés qui lui étaient attribuées du point de vue médical et économique. Enfin, on analysera les données matérielles, techniques et stylistiques des bézoards conservés au Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Le bézoard - trois siècles d’histoire sur le continent européen

Avant toute chose, il est indispensable de tenter une définition du bézoard à partir de ce que les savants et les érudits de la période moderne en ont dit.

Le bézoard oriental

Le médecin et botaniste portugais Garcia de Orta (1499-1568) s’est consacré très tôt à cet objet. En 1534, il est désigné comme médecin de Martim Afonso de Sousa, général en chef puis gouverneur des Indes. Il part pour les Indes où il exerce la médecine et fait commerce de produits médicaux locaux et de pierres précieuses. En 1563, il publie son ouvrage le plus réputé, Colóquios dos simples e drogas da India12, premier traité de la médecine tropicale en Europe. Le quarante-cinquième « colloque » du livre explique que le bézoard est appelé bezar en Europe et que les Indiens l’appellent bazar, ce qui signifie « la pierre du marché ». En persique et en arabe, il est nommé pazar, du persan pazam, nom d’un certain grand bouc à Goa portant cette pierre13. Dans un discours plus tardif, on apprend que cet animal se trouve « en Inde, ou du Gange, et montagnes voisines de la région de Chiua14 », son poil est « court, et pour la plupart, de couleur cendrée et rousse15 ». De même grandeur et de même agilité qu’un cerf, avec cependant des cornes recourbées vers le dos, l’animal est nommé « chèvre-cerf » par l’auteur. L’étrange pierre se forme donc dans le ventre de ces animaux d’Asie. Le bézoard présente en effet un très fin morceau de paille en son cœur, et c’est autour de ce noyau qu’il se constitue et s’enroule à la manière d’un oignon16. Il se compose de petites lames, ou écailles, luisantes comme si elles étaient polies. Si la deuxième écaille est plus brillante, elle atteste l’authenticité de la pierre. Ces lames ou écailles sont plus épaisses les unes que les autres selon la grosseur et la grandeur de la pierre. De taille variable, le bézoard est généralement ovoïde, sa forme étant plus ou moins ronde, plus ou moins aplatie, sans jamais présenter de pointes aiguës en ses extrémités. De Orta compare sa forme aux noyaux de dattes, aux œufs de ramiers, aux rognons de chevreaux, ou encore aux châtaignes. Cette pierre polie est douce au toucher ; laissée longtemps dans l’eau, elle fond. Elle compte aussi de nombreuses variations de couleur : certains bézoards sont de couleur brun-rougeâtre, ou de couleur de miel, mais la plupart sont d’un vert tirant sur le noir et d’autres encore sont de couleur cendrée17.

Au début du xviie siècle, Anselmus Boëtius de Boodt (1550-1626), médecin de l’empereur Rodolphe II (1552-1612), en fournit une description détaillée dans son livre Gemmarum et Lapidum Historia18. Comme le suggère De Orta, il propose que l’étymologie de « bézoard » trouve sa source dans le mot persique Pazar ou pazan, signifiant bouc, ou de beluzaard, terme hébraïque et chaldaïque signifiant « maître de venin ». De fait, tous les contrepoisons tirés de cette pierre miraculeuse sont appelés, par antonomase, bezoardica. Anselmus Boëtius de Boodt décrit également les formes de bézoard : oblongues ou orbiculaires, toujours émoussées. Leur couleur est principalement sombre, mais il en existe aussi d’aspect plus clair. Quant à ses composantes, le bézoard présente des membranes ou de petites écailles se recouvrant les unes les autres, quelquefois rompues, avec, au cœur de la pierre, une tige, ou une herbe faisant office de noyau.

En 1676, le voyageur et commerçant français Jean-Baptiste Tavernier (1605-1689) publie ses récits de voyages19 dont le deuxième tome est consacré à ce qu’il a pu observer en Inde. On y lit que le bézoard se produit dans le ventre de la chèvre, autour d’un bouton d’arbrisseau non digéré, en prenant la forme de ce dernier. Il pourrait ainsi peser jusqu’à dix-sept, voire dix-huit onces suivant les différentes formes qu’il prend20. Tavernier mentionne d’autres types de bézoards relativement plus rares à acquérir, comme celui des singes, de forme ronde uniquement21, ou encore la pierre de porc-épic qui est localisée dans la tête de l’animal, ou la pierre de serpent, épaisse au milieu et mince sur les bords. Mais il ne paraît pas convaincu de l’authenticité de ces trois bézoards. Il estime qu’il s’agit de bézoards fabriqués par des « idolâtres », mais sans fournir plus d’explications sur les intentions exactes qui motivent de tels agissements.

En 1694, Pierre Pomet (1658-1699) publie une Histoire générale des drogues22, accompagnée d’une illustration de l’animal porteur de l’étonnante concrétion. Selon lui, le bézoard est le nom commun pour désigner à la fois l’animal et la pierre que les Indiens appellent Pazan. Pomet prétend avoir vu deux bézoards, ainsi que l’animal qui les porte. Il offre une description détaillée de la « tunique » du bézoard :

Cette tunique […] est de la grosseur d’un œuf d’oie, garnie au dehors d’un poil rude, court, d’une couleur tannée, laquelle étant coupée en deux, il s’y rencontre une coque, […] mince et brune, qui sert de couverture à une autre coque blanche et dure comme un os, […] où est contenue cette pierre, à qui on a donné le nom de Bezoar23.

Le savant italien Ulisse Aldrovandi (1522-1605) s’accorde avec De Boodt concernant le nom du bézoard. Il explique qu’il dérive soit de pazan, qui, en arabe, désigne l’animal porteur de cette pierre, soit de belzoar, bezaar ou Pazar, signifiant « maître du venin24 ». Un médecin et botaniste espagnol de la Renaissance, Nicolas Monardes (1493-1588), cité par Aldrovandi, signale que le bézoard pourrait en même temps trouver son origine dans la bile, à l’intérieur des intestins, ou dans d’autres parties creuses du corps. Au milieu de ces pierres de bézoard, une poudre est produite, semblable à de la paille ou à de l’herbe sèche. Les unes sont de forme ronde comme des avelines, les autres plus allongées comme de petits noyaux des dattes. Ces pierres sont d’une couleur assez sombre ou cendrée, d’un vert jaunâtre tirant parfois sur le noir. Aldrovandi mentionne que le poids varie même si la grandeur est similaire : il y en a qui pèsent seulement la moitié d’une drachme, d’autres quelques drachmes, jusqu’à douze ou quinze25. Afin d’affirmer l’existence du bézoard chez la chèvre, Aldrovandi propose, à la manière de chasseurs expérimentés et exercés, d’observer attentivement ces animaux. S’ils paraissent moins habiles et moins agiles et qu’ils semblent lents et mélancoliques, il est probable que les plus grandes pierres y soient cachées.

Au milieu du xviiie siècle, un mémoire de l’Académie Royale des Sciences de Paris26 rédigé en allemand reprend la description du bézoard par ses prédécesseurs, mais en remplaçant la paille par un noyau, présenté comme étant le plus souvent un fruit ou une graine :

Le bézoard est une pierre, que l’on trouve dans certains cas dans le ventre des animaux indiens. Il est considéré dans l’art de la médecine comme un remède fortifiant le cœur. Il se compose de couches qui ont un point au milieu, l’une entourant l’autre, disposées autour d’un noyau qui est, pour ainsi dire, son centre. Parfois, le noyau se trouve librement au fond du bézoard et on peut entendre des bruits de cliquetis27.

Ces fruits ou graines sont similaires à la casse et au tamarin, mais plus petits, de tels arbres poussant plutôt en Égypte et en Arabie. Le noyau est souvent résineux et limpide, d’une couleur jaunâtre, ayant une saveur d’herbe. Les matières du noyau peuvent varier considérablement et se composer quelquefois de caillou, de sable, de bois, de métal, de charbon, etc.

