Sur les traces néerlandaises de Lou Andreas-Salomé

Esquisse à propos de Ruth, livre à succès de 1895

  • In the Dutch Footsteps of Lou Andreas-Salomé. A Sketch about Ruth, her Best-selling Book of 1895

p. 211-232

Zusammenfassungen

Avec cette contribution, je propose de poursuivre l’enquête sur la place du néerlandais dans la vie et dans l’œuvre de Lou Andreas-Salomé (1861-1937) que j’ai entamée en m’intéressant au surprenant silence qui entoure le roman In den strijd om God. L’auteure l’avait elle-même traduit de l’allemand vers le néerlandais et l’avait publié en 1886 chez l’éditeur amstellodamois Van Kampen & Zoon. Ici, la focale sera portée sur Ruth (1895), roman qui connut un grand succès du vivant de l’auteure. Ce roman de Lou Andreas-Salomé a sans doute été du goût de ses contemporains, friands d’histoires d’adolescent·e·s et d’interrogations pédagogiques. Deux noms me guideront dans la lecture de Ruth, pour laquelle je suivrai deux angles d’approches : biographique et intertextuel. La lecture biographique se fera à partir du pasteur néerlandais Hendrik Gillot (1836-1916). La critique saloméenne le connaît très bien comme celui chez qui la jeune Lou Salomé a pris des cours privés et qui, dans Ruth, a servi de modèle au personnage du pédagogue. Mon apport consistera à prendre davantage en compte la présence néerlandaise au sein de ce narratif que ce qui a été proposé jusqu’ici. Cela me permettra de mettre en évidence la profonde ambivalence du personnage ainsi que celle de son modèle. « Peinzensmoede » (1860) de Peter de Génestet (1829-1861) trouve une entrée dans Ruth, sous la forme d’une traduction libre que Lou Andreas-Salomé fait lire à l’un de ses personnages. L’interrogation de cette référence explicite invite à d’autres mises en dialogue, ici celle de l’essai Over kinderpoëzy (1857), avec lequel le poète défend une image rousseauiste de l’enfance contre l’utilitarisme d’un Hiëronymus van Alphen (1746-1803). Là encore, la loupe néerlandaise permet d’introduire de nouvelles perspectives et de contribuer à sortir résolument le roman de Ruth du kitch dans lequel il a pu être enfermé.

With this contribution, I propose to continue the investigation into the place of Dutch in the life and work of Lou Andreas-Salomé (1861-1937) that I began with an interest in the surprising silence surrounding the novel In den strijd om God. The author herself translated it from German into Dutch and published it in 1886 with the Amsterdam publisher Van Kampen & Zoon. The focus here is on Ruth, a novel that was a great success during the author’s lifetime. Lou Andreas-Salomé’s novel was undoubtedly to the taste of her contemporaries, who were fond of stories about teenagers and pedagogical questions. Two names will guide my reading of Ruth, which I will approach from two angles: biographical and intertextual. The biographical reading will be based on the Dutch pastor Hendrik Gillot (1836-1916). He is well known to Salomé critics as the man with whom the young Lou Salomé took private lessons and who, in Ruth, served as a model for the character of the pedagogue. My contribution will consist of taking greater account of the Dutch presence within this narrative than has been proposed to date. This will enable me to highlight the profound ambivalence of both the character and his model. Peter de Génestet’s “Peinzensmoede” (1860) finds an entry in Ruth, in the form of a free translation that Lou Andreas-Salomé has one of her characters read. Questioning this explicit reference leads to other dialogues, in this case with the essay Over kinderpoëzy (1857), in which the poet defends a Rousseauist image of childhood against the utilitarianism of Hiëronymus van Alphen (1746-1803). Here again, the Dutch lens makes it possible to introduce new perspectives and contribute to resolutely extricating Ruth’s novel from the kitsch in which it may have been confined.

Gliederung

Text

«Who’s who?»

Dans la préface à la biographie de l’américain Rudolph Binion, l’une des premières à avoir été consacrées à Lou Andreas-Salomé (1861-1937), on peut lire :

It is scarcely an exageration to say that Lou’s friendships approximate a Who was Who of Central European intellectual life during the half century between 1880 and 19301.

Le propos peut sembler approprié dans le sens où il est juste d’insister sur l’extraordinaire parcours de Lou Andreas-Salomé. Ses rencontres ont en effet été si prodigieuses qu’on a eu tendance à les synthétiser pour n’évoquer que la triade Nietzsche, Rilke, Freud, raccourci compréhensible, en somme, face à l’époustouflante ampleur de son réseau amical2. Il était tout aussi juste d’en dénoncer le caractère réducteur3 et de s’atteler à sortir Lou Andreas-Salomé d’un statut de muse, pour s’intéresser à son œuvre polymorphe. De nombreux travaux parus depuis la fin des années 1990 font état du rôle (important) que l’auteure a joué dans le domaine de la psychanalyse, de la philosophie, des lettres. Lou Andreas-Salomé n’était décidément pas que l’amie de, mais a joué un rôle actif d’intellectuelle et d’écrivain. La critique saloméenne a donc sensiblement changé d’approche ces vingt dernières années4.

La citation m’intéresse non seulement pour son ambivalence – à la fois juste et réductrice – mais aussi pour son parti-pris, pour ses non-dits, qui appellent à être complétés. J’ai commencé en ce sens à ouvrir l’espace, limité chez Binion à l’Europe centrale, à celui du monde néerlandais, en interrogeant le surprenant silence qui entoure le roman In den strijd om God que Lou Andreas-Salomé avait écrit en néerlandais et publié en 1886 chez l’éditeur amstellodamois Van Kampen & Zoon5. Je propose ici de poursuivre l’enquête sur la place qui revient au néerlandais dans la vie et l’œuvre de Lou Andreas-Salomé. Comme annoncé, je ne ferai qu’esquisser ; ce que je comprends ici comme étant la contribution principale, c’est le fait de porter résolument, comme le ferait une loupe, la focale sur le monde néerlandais afin d’introduire une nouvelle perspective.

Au sein de l’œuvre romanesque de Lou Andreas-Salomé qui comporte une dizaine de romans et de nouvelles, tous initialement écrits en allemand, c’est Ruth qui, du vivant de l’auteur, a rencontré le plus de succès, avec pas moins de dix rééditions entre 1895 et 1928 (Michaud, 2000 : 363)6. Il n’existe pas de traduction néerlandaise de Ruth7. On retrouve deux des noms de l’illustre triade parmi les lecteurs enthousiastes, Freud et Rilke – l’engouement du poète l’aurait même amené à choisir le prénom de sa fille en hommage au roman de son ancienne amante. J’ignore pour l’instant si dans les Pays-Bas du tournant du siècle des personnalités se sont intéressées à Ruth, livre qui, dans les pays germanophones, marque l’ouverture à la consécration définitive de Lou Andreas-Salomé en tant qu’auteure8.

