La « magie runique » et ses protagonistes dans la littérature norroise

  • “Runic magic” and Its Protagonist in Old Norse Literature

p. 79-98

Abstracts

Dans cette contribution, nous examinons la représentation de la magique runique dans les textes littéraires norrois, en portant tout particulièrement notre attention sur les protagonistes des pratiques magiques. Étant donné que l’écriture runique n’occupe en Islande qu’une place minime dans l’épigraphie médiévale, la tâche que nous nous proposons dans cette contribution consiste à analyser le phénomène tel qu’il apparaît dans la littérature norroise et, en particulier, dans les sagas médiévales, et à voir si la représentation qui en est donnée peut s’avérer vraisemblable ou bien s’il s’agit d’une projection de catégories médiévales sur des pratiques plus anciennes et païennes.

In this contribution, I explore the representation of runic magic in Old Norse literary texts, with a particular focus on the protagonists of magical practices. Considering that runic writing holds only minor significance in medieval Icelandic epigraphy, my aim is to analyze this phenomenon as it appears in Old Norse literature, especially in medieval sagas, and to determine whether the depiction is plausible or merely a projection of medieval concepts onto older pagan practices.

Outline

Text

Le présent article représente le prolongement par écrit d’une communication donnée dans le cadre d’une journée d’études consacrée aux agent·e·s de la magie dans la littérature scandinave médiévale, qui a eu lieu à Paris en novembre 2021. Les œuvres prises en considération dans la contribution sont surtout les sagas, en particulier celles des Islandais, qui livrent un témoignage assez vaste sur l’emploi – réel ou imaginé, comme nous aurons l’occasion d’y réfléchir – de l’écriture runique dans la société islandaise. Un autre genre littéraire pris en considération est celui des poèmes eddiques.

Dans son ouvrage datant de 2006, François-Xavier Dillmann a traité le sujet de la magie, en particulier des « agents de la magie dans l’Islande ancienne », de façon approfondie, analysant tous les types de magie ainsi que leurs protagonistes, qui ont été décrits en détail et replacés dans leur contexte social. Pour cette raison, nous n’envisageons pas de répéter ce qui a déjà été énoncé et écrit, mais nous entendons plutôt nous focaliser sur un type particulier de magie, à savoir celle qui prévoit l’emploi de runes.

Le fait de définir la magie comme « imaginée » s’avère central dans notre argumentation, et l’on essaiera de démontrer que, déjà au Moyen Âge central, il est légitime de parler de phénomènes de réception – sans qu’il faille attendre le début de l’époque moderne pour cela. En revanche, la dichotomie entre les imaginaires chrétien et païen ne joue guère de rôle en ce qui concerne les runes, car, contrairement à la croyance répandue dans l’opinion publique, cette écriture n’était pas nécessairement liée à une culture païenne ; en réalité, en Scandinavie – en particulier en Norvège – ainsi que dans les îles britanniques, on a trouvé nombre d’inscriptions runiques liées au monde du clergé. Le fait que les sagas des Islandais aient surtout pour cadre l’époque postérieure à la colonisation implique automatiquement que les agents de la magie runique dans ces textes agissaient d’abord dans un horizon plutôt païen, car à ce moment-là le processus de christianisation n’en était qu’à sa phase initiale. Les poèmes eddiques, dont les protagonistes sont les divinités païennes, sont également inclus dans la culture préchrétienne. À ce propos, il faut pourtant être conscients que tous les textes norrois ont été mis par écrit à une époque bien postérieure à l’introduction du christianisme et que souvent ils s’avèrent une projection chrétienne sur le passé païen ; mais dans les textes les deux religions ne sont pas représentées comme des pôles opposés – au moins pour ce qui concerne la magie runique. Le but de notre enquête sera donc de vérifier s’il s’agit d’une représentation vraisemblable ou bien d’une construction créée ad hoc pour reproduire un passé païen qui n’était plus tangible aux auteurs médiévaux chrétiens.

Les agents de l’épigraphie runique

Avant d’analyser la situation rencontrée dans les textes médiévaux, il importe de commencer en se posant les questions suivantes : Qui était capable d’utiliser l’écriture runique, à l’origine et à l’époque dont traitent les sagas ? Les personnes ayant cette compétence faisaient-elles partie de la catégorie des magiciens tout court, ou constituaient-elles une catégorie séparée ?

Le début de l’épigraphie runique

Commençons du début, en faisant brièvement le portrait des agents de l’écriture runique en général : à l’époque la plus ancienne des attestations runiques, c’est-à-dire aux premiers siècles après Jésus-Christ, on trouve des inscriptions dans lesquelles les maîtres-des-runes semblent avoir joui d’un statut privilégié, remplissant conjointement une sorte de fonction à la fois sacrale et militaire. Pour citer Vincent Samson (2023 : 356) « la fonction de l’erilar semble avoir revêtu une double dimension sacrée et martiale, étroitement liée à la divinité à laquelle la tradition mythologique scandinave attribue l’origine des runes » [à savoir Odin]. Bien avant, François-Xavier Dillmann (2003 : 542) avait postulé l’existence d’une sorte d’organisation cultuelle, tout à fait élitaire, des maîtres-des-runes, en particulier de ceux surnommés erilar, et Klaus Düwel (2000 : 33) avait remarqué que leur particularité et leur statut social élevé étaient liés à la capacité d’écrire, autrement dit à leur alphabétisation. Étant donné que cet appellatif d’erilar apparaît assez souvent en conjonction avec le verbe haiteka « je m’appelle », l’historien des religions Anders Hultgård (2009 : 235 sq.) a affirmé qu’il pourrait s’agir d’une autoprédication divine prononcée au sein des fonctions cultuelles. Le mot proto-nordique erilar/irilar a été identifié avec certitude dans une douzaine d’inscriptions qui remontent toutes à l’Âge des grandes migrations des peuples germaniques, c’est-à-dire à la phase initiale de l’épigraphie runique, dans la graphie du fuþark dit ancien, dont voici la liste :

