Carry van Bruggen, actrice de transferts culturels et traductrice engagée

  • Carry van Bruggen, Cultural Mediator and Engaged Translator

p. 289-302

Résumés

À partir d’une lecture des articles de Carry van Bruggen sur la « littérature moderne », récemment traduits en français, la présente contribution pose la question de son rôle comme actrice de transferts culturels et partie prenante de réseaux littéraires et éditoriaux à dimension internationale. Pour amorcer l’étude de cette question, on se concentre ici sur ses réflexions et sa pratique de l’activité de traduction, en particulier de textes français. Le contexte de publication de ses traductions, dont un exemple marquant est particulièrement mis en lumière, fait ressortir son implication dans des réseaux intellectuels actifs et son engagement social. À la lumière de ses réflexions théoriques et au vu de sa pratique concrète, ses traductions apparaissent comme une partie intégrante de son œuvre créatrice, contribution consciente et engagée aux circulations littéraires internationales.

Based on a reading of Carry van Bruggen’s articles on ‘modern literature’, recently translated into French, this contribution raises the question of her role in cultural transfers as well as in literary and publishing networks with an international dimension. To begin our study of this question, we focus here on her reflections on and practice of the activity of translation, particularly of French texts. The context in which her translations were published highlights her involvement in active intellectual networks and her social commitment. In the light of her theoretical reflections and on the basis of a short analysis of her translation techniques, her translations appear to be an integral part of her creative work, a conscious and committed contribution to international literary circulations.

Plan

Texte

C’est surtout pour ses œuvres narratives que l’écrivaine néerlandaise Carry van Bruggen (1881-1932) est reconnue et lue de nos jours. Mais, outre son histoire de l’individualisme dans la littérature européenne et son essai sur les préjugés et mythes concernant le langage (Van Bruggen 1919 et 1925), elle fut aussi une autrice prolifique d’articles publiés dans de nombreux périodiques ainsi que de traductions de l’anglais et du français (Sicking 1993 : 344-348)1. Ces genres longtemps considérés comme mineurs lui offraient des espaces de création particuliers, propices à une ouverture vers des aires culturelles diverses, comme le montre par exemple sa série d’articles publiée en 1916 sous le titre « Moderne litteratuur » dans la revue De Amsterdamsche Dameskroniek. En prenant pour point de départ quelques caractéristiques fondamentales de ces articles récemment traduits (Van Bruggen 2023), la présente contribution pose la question du rôle de Carry van Bruggen comme actrice de transferts culturels et partie prenante de réseaux littéraires et éditoriaux à dimension internationale. Pour amorcer l’étude de cette question, on se concentrera ici, de manière encore partielle, sur sa pratique de l’activité de traduction, en particulier de textes français, et ses réflexions à ce sujet. Les étapes de cette étude suivront deux grands axes fondamentaux de l’étude des transferts culturels : une approche historico-sociologique qui se concentre sur des groupes de médiateurs et une approche herméneutique et critique qui s’attache à l’analyse des textes et des discours, dans le but de mettre à jour des phénomènes de recontextualisation, de réinterprétation et de resémantisation2. Après avoir évoqué deux formes de contribution de Carry van Bruggen aux circulations littéraires européennes (articles sur la littérature européenne et traductions) et le contexte dans lequel elles s’inscrivent, on étudiera un cas de traduction qui met en lumière la structure complexe et ramifiée des réseaux littéraires et éditoriaux impliqués ainsi que les différents types de liens (familiaux, religieux, sociaux, professionnels, politiques) unissant leurs membres. Cette approche centrée sur les groupes sociaux et les réseaux de relations sera suivie d’une étude menée au plus près des textes eux-mêmes, en deux temps : lecture des passages de son œuvre où sont formulées des réflexions théoriques sur la traduction, puis analyse d’un exemple mettant en évidence des traits caractéristiques de sa pratique de traduction.

