Cinquante nuances (criminelles) de Gray au xviiie siècle. Comprendre un fonds d’archives et trouver comment l’étudier

DOI : 10.57086/sources.171

p. 173-194

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« Les habitans de Gray [ont] beaucoup de décence dans les mœurs. [Leur] esprit est vif & propre aux sciences & aux arts mais la beauté du pays nuit à leur élévation & à leur fortune. Ils sont singu-lièrement attachés à leur patrie ; tous veulent y mourir & ne la quittent qu’à regret […] Il semble que la Providence […] ait voulu leur inspirer de l’indifférence pour les jouissances de l’ordre social, en les tenant, par un instinct impérieux, comme attachés au tableau intéressant qu’elle leur a placé en perspective. De-là, l’insouciance, le peu de goût pour le luxe, le peu de soif pour les honneurs & les richesses, l’extrême penchant pour le plaisir ; de-là une constante médiocrité… »

Recherches historiques sur la ville de Gray…, 1788, p. 18-21.

Il n’y a sur Gray qu’un livre ancien sur ses « antiquités » et sa renommée1. D’après son auteur, ses contemporains du xviiie siècle se distingueraient par leur caractère, éloigné des passions qui portent aux excès et quelquefois au crime. « Ce devroit être le séjour du bonheur » écrit-il encore. Ce n’est pas ce que disent les archives judiciaires que nous avons réussi à exploiter en surmontant certaines difficultés. En effet le fonds du bailliage de Gray a d’abord été impossible à exploiter, avant que nous trouvions par où commencer des travaux sur la criminalité dans toute son étendue et toutes ses nuances.

D’abord siège d’une prévôté, Gray a été érigé en 1544 comme siège du bailliage dit d’Amont, séant dans trois lieux : Vesoul, Gray et Baume. Le démembrement est complet puisque les trois sièges sont dotés chacun d’un lieutenant général (1578) et ressortissent indépendamment du Parlement2. En 1674 la Franche-Comté est ramenée dans le royaume de France. La référence pour la procédure devient l’Ordonnance criminelle de 1670 et, en 1681, les bailliages comtois reçoivent du roi de France un « règlement pour l’administration de la justice » qui clarifie les choses. En 1696 sont créés cinq présidiaux, dont un à Gray. Pour les bailliages secondaires, un niveau judiciaire est ainsi rajouté entre eux et le Parlement. Mais les présidiaux franc-comtois sont incorporés aux bailliages principaux de leur ville-siège (dont Gray) avec des officiers partagés et en siégeant autant que de besoin dans l’une ou l’autre audience. Au civil, les présidiaux jouent pleinement leur rôle consistant à empêcher la plupart des causes d’aller jusqu’au Parlement, lorsqu’elles sont en-dessous d’un certain plafond de valeur. Au criminel, il ne peut guère y avoir de différences entre bailliage et présidial et d’ailleurs, à Gray, les magistrats semblent n’utiliser le titre présidial que pour des questions de juridiction entre le bailliage, une autre justice royale ou une justice seigneuriale.

Au xviiie siècle le ressort de Gray comprend 184 localités et des hautes justices dont l’activité est contrôlée par le siège royal. Ainsi le procès fait à Philippon en 1738 amène les gens du Roi à reprocher au personnel de la haute justice de Mont de l’avoir laissé s’évader et révèle en plus une affaire antérieure non instruite à Frasne-le-Chatel3, où un officier est « deument atteinct et convaincu d’avoir nonobstant la connoissance qu’il avoit de la mort violente de Nicolat Ponsot, négligé d’en faire aucune poursuitte contre les autheurs et complices de lad[ite] mort en qualité de pro[cureu]r d’office4 ».

La série B des Archives départementales de la Haute-Saône

Selon son Inventaire sommaire, la série B était « sans importance » avant 1857 (175 cotes) lorsque les papiers des anciennes juridictions ont commencé à parvenir aux Archives départementales de la Haute-Saône, ce qui en a fait la plus importante série du dépôt, avec 9 155 cotes5. Le fonds propre à Gray comprend 2 404 cotes décrites dans le premier volume de l’inventaire de B 528 à B 2932.

Un inventaire propre à dissuader toute recherche

La première impression quand on parcourt l’inventaire est soit que le fonds était dans un grand désordre quand il est parvenu aux Archives et qu’il n’a pas du tout été classé par M. l’archiviste départemental avant d’être coté par lui, soit que celui-ci a donné au fonds un classement original et plutôt malheureux.

C’est un fonds considérable pour l’histoire judiciaire mais nous n’en connaissons pas qui soit plus incommode. Il y a par exemple un nombre invraisemblable de liasses de procédures criminelles qui portent toutes sur la totalité du xviiie siècle d’après leurs dates extrêmes. Ainsi, telle cote va de 1703 à 1787 avec une seule procédure de 1703, une de 1787, et d’autres à différentes dates entre les extrêmes6. D’où des centaines de cotes non continues, qui se rencontrent de place en place dans l’inventaire, dont chacune va de la fin du xviie siècle à la fin du xviiie. Cette dispersion est étonnante car au greffe de Gray les procédures criminelles ont forcément été toutes ensemble, et rangées au fur et à mesure, année par année. Or les chercheurs auraient besoin de liasses cohérentes, comprenant par exemple toutes les procédures de 1721, puis les procédures de 1722, de 1723, etc. D’où vient ce désordre qui complique tout travail méthodique ?