Le sujet du roman a sans doute contribué à sa percée sur la scène littéraire. L’action se déroule à Saint-Pétersbourg, ville natale de Lou Andreas-Salomé. L’histoire de la jeune orpheline Ruth Delorme, 16 ans, qui grâce à son imagination débordante et sensible, attire l’attention de son professeur Erik Matthieux correspondait en effet parfaitement au goût de l’époque : l’école, la relation élève-professeur, l’adolescence étaient alors des thématiques en vogue, et ce partout en Europe9.

Je retiendrai ici deux noms, celui du pasteur Hendrik Gillot (1836-1916) et celui du poète d’inspiration romantique Peter de Génestet (1829-1861). Ils représentent respectivement deux lectures différentes, l’une est biographique, c’est la lecture qui a été majoritairement retenue jusqu’ici en focalisant sur le pasteur Hendrik Gillot vu comme modèle du personnage du professeur Erik10 ; l’autre est de type intertextuel11. La perspective néerlandaise rapprochera ces deux lectures et mettra en avant leur complémentarité.

Les deux pasteurs néerlandais Hendrik Gillot et Peter De Génestet

À l’instar de la citation d’ouverture (Who’s who?), les noms de Gillot et de De Génestet nous rappellent que toute culture relève d’une question de perspective, et est donc relative.

Lou Andreas-Salomé consacre le chapitre « Liebeserleben » de ses mémoires à sa rencontre avec Gillot, mémoires que son exécuteur testamentaire, le germaniste Ernst Pfeiffer (1893-1986), a complété d’un appareil explicatif qui comprend également des informations sur le prédicateur. Traditionnellement, ce sont ces deux présentations, de l’éditeur et de l’auteure, sur lesquelles les premiers biographes se sont appuyés ; or, dans les deux cas, la présence néerlandaise n’est que très accessoirement prise en compte. Il s’ensuit un hiatus qui fait qu’au sein de la critique saloméenne, le nom du Néerlandais Gillot est familier tandis que le contexte néerlandais dont il relève a été ignoré.

Si nous adoptons le point de vue néerlandais, Hendrik Gillot, de façon très claire, ne fait pas partie du canon littéraire et/ou culturel néerlandais ; il ne rentre pas dans la lignée des nombreux pasteurs écrivains qu’ont connue les Pays-Bas, ce qui aurait pu lui assurer la postérité. Dans cette perspective néerlandaise, Gillot ne fait donc pas partie des personnalités à connaître. Ceci tout à l’inverse de De Génestet, longtemps le « geliefdste dichter van de negentiende eeuw » (Mathijsen & Eijssens, 2011 : 22-29). Si depuis les années 1960 De Génestet est définitivement tombé dans l’oubli auprès du grand public, il reste une référence importante, continuant à être considéré comme poète influent de la culture néerlandophone. Hors du monde néerlandais, que l’on se situe du côté des dix-neuvièmistes ou du grand public, Peter De Génestet est à peu près inconnu, son œuvre n’a d’ailleurs que très timidement traversé les frontières (j’en viendrai à la traduction allemande ultérieurement). En revanche, les nombreuses rues des communes de son pays natal qui portent son nom illustrent sa renommée (Mathijsen & Eijssens, 2011 : 31, 36) ; je doute que d’autres rues ou lieux portent le nom de son compatriote Hendrik Gillot ; pourtant, de son vivant, l’homme a joué un rôle public de poids, reconnu à la fois dans son pays natal – la reine Wilhelmina des Pays-Bas le nomme en 1894 officier dans l’ordre de Oranje Nassau – et dans son pays d’adoption, la Russie, où le Tsar lui décerne en 1883 l’Ordre de Sainte Anne12.

Lecture biographique de Ruth (Gillot)

La présentation de Hendrik Gillot me permet ici de rappeler quelques-unes des étapes de la vie de Lou Andreas-Salomé et de revenir à la lecture majoritairement biographique qui a été faite du récit Ruth. En effet, faits biographiques et éléments fictionnels y forment un ensemble souvent imbriqué. Mon apport consistera à tout simplement privilégier la présence néerlandaise au sein de ce narratif que ce qui a été proposé jusqu’ici.

Selon la lecture de Ruth sous l’angle biographique, Lou Andreas-Salomé revient à son adolescence passée encore à Saint-Pétersbourg, sa ville natale, avant qu’elle soit une inlassable voyageuse et qu’elle mène la vie mouvementée qui l’a rendue célèbre, devenue cette figure brillante qui sillonnait les centres culturels et intellectuels de l’Europe. Lou Andreas-Salomé grandit dans l’univers privilégié de la communauté protestante allemande de Saint-Pétersbourg, en contact direct avec les hautes sphères de la société où son père jouait un rôle de premier ordre. Les parents de Lou Andreas-Salomé, de confession luthérienne, sont d’une observance très stricte, et proches de Hermann Dalton (1833-1913), pasteur de la communauté allemande connu pour son dogmatisme. Il est parfaitement dans l’ordre des choses que la jeune Salomé suive les cours de Dalton, qui doit la préparer à sa confirmation. Or, l’adolescente ne croit plus à la vision du monde de cet orthodoxe, et après des mois de crises sans doute intenses, elle finit par quitter l’église de ses parents. Cette rupture fera scandale dans la communité luthérienne allemande de Saint Pétersbourg. La jeune Salomé ne l’annonce qu’après le décès de son père, dans un évident souci de protection. Nous sommes vers la fin de l’année 1878/début 1879. C’est à ce moment-là qu’entre en jeu le néerlandais Hendrik Gillot, né à Groningen en 1838, mort à Saint-Pétersbourg en 1916 et qui servira de modèle au personnage du professeur Erik dans Ruth. Les mémoires ont explicité ce lien entre fiction et réalité, souligné encore par le fait que Lou Andreas-Salomé avait collé une photographie du pasteur sur la page de couverture du manuscrit (Michaud, 2000 : 115).

Hendrik Gillot est alors depuis cinq ans pasteur de la communauté protestante néerlandaise de Saint Pétersbourg. Aux Pays-Bas, il avait fait des études de théologie à l’Université de Leyde, un des centres où avaient germé de nouvelles idées religieuses. Les disputes confessionnelles au sein de l’Eglise néerlandaise réformée sont des plus intenses en ces années-là – elles déboucheront, en 1886, sur la doleantie, le schisme le plus important au sein du protestantisme néerlandais - et lorsque le conseil de l’église de la communité néerlandaise de Saint-Pétersbourg publie l’appel à candidature, il est bien souligné qu’il ne souhaite aucunement recruter de représentant des « modernes » : ne voulant pas s’inscrire dans ces débats houleux, le conseil cherche un candidat qui saura prendre un positionnement consensuel13. Parmi les trois candidats retenus, c’est donc Gillot qui convainc le mieux, et ce alors qu’il était loin d’être modéré. Sans trop s’avancer, ce choix se justifie pour partie par son extraordinaire talent d’orateur. Gillot deviendra le rival de Dalton, une rivalité poussée à son paroxysme lorsque la jeune Salomé, ayant tourné le dos à Dalton, viendra frapper à la porte de Gillot et que celui-ci acceptera de donner des cours privés à la jeune fille en deuil de son père. Elle se rendra chez lui, en cachette d’abord, puis avec le consentement arraché à sa famille.