Transferts culturels et réseaux littéraires

Les articles de Carry van Bruggen sur la « littérature moderne », publiés en 1916 dans De Amsterdamsche Dameskroniek et récemment traduits en français, offrent une première voie d’approche pour étudier sa relation aux langues et littératures européennes (Van Bruggen 1916 et 2023). Rédigés alors qu’elle travaillait à Prometheus, son grand essai sur l’histoire de l’individualisme dans la littérature européenne, ces articles articulent la question de la modernité à celle des rapports de genre, à la fois dans une perspective générale d’histoire européenne et de manière différenciée par aire linguistique. Il est à noter que Carry van Bruggen traite ici presque exclusivement des littératures alors dominantes et dont elle maîtrisait les langues (français, anglais et allemand), avec quelques incursions dans le domaine néerlandophone, considéré par elle comme accusant un certain retard – ce qui correspond aux rapports entre littératures dominantes et périphériques tels que Pascale Casanova les a analysés (Casanova 2008). À partir d’études de cas, Carry van Bruggen propose une histoire de la littérature européenne comme « reflet » de la vie intellectuelle et des évolutions sociales, analysée comme un mouvement d’émancipation individuelle depuis le milieu du xviiie siècle. Cette vision correspond explicitement au développement de sa propre perspective (Van Bruggen 2023 : 8-11, 173-174). Mais elle s’inscrit aussi dans une tradition d’histoire et de critique littéraire se donnant pour tâche de faire connaître aux peuples les littératures d’autres peuples et de leur donner ainsi matière à penser et à créer. Une partie de ses sources relève de ce type d’écrits, comme De l’Allemagne de Germaine de Staël qui fit découvrir de larges pans de la littérature et de la philosophie allemandes aux Français, les écrits de Heinrich Heine publiés en français dans l’intention de corriger ce premier ouvrage et de contribuer aux relations intellectuelles franco-allemandes, les articles de Conrad Busken Huet sur les romans de Madame de Staël rédigés pour un public néerlandais, les études d’Hippolyte Taine destinées à mieux faire connaître la littérature anglaise aux Français. S’adressant à un public de dames néerlandaises, les articles de Carry van Bruggen contribuent à ce qu’on pourrait appeler des transferts culturels en chaîne : en traduisant telle remarque interprétative de Taine sur Dickens, elle prolonge le transfert anglo-français en un transfert anglo-franco-néerlandais, conjointement à ce que fait Frans Coenen dans son ouvrage sur Dickens3. Comme cet exemple en témoigne, les articles de Carry van Bruggen peuvent aussi se lire en partie comme des éléments d’un dialogue avec l’écrivain et critique Frans Coenen (1866-1936) ; ils mettent également en évidence son implication dans l’entreprise éditoriale de Leo Simons (1862-1932), fondateur en 1905 de la Maatschappij tot verspreiding van Goede en Goedkoope Lectuur [Société pour la diffusion de livres de bonne qualité et bon marché], dont la Wereldbibliotheek [Bibliothèque mondiale] s’attachait à rendre accessibles les grandes œuvres de la littérature mondiale (Maufroy in Van Bruggen 2023 : 233-234).

Contribuant aux circulations littéraires dans l’espace européen, l’activité de traductrice de Carry van Bruggen est étroitement liée à ces réseaux littéraires et éditoriaux grâce auxquels elle progresse dans sa réflexion et publie ses propres œuvres de fiction et de réflexion. Sa première traduction publiée – sous le pseudonyme May dont elle signait alors ses articles – est probablement sa version néerlandaise d’un extrait du chapitre IV de Elbow-room. A novel without a plot de Max Adeler, pseudonyme de Charles Heber Clark, dans le Deli Courant, dont son mari Kees van Bruggen était le rédacteur et où elle fit ses débuts (Sicking 1993 : 344, [Clark] 1876, [Clark] 1904). Sa traduction du proverbe d’Alfred de Musset On ne saurait penser à tout parut en 1917 – sous le titre Men moet nergens op zweren, qui fait penser à tort que le texte original est On ne saurait jurer de rien – dans le supplément dramatique de Groot Nederland dont Frans Coenen fut rédacteur en chef de 1914 à 1936 (Musset 1917, Bakker 1985 : 79, 82). Ses traductions de la comédie The Rivals de Sheridan (Sheridan 1910) et du roman Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas (Dumas 1931) furent publiées par la Maatschappij tot verspreiding van Goede en Goedkoope Lectuur, respectivement dans les collections Tooneelbibliotheek et Wereldbibliotheek. C’est également dans un périodique fondé par Leo Simons, la revue à visée éducative Leven en Werken dont les rédactrices étaient la pionnière du travail social Emilie Knappert et l’écrivaine Annie Salomons, que parut, en feuilleton, sa traduction du roman The Freelands de John Galsworthy, avant d’être publiée en volume en 1920 dans la Wereldbibliotheek de la Maatschappij tot verspreiding van Goede en Goedkoope Lectuur (Sicking 1993 : Miedema, Schilt, Kat 2022: 191-194, Galsworthy 1919, Galsworthy 1920). Une autre traduction de Carry van Bruggen publiée en volume est la version néerlandaise de Old ladies de Hugh Semour Walpole, parue sous le titre Drie oude vrouwen aux éditions de la Hollandia-Drukkerij (Walpole 1926). Mais ce qui apparaît surtout, c’est la relation durable de Carry van Bruggen avec la Maatschappij voor Goede en Goedkoope Lectuur, comme autrice4, mais aussi comme traductrice, et le rôle de liens personnels et intimes dans son parcours de créatrice.