Nous avons fini par comprendre le travail de l’archiviste-adjoint Victor Besson. Si les liasses titrées « Procédures criminelles » ne forment pas un ensemble continu de cotes, si elles sont séparées par d’autres types de documents, c’est que l’archiviste a cassé les continuités du greffe en arrangeant des liasses par communes. Ainsi, Battrans va de B 1815 à B 1825 ; Bâties n’a que B 1826 ; Bay va de B 1827 à 1829 ; puis c’est Beaujeu7.

Il y a aussi quantité de cotes civiles ou criminelles pour lesquelles l’inventaire donne le nom des prévenus, qui sont tous de parfaits inconnus. Or quel est l’intérêt de savoir qu’une Louise Combier a été jugée, alors que son crime n’est pas noté ? Finalement, l’archiviste n’a pas mis en désordre le fonds car il a créé un ordre, mais un ordre tourné vers le localisme et les monographies de communes – à la mode à son époque8.

On le maudirait presque. Les conditions dans lesquelles a été fait un inventaire publié dès 1865 ont certes été difficiles9. Mais Besson n’avait pas à démembrer les greffes et réordonner les archives dans un esprit si particulier10. Jamais, nulle part, les papiers n’ont été originellement classés comme ceux de Gray le sont depuis la fin du xixe siècle aux Archives départementales11.

L’axe « Autorité. Contrainte. Liberté. » de l’ARCHE EA 3400 et la série B des Archives départementales de la Haute-Saône

Une autre difficulté qui explique le sous-emploi de la grosse série B de Vesoul est qu’il n’y a pas d’université proche. Les Archives et le Conseil général en sont bien conscients puisqu’ils proposent des bourses pour les déplacements des étudiants12. Or depuis 2018 nous avons résolu pour l’axe « Autorité. Contrainte. Liberté. » de notre équipe, de nous attaquer à cette série B en proposant des sujets à des étudiants et en consacrant le séminaire de paléographie française moderne au document de la présente publication. Il s’agissait aussi de trouver dans ce séminaire comment attaquer un fonds aussi volumineux que celui de Gray.

Il s’avère que la criminalité y est étudiable à partir de certains documents, comme le registre B 1318 où les principaux jugements criminels ont été reportés dans l’ordre chronologique, de 1738 à 1751 – soit près de 200 jugements et l’évocation de beaucoup plus d’étapes des procédures, ce qui forme un ensemble déjà suffisant pour percevoir les Cinquante nuances criminelles de Gray annoncées dans le titre13.

Il y a aussi une série de registres portant des sentences préparatoires, interlocutoires et définitives, à savoir les B 1319 de 1715 à 1752, B 1320 de 1754 à 1762, B 1321 et 1322, ce qui donne une continuité de 1715 à 1772 avec seulement une lacune pour 1753 – voire 1715-1789, car il y a aussi B 1323 et 1324 de 1785 à 1789. Une autre série porte sur les « peines afflictives » du carcan et du fouet jusqu’à la mort, donc sur les jugements criminels graves, à savoir B 1325 de 1694 à 1712, B 1326 de 1713 à 1728, B 1327 de 1724 à 1739, B 1328 de 1740 à 1750 et B 1329 de 1750 à 1791. Il est probable que des affaires se retrouvent dans les deux suites de cotes et un traitement sériel permettrait de recouper les données. Il y a aussi des cotes isolées, c’est-à-dire des registres qui complètent les séries mais qui n’en ont pas été rapprochés dans le classement puis l’inventaire. Ces registres représentent donc l’activité du bailliage présidial, dans l’ordre chronologique des délits, crimes et peines les plus importants selon les magistrats – et objectivement aussi pour les historiens14.

Le fonds d’archives comprend donc finalement l’inventaire des crimes que n’a pas réalisé l’archiviste en chef de Vesoul. C’est l’un des documents repérés, le registre B 1318, que notre axe a transcrit et édité partiellement dans le présent numéro de la revue Source(s) et qui sera édité en entier sur le site de l’équipe ARCHE EA 3400 dans le cadre des Humanités numériques de l’axe15.

Le registre B 1318

Le registre, tenu depuis 1738 jusqu’en 1751, a évolué. Il a longtemps été employé pour conserver dans l’ordre les jugements définitifs, en rappelant qu’ont été accomplis tous les actes nécessaires et vues toutes les pièces avant que de faire droit comme disaient les officiers en ce temps, mais sans jamais en donner le détail et en utilisant la formule « et autres pièce » ou un significatif « etc. ».

Puis les actes s’allongent en rappelant absolument tous les actes accomplis et en nommant chaque personne qui en a été responsable – par exemple : c’est tel huissier qui a porté tel acte et qui en a fait enregistrer un certificat à Gray par tel greffier du siège tel jour. D’où des dizaines de lignes de cette sorte :

l’exploit de l’huissier Richard les ayant assigné le 26 et 27 dud[it] mois deument contrôllé ; l’information prise en espèce les 27 et 28 ; les conclusions du pro[cureu]r du Roy et le décret réel rendu contre led[it] accusé led[it] jour 28 ; l’expédition dud[it] décret signé du greffier Cornu16 […]

C’est pénible à lire, mais utile.