1) fibule de Bratsberg (KJ 16, Telemark, ve-vie siècle)
2) hampe de lance de Kragehul (KJ 27, Fionie, ve siècle)
3) amulette en corne de Lindholmen (KJ 29, Scanie, ve siècle)
4) rocher de Veblungsnes (KJ 56, Møre og Romsdal, ve siècle)
5) pierre de Rosseland (KJ 69, Hordaland, ive-ve siècle)
6) pierre de Järsberg (KJ 70, Värmland, vie siècle)
7) pierre de By (KJ 71, Buskerud, ve siècle)
8-9) bractéates1 d’Eskatorp et Väsby (KJ 128 = IK 241/1 et 241/2, ve-vie siècle)
10) bractéate de Trollhättan (IK 639, Västergötland, ve-vie siècle)
11) fragment de pierre de Strängnäs (Södermanland, probablement ve siècle)
12) pierre de Rakkestad Øverby (Østfold, ve siècle)

Les inscriptions de cette époque, très peu nombreuses en regard du développement qu’elles connurent ensuite dans le Nord, sont caractérisées par des textes assez brefs et pas toujours compréhensibles. Il se trouve que certaines parmi elles présentent un contenu lié à la magie, mais celles-ci ne représentent qu’une partie minime du corpus et il est douteux qu’elles aient été produites par un groupe séparé de maitres-des-runes. On pense ici à l’inscription de Lindholmen, en Scanie (KJ 29, DR 261), dans laquelle on retrouve l’autoprédication du maître-des-runes liée à une série non lexicale et au mot alu considéré comme ayant une fonction apotropaïque2.

Le développement à l’Âge des vikings

À la différence de ce que l’on observe dans la phase initiale de l’écriture runique, aux époques suivantes, à partir de l’Âge des vikings, tout en conservant des compétences particulières et non communes au sein d’une culture encore essentiellement orale, les maîtres-des-runes semblent avoir perdu la « sacralité » dont ils jouissaient à l’origine pour devenir une catégorie d’artisans spécialisés – on pense par exemple aux nombreuses pierres runiques signées par des maîtres-des-runes au moyen de la formule NN risti rúnar « NN grava les runes ». øpir, auquel Marit Åhlén a consacré en 1997 une monographie, était le plus productif d’entre eux. Il nous semble dès lors pertinent de comparer les maîtres-des-runes de cette époque aux tailleurs de pierre des églises médiévales de Gotland, comme Sighraf, Byzantius ou Majestatis, c’est-à-dire une sorte d’artisans/artistes dotés de connaissances supérieures à la moyenne, lesquelles ne sont pourtant pas spécifiquement liées à l’emploi de la magie.

La coutume d’ériger des pierres runiques commença au début du ixe siècle au Danemark, mais c’est en Suède qu’elle se développa le plus, alors qu’en Norvège n’est seulement attestée qu’une cinquantaine d’inscriptions. Ces chiffres vont jouer un rôle important plus loin au sujet du développement de l’écriture runique en Islande.

Si l’on parvient à saisir le statut des mandants qui faisaient ériger les pierres pour leurs proches, il n’est guère possible d’en savoir davantage sur les « artisans » des runes. Même si des attestations montrent que les femmes pouvaient bien également commander des pierres runiques – pour leur mari, leurs fils ou filles, etc. –, nous ne connaissons pas de signature de femmes maîtres-des-runes. Pour cette raison, il est difficile, voire impossible, avec les données à notre disposition, de développer un discours portant sur le genre. Les maintes inscriptions du sud de l’Allemagne, datant du vie-viie siècles, indiquent que les hommes comme les femmes de la couche supérieure se servirent des runes, mais pour l’heure il n’est pas possible de savoir s’ils les gravèrent eux-mêmes, ni de définir avec certitude leur identité.

Par ailleurs, si l’on considère la catégorie des maîtres-des-runes de l’Âge des vikings, on n’associerait pas d’emblée ces derniers à la magie, mais plutôt à des connaissances et à des compétences spéciales. Contrairement à l’idée qui a cours à l’époque moderne à propos des runes, souvent associées à la sphère ésotérique (et au « mystère »), cette écriture n’a pas été créée dans le but spécifique de recourir à la magie. Les runes sont plutôt un système sémiotique destiné à exprimer la pensée humaine dont la magie en fait partie, au titre d’expression culturelle. Bien que dans l’épigraphie ancienne et plus récente soient attestés des exemples de textes magiques, ceux-ci ne représentent pas la majorité des inscriptions. Düwel (2015 : 229 sq.) présente les principes permettant d’identifier une inscription comme magique à partir de ses formules. Il identifie, par exemple, les inscriptions de Björketorp (DR 360), de Stentoften (DR 357), d'Eggja (KJ 101), de Noleby (KJ 67), ainsi que l’amulette de Lindholmen (KJ 29) et la plupart des bractéates comme contenant des éléments connectés à la magie. Récemment, Michael Schulte (2020) a également consacré des études aux formules magiques, non nécessairement liées exclusivement aux runes, mais attestées plusieurs fois dans le corpus runique. Une formule récurrente est celle du carré magique Sator, contenant le palindrome sator arepo tenet opera rotas ; une autre est þistil-mistil, etc. Ces deux formules, sans avoir un sens lexical précis, bénéficient en outre d’une composante visuelle particulière3, de telle sorte que Schulte parle à leur propos de « formules censées être écrites ».

