Partir pour revenir. Enjeux socio-politiques du voyage dans la presse de jeunesse au xixe siècle

Leaving to Return. Socio-political Issues in Travel Texts in 19th-Century Children’s Magazines

Sich entfernen, um zurückzukehren. Soziopolitische Bedeutungen der Reise in der Jugendpresse im 19. Jahrhundert

DOI : 10.57086/sources.85

p. 40-56

Résumés

Au sein des périodiques destinés à la jeunesse au xixe siècle, le voyage est une thématique proliférante. Nombre d’articles variés prétendent faire voyager les petits lecteurs, depuis leur entourage immédiat jusque dans des pays lointains voire imaginaires. S’ils servent souvent de prétextes pour attirer un jeune lectorat avide d’aventures et d’exotisme, les textes viatiques permettent de livrer à celui-ci des savoirs scolaires et des connaissances culturelles, mais aussi des enseignements pratiques. Au-delà, il s’agit de former les êtres politiques et sociaux que les jeunes lecteurs bourgeois sont en puissance, et de les conduire subtilement à préférer leur environnement immédiat et à y œuvrer.

Travel was a widely recurring topic in 19th-century children’s magazines. A great number of articles claimed their intention to take their young readers on a journey from their immediate surroundings to remote or even imaginary lands. While this was often a pretext to attract readers looking for adventure and exoticism, these travel texts also provided them with intellectual and cultural knowledge as well as with practical information. Beyond this, their aim was to shape the development of young bourgeois readers into political and social beings and to subtly direct them to prefer their immediate environment and to perform work there.

In den Zeitschriften, die sich im 19. Jahrhundert an die Jugend wendeten, bildete das Reisen eine weitverbreitete Thematik. Zahlreiche Artikel führten die kleinen Leser auf eine Reise von ihrer unmittelbaren Umgebung hin zu entfernten oder sogar imaginären Ländern. Solche Artikel dienten zum einen dazu, eine von Abenteuern und Exotismus begeisterte junge Leserschaft anzusprechen, zum anderen lieferten sie Schulwissen und kulturelle Kenntnisse wie auch praktische Anleitungen. Darüber hinaus ging es darum, die jungen bürgerlichen Leser auf ihre zukünftigen Aufgaben als politische und soziale Wesen vorzubereiten und sie subtil für ein Wirken in ihrer direkten Umgebung zu gewinnen.

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Si le xixe siècle n’a pas inventé le voyage, l’époque le voit se banaliser. Depuis plusieurs décennies, les grandes découvertes géographiques et les expéditions, relatées dans des récits de voyage1, se sont multipliées. La période devient de plus en plus propice aux déplacements, parfois lointains, voire aux migrations, grâce aux progrès techniques. L’apparition du chemin de fer, la modernisation des voitures, le développement des voies d’eau et des routes, sont autant d’éléments qui favorisent, sinon démocratisent, le voyage. Aux voyageurs qui écrivent leurs aventures répondent les écrivains qui voyagent – ils sont alors nombreux à se rendre en Orient2 –, ouvrant la littérature à un récit biographique tellement inouï qu’il pourrait être un roman. L’idée de voyage et de confrontation avec l’ailleurs devait en outre être d’autant plus familière aux contemporains qu’au cours du siècle se multiplient les guerres coloniales – la conquête de l’Algérie s’étend de 1830 à 1857 –, dont les journaux détaillent l’évolution quotidiennement. On comprend ainsi que la fiction s’empare de l’un des grands thèmes du siècle et que les productions destinées à un jeune public émergeant et en plein développement3 en tirent, elles aussi, profit. En cette ère de bouleversement médiatique4 qui voit se multiplier les références s’adressant à la jeunesse5, il n’est que d’ouvrir un de ces périodiques pour constater que le voyage y est omniprésent. La presse de l’époque diffuse non seulement les grands romans de voyage du temps – Les Anglais au pôle Nord de Jules Verne est imprimé dans le premier volume du Magasin d’éducation et de récréation –, mais elle fournit également à ses jeunes lecteurs nombre de récits d’aventures, à l’instar du célèbre Robinson suisse. Et surtout, la presse de jeunesse du xixe siècle est à l’origine d’une myriade d’articles polymorphes – une « matière » médiatique marquée par l’hétérogénéité, la brièveté et la juxtaposition en une « mo-saïque6 » – qui sont autant de prétextes à faire voyager son lectorat. Depuis les comptes rendus d’ouvrages de voyageurs jusqu’aux simulations de voyages en passant par les rubriques « Récits de géographie et de voyages », voire par des excursions utopiques, le voyage, susceptible de s’immiscer dans chaque article, fait montre d’une omniprésence qui n’a rien d’anodin. Réel ou fictif, exotique ou familier, extraordinaire ou banal, longuement narré ou tout juste évoqué, celui-ci a pour vertu a priori de confronter l’enfant à l’ailleurs et à la découverte. Mais si les publications viatiques sont motivées par l’idée, formulée par Jules Hetzel, que « l’enfant ne [doit] rien ignorer du monde qui l’entoure7 », il reste à interroger l’étendue de ce « monde » et la manière dont il est présenté au jeune lecteur.

Alors que la presse de jeunesse française a déjà fait l’objet, par la critique universitaire, d’études historiques d’ampleur8, l’exploration littéraire de ce corpus reste encore pratiquement vierge de toute analyse. Aussi se propose-t-on de déplier les enjeux poétiques, pédagogiques, culturels et sociologiques de cette matière textuelle viatique, en considérant, dans la lignée des travaux d’Alain Vaillant, que le support médiatique nécessite d’envisager différemment ce que l’on peut qualifier de « littéraire » ou nommer « littérature » :

[…] indépendamment de toute appréciation esthétique, […] est littéraire tout texte destiné à être communiqué de façon ouverte dans l’espace public (au sens habermasien), quels que soient le mode de communication et la nature de cet espace public9.

Parce qu’un support de diffusion n’est pas neutre10, il y a fort à parier que les textes consacrés au voyage au sein des périodiques pour la jeunesse sont l’occasion de tenir aux enfants un discours éducatif fort, mais aussi et surtout social voire politique. Peut-être, en effet, le voyage est-il un prétexte idoine pour former l’abonné à investir son « chez-lui » de proximité et à y œuvrer, ou le moyen de lui indiquer sa place dans une société qui devra l’accueillir comme citoyen et être social.

C’est du moins ce qu’invite à penser un pointage de textes consacrés au voyage dans quelques-unes des grandes entreprises médiatiques qui ont marqué le temps, sélectionnées pour couvrir un empan chronologique large et illustrer la variété des publics auxquelles elles se destinaient : Le Bon Génie (1824-1829, journal éducatif pour les enfants de 6 à 12 ans appartenant « aux classes supérieures de la société11 », créé par Laurent-Pierre de Jussieu12 sous la Restau-ration), le Journal des enfants (entreprise pionnière destinée aux jeunes garçons de la bourgeoisie13, fondée en 1832 par Lautour-Mézeray, et qui compte parmi ses rédacteurs de nombreux satiristes venus de la « petite presse14 »), le Journal des Demoiselles (créé en 1833, animé par Jeanne-Justine Fouqueau de Pussy afin d’éduquer et d’instruire les jeunes filles de 14 à 18 ans de la bonne société15, journal remarquable par son « féminisme modéré et contradictoire16 »), le Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle (1848-1854, entreprise à tendance fouriériste lancée par Jules Delbruck, originale en ce qu’une partie est adressée aux « mères » des jeunes lecteurs), La Semaine des enfants (créée en 1857, célèbre pour ses images et pour accueillir les publications des « Bibliothèque rose » et « Bibliothèque des chemins de fer » de Hachette ; la Comtesse de Ségur en est une collaboratrice fameuse) et Le Magasin d’éducation et de récréation (lancé en 1864 par Jules Hetzel et Jean Macé, qui ont pour ambition d’instruire et de diffuser les savoirs modernes).