Si Gillot a impressionné ses contemporains par son art oratoire, il était également un homme de grande culture qui a su prendre une place sociale de premier ordre dans son pays d’adoption et natal, comme en témoignent les distinctions citées plus haut. Dans ses mémoires, Dalton évoque cet adversaire qui avait su attirer les foules lors des prêches qu’il donnait alternativement en néerlandais et en allemand, au grand dam de la communité allemande et de son représentant :

Pastor Gillot zählt zu den sogenannten Modernen der holländischen Kirche, die mit dem weltüberwindenden, weltumgestaltenden Glauben der Apostel, ebenso mit dem Glauben ihrer Väter der Reformation und damit allem gebrochen haben, was auch Holland groβ gemacht im Ringe der Völker und was unserer teueren evangelischen Kirche Daseinsrecht und alleinige Lebenskraft verleiht […] Gillots Kanzelreden – als Predigten, Verkündigungen des Evangeliums konnten sie in der Tat nicht bezeichnet werden, wollten es wahrscheinlich auch nicht – waren für Petersburg etwas durchaus Neues, Verblüffendes. Sie bildeten eine Weile das Tagesgespräch in allen deutschen Kreisen bei denen die ernsten Anstoβ nahmen, bei den anderen auch, die ihnen Beifall spendeten. Von Sonntag zu Sonntag füllte sich die kleine, im Oberstock befindliche Gesandtschaftskapelle mehr und mehr, bis drauβen auf dem Treppenflur standen dichtgedrängt die Zuhörer, darunter viele, denen der Kirchgang ungewohnte Sache geworden war. Ihnen kam erwünscht, aus dem Munde eines Pastors und feierlich von der Kanzel herab unumwunden bestätigt zu erhalten, was sie bei ihrer Entfremdung vom Evangelium und seinem Bekenntnis sich kaum selber einzugestehen wagten, was dumpf und verworren in ihrem verweltlichtem Sinn gärte und nach Ausgestaltung im Worte rang. Zu ihrer freudigen Überrraschung wurden ihnen hier ihre Nebelgebilde und Träumereien als Wahrheit von einem Geistlichen aufgetischt, in blühender Sprache, in moderner, leichtfertiger Zubereitung, wie sie Kindern des Marktes und Tages bequem eingeht und gut mundet ; dabei die Weise so kühn, so rücksichtslos, so selbstbewusst, so siegesgewiss. (cité dans Wijngaarden, 2007 : 170-171)

Au-delà de la virulence de l’attaque, ce passage est un témoignage intéressant car il permet à la fois de mesurer l’extraordinaire influence de Gillot, et le poids du doute et du désarroi qui dominent dans un monde où la foi a inéluctablement perdu son rôle de boussole absolue.

Gillot fut incontestablement ce qu’on appelle un homme brillant et hors du commun. La loupe néerlandaise invite cependant à la nuance. Le portrait que nous venons de brosser de ces deux rivaux pourrait à tort nous porter à croire qu’ils incarnent l’esprit (borné) orthodoxe et l’esprit (ouvert) moderne. Il faut en effet avoir en tête les embranchements labyrinthiques du protestantisme néerlandais et comprendre que « moderne », dans ce contexte culturel et religieux, contient une multitude de variantes, de convictions opposées, d’ambivalences14. Ce sont là des incohérences dont le pasteur Gillot était lui aussi traversé, aussi « moderne » qu’il ait pu être. Une lettre que la jeune Salomé adresse à Gillot, à qui elle avait exposé sa volonté de rester à Berlin pour vivre de sa plume, témoigne de cette profonde ambivalence. Reproduite dans ses mémoires, citée à maintes reprises pour souligner la force de caractère de la jeune Salomé, la virulence du propos reflète l’indignation face à l’incohérence coupable de l’ancien maître15. Cette foncière incohérence est pour moi la caractéristique clé du personnage d’Erik, le double fictif de Gillot dans Ruth.

Erik Matthieux est un enseignant passionné, séduisant, voire séducteur. En poste à Saint-Pétersbourg, il aurait pu prétendre à une carrière plus prestigieuse, mais que ce soit par sens du devoir envers sa femme malade Klare-Bel, paralysée des jambes depuis une fausse couche, ou bien par enthousiasme pour l’enseignement, Erik dit assumer son métier, qui lui permet de travailler avec du « Menschenmaterial » (R : 17). L’ambivalence est d’emblée lisible à travers cette formulation du début du texte, elle traduit la certitude qu’a ce pédagogue de pouvoir/vouloir former – manipuler – ses élèves selon ses (seules) idées. Il y a ici en germe, la violence que Lou Andreas-Salomé considère comme inhérente à l’éducation ; elle y revient, des années plus tard, dans une lettre adressée à la fille de Freud ; Lou Andreas-Salomé exerce alors la psychanalyse depuis une dizaine d’années :

[…] wie schreckliche Vorraussetzung alle Erziehung schlieβlich hat : dies absichtsvoll bewusste Leiten ; man fühlt deutlich wie nahe sie allem Sadismus und Vergewaltigen liegen muss […] welche Versuchung ist das Erziehen doch. Herrlich bei aller Analyse das vorsichtige Ausschlieβen der Suggestion (wenigstens der absichtsvollen), nur dadurch ist sie was für mich, die ich alle prinzipiellen Zielgebungen Jedem überlassen würde. (Lettre à Anna Freud du 5 septembre 1923, cité dans Benert, 2016 : 210)

Le pédagogue Erik rencontre la jeune Ruth pour la première fois dans un collège pour filles à Saint-Pétersbourg où il est enseignant. Séduit d’emblée sans vouloir se l’avouer, Erik va réussir à convaincre la famille de son oncle qui a accueilli la discrète orpheline rêveuse, en affirmant que celle-ci sera mieux dans sa maison pour suivre ses cours, à l’extérieur de cette ville, si étouffante en été. Un pacte entre ce nouveau Méphistophélès et Ruth a été scellé au préalable (« Wir wollen einen ordentlichen Vertrag machen », R : 56) ; celui-ci exige l’absolue soumission de l’élève à son maître, et pose le cadre d’une relation exclusive. Désormais, elle doit lui faire part de toutes les histoires fantaisistes qui lui passent par la tête, seule manière, selon lui, de trouver le droit chemin de la raison :

Ich muss alles wissen und hören, was durch diesen phantastischen, unnützen Kopf geht […] du sollst sie [les histoires] auch niemand sonst mehr erzählen. Nur mir. Immer, mit allem hierher kommen […] wenn du mir deine Geschichten schenkst, dann schenke ich dir auch etwas. Du sollst, soweit es an mir liegt, nicht in deiner Phantasie stecken bleiben, sondern mit klarem Blick so weit schweifen, wie das Leben – das wirkliche, herrliche Leben – reicht. (R : 57)