Le changement au Moyen Âge

À la transition entre l’Âge des vikings et le Moyen Âge s’opéra un changement dans la compréhension et dans la fonction de l’écriture et de l’alphabétisation (literacy) : on assiste en effet à l’extinction progressive de la pratique élitiste d’ériger des pierres runiques et, dans le même temps, à l’instauration de cette écriture comme moyen commun de communication. Les pierres monumentales furent remplacées par de petits bâtonnets en bois – que l’on appelle en norrois rúnakefli – qui offrent une gamme bien plus large de textes, relevant moins de formules et de communications publiques et monumentales que de communications privées. Pour cette raison, le cercle des personnes capables d’écrire au moyen des runes s’est trouvé considérablement élargi et il devient plus difficile de le circonscrire précisément. Du fait du contenu des textes, il est clair qu’une partie était produite par le clergé (prières, bénédictions etc.), une autre par des marchands (cf. les inscriptions de Bryggen à Bergen, de Trondheim ou Tønsberg). En outre, la découverte d’inscriptions montrant des pratiques d’apprentissage telles que celui du latin indique qu’au Moyen Âge la connaissance des runes n’était plus une compétence limitée à un groupe élitiste. À partir de ce moment, l’écriture runique remplit en Norvège la fonction d’un moyen de communication, alternatif à l’alphabet latin, avec lequel on produisit un large éventail de textes, notamment des lettres, des déclarations d’amour, des prières, et naturellement aussi des incantations. Les amulettes médiévales en plomb présentent une forme de religiosité populaire que l’on pourrait définir comme de la « magie blanche », à savoir protectrice, qui a pour but de diriger la volonté de Dieu et des saints en faveur du requérant qui est en possession d’une amulette4. Le fait que l’on trouve de telles amulettes écrites parfois avec des runes, parfois avec des lettres latines, nous fait comprendre que la liaison entre les runes et la magie n’était pas intrinsèque, mais plutôt aléatoire5. Comme l’affirma Klaus Düwel (2015 : 223), aucun élément probant n’indique une relation ontologique entre l’écriture runique et la magie.

Il est bien évident – mais il faut le souligner – que notre évaluation dépend de l’état de conservation des attestations ainsi que du hasard. Cela signifie que la meilleure des thèses peut à tout moment perdre sa validité à la suite de nouvelles fouilles. D’un autre côté, il est difficile de vérifier une argumentation ex negativo, et, pour cette raison, il vaut mieux à notre avis continuer à évaluer la situation en partant des données et en excluant le plus possible les conjectures.

L’épigraphie runique en Islande

Suivant les prémisses qui viennent d’être énoncées, il faut donc vérifier si en Islande sont attestées des inscriptions runiques et quel en est leur contenu pour les comparer avec les sources littéraires. La situation actuelle des trouvailles épigraphiques islandaises ne permet pas, à notre avis, de postuler une tradition runique très développée6. Par rapport à ce qu’il en est en Scandinavie, cette écriture ne semble jouer qu’un rôle minime en Islande et il faut souligner que les quelques inscriptions épigraphiques ne livrent pas de témoignage évident de magie.

Si l’on considère les régions depuis lesquelles la tradition runique aurait pu être importée en Islande au moment de sa colonisation, l’endroit le plus vraisemblable serait la Norvège. Mais seules une cinquantaine d’inscriptions datant de l’ère viking proviennent de ce pays, c’est-à-dire que même en cette région, l’emploi de l’écriture runique n’était pas très répandu7. De même, en Irlande et dans les colonies des îles britanniques – les autres endroits d’où venait une partie importante des colons –, le nombre d’inscriptions demeure limité. De l’époque la plus ancienne, qui s’ouvre avec la colonisation de l’Islande, commencée à la fin du ixe siècle, on ne connaît qu’une poignée d’inscriptions dont la datation présente une grande marge d’incertitudes. Une des inscriptions découvertes récemment au centre-ville de Reykjavík (dans la zone de l’Alþingi) est placée sur une fusaïole en grès provenant de la couche de sol datant de 871 à 1226. L’inscription, bien lisible, est interprétée comme une sorte d’étiquette (Vilborg á mik‚ « Vilborg me possède ») dont on connaît de nombreux parallèles en Norvège du point de vue typologique. Cependant, ce type de textes, en Scandinavie, remonte au xiiie siècle et non à l’Âge de la colonisation de l’Islande.

Afin d’affirmer un emploi extensif des runes sur le sol islandais, en l’absence de témoignages épigraphiques, les savants ont souvent recouru aux sources littéraires, en particulier aux sagas et à la poésie eddique8, qui mentionnent à maintes reprises les runes, associées dans la plupart des cas à la magie et à des incantations. Même si l’on accepte une datation très ancienne des trouvailles – qui est pourtant difficile à vérifier et à notre avis assez invraisemblable –, il paraît surprenant qu’il n’y ait guère de correspondance avec l’usage des runes attesté dans la littérature. Le fait le plus étonnant par rapport à l’emploi qu’on aurait pu faire des runes en Islande nous semble l’absence totale de pierres runiques qui auraient pourtant pu servir en tant que marqueurs d’espace dans la phase de colonisation – usage que l’on trouve d’ailleurs très répandu en Suède.