Partir : découvrir et apprendre

La presse de jeunesse du xixe siècle dispense volontiers à ses jeunes lecteurs des romans de voyage en feuilletons. Il faut dire qu’ils ont largement de quoi séduire leur lectorat, qui a la réputation d’être avide de fictions divertissantes et récréatives. L’alliance entre Jules Verne et Jules Hetzel en est l’exemple le plus fameux. Et l’éditeur sait à bon escient user de mises en scène médiatiques pour attirer son lecteur. Aussi est-ce le caractère exceptionnel du voyage relaté qui se voit mis en valeur lorsque le Magasin d’éducation et de récréation se charge d’introduire Les Anglais au pôle Nord de Jules Verne en 1864, après avoir annoncé « la relation d’un très curieux et très intéressant voyage » :

Tout ce qui s’est passé de faits certains dans ces mers si fécondes en drames du plus poignant intérêt, se trouvera rassemblé sous les yeux de nos lecteurs. Transportés, à la suite du Capitaine Hatteras, dans ces contrées si peu connues, ils assisteront à tous les phénomènes cosmiques des mers boréales, et arriveront enfin au pôle même17.

Il s’agit de piquer la curiosité des jeunes lecteurs, de jouer de leur attirance pour l’ailleurs en leur offrant à lire des textes aux couleurs exotiques. Les voyages proposés par le journal font une double promesse : celle de l’inouï romanesque des « drames du plus poignant intérêt » – aventures et péripéties trépidantes sont déjà annoncées – et celle de l’inouï – ou plutôt du « jamais vu » – viatique, le lecteur étant appelé à être conduit dans des lieux hors du commun, où il ne pourra a priori jamais aller, et à accéder à des phénomènes ou fréquenter des êtres extra-ordinaires. Au récit se joint l’image, véritable fenêtre s’ouvrant sur cet ailleurs exotique fantasmé (fig. 1) : les personnages regardent au loin, dans ce port qui, lieu de départ, emblématise à lui seul le voyage et la lecture. Il s’agit, selon le système bien connu du roman-feuilleton18, de donner envie de commencer l’œuvre… et de la poursuivre dans le numéro suivant de la revue.

Pour autant, le xixe siècle ne conçoit pas encore une littérature destinée à la jeunesse émancipée de toute dimension pédagogique. Si la fiction de voyage est promesse de divertissement, elle doit aussi être utile au jeune lecteur. Aussi Hetzel ne manque-t-il pas de mentionner, quand il fait la réclame du texte de Verne, que « les découvertes faites jusqu’à ce jour dans les mers arctiques [y] sont résumées avec la précision scientifique, [et] la sûreté des connaissances géographiques19 » qui sont celles de son auteur fétiche. C’est là s’adresser aux parents, médiateurs par lesquels les enfants peuvent acquérir la revue, et Hetzel entend bien les convaincre en faisant montre de sérieux et d’utilité.

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Fig. 1 : Jules Verne, Voyages et aventures du Capitaine Hatteras : les Anglais au Pôle Nord, le Désert de glace, Paris, J. Hetzel, vignettes par Édouard Riou, 1867, p. 4. Source : Bibliothèque nationale de France, RES M-Y2-1001, <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8600260h/f14>.

En ce siècle qui a vu l’éducation devenir nationale, le système scolaire se fonder, et les réformes éducatives se succéder20, la presse s’est emparée d’un enjeu majeur : instruire l’enfant. Le voyage est, dès lors, un prétexte idoine. La Revue de l’éducation nouvelle publie des « Récits de géographie et de voyages21 » entièrement destinés à offrir des connaissances historico-géographiques – car le voyage dans l’espace invite à voyager dans le temps. La rédaction de l’organe de presse explicite elle aussi son entreprise dans l’une des « Chroniques du mois » – le propos est sous-titré « l’enseignement par les voyages » :

Aujourd’hui nous allons rechercher si les jeunes voyageurs et leurs heureuses mères ne peuvent pas […] tirer parti pour leur instruction du temps de vacances passé en excursions en France et hors de France.

Faisons le voyage que presque tout le monde fait cette année ; allons voir l’Exposition universelle de Londres22.

Le texte viatique se mue en un accompagnement du séjour réel que le petit lecteur bourgeois aura peut-être la chance de faire : le périodique lui offre un vade-mecum afin qu’il tire le meilleur parti intellectuel et culturel des moments de plaisir familial.

On comprend ainsi le peu de faveur accordé au merveilleux dans cette littérature viatique. Il suffit, pour s’en convaincre, de songer à la justification à laquelle a été acculée Isabelle Meunier après avoir édité, dans le Journal des mères et des enfants. Les Aventures surprenantes de cinq enfants abandonnés, voyage utopico-scientifique à la fantaisie débridée qui ne fut pas du goût de tous les lecteurs, puisque des parents se sont visiblement plaints auprès du rédacteur en chef de la revue23. L’heure est à l’exploration de la réalité positive de ce « monde » qui est celui du jeune lecteur. Pour ce faire, l’enseignement dispensé par les textes viatiques ne se limite pas aux domaines géographique et historique. La découverte de l’ailleurs est prétexte à transmettre des savoirs mêlés : techniques et scientifiques (les œuvres de Jules Verne en sont des cas exemplaires), mais également littéraires ou botaniques. En témoigne le Robinson suisse imprimé dans le Magasin d’éducation et de récréation, dans un chapitre significativement nommé « Voyage de découverte » :

Ne te rappelles-tu pas avoir lu que la noix de coco est entourée de masses de fibres que recouvre une peau mince et cassante ? Le fruit que tu viens de trouver est déjà vieux sans doute ; l’enveloppe extérieure aura été détruite par l’air. Si tu enlèves ces fibres hérissées, tu verras la noix24.

Est-ce à dire que les périodiques se proposent de remplacer l’éducation dispensée dans un cadre scolaire ou privé ? En auraient-ils les moyens ? À y regarder de plus près, le support de diffusion de ces savoirs en favorise une accumulation hétéroclite sous forme de textes fragmentés et de micro-textes, élaborant de fait une matière instructive hétérogène et fragmentaire, c’est-à-dire propice à dispenser des enseignements fatalement superficiels, désordonnés et incomplets. C’est particulièrement le cas dans les entreprises destinées aux demoiselles. En un siècle où l’éducation est sexuée et différenciée, en dépit des avancées progressives en matière de scolarisation féminine25, il n’est pas question de faire des futures bourgeoises des « femmes savantes ». Bien des matières leurs sont refusées (notamment les sciences « dures » et techniques), tandis que celles qu’on leur autorise – histoire (souvent sainte), histoire littéraire, géographie et botanique26 – se doivent de n’être abordées qu’en sur-face : il s’agit de fournir à la femme le vernis culturel suffisant pour paraître dans les salons et en société sans toutefois devenir pédante. On comprend ainsi que la plupart des textes fonctionnent sous le régime de l’allusion, comme c’est le cas dans le « Voyage d’Italie » présentant « Les villas de Baïes » :

Si l’on en croit Servius, c’est dans les jardins de Jules César que le jeune Marcellus mourut empoisonné par Livie, événement que Properce place à Stabia27.

L’auteur n’entend pas dispenser un cours d’histoire ou de littérature en bonne et due forme aux jeunes filles, mais leur offrir une anecdote au sujet de personnages historiques qu’elles connaissent vraisemblablement déjà. D’où la fréquence, dans le Journal des demoiselles, de textes brefs qui permettent de voyager… sans qu’il n’y ait de voyage, autrement dit, de trajet. La rubrique « Mosaïques », proposant de fugaces « immersions directes » qui se juxtaposent sans transition, est de ce point de vue représentative. Y sont livrés aux jeunes lectrices des aperçus historiques ou culturels relevant de l’anecdote ou du « bon mot », impliquant étrangement que le « vénérable » figuier de Reculver apporté par les Romains puisse côtoyer les mœurs des rentiers de Saint-Germain-en-Laye28.

