L’influence de Boas fut considérable. Il a été l’un des tout premiers ethnographes. Au souci qui était le sien de précision dans la description des faits observés, se mêle sa préoccupation de conservation méthodique du patrimoine recueilli (il a été conservateur du musée de New York). Il fut enfin, par son enseignement, le grand pédagogue qui forma la première génération d’anthropologues américains […]. Il demeure le maître incontesté de l’anthropologie américaine dans la première moitié du XXe siècle.
Tel est le jugement par lequel François Laplantine (2001 : 75-76) conclut son (bref) paragraphe de présentation de Franz Boas (1858-1942) dans L’anthropologie. Si Boas n’est pas ignoré en France, il a en revanche été peu voire pas traduit et a ainsi sans doute été peu lu hors du cercle des anthropologues et sociologues de profession. Son nom n’est pas aussi célèbre chez nous que ceux d’Émile Durkheim, Marcel Mauss ou Claude Lévy-Strauss. Jusqu’à tout récemment, le lecteur francophone ne disposait que de la traduction tardive de Primitive Art (Boas 2003), paru pour la première fois en anglais en 1927. Ce n’est plus le cas grâce à la parution en 2017 et 2018 de deux ouvrages, respectivement Anthropologie amérindienne (ci-après Anthropologie) et Introduction du Handbook of American Indian Languages (ci-après Introduction). De factures très différentes, ces deux livres mettent à disposition du public francophone, pour un prix raisonnable, des textes importants de celui qu’on présente souvent comme le père fondateur de l’anthropologie américaine, qui a fait soutenir la première thèse d’anthropologie aux États-Unis à l’Université de Colombia (celle d’Alfred Kroeber).
Paru en 2017, l’Anthropologie se présente comme un recueil de textes de Boas, de natures variées puisqu’on y trouve des lettres à des élèves (Sapir, Swanton), à ses informateurs (Tate, Hunt), à des collègues étrangers (Lévy-Brühl), des extraits2 d’ouvrages, d’articles ou de rapports pour diverses institutions (comme par exemple le « rapport sur les modifications de la forme du corps chez les immigrés » pour la commission de l’immigration). Les textes sont regroupés en sept sections thématiques (langues, linguistique ; migrations, anthropométrie ; le potlach et l’organisation sociale ; rituels et sociétés secrètes ; mythes légendes, rêves ; art ; évolutionnisme et comparatisme). Chaque section est précédée d’une introduction qui en fait ressortir la cohérence interne et replace les textes dans le contexte de l’œuvre de Boas et dans leur contexte intellectuel et historique. L’ensemble est complété par une présentation de l’ouvrage par I. Kalinowski, une brève biographie de Boas par C. Joseph, ainsi que des notices biographiques des personnes évoquées et d’un index. Les lecteurs francophones disposent là d’un Boas-Reader tel qu’il en existe déjà en anglais3.
Malgré toutes les qualités de contenu de ce volume, on pourra regretter la médiocre qualité matérielle de l’objet lui-même. Comme souvent dans la collection Champs de Flammarion, la colle de la reliure ne résiste pas aux heures de lectures et les usagers des bibliothèques ne tarderont pas à avoir entre les mains un certain nombre de feuilles volantes qu’il s’agira de ne pas perdre. L’absence de marges permet certes la compacité du livre, mais n’offre guère au lecteur la possibilité d’annoter le texte.
L’Introduction est la traduction in extenso de l’exposé liminaire que Franz Boas a rédigé dans le premier volume du Handbook of American Indian Languages (Boas, 1911a). Le texte est donné en une édition bilingue, reproduisant l’original anglais en pages paires et présentant la traduction de Chloé Laplantine et Andrew Eastman sur les pages impaires. La disposition choisie permet aux lecteurs souhaitant se reporter à l’original une grande facilité de lecture, grâce à deux partis pris des traducteurs et de l’éditeur. D’une part, le texte en français s’interrompt toujours à la fin d’une page de l’original anglais, assurant ainsi la correspondance page par page entre l’original et sa traduction. D’autre part, le fait que les traducteurs suivent de près le texte anglais, en particulier en choisissant comme unité de traduction la phrase, assure une grande fidélité au texte de Boas, qui n’est certes pas exempte de rares calques de l’anglais, mais qui, par sa qualité, restitue avec précision pour le lecteur d’aujourd’hui la pensée exprimée par l’original, dans les termes où l’auteur pouvaient penser les questions à son époque.