Davantage que les jugements

Occasionnellement figurent aussi des digressions, comme pour le vagabond du Vivarais capturé en 1749 par la maréchaussée, pour lequel le greffier a noté des détails qui n’avaient pas leur place dans un registre de synthèse : « et à l’instant avons fait rentrer ledit Combe dit Mourgue accusé dans la chambre du conseil auquel nous aurions fait faire lecture de notre p[rése]nt jugement », etc.

Plus longuement même, en 1751 par exemple (f°141v.) le greffier a recopié la plainte déposée par Joseph Uteroz pour son fils agressé :

la plus part des garçons dud[it] lieu de Cugney17 ayant consçus une haine et inimitié contre son fils avoient délibéré de luy faire un mauvais party lorsqu’ils en trouveroient l’occa[si]on ; ce qu’ils auroient exécuté depuis quelque tems si sond[it] fils n’avoit été averti par quelques personne charitables qu’il étoit attendu sur le chemin tirant de Cugney aud[it] Velloreille, ce qui l’engagea en sortant de ce premier lieu où il avoit été obligé de se rendre pour affaire, de prendre un chemin détourné pour se rendre en sa résidence ; mais s’il seut de se soustraire pour cette fois à la fureur de ses ennemis, il n’en fut pas de même quelque tems après : ledi[t] Balt[azard] Uteroz croyant que les susnommez avoient quittés leur esprit d’aigreur à son égard, se transporta le 25 aoust 1737 aud[it] lieu de Cugney où des affaires l’appeloient et s’en retournant environ les 9 heures du soir par le chemin ordinaire, étant dans un endroit appellé vulgairement Boirbeau, il y fut atteint par plusieurs garçons dud[it] Cugney qui étoient munis de pierre et de bâtons qui le saisirent par les cheveux, le terrassèrent et le maltraitèrent si cruellement à coup de pierre et de bâton qu’il en fut meurtri et contri18 sur différentes parties de son corps…

En plus, apparaissent tôt (f°2v.) et surtout se multiplient des jugements provisoires qui ne font qu’ordonner la poursuite de la procédure. La plupart sont situés exactement au bon moment pour ordonner cette poursuite. En effet les jugements « de récolement », qui ordonnent de procéder à la confirmation des témoignages et à la confrontation des témoins au prévenu, sont tout à fait conformes à l’Ordonnance car, avant cette étape, un procès criminel peut encore être réorienté, ce qui induit la mutation de l’information en une « enquête » civile. Or ce sont précisément les étapes de l’information et du récolement qui selon Roussaud de La Combe « forment » ou définissent « le procès extraordinaire et la procédure extraordinaire » par rapport à un procès civil19.

Une justice déterminée qui se hâte lentement

Avec le détail des procédures, c’est tout le formalisme judiciaire du xviiie siècle qui s’épanouit dans les dernières années de ce registre exemplaire. De plus, si la justice réagit toujours très vite après un tort pour accorder « par provision » des dommages et de quoi « médicamenter » une victime20, elle met ensuite longtemps pour parvenir à un jugement définitif, ce qui allonge encore les actes de procédure et l’énumération des actes et pièces. On est souvent étonné par le temps mis pour prononcer un jugement définitif mais on peut rappeler que monseigneur le Chancelier s’en inquiétait aussi au xviiie siècle21.

L’étendue des procès dans le temps correspond cependant à l’exercice d’une justice « bonne et égale »22. N’est-il pas remarquable qu’au bout de huit mois d’une procédure qui par nature est faite pour dominer un accusé et le condamner, les officiers de Gray parviennent à innocenter Claude de l’Orme, accusé du meurtre de Jean le Petit23 ? À une autre époque et dans le contexte lorrain sur lesquels nous travaillons davantage avec notre équipe d’étudiants en master et de l’équipe ARCHE, le prévenu aurait été poursuivi sans pitié, torturé, poussé à faire n’importe quels aveux, de toute manière rejeté du corps social pour avoir été mis en accusation, et il aurait à coup sûr fini pendu ou au mieux banni. Cette justice des xvie et premier xviie siècles procédait rapidement et systématiquement à des évictions24. Celle du xviiie siècle à Gray est toujours dure, mais elle paraît davantage soucieuse de trouver les bons coupables. On verra aussi dans la section suivante que, dans l’intérêt même des parties, les magistrats écartent des affaires qui n’en valent pas la peine.

Après avoir prononcé des peines par contumace, les magistrats n’oublient pas une affaire. La maréchaussée peut finir par attraper le criminel. La juridiction peut aussi finir par recevoir des nouvelles d’un condamné qui négocie son retour, se rend, est emprisonné et jugé définitivement25.

Parmi les affaires les plus longues, on peut citer l’incendie volontaire dans la nuit du 10 au 11 novembre 1738 (f°15v.) pour lequel plusieurs membres des familles Alteriet et Laveau sont condamnés, dont certains par contumace, et notamment punis par un bannissement perpétuel hors du royaume (f°17r.). Or cette affaire se termine pour Pierre Laveau par un retour volontaire avec certaines garanties, une reprise de son procès (f°140r.) et, finalement, une décharge de l’accusation portée contre lui, prononcée le 29 avril… 1751 ! On peut même imaginer que des gens en fuite, condamnés pendant les années du registre B 1318, pendus en effigie par exemple, ont effectivement fini au bout d’une corde, à Gray ou ailleurs, bien au-delà de 1751. Des suites peuvent échapper à un registre qui donne une certaine vision de l’activité judiciaire durant une certaine période. Même une liasse de procès terminée par une exécution capitale ne garantit pas que l’affaire n’a pas rebondi plus tard, par exemple en faisant connaître d’autres complices.