La raison n’aura pas le dernier mot ; de même que le pasteur Gillot avait dans la vie réelle fini par déclarer sa flamme à la jeune Lou Salomé, le personnage d’Erik avoue à sa femme Klare-Bel d’abord son amour pour Ruth, puis à l’adolescente elle-même. Le caractère incestueux déjà perceptible au moment du pacte sera donc confirmé par la suite du récit, l’inceste étant par ailleurs une thématique récurrente dans l’œuvre saloméenne. La jeune Salomé refuse la demande en mariage du pasteur Gillot, celui-ci va rester auprès de sa femme (née Hermine Christine Moquette) et de leurs deux enfants, un fils (Nicolaas Hendrik) et une fille qui - soit dit en passant – ne porte pas seulement le même prénom que la jeune Salomé mais a aussi presque le même âge (Louise Hermina Gillot, 1864-1939). On ne sait pas s’il s’agit d’une simple coïncidence, mais le fait est que la rédaction de Ruth a lieu en 1894, l’année du décès de la femme de Gillot. Dans la transposition littéraire des moments mouvementés de sa vie adolescente, Lou Andreas-Salomé laisse son personnage Erik livré seul aux affres de l’amour, sa femme Klare-Bel ayant pris la décision – ce qui scelle son autonomie – de le quitter. Un autre drame est celui de leur fils Jonas, éperdument amoureux de Ruth. Pour conquérir son amour, il s’est lancé avec acharnement dans les études, persuadé qu’ils se marieront – jusqu’au jour où il surprend son père en train de se déclarer à la jeune fille (R : 296). Aussi le récit Ruth finit-il sur l’isolement d’Erik, abandonné par sa femme Klare-Bel, sa pupille Ruth et son fils Jonas. Et si Erik a la clairvoyance d’admettre qu’il n’a plus l’estime de son fils, il continue à être convaincu qu’il saura par sa seule volonté maîtriser, contrôler, manipuler la vie à sa guise – tel un Dieu. En ce sens, il se dit : « Ein ganz neues Verhältnis zu seinem Sohn, ein ganz neuer Kampf erwartete Erik jetzt, und er musste nun seine volle Kraft zusammennehmen, um darin zu siegen » (R : 302).

En 1894, le certificat de décès de la femme de Gillot est seulement signé par la fille de la défunte, le fils Nicolaas Hendrik semble avoir rompu tout contact après que son père l’eut envoyé dans le Colorado, aux Etats-Unis (Michaud, 2002 : 243). Lou Andreas-Salomé était attachée à ce fils mal aimé et cette tragique relation père-fils a trouvé sa place dans Ruth, à travers l’histoire d’une rivalité sur laquelle finit le récit, avec comme dernière image un oiseau chantant le printemps : symbole de l’adolescente qui, ayant quitté la maison, s’engagera dans une nouvelle vie.

Dans la vie réelle, Lou Andreas-Salomé restera toujours en contact avec le néerlandais Gillot, en le rattachant, d’ailleurs, à des moments-clés de sa vie. C’est en effet lui qui célèbrera sa confirmation en 1880, indispensable étape, à l’époque, pour obtenir un passeport par les autorités russes ; Lou Andreas-Salomé s’arrangera également pour que Gillot, en 1887, célèbre son mariage avec l’orientaliste Friedrich Carl Andreas (1846-1930), polyglotte né dans les colonies néerlandaises et qui, tout comme sa femme, maîtrisait le néerlandais.16 Confirmation et mariage auront lieu dans la même petite église de Santpoort, non loin d’Amsterdam. Contrairement à ce que laisse entendre Lou Andreas-Salomé dans ses mémoires dans lesquelles Santpoort est présenté comme simple bourg (LRB : 30-31), l’imposant hôtel bourgeois « Duinlust » à Santpoort a dû offrir tout le luxueux confort auquel elle était habituée.

Lou Andreas-Salomé transforme donc quelque peu la réalité de Santpoort, et l’on peut s’interroger plus généralement sur son rapport aux Pays-Bas. Dans la transposition littéraire de son tuteur Gillot sous les traits d’Erik, c’est la profonde ambivalence du personnage qui frappe. Il me semble qu’il y a du côté des complexités du protestantisme néerlandais que représente Gillot un continent encore à explorer, susceptible de venir compléter le regard que l’on porte sur Lou Andreas-Salomé et son œuvre.

Dialogue intertextuel : Peter De Génestet

« Peinzensmoede »

Dans Ruth, une référence explicite à De Génestet intervient dans le cinquième et dernier chapitre du roman à travers le personnage de Klare-Bel, la Néerlandaise que Lou Andreas-Salomé fait naître à Haarlem (R : 11), et dont le lecteur apprend qu’elle possède le volume Leekedichtjens du poète17. Il y a une dimension réaliste à cette référence dans la mesure où De Génestet est resté omniprésent dans les foyers (néerlandophones) durant des décennies après sa mort (Mathijsen 2021 : 411). Il est probable que le livre ait fait partie de la bibliothèque de Gillot et que Lou Andreas-Salomé l’ait découvert auprès de son tuteur

À l’endroit du récit où est cité De Génestet, Erik a envoyé Ruth chez des amis à Heidelberg. Officiellement pour qu’elle puisse y parfaire son éducation intellectuelle, en réalité, il l’éloigne dans l’attente qu’elle prenne conscience de l’amour qu’il est persuadé qu’elle lui voue (« Du liebst mich, – du liebst mich ja! Du weiβt es noch nicht, aber ich weiβ es für dich! », R : 292). Sa femme Klare-Bel commence alors à deviner que son mari ne l’aime plus – ou plutôt : qu’il ne l’aime pas, selon la conception saloméenne considérant l’amour comme projection illusoire18.

Le jour où Klare-Bel arrive à faire quelques pas seule après des mois d’incommensurables efforts et de douleur, Erik qui s’était autoproclamé médecin de sa femme, l’opérant parfois en autodidacte, ne la voit pas marcher vers lui (R : 252), tout happé qu’il est par sa passion pour Ruth. Vient alors la scène de l’aveu : à la question de sa femme qui veut savoir s’il aime celle qu’elle considérait comme sa fille, il le lui avoue (R : 254).

C’est à ce moment précis que la vie se révèle à Klare-Bel dans toute sa paradoxale vérité, lorsqu’ elle s’effondre face à l’aveu, tout en ayant retrouvé la fonctionnalité de ses jambes ; elle se souvient alors des poèmes de De Génestet. Elle les retrouve telle une consolation, - « Wie gut, daβ so etwas dableibt, ob man es auch vergiβt » (R : 260) -, mais aussi comme expression de ses sentiments bouleversés et contradictoires : ce mari infidèle, qu’elle idolâtrait, elle aimerait continuer à l’idéaliser, même si, au fond, elle est traversée de doutes. C’est dans cet état d’âme que Klare-Bel demande à son mari – son Dieu sur le déclin – de lire le célèbre « Peinzensmoede » ; il est cité comme suit dans Ruth :

Wo – wo sind die Priester,
Die dich erklärten?
In Rätseln wandelt
Der Mensch auf Erden.
Geheimnis – das Leben,
Geheimnis – der Tod,
Die Schöpfung, sie predigt
keinen liebreichen Gott.
Natur nur umgibt dich,
Die nicht auf dich hört,
Gleichviel ob sie wohlthut
Oder ob sie zerstört.