Le philologue et lexicographe anglais Nathan Bailey (?-1742) distingue, dans son An Universal Etymological English Dictionary28, différents types de bézoards selon leurs origines et leurs composants métalliques. Dans son traité publié en 1703, Robert Pitt (1680-1727), enseignant en anatomie à Oxford et élu membre de la Royal Society, confirme, en se fondant notamment sur des ouvrages antérieurs, l’origine indienne du bézoard et la tradition de son utilisation médicinale comme antidote dans la quasi-totalité de l’Europe. Il constate l’engouement des malades pour ce médicament miraculeux dont l’utilisation prophylactique est attestée en Occident au moins depuis la Renaissance.

Le bézoard occidental et la pierre de Goa

Le bézoard provenant du continent américain, plus précisément du Pérou, est appelé « bézoard occidental », et celui venant d’Asie « bézoard oriental ». Selon Pierre Pomet, tout comme le bézoard oriental, le bézoard occidental est formé par les chèvres, parfois par les cerfs du continent américain. Il est plus volumineux, d’une taille qui équivaut à celle d’un petit œuf de poule. Contrairement à la couleur du bézoard oriental, qui est toujours sombre, celle du bézoard occidental est généralement d’un blanc grisâtre. Il est composé de plusieurs couches d’écailles, mais ces dernières sont bien plus épaisses que celles du bézoard oriental. Son odeur est très suave29. Le bézoard occidental varie de teinte, mais ceux présentant des tonalités de cendre, blanc, noir et gris foncé sont les plus réputés30.

Concernant la pierre de Goa, elle est fabriquée par les Jésuites installés dans cette partie occidentale de l’Inde, qui possèdent le savoir-faire nécessaire. Elle est en fait une extension du bézoard, un objet artificiel composé de certaines poudres ou préparations contenant des extraits de bézoards31. Citons également le bézoard minéral, apparu dès le xviiie siècle avec l’essor de la chimie. Selon un recueil de mémoires de l’Académie des sciences, le bézoard minéral est une « terre réguline chargée et pénétrée d’une certaine quantité des acides marins et nitreux32 », une matière facticement composée à l’aide d’une opération chimique.

L’ensemble des ouvrages et des auteurs mentionnés ci-dessus permettent ainsi d’obtenir une synthèse des différentes définitions du bézoard entre la Renaissance et le siècle des Lumières, en particulier en Europe, tant pour ce qui regarde son apparence et ses composantes que pour ce qui concerne l’évolution de ses significations. Cette petite enquête lexicographique aide sans doute à mieux comprendre l’effervescence qu’a suscitée le bézoard et donc sa présence dans les collections artistiques tout au long de la période envisagée.

Les valeurs médicinale et économique du bézoard à l’époque moderne

La vertu médicinale et son usage

Le bézoard, dès sa découverte, est connu pour être un contrepoison. Le premier écrit qui le mentionne en tant que médicament est vraisemblablement celui d’Avenzoar (1091-1162), médecin arabe de l’empire almoravide, vivant au xiie siècle33. Avenzoar prescrit l’équivalent de trois grains d’orge de bézoard pour ses malades34. C’est pour les qualités de cette pierre que les Hébreux lui donnent le nom de Bel Zaard, qui signifie « maître du venin ». Le marchand droguiste Pierre Pomet conseille à ses lecteurs la dose à appliquer pour ce remède : de quatre grains jusqu’à six ou douze en poudre dans une liqueur appropriée à la maladie35. Selon Ulisse Aldrovandi, le bézoard peut être bu, avalé, maintenu en bouche, porté sur soi ou infusé. Assimilée de ces différentes manières, la pierre provoque une sueur qui fait fluer le venin à la surface du corps. En la portant directement au contact d’une partie du corps, on se prémunit contre les poisons et contre d’autres objets nocifs. La poudre du bézoard est également d’une grande efficacité quand on l’applique sur les morsures des animaux venimeux car elle annihile le mauvais fluide du poison. Cette expérience est recommandée par Aldrovandi pour les piqûres de scorpions. Nappées de cette poudre, les blessures sont rendues inoffensives36. Certains croient que le bézoard a des propriétés analeptiques : après inhalation de la poudre durant une quinzaine de jours, les membres du corps se fortifient. Cependant, Aldrovandi ajoute que seul le bézoard des chèvres de montagne peut être utilisé en tant que remède efficace ; tout comme l’atteste Nicolas Monardes, les chèvres de la plaine ne se nourrissent pas d’herbes salutaires37. Signalons encore que Guido Panciroli relate une anecdote à propos des propriétés magiques d’un bézoard qui aurait sauvé un criminel du poison, sous l’ordre de l’empereur de Vienne38. Mais le bézoard n’était pas seulement destiné à soigner les maladies physiques, il permettait aussi de fortifier et de purger l’esprit à la manière d’un cordial39.

Garcia de Orta souligne en outre ses propriétés pour soigner les séquelles de la peste ainsi que les maladies mélancoliques, comme la chaleur épineuse, la lèpre, la démangeaison et la teigne40. Il confirme l’avoir employé pour d’autres maladies comme la fièvre quarte41. Dans son Discours, il rapporte que cette pierre montre toute son efficacité non seulement en « la buvant au poids de douze grains ou la suçant dans la bouche, mais aussi en l’appliquant sur les plaies et morsures de bêtes venimeuses42 » ; elle a la magie de guérir immédiatement le malade, « faisant sortir le poison par la sueur43 ». Pierre Pomet met quant à lui l’accent sur l’effet médicinal du temps passé. Le bézoard peut garantir le cœur du mauvais air, il est également un « fort excellent remède pour ceux qui ont la petite vérole, ou autres maladies pestilentielles44 ». On l’utilise en outre pour soigner les vertiges, l’épilepsie, la palpitation de cœur, la jaunisse, la colique, la dysenterie et la gravelle45. Il est aussi estimé efficace contre les vers, les fièvres malignes et peut faciliter l’accouchement. Les savants du Saint-Empire romain germanique fournissent également des explications très détaillées sur l’application médicale du bézoard. D’après Sigismund Klepperbein, par exemple, le bézoard est un émonctoire qui permet de soigner la constipation, l’engorgement des poumons, du foie, des reins, de la vessie. D’un goût suave, cet excellent dépuratif favorise la sudation et la miction ; il est cependant à utiliser avec modération. Si le patient ressent un encombrement au niveau du ventre, il lui sera conseillé de prendre, dans un premier temps, un bain, puis, une fois sorti de l’eau, d’absorber quarante à cinquante gouttes de bézoard avec un verre de bière, cela plusieurs fois et durant huit jours. Afin de traiter la toux, les glaires, la fièvre, Klepperbein recommande des doses précises de bézoard, à absorber avec du lait maternel ou de la bière. En se servant du bézoard, on peut aussi soigner la vérole, la rougeole, la miliaire et d’autres maladies similaires. Klepperbein confirme avoir guéri la vérole sur un patient en lui administrant une dose d’alcoolature de bézoard toutes les quatre heures durant la journée. Le bézoard est aussi d’une grande aide contre les poisons de métaux toxiques tels l’arsenic, l’antimoine et le mercure46. Il confirme que le bézoard facilite l’accouchement et qu’il sert de cordial aux chrétiens47. Pour ce qui concerne les bézoards occidentaux, ils fonctionnent de même manière contre les maladies, le poison, les vers de la suppuration, les blessures toxiques et la fièvre, en particulier la fièvre quarte48, mais sont peu estimés, « parce qu’ils n’ont pas été aussi vantés, n’ont été connus que dans des temps moins crédules, et parce qu’on a pu s’en procurer à peu de frais49 ».