Il n’en demeure pas moins que les voyages, comme le veut l’adage, forment la jeunesse. Aussi entretiennent-ils également un rapport étroit à l’éducation29, comme l’illustrent les Robinsonnades30, qui délivrent aussi aux jeunes lecteurs un enseignement pratique destiné à leur servir au quotidien. C’est en effet face à l’épreuve du monde que les jeunes héros apprennent, contraints qu’ils sont de trouver des expédients hors de leur univers familier et confortable. Le narrateur du Robinson suisse raconte ainsi comment il a pu obtenir du sel pur :

Le sel qu’[Ernest] rapporta était tellement mélangé de sable et de terre que je fus sur le point de le jeter. Ma femme m’en empêcha : elle le fit fondre dans de l’eau, qu’elle passa ensuite à travers un linge ; et nous nous servîmes de cette eau pour saler la soupe31.

Occasions de démonstrations d’agilité tant mentale que corporelle, les Robinsonnades ont été favorablement reçues en un siècle de plus en plus attentif au corps. Le Petit Robinson de Laurent-Pierre de Jussieu, publié en 1827 dans Le Bon Génie, montre ainsi un jeune héros, « d’une santé excessivement délicate32 », « incapable de se servir de lui-même pour quoi que ce fût », « douillet, maladroit et poltron », réformé de ses défauts par un naufrage fictif mis en scène par ses parents pour qu’il apprenne à être courageux et devienne agile et robuste :

Tout en continuant de réfléchir, il pensa que s’il savait nager, il pourrait traverser la rivière et retourner au château de son père. « Et pourquoi n’apprendrais-je pas à nager ? se dit-il ; voyons ! voici un endroit où il y a peu d’eau, et où le fond est un beau sable bien fin ; essayons ! peut-être qu’en m’exerçant pendant quelques jours, je parviendrai à nager assez bien pour passer de l’autre côté. » Cela dit, il se déshabilla, et voilà mon Rodolphe, qui avait tant peur de l’eau, prenant un bain dans la rivière. S’il ne réussit pas à nager du premier coup, au moins cela lui fit-il grand bien, et lui donna-t-il de nouvelles forces33.

Les multiples robinsons qui proliférèrent dans les médias pour la jeunesse en sont la preuve : les voyages forgent intellectuellement et physiquement. Et ils permettent de surcroît de se réformer moralement, en particulier lorsqu’ils s’avèrent dysphoriques, comme dans Les Aventures de Jean-Paul Choppart de Louis Desnoyers, publiées en 1832 dans le Journal des enfants. Le célèbre petit héros aux vices sans nombre, premier « enfant terrible » de la littérature de jeunesse34, fait montre d’une volonté ferme dès le début du roman-feuilleton : « Je veux faire le tour du monde, moi35 !… » Mais ses velléités sont rapidement tournées en dérision par le narrateur ironique, qui commente des mésaventures s’apparentant plus à une fuite en avant sans cesse renouvelée face aux déboires systématiquement rencontrés, qu’à une palpitante exploration. Le voyage de Jean-Paul, devenu vagabondage, est dès lors moins volontaire qu’imposé. Finalement conduit, sur le mode de la robinsonnade burlesque, vers cet ensauvagement auquel les Robinsons tentent d’échapper36, le jeune héros se voit engagé dans une troupe de théâtre au sein de laquelle on lui enjoint de jouer un « sauvage37 ». Le voyage de Jean-Paul se lit comme une descente progressive hors de l’humanité civilisée, offrant ainsi aux lecteurs le spectacle d’une déchéance en manière de contre-exemple à éviter. Cela aboutit néanmoins au repentir du jeune héros, promu au rang de modèle pour les abonnés, et à sa régénération morale38.

Les fictions viatiques sont ainsi de formidables instruments pour la formation des jeunes lecteurs, invités tacitement à suivre les mêmes enseignements disciplinaires, physiques et moraux – fussent-ils superficiels ou parcellaires – que les héros dont les (més)aventures les réjouissent. Pour autant, on ne saurait restreindre la découverte au seul apprentissage : voyager, c’est aussi se confronter à l’autre.

S’immerger : impossibles altérités ?

Le « cas » Choppart en témoigne sur le mode plaisant : le voyage n’est pas sans rapport avec le monde dit « sauvage », aux antipodes du monde bourgeois dans lequel vivent les jeunes lecteurs. À cet égard, il a partie liée avec la civilisation des mœurs telle que Norbert Elias l’a définie39. Voie royale vers la découverte de l’altérité – géographique, historique ou encore morale et culturelle –, pousserait-il le petit abonné à reconnaître et accepter la différence ?

Le corpus ne se constitue pas uniquement de fictions : nombre de textes brefs reprennent ou résument de ces récits de voyageurs alors abondamment publiés. Aussi le Journal des Demoiselles édite-t-il, en 1833, un condensé du Voyage autour du monde pour aller à la recherche de La Pérouse de Dumont d’Urville. S’agit-il d’une invitation à lire l’œuvre ? Rien n’est moins sûr. Dans un périodique se destinant aux jeunes filles de la bonne société, l’article apparaît comme l’une de ces ruses dont l’époque est familière pour contrôler la lecture des demoiselles en expurgeant des livres les contenus jugés « dangereux » pour elles40. On leur refuse ainsi explicitement tout discours grave et politique : lorsque le journal mentionne le développement de Dumont d’Urville sur des « établissements où les Anglais font déporter leurs mauvais sujets », il ajoute que « cet examen [présente] […] [d]es détails sérieux et politiques [qui] seraient déplacés ici41 ». Cet « ici », antinomique de l’« ailleurs » présenté, est à entendre comme « dans un journal pour jeunes filles bien éduquées ». Pourtant, les faits à caractère violent et/ou sexuel n’y sont pas complétement éludés :

Les usages, les mœurs, les lois de ces peuples ne sont pas moins grossiers que leur parure. De même que les hommes non civilisés, ils se lèguent mutuellement le soin de tirer vengeance d’une insulte ; mais ce qui les distingue particulièrement, c’est que chez eux le mariage n’est jamais un acte volontaire de la part de la jeune fille ni de celle de ses parents : c’est toujours par la violence, et la violence la plus brutale, que les hommes de la Nouvelle-Galles du Sud se procurent des épouses.

Grâce à la médiation journalistique, la brutalité de mœurs autres peut être présentée aux lectrices. Le compte rendu fonctionne par sélection, atténuation et polarisation idéologique : sélection des faits transmis aux jeunes filles – inhérente à la logique du résumé –, atténuation due à la reformulation (les lectrices ne sont en effet pas directement confrontées aux images et aux descriptions de cette « violence la plus brutale » que l’on se contente de men-tionner), tandis que la polarisation idéologique parachève le travail d’orientation de la réception, grâce à l’utilisation d’un vocabulaire affectif et évaluatif (« grossiers », « civilisés », « brutale »). Un point de vue est de fait imposé aux abonnées avant qu’elles n’aient pu se forger un jugement par elles-mêmes.

Pourquoi, dès lors, ne pas les préserver de l’existence de ces faits qu’on leur présente comme « barbares » ? Les textes viatiques médiatiques pour la jeunesse semblent jouer d’un entre-deux : s’ils donnent toutes les apparences de faire découvrir l’autre radical, ce n’est qu’en tant que cette altérité permet un retour sur soi. En d’autres termes, l’autre intéresse moins en tant que tel qu’il ne fonctionne, ici, comme repoussoir. Au sein d’un journal visant l’éducation des jeunes filles de la bourgeoisie louis-philipparde, la remarque concernant le mariage n’est pas anodine : elle vaut éloge en creux des us matrimoniaux de la classe sociale dominant le siècle, laquelle éduque ses filles à accepter les unions de convenance qui leur sont promises, et à faire des mariages d’inclination, sinon d’amour42 (cette question matrimoniale est en effet un leitmotiv courant dans les œuvres à succès de l’époque43).