Des procès sortis du registre

Les jugements dits « de civilisation » arrêtent une procédure commencée « au criminel » pour la renvoyer vers la procédure civile, plus équilibrée entre les parties et davantage ouverte vers les « transactions » où les parties terminent leur affaire en consentant des concessions réciproques26. La civilisation permet aux parties de prendre connaissance des actes de procédure, alors que dans un procès criminel les pièces sont « secrètes », ce qui rend plus difficile pour l’accusé de se défendre. Dans ce cas « l’information » est transformée en « enquête » et la « plainte et accusation » devient une simple « action ». Par exemple, dans l’affaire contre Charles Franchet accusé par un autre de l’avoir attaqué et battu (f°97r.), le jugement du 26 octobre 1749 dit exactement « nous avons reçeu et recevons les parties en procès ordinaire et ce faisant converti les inf[orm]a[ti]ons en enq[uê]te et permis aud[it] Charle Franchet d’en faire de sa part », ce qui rétablit un équilibre entre les parties. Le passage à une autre procédure, une autre manière de rendre la justice, n’empêche que le lieutenant criminel reste toujours le juge de l’affaire civilisée.

Rousseaud de La Combe reconnaît que c’est « en jugeant un procès » que les magistrats se rendent compte de la nécessité de changer de voie, si par exemple ils s’aperçoivent que l’affaire « passe les bornes d’une affaire purement civile et qu’il y a du crime » ou s’ils considèrent en avançant « qu’il n’y avoit pas lieu de faire une procédure extraordinaire ». Ainsi, rien de grave n’a été commis dans la querelle jugée le 17 décembre 1749 (f°97r.), laquelle est partie d’une corbeille de déchets jetée dans une ruelle par François Chaumaraude, fils d’un boucher de la ville, et d’une mauvaise attitude du garçon, « de telle façon que [le plaignant] fut obligé de luy reprocher que ce n’étoit pas ainsi qu’il en devoit user avec un homme de son âge, à quoy le d[e]m[an]d[eu]r luy répondit : Retire toy vieux b[ougre] ! ». Ce qui amena le plaignant « à sortir de sa boutique et à menacer le [jeune] de luy donner un soufflet qu’il ne luy donna pas ». Ensuite il l’a suivi jusque dans une écurie, d’où l’autre l’a chassé en menaçant de lui lancer une pierre, mais sans non plus le faire.

Il arrive aussi que les juges n’imposent pas la transformation mais mettent les parties « hors de cour, sauf à elles à se pourvoir à fins civiles », donc ils les mettent dehors par la porte et ils les laissent décider s’ils veulent revenir par la fenêtre… La justice évalue donc une situation mais elle n’impose pas sa décision. Dans notre registre, les magistrats de Gray ne se trompent pas en ordonnant par jugement « le récolement et la confrontation des témoins » lorsqu’il s’agit de « crimes et cas graves et principalement ceux qui méritent punition afflictive », et ils ont raison aussi, quand il s’agit de « choses légères », de prononcer plusieurs fois des jugements de « civilisation » pour des querelles qui ont tourné en bagarre générale mais sans que personne n’ait été relevé avec une blessure particulière. Nous n’avons pas trouvé de cas où la civilisation aurait été refusée par une partie.

Un jugement de civilisation est par exemple rendu le 12 juillet 1749 au f°87r. entre le sieur Poirlot, fermier de la terre et seigneurie de Montaut, plaignant, et François La Ruette d’Achey, cavalier au régiment de Marsieux27, suite à un incident du 9 février dernier. Le militaire ne semble pas être le plus coupable, et le jugement dégonfle la querelle et ordonne sa libération et la poursuite de l’affaire au civil. Le jugement rapporte une scène confuse à la fin du souper chez Poirlot (aussi hôte et aubergiste ?) où « ce fut celuy qui en fut l’agresseur par le moyen de ce qu’il chanta une chanson offensante pour le corps de la cavalerie françoise, ce qui ayant donné lieu au déffendeur de luy dire que ces sortes de chansons ne convenoient pas et qu’il sembloit qu’il affectoit de les chanter en sa présence pour luy faire une insulte personnelle » ; à quoi Poirlot « répliqua que s’il […] en voulut tirer raison il étoit prêt à la luy faire et courut au même instant à une chaize de laquelle il donna un coup au déffend[eu]r que celuy ci détourna de la main puis ils se saisirent l’un et l’autre au corps et furent séparés au même instant » ; après quoi le cavalier « se retira en la maison du nommé Champion d’où il ne sortit qu’une heure après pour aller comme il le fit rechercher son aiguillette et sa brosse à cheveux ; il rentra sans aucune violence en la résidence du dem[an]d[eu]r dont la porte luy fut ouverte par sa servante » mais lorsqu’il sortit « led[it] dem[an]d[eu]r et plusieurs personnes de sa famille se jettèrent sur luy, fermèrent leur porte pour l’empêcher de sortir et crièrent : Au secours, au voleur ! » alors que le cavalier dépose qu’il n’avait aucune intention « de les attaquer ni leurs faire aucun tort, qu’il ne tira pas même son sabre du foureau quoique led[it] dem[an]d[eu]r et les gens de sa famille luy eussent donné plusieurs coups de chaise dans les jambes desquels il fut blessé », puis Poirlot « le fit emprisonner dans une prison privée » et déposa plainte. Les magistrats de Gray « converti[ssent] les parties en procès ordinaire » et « l’informa[ti]on en enquête », ordonnent l’élargissement du cavalier de la prison, lui permettent d’établir un procureur, d’apporter ses moyens de défense, et établissent un commissaire pour entendre les parties28.