Traduction et engagement

Le contexte dans lequel fut publiée sa traduction de la brochure Les atrocités dans les prisons russes de Francis de Pressensé (Pressensé 1913, Pressensé 1913a) illustre bien l’implication de Carry van Bruggen dans des réseaux intellectuels, tout en témoignant de l’aspect humanitaire et politique de son engagement. Publiée dans la Volksbibliotheek de la Maatschappij tot verspreiding van Goede en Goedkoope Lectuur, précédée d’une préface de Frans Coenen, cette traduction est étroitement liée aux efforts de son frère Jacob Israël de Haan pour rassembler des informations sur les systèmes pénitentiaires et améliorer le sort des prisonniers. Elle s’insère dans un mouvement de mobilisation internationale destiné à alerter sur les conditions effroyables réservées aux prisonniers politiques en Russie. En avril 1912, au cours d’un voyage en Angleterre, Jacob Israël de Haan avait non seulement visité la prison de Reading Gaol, où Oscar Wilde avait effectué deux ans de travaux forcés (1895-1897), mais aussi accompagné Frederik Van Eeden chez le révolutionnaire anarchiste Kropotkine. Connu aux Pays-Bas par de nombreuses traductions de ses livres et par son ouvrage The Terror in Russia. An Appeal to the British Nation (Kropotkine 1909), Kropotkine lui avait donné des informations sur la situation alarmante dans les prisons de Russie, où le nombre de prisonniers politiques avait considérablement augmenté depuis l’arrivée au pouvoir de forces réactionnaires après les élections à la troisième douma en 1907. Alerté, Jacob Israël de Haan accomplit trois voyages en Russie en 1912 et 1913 pour étudier la situation par lui-même. Il s’efforça de venir en aide à des détenus rencontrés là-bas, notamment en se rendant à Anvers et Paris, donna des conférences pour informer l’opinion publique et publia les récits de ses expériences dans des périodiques. À la fin de l’année 1913, ces témoignages furent rassemblés sous une forme légèrement écourtée dans son ouvrage In Russische gevangenissen [Dans les prisons russes], publié dans la série Handboekjes Elck ’t Beste de la Maatschappij voor Goede en Goedkoope Lectuur (De Haan 1913, Fontijn 2015 : 210-216, 220-242). En lien avec ces observations et réflexions, Jacob Israël de Haan rédigea aussi un texte sur un nouveau système introduit dans les prisons américaines. C’est Carry van Bruggen qui mit au net le manuscrit, ce qui montre combien elle suivait de près cette question. (De Haan 1912, Fontijn 2015 : 236 et 629-630, n. 43).

Chez Jacob Israël de Haan comme chez Francis de Pressensé, traduit par Carry van Bruggen, on note la tendance à comparer les systèmes pénitentiaires, et en particulier à mettre en parallèle des tortures et humiliations subies par les détenus dans l’Angleterre de l’époque d’Oscar Wilde et les atrocités vécues au présent dans les prisons russes (De Haan 1913 : 72, 88, Pressensé 1913 : 4-5, 8-9, 22, Pressensé 1913a : 2-3, 7, 20, Fontijn 2015 : 215-216). Mais la situation russe n’en reste pas moins spécifique, et leurs prises de parole respectives s’intègrent dans un mouvement de dimension internationale. Une étape dans la prise de conscience avait été marquée par le livre de George Kennan sur les prisons de Sibérie (Kennan 1891), qui avait notamment suscité l’engagement de Frederik van Eeden à partir de 1890, et que Frans Coenen évoque dans sa préface à la traduction par Carry van Bruggen de la brochure de Pressensé (Fontijn 2015 : 220-221, Pressensé 1913a : III). Mais les conditions s’étaient aggravées, passant, comme le soulignent Pressensé et Coenen, de mauvais traitements arbitraires à un véritable système (Pressensé 1913 : 17, 28, 30-31, 42, Pressensé 1913a : III).