Und doch, – nisten Zweifel
Mir auch in der Brust, –
An dich, meinen Vater,
Glaub ich unbewußt.
Nicht weil deine Schöpfung
Dein Lieben enthüllt, –
Nein! nein! nur trotz allem,
Dem Zweifel entquillt!
Trotz jeglichem Rätsel,
Trotz jeglicher Not,
Trotz Angst und Verderben,
Trotz Schmerzen und Tod!

Ich schmachte, vom Schicksal
Zu Tode getroffen,
Meine Hoffnung ist Wehmut,
Meine Wehmut ist hoffen.
Ich will’s – will es glauben,
Daß ich deine Hand
Im Leben wohl spürte,
Nur sie nicht erkannt; -
Will’s glauben, was Kirche
Und Priester mich lehrten:
Daß niemand umsonst dich
Gesucht hat auf Erden. (R : 261)

Le dialogue intertextuel qui s’instaure ici par la citation révèle le caractère analogique entre l’impossibilité de l’amour (qui fait prier Klare-Bel, « Lieber Gott […] nimm mir meine Liebe aus dem Herzen », R : 279) et le tourment émotionnel du croyant sans foi (« Ich glaube Herr, hilf meinem Unglauben », R : 261) qu’exprime De Génestet à travers ses poèmes, « in denen Trotz und Glaube, Trost und Zweifel sich seltsam genug mischen » (R : 260).

Une petite note précise qu’il s’agit d’une adaptation libre du hollandais (« Frei nach dem Holländischen », R : 261) selon la désignation impropre du néerlandais couramment employée alors (et qui est utilisé aujourd’hui encore). Si Lou Andreas-Salomé n’a pas recours à la traduction allemande publiée en 1886, la raison pourrait être simplement pragmatique (elle n’en avait pas connaissance). Mais à lire les deux versions en parallèle, force est de constater à quel point Lou Andreas Salomé a voulu mettre en relief la crise religieuse, là où le traducteur allemand, au contraire, a tenu à atténuer le doute, comme le montrent bien les deux lectures très différentes des derniers vers du poème :

«Peinzensmoede» «Sinnesmüde», Übersetzung J. R. Hanne (1886) «Ich glaube, Herr, hilf meinem Unglauben», R : 261
[…]
Daar is geen Priester
Die U verklaart,
Doch U zoekt niemand
Vergeefs op aard.
[…]
Da ist kein Priester
Der Dich erklärt, –
Und doch, man findet
Dich auf der Erd’!
[…]
Will’s glauben, was Kirche
Und Priester mich lehrten:
Dass niemand umsonst dich
Gesucht hat auf Erden.

Il y a là une incompatibilité majeure entre l’interprétation que Lou Andreas-Salomé donne du poème néerlandais et la traduction de son contemporain R. Hanne (notons en passant que l’adaptation de Lou Andreas-Salomé témoigne de façon bien plus probante de la force poétique du poète que les tentatives maladroitement fidèles du traducteur allemand). À travers ce dialogue intertextuel avec la poésie de De Génestet, Lou Andreas-Salomé met en avant une situation d’aporie, que son personnage Klare-Bel partage avec le croyant sans foi dans cette modernité fin de siècle des identités en crise, qu’elles soient religieuse et/ou identitaire.

Over kinderpoëzy

L’essai Over kinderpoëzy que De Génestet avait présenté en 1857 sous la forme d’une conférence publique ne constitue pas une référence explicite dans Ruth. Paru du vivant de l’auteur dans la revue Nederland (1858) le texte, long d’une centaine de pages, sera publié en volume à titre posthume dans la maison d’édition des Gebroeders Kraay, à Amsterdam. À ma connaissance, l’essai n’a jamais été traduit.

Over kinderpoëzy participe à la première éclosion littéraire du sentiment de l’enfance, aussi appelé « het gouden tijdperk » (Ghesquiere, Joosen, Van Lierop, 2016 : 34) de la littérature de jeunesse. De cette époque nous viennent les grands classiques européens du genre (Pinocchio, Tom Sawyer, Huckleberry Finn, Alice, Heidi…), témoignages, en parallèle au processus d’individualisation, du fait que l’enfant a accédé au statut de personnage (Prince, 2015 : 53). Quatre décennies plus tard, Ruth s’inscrit dans la continuité de cet intérêt porté à l’enfance, auquel le tournant du xixe au xxe siècle allait donner un renouveau significatif. Amie proche de Lou Andreas-Salomé, la pédagogue Ellen Key (1849-1926), allait fournir la formule pour cette attention renouvelée à l’enfance avec l’intitulé de son recueil Barnets århundrade (Le Siècle de l’enfant), paru en 1900, qui rencontra un succès mondial immédiat.

Peut-être Lou Andreas-Salomé connaissant le néerlandais avait-elle lu Over kinderpoëzy. Ce qui est certain, c’est que les deux auteurs partageaient un même intérêt très vif pour l’enfance. Lou Andreas-Salomé a ainsi pu songer n’écrire que pour les enfants, comme elle l’avait affirmé avec enthousiasme dans une lettre adressée à Rilke19. Ecrire dans un genre déterminé, se faire spécialiste, elle n’allait pourtant jamais le faire, préférant à la route tracée, étiquetée, la liberté qu’offrent les chemins de traverse (Benert & Weiershausen, 2019 ; Benert, 2016). Dans un certain sens, c’est ce dont peut témoigner Ruth : à travers la protagoniste adolescente (Ruth) et la femme-enfant (Klare-Bel), voire dans le rapprochement appuyé de l’une et l’autre dans le regard idéalisé qu’elles portent au personnage d’Erik, se reflètent les réserves de l’auteure par rapport à toute classification et spécialisation dont son époque était si friande, ici le découpage entre les âges de la vie. À suivre Lou Andreas-Salomé, en effet, nous sommes à jamais des enfants – Menschenkinder20 -, peu importe notre âge et peu importe l’illusion de contrôle et de pouvoir qui peuvent être les nôtres (pensons au portrait qu’elle dresse d’Erik21) ; le Menschenbild de Freud y est bien sûr perceptible ; de même qu’est d’inspiration romantique l’idée selon laquelle les poètes seraient ceux qui n’auraient pas oublié l’enfant qui est en eux, une vision de l’enfance, créative et ouverte, qui rapproche Lou Andreas-Salomé de De Génestet.