En ce qui concerne les agents de l’épigraphie runique, la typologie du nombre infime d’inscriptions ne permet pas d’en définir ni les maîtres (producteurs), ni la couche sociale pour laquelle elles étaient censées avoir été produites. À ce sujet, on ne peut assurément que partager l’opinion de Lucien Musset qui, dans son Introduction à la runologie (1965, 294 sq.), affirma que :

Elle (=L’Islande) ne fit pas […] à l’épigraphie runique une place considérable : sans doute fut-elle colonisée trop tôt, à une époque où la Norvège elle-même ne gravait guère d’inscriptions suivies. Le matériel islandais est tardif […], peu abondant […] et, au total, d’un intérêt limité. […] Tout semble indiquer qu’il n’y a pas de continuité véritable entre les textes conservés et la tradition runique de l’âge des vikings. Le fuþark des inscriptions islandaises ne dérive pas de celui qu’ont pu apporter les colons des ixe et xe siècles, mais bien de celui qui était en usage au xiiie siècle en Norvège occidentale […].

En outre, les quelques fragments de textes ne semblent pas confirmer l’emploi des runes pour la magie.

Les runes et la magie runique dans les sources littéraires norroises

En ce qui concerne les sources littéraires, le constat est exactement inverse : elles attestent une connaissance répandue des runes. Certains savants – à savoir Björn M. Ólsen (1883), François-Xavier Dillmann (1996) et Þórgunnur Snædal (2011, 2023) – estiment que cela reflète de façon véridique la situation pendant la période de la colonisation. En revanche, d’autres, dont nous faisons partie avec Finnur Jónsson (1884), Helmut Arnzt (1944) et plus récemment Michael Barnes (1994), pensent que les Islandais n’en ont eu connaissance et ne les ont utilisées qu’à partir du xiie ou xiiie siècle.

Aux messages transmis par l’épigraphie médiévale ne correspondent pas ceux pour lesquels sont employées les runes dans les sources littéraires, lesquels se limitent dans la plupart des cas au contexte magique et cultuel9. De fait, on constate que la mention de cette écriture est souvent utilisée comme motif symbolique pour marquer le « surnaturel ».

Les poèmes eddiques

Contrairement à l’épigraphie, ces sources nous donnent des indications assez précises sur les agents de la magie runique : dans les poèmes eddiques, les runes sont associées à Odin et à d’autres dieux païens (par exemple Rígr dans la Rígsþula), ou encore à des êtres mineurs de la mythologie, comme les valkyries10. La liaison avec Odin connote le motif de l’écriture comme instrument de pouvoir et suggère un discours élitiste, plutôt qu’elle ne marque seulement l’aspect magique. En revanche, dans l’épigraphie scandinave, le seul dieu auquel on associe les runes est Thor, qui apparaît dans la formule Þórr vígi kumbl/rúnar, « Thor consacre le monument/les runes », par exemple sur la pierre de Virring (DR 110), la pierre de Glavendrup (DR 209) ainsi que la pierre de Velanda (Vg 150).

L’association littéraire avec Odin figure d’abord dans le poème eddique Hávamál (str. 138 et suiv.) qui raconte l’invention des runes par le sacrifice d’Odin à lui-même. Bien que ces vers évoquent la « création divine » des runes, ils ne fournissent ni description de leurs formes, ni explication précise de leur fonction. Ce texte sert surtout de mythe étiologique pour expliquer la provenance surnaturelle de l’écriture runique ; il prend place au sein de la tradition de maints mythes relatifs à l’invention ou à la découverte de systèmes d’écriture par un dieu, ce qui leur donne une légitimité. De cette manière, l’aristocratie germanique liée à Odin et utilisatrice des runes en ressort renforcée. Déjà à la str. 80 la nature divine des runes (inar reginkunnu) est mise en évidence11 ainsi que leur emploi dans l’art divinatoire : elles ont été créées par les dieux et peintes par Fimbulþulr (=Odin), apparemment pour l’oracle (Þat er þá reynt, er þú að rúnum spyrr, « Tout ce que tu demandes aux runes s’avérera vrai »).

La Rígþula, poème eddique préservé en dehors du manuscrit principal de l’Edda poétique (Codex Regius 2365 4to), confirme la connaissance et l’emploi des runes par l’élite politique, qui en serait à la fois l’agent et le destinataire : le dieu Rígr les enseigne notamment à son fils Kong ungr (jeu de mot pour « roi »), qui se trouve au sommet de la société norroise.