Le texte traduit par Carry van Bruggen est la version écrite d’une conférence prononcée le 13 février 1913 par Francis de Pressensé, président de la Ligue des droits de l’homme et du citoyen de 1903 à sa mort en 1914 [Fabre 2004]. Cette conférence s’était tenue sous la présidence de Vera Figner, militante socialiste russe qui avait passé plus de vingt ans dans la forteresse de Schlusselbourg pour avoir pris part aux actions de l’association La Voix du Peuple, qui visait à renverser le pouvoir autocratique par la violence. Vera Figner se consacrait désormais à informer les peuples européens des crimes tsaristes en s’appuyant sur les réseaux de défense des droits de l’homme ; elle avait fondé en 1910 à Paris le Comité d’aide aux prisonniers politiques et aux exilés aux travaux forcés. Sa brochure de 1911 sur Les prisons russes fut rééditée précisément en 1913 dans une version revue et augmentée (Artières 2017: 16, Figner 1911, Figner 1913). La même année, la conférence de Pressensé parut en français, en néerlandais, mais aussi en anglais, et l’année suivante en allemand – dans une traduction de Sophie Ryss, épouse de Karl Liebknecht (Pressensé 1913a, Pressensé 1913b, Pressensé 1914). Ces publications témoignent de l’action de réseaux de solidarité internationaux de tendance socialiste et de la volonté de Carry van Bruggen de contribuer à leur lutte contre un système inhumain, considérant sans nul doute comme Frans Coenen que « ce qui se passe là-bas nous concerne tous, et donc, ce qui est nécessaire en tout premier lieu, c’est que personne ne puisse prétexter l’ignorer »5. La traduction revêt ici la dimension d’une prise de position, d’un acte de dénonciation, partie intégrante de son œuvre et de sa mise à jour de processus de domination et d’injustice. Cette démarche critique se prolonge dans sa réflexion théorique sur l’activité de traduction et sur la réception comparée de textes en langue originale et traduits.

Réflexions sur la traduction

L’activité de traduction et la lecture de textes traduits ont inspiré à Carry van Bruggen des réflexions qui s’intègrent dans son analyse critique des relations de pouvoir entre spécialistes et non-spécialistes et des rapports de domination entre hommes et femmes. Liées à son dévoilement du snobisme intellectuel et des préjugés à l’œuvre derrière la hiérarchisation des langues, elles contribuent à la formulation de conceptions théoriques plus générales sur le langage.

Dans le roman Uit het leven van een denkende vrouw [Scènes de la vie d’une femme qui pense] ([Van Bruggen] 1920), un article écrit par Ina, le personnage principal, en réaction aux affirmations d’un professeur de théologie sur Platon, qu’elle estime mal argumentées et partisanes, suscite l’ironie et l’indignation de son frère Evert, qui juge Ina incompétente en la matière et bien présomptueuse d’oser s’attaquer aux propos d’une autorité scientifique. La conversation s’oriente alors vers la question de la traduction, à partir de l’intervention d’Evert, qui interrompt sa sœur « sur le ton d’un juge impatienté par la prolixité d’un accusé » et la somme de se justifier : « Permets-moi une question : qui t’a donc appris le grec en si peu de temps ? »6. Evert refuse à Ina la légitimité d’écrire sur Platon sans avoir lu les bibliothèques entières qui en traitent, et de le faire à partir d’une traduction française, assénant de manière péremptoire : « Tu ne peux rien comprendre à Platon, car Platon ne se comprend qu’en grec »7. Pour Ina, une telle affirmation est tout simplement infondée. Lire un texte écrit dans une langue étrangère, quelle qu’elle soit, revient toujours en réalité à traduire, indirectement ou directement, au sens strict ou au sens large : quand on ne connaît pas bien cette langue, traduire dans les mots de sa propre langue (dans son cas précis : « traduire en termes hollandais »), et quand on la connaît bien, traduire dans des sentiments et représentations de sa propre aire culturelle et linguistique (« traduire en sentiments hollandais et en idées hollandaises »)8. Dans le cas d’un texte ancien, une complication supplémentaire vient s’ajouter à la différence de code linguistique et à la distance culturelle : l’éloignement temporel, accompagné, pour les langues et les textes classiques, de l’accumulation des lectures et des interprétations qui se sont succédées durant des siècles. Ouvrant une fenêtre sur la bibliothèque de l’autrice et montrant l’ancrage de sa réflexion dans un contexte de circulation européenne des idées, une citation de l’ouvrage d’Anatole France Les Opinions de M. Jérôme Coignard, lue à haute voix par le mari d’Ina à la demande de cette dernière, introduit la notion de transformation (« vivre c’est se transformer ») pour montrer qu’au fil du temps, le sens d’un texte est soumis à des mutations successives et s’éloigne de plus en plus de la manière dont il a été conçu et compris à l’époque de sa genèse9. Selon Ina, un individu donné ne peut penser et ressentir que ce que sa propre langue lui permet : les possibilités offertes par d’autres langues sont alors traduites au moyen de périphrases et d’explications. Toutes ces raisons font que « nous ne possédons de l’esprit de Platon que les visions que nous nous en faisons »10, ou plutôt nos visions des visions élaborées par ses interprètes successifs ([Carry van Bruggen], 1920 : 106-109). Prétendre que la langue grecque est une langue à part et que certains mots grecs sont intraduisibles est un leurre ; c’est l’expression d’un snobisme intellectuel qui confond le ressenti subjectif du gourmet sachant goûter cette langue avec la vérité objective – arbitraire du signe et égale valeur de toutes les langues, anciennes et modernes ([Carry van Bruggen], 1920 : 110-111).