Malgré toutes les vertus attribuées aux bézoards, ceux qui, à partir du xviiie siècle, demeurent convaincus de son efficacité thérapeutique se font de plus en plus rares. Ce « magni nominis umbra50 » n’est plus qu’une concrétion, une maladie particulière. Ses propriétés de guérison prétendues par les savants des deux siècles précédents sont de plus en plus mises en question51. Des voix s’élèvent, telle celle de Robert Pitt, qui rapporte une anecdote rappelant celle de Panciroli : sauf que cette fois, les criminels n’échappent pas à la mort, malgré l’utilisation du bézoard52. L’ancestrale réputation du médicament paraît s’être perdue. Pitt mentionne d’ailleurs un médecin français très réputé au cours du xviie siècle, Guy Patin, professeur au Collège Royal de France, qui raille l’usage de toutes sortes de bézoard. Patin estime qu’il n’agit pas sur le sang et ne remue aucune émotion53. En vérité, il n’est pas possible que cette pierre soit efficace contre tous les poisons, puisque ceux-ci diffèrent fondamentalement dans leur nature même : certains sont corrosifs, d’autres inflammatoires, d’autres encore coagulent le sang en raison de leur nature « froide54 ». De plus, il n’est pas vérifié que la poudre de bézoard se dissolve dans l’estomac humain, en particulier si le patient est affaibli par la fièvre maligne55. Robert Pitt ironise en outre sur la dose « ridicule » prescrite par les médecins de l’ancien temps, limitée à quelques petits grains56 : pour lui, une dose de cinquante grains n’a aucune incidence sur la santé, il s’agit seulement d’un placebo57. Pitt estime que les médecins de son temps ne croient pas en l’efficacité médicinale du bézoard, mais qu’ils n’osent la remettre en question, craignant sans doute que cela ne les prive d’une partie de leur clientèle.

La valeur économique

En ce qui concerne la valeur économique du bézoard, bien qu’elle n’ait aucune incidence sur sa vertu médicinale58, Garcia de Orta souligne que sa taille fixe son prix. En effet, il est courant de penser qu’une taille plus importante est un gage de meilleure vertu. La valeur d’une pierre de bézoard est équivalente à celle d’une grande maison, voire d’un palais59. Jean-Baptiste Tavernier confirme la relation entre la taille et le prix : comme le rapporte De Orta, le prix augmente proportionnellement, comme le diamant. Si cinq ou six bézoards pèsent une once, l’once vaudra de quinze à dix-huit francs ; mais si un bézoard pèse une once, l’once vaudra bien cent francs. Celui de quatre onces et quart que Tavernier a vendu coûte deux mille livres60. Les chèvres qui les portent peuvent également se vendre à un prix important, selon la quantité de bézoards se trouvant dans leur ventre.

Guido Panciroli donne des chiffres précis sur le prix du bézoard : cinq drachmes de bézoard valent soixante couronnes hongroises. En 1660, un bézoard est vendu à 100 000 francs. Comme le prix est évalué selon le poids, plus la pierre est grande, plus le prix est élevé61. Dans le Dictionnaire universel de commerce, les chiffres sont encore plus précis. En 1740, le prix pour les bézoards occidentaux est de huit livres l’once. Celui du Levant coûte deux à huit ou dix livres l’once et celui d’Espagne, pesant quatre à cinq-cents onces, s’élève à 30 ou 40 sols l’once62. Dans une publication plus récente, Guido Schönberger compare le prix de la corne de licorne avec celui du bézoard, de l’ivoire et du rubis entre 1612 et 174363. Cela permet non seulement de suivre l’évolution chronologique des prix du bézoard, mais également de le comparer avec d’autres médicaments précieux, offrant ainsi une perspective plus complète (tab. 1).

Comme la pierre venant des singes est beaucoup plus rare, elle est aussi beaucoup plus recherchée et donc plus chère. Même lorsqu’elle est aussi petite qu’une noix, elle vaudrait plus de cent écus64. La pierre formée dans la tête du porc-épic est également fort estimée. Tavernier affirme en avoir acheté trois, dont une à cinq-cents écus, une autre à quatre-cents et la troisième à trois-cents écus65. Le Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle rapporte qu’au Portugal, la pierre de bézoard est toujours fort appréciée. Elle peut également se porter en amulette afin de se préserver de la contagion de différentes maladies ; elle peut se louer jusqu’à dix à douze francs par jour66.

Si le bézoard suscite de telles spéculations, il importe d’en préciser un peu plus les raisons. Outre les propriétés prophylactiques qui lui sont prêtées, Tavernier et Pomet avancent d’autres explications possibles : le bézoard se forme chez les animaux de manière aléatoire et de ce fait ceux qui veulent en faire négoce ont beaucoup de peine à en trouver sous une forme naturelle. Les espèces d’animaux concernées en produisent fort peu, souvent n’en produisent pas du tout, et il n’est absolument pas assuré d’en trouver dans leurs entrailles une fois qu’ils seront morts. En outre, le bézoard provient souvent de pays très éloignés d’Europe occidentale, ce qui entraîne des coûts considérables pour le transport et les frais de douane67. Dans la région productrice, les propriétaires de chèvres portant des bézoards ont le choix de les vendre ou non, mais doivent s’acquitter au roi 6 000 pagodes vielles (45 000 livres à l’époque) pour la ferme68.

Certes, l’appréciation des valeurs attribuées au bézoard ne se borne pas aux érudits, apothicaires et médecins. Un vif intérêt s’est rapidement manifesté auprès des princes européens qui appellent souvent des savants à venir à leurs cours et à les entourer. Non seulement collectionnent-ils dans leurs cabinets de curiosités cet objet rare et miraculeux à leurs yeux, mais aussi, les princes commandent parfois auprès des artistes la décoration soigneuse de cette pierre précieuse afin qu’elle devienne une véritable œuvre d’art. Ainsi, le bézoard de l’époque moderne n’est pas seulement un sujet d’étude scientifique, mais de plus, il correspond aux centres d’intérêt dans le domaine de l’histoire de l’art.

Tab. 1 : Évolution du prix du médicament de licorne en comparaison avec trois autres médicaments dans les taxes des pharmaciens de Francfort 1621-174369

  qté 1612 1626 1628 1634 1643 1669 1686 1743
Corne de licorne 1 gran 8 alb
16 kr
4 alb
8 kr
4 alb
16 kr
6 alb
12 kr
4 alb
8 kr

1 kr

1 kr
 
1 lot 64 fl 32 fl 32 fl 48 fl 32 fl 4 fl 4 fl 10 kr
Bézoard oriental 1 gran 4 alb
8 kr
2 alb
4 kr
3 alb
6 kr
3 alb
6 kr
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La collection de bézoards du Kunsthistorisches Museum de Vienne

Considérant son prix sur le marché, la pierre de bézoard est destinée à une clientèle très restreinte et fortunée. Qu’ils soient orientaux ou occidentaux, la plupart des bézoards importés en Europe sont conservés dans les cabinets de curiosités ; ils sont en général rehaussés d’or et de pierres précieuses et d’une décoration raffinée, ce qui leur permet de se métamorphoser en objet d’art. À travers le temps, la frénésie collectionneuse s’étend des nobles et des princes jusqu’aux milieux aristocratiques et bourgeois, parmi lesquels on trouve des apothicaires. Au moyen des catalogues des cabinets de curiosités70 et des collections présentes dans les musées, il est possible de se représenter la répartition du bézoard en Europe à l’époque moderne.

La pierre de bézoard est présente dans les musées européens et américains, tels que le Metropolitan Museum of Art de New York, le British Museum et le Science Museum à Londres, le Musée Dobrée à Nantes, le Landesmuseum à Stuttgart, la Schatzkammer à Munich et le Grünes Gewölbe à Dresde. Si le bézoard n’est pas si rare des deux côtés de l’Atlantique, ses collections sont plus importantes au cœur de l’Europe. On trouve dans la Kunstkammer du Kunsthistorisches Museum de Vienne au total douze objets comprenant un bézoard, tous montés en métal précieux ou travaillés avec soin.