À quel public sont destinés ces livres ? Ils intéresseront bien sûr au premier chef les anthropologues, ethnologues et sociologues de métier et les étudiants se formant à ces disciplines qui pourront ainsi lire par eux-mêmes les textes dont il est question dans les manuels d’introduction à la discipline, dans lesquels la pensée de Boas, quant elle est évoquée, est résumée rapidement. La traduction française et le travail d’édition permettront sûrement aussi de faire découvrir Boas à un public plus large. Mais c’est sans doute pour toute personne intéressée par l’épistémologie et l’histoire des sciences que la (re)découverte de Boas représente un apport tout particulier. En dépit de son vocabulaire daté, et qui pourrait faire reculer le lecteur d’aujourd’hui s’il s’arrêtait aux titres de certains de ses livres ou articles (on pense en particulier aux termes de primitif ou race), la lecture des écrits de Boas révèle un homme passionné, qui n’est jamais dans une position de surplomb par rapport à son objet, et dont les discussions théoriques sont une leçon d’honnêteté intellectuelle et d’intelligence, valable à toutes les époques.
Ces deux ouvrages, et en particulier l’Introduction seront particulièrement intéressants pour les linguistes, dont l’histoire de la discipline, en France, contrairement à celle de l’anthropologie, oublie parfois de le citer parmi ses grands précurseurs du début du XXe siècle, alors qu’elles n’oublient pas Edward Sapir, élève de Boas qui a continué dans la même lignée que son maître à développer une anthropologie culturelle et linguistique. Les lecteurs de Jakobson (2003 : 197-206), toutefois, se souviennent sans doute que le linguiste russe a consacré un article aux idées de Boas concernant la nature de la signification grammaticale. L’article de Boas discuté par Jakobson n’est pas reproduit dans l’Anthropologie, mais le lecteur de l’Introduction retrouvera les exemples cités par Jakobson à peine modifiés. Il est ainsi frappant de remarquer qu’entre l’Introduction de 1911 et l’article de 1938 cité par Jakobson, les idées de Boas sur les catégories grammaticales n’ont pas beaucoup changé, elles n’ont fait que se préciser. Boas montre que la différence entre les systèmes grammaticaux de deux langues tient en grande partie dans ce que le locuteur doit obligatoirement exprimer et non dans ce qu’elles peuvent exprimer4. C’est sa réflexion sur la description des langues amérindiennes et les catégories nécessaires à cette description qui l’amènent à cette conclusion. En fait, cette attention à la construction de catégories adéquates à l’objet est précisément le cœur de l’Introduction. On peut suivre cette question et le traitement qu’en fait Boas à travers toutes les étapes du texte. Ainsi, la description phonétique commence par un paragraphe intitulé du prétendu manque de différenciation des sons dans les langues primitives, dans lequel Boas récuse méthodiquement l’idée que les sons des langues indiennes seraient moins différenciés que ce que l’on peut trouver dans les langues européennes5. Il met cette impression exprimée par certains observateurs des langues américaines sur le compte de défaillances de l’oreille de l’observateur anglophone et non d’une quelconque rusticité ou infériorité des langues décrites. Il fait apparaître ainsi la différence de réalisation phonétique des sons d’une langue selon le contexte dans lequel ils sont prononcés, ce qui peut donner à l’observateur non natif l’impression d’une certaine labilité des phonèmes. De cette démonstration, il découle une exigence méthodologique de précision et d’exhaustivité de la description, qui est sous-tendue par une position éthique de Boas, qui en fait pleinement notre contemporain intellectuel : il n’y a pas de langue supérieure à une autre en termes de complexité ou de précision. On peut aussi lire dans cet exposé les éléments d’une difficulté théorique qui sera résolue peu après dans l’histoire de la linguistique : la différence entre phonétique et phonologie. Il en va de même pour la discussion suivante concernant « les groupes phonétiques spécifiques ». On voit dans cette formulation une illustration parfaite de la prudence descriptive de Boas, qui le conduit, là encore, sur les traces d’un problème bien connu des linguistes descriptivistes : celui des unités adéquates à l’objet. Il fait la remarque que les sons phonétiques sont souvent prononcés en groupes récurrents, obéissant ainsi au fait que « les idées en nombre infini ont été réduites par la classification en un plus petit nombre, qui par l’usage constant ont établi des associations stables, et qui peuvent être utilisés de manière automatique » (p. 85). On reconnaît ici une