Dans Hedendaagsch fetischisme [Fétichisme d’aujourd’hui] (Van Bruggen 1925), où elle concentre ses idées sur les langues et le langage, Carry van Bruggen poursuit la réflexion sur la traduction sous une forme théorique plus générale et plus abstraite. Dans les chapitres 6 et 9, elle examine respectivement si l’affirmation selon laquelle « un vers d’Homère a plus de valeur que la meilleure des traductions » est sincère (oprechtheid) et soutenable (houdbaarheid) (Van Bruggen 1925 : 98, 98-100, 169-176). On y retrouve des motifs présentés sous forme dialogique dans le roman : l’homme fort de sa culture classique qui demande systématiquement à une personne citant Platon où elle a appris le grec, la mention du recours à une traduction (ici celle de Schleiermacher) qui suscite immédiatement un dithyrambe sur l’impossibilité de se passer du texte original, la foi chrétienne reposant sur des traductions, l’emploi par Johann Sebastian Bach de la traduction de la Bible par Luther dans la Passion selon Saint-Matthieu, le prétendu mot grec « intraduisible » qui peut en réalité toujours être rendu par une paraphrase ou une explication (Van Bruggen 1925 : 99, 173). Ces exemples sont ici intégrés à une double analyse critique. Sur le plan des relations individuelles et sociales, Carry van Bruggen démasque la « pulsion de caste » (kastedrift) à l’œuvre derrière une hiérarchisation des langues qui fait de la connaissance de trois langues modernes (français, allemand, anglais) et de deux langues classiques (latin et grec) un moyen de distinction sociale, et qui rend aveugle à la contradiction consistant à mépriser l’hébreu, langue biblique, ou à citer sans sourciller des traductions de Tolstoï ou d’Ibsen. Dans le domaine plus strictement linguistique, le caractère intraduisible d’un mot est radicalement remis en question : pour Carry van Bruggen, apprendre une langue étrangère, et à plus forte raison une langue morte, c’est, pour une part, apprendre un nouveau code qui vient se superposer au premier pour exprimer une même idée, et, pour une autre part, se faire expliquer, paraphraser dans sa langue première les notions résumées dans les mots prétendument « intraduisibles ». Plus fondamentalement, comprendre, c’est toujours, en un certain sens, traduire11, même dans le cadre d’une seule langue, puisque chaque individu a sa propre « image » d’un mot donné, qui synthétise toutes les significations qu’il a rencontrées et diffère de l’image que d’autres individus en ont. Ainsi, tout comme les significations de deux synonymes dans une même langue ne se recouvrent jamais, « aucun mot n’est intraduisible, mais aussi, aucun mot n’est traduisible sans plus »12.

Ces réflexions générales qui visent à ébranler des mythes s’appuient sur une expérience approfondie de l’activité de traduction. Cette pratique a inspiré à Carry van Bruggen des remarques sur les qualités et la méthode requises pour bien traduire, exposées dans le dernier chapitre de Hedendaagsch fetischisme (Van Bruggen 1925 : 224-244). Trois conditions lui paraissent essentielles : l’aptitude à pénétrer dans l’esprit, la manière de penser, les mouvements de l’âme d’une autre personne et en quelque sorte à s’identifier à elle ; la sensibilité aux situations, qui permet tout particulièrement de discerner avec précision l’emploi imagé d’un mot ; la faculté d’« écarter la langue »13. Comme elle le note, ces compétences ne relèvent pas de la connaissance des langues au sens strict. Il s’agit plutôt de facultés plus générales, qui touchent au rapport entre le signe et le sens. C’est sur la nécessité d’« écarter la langue » que se fonde la méthode qu’elle recommande : après une lecture attentive et précise de la phrase à traduire, chercher en soi-même l’impression totale produite, qui, trouble au début, s’affinera au fur et à mesure qu’on fera alterner relecture de la phrase et prise de distance, jusqu’à ce que l’on soit en mesure de la rendre dans la langue d’arrivée, livre fermé et sans souvenir précis des constructions et des mots de l’original. Cette manière de se libérer des particularités de la langue de l’original a pour but de produire une traduction dont on ne remarque pas qu’elle en est une, ce qui implique d’écrire dans une langue neutre, dénuée de particularismes, de modernismes ou de termes trop « littéraires », une langue susceptible d’être à son tour aisément « écartée » par le lecteur ou la lectrice. C’est une tâche délicate, ce qui conduit Carry van Bruggen à souligner la dimension créatrice de l’activité de traduction et à attirer l’attention sur sa difficulté, en un certain sens plus grande que celle de l’écrivain en raison de la confrontation avec la vie intérieure d’une personne toujours radicalement autre que soi.