Ces objets datent de l’époque moderne, plus précisément de la période qui s’étend de la première moitié du xvie siècle au début du xviiie siècle. Ils couvrent le règne de neuf souverains, de Maximilien Ier (1549-1519) à Léopold Ier (1640-1705) en passant par Charles Quint (1500-1558) et Rodolphe II (1552-1612). Ils appartenaient à la Maison de Habsbourg qui a exercé une grande influence sur l’Europe de l’Ouest et sur l’Europe centrale, en lien avec d’autres cours européennes. Tous ces objets à base de bézoard sont montés ou attachés à un récipient, l’ensemble offrant une combinaison de caractères stylistiques européen et asiatique. Quatre d’entre eux sont issus de la péninsule ibérique, un de Prague, un de Vienne, un de Ceylan, un de Chine, un d’Ormuz et trois de Goa, lieux où le bézoard faisait l’objet d’échanges commerciaux. On peut les classer en quatre catégories suivant leurs ornements et leurs fonctions : le bézoard serti d’un petit anneau à porter sur le corps, le bézoard en filigrane et en feuillage, le bézoard accompagné d’une statuette animalière, le bézoard servant de récipient.

Trois bézoards sont munis d’un anneau ou d’un cercle permettant d’enfiler une chaîne afin de le porter sur soi. Une des raisons de cette forme réside dans l’usage médical de cette pierre. En plus d’appliquer la pierre sur la peau, il est également conseillé de la porter sous la forme d’un pendentif, toujours dans le but de se prémunir du poison et du venin animal. Dans l’Europe du xvie et du xviie siècle, il est en effet très prisé parmi les nobles de porter un bézoard en amulette, en particulier chez les Espagnols et les Portugais. En raison de leurs colonies en Asie, ceux-ci sont d’ailleurs les premiers, dès les débuts de la Renaissance, à diffuser l’usage du bézoard en Occident. Ulisse Aldrovandi note également que le bézoard porté sur l’homme a pour vertu d’écarter le poison appliqué au corps71. Il remarque l’emploi du bézoard par Nicolas Monardes pour guérir les maladies mélancoliques. Il témoigne de la disparition des symptômes typiques de la fièvre, comme l’affliction de l’âme et l’anxiété, bien que le bézoard ne puisse pas être efficace contre la fièvre. Il rapporte également que l’empereur Charles Quint se sert souvent de cette force contre la tristesse en rendant sa vigueur au corps72. Dans les ouvrages de médecine, il est mentionné à de nombreuses reprises que le bézoard sert à fortifier l’esprit. En effet, la forme de ces trois pierres de bézoard conservées à Vienne s’apparente à celle du chapelet, objet dont on connaît l’importance et l’usage chez les Chrétiens, du fait de leur aspect spirituel73. Il est possible que le port du bézoard en amulette résulte partiellement de l’influence indienne, en particulier chez les Portugais, les premiers colonisateurs à s’emparer de ce territoire.

Parmi les bézoards collectionnés dans la Kunstkammer, deux sont filigranés (fig. 1 et 2). Le support du filigrane d’or ou d’argent est très répandu
en Europe à l’époque moderne74. Les deux bézoards en question sont richement décorés en filigrane d’or, en particulier celui datant de la fin du xviie siècle. Ses fils sont extrêmement fins : les motifs, principalement floraux et feuillés, s’étendent avec autorité, ce qui exige une technique artistique très subtile. En effet, les motifs végétaux possèdent le plus de variétés dans la forme ; ils permettent une meilleure combinaison décorative, lui offrant ainsi de riches possibilités de variation. Ces fils délicats en or torsadés sont soudés sur une plaque ou entre deux autres fils, laissant ainsi des espaces vides. Le filigrane produit ainsi un effet de broderie en métal. L’or est considéré comme le métal le plus précieux et le plus pur de l’alchimie et renforce la sensation de souplesse et d’harmonie.

Fig. 1 : Bézoard du duc d’Albe, bézoard, filigrane d’or, 16,2 cm, 4e quart du xvie siècle.

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Kunstkammer, Kunsthistorisches Museum, Vienne / Photographie : Di Fan, prises et reproduites avec l’aimable autorisation du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Fig. 2 : Bézoard en filigrane, bézoard, filigrane d’or, 11,6 × 7,6 cm, 4e quart du xviie siècle.

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Kunstkammer, Kunsthistorisches Museum, Vienne / Photographie : Di Fan, prises et reproduites avec l’aimable autorisation du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Deux bézoards décorés de statuettes animalières sont destinés principalement à être admirés : le premier est supporté par trois lions d’or hybrides (fig. 3) ; le second est placé dans une coquille de gastéropode gravée d’un motif de porc-épic sous un chêne (fig. 4). Les trois lions du premier objet sont sertis d’une émeraude sur leur buste. Ils pourraient faire référence au lion vert de l’alchimie. En effet, selon Michael Maïer, médecin et alchimiste à la cour de l’empereur Rodolphe II, le lion surpasse tous les autres animaux au niveau de sa taille, de sa vigueur corporelle et de sa générosité. Le lion est comparé au soleil, car il l’emporte sur tous les animaux, comme le soleil sur les astres75. En unissant l’émeraude, l’or et le lion, le possesseur montre son ambition de réaliser le Grand Œuvre tout en maîtrisant le microcosme et le macrocosme. Toutefois, il ne s’agit pas totalement d’un lion. L’autre moitié de son corps se termine par la queue d’une créature marine, ce qui pourrait signifier que son propriétaire ambitionne de conquérir non seulement la terre, mais également la mer. Sur le second objet, la figure du porc-épic – qui, comme celle des lions, est loin d’être naturaliste – est associée à la coquille du gastéropode Cypraea tigris. Il s’agit de deux animaux exotiques (pour le monde germanique) qui pourraient renvoyer à l’origine lointaine du bézoard. De plus, la fameuse concrétion provenant justement, ici, de la tête du porc-épic, est estimée plus puissante et plus pure que celle qui provient des entrailles d’une chèvre, car la tête est le lieu où domine l’esprit. L’avantage spirituel apporté par ce type de bézoard est souvent très apprécié par son possesseur. Ces deux bézoards unis aux figures animalières témoignent non seulement de la technique des arts décoratifs de l’époque, qui associe naturalia et artificialia, mais aussi des significations cachées qu’ils recèlent, avec des allusions à la pierre philosophale, qui permet la transmutation de tous les métaux en or et l’effacement de tous les maux pour une longue vie, si chère aux alchimistes.

Fig. 3 : Bézoard, bézoard, or, émeraudes, rubis, 25,5 × 16 × 13,3 cm, 3e quart du xvie siècle.

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Kunstkammer, Kunsthistorisches Museum, Vienne / Photographie : Di Fan, prises et reproduites avec l’aimable autorisation du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Fig. 4 : Bézoard, serti de chêne, avec cochon, bézoard oriental, or, coquille de tigre, vers 1700.