Le registre comporte un acte et intitulé discutable : « Sentence diffinitive rendue au ba[illia]ge c[rimi]nel le 5 juillet 1751 » (f°146v.) et une incohérence puisque le procès a été civilisé et même si le lieutenant général criminel Fariney est demeuré en charge de la procédure, celle-ci ne devrait pas se trouver dans le registre dédié aux procédures criminelles. Précisément le jugement de civilisation avait sa place dans le registre, mais le jugement au civil aurait dû être reporté dans un autre registre. Ici, Catherine Gouvier, autorisée par son père, a porté plainte contre Jean Francois Mathey pour lui « avoir le 21 [décem]bre 1750 en la rue de la Vanoise de cette ville donné un soufflet sous le faux prétexte d’une correction prétendue à luy permise par le père de lad[it]e pl[ai]nt[issan]te ». La civilisation est confirmée par les actes mêmes : information (27 et 29 décembre), interrogatoire (14 janvier 1751), « c(on)clusions dud[it] pro[cureu]r du Roy du 7 mars consentant à ce que le p[ré]sent procès fut civilisé » et sentence « par laquelle les parties ont été receues en procès ordinaire », conversion des informations en enquêtes et emploi de procureurs par chacun des parties – un accusé au criminel devant se défendre seul sans avocat – et multiplication des actes sous forme d’enquêtes, mémoires et échanges de pièces écrites, mais sans les moments spécifiquement criminels qui sont le récolement et la confrontation29.

Une clé pour exploiter le fonds d’archives de Gray

Il s’avère donc qu’avec du travail il est possible de remettre de la cohérence dans tout ce fatras judiciaire composé de 2 404 cotes. Le registre B 1318, avec les autres signalés, permet de connaître l’activité criminelle principale, sans connaître le pénal mineur que l’on trouvera peut-être dans les registres-journaux d’audience. Ainsi, un cas d’injures verbales entre des personnes du commun ne figurera pas dans les registres de jugements, mais un cas d’injures impliquant une personne de qualité pourra s’y trouver, avec aussi tous les crimes qui ont mérité les pires peines : le fouet, la corde, les galères et la roue.

Caractères de notre édition de source

La présente édition de source porte seulement sur les homicides et conséquemment sur le plus grand nombre des peines de mort. La catégorie « homicide » correspond en effet aux violences parmi les plus grandes, tout en sachant bien qu’elle n’est pas homogène et d’ailleurs les cas édités le confirment30. Réduire à une catégorie limite la longueur du présent article, car bien que le travail mené avec les étudiants vise à éditer l’ensemble du document, l’édition papier serait trop importante. Éditer les Cinquante nuances plus sombres est suffisant pour notre revue Source(s). Bien évidemment, cela signifie des pertes.

Ce que nous perdons… provisoirement

Focalisé sur les jugements terminaux ou « définitifs », nous perdons le fil du temps et nous avons l’impression que le bailliage n’est actif que de loin en loin. Or les informations, les interrogatoires, prennent du temps et il peut arriver que cent témoins soient auditionnés, récolés, confrontés, et un prévenu interrogé plusieurs fois, avant que le procureur ne présente ses conclusions et demande que les juges rendent une décision.

Nous perdons la violence ordinaire et sa signification sociale, alors que le registre est plein d’injures verbales et de battures, comme lorsque Claudine Poirey est reconnue coupable :

d’avoir le 21 Janvier dernier sur la place publique de cette ville proféré plusieurs injures contre le dit Prudent Trujot et de l’avoir mesme maltraité en lui tirant les cheveux jusqu’à deux différentes fois et d’avoir attendu le dit Trujot sur un coin de rue d’où elle lui jetta plu[ieur]es poignées de boue ou fumier31.

Qu’y a-t-il derrière une telle hargne ? Pourquoi aussi, Jacques Alot, recteur d’école, a-t-il battu Finot, laboureur, roué de coups au sol jusqu’à lui casser une jambe (f°5v.) ? Pourquoi Jeanne Jacquiet, avec sa soeur, son frère, une autre femme et le fils de celle-ci, ont-ils battu François Lambert dans un champ, à coup de poing et de pierres (f°6r.) ? La forme réduite des jugements nous fait méconnaître les raisons des actes, qui doivent être exposées dans l’information.