La traductrice à l’œuvre

La manière dont Carry van Bruggen met en pratique les recommandations et les techniques présentées dans Hedendaagsch fetischisme est bien illustrée par le début de sa traduction des Trois Mousquetaires. Voici le texte original du deuxième paragraphe du roman, suivi par sa traduction en néerlandais :

En ce temps-là les paniques étaient fréquentes, et peu de jours se passaient sans qu’une ville ou l’autre enregistrât sur ses archives quelque événement de ce genre. Il y avait les seigneurs qui guerroyaient entre eux ; il y avait le roi qui faisait la guerre au cardinal ; il y avait l’Espagnol qui faisait la guerre au roi. Puis, outre ces guerres sourdes ou publiques, secrètes ou patentes, il y avait encore les voleurs, les mendiants, les huguenots, les loups et les laquais, qui faisaient la guerre à tout le monde. Les bourgeois s’armaient toujours contre les voleurs, contre les loups, contre les laquais, – souvent contre les seigneurs et les huguenots, – quelquefois contre le roi, – mais jamais contre le cardinal et l’Espagnol. Il résulta donc de cette habitude prise, que, ce susdit premier lundi du mois d’avril 1625, les bourgeois, entendant du bruit, et ne voyant ni le guidon jaune et rouge, ni la livrée du duc de Richelieu, se précipitèrent du côté de l’hôtel du Franc Meunier.
Arrivé là, chacun put voir et reconnaître la cause de cette rumeur.
Un jeune homme… (Dumas 2013 : 29-30)

Zulke plotselinge panieken waren destijds aan de orde van den dag en er ging geen week voorbij zonder dat de een of andere stad een gebeurtenis van dien aard in haar annalen te vermelden kreeg. Daar waren immers allereerst de aldoor met elkaar overhoop liggende groote heeren, vervolgens de koning in oorlog tegen den kardinaal en ten slotte Spanje in oorlog tegen den koning. En behalve al die openlijke of verkapte, erkende of heimelijke oorlogen, waren er verder nog de algemeene vijanden: dieven, bedelaars, Hugenoten, wolven en… de lakeien van de groote heeren! De burgerij hield zich altijd gewapend tegen de dieven, de wolven en de lakeien – dikwijls tegen de groote heeren en de Hugenoten – somtijds tegen den koning – maar nooit tegen den kardinaal of tegen Spanje. En het gevolg van deze gewoonten was, dat op dien gedenkwaardigen eersten Maandag in April van het jaar 1625 de opgeschrikte burgers hun schreden richtten naar de herberg Franc-Meunier –, waar de oorzaak van het kabaal zich al spoedig openbaarde in de gedaante van een jongen man.
Deze jonge man… (Dumas 1932 : 5-6)

Dans ce passage, le souci de ne pas s’attacher trop servilement à la langue du texte original apparaît notamment dans le choix de modifier l’ordre de présentation de certaines idées (« guerres sourdes ou publiques, secrètes ou patentes » devient « openlijke of verkapte, erkende of heimelijke oorlogen ») et dans la décision de rendre la fonction d’acmé d’une gradation et l’humour fin perceptible à la fin de la phrase « et les laquais, qui faisaient la guerre à tout le monde » en remplaçant la proposition relative par une ponctuation expressive (points de suspension et point d’exclamation) et un groupe prépositionnel permettant de reproduire les proportions de longueur entre les termes de l’énumération (« en… de lakeien van de groote heeren! »). Par ailleurs, la répartition des phrases et des paragraphes est modifiée par endroits : c’est le cas à la toute fin de ce passage, où une phrase indépendante, isolée dans un nouveau paragraphe, est traduite par une proposition relative placée en fin de paragraphe et mise en évidence par un tiret. Ce procédé permet en outre d’expliciter ce qui fait l’objet d’une ellipse dans le texte original, de même que, au début du paragraphe cité, l’article défini (« les paniques ») est traduit par un démonstratif (« zulke panieken »), placé en outre en début de paragraphe de manière à lier plus nettement encore la situation particulière et sa mise en perspective introduite par une généralisation. On remarque également l’évitement de particularismes, qu’il s’agisse de supprimer pour le lectorat néerlandophone une référence marquée au contexte historique et culturel français (« ne voyant ni le guidon jaune et rouge, ni la livrée du duc de Richelieu ») ou de ne pas traduire un nom propre français (celui de l’hôtel Franc Meunier), pour ne pas donner l’impression gênante d’une intrusion néerlandaise en contexte francophone (Van Bruggen 1925 : 237-239). Enfin, la suppression d’une répétition (« il y avait ») et son remplacement par des adverbes marquant les étapes d’une énumération (« allereerst… vervolgens… en ten slotte… ») contribue à clarifier le propos tout en mettant en œuvre la règle selon laquelle une bonne traduction est toujours belle (Van Bruggen 1925 : 239). Une analyse des traductions d’autres textes français réalisées par Carry van Bruggen, dont le compte rendu détaillé dépasserait les limites de cet article, confirme le recours aux techniques évoquées, concourant au but décrit dans Hedendaagsch fetischisme14. Si cet ouvrage s’achève sur un chapitre dédié à la traduction, c’est que cette activité montre clairement la nécessité de s’affranchir de la fétichisation de la langue, des croyances et préjugés qui empêchent de reconnaître et de mettre à profit le jeu entre le son et le sens, et que la manière dont une personne la pratique représente, selon Carry van Bruggen, une pierre de touche de son ouverture d’esprit et de sa capacité de discernement (Van Bruggen 1925 : 244). On peut en conclure que, chez elle, un même état d’esprit préside à l’activité de traduction et à l’analyse critique des préjugés telle qu’elle la pratique dans ses œuvres narratives et théoriques.