Parmi les poèmes héroïques de l’Edda se distinguent les Sigrdrífumál, dans lesquels la valkyrie Sigrdrífa donne des renseignements à Sigurðr sur de nombreux charmes. Bien qu’elle associe les charmes à des « runes », celles-ci ne semblent pas avoir la valeur de « lettres » qui servent à rédiger des textes. Elles semblent plutôt être exclusivement au service de la pratique magique ou bien de la science médicale (la limite entre les deux domaines n’est pas toujours clairement définissable). La valkyrie dresse une liste de signes/symboles créés ad hoc afin de pratiquer de la magie en faveur de tous ceux qui s’en servent. Ici, il est nécessaire de souligner qu’un pareil emploi n’est pas connu dans l’épigraphie runique. Les prétendues runes s’appellent sigrúnar, ǫlrúnar, biargrúnar, brimrúnar, limrúnar, málrúnar, hugrúnar tout comme bócrúnar (> bótrúnar, corrigé grâce à l’inscription runique sur un bâtonnet de Bergen B257), à savoir « runes de la victoire, de la bière, pour l’accouchement, du ressac, d’amour, du langage, de la sagesse, pour la guérison ». Ces signes seraient une des composantes – mais pas la seule – nécessaires à l’obtention de l’effet souhaité ; en outre, il faudrait effectuer certaines actions ou bien graver les « runes » sur des objets spécifiques. À titre d’illustration, la strophe 10 sert à l’accouchement :

str. 10 : Bjargrúnar skaltu kunna,                     ef þú bjarga vilt
                                                    ok leysa kind frá konum;
            á lófa þær skal rísta                ok of liðu spenna
                                                    ok biðja þá dísir duga12.
« Les runes de la délivrance tu dois connaître, si tu veux aider femme en travail et la délivrer de l’enfant, sur les paumes il faut les graver et les entourer autour des poignets et prier les Dises afin qu’elles aident13. »

En guise de bilan préliminaire et provisoire, nous pouvons donc affirmer que les poèmes eddiques proposent un emploi des runes qui diverge de celui attesté dans l’épigraphie islandaise et les associent à la classe supérieure de la société norroise, qui seule en aurait eu la connaissance, car ses membres avaient été initiés (cf. Kon ungr par Rígr dans la Rígþula14). Les Sigdrífumál donnent une clé de lecture pour la compréhension des signes appelés « runes », dits aussi líknstafir (« signes salutaires »), qui – comme l’affirme la strophe 6 – étaient liées à des ljóð (« incantations magiques ») et à des galdrar (« charmes, sortilèges ») :

str. 6 […]          fullr er hann lióða                    oc líknstafa,
                            góðra galdra                                 oc gamanrúna 15
« [la corne] est remplie de chants magiques    et de signes salutaires,
                                                  de bons charmes          et de runes d’amour. »

L’association de signes particuliers inscrits dans le contexte de rituels plus vastes fait fortement penser aux grimoires datant du Moyen Âge tardif ou encore davantage à ceux du début de l’époque moderne, préservés nombreux en Islande, qui établissent une interaction entre des symboles et des incantations – c’est-à-dire entre un élément visuel et la communication verbale, qu’elle soit écrite ou orale16. À noter que dans ces grimoires, les symboles utilisés sont souvent appelés rúnar (dans le sens général de « signes/symboles »). Il faut pourtant souligner que les (galdra-)stafir (« signes magiques ») attestés dans ces recueils d’incantations ne correspondent jamais à de véritables runes17. Le plus ancien exemple de galdramyndir (« figures magiques ») remonte à l’époque autour de 1500. Le manuscrit sur parchemin AM 434 a 12mo transmet un livre médical, qui a été rédigé par deux copistes. Le traité – aujourd’hui conservé que comme fragment – s’inscrit dans la tradition du traité médical du Danois Harpestræng ; mais tout au début, il contient un ajout inconnu avec des galdramyndir (fol. 1r-6v)18.

Si l’on accepte l’identification des sigrúnar et des autres types de « runes » du poème eddique comme des symboles magiques, cela signifie alors que l’auteur des Sigrdrífumál aurait transposé dans les runes ses connaissances en matière de rituels magiques. Or cela s’avérerait n’être possible, à notre avis, qu’à la condition que les runes ne fassent pas partie intégrante de la culture islandaise des origines et que l’on ait pu dès lors leur donner de nouvelles significations, les charger de nouvelles connotations, comme cela se produit dans des cas de réception. En ce qui concerne leur datation, les poèmes cités ci-dessus semblent assez récents, c’est-à-dire que l’emploi des runes qui y est montré pourrait bien représenter une projection imaginée, bien éloignée de la réalité de l’âge de la colonisation.

Voici un argument de confirmation en faveur de notre thèse : dans deux poèmes eddiques qui relatent la même matière, précisément Atlakviða et Atlamál, seul le deuxième et plus récent fait référence aux runes utilisées comme moyen pour que Guðrún puisse avertir ses frères Gunnar et Högni du piège. Dans l’Atlakviða – le plus archaïque des deux et probablement l’un des plus vieux poèmes eddiques –, Guðrún envoie une bague avec un poil de loup pour indiquer le danger (la connotation renvoie clairement au loup Fenrir de la mythologie nordique). Dans les Atlamál, composés vraisemblablement peu avant la mise par écrit du codex Regius au xiiie siècle, Guðrún utilise un rúnakefli comportant un message en runes, dont il convient également de noter que celles-ci ont été écrites par une femme, qui était en outre membre de l’aristocratie. Selon notre avis, la date du poème correspondrait à l’époque où l’intérêt pour l’écriture runique se serait développé en Islande, aux xiiie siècle, comme le montre le 3e traité grammatical rédigé par Óláfr Þórðarson, qui propose une section dédiée aux runes, probablement inspiré en cela par la Norvège19. Si les runes étaient aussi répandues dès le début de la colonisation – comme l’affirme Björn M. Ólsen –, la question se pose alors de savoir pourquoi l’Atlakviða ne présente pas ce motif narratif très efficace et bien attesté dans les sagas.