Nous perdons des cas pourtant intéressants et nous voulons en développer un, pour la leçon qu’il donne aux historiens : celui du curé Lasnier32. En effet il apparaît d’abord comme plaignant contre des paroissiens qui l’ont brutalisé, injurié et dénoncé comme « prêtre indigne » et la justice le soutient avec un jugement rendu le 10 juillet 1739 qui est clairement en sa faveur :

Jean et Nicolas Moussu, le premier laboureur et le dernier lieutenant réformé à la suite du régiment de Brissac [sont] deument atteints et convaincus d’avoir environ les deux heures aprèz midy du 6 aoust 1738 chassé par violence de voix et de fait le s[ieu]r Guillaume Lasnier plaintissant de la résidence de Jacques Grisot à Brussey et de l’avoir en cette circonstance traité d’indigne prêtre et de coquin et de luy avoir dit qu’il avoit été chassé de la paroisse de Rioz33 et ledit Nicolas deument atteint et convaincu d’avoir en différents temps, lieux et circonstances débité et proféré les mesmes injures et en présence de plus[ieu]rs et différentes personnes auxquels il auroit encor ajouté que led[it] plaintissant révéloit la confession de ses pénitents. Pour réparation de tout quoy nous avons condamné et condamnons lesd[its] Nicolas et Jean moussu de se représenter à telle audiance qui leur sera désignée par le plaintissant pour là étant, teste nue, déclarer hautement et intelligiblement que malicieusement et contre la vérité ils ont proféré contre led[it] s[ieu]r Lasnier les injures cy dessus et qu’ils s’en repentent et luy en demandent pardon et chacun en ce qui le regarde et qu’ils le tiennent pour homme d’honneur exempt et non entaché des injures, leurs faisant déffenses d’y récidiver et user de pareilles voix. Et les avons condamnés et condamnons solidairement à aumôner la fabrique de Brussey jusqu’à la somme de vingt livres et aux dépens du procèz34[…]

Nous aurions pu y croire. Mais quelle erreur ! Un jugement rendu le 14 avril 1747 (f°45r.-f°45v.) renverse complètement la situation et reconnaît le curé rien moins que « deument atteint et convaincu d’avoir par ses attouchements et attitudes déshonnestes donné lieu à quatre différents particuliers et à quatre différentes fois de penser qu’il avoit dessein de tomber avec eux dans le crime de sodomie » ! Il est reconnu aussi coupable d’autres crimes, tant relatifs à son état de prêtre qu’à sa personne, à tel point que le bailliage le condamne à un bannissement perpétuel hors du royaume ! Ainsi les punis de 1739 avaient-ils raison de le dire « indigne prêtre ». Son cas est d’ailleurs confirmé dans les archives de l’officialité de Besançon où, parmi les procédures intentées par le promoteur, on retrouve Lasnier pour « irrégularités, immoralité, etc. » parmi les cas traités dans trois cotes successives, et il y a même une quatrième cote qui lui est entièrement consacrée avec une liasse de 80 pièces35 ! Le tout premier jugement donnait donc du curé Lasnier une image totalement fausse. Cet exemple doit nous rappeler que les archives judiciaires permettent d’étudier l’exercice de la justice, ce qu’elle reçoit, comment elle le traite, ce qu’elle comprend, à quoi elle aboutit, mais pas une réalité à jamais inaccessible.

Aperçu statistique

Le registre comprend apparemment 183 jugements mais il faut retirer deux doublons : l’un sans avertissement concernant le curé Lasnier et l’autre où, dans la marge, figure un renvoi et correctif « Mis double par erreur étant au feuillet 140 fronte » (f°149v.). Il s’agit de la levée d’un cadavre trouvé chez Pierre de Prêle à Gray le 29 avril 1751 et déjà copiée au f°140v. Il y a aussi au f°62v. un acte assez obscur qui se comprend quand on trouve au f°64r. le début du jugement contre Henry Paul, dont la seconde moitié avait été copiée par erreur avant le début. Reste 180, sur lesquels il y a 45 jugements provisoires prononcés dans le cours d’une procédure. Reste donc 135, sur lesquels huit jugements criminels définitifs sont des actes de civilisation. Reste donc 127 jugements criminels définitifs rendus entre janvier 1738 et décembre 1751, soit 14 années complètes et en moyenne neuf jugements criminels et terminaux par an. Compte tenu des vacances judiciaires on pourrait évaluer le rythme à un jugement environ par mois d’activité.

Dans certains cas on ne comprend pas de quel crime il s’agit. En effet, lorsqu’un jugement met hors de cause l’accusé, les crimes ne sont pas écrits dans la source. Ils sont forcément décrits et commentés dans les actes au début de la procédure, mais le registre fait exprès à la fin de ne pas associer le nom de celui qui est absout à la mention d’un certain crime. Par exemple Catherine Solin, servante, a été accusée par Claude Lamarche, aubergiste, mais elle a été absoute en mars 1745 et son accusateur condamné à 300 livres de dommages et à faire afficher la sentence (f°36r.). Bonne affaire pour une employée. La grande majorité des crimes est connue mais nous ne les évoquerons pas tous ici. Classer est toujours difficile. Il y a souvent des combinaisons. Par exemple Claude Petit s’est rendu coupable de vol, et de batture, et d’homicide contre Jean Monin le 13 mars 1746, soit trois chefs d’accusation. Il est condamné à la pendaison en septembre suivant (f°44r.).

Parmi les violences, notre décompte des battures est distinct de celui des homicides. Parfois une victime est rouée de coups et meurt, parfois le passage à tabac n’a pas eu de suites fatales, parfois la mort est directe sans avoir été battu avant, parfois la situation n’est pas claire dans les actes de notre registre.