Ainsi, les réflexions théoriques de Carry van Bruggen et sa pratique engagée de la traduction montrent que les textes traduits par elle font partie intégrante de son œuvre créatrice, qu’ils entretiennent une relation d’interdépendance avec ses œuvres de fiction et ses essais critiques. Les contextes de publication de ses traductions font ressortir la structure complexe de réseaux de relations littéraires et éditoriaux à dimension internationale dans lesquels liens familiaux, amitiés entre écrivains, engagements et sensibilités politiques jouent un rôle. C’est particulièrement le cas de sa traduction de la brochure Les atrocités dans les prisons russes de Francis de Pressensé, acte engagé de dénonciation d’injustices qui s’intègre pleinement dans l’ensemble de son œuvre, dont une direction majeure est l’analyse du fonctionnement des interactions humaines et l’observation critique des rapports de domination. Cette démarche de mise au jour des rapports de pouvoir (notamment entre spécialistes et non-spécialistes, hommes et femmes, connaisseurs de certaines langues et non-initiés) oriente non seulement le choix des textes qu’elle décide de traduire, mais aussi ses réflexions sur le rapport de hiérarchie supposée entre texte original et traduction, qu’elle estime fondé sur une forme de snobisme intellectuel associé à la méconnaissance des processus psychiques de compréhension des textes et des conditions de transmission des œuvres dans l’histoire. Observant que la compréhension d’un énoncé, même au sein d’une seule langue, est déjà une forme de traduction, Carry van Bruggen en déduit les qualités requises pour bien traduire. Parmi elles se trouve, paradoxalement, la faculté d’« écarter la langue » et d’écrire dans une langue susceptible d’être « écartée ». L’observation des techniques mises en œuvre dans le début de sa traduction des Trois Mousquetaires clarifie cette exigence : il s’agit de créer un texte qui donne une certaine illusion de transparence, par un effacement mesuré des particularismes propres à la langue et à la culture du texte original et par des techniques de clarification et de simplification. En ce sens, la traduction telle que la pratique Carry van Bruggen s’apparente à la démarche adoptée dans ses écrits sur la littérature européenne, marquée par une forme de pédagogie et contribuant aux circulations littéraires internationales.

Bibliographie

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Notes

1 Très peu d’œuvres de Carry van Bruggen ont été traduites en français. On en trouvera la liste qui se trouve dans la présentation générale de l’autrice publiée sur le site <https://www.les-plats-pays.com> (Maufroy 2025).

2 Sur les fondements de la recherche sur les transferts culturels, on pourra se reporter à : Espagne, Werner 1998 ; Espagne 1999 et 2013.

3 Dans le douzième article, Carry van Bruggen évoque la « faculté d’imagination » de Dickens « que l’on a pu considérer comme une déviance anormale, pathologique » (Carry van Bruggen, « Moderne litteratuur. XII », in De Amsterdamsche Dameskroniek, Eerste Jaargang, Nr. 45 (5 Augustus 1916), p. 1-2, ici p. 2 : « een verbeeldingskracht, die men wel eens als een abnormale, ziekelijke afwijking heeft beschouwd »). Ce faisant, elle reprend une idée de Taine telle que la synthétise Frans Coenen (Taine 1874: 7-8, 13, 15 ; Coenen 1911: 95, Van Bruggen 2023 : 90, 212).