Lire l’essai de De Génestet comme référence implicite dans Ruth permet de rappeler que l’enfant/l’enfance est un concept ; et que pensé ainsi en tant que construction, l’enfant se rapproche d’autres figures imaginées, comme celle de « la » femme, fantasmée comme biologiquement déterminée et immuable (Vloeberghs, 2006 : 11). Partant de cette idée, je propose de lire la remarque (lapidaire) de Lou Andreas-Salomé selon laquelle son récit Ruth aurait viré vers un propos romantique (« […] der Ruth-Umriβ […] muβte sich ins ‘Romantische’ färben », les guillemets sont de la mémorialiste, Lebensrückblick, 1974 : 31), non pas en tant que qualificatif disqualifiant le récit, mais comme référence à une représentation romantique de l’enfance telle que, par exemple, De Génestet s’en fait le porte-parole dans Over kinderpoëzy.

De Généstet développe le regard romantique qu’il porte sur l’enfance en l’opposant à une vision éclairée, utilitariste qu’il voit incarnée dans les kindergedichtjens de H. van Alphen (1746-1803), le « meest populairen, vaderlandschen zanger » (K : 15), qu’il promet, en guise de verdict final à son essai, de ne jamais mettre entre les mains de ses propres enfants, « [wy] leggen in uw midden de gelofte af, dat wy het gevierde bundeltje, zoo als het daar ligt, onzen kinderen nimmer in handen zullen geven » (K : 100). Over kinderpoëzy va ainsi contribuer à détrôner cet « Apollo der kinderwaereld » (K : 16). On y trouve une critique très sévère de la violence faite à l’individu qui, sous prétexte de bienveillance selon De Génestet, broie la créativité, voire l’humanité même de l’enfant. « Mijn spelen is leren, mijn leven is spelen22 », c’est contre cette primauté utilitariste donnée à l’apprentissage que De Génestet a les mots les plus durs ; selon lui, les leçons incessantes imposées trop tôt, nourries de l’obsession du travail raisonné et abstrait, sont contraires aux besoins de l’enfant ; cette vision éclairée défendue par Van Alphen est sans lien avec la vie, est stérile :

[…] Zie, leeren, vroeg leeren, veel leeren predikt de geest van Hieronymus van Alphen […] Och, het is verschrikkelijk om te herdenken, met welk een ballast van geleerdheid, onvruchtbaar voor alle ontwikkeling, onvruchtbaar voor het leven, ja erger dan onvruchtbaar, ze ons al bezwaard hebben, toen wy kinderen waren. (K : 84)

De même la spécialisation à outrance, héritière de la croyance dans le progrès, mène à l’aliénation ; elle est violence faite à l’enfant qui risque de s’y noyer :

[…] En als het zoo voortgaan moet met die gezegende ontwikkeling, dan zien wy den dag genaken, dat het spelen zuiver leren zal worden : dat een jongsken van zeven, wandelend encyklopedietjen, het druk zal hebben, niet slechts met reken – en aardrijkskunde, maar met physica, mathematiques, geodesie, chemie, oeconomie, politique, met alles; en dat het speelgoed zal bestaan uit leien, passers, printen met allerlei raadselachtige figuren, chemische praeparaten, kas-en contraboeken, enz. Ja, lieve jeugd, zie daar uw toekomst! […] Och wy, zelve slachtoffers temet van het bezwarend onderwijs der negentiende eeuw, vervolgen wy onze kinderen toch niet te vroeg en te veel met de wijze boeken. Dompelt ze niet te jong, kopjen onder, in den grondeloozen oceaan der kennis, opdat ze niet verdrinken. (K : 84-85, 86)

D’inspiration romantique sont également les images de la nature ainsi que la relation harmonieuse qui lie l’enfant aux éléments :

Laat hen liever springen en plassen in ‘t frissche, versterkende bad, opdat zy eens als krachtige mannen, ook moedig mogen zwemmen door den levensstroom! Drijft ze niet te vroeg al te hoog op den ladder der wetenschap, die naar de hemel reikt opdat zy den hals niet breken […] trekt hen niet te vroeg het school – het dwangbuis aan […]. ‘Eerbiedigt als iets heiligs het levensgenot uwer kinderen’. Dat is een gulden spreuke. Die plantjens om te bloeien en te groeien hebben noodig het zonnelicht, de frissche lucht, de milde liefde. En daarom laat hen uitspelen! Velen worden afgeleerd en opgeleerd. Vervolgt hen niet te zeer met het vaersjen, met de leuze ‘ de naarstigheid, die kinderdeugd’, al geeft ge ook een perzik er by […]. (K : 86-87)

Logique et abstraction – l’esprit raisonné – rompent le lien de l’enfant au jeu qui est expression naturelle de sa richesse imaginative.

Avec Ruth, Lou Andreas-Salomé va réinvestir ces représentations romantiques, en partant en guerre elle aussi contre une vision éclairée de l’« enfant » et/ou de la « femme » qu’elle dénonce pour ces aspects répressifs et violents (mais aussi en tant que catégorie réductrice).

Eclairée est l’approche pédagogique d’Erik qui croit fermement dans le progrès et la raison, valeurs qu’il va défendre en guerrier, donc sans craindre la violence, la fin justifiant les moyens ; les exemples de ce regard sur l’enfant – et sur les femmes - des êtres en devenir qu’il faut dresser, qu’il faut sortir de leur état de sauvageon, sont légion dans le texte. En creux, ils dessinent l’idéal romantique de l’enfant, joueur et poétique ; je l’illustrerai par deux passages du texte.

Le premier décrit la manière dont Erik le pédagogue (éclairé-violent) fait la connaissance de Ruth (romantique), avant de la rencontrer concrètement au travers de l’une de ses rédactions dans laquelle elle se révèle être une enfant rêveuse et fantaisiste. L’éthique raisonnable d’Erik se heurte alors à ce qu’il interprète comme un aspect inutile et désordonné du propos, sa réaction montre sa violence :

[Der Aufsatz] war nicht in vernünftiger, oder doch wenigstens korrigierbarer Prosa geschrieben, sondern in Versen, – in gänzlich unkorrigierbaren und wilden Versen, in denen die Sprache reiβaus genommen hatte […] man wurde im höchsten Grade ungeduldig bei der Lektüre, aber man wurde auch vom ungeduldig drängenden Wunsche überfallen, dem, der hier träumte und stammelte, mit Gewalt die Zunge zu lösen, daβ er Aufschluβ gäbe über seine Seele. (R : 21-22)

Mon deuxième exemple se situe plus en avant dans le texte : Ruth vient retrouver Erik, après que Klare-Bel lui a fait le récit de ses premières années de mariage avec lui et qu’elle lui a fait part des ambitions de son mari auxquelles sa mauvaise santé à elle allait à jamais mettre un frein. Ruth est pleine de pitié pour lui et ce qu’elle perçoit de sa carrière dévastée. Le pédagogue lui raconte alors l’histoire d’un jardinier/cultivateur/paysan qui doit se contenter d’un petit carré de terre. Remarquable dans ce Lehrstück est aussi le brouillage opéré entre Ruth et Klare-Bel, l’une et l’autre pouvant représenter « la petite plante étrange » dont parle le passage :