Magie runique dans les sagas

Les sagas présentent un scénario différent de celui propre aux poèmes eddiques mais qui, encore une fois, diverge des attestations épigraphiques. En ce qui concerne les agent·e·s de la magie runique, le témoignage des sagas nous suggère qu’il n’existait pas une catégorie établie d’artisans/artistes telle que celle qui est connue à partir des pierres runiques suédoises à la même époque, mais que tous – jeunes et vieux, femmes et hommes – pouvaient s’en servir, ce qui correspond encore une fois plutôt à la situation médiévale mais n’est pas forcément valable pour l’Âge des vikings.

L’exemple le plus fameux est tiré de l’Egils saga Skalla-Grímssonar, dans laquelle plusieurs passages concernent les runes. Au chap. 44 du récit est présentée une strophe (lausavísa) qui conte que le scalde Egill a pu conjurer la mort par empoisonnement grâce à la magie runique. Sur une corne remplie d’une substance empoisonnée, Egill grave des runes qui déploient un effet protecteur.

Egill brá þá knífi sínum ok stakk í lófa sér; hann tók við horninu ok reist á rúnar ok reið á blóðinu. Hann kvað: Rístum rún á horni | rjóðum spjǫll í dreyra…20
« Egill sortit alors son couteau et se l’enfonça dans la paume. Il prit la corne, grava des runes dessus et y fit couler son sang. Il déclama : Gravons des runes sur la corne, Rougissons de sang les signes21. »

La conséquence de cette action est que la corne éclate en morceaux et qu’Egill évite l’empoisonnement. Le lecteur n’apprend rien sur le contenu de l’inscription ni sur la forme spécifique des « signes » (comme on pourrait traduire le norrois spjǫll), mais il acquiert l’impression que les runes s’avèrent en soi plus puissantes que d’autres formes de magie.

Dans un autre passage de la même saga (chap. 72), Egill sauve une jeune femme qui était tombée malade à cause de runes gravées d’une façon incorrecte. Le protagoniste accomplit alors une série d’actions que l’on retrouve presque à l’identique dans les grimoires d’époques plus récentes (par exemple brûler un objet, le remplacer par un autre et le poser sous l’oreiller ou le matelas sur lequel dort la personne à laquelle la magie est destinée). Dans ce cas-ci non plus, le lecteur n’est pas amené à connaître le contenu des runes gravées pour sauver la malheureuse, de telle manière que l’énoncé ne joue pas le rôle principal et que l’action revêt la seule fonction narrative de souligner les compétences extraordinaires du personnage principal.

Avant de tirer des conclusions, nous proposons un deuxième exemple similaire avec un passage qui a pour protagoniste une femme, la magicienne Þúriðr, en train d’effectuer un sortilège dans lequel des « runes » jouent manifestement un rôle central. En tant que fóstra (« nourrice ») de Þorbjǫrn ǫngull, l’ennemi de Grettir le Fort, elle utilise des pratiques magiques pour aider son protégé à triompher de son adversaire :

[S]íðan tók hon kníf sinn ok reist rúnar á rótinni ok rauð í blóði sínu ok kvað galdra. Hon gekk ǫfug andsælis um tréit ok hafði þar yfir mǫrgum ummæli. Eptir þat lætr hon hrinda trénu á sjá ok mælti svá fyrir, at þat skyldi reka út til Drangeyjar, ok verði Gretti allt mein at.22 (chap. 79)
« … puis elle prit son couteau et grava des runes sur la souche, les rougis de son sang et chanta une incantation magique dessus. Elle fit le tour de la souche à reculons, dans le sens inverse de la marche du soleil en prononçant des charmes puissants. Après cela elle fit rejeter la souche dans la mer et prescrivit qu’elle devait échouer à Drangey et causer à Grettir toutes sortes de maux23 ».

La fóstra est introduite dans la saga peu juste avant ce passage, au chap. 78, et décrite d’une façon plutôt négative telle une vieillarde (norr. kerling) païenne et devenue guère utile qui, dans son passé, avait bien maîtrisé l’art de la magie (norr. fjǫlkunnig, margkunnig24). Dans la présentation, rien n’est dit de son appartenance à une couche sociale spécifique25 ni de ses connaissances des runes, qui apparaissent seulement au moment où elle les utilise à l’occasion du sortilège contre le protagoniste. Cependant, dans ce cas-ci, l’association avec la religion païenne et la magie noire donne une connotation négative aux runes mêmes. Dans le passage en question les runes gravées s’inscrivent dans un rituel plus vaste et sont accompagnées d’une incantation (galdr), exactement correspondant aux galdramyndir des grimoires plus récents. On pourrait donc se demander, s’il s’agit de véritables runes ou plutôt de « signes magiques », désignés par le terme générique de « runes ».