4 C’est la Maatschappij qui édite De verlatene. Een roman uit het Joodsche leven (1909), Heleen : een vroege winter (1912), Het huisje aan de sloot (1921), Maneschijn met Koek en Al om een suikerballetje (1923), De grondgedachte van « Prometheus » (1924) et Seideravond. Monoloog (1932). Dans le livre publié à l’occasion des dix ans de la Wereldbibliotheek, Carry van Bruggen figure parmi les auteurs présentés avec un portrait photographique et un extrait de leur œuvre (Simons 1915 : 174-180 ; voir aussi Miedema, Schilt, Kat 2022 : 444, où deux ouvrages de Kees van Bruggen sont toutefois attribués par erreur à Carry van Bruggen).

5 « Wat daarginds gebeurt gaat ons allen aan en zoo is dìt dan allereerst noodig, dat niemand hiervan onwetendheid kan voorwenden » (Coenen in Pressensé 1913a: V).

6 « Permitteer mij de vraag : Wie heeft je eigenlijk zoo gauw Grieksch geleerd ? » ([Van Bruggen] 1920 : 101).

7 « […] jij kunt van Plato niets begrijpen, want Plato is alleen te begrijpen in het Grieksch » ([Van Bruggen] 1920 : 105).

8 « Stel dan nu nog eens, ik lees een Fransch boek. Wat is dan dat lezen ? Vertalen, voor mij zelf vertalen. Of niet ? Voor iemand die de taal gebrekkig kent, vertalen in Hollandsche woorden –, voor iemand die met de taal vertrouwd is, direct vertalen in Hollandsche gevoelens en Hollandsche voorstellingen. Geloof je nu dat iemand, die Grieksch leest, iets anders kan doen ? » ([Van Bruggen], 1920 : 106).

9 Le passage cité se trouve dans le chapitre introductif des Opinions de M. Jérôme Coignard (publiées en volume en 1893 chez Calman-Lévy), qui, tout en étant signé « Anatole France », instaure le cadre fictif de l’édition posthume des pensées de l’Abbé Jérôme Coignard consignées par son disciple Jacques Tournebroche (France 1987: 208-209). Il prend place dans une réflexion sur l’inanité de la gloire littéraire et l’oubli des œuvres par la postérité. En l’insérant dans son roman, Carry van Bruggen lui donne une nouvelle fonction, celle d’un argument prouvant que ceux qui savent le grec ont tout aussi peu accès aux intentions originelles d’un auteur comme Platon que ceux qui ne connaissent pas cette langue.

10 « […] Een Franschman, die Hollandsche saaiheid en Hollandsche deftigheid met eigen oogen had gezien, zou dat zijn landgenooten wel kunnen beduiden. Maar wie van ons heeft in het Platonisch Griekenland met Plato in Athene verkeerd? We bezitten niets van Plato’s geest dan onze eigen visies erop.” / “En de visies van anderen, van kenners en commentatoren”. / “Onze visies op hun visies ! […] » ([Carry van Bruggen] 1920 : 109).

11 « Begrijpen is in zekeren zin al vertalen » (Van Bruggen 1925 : 227).

12 « Geen enkel woord is onvertaalbaar, maar ook, geen enkel woord is zonder meer vertaalbaar » (Van Bruggen 1925 : 228).

13 « Tenslotte dan moet de vertaler zich van de taal kunnen bevrijden, hij moet de taal kunnen ecarteeren » (Van Bruggen 1925 : 236).

14 On remarque notamment sa propension à introduire des liens de subordination là où l’original comprenait des phrases coordonnées ou indépendantes (par exemple : Pressensé [13] : 11, 14, 15, 22, Musset 1917 : 4, 5, 11), à répartir différemment les marques d’oralité dans une logique compensatoire (Pressensé [1913] : 18, 19, 20, 21, 35, par opposition à ibid. : 18, 24, 26, 37], à résumer, simplifier (Pressensé [1913] : 16, 17, 18-19, 21, 28, 29, 38, 39) ou au contraire expliciter (Pressensé [1913] : 3, 5, 6, 9, 10, 18, 22 37) certaines idées et argumentations, à supprimer des références au contexte culturel d’origine (Pressensé [1913] : 5, 7).

Citer cet article

Référence papier

Sandrine Maufroy, « Carry van Bruggen, actrice de transferts culturels et traductrice engagée », Deshima, 19 | 2025, 289-302.

Référence électronique

Sandrine Maufroy, « Carry van Bruggen, actrice de transferts culturels et traductrice engagée », Deshima [En ligne], 19 | 2025, mis en ligne le 04 décembre 2025, consulté le 05 décembre 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/deshima/index.php?id=906

Auteur

Sandrine Maufroy

Maîtresse de conférences à Sorbonne Université (UR 3556, REIGENN)

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