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Kunstkammer, Kunsthistorisches Museum, Vienne / Photographies : Di Fan, prises et reproduites avec l’aimable autorisation du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Au Kunsthistorisches Museum, cinq bézoards possèdent la fonction de récipient, dont un nous intéresse plus particulièrement. Il s’agit d’une coupe à boire, fabriquée en corne de rhinocéros indien durant la dynastie des Ming (1368-1644), en Chine, autour de 1600 (fig. 5). Elle contient un bézoard de couleur jaunâtre. Dans l’inventaire de la Schatzkammer de Vienne dressé en 1750, cette coupe est décrite ainsi : « Une coquille de taille moyenne de la même corne, taillée d’animaux en bas-relief, un bézoard à l’intérieur, la monture en vermeil76. » L’utilisation de la corne de rhinocéros n’est pas inhabituelle durant la dynastie des Ming. La matière première est d’abord importée au début de la dynastie et est gravée en tasse pour l’empereur et sa cour. L’art décoratif de la corne de rhinocéros connaît un véritable essor durant le règne de l’empereur Yongle (entre 1403 et 1424) grâce aux expéditions de l’Admiral Zheng He (1371-1433) jusqu’au Moyen-Orient et en Afrique de l’Est. Paysages, scènes littéraires, oiseaux et fleurs constituent les motifs les plus récurrents des objets d’art en corne de rhinocéros77. Sur la face extérieure de la coupe étudiée est gravé un paysage de style chinois, avec motifs de grue, phénix et « trois amis de l’hiver78 ». Le pin représente non seulement la longévité et l’endurance, mais aussi l’homme fort et courageux capable de surmonter les circonstances difficiles du fait du tronc robuste de l’arbre79. En plus de sa vitalité et sa longévité, le bambou est aussi renommé pour sa durabilité et sa résilience. Face à la tempête, le bambou plie mais ne rompt pas80. Le pin droit et le bambou flexible constituent deux qualités fort appréciées par les confucéens qu’un proverbe chinois résume bien : « L’homme de bien est droit et juste, mais non raide et inflexible ; il sait se plier mais pas se courber. » Le prunus est le seul arbre qui fleurisse en hiver et est ainsi l’emblème de l’endurance, de la persévérance, du renouvellement et de l’expectative81. Ses fleurs exquises et élégantes sont une métaphore de la beauté intérieure et de l’insoumission dans des conditions défavorables. La fleur a cinq pétales, chiffre important et propice qui correspond aux cinq éléments (métal, bois, eau, feu et terre) du concept cosmologique chinois datant de la dynastie Zhou de l’Ouest (environ 1046 av. J.-C.-771 av. J.-C.)82. Un grand confucéen Dong Zhongshu (179 av. J.C.-104 av. J.-C.) a attribué les cinq vertus à chacun de ces éléments : droiture au métal, bienveillance au bois, sagesse à l’eau, convenances au feu, honnêteté à la terre. Sur les « trois amis de l’hiver », symboles de bon augure, sont attribuées, selon leurs qualités naturelles, les vertus idéales confucianistes de l’homme lettré et vertueux de l’intégrité morale. Les plumes blanches de la grue s’apparentant aux cheveux blancs de l’âge mûr, l’oiseau est souvent le symbole de la longévité. Elle est aussi considérée comme étant au premier rang des oiseaux et représente un statut élevé dans la hiérarchie impériale83. De manière similaire, le phénix84 est considéré comme le roi de tous les oiseaux. Ne se présentant qu’en bonne occasion, celui-ci est aussi l’emblème de la paix et de la prospérité pour un empereur85. Le phénix peut également désigner l’impératrice, tandis que l’empereur est symbolisé par le dragon.

Fig. 5 : Récipient à boire avec bézoard, corne de rhinocéros indien (?) déformée et taillée, bézoard à l’intérieur, argent, or plaqué, émail, 12,8 × 13,8 × 9,8 cm, Dynastie des Ming (vers 1600).

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Kunstkammer, Kunsthistorisches Museum, Vienne / Photographie : Di Fan, prises et reproduites avec l’aimable autorisation du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

En Chine, la qualité médicinale de la corne de rhinocéros est très tôt réputée. Il se peut que l’association du bézoard et de la corne de rhinocéros soit faite dans le même dessein : en consommant des poudres du bézoard et en absorbant les qualités dissoutes de la corne dans le liquide, le possesseur peut lutter contre toutes les maladies et tous les poisons, et devenir puissant, voire immortel. L’entrée de cette coupe au sein de la collection reste une énigme, mais il est permis de penser qu’elle a pu être apportée en Europe par voie maritime, à la faveur d’échanges entre la Chine et l’Occident. Quoi qu’il en soit, cette œuvre met en évidence une combinaison des goûts européens et asiatiques – la monture étant ajoutée par les artisans ibériques, le bézoard et la corne de rhinocéros provenant de l’Asie avec motifs chinois – et, probablement, les expectatives curatives du collectionneur.

Conclusion

Le bézoard a été décrit minutieusement par les savants de la Renaissance dans leurs ouvrages : étymologie du terme, description des animaux portant la pierre, lieu d’origine, forme, couleur, composants, poids, prix et expertise de son authenticité, effets médicinaux, mais ils s’en cantonnent. L’importance artistique du bézoard était longtemps négligée. Au cours des xxe et xxie siècles, cette pierre précieuse apparaît dans de nombreux films cinématographiques destinés au grand public, à l’instar de l’heptalogie Harry Potter. Ceux-ci ont connu un fort succès et ont attiré encore une fois, quelques centaines d’années plus tard, une attention remarquée sur le bézoard. Il est désormais temps pour le bézoard de revenir sur le devant de la scène, en bénéficiant de l’intérêt suscité par les médias contemporains. Il est aussi temps de l’étudier dorénavant en tant qu’œuvre d’art, non seulement sous le regard des scientifiques d’histoire de l’art, mais également sous le regard d’un public bien plus large.

Pourtant, cet antidote légendaire était connu à la faveur des échanges internationaux et des explorations que menèrent les Européens en Asie et en Amérique. Il fut également un objet très recherché par les princes et les propriétaires de cabinets de curiosités entre le xvie siècle et le xviiie siècle, en particulier au sein de la Maison de Habsbourg. Les bézoards rassemblés dans leur Kunstkammer sont tous enrichis de pierres, de métaux précieux, ou encore de matériaux exotiques, comme l’or, l’émeraude et la corne de rhinocéros, dont les propriétés curatives et les significations symboliques augmentent la puissance du bézoard. Leur style n’est pas uniquement marqué par la tradition occidentale, puisque des motifs et des matières provenant d’Extrême-Orient sont très évidents. Dans ce sens, le bézoard témoigne non seulement des échanges commerciaux entre les deux extrémités du continent, mais également et notamment des échanges culturels entre ces deux terres riches de leurs propres traditions artistiques. Le bézoard qui associe l’art et le savoir reflète tout à la fois l’évolution des savoirs et des connaissances scientifiques, de l’alchimie à la médecine, les échanges culturels entre l’Orient et l’Occident, et, bien sûr, le savoir-faire d’artisans virtuoses au service de la curiosité des princes. Cet objet polysémique possède une valeur historique et artistique incontestable.

2 Guido Panciroli, Rerum Memorabilium, iam olim deperditarum : & contra recensatque ingeniose inventarum : Libri duo, a Guidone Pancirollo : Ic. cla

3 Le Dictionnaire de l’Académie nationale de médecine(édition 2017) donne une définition scientifique et actuelle du terme « bézoard » : « Corps

4 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Œuvres complètes, t. X, Paris, Librairie Abel Pilon, 1763, p. 205-211.

5 Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, appliquée aux arts, principalement à l’Agriculture et à l’Économie rurale et domestique : par une société

6 Voir Alexandre-Olivier Exquemelin, Histoire des aventuriers flibustiers qui se sont signalés dans les Indes, t. II, Trévoux, Par la Compagnie, 1775

7 Jean-Baptiste Maillé, Le bézoard, entité naturelle, objet de fantasmes, thèse de doctorat vétérinaire dirigée par Christophe Degueurce, École

8 G. Panciroli, Rerum Memorabilium…, op. cit., p. 270.

9 Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle…, op. cit., p. 151.