Und da [auf dem kleinem dem Manne zugewiesenen Stückchen Erde] fand er eines Tages […] eine fremdartige kleine Pflanze. Von irgendwoher mochte ihr Samenkörnchen in diesen Boden gefallen sein. Es war ein unscheinbarer, zarter Trieb, dem man noch nicht ansehen konnte, wer darin steckte. Aber vielleicht konnte er sich einmal zum Bäumchen auswachsen. Und wenn das gelang, - wenn ein guter Gärtner an diesem Bäumchen unablässig seine Dienste that, und wenn das Bäumchen sich willig behandeln und biegen, pfropfen und beschneiden lieβ, - dann, - ja, dann konnte es am Ende seltnere Früchte tragen, als irgend etwas, was sonst auf dem Feldwinkel wuchs. (R : 112)

Lou Andreas-Salomé livre dans Ruth la critique sévère d’une pédagogie qui ne laisse aucune place au libre arbitre, et qui, en dernier lieu, annule l’individu pour le formater selon une visée utilitariste et répressive (Vloegberghs, 2006 : 17-21). Cette critique trouve un écho dans l’attaque virulente que dirige De Génestet contre l’auteur de « Het vroolijk leren », Hieronymus van Alphen. Saisir l’essai de De Génestet comme référence implicite aide à sortir le récit de Ruth d’une lecture décontextualisée, l’enfermant – dans une fidélité excessive à l’égard de la mémorialiste – dans le simple kitsch. Elle permet également d’inscrire résolument le propos de Lou Andreas-Salomé dans le contexte culturel de son époque, durant laquelle la discussion sur l’enfant connaît une nouvelle apogée.

Le fait que la présence culturelle néerlandaise dans la vie et l’œuvre de Lou Andreas-Salomé soit demeurée inaperçue rappelle la triade Nietzsche, Rilke, Freud, si éblouissante qu’elle a pu comparativement faire passer au second plan d’autres rencontres que Lou Andreas-Salomé avait pu faire. De même, l’importance des écrits de ces grands auteurs a pu escamoter la propre œuvre de Lou Andreas-Salomé. En effet, comparativement, Ruth n’a pas la même force que, par exemple, le Malte Laurids Brigges rilkien, à l’image de Berlin, Munich ou Paris qui ont incomparablement plus de poids dans la biographie saloméenne que la ville d’Amsterdam. Mon enquête sur la place du néerlandais pour la compréhension de Lou Andreas-Salomé ne renversera pas ces hiérarchies – mais elle a bien pour objet d’interroger les représentations, linguistiques notamment, qui ont pu faire négliger les traces néerlandaises dans l’œuvre saloméenne. Ainsi, quitter la logique de la comparaison pour emprunter celle de la mise en perspective propre au travail comparatiste me semble une démarche appropriée pour compléter le regard porté sur l’auteure et sur l’histoire européenne du monde culturel au tournant du siècle - y compris néerlandais.

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Anmerkungen

1 Binion (1968 : préface, sans pagination).

2 Avant les années 2000, les intitulés des nombreuses biographies font quasiment tous référence soit à la célèbre triade, soit à l’un des trois noms : Frau Lou. Nietzsches Wayward Disciple (Binion, 1968) ; Lou Andreas-Salomé. Ein eigenwilliger Lebensweg. Ihre Begegnung mit Nietzsche, Rilke und Freud (Koepcke, 1982) ; Lou Andreas-Salomé : sa vie de confidente de Freud, de Nietzsche et de Rilke et ses écrits sur la psychanalyse (Livingstone, 1990 pour la traduction de l’anglais) ; Lou Andreas-Salomé. Weggefährtin von Nietzsche, Rilke, Freud (Ross, 1992). La liste n’est pas exhaustive.

3 L’approche indirecte, qui consiste à réduire Lou Andreas-Salomé à l’éclairage de la vie et de l’œuvre des auteurs prestigieux qu’elle a rencontrés, a été détectée et dénoncée dès les années 1970. C’est à Jacques Nobécourt qu’appartient la judicieuse question « Lou, prétexte ? » qui titrait la préface écrite à l’occasion de la traduction française des mémoires de Lou Andreas-Salomé (Nobécourt, 1977) ; voir également l’excellente étude « ‘Scharfsinnig wie ein Adler und mutig wie ein Löwe’. Lou Andreas-Salomé im Grenzraum (akademischer) Disziplinen und im Dschungel (männlicher) Deutungen » (Von der Lühe, 2019). Pour une synthèse de la réception posthume de Lou Andreas-Salomé, voir mon ouvrage Une lecture de « Im Zwischenland » (Benert, 2011 : 11-29).

4 « Lange Zeit schien der Lebensentwurf, der Lebensvollzug dieser Frau ihr eigentliches Werk, ja wohl gar ein veritables Kunstwerk ; dass sie schrieb, und zwar religionsphilosophische und essayistische, literarische und literaturkritische, schlieβlich auch psychoanalytische Texte […], all dies hat Wissenschaft und Öffentlichkeit erst in den letzten 20 Jahren interessiert […] » (Von der Lühe, 2019 : 45). Le travail du comparatiste Stéphane Michaud a été crucial pour sortir Lou Andreas-Salomé de l’ombre, voir notamment sa biographie parue en 2000 (rééditée en 2017), dont l’intitulé, significativement, ne fait pas référence à ses illustres rencontres (Lou Andreas-Salomé, L’alliée de la vie).

5 Il s’agit de l’autotraduction du premier roman de Lou Andreas-Salomé initialement paru en 1885 sous le titre Im Kampf um Gott. L’article que j’ai consacré à cette « autotraduction laissée dans l’ombre », publié en 2022, https://doi.org/10.35562/marge.557.

6 Le récit, long de 300 pages, parut chez Cotta, à Stuttgart. Je citerai la première édition (abrégée « R » dans ce qui suit).

7 Outre l’autotraduction de son premier roman (voir note 5), deux autres de ses textes ont été traduits en néerlandais de son vivant, son roman Ma et la nouvelle « Eine Nacht ». Actuellement, seule une petite partie de son œuvre est disponible pour un public néerlandophone. À la fin des années 1970, deux éditeurs indépendants, Tom Gitsels et Rody Chamuleau, avaient pris l’initiative de créer la Lou Salomé Genootschap et de dédier à Lou Andreas-Salomé une collection (Schriften van het Lou Salomé Genootschap) au sein de leur petite maison d’édition Bosbespers, à Oosterbeek, disparue aujourd’hui. Seules les mémoires de Lou Andreas-Salomé et ses récits Fénitschka et Eine Ausschweifung, ont trouvé l’entrée dans une grande maison d’édition, l’Arbeiderspers à Amsterdam, et sont de ce fait facilement accessibles.

8 « À la fin de l’été 1898 » note en ce sens Stéphane Michaud (2000 : 175), « paraît dans la presse berlinoise la première étude générale consacrée à ses fictions. Lou s’y voit saluée comme Dichterin, mot qui en allemand rend hommage à une femme écrivain au plein sens du terme, créatrice capable d’animer un monde esthétique et moral qui lui appartienne en propre, et où elle n’a pas de rivaux ».