Ainsi, si parfois les discours de presse se targuent de déconstruire les clichés, l’approche de l’ailleurs observée dans les textes viatiques vaut généralement autodéfinition et autocélébration en creux. En témoigne encore un article du Bon Génie :

J’ai entendu dernièrement M. l’abbé Anduze, missionnaire dans le Missouri, donner quelques détails sur les tentatives qu’on a faites pour civiliser et instruire les habitants sauvages de cette contrée. Je me suis empressé de recueillir les faits, convaincu qu’ils doivent avoir de l’intérêt pour mes lecteurs qui sentent tout le prix de l’instruction44.

Il est moins question de faire voyager le jeune lecteur que de lui montrer comment on peut importer son « chez-lui » ailleurs. Et l’auteur de conclure : « Si cela continue, quand il nous reviendra un jour des sauvages du Missouri, nous les trouverons si bien élevés que nous ne les reconnaîtrons plus. » Alors que le voyage devrait être l’occasion de connaître l’autre dans son unicité et de reconnaître la différence dans son irréductibilité, autrement dit, de l’accepter telle qu’elle est, il se fait l’instrument d’une homogénéisation étalonnée sur la civilisation européenne catholique. Dès lors, le système de valeurs que l’on tente d’inculquer au jeune lecteur, comparé en filigrane à une forme de « sauvage » que le journal concourt à instruire, est ici vanté. En résulte un inévitable sentiment de supériorité communiqué au petit abonné.

De fait, le voyage textuel vers des contrées dans lesquelles l’on se rend sous prétexte de mission « civilisatrice » devient surtout, dans les périodiques, un outil de choix pour apprendre au lectorat à se distinguer – au sens bourdieusien45. Sont mises en évidence les marques de différence constitutives de l’identité d’un jeune abonné qui, dans son parcours de lecture, apprend moins à se connaître qu’à adhérer à l’identité morale, sociale et culturelle que le journal contribue à lui construire. Pour ce faire, la représentation de l’altérité oscille entre stéréotypes et condescendance, exemplarité et contre-exemplarité. Le Journal des mères et des enfants décrit ainsi les « hommes noirs, laids, affreux, que sont les Hottentots » :

Ces hommes étaient complètement barbares et ne savaient ni se bâtir des maisons, ni se préparer des vêtements. Ils sont encore aujourd’hui dans le même état, et mangent les nourritures pour nous les plus répugnantes. Ces êtres grossiers sont presque aussi féroces que les lions, les hyènes et les animaux qui peuplent les mêmes contrées46.

Le jugement est sans appel, et laisse peu de place à la découverte et à l’appréciation de l’autre, d’emblée érigé en repoussoir. Les peuplades décrites, primaires et vierges des améliorations dues au « progrès » dont la Revue fait sans cesse l’éloge, sont l’exact négatif de ce qu’est – ou prétend être – la classe sociale et politique du lectorat auquel le périodique s’adresse, à savoir cette bourgeoisie dont il émane et qui entend non seulement se distinguer, mais se placer au sommet de l’échelle des mœurs et des valeurs. Le voyage, en somme, contribue à imprimer au petit lecteur un sentiment de suprématie47 – fût-ce en proposant des discours humanitaires de bon aloi fondés sur la religion, à l’occasion de plaidoyers anti-esclavagistes certes vibrants, mais tout aussi empreints de poncifs. Ainsi en va-t-il lorsque l’on condamne la culture de la canne à sucre parce qu’elle est « celle qui est le plus alimentée par cet infâme trafic de la traite des noirs. » Sont alors accusées :

l’espèce humaine et la perversité des hommes qui puisent leur richesse dans les douleurs de ceux qui, malgré leur couleur, sont leurs semblables, créés aussi à l’image de Dieu.

Et le périodique de poursuivre, se faisant le porte-parole d’un progrès social fondé sur les idéaux qui ont porté 1789 :

Heureusement, cet horrible commerce d’hommes tend à diminuer, et j’aime à espérer que ce mot d’esclave ne sera bientôt plus de notre temps et se trouvera relégué dans l’histoire. – Comprend-on que des chrétiens arrachent de leur pays de pauvres noirs, pour les jeter au fond d’un navire, les transporter au loin et puis les faire travailler à coups de fouet au-delà des forces que Dieu a données à l’homme48 ?

Il faut se rappeler que si l’esclavage a été aboli en 1848, la traite, dans les faits, se poursuit, notamment depuis l’Afrique centrale et orientale vers la péninsule arabique49. Mais en dépit de cette condamnation se voulant généreuse et altruiste, les topoï racistes de l’époque – insupportables pour nous aujourd’hui – demeurent. La fiction médiatique ne parvient pas à s’en extirper pour conduire les lecteurs à une découverte vierge de préjugés :

À peine le docteur eut-il fini de parler, qu’une scène des plus touchantes eut lieu. Sam, le petit nègre, qui avait écouté avec la plus vive attention ce qui venait d’être dit, tomba aux pieds du capitaine et du docteur, les yeux pleins de larmes et baisant leurs vêtements.

« Bons blancs ! bons blancs ! disait-il ; bons, bons pour pauvres noirs50 ! »

La plupart des grands organes de presse se destinant à la classe sociale triomphante depuis la Révolution, les textes viatiques nous immergent au sein des représentations que la bourgeoisie se construit d’elle-même, à travers celles qu’elle a des autres. S’y dessine la manière dont elle se pense et se définit, aux antipodes de ces « barbares », « sauvages » et autres « pauvres noirs » décrits non sans complaisance. Les productions de voyage pour la jeunesse lui offrent ainsi un support idoine pour faire intégrer à ses enfants leur identité bourgeoise, hissée au rang d’étalon à partir duquel le reste du monde peut être jugé et doit être conformé. C’est dire combien il est avant tout question de soi dans le voyage : un aller-retour constant entre monde et intimité est discrètement enjoint au jeune lecteur. Sans doute le voyage n’acquière-t-il jamais autant de valeur que lorsqu’il s’achève en revenir, à la fois chez soi et sur soi.

Revenir : un regard neuf pour un chez-soi à bâtir

Le retour se dessine comme une étape cruciale du voyage, celle permettant que se déploient à plein et se concrétisent ses bénéfices. Car il ne s’agit pas de revenir à l’identique : il est un avant et un après voyage, y compris fictif, de même qu’il est un avant et après lecture. De ce point de vue, il n’est pas insignifiant de constater que les contrées les plus attrayantes et les pays les plus extraordinaires ne sont généralement pas des lieux d’émigration définitive, tant s’en faut. Le voyageur n’a de cesse qu’il ne soit revenu chez lui, en partie parce que même les aventures les plus séduisantes comportent leur inéluctable lot d’inconvénients. Le voyage n’est pas nécessairement un loisir, comme nous l’apprend Sinbad, dont La Semaine des enfants reprend les aventures, c’est un travail à part entière, extrêmement périlleux, difficile et pénible :

Vous vous imaginez sans doute que j’ai acquis sans peine et sans travail toutes les douceurs et le repos dont vous voyez que je jouis ; désabusez-vous. Je ne suis parvenu à un état si heureux, qu’après avoir souffert durant plusieurs années tous les travaux du corps et de l’esprit que l’imagination peut concevoir. […] [J]e puis vous assurer que ces travaux sont si extraordinaires, qu’ils sont capables d’ôter aux personnes les plus avides de richesses l’envie fatale de traverser les mers pour en acquérir51.

On devine aisément que Sinbad, au fil des ans, aspire au repos et à jouir de cette vie familiale autour de laquelle la société du xixe siècle se bâtit. Aussi est-ce à contrecœur qu’il se résigne à un ultime départ, imposé par son émir :

Au retour de mon sixième voyage, j’avais abandonné absolument la pensée d’en faire jamais d’autres. Outre que j’étais dans un âge qui ne demandait que du repos, je m’étais bien promis de ne plus m’exposer aux périls que j’avais tant de fois courus. Ainsi je ne songeais qu’à passer doucement le reste de ma vie52.