Mesure de la violence

Sur 14 années et contrairement à la fameuse sentence de Pierre Chaunu sur l’évolution du crime au xviiie siècle, qui voyait la violence en recul et le vol de plus en plus fréquent36, il y a seulement 16 jugements pour vol37 contre 45 jugements pour actes de violence, battures, parfois avec effusion de sang et plusieurs fois jusqu’à la mort. Mais parfois aussi l’agresseur a fait preuve de retenue et il a injurié, menacé, voire couché en joue son adversaire avec un fusil mais sans tirer ni frapper, ce qui n’est donc pas compté parmi les battures.

Les actes de violence sont en fait très divers. En 1738 par exemple, Charles Pasquier rencontre trois jeunes Savoyards dans une forêt, les attaque, en bat un surtout et lui vole ses effets (f°3r.). Une agression volontaire qui ne doit pas être sa seule mauvaise action. En 1739, le fil de Gabriel Auchard attaque le seigneur de son père et le blesse avec un sabre (f°8r.). Une situation qui fait imaginer des enjeux tout différents du cas précédent. En 1740 c’est une femme, Anne Mérand, qui est condamnée pour avoir agressé plusieurs fois la femme Talonnier (f°16r.)38. En 1747, sept hommes sont condamnés pour avoir en 1744 injurié, menacé puis battu deux hommes jusqu’au sang, y compris une mutilation (f°42r.), et deux des accusés sont bannis du royaume à perpétuité, un banni trois ans du bailliage et tous ensemble condamnés à 500 livres de dommages (f°42v.). Un phénomène de bande que la justice résout en la dispersant. En 1750, les voies de fait ne sont qu’une partie des actes de Gaspard et Jean Guyot (f°100r.) qui sont bannis de la seigneurie pendant cinq années, ce qui écarte et neutralise les deux fauteurs de troubles39.

Une certaine violence apparaît trop peu, mais l’on sait bien que le viol est par nature un crime caché par les victimes. C’est pourquoi notre statistique des violences sexuelles ne vaut rien40.

Il y a aussi entre 15 et 17 homicides avec jugements définitifs – plutôt 15 donc un par an en moyenne. On peut en effet compter ou non un infanticide, ce qui fait 16, et une levée de cadavre, donc 17, dont on ne sait pas en 1751 à quoi elle va aboutir41. Rappelons qu’un autre homicide est signalé lorsqu’en 1738 des reproches sont faits au procureur d’une haute justice qui n’a pas instruit la mort violente d’un certain Nicolat Ponsot (f°4v.).

Une répression qui finit souvent en peinture

Parfois la justice est allée lentement (en 1738 pour des homicides commis en 1735 et 1736, en 1749 pour 1745) et parfois rapidement (en 1746, 1749 et 1751 pour des homicides commis la même année) et parfois la justice a procédé en deux temps, pour un homicide ou pour un autre crime, condamnant le principal accusé à la question avant son exécution et remettant à plus tard le jugement des complices, selon ce qui aura été avoué sous la torture. Quant à l’homicide de François Bernard en 1735, il est puni en deux temps : François Millot est condamné à la roue en 1738 et Jean Cossé est capturé plus tard et condamné pour le même homicide en 1742.

Le tableau 1 [Tab. 1] récapitule les homicides et les jugements. Il n’y a pas d’autre peine que la mort pour ceux qui ont tué, mais une peine des galères perpétuelles est prononcée contre Lacoquelle, un complice, ce qui est aussi une peine capitale. En tout, 17 prévenus dont quatre femmes sont condamnés à mort, sans compter la mort sociale de Lacoquelle, sans compter Poncelin qui a été pardonné par des lettres royales en 1746 avant qu’un jugement ne soit prononcé contre lui, alors que d’Orival a été condamné à la pendaison et c’est après qu’il est venu se constituer prisonnier pour faire entériner ses lettres royales en 1749. Virtuellement, d’Orival a donc été pendu en 1746 et est compté parmi les 17.

Il y a peu de femmes, mais les trois de 1747 ont fait pire que tous les autres en empoisonnant la soupe de toute une maisonnée, ce qui a failli tuer au moins cinq personnes ! Le poison a été introduit dans la soupe par Anne Navetier, probablement parente de Jacques Navetier, l’un des convives – lien de parenté aggravant – et les deux autres femmes avaient promis seulement deux heures avant qu’elles allaient faire mourir la maîtresse de maison, ce qui fait penser qu’elles avaient du poison sur elles ou qu’elles savaient exactement comment s’en procurer très vite avec quelque méchante recette. N’est-ce pas plus inquiétant que tous ces hommes énervés qui ont tué sur un coup de sang dans une bagarre ? Les trois sont donc rapidement promises à la corde.