définition possible du mot et on se demande peut-être alors pourquoi Boas se donne tant de mal, et prend tant de précautions, pour aborder une notion qui paraît si triviale. Mais là encore, c’est sa façon d’aborder la description de langues structurellement si différentes des langues indo-européennes qui lui permet de toucher du doigt un point central de la linguistique moderne. La notion de mot comme association phonétique-sémantique unitaire de la langue a posé problème aux linguistes structuralistes cherchant à définir des concepts suffisamment généraux pour s’appliquer à la description de toute langue. La discussion de Boas (p. 91) préfigure, sans utiliser le terme, celle de la notion de morphème et reste surtout d’une parfaite actualité pour toute description de langue orale. La question de la délimitation entre mot et phrase (p. 89), particulièrement problématique pour des langues qu’on a pu décrire comme « holophrastiques », montre de nouveau les problèmes auxquels sont confrontés les linguistes s’aventurant dans la description scientifique d’une langue à partir de son observation sur le terrain. Cette exigence méthodologique de construire des outils conceptuels adéquats à la langue décrite, sans plaquer par avance sur elle des catégories grammaticales élaborées par les grammaires du grec, du latin et des langues indo-européennes, conduit Boas à parler dans l’Introduction de « processus grammaticaux » pour évoquer des structurations morpho-syntaxiques propres aux langues américaines et qui n’ont pas encore de désignation dans la tradition grammaticale des langues européennes.
Outre les discussions d’ordre proprement linguistique sur les aspects phonétique, morphologique et syntaxique de la description des langues américaines, l’Introduction évoque la question du rapport entre « race et langue »6 (p. 45-63). Cette longue démonstration peut nous paraître un peu étrange, mais il s’agit bien ici d’une problématique de l’époque au sujet de laquelle Boas a pris plusieurs fois position, aussi bien au niveau scientifique7 que comme citoyen8. Boas envisage plusieurs relations d’évolution conjointes ou disjointes entre type physique, langue et culture. Il montre que des groupes humains peuvent adopter une langue d’un autre groupe tout en gardant leur culture, ou adopter la culture sans la langue ou changer de type physique mais pas de langue, etc. Il envisage l’hypothèse d’une conjonction originelle des trois paramètres avant de conclure que
d’après nos connaissances historiques, il n’y a aucune raison de croire que le nombre de langues distinctes ait été à un moment quelconque moins élevé que maintenant. […] il n’y a aucune nécessité de supposer qu’à l’origine chaque langue et chaque culture se limitait à un seul type, ou que chaque type et chaque culture se limitaient à une langue seule ; bref qu’il y ait eu à un moment quelconque une corrélation étroite entre ces trois phénomènes (p. 60-61).
L’Introduction se conclut sur la nécessité de la linguistique pour l’ethnologie. Tout d’abord, il y a pour Boas une exigence pratique, qui est tout simplement l’accès au terrain. Mieux le chercheur connaît une langue, moins il est dépendant d’informations indirectes, ou du moins plus celles-ci lui sont utiles. Dans l’Anthropologie (« Quelques aspects philologiques de la recherche anthropologique », p. 87-95), on trouve d’ailleurs un texte comparant les exigences de la philologie classique et celles de l’étude anthropologique. On peut y lire en particulier ce paragraphe programmatique :
L’archéologue classique ou le philologue classique ne peuvent semble-t-il manquer de sourire avec indulgence lorsqu’ils entendent parler d’études anthropologiques sérieuses menées par des enquêteurs qui n’ont ni le temps, ni le goût, ni la formation nécessaire pour se familiariser avec la langue de la population qu’ils étudient. D’après les canons de la recherche philologique, ceux qui ne sont pas en mesure de lire les classiques peuvent-ils être comptés au nombre des chercheurs rigoureux ? […] Telle a pourtant été la situation de l’anthropologie jusqu’à maintenant. Très peu de chercheurs ont pris le temps et considéré comme un impératif de se familiariser suffisamment avec les langages indigènes pour comprendre directement de quoi parlent les populations qu’ils étudient, ce qu’elles pensent et ce qu’elles font. Un plus petit nombre encore a jugé utile d’enregistrer les coutumes, croyances et traditions des populations dans leur propre langue, et de nous livrer ainsi le matériau objectif susceptible de résister à une enquête approfondie. Il est évident, à mon sens, que, de ce point de vue, les anthropologues ont tout à apprendre de vous […] (p. 89-90).