Dans son ouvrage Wizards and Words (2019), Lucie Korecká mentionne toute une série de passages dans les sagas qui proposent des exemples de magie runique – qu’elle soit en faveur ou contre quelqu’un –, et elle met en évidence un point qu’il nous paraît très important de souligner :

Some specific features […] are repeated in the accounts (= in the sagas), and they seem to have been a standard part of the idea of runic magic. Whether or not they reflect some known aspects of a real tradition, as narrative stereotypes they underline the concept of runic magic as a complex lore that one had to learn in its entirety […] » (Korecká 2019 : 234, nous soulignons)

Les sagas ne portent donc pas un témoignage sur la magie runique elle-même, mais plutôt sur l’idée que les auteurs médiévaux se faisaient d’une possible magie runique, qui l’utilisent comme motif narratif pour faire progresser l’intrigue. De même Ryder Patzuk-Russell (2021 : 43) confirme cette opinion, en affirmant que la référence aux runes et à la magie runique paraît exister tout simplement pour des raisons littéraires (« in many cases such references seem to exist mostly for literary convenience »). Les mots-clés au sein de leurs argumentations nous paraissent dès lors être « idée » et « conceptualisation », c’est-à-dire que l’on rencontrerait dans les sagas des projections de l’image que l’on se faisait du passé recourant aux propres catégories de pensée des auteurs. Il est vrai que, dans une culture écrite comme l’était déjà celle médiévale, il devait résulter une difficulté à imaginer l’oralité : écrivant de leur point de vue d’individus ancrés dans une société désormais alphabétisée, les auteurs paraissaient connaître le concept de la « magie des écritures », telle qu’elle est attestée dans les formules écrites connues au Nord (cf. ci-dessus). D’un autre côté, ils étaient conscients que la seule forme d’alphabétisation envisageable à l’Âge des vikings aurait été runique, et pour cette raison ils transférèrent leurs concepts sur les runes26.

Divergence entre épigraphie et sources littéraires

Si l’on refuse de fonder son argumentation sur une hypothétique perte de toutes les inscriptions épigraphiques islandaises datant de l’Âge des vikings, il faut assurément chercher d’autres explications pour justifier la disparité entre les sources littéraires et les sources archéologiques.

Si les runes avaient connu une vaste expansion dès la colonisation, comme les sagas et les poèmes peuvent nous le laisser croire, alors le premier grammairien islandais (au début xiie siècle), en traitant de l’orthographe islandaise, aurait bien dû en parler, mais cela n’est pas le cas. La présentation de la lettre <þ> pour la consonne fricative dentale, qui à l’origine était une rune mais qui fut introduite dans l’alphabet latin islandais à partir de l’alphabet des Anglo-Saxons, confirme notre postulat. L’auteur ne semble pas être conscient de cette origine et il fait remonter le signe à l’alphabet anglo-saxon en l’appelant þorn, selon le nom de la rune anglo-saxonne :

Staf þann sem flestir menn kalla þorn, þann kalla ek af því helldr the […]27
« La lettre que la plupart des gens appellent þorn, moi je l’appelle plutôt the… »

Le nom norrois de la rune était þurs, attesté de façon continue depuis le ixe siècle (dans l’Abecedarium Nordmannicum) jusqu’au xixe siècle28. On ne peut donc guère comprendre pourquoi le premier grammairien n’aurait pas utilisé le nom norrois établi pour ce signe et conservé pendant un millénaire si les runes faisaient bel et bien partie de son horizon culturel. à notre avis, la différence de désignation témoigne clairement de ce qu’à ce moment-là l’écriture runique n’était en Islande qu’un phénomène liminal.

Ce n’est qu’au xiiie siècle qu’Óláfr Þórðarson hvítaskáld proposa un chapitre sur l’écriture runique dans le 3e traité grammatical. C’est à cette date assez tardive – période dite de la Renaissance nordique – que les runes acquirent de l’importance en Islande et furent mises en valeur par les auteurs des sagas. Dans le même contexte se développa progressivement la coutume de graver les pierres tombales avec des runes. Mais il s’agit manifestement d’un phénomène secondaire imitant la tradition latine et adaptant la formule hic requiescit en islandais hér hvílir (« ici repose… »)29.

Conclusion

Pour conclure, notre intention était de montrer que, en ce qui concerne les runes, la représentation que nous donnent les sources littéraires norroises ne semble pas correspondre à leur emploi dans l’épigraphie. Les quelques inscriptions islandaises à notre disposition – fragmentaires et difficiles à dater – ne prouvent pas d’une façon convaincante que l’écriture runique ait été bien établie en Islande au moment de la colonisation, alors que d’après les sources littéraires les colons l’utilisaient dans plusieurs buts (magie, rédaction écrite de poèmes, moyen de communication privée, etc.). À ce sujet, nous sommes en total désaccord avec la chercheuse islandaise Þórgunnur Snædal, qui affirme que la connaissance et l’utilisation des runes ont été courantes dans la vie quotidienne des Islandais dès le début et pendant des siècles30.

En ce qui concerne les pratiques runiques décrites dans les sagas, on observe par exemple qu’elles correspondent à l’utilisation des runes au Moyen Âge central, c’est-à-dire à l’époque de la production de ces textes, plutôt qu’à celle des vikings ; les sources épigraphiques norvégiennes, à savoir celles provenant de Bergen, de Trondheim et de Tønsberg, valident ces observations. De même, le fait que dans les textes on ne distingue pas une « classe » de maîtres-des-runes existant pourtant dans la Scandinavie continentale confirme que ces représentations correspondent à une date plus tardive, c’est-à-dire à l’époque médiévale.

Les sources littéraires, composées ou mises à l’écrit au Moyen Âge, fournissent des indices divergents : les poèmes eddiques associent les runes (et la magie runique) au culte odinique et les considèrent comme un phénomène d’élite, dont les agents seraient membres de l’aristocratie politique. En revanche, les sagas suggèrent qu’il n’y avait pas de distinction de sexe – hommes et femmes pouvaient également maîtriser l’art des runes magiques –, ni d’âge ou de classe sociale. Ces sources transforment la vérité historique et reproduisent une réalité imaginée par les auteurs, qui n’est confirmée ni par l’épigraphie ni par la littérature grammaticale produite en Islande. De surcroît, étant donné que la représentation est probablement fictive, il n’est pas justifié de projeter ces représentations littéraires sur les réalités historiques ni de déterminer leurs agents avec certitude.