Revenir est préférable à partir. C’est cette même leçon qu’enseignent les voyages dysphoriques – à tout le moins, une similaire : mieux eût valu rester. Le voyage, néanmoins, s’est avéré nécessaire pour en prendre conscience. Jean-Paul Choppart apprend à ses dépens que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Petit-Jacques, un jeune garçon que Jean-Paul est parvenu à rallier à lui dans ses (més)aventures, lui en fait à juste titre le reproche, après leur engagement au théâtre de la foire :

Ah ! Bien, par exemple, s’écria Petit-Jacques, si c’est là ce que tu appelais être bien soigné, bien nourri, bien vêtu, et se bien amuser !… tu pouvais bien me laisser chez mon père, et même chez le père François, le meunier de là-bas, où au moins nous n’étions pas battus toute la journée, où nous avions de la bonne soupe aux choux, avec du lard dessus, et du pain tant qu’on en voulait, et du cidre qui était fameux !… et avec ça des sous pour nous amuser le dimanche !… au lieu qu’ici on ne mange rien du tout53 […].

Les promesses de l’ailleurs ne sont pas tenues, et face à l’« ici » décevant qu’a engendré le voyage, le médiocre « là-bas » du chez-soi devient objet de nostalgie. Il s’agit de montrer au jeune lecteur les éminentes qualités que recèle son environnement proche, même s’il lui arrive de s’en plaindre comme le journal le présuppose. Les Aventures de Milon sans cervelle de Jean Barbin, éditées en 1857 dans La Semaine des enfants, fonctionnent selon le même principe. Le jeune héros, « un peu fou de l’envie de courir le monde54 », atteint seul, contre toute vraisemblance, le Sénégal, où il affronte, entre autres, chacals, lions et boas constrictors :

Milon, pressé de dormir, se coucha sur l’herbe.

C’est un bon lit que l’herbe des champs quand elle est épaisse, mais ce n’est pas toujours un lit bien sain.

En France, on s’enrhume, au Sénégal il y a d’autres inconvénients55.

Le récit, bref malgré ses quatre livraisons, tire avantage d’un mode d’écriture rapide et concis. Il accumule les déboires de Milon, en particulier en Afrique, avant de conclure que le jeune héros « arriva fort heureusement dans sa famille après une longue traversée56 », prêt à regarder son univers familier différemment.

On comprend ainsi que nombre d’articles invitent les jeunes lecteurs à faire des découvertes au sein de leur environnement immédiat. C’est ce que propose, par exemple, la Revue de l’éducation nouvelle avec un texte tel que « Les amusements à la campagne », censé montrer aux parents des abonnés en villégiature estivale comment instruire ces derniers grâce à de modestes « voyages » entrepris dans le paysage qui les entoure :

Faites […] de petites excursions scientifiques, où vous marcherez de merveilles en merveilles, n’ayant qu’à vous baisser pour les rassembler57.

Le vocabulaire viatique se voit importé dans l’univers proximal de l’enfant lecteur. Et l’auteur de l’article de questionner : « […] n’est-il pas possible d’animer aussi, par des promenades à travers le pays, les leçons arides de géographie ou d’histoire58 ? » Les vertus tant divertissantes que pédagogiques du voyage sont transposables au monde le plus familier qui soit, moyennant sa minoration en « promenade ». Le périodique renouvelle ses convictions avec un autre article, « Les enfants à Paris pendant l’été » :

Paris est si riche en établissements de tous genre qu’il peut à beaucoup d’égards dispenser des voyages lointains, et la campagne qui l’environne est assez variée pour suffire longtemps aux besoins d’observation de l’enfance59.

Peu importe l’ampleur du voyage : si l’on en croit la revue, seul compte le fait de répondre au besoin de découverte propre à l’enfance. Dès lors, le voyage apparaît plus comme une attitude au monde – à son propre monde, et non à celui de l’autre – que comme une translocation. Il s’agit d’offrir au « voyageur » en son territoire – et donc, par son intermédiaire, aux petits lecteurs – un regard neuf et régénéré sur son propre univers.

À ce titre, le voyage n’est pas sans conséquences sociales. Les mésaventures de Jean-Paul Choppart et de son comparse ont non seulement été bénéfiques aux jeunes héros, mais aussi – et surtout – à l’ensemble des gens qui les entourent :

Jean-Paul est maintenant en rhétorique, où je viens d’apprendre qu’il a gagné cette année le premier prix de discours latin ; et l’autre, Petit-Jacques, à qui l’état de fortune de son père ne permet pas les études au collège, est en apprentissage chez un confiseur. Comme vous le voyez, mes jeunes amis, ils sont tous deux en train de devenir des citoyens essentiellement utiles à leurs semblables60.

Voyager a converti Jean-Paul et Petit-Jacques en êtres « utiles ». À leur instar, Milon sans cervelle se corrige, perd son surnom, devient « studieux et raisonnable61 », puis entre à l’école de marine.

Ainsi, si Sinbad le marin a été favorablement accueilli, en dépit de son caractère merveilleux62, au sein d’un périodique de jeunesse, c’est parce que l’on a accordé le texte avec l’idéologie dominante de la revue, moyennant quelques modifications. Le voyage du célèbre marin, tel qu’il est livré dans La Semaine des enfants, se révèle bénéfique à son entourage. La mise en scène narrative veut en effet que les récits de Sinbad soient adressés à un « pauvre porteur63 » nommé Hindbad. À la fin de chaque épisode, le libéral marin offre une bourse de cent sequins à son interlocuteur, qui de jour en jour arrive mieux mis. Au terme des sept voyages, Hindbad a de quoi changer d’état et sortir de la misère :

Ce fut ainsi que Sinbad acheva le récit de son septième et dernier voyage ; il donna ensuite cent sequins à Hindbad, lui dit de quitter sa profession de porteur et le mit en état, par ses libéralités, d’entreprendre un commerce qui le fît vivre dans l’aisance, lui et sa famille64.

Le texte du périodique, affiché comme étant « imité de l’arabe », infléchit le récit tel qu’il est donné par Antoine Galland dans sa traduction des Mille et Une Nuits, abondamment rééditée au cours du xixe siècle65. Cette dernière insiste en effet plus sur le caractère amplement mérité de la vie désormais opulente du héros :

Ce fut ainsi que Sindbad acheva le récit de son septième et dernier voyage ; et s’adressant ensuite à Hindbad : « Hé bien, mon ami, ajouta-t-il, avez-vous jamais ouï dire que quelqu’un ait souffert autant que moi, ou qu’aucun mortel se soit trouvé dans des embarras si pressants ? N’est-il pas juste qu’après tant de travaux, je jouisse d’une vie agréable et tranquille ? » Comme il achevait ces mots, Hindbad s’approcha de lui, et dit, en lui baisant la main : « Il faut avouer, Seigneur, que vous avez essuyé d’effroyables périls ; mes peines ne sont pas comparables aux vôtres. Si elles m’affligent dans le temps que je les souffre, je m’en console par le petit profit que j’en tire. Vous méritez non seulement une vie tranquille, vous êtes digne encore de tous les biens que vous possédez, puisque vous en faites un si bon usage, et que vous êtes si généreux. Continuez donc de vivre dans la joie jusqu’à l’heure de votre mort. »

Sindbad lui fit donner encore cent sequins, le reçut au nombre de ses amis, lui dit de quitter sa profession de porteur, et de continuer à venir manger chez lui ; qu’il aurait lieu de se souvenir toute sa vie de Sindbad le Marin66.

La souffrance endurée est ici proportionnelle au niveau de vie : Hindbad n’a qu’un « petit profit » parce que son labeur n’a pas été « comparable » à celui de Sindbad. Les inégalités sont justifiées. La Semaine des enfants a ainsi « embourgeoisé » la morale qu’il faut tirer du voyage du marin : plus que d’être « généreux », le héros participe d’une circulation et d’une redistribution des richesses – charité oblige – qui a pour effet d’abolir la misère et la pauvreté, ou, du moins, de les réduire. Hindbad peut ouvrir un « commerce » – entreprise bourgeoise par excellence – et vivre dans cette « aisance » tant promue par le xixe siècle. Les voyages de Sinbad ont ainsi finalement eu une répercussion à plus vaste échelle une fois le retour définitif accompli : ils ont participé à l’établissement d’une société plus juste et égalitaire, malgré le maintien des hiérarchies. Le texte est retravaillé pour tenir un discours moral, social et politique à son lectorat.