Ce que dit Boas dans ce texte de 1905, on sait qu’il a déjà commencé à le pratiquer lui-même9, comme en témoigne ses recueils de textes de différentes cultures amérindiennes, dans leur version originale avec traduction (Boas, 1894) et qu’il ne cessera de le faire par la suite (Boas, 1912), y compris dans le Handbook (Boas, 1911a), les textes venant compléter les descriptions linguistiques. Outre l’aspect pratique des études linguistiques, celles-ci sont impératives pour Boas, car la langue fait tout simplement partie intégrante de l’objet d’étude de l’anthropologue (Introduction, p. 161). Une des raisons avancée par Boas est le caractère inconscient des phénomènes linguistiques (p. 169). Boas fait le parallèle avec certains comportements culturels. La langue permet d’observer des comportements dont les règles demeurent inconscientes à l’acteur, alors que d’autres comportements, gestes, rituels etc. arrivent à la conscience. C’est une difficulté pour l’observateur car ceux-ci sont du coup l’objet de « raisonnements secondaires et des ré-interprétations ». Ces raisonnements forment eux-mêmes un « vaste champ de phénomènes ethnologiques ». Or l’ethnologue cherche à mettre au jour les raisons inconscientes au principe des faits culturels et ne peut se satisfaire des raisonnements conscients justifiant ces traits culturels. On trouve ici encore un écho de cette réflexion dans l’Anthropologie (p. 351), dans la lettre à Lévy-Brühl où Boas argumente en faveur de la primauté du rite sur le mythe. Boas fait valoir que des danses d’aspect strictement semblable peuvent avoir des justifications mythologiques complètement différentes selon les groupes où elles sont pratiquées. Les textes de l’Anthropologie donnent un vaste aperçu des domaines culturels observés par Boas, notamment le domaine de l’art, dont on sait qu’il a particulièrement retenu son attention et a même été le sujet d’un livre déjà cité (Boas, 2003). Les lecteurs de Marcel Mauss trouveront aussi une section (« Le potlach et l’organisation sociale », p. 179-274) consacrée à des textes de Boas qui ont particulièrement attiré l’attention du sociologue français dans son Essai sur le don.
Après le recueil d’articles consacré à Boas (Espagne & Kalinowski, 2013) et la traduction de Primitive Art, la parution de ces deux livres vient enrichir la littérature boasienne francophone qui accusait un retard notable et contribuera, on peut l’espérer, à aiguiser la curiosité du lecteur pour cet auteur classique aux États-Unis. Pour ceux qui lisent l’anglais, de nombreux écrits de Boas sont disponibles dans les fonds des bibliothèques universitaires et aujourd’hui beaucoup peuvent être téléchargés, par exemple sur le site <www.archive.org>. Si l’on songe que Boas est contemporain de Freud (né en 1856) et de Saussure (né en 1857), on mesure l’intérêt que tout chercheur en linguistique, ethnologie, anthropologie, psychologie, psychanalyse, philosophie, histoire des sciences peut trouver à la lecture de ses textes, dans lesquels on le voit sans cesse aux prises avec les questions et les urgences scientifiques de son temps, élaborant un nouveau point de vue et de nouvelles méthodes de travail. Pour citer Marie Mauzé dans sa présentation de Boas (2003) :
Qu’est-ce que lire Primitive Art aujourd’hui ? C’est, dans un ouvrage inévitablement daté, d’abord prendre la mesure scientifiquement d’une œuvre fondatrice de l’anthropologie de l’art, née de l’anthropologie culturelle américaine et, en amont, de l’anthropologie allemande de la fin du XIXe siècle. C’est ensuite se situer au cœur des débats sur la nature de l’art dit « primitif », que Boas et ses successeurs ont su, dans le langage de leur temps, faire accéder à la dignité d’ « art » au sens fort du terme, en quoi nous est rappelé que l’unité de l’homme, c’est l’unité d’une pensée et d’une action dans l’Histoire. […] C’est en effet principalement à Franz Boas que nous devons nos premières approches de l’art de la côte Nord-Ouest ; et l’auteur de Primitive Art, s’il n’a peut-être pas sur faire parler sa sensibilité, n’en a pas moins révélé un « donné à voir » qui ne cessera de nous intriguer.