10 Julius von Schlosser, Les cabinets d’art et de merveilles de la Renaissance tardive : une contribution à l’histoire du collectionnisme, préface et

11 Myriam Marrache-Gouraud, « Dragons d’apothicaires et bézoards de bazar », dans Dominique Moncond’huy (éd.), La licorne et le bézoard : une histoire

12 Garcia de Orta, Colóquios dos simples e drogas da Indiae assi dalgũas frutas achadas nella onde se tratam algũas cousas tocantes a medicina

13 Idem, Colloques…, op. cit., p. 362-366.

14 Idem, Discours de la pierre de bezar avec ses facultez, & maniere d’en user & de la cognoistre, trad. Jean Coignet, Paris, Nicolas Benoist, 1587,

15 Ibid.

16 Ibid.

17 Ibid.

18 Anselmus Boëtius de Boodt, Gemmarum et Lapidum Historia, Leyde, Ex officina Joannis Maire, 1609, p. 361-364.

19 Jean-Baptiste Tavernier, Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier, t. II, Paris, Chez Gervais Clouzier et Claude Barbin, 1676, p. 348-353.

20 Ibid., p. 350.

21 Ibid., p. 351,

22 Pierre Pomet, Histoire générale des drogues, Paris, Jean-Baptiste Loyson et Augustin Pillon, 1694.

23 Ibid., p. 13.

24 Ulisse Aldrovandi, Quadrupedum Omnium Bisulcorum Historia, Bologne, Sebastiano Bonomi, 1621, p. 757.

25 Ibid., p. 759.

26 Der Königl. Akademie der Wissenschaften in Paris, Anatomische, Chymische und Botanische Abhandlungen, Breslau, Johann Jacob Korn, 1753.

27 « Bezoar ist ein Stein, den man an verschiedenen Orten des Bauches gewisser indianischen Thiere findet ; und der in der Arzenenkunst für ein gutes

28 Nathan Bailey, An Universal Etymological English Dictionary, Londres, Knapton, 1731.

29 P. Pomet, Histoire générale…, op. cit., p. 14.

30 Johann Jacob Bräuner, Thesauri Sanitatis Partis IV. Continuatio, Francfort-sur-le-Main, Samuel Tobias Hocker, 1717, p. 95.

31 J.-B. Maillé, Le bézoard…, op. cit., p. 44.

32 Académie des sciences, Histoire de l’Académie royale des sciences, année 1768, Paris, Imprimerie Royale, 1770, p. 529.

33 Société typographique, Dictionnaire portatif de commerce, contenant les principaux & nouveaux articles concernant le commerce, les finances, le

34 Gabriel Ferrand, Relations de voyages et textes géographiques arabes, persans et turks relatifs à l’Extrême-Orient du viiie au xviiie siècles

35 Ibid.

36 U. Aldrovandi, Quadrupedum…, op. cit., p. 760.

37 Ibid.

38 G. Panciroli, Rerum Memorabilium…, op. cit., p. 270.

39 Ibid.

40 G. de Orta, Discours…, op. cit., n. p.

41 Idem, Colloques…, op. cit., p. 362-366.

42 Idem, Discours…, op. cit., n. p.

43 Ibid.

44 P. Pomet, Histoire générale…, op. cit., p. 13.

45 Ibid.

46 L’efficacité du bézoard contre les métaux toxiques est très tôt confirmée par Panciroli. Voir G. Panciroli, Rerum Memorabilium…, op. cit., p. 

47 Sigismund Klepperbein, Tinctura Bezoartica Klepperbeiniana, Dresde, Joh. Michael Funcken, 1705, n. p.

48 J. J. Bräuner, op. cit., p. 96.

49 Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, op. cit., p. 152.

50 Ibid., p.151.

51 Ibid.

52 Robert Pitt, The Craft and Frauds of Physick Expos’d, Londres, Tim Childe, 1703, p. 38.

53 Ibid., p. 39.

54 Ibid., p. 37.

55 Ibid., p. 39.

56 « Les plus riches se purgent deux fois l’annees, assavoir en Mars & en Septembre, & apres s’estre purgez prennent cinq jours continuels dix grains

57 R. Pitt, The Craft…, op. cit., p. 39.

58 P. Pomet, Histoire générale…, op. cit., p. 13.

59 G. de Orta, Discours…, op. cit., n. p.

60 J.-B. Tavernier, Les six voyages...,op. cit., p. 349.

61 G. Panciroli, Rerum Memorabilium…, op. cit., p. 270.

62 Jacques Savary des Bruslons et Philémon-Louis Savary, Dictionnaire universel de commerce (4), t. III, partie II, Genève, Chez les héritiers Cramer

63 Guido Schönberger, « Narwal-Einhorn. Studien über einen seltenen Werkstoff », dans Georg Swarzenski et Alfred Wolters (éd.), Städel-Jahrbuch, vol. 

64 J.-B. Tavernier, Les six voyages...,op. cit., p. 351.

65 Ibid.

66 Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, op. cit., p. 152.

67 P. Pomet, Histoire générale…, op. cit., p. 10.

68 J.-B. Tavernier, Les six voyages...,op. cit., p. 349.

69 D’après G. Schönberger, « Narwal-Einhorn... », op. cit. Fl = florin, alb = albus, kr = kreutzer.

70 Voir Jean-Baptiste Louis de Rome de l’Isle, Catalogue des curiosités naturelles, qui composent le cabinet de M. de Béost, Collectionneur  :

71 U. Aldrovandi, Quadrupedum…, op. cit., p. 760.

72 Ibid.

73 Voir Erminia Ardissino, « Literary and Visual Forms of a Domestic Devotion : The Rosary in Renaissance Italy », dans Maya Corry, Marco Faini et

74 Helmut Trnek, Nuno Vassallo e Silva et al., Exotica : The Portuguese Discoveries and the Renaissance Kunstkammer, Lisbonne, Calouste Gulbenkian

75 Michael Maïer, Atalante fugitive, trad. Étienne Perrot, Paris, Dervy, 1997, p. 150-154.

76 H. Trnek, N. Vassallo e Silva et al., Exotica…, op. cit., p. 218.

77 Patricia Bjaaland Welch, Chinese Art : A Guide to Motifs and Visual Imagery, Boston, Tuttle Publishing, 2012, p. 144.

78 Les trois amis de l’hiver désignent le pin, le bambou et la fleur du prunus, symboles récurrents et importants dans l’art chinois. Le prunus

79 Ibid., p. 37.

80 Ibid., p. 20.

81 Ibid., p. 38.

82 Ibid., p. 226.

83 Ibid., p. 69.

84 Le phénix dans la légende chinoise est différent de celui communément représenté en Occident. Le terme « phénix » est représenté par deux

85 Ibid., p. 83.

Notes

2 Guido Panciroli, Rerum Memorabilium, iam olim deperditarum : & contra recensatque ingeniose inventarum : Libri duo, a Guidone Pancirollo : Ic. clariss. Italice primum conscripti, nec unquam hactenus editi : Nunc vero & Latinitate donate, & Notis quamplurimis ex Ictis, Historicis, Poetis & Philologis illustrati per Henricum Salmuth, 2 vol., t. II, Nova Reperta, Sive Rerum Memorabilium, recens inventarum, et veteribus plane incognitarum Guidonis Pancirolli IC. Liber Secundus. Jam primum ex Italico Latine redditus, & Commentariis illustratus ab Henrico Salmuth, Amberg, Michael Forster, t. I 1599/t. II 1602, p. 257 : « Bezoar quoque lapis superiori aetate fuit incognitus. Quidam putant, esse hunc, Lachrumam Cervi, qui devorato serpente, in aquam digerendi veneni causa se conjiciens, impense plorare soleat. Inde lachrimam illam induratam & in terram prolapsam, Bezoar esse dicunt. Sed falso. » (nous traduisons).

3 Le Dictionnaire de l’Académie nationale de médecine (édition 2017) donne une définition scientifique et actuelle du terme « bézoard » : « Corps étranger trouvé dans l’estomac et l’intestin grêle. Il peut être constitué de cheveux (trichobézoard) chez certains névropathes, d’un conglomérat alimentaire végétal chez un tachyphage ou un glouton (phytobézoard). Étymologie : persan, par analogie avec ce que l’on retrouve dans le tube digestif des herbivores et des oiseaux. » En ligne : <http://51.68.80.15/search/results?titre=bézoard> (consulté le 07/03/2023).