Revenir apparaît ainsi comme un moment-clef dans la littérature viatique de jeunesse, laquelle invite tacitement le jeune abonné, comme les héros, à ne pas rester inactif une fois son propre parcours de lecteur accompli : voyager doit donner le goût de l’ouvrage, le désir de collaborer au bien commun. À cet égard, il faut sans doute faire une place à part aux textes diffusés dans des entreprises de presse aux couleurs politiques marquées, comme il va du Journal des mères et des enfants, porté par l’idéologie fouriériste. Le journal diffuse en effet le remarquable récit utopique des Aventures surprenantes de cinq enfants abandonnés d’Isabelle Meunier. Le texte, s’il commence sous les auspices de la fantaisie débridée, devient de plus en plus didactique, faisant la part belle à l’allégorie et au symbole, jusqu’à mettre en scène les petits héros devant un temple dont un des protagonistes nous offre la clef de lecture :

C’est le temple du Travail […] et les statues qui en couvrent le dôme sont élevées à la gloire des hommes qui ont concouru par leurs travaux, leur science, leur génie au progrès et au bonheur de l’humanité67.

Au sein d’un tel organe de presse, le voyage revêt un sens politique fort, et s’achève en une invite à s’atteler à la tâche pour contribuer à reproduire cet ailleurs idéal chez soi :

[…] au milieu du luxe et du bonheur, Jacques, François, Marie, Jean et Ninette n’oublièrent point que les premières années de leur vie s’étaient écoulées dans une misérable chaumière, ni que des milliers d’enfants vivaient toujours, comme ils vécurent alors, dans l’ignorance et la pauvreté. Ils prirent la résolution de revenir dans leur pays pour essayer de faire le bien en enseignant les vérités qu’ils avaient apprises, et les moyens d’être heureux par le travail et l’amour de Dieu et du prochain68.

Le voyage vaut bien essentiellement par son retour : la parenthèse qu’il a offerte, tant aux héros qu’au lecteur, a été l’occasion d’un enrichissement intellectuel, moral et matériel, qu’il faut impérativement œuvrer à diffuser au sein de son environnement de proximité afin de participer à l’établissement d’une société meilleure, expurgée des crises et des révolutions à répétition qui la secouent depuis la fin du xviiie siècle.

Conclusion

L’analyse de l’abondance et de la variété de la matière viatique médiatique, constituée d’une masse informe de textes hétéroclites, révèle la toute-puissance du traitement journalistique réservé à la littérature de voyage dans les périodiques pour la jeunesse du xixe siècle. Le thème est propice à séduire le jeune lectorat, mais il s’avère surtout riche de potentialités pédagogiques – propres à instruire comme à former moralement –, au sein d’entreprises de presse qui entendent se faire une place entre l’école et le livre. Mais si découverte du monde – fût-il proche – et découverte de soi vont idéalement de pair, auteurs, rédacteurs et metteurs en scène médiatiques n’hésitent pas à instrumentaliser le voyage pour tenir un discours idéologique appuyé aux jeunes abonnés. Aussi les revues diffusent-elles des textes moralement ou politiquement orientés, et vont-elles jusqu’à infléchir sinon réinventer des publications qui leur préexistaient. En résulte, pour les petits lecteurs, un face-à-face avec le monde via les yeux et l’esprit des journaux qui leur sont dédiés, et qui ne sont pas exempts de ces a priori empêchant de hisser l’ailleurs et l’autre au rang d’altérité. Le voyage devient ainsi une thématique idoine pour la justification, la glorification et la perpétuation des valeurs ainsi que des mœurs de la classe bourgeoise lectrice et émettrice de ces entreprises de presse. On comprend dès lors qu’en ces espaces médiatiques soit tant valorisé le retour : revenir justifie le voyage a posteriori, parce que celui-ci est riche de plus-values sociales et politiques non négligeables. Passés au tamis journalistique, les textes viatiques deviennent in fine propres à faire des jeunes lecteurs de futurs citoyens membres d’une structure familiale patriarchale et des acteurs d’une société que l’on espère meilleure – sans en questionner ni moins encore réformer les fondements. À cet égard, ils offrent un bel exemple du rôle anthropologique, culturel et socio-politique majeur joué par les périodiques de jeunesse dans la société du xixe siècle.

1 Voir, par exemple, l’Histoire générale des voyages de Desboroug Coley, traduite par A. Joanne et Old-Nick en 1840, le Voyage au pôle Nord et aux

2 Songeons, entre autres, à Lamartine, qui publie son Voyage en Orient en 1835, à Nerval, qui se rend en Orient en 1843 (son récit ne sera édité qu’en

3 Le marché de la littérature de jeunesse en bénéficie et s’épanouit particulièrement entre les années 1830 et 1875. Voir Guy Rosa, « Comptes pour

4 À tel point que le siècle a pu être qualifié d’« ère médiatique » : voir Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, 1836. L’An I de l’ère médiatique

5 Voir, entre autres, Alain Fourment, Histoire de la presse des jeunes et des journaux d’enfants : 1768-1988, Paris, Éole, 1987 ; Francis Marcoin

6 Le terme est emprunté à Marie-Ève Thérenty, Mosaïques : être écrivain entre presse et roman, Paris, Champion, 2003.

7 Cité par A. Fourment, Histoire de la presse des jeunes…, op. cit., p. 112.

8 Voir notamment Ibid., et J.-M. Charon, La Presse des jeunes, op. cit.

9 Alain Vaillant, « De la littérature médiatique », Interférences littéraires/Literaire interferenties, nouvelle série, n° 6 (coord. par Laurence Van

10 Idée synthétisée dans la formule célèbre de McLuhan, « the medium is the message » (« le message, c’est le médium »). Voir Marshall McLuhan, Pour

11 Prospectus du journal cité par F. Marcoin, Librairie de jeunesse…, op. cit., p. 292.

12 Jussieu est l’auteur, pour la Société pour l’instruction élémentaire, de Simon de Nantua (1818), ouvrage destiné à l’enseignement primaire

13 Si le Journal des enfants entend s’adresser aux deux sexes, dans les faits, ses publications sont essentiellement masculines (Voir F. Marcoin

14 Écrire pour la presse de jeunesse devient une sorte de repli pour de nombreux journalistes au tempérament satirique après le durcissement de la

15 Voir Christine Léger-Paturneau, Le Journal des Demoiselles et l’éducation des filles sous la monarchie de Juillet (1833-1848), thèse de doctorat

16 F. Marcoin, Librairie de jeunesse…, op. cit., p. 348.

17 Magasin d’éducation et de récréation, vol. 1, 1864, p. 18. La note est signée J[ules] H[etzel].

18 Voir Lise Dumasy, La Querelle du roman-feuilleton : littérature, presse et politique, un débat précurseur, 1836-1848, Grenoble, ELLUG, 1999.

19 Magasin d’éducation…, op. cit., p. 18.

20 Parmi les plus notables, citons la loi Guizot sur l’éducation des garçons en 1833 et la loi Falloux de 1850. Voir Félix Ponteil, Histoire de l’

21 Voir, par exemple, Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle, vol. 3, mars 1851, p. 70.

22 Ibid., août 1851, p. 79.

23 L’autrice se voit contrainte d’éditer une Critique des Aventures surprenantes de cinq enfants abandonnés visant à réfuter le caractère merveilleux

24 Magasin d’éducation…, op. cit., p. 127.

25 Le 23 juin 1836, l’ordonnance Pelet incite chaque commune à avoir au moins une école primaire pour filles, avant que la loi Falloux de 1850 ne

26 Voir Bénédicte Monicat, Écrits de femmes et livres d’instruction au xixe siècle. Aux frontières des savoirs, Paris, Classiques Garnier, 2019.