Bibliography

Sources

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Notes

1 Les bractéates sont des médaillons en or attestés pendant un siècle en Europe du Nord (en particulier au Danemark) à partir du ve siècle.

2 À propos du mot alu et d’autres attestés sur les bractéates de l’Âge des grandes migrations, voir Heizmann 2001.

3 Le carré magique Sator peut être lu dans toutes directions ; la formule þistill-mistill consiste souvent à écrire les initiales dans un premier groupe puis à répéter les lettres de la séquence -istil en nombre équivalent à celui des initiales, par exemple þmk iii sss ttt iii lll (=þistil, mistil, kistil) sur la pierre de Gørlev (DR 239).

4 À ce sujet, voir Bauer (2020).

5 Cf. Imer & Olesen (2018).

6 Tout autre avis exprime Þórgunnur Snædal (2023), selon laquelle l’écriture runique était largement répandue en Islande. Cependant, dans sa récente édition, elle ne recense que 108 inscriptions couvrant une période d’environ 1 000 ans, ce qui, à notre avis, affaiblit considérablement sa thèse.

7 Les inscriptions de Bergen sont plus tardives ; elles datent de la fin du xiie siècle jusqu’au xve siècle, dont la majorité appartient à la période 1250-1330.

8 Björn M. Ólsen (1883 : 5).

9 En ce qui concerne le culte, on pourrait penser aux inscriptions d’erilar qui cependant, comme nous venons de le voir, s’arrêtent après la première phase.

10 Dans l’épigraphie, le lien avec Odin est moins évident et il est éventuellement plus tangible sur les bractéates qui, selon une partie des chercheurs, présentent une iconographie liée à la figure du dieu le plus puissant du panthéon germanique, cf. Hauck (1992) et Heizmann & Axboe (2011).

11 Nature divine de cette écriture, répétée également à la str. 142.

12  Sigrdrífumal, p. 315.

13 Traduction de R. Boyer 1992 : 626 (ici str. 9).

14 Cet emploi et ses agents correspondent en revanche à l’épigraphie runique de la première période (iie-vie siècles), attestée en fuþark ancien.

15 Sigrdrífumal, p. 314.

16 Nous verrons plus en bas que cela correspond à un emploi fait dans un épisode de la Grettis saga.

17 À ce sujet voir Bauer & Pesch 2023.

18 On connaît des grimoires, tels que la Galdrabók datant d’environ 1600, qui recourent à différents systèmes sémiotiques (à savoir des textes, des signes et des actions combinés), lesquels grimoires rappellent fortement la situation des protagonistes des sagas. La Galdrabók se limite à l’énumération d’instructions pour la magie protectrice ou bien pour les sortilèges, mais elle ne nous informe pas sur les agents d’une telle matière. Par conséquent, il n’est pas possible d’identifier le groupe des gens qui la maîtrisaient.

19  Cf. Kålund 1908.

20 Egils saga Skallagrímssonar : 109.

21  Traduction par Regis Boyer 1987 : 77.

22  Grettis saga Ásmundarsonar : 250.

23  Traduction par Regis Boyer 1987 : 932.

24 Du point de vue lexical il existe une association fort intéressante entre la maîtrise de la magie et la connaissance ; voir à ce sujet Dillmann 2006 : 194-198.

25 Le fait d’être une fóstra représente pourtant un ancrage dans un niveau social assez bas.

26 D’une façon similaire, Hanna et Barbera, les auteurs de la série télévisée d’animation The Flintstones (1960-1966), ont créé des frigidaires et des voitures en pierre pour les ancêtres de l’humanité à l’âge de la pierre au lieu d’imaginer la manière dont ils auraient authentiquement pu vivre et se déplacer ; ils emploient une technologie équivalente à celle du xxe siècle, familière à leur auditoire et tout à fait anachronique d’un point de vue historique. Dans ce cas, il est cependant clair qu’ils voulaient obtenir un effet comique, ce qui n’était pas le but dans les sagas.

27 Hreinn Benedictsson 1972 : 242.

28 Cf. l’édition de Runica manuscripta nordiques par Bauer & Heizmann (sous presse).

29 Þórgunnur Snædal (2023) n’en recence que 108 dans son édition, datant, selon elle, du ixe au xixe siècle. Il est d’ailleurs important de noter qu’elle ne distingue pas entre une tradition authentique et une réception tardive du phénomène.

30 Voir l’affirmation de Þórgunnur Snædal (2023 : 5) : « … að segja hina margþættu og löngu sögu rúnanna á Íslandi og gera grein fyrir því hversu mikilvægur þáttur þær voru í daglegu lífi hér um aldaraðir. »

References

Bibliographical reference

Alessia Bauer, « La « magie runique » et ses protagonistes dans la littérature norroise », Deshima, 18 | 2024, 79-98.

Electronic reference

Alessia Bauer, « La « magie runique » et ses protagonistes dans la littérature norroise », Deshima [Online], 18 | 2024, Online since 04 décembre 2025, connection on 05 décembre 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/deshima/index.php?id=119

Author

Alessia Bauer

Directrice d’études, École pratique des hautes études, études scandinaves et runologiques.

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