9 L’ouvrage incontournable à ce propos reste The Fin-de-Siècle Culture of Adolescence (Neubauer, 1992).

10 Avec l’ouvrage Geschlechterentwürfe im literarischen Werk von Lou Andreas-Salomé unter Berücksichtigung ihrer Geschlechtertheorie Katrien Schütz a écrit contre l’approche biographique en proposant une lecture qui sépare la vie saloméenne de son œuvre (Schütz, 2008) ; les pages 100-110 sont consacrées à Ruth que Schütz propose de lire en miroir notamment avec les publications de premiers sexologues Iwan Bloch et Richard von Krafft-Ebing.

11 Si la référence à De Génestet n’a pas été interrogée jusqu’ici, le retour de la Mignon goethienne dans Ruth a été soumis à une étude riche et détaillée (Pechota Vuilleumier, 2005 : 294-304).

12 Je m’appuie sur la thèse Van assimilatie tot segregatie : de Nederlandse kolonie in Sint Petersburg, 1856-1917 (Wijngaarden-Xiounina, 2007 : 175) ; l’auteure y présente des études de cas, dont l’une est consacrée à Hendrik Gillot (voir les pages 169-178, la thèse est consultable en ligne). Pour son travail de thèse, l’auteure a consulté des archives à Saint Pétersbourg où se trouve une partie de la riche correspondance de Gillot. Autre source importante dans laquelle j’ai puisé pour la présente contribution, l’article « Lou Andreas-Salomé et Hendrik Gillot : présence de l’absent » (Michaud, 2002). Cet article se fonde sur un gros travail d’archiviste du fonds ecclésiastique pétersbourgeois rapatrié aux Pays-Bas, dont Stéphane Michaud a croisé les informations avec le fonds manuscrit de Ruth, conservé dans les archives Lou Andreas-Salomé à Göttingen, et dont Dorothee Pfeiffer est la propriétaire. Dorothee Pfeiffer est la fille d’Ernst Pfeiffer (1893-1986) que Lou Andreas-Salomé avait désigné exécuteur testamentaire. Après le décès de son père, Dorothee Pfeiffer a hérité des droits sur l’œuvre saloméenne. L’article de Stéphane Michaud étant antérieur à la thèse de Jelena Wijngaarden-Xiounina, je présume que le fonds concernant Hendrik Gillot n’est pas encore entièrement rassemblé, mais réparti entre les Pays-Bas et la Russie. J’ai interrompu mes recherches à Saint-Pétersbourg concernant le fonds référencié dans la thèse de Wijngaarden-Xiounina au moment de l’invasion russe de l’Ukraine. Affaire à suivre.

13 Pour citer les termes du conseil, il était attendu que « de heeren candidaten tot geene der beide partijen hooren die tegenwoordig zoo scherp tegen elkander overstaan, maar van een gematigde innig evangelische rigting […] zijn, met hart en ziel genegen hier zoo ver van het vaderland en als ’t ware op de voorposten der protestantsche kerk, met vrucht en zegen de gemeente […] dienen en op eene waardige wijze onze Nederlandsche hervormde kerk […] helpen vertegenwoordigen », cité dans Wijngaarden-Xiounina, 2007 : 175. 

14 L’ouvrage de Tom-Eric Krijger, The Eclipse of Liberal Protestantism in the Netherlands (Krijger, 2019) est un travail de grande envergure qui permet au non-spécialiste de l’histoire religieuse d’entrer dans la complexité de la question. Le chapitre 8 (« Captivating the Intellectual Class ») montre bien les limites – ou la polysémie – du qualificatif « moderne » en présentant les profondes divergences entre les prédicateurs « modernes » et les auteurs « modernes », tel que Multatuli, Lodewijk van Deyssel, Frederik van Eeden – la liste est loin d’être exhaustive – tous opposés, voire hostiles jusqu’à la satire, à la « modernité » de certains prédicateurs auxquels ils vont dans maints cas préférer les « orthodoxes ».

15 « Nun schreiben Sie zwar auch », écrit-elle à Gilllot, « ein solches volles Sichhingeben an rein geistige Endziele hätten Sie immer nur als « Übergang » für mich gemeint. Ja, was nennen Sie «Übergang? Wenn dahinter andere Endziele stehen sollen, solche für die man das Herrlichste und Schwersterrungene auf Erden aufgeben muβ, nämlich die Freiheit, dann will ich immer im Übergang stecken bleiben […] Wir wollen doch sehn, ob nicht die meisten sogenannten “unübersteiglichen Schranken” die die Welt zieht, sich als harmlose Kreidestriche herausstellen!» (Lebensrückblick (1951), 1968 : 78), abrégé LRB dans ce qui suit.

16  Voir la présentation biographique dans Knüppel & Van Tongeloo (2012 : 10-15, page 10 pour la mention de la maîtrise du néerlandais).

17 Publié chez A.C. Kruseman où l’on retrouve d’ailleurs Haarlem, ici comme lieu d’édition.

18 « Liebend unternehmen wir aneinander gleichsam Schwimmübungen am Korken, während deren wir so tun, als sei der Andere als solcher das Meer selber, das uns trägt. Deshalb wird er uns dabei so einzig-kostbar wie Urheimat und zugleich so beirrend und verwirrend wie Unendlichkeit » (Lebensrückblick, 1974 : 43).

19 « Und denke, womit ich mich jetzt auβerordentlich amüsiere, und was ich nie wieder aufhören will zu thun, : das ist Kindergeschichten schreiben […]. Dies ist das Imposanteste, was ich mitzutheilen hätte », correspondance Rilke & Lou Andreas-Salomé, cité dans Benert, 2016 : 187).

20 Menschenkinder est l’intitulé d’un recueil de nouvelles de Lou Andreas-Salomé publié en 1899.

21 La scène lors de laquelle Erik, ce passionnel qui s’ignore, embrasse la séduisante russe Warwara (« Rasch, heftig, fast gewalttätig », R : 40) illustre son comportement enfantin, lorsque l’homme adulte fait penser à/est un petit garçon impatient : « Eigentlich sollte [Erik] ihr [Warawara] wie ein Kind vorkommen, das so erfüllt ist von Lebensverlangen und ungeduldiger Erwartung, dass es nicht mehr zu spielen vermag. Es zerbricht gewaltsam das dargebotene Spielzeug, um zu sehen, was dahinter ist, und bleibt mit enttäuschtem Gesicht stehen », (R : 41).

22  De Génestet cite ici le premier vers du poème « Het vroolijk leeren » de Van Alphen.

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gedruckte Quellen

Britta Benert, « Sur les traces néerlandaises de Lou Andreas-Salomé », Deshima, 17 | 2023, 211-232.

Elektronische Referenz

Britta Benert, « Sur les traces néerlandaises de Lou Andreas-Salomé », Deshima [Online], 17 | 2023, online gestellt am 04 décembre 2025, aufgerufen am 05 décembre 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/deshima/index.php?id=382

Autor

Britta Benert

Université de Strasbourg.

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