27 Journal des Demoiselles, vol. 1, 15 octobre 1833, p. 258.

28 Ibid., p. 256.

29 Précisons que l’on entend par « instruction » ce qui relève de la transmission de savoirs, par opposition à l’ éducation », appartenant aux

30 À ce sujet, voir Danielle Dubois-Marcoin, La Momie de Robinson. Aspects d’un détournement de texte. La Robinsonnade enfantine dans la France du

31 Magasin d’éducation…, op. cit., p. 62.

32 Le Bon Génie, vol. 4, juin 1827, p. 26.

33 Ibid., p. 28.

34 Voir Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, Madame de Genlis et le théâtre d’éducation au xviiie siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1997, p. 28.

35 Journal des enfants, vol. 1, 1832, p. 14. Ibid. pour la citation qui suit.

36 Voir, à ce sujet, Matthieu Letourneux, Poétique du roman d’aventures : entre civilisation et sauvagerie, 1860-1920, thèse de doctorat, Université

37 Journal des enfants, vol. 1, 1832, p. 314-315. Jean-Paul est recouvert de glu et de plumes et on lui demande de danser convulsivement et de manger

38 Devenu docile et travailleur, Jean-Paul, à la fin de ses mésaventures, « remport[e] […] le premier prix de discours latin » (Ibid., vol. 2, 1833, p

39 Voir Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, traduit de l’allemand par Pierre Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, 1991.

40 Voir Isabelle Matamoros, Mais surtout, lisez ! Les pratiques de lecture des femmes dans la France du premier xixe siècle, thèse de doctorat

41 Journal des Demoiselles, vol. 1, 1833, p. 9. C’est le journal qui souligne. Ibid. pour la citation qui suit.

42 Voir, à ce sujet, Adeline Daumard, « Affaire, amour, affection : le mariage dans la société bourgeoise au xixe siècle », Romantisme, vol. 20, n° 68

43 De nombreuses œuvres en attestent. Voir, par exemple, Le Mariage d’argent d’Eugène Scribe, joué en 1828.

44 Le Bon Génie, vol. 4, septembre 1827, p. 88.

45 Voir Pierre Bourdieu, La Distinction : critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979.

46 Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle, vol. 3, mars 1851, p. 71.

47 Lequel sentiment deviendra un sentiment patriotique et national après la défaite de 1870. Voir Patrick Cabanel, Le Tour de la nation par des

48 Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle, vol. 3, novembre 1850, p. 13.

49 La traite atlantique est bannie depuis 1807 chez les Britanniques, et depuis 1815 sur décision du congrès de Vienne dans l’ensemble de la sphère

50 Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle, vol. 3, novembre 1850, p. 13.

51 La Semaine des enfants, vol. 1, 1857, p. 332-334. Précisons ici que La Semaine des enfants choisit la graphie Sinbad, et non Sindbad, comme le fait

52 Ibid., vol. 2, 1858, p. 18.

53 Journal des enfants, vol. 1, 1832, p. 316.

54 La Semaine des enfants, vol. 1, 1857, p. 259.

55 Ibid., p. 261.

56 Ibid., p. 268.

57 Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle, vol. 3, juin 1851, p. 58, souligné dans le texte.

58 Ibid., p. 59.

59 Ibid., septembre 1851, p. 82.

60 Journal des enfants, vol. 2, 1833, p. 62.

61 La Semaine des enfants, vol. 1, 1857, p. 268.

62 Le récit persan transporte en effet les jeunes abonnés du périodique vers des pays imaginaires peuplés d’oiseaux gigantesques dont les nids sont

63 Ibid., vol. 1, 1857, p. 331.

64 Ibid., vol. 2, 1858, p. 18.

65 Avec notamment deux rééditions en 1856 et une en 1857, année voyant le début de la parution de Sinbad dans La Semaine des enfants.

66 Les Mille et Une Nuits, traduction d’Antoine Galland, Paris, Le Normand, 1806, p. 214-215.

67 Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle, vol. 3, février 1851, p. 50.

68 Ibid., mai 1851, p. 54.

Notes

1 Voir, par exemple, l’Histoire générale des voyages de Desboroug Coley, traduite par A. Joanne et Old-Nick en 1840, le Voyage au pôle Nord et aux régions arctiques par le capitaine Cross, traduit en 1835, ou encore les diverses œuvres de François Arago.

2 Songeons, entre autres, à Lamartine, qui publie son Voyage en Orient en 1835, à Nerval, qui se rend en Orient en 1843 (son récit ne sera édité qu’en 1851), ou encore à Flaubert, qui y va lui aussi avec Maxime Du Camp entre fin 1849 et début 1851.

3 Le marché de la littérature de jeunesse en bénéficie et s’épanouit particulièrement entre les années 1830 et 1875. Voir Guy Rosa, « Comptes pour enfants. Essai de bibliométrie des livres pour l’enfance et la jeunesse (1812-1908) », Histoire et mesure, vol. 5, n° 3-4, 1990, p. 343-369.

4 À tel point que le siècle a pu être qualifié d’« ère médiatique » : voir Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, 1836. L’An I de l’ère médiatique, Analyse littéraire et historique de La Presse de Girardin, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2001.

5 Voir, entre autres, Alain Fourment, Histoire de la presse des jeunes et des journaux d’enfants : 1768-1988, Paris, Éole, 1987 ; Francis Marcoin, Librairie de jeunesse et littérature industrielle au xixe siècle, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 289-421 notamment ; et Jean-Marie Charon, La Presse des jeunes, Paris, La Découverte, 2002.

6 Le terme est emprunté à Marie-Ève Thérenty, Mosaïques : être écrivain entre presse et roman, Paris, Champion, 2003.

7 Cité par A. Fourment, Histoire de la presse des jeunes…, op. cit., p. 112.

8 Voir notamment Ibid., et J.-M. Charon, La Presse des jeunes, op. cit.

9 Alain Vaillant, « De la littérature médiatique », Interférences littéraires/Literaire interferenties, nouvelle série, n° 6 (coord. par Laurence Van Nuijs, « Postures journalistiques et littéraires »), mai 2011, p. 23.

10 Idée synthétisée dans la formule célèbre de McLuhan, « the medium is the message » (« le message, c’est le médium »). Voir Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l’homme, Paris, Le Seuil, 2013 [New York, 1964].

11 Prospectus du journal cité par F. Marcoin, Librairie de jeunesse…, op. cit., p. 292.

12 Jussieu est l’auteur, pour la Société pour l’instruction élémentaire, de Simon de Nantua (1818), ouvrage destiné à l’enseignement primaire largement diffusé au cours du xixe siècle.

13 Si le Journal des enfants entend s’adresser aux deux sexes, dans les faits, ses publications sont essentiellement masculines (Voir F. Marcoin, Librairie de jeunesse…, op. cit., p. 325), du moins à ses débuts.

14 Écrire pour la presse de jeunesse devient une sorte de repli pour de nombreux journalistes au tempérament satirique après le durcissement de la législation sur la presse en 1835 (Ibid., p. 314).

15 Voir Christine Léger-Paturneau, Le Journal des Demoiselles et l’éducation des filles sous la monarchie de Juillet (1833-1848), thèse de doctorat, Université Paris VII, 1985.

16 F. Marcoin, Librairie de jeunesse…, op. cit., p. 348.

17 Magasin d’éducation et de récréation, vol. 1, 1864, p. 18. La note est signée J[ules] H[etzel].

18 Voir Lise Dumasy, La Querelle du roman-feuilleton : littérature, presse et politique, un débat précurseur, 1836-1848, Grenoble, ELLUG, 1999.

19 Magasin d’éducation…, op. cit., p. 18.

20 Parmi les plus notables, citons la loi Guizot sur l’éducation des garçons en 1833 et la loi Falloux de 1850. Voir Félix Ponteil, Histoire de l’enseignement en France. 1789-1965, Paris, Sirey, 1966 ; et Françoise Mayeur, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, t. III, De la Révolution à l’École républicaine (1789-1930), Paris, Nouvelle librairie de France G.-V. Labat, 1981.