Père fondateur de l’anthropologie, précurseur de l’ethnographie et de la linguistique descriptive de terrain, chercheur infatigable, homme engagé, c’est un portrait passionnant qui se dessine à travers la lecture de ces deux ouvrages parus à un an d’intervalle. On y découvre un scientifique au travail, tâchant de penser son objet en le faisant émerger comme observable et le dégageant de théories préconçues. Si on a pu dire comme Laplantine (2001 : 75) qu’« il n’a pas formulé de véritable théorie », la lecture de ces deux ouvrages permet de mesurer à quel point cela n’est pas dû à une absence de réflexion conceptuelle en faveur de ce qu’on pourrait croire un pur empirisme. La pratique qu’a Boas de l’ethnographie est déjà en elle-même une théorisation, puisqu’il semble vain de chercher à expliquer ce qui aurait été mal décrit. Sa relation avec les individus et les groupes étudiés telle qu’elle apparait dans les lettres à Tate ou Hunt ou encore dans l’Introduction aux textes Chinook (Anthropologie, p. 80-82) ou dans le récit de ses relations avec les tribus kwakiutl (Anthropologie, p. 478-483), et d’autres textes encore, est le témoignage vivant d’une éthique de l’observation participante et de l’enquête de terrain. La variété des textes de l’Anthropologie permet de montrer en outre Boas pratiquant l’anthropologie dans plusieurs de ses domaines aujourd’hui souvent séparés : anthropologie physique, linguistique, culturelle. L’image qui se dessine fait également apparaître le citoyen engagé, non qu’il mette une quelconque idéologie dans sa pratique scientifique, mais parce qu’il place la recherche universitaire sous le signe d’une éthique de la vérité. C’est cette éthique et sa considération pour tout être humain que l’on retrouve dans les prises de position de Boas dans la vie publique. À l’heure ou certaines idées qu’on a pu jadis croire étayées par la science semblent refaire surface sous des formes plus ou moins modernisées, il n’est pas mauvais de mettre à la disposition des lecteurs contemporains les écrits d’un grand savant qui sont là pour nous montrer que la naissance des idéologies eugénistes et racistes du premier XXe siècle n’ont pas été l’émanation fatale de la science biologique et anthropologique du XIXe siècle et que des scientifiques comme Boas avaient combattu avec vigueur les conclusions politiques néfastes de théories erronées. Comme le dit très bien C. Trautmann-Waller dans son introduction à la dernière section de l’Anthropologie (p. 511).
Il nous rappelle ainsi d’une certaine manière combien, de la Bildung de Wilhelm von Humboldt à la morphologie goethéenne ou au Cosmos d’Alexander von Humboldt, la culture allemande essaie aussi de penser une unité entre nature et culture, ce dont on ne la crédite généralement que de façon négative, en lien avec l’hitlérisme et ses théories de l’espace vital (Lebensraum) ou du peuple comme entité biologique. À une époque où la notion d’anthropocène nous invite à conjuguer histoire humaine et histoire de la planète et où les enjeux écologiques soulignent l’urgence qu’il y a pour les humains à se penser dans leur lien avec leur environnement, cette tradition et les prolongements que Boas a su lui donner ont sans doute acquis une actualité nouvelle.