4 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Œuvres complètes, t. X, Paris, Librairie Abel Pilon, 1763, p. 205-211.

5 Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, appliquée aux arts, principalement à l’Agriculture et à l’Économie rurale et domestique : par une société de naturalistes et d’agriculteurs : avec des figures tirées des trois Règnes de la Nature, t. III, 24 vol., Paris, Chez Déterville, 1803, p. 151-152.

6 Voir Alexandre-Olivier Exquemelin, Histoire des aventuriers flibustiers qui se sont signalés dans les Indes, t. II, Trévoux, Par la Compagnie, 1775, p. 412 : « Cependant on compte d’enregistré de la montagne de Potosi seule, depuis 1545 jusques en 1667 trois cens millions de marcs d’argent ; sans compter les rubis, grenats, émeraudes, agathes, bezoar, & autres pierres précieuses, ni le corail, la cochenille, l’indigo, le sucre, le tabac, l’ambre-gris, le bois de Campêche, les cuirs, la casse fistulée, le cacao dont on fait le chocolat. »

7 Jean-Baptiste Maillé, Le bézoard, entité naturelle, objet de fantasmes, thèse de doctorat vétérinaire dirigée par Christophe Degueurce, École nationale vétérinaire d’Alfort, 2014, p. 20.

8 G. Panciroli, Rerum Memorabilium…, op. cit., p. 270.

9 Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle…, op. cit., p. 151.

10 Julius von Schlosser, Les cabinets d’art et de merveilles de la Renaissance tardive : une contribution à l’histoire du collectionnisme, préface et postface par Patricia Falguières, trad. Lucie Marignac, Paris, Macula, 2012.

11 Myriam Marrache-Gouraud, « Dragons d’apothicaires et bézoards de bazar », dans Dominique Moncond’huy (éd.), La licorne et le bézoard : une histoire des cabinets de curiosités, catalogue d’exposition (Poitiers, Musée Sainte-Croix, Espace Mendès-France, 18 octobre 2013-16 mars 2014), Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2013, p. 285-295.

12 Garcia de Orta, Colóquios dos simples e drogas da India e assi dalgũas frutas achadas nella onde se tratam algũas cousas tocantes a medicina, pratica, e outras cousas boas pera saber, Goa, Iohannes, 1563. Voir Idem, Colloques des simples et des drogues de l’Inde, trad. Sylvie Messinger Ramos, António Ramos et Françoise Marchand-Sauvagnargues, Arles/Lisbonne/Paris, Actes Sud/Fundação Oriente/Fundação Calouste Gulbenkian, 2004.

13 Idem, Colloques…, op. cit., p. 362-366.

14 Idem, Discours de la pierre de bezar avec ses facultez, & maniere d’en user & de la cognoistre, trad. Jean Coignet, Paris, Nicolas Benoist, 1587, n. p. « Chiua » est probablement une coquille pour « China » en langue portugaise.

15 Ibid.

16 Ibid.

17 Ibid.

18 Anselmus Boëtius de Boodt, Gemmarum et Lapidum Historia, Leyde, Ex officina Joannis Maire, 1609, p. 361-364.

19 Jean-Baptiste Tavernier, Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier, t. II, Paris, Chez Gervais Clouzier et Claude Barbin, 1676, p. 348-353.

20 Ibid., p. 350.

21 Ibid., p. 351,

22 Pierre Pomet, Histoire générale des drogues, Paris, Jean-Baptiste Loyson et Augustin Pillon, 1694.

23 Ibid., p. 13.

24 Ulisse Aldrovandi, Quadrupedum Omnium Bisulcorum Historia, Bologne, Sebastiano Bonomi, 1621, p. 757.

25 Ibid., p. 759.

26 Der Königl. Akademie der Wissenschaften in Paris, Anatomische, Chymische und Botanische Abhandlungen, Breslau, Johann Jacob Korn, 1753.

27 « Bezoar ist ein Stein, den man an verschiedenen Orten des Bauches gewisser indianischen Thiere findet ; und der in der Arzenenkunst für ein gutes herzstarkendes Mittel gehalten wird. Er bestehet aus Lagen, die fast einen Mittelpunkt haben, eine die andere umgeben, und um einen Kern, der gleichsam ihr Mittelpunkt ist, geordnet sind. Zuweilen ist der Kern selbst auf dem Grunde des Bezoar frey, und man kann ihn klappern hören » (nous traduisons).

28 Nathan Bailey, An Universal Etymological English Dictionary, Londres, Knapton, 1731.

29 P. Pomet, Histoire générale…, op. cit., p. 14.

30 Johann Jacob Bräuner, Thesauri Sanitatis Partis IV. Continuatio, Francfort-sur-le-Main, Samuel Tobias Hocker, 1717, p. 95.

31 J.-B. Maillé, Le bézoard…, op. cit., p. 44.

32 Académie des sciences, Histoire de l’Académie royale des sciences, année 1768, Paris, Imprimerie Royale, 1770, p. 529.

33 Société typographique, Dictionnaire portatif de commerce, contenant les principaux & nouveaux articles concernant le commerce, les finances, les arts, les manufactures, la mineralogie &c. &c., Liège, Clément Plomteux, 1770, p. 234.

34 Gabriel Ferrand, Relations de voyages et textes géographiques arabes, persans et turks relatifs à l’Extrême-Orient du viiie au xviiie siècles, Paris, Ernest Leroux, 1913, p. 58.

35 Ibid.

36 U. Aldrovandi, Quadrupedum…, op. cit., p. 760.

37 Ibid.

38 G. Panciroli, Rerum Memorabilium…, op. cit., p. 270.

39 Ibid.

40 G. de Orta, Discours…, op. cit., n. p.

41 Idem, Colloques…, op. cit., p. 362-366.

42 Idem, Discours…, op. cit., n. p.

43 Ibid.

44 P. Pomet, Histoire générale…, op. cit., p. 13.

45 Ibid.

46 L’efficacité du bézoard contre les métaux toxiques est très tôt confirmée par Panciroli. Voir G. Panciroli, Rerum Memorabilium…, op. cit., p. 270-271.

47 Sigismund Klepperbein, Tinctura Bezoartica Klepperbeiniana, Dresde, Joh. Michael Funcken, 1705, n. p.

48 J. J. Bräuner, op. cit., p. 96.

49 Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, op. cit., p. 152.

50 Ibid., p.151.

51 Ibid.

52 Robert Pitt, The Craft and Frauds of Physick Expos’d, Londres, Tim Childe, 1703, p. 38.

53 Ibid., p. 39.

54 Ibid., p. 37.

55 Ibid., p. 39.

56 « Les plus riches se purgent deux fois l’annees, assavoir en Mars & en Septembre, & apres s’estre purgez prennent cinq jours continuels dix grains pesant de ceste pierre destrempee en eau rose, par ce remede ils s’asseurent que la jeunesse & la force des membres se conserve, quelques uns ont de coustume d’en prendre jusques à trente grains, mais c’est trop, car encor qu’elle n’ait rien en soy qui puisse nuire : toutefois il est plus asseuré d’en user en petite quantité, & ainsi dit on qu’en Ormiz lon en use, & non sans danger s’en peut prendre plus largement. » G. de Orta, Discours…, op. cit., non paginé.

57 R. Pitt, The Craft…, op. cit., p. 39.

58 P. Pomet, Histoire générale…, op. cit., p. 13.

59 G. de Orta, Discours…, op. cit., n. p.

60 J.-B. Tavernier, Les six voyages..., op. cit., p. 349.

61 G. Panciroli, Rerum Memorabilium…, op. cit., p. 270.

62 Jacques Savary des Bruslons et Philémon-Louis Savary, Dictionnaire universel de commerce (4), t. III, partie II, Genève, Chez les héritiers Cramer et Frères Philibert, 1742, p. 662.