21 Voir, par exemple, Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle, vol. 3, mars 1851, p. 70.

22 Ibid., août 1851, p. 79.

23 L’autrice se voit contrainte d’éditer une Critique des Aventures surprenantes de cinq enfants abandonnés visant à réfuter le caractère merveilleux de son récit. Sur cette question, nous nous permettons de renvoyer à notre article : Amélie Calderone, « “Vive le merveilleux-vrai !” Romanesque et utopie scientifique dans la littérature de jeunesse en 1850. L’exemple d’Isabelle Meunier », Romanesques. Revue du Cercll / Roman & Romanesque, n° 12, 2020, p. 67-81. Ce refus du merveilleux est général dans la littérature de jeunesse de l’époque, comme en attestent les difficultés de la Comtesse de Ségur lorsqu’elle a voulu publier Un bon petit diable dans La Semaine des enfants (voir A. Fourment, Histoire de la presse des jeunes…, op. cit., p. 104).

24 Magasin d’éducation…, op. cit., p. 127.

25 Le 23 juin 1836, l’ordonnance Pelet incite chaque commune à avoir au moins une école primaire pour filles, avant que la loi Falloux de 1850 ne facilite leur scolarisation en imposant aux communes de plus de 800 habitants de leur consacrer une institution, et que les lois Paul Bert et Camille Sée, en 1879-1880, ne leur ouvrent les portes de l’enseignement secondaire public. Voir F. Ponteil, Histoire de l’enseignement en France…, op. cit., p. 229-245 ; et F. Mayeur, Histoire générale de l’enseignement…, op. cit., p. 325-337.

26 Voir Bénédicte Monicat, Écrits de femmes et livres d’instruction au xixe siècle. Aux frontières des savoirs, Paris, Classiques Garnier, 2019.

27 Journal des Demoiselles, vol. 1, 15 octobre 1833, p. 258.

28 Ibid., p. 256.

29 Précisons que l’on entend par « instruction » ce qui relève de la transmission de savoirs, par opposition à l’ éducation », appartenant aux domaines moral et social.

30 À ce sujet, voir Danielle Dubois-Marcoin, La Momie de Robinson. Aspects d’un détournement de texte. La Robinsonnade enfantine dans la France du xixe siècle, thèse de doctorat, Université de Cergy-Pontoise, 2000.

31 Magasin d’éducation…, op. cit., p. 62.

32 Le Bon Génie, vol. 4, juin 1827, p. 26.

33 Ibid., p. 28.

34 Voir Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, Madame de Genlis et le théâtre d’éducation au xviiie siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1997, p. 28.

35 Journal des enfants, vol. 1, 1832, p. 14. Ibid. pour la citation qui suit.

36 Voir, à ce sujet, Matthieu Letourneux, Poétique du roman d’aventures : entre civilisation et sauvagerie, 1860-1920, thèse de doctorat, Université Paris IV, 2003.

37 Journal des enfants, vol. 1, 1832, p. 314-315. Jean-Paul est recouvert de glu et de plumes et on lui demande de danser convulsivement et de manger des poulets crus, ce qu’il refuse tout net.

38 Devenu docile et travailleur, Jean-Paul, à la fin de ses mésaventures, « remport[e] […] le premier prix de discours latin » (Ibid., vol. 2, 1833, p. 62).

39 Voir Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, traduit de l’allemand par Pierre Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, 1991.

40 Voir Isabelle Matamoros, Mais surtout, lisez ! Les pratiques de lecture des femmes dans la France du premier xixe siècle, thèse de doctorat, Université Lyon II, 2017, p. 344.

41 Journal des Demoiselles, vol. 1, 1833, p. 9. C’est le journal qui souligne. Ibid. pour la citation qui suit.

42 Voir, à ce sujet, Adeline Daumard, « Affaire, amour, affection : le mariage dans la société bourgeoise au xixe siècle », Romantisme, vol. 20, n° 68, 1990, p. 33‑47.

43 De nombreuses œuvres en attestent. Voir, par exemple, Le Mariage d’argent d’Eugène Scribe, joué en 1828.

44 Le Bon Génie, vol. 4, septembre 1827, p. 88.

45 Voir Pierre Bourdieu, La Distinction : critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979.

46 Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle, vol. 3, mars 1851, p. 71.

47 Lequel sentiment deviendra un sentiment patriotique et national après la défaite de 1870. Voir Patrick Cabanel, Le Tour de la nation par des enfants. Romans scolaires et espaces nationaux (xixe-xxe siècles), Paris, Belin, 2007.

48 Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle, vol. 3, novembre 1850, p. 13.

49 La traite atlantique est bannie depuis 1807 chez les Britanniques, et depuis 1815 sur décision du congrès de Vienne dans l’ensemble de la sphère atlantique. Aussi, même si le Brésil et le sud des États-Unis ont continué de s’approvisionner clandestinement en Afrique, l’essentiel des flux des trafics d’esclaves de cette époque se fait-il depuis l’Afrique centrale et orientale (plutôt que l’Afrique de l’Ouest) vers la péninsule arabique. Voir Olivier Pétré-Grenouilleau, Les Traites négrières. Essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004.

50 Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle, vol. 3, novembre 1850, p. 13.

51 La Semaine des enfants, vol. 1, 1857, p. 332-334. Précisons ici que La Semaine des enfants choisit la graphie Sinbad, et non Sindbad, comme le fait Antoine Galland.

52 Ibid., vol. 2, 1858, p. 18.

53 Journal des enfants, vol. 1, 1832, p. 316.

54 La Semaine des enfants, vol. 1, 1857, p. 259.

55 Ibid., p. 261.

56 Ibid., p. 268.

57 Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle, vol. 3, juin 1851, p. 58, souligné dans le texte.

58 Ibid., p. 59.

59 Ibid., septembre 1851, p. 82.

60 Journal des enfants, vol. 2, 1833, p. 62.

61 La Semaine des enfants, vol. 1, 1857, p. 268.

62 Le récit persan transporte en effet les jeunes abonnés du périodique vers des pays imaginaires peuplés d’oiseaux gigantesques dont les nids sont tapissés de diamants, sur des îles habitées par des géants ou dans des contrées dont les rivières sont remplies de pierres précieuses et d’ambre gris (voir les deuxième, troisième et sixième voyages de Sinbad dans Ibid., respectivement vol. 1, p. 340, p. 362 et p. 410).

63 Ibid., vol. 1, 1857, p. 331.

64 Ibid., vol. 2, 1858, p. 18.

65 Avec notamment deux rééditions en 1856 et une en 1857, année voyant le début de la parution de Sinbad dans La Semaine des enfants.

66 Les Mille et Une Nuits, traduction d’Antoine Galland, Paris, Le Normand, 1806, p. 214-215.

67 Journal des mères et des enfants. Revue de l’éducation nouvelle, vol. 3, février 1851, p. 50.

68 Ibid., mai 1851, p. 54.

Illustrations

Fig. 1 : Jules Verne, Voyages et aventures du Capitaine Hatteras : les Anglais au Pôle Nord, le Désert de glace, Paris, J. Hetzel, vignettes par Édouard Riou, 1867, p. 4. Source : Bibliothèque nationale de France, RES M-Y2-1001, <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8600260h/f14>.

Citer cet article

Référence papier

Amélie Calderone, « Partir pour revenir. Enjeux socio-politiques du voyage dans la presse de jeunesse au xixe siècle », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 18 | 2021, 40-56.

Référence électronique

Amélie Calderone, « Partir pour revenir. Enjeux socio-politiques du voyage dans la presse de jeunesse au xixe siècle », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 18 | 2021, mis en ligne le 21 septembre 2023, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=85

Auteur

Amélie Calderone

Amélie Calderone est chargée de recherche à l’UMR 5317 IHRIM. / Amélie Calderone is a research assistant at UMR 5317 IHRIM. / Amélie Calderone ist Forschungsmitarbeiterin an der UMR 5317 IHRIM.

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