63 Guido Schönberger, « Narwal-Einhorn. Studien über einen seltenen Werkstoff », dans Georg Swarzenski et Alfred Wolters (éd.), Städel-Jahrbuch, vol. IX, Francfort-sur-le-Main, 1935/36, p. 213-214 : « […] des médicaments vendus en gran, c’est-à-dire dans la plus petite quantité de poids possible. […] Il y a donc 240 gran pour un lot ; le lot correspond à environ 16 grammes, le gran à 0,07 grammes. Ce poids minuscule ne se retrouve que dans les matériaux les plus rares et les plus chers. […] Les prix, exprimés en albus (= 2 kreutzers) jusqu’en 1643, mais en kreutzers et en florins à partir de 1669, ont tous été convertis en kreutzers et en florins afin de permettre la comparaison. » (nous traduisons).

64 J.-B. Tavernier, Les six voyages..., op. cit., p. 351.

65 Ibid.

66 Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, op. cit., p. 152.

67 P. Pomet, Histoire générale…, op. cit., p. 10.

68 J.-B. Tavernier, Les six voyages..., op. cit., p. 349.

69 D’après G. Schönberger, « Narwal-Einhorn... », op. cit. Fl = florin, alb = albus, kr = kreutzer.

70 Voir Jean-Baptiste Louis de Rome de l’Isle, Catalogue des curiosités naturelles, qui composent le cabinet de M. de Béost, Collectionneur  : Claude-Marc-Antoine Varenne de Béost (1722-1775 ?), Paris, Chez Claude Hérissant, 1774, p. 292 ; Carl Clemens Elias d’Engelbronner, Catalogus van natuurlyke historie, Amsterdam, P. den Hengst & Zoon, 1804 ; Catalogue du cabinet célèbre et très renommé d’objets d’histoire naturelle, délaissé par feu le très noble Sieur Joan Raye, seigneur de Breukelerwaer, La Haye/Amsterdam, Van Cleef, 1827.

71 U. Aldrovandi, Quadrupedum…, op. cit., p. 760.

72 Ibid.

73 Voir Erminia Ardissino, « Literary and Visual Forms of a Domestic Devotion : The Rosary in Renaissance Italy », dans Maya Corry, Marco Faini et Alessia Meneghin (éd.), Domestic Devotions in Early Modern Italy, Leyde/Boston, Brill, 2019, p. 344-345 : « It combined meditative exercises with repetitive ones in order to satisfy the spiritual needs of a lay congregation. […] The Rosary has a ritual aspect that individual prayers lack, and it is highly structured. […] This form of devotion therefore combines ritual and personal meditation, orality and contemplation, repetitiveness and interior reflection, privacy and companionship, and provokes the imagination, bodily actions, wonder and compassion. »

74 Helmut Trnek, Nuno Vassallo e Silva et al., Exotica : The Portuguese Discoveries and the Renaissance Kunstkammer, Lisbonne, Calouste Gulbenkian Foundation, 2001, p. 152.

75 Michael Maïer, Atalante fugitive, trad. Étienne Perrot, Paris, Dervy, 1997, p. 150-154.

76 H. Trnek, N. Vassallo e Silva et al., Exotica…, op. cit., p. 218.

77 Patricia Bjaaland Welch, Chinese Art : A Guide to Motifs and Visual Imagery, Boston, Tuttle Publishing, 2012, p. 144.

78 Les trois amis de l’hiver désignent le pin, le bambou et la fleur du prunus, symboles récurrents et importants dans l’art chinois. Le prunus fleurit, le pin et le bambou restent en verdure même en hiver à la différence des autres plantes qui dépérissent pendant cette saison. Ils sont ainsi loués pour leur persévérance dans la lutte contre le froid et représentent les vertus confucianistes admirées par les hommes lettrés.

79 Ibid., p. 37.

80 Ibid., p. 20.

81 Ibid., p. 38.

82 Ibid., p. 226.

83 Ibid., p. 69.

84 Le phénix dans la légende chinoise est différent de celui communément représenté en Occident. Le terme « phénix » est représenté par deux caractères chinois. À l’origine, ces caractères désignaient respectivement le phénix mâle et le phénix femelle. Par la suite, ces deux caractères ne désignent plus que le phénix femelle et représente désormais la féminité. Il apparaît régulièrement avec le dragon, qui lui représente la masculinité. L’iconographie du phénix n’est pas définie. Dans certaines littératures, le phénix est composé de la tête du coq, du menton de l’hirondelle, du cou du serpent, du dos de la tortue, de la queue du poisson et de cinq couleurs.

85 Ibid., p. 83.

Illustrations

Fig. 1 : Bézoard du duc d’Albe, bézoard, filigrane d’or, 16,2 cm, 4e quart du xvie siècle.

Fig. 1 : Bézoard du duc d’Albe, bézoard, filigrane d’or, 16,2 cm, 4e quart du xvie siècle.

Kunstkammer, Kunsthistorisches Museum, Vienne / Photographie : Di Fan, prises et reproduites avec l’aimable autorisation du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Fig. 2 : Bézoard en filigrane, bézoard, filigrane d’or, 11,6 × 7,6 cm, 4e quart du xviie siècle.

Fig. 2 : Bézoard en filigrane, bézoard, filigrane d’or, 11,6 × 7,6 cm, 4e quart du xviie siècle.

Kunstkammer, Kunsthistorisches Museum, Vienne / Photographie : Di Fan, prises et reproduites avec l’aimable autorisation du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Fig. 3 : Bézoard, bézoard, or, émeraudes, rubis, 25,5 × 16 × 13,3 cm, 3e quart du xvie siècle.

Fig. 3 : Bézoard, bézoard, or, émeraudes, rubis, 25,5 × 16 × 13,3 cm, 3e quart du xvie siècle.

Kunstkammer, Kunsthistorisches Museum, Vienne / Photographie : Di Fan, prises et reproduites avec l’aimable autorisation du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Fig. 4 : Bézoard, serti de chêne, avec cochon, bézoard oriental, or, coquille de tigre, vers 1700.

Fig. 4 : Bézoard, serti de chêne, avec cochon, bézoard oriental, or, coquille de tigre, vers 1700.

Kunstkammer, Kunsthistorisches Museum, Vienne / Photographies : Di Fan, prises et reproduites avec l’aimable autorisation du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Fig. 5 : Récipient à boire avec bézoard, corne de rhinocéros indien (?) déformée et taillée, bézoard à l’intérieur, argent, or plaqué, émail, 12,8 × 13,8 × 9,8 cm, Dynastie des Ming (vers 1600).

Fig. 5 : Récipient à boire avec bézoard, corne de rhinocéros indien (?) déformée et taillée, bézoard à l’intérieur, argent, or plaqué, émail, 12,8 × 13,8 × 9,8 cm, Dynastie des Ming (vers 1600).

Kunstkammer, Kunsthistorisches Museum, Vienne / Photographie : Di Fan, prises et reproduites avec l’aimable autorisation du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Citer cet article

Référence papier

Di Fan, « De l’antidote universel à l’objet d’art, trois siècles d’histoire du bézoard », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 20 | 2022, 29-48.

Référence électronique

Di Fan, « De l’antidote universel à l’objet d’art, trois siècles d’histoire du bézoard », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 20 | 2022, mis en ligne le 26 juin 2023, consulté le 09 mai 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=794

Auteur

Di Fan

Di Fan est doctorante en histoire de l’art moderne à l’université de Strasbourg (UR 3400 ARCHE). / Di Fan is a PhD. student in the history of modern art at the university of Strasbourg (UR 3400 ARCHE). / Di Fan ist Doktorandin in Geschichte der modernen Kunst an der Universität Straßburg (UR 3400 ARCHE).

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