L’activité du bourreau de Gray aurait dû comporter dix pendaisons et sept roues (huit en comptant les deux de Jonffroy) plus le galérien. Mais sur 17 (ou 18) exécutions possibles, l’exécuteur n’a pu rouer sur le moment que deux condamnés et en pendre trois, le plus désolant pour l’exercice de son Art étant ce Jonffroy, condamné à la roue par contumace le 16 juin 1747, capturé le 29 juin à Dole, ramené à Gray, évadé et de nouveau condamné par contumace, donc raté deux fois. En effet le plus grand nombre des meurtriers a pris la fuite aussitôt le crime commis et l’exécuteur n’a plus eu que des « tableaux » à suspendre – y compris pour Lacoquelle condamné aux galères à vie. Ces « exécutions figuratives » ou « en effigie » interposée sont une ancienne pratique confirmée par l’Ordonnance criminelle de 1670. En théorie, c’est davantage qu’une mise en image puisque cela consiste à exécuter « réellement » la sentence au moyen d’un tableau ou d’un mannequin représentant l’accusé, en attendant que celui-ci soit capturé. En pratique, on devrait exécuter immédiatement celui qui a déjà été tué en portrait, mais l’exemple de Jonffroy montre que la justice a repris et refait tout son procès et prononcé une nouvelle condamnation42. Il reste ici et là dans les archives françaises des articles de comptes (paiement du tableau) avec des détails sur les dimensions, la nature (image ou écriteau ?) mais hélas, nulle part n’a été retrouvée une effigie de condamné. Les musées de peinture n’y ont sans doute pas perdu grand-chose, mais les historiens et les archivistes, oui.

En plus des fuites, deux des accusés ont échappé à la justice par un moyen qui n’est pas sans rapport avec leur état social supérieur : Poncelin, noble et fils d’un magistrat du bailliage, a très vite obtenu des lettres de rémission, et d’Orival, noble et militaire, a été condamné mais est revenu se constituer prisonnier pour faire enregistrer ses lettres de pardon.

D’autres crimes rassemblés dans le tableau 2 [Tab. 2] ont fait prononcer des peines capitales : dix pendaisons ou étranglements dont seulement cinq en effigie et deux galères perpétuelles, qui sont effectives pour les deux. Il s’agit de crimes régaliens (fausse monnaie) et surtout de vols aggravés par des violences, par la rupture des liens sociaux – le vol domestique a toujours été insupportable – et même par des incendies volontaires qui sont un crime des plus graves. Le pire consiste en vols sacrilèges dans des églises la nuit avec effraction, ce qui représente cinq pendus sur sept, dont trois réellement. Dans ce cas le supplicié est soit pendu soit étranglé au poteau d’un bûcher car son corps sacrilège doit ensuite être détruit par le feu.

On parvient donc à un total de 27 exécutions capitales à réaliser – 28 avec Jonffroy qui aurait pu être exécuté en effigie la première fois et réellement la seconde – dont onze ont pu être effectuées réellement, ce qui avec des fustigations et marquages au fer et des accrochages d’effigies a pu occuper l’exécuteur de haute justice de Gray et animer la place publique entre 1738 et 1751. De plus, comme le Parlement a pu convertir certaines des peines capitales en peines moindres, le nombre des exécutions réelles a été encore plus faible.

Conclusion

La série B des Archives départementales de la Haute Saône est difficile à exploiter à cause du reclassement effectué sous l’autorité du premier archiviste départemental et à cause de la conception même de l’instrument de recherche rédigé à la fin du xixe siècle. Mais certains registres des années 1700 permettent aux historiens de travailler. Le bailliage de Gray, par exemple, a laissé plusieurs « registres des sentences » qui résument les affaires dans l’ordre chronologique et avec suffisamment de détails pour évaluer quelles procédures sont intéressantes à exploiter et quels dossiers thématiques on peut constituer : vols et voleurs ? Homicides ? Comportements sociaux extrêmes et « battures » ? Affaires de mœurs ? Étude genrée de la criminalité ? La criminalité apparaît avec suffisamment de détails, dans toute son étendue et toutes ses nuances, jusqu’aux plus sombres. Certains caractères de la pratique judiciaire et de la criminalité apparaissent rien qu’avec ces registres. On retrouve par exemple le problème des militaires déjà soulevé dans Brutes ou braves gens ? à l’occasion d’une source toute différente : la Pratique criminelle de Josse de Damhoudère43. Ne sont-ils pas surreprésentés ? On peut d’ailleurs comparer les apports du registre de Gray à ceux des « états des crimes dignes de mort ou de peines afflictives » étudiés par Émilie Leromain44, parmi lesquels figurent des états franc-comtois des années 1770 et 1780 et un du bailliage de Vesoul pour les six premiers mois de 1734. Or sur trois affaires en cours dans un seul semestre, deux impliquent des militaires45. On retrouve aussi le formalisme extrême et la lenteur de la justice du xviiie siècle, mais comme on l’a dit pour Claude de l’Orme, la précipitation l’aurait condamné, alors qu’en se hâtant lentement, les magistrats de Gray l’ont sauvé. On trouve particulièrement posé le problème de l’application des sentences, et plus généralement celui de la police – au sens contemporain – puisque la justice en est réduite à faire exécuter les peines « en effigie ». Les peines de bannissement, encore très fréquentes à cette époque, plus les bannissements de fait lorsque les coupables ont été obligés de fuir sous la menace de l’application d’une sentence capitale, constituent la peine la plus courante46. Punir absolument, sera l’obsession de la justice au xixe siècle. Éloigner le criminel du bailliage ou de tout le royaume, paraît encore suffisant au xviiie siècle.

La seconde publication « Les jugements définitifs pour homicide dans le “registre des sentences” du bailliage de Gray de 1738 à 1751 » est la première étape de l’édition numérique de tout le document.

Tab. 1. Les jugements pour homicide.

Date et folio Victime(s) Circonstances Coupable(s) Peine(s) Mode d’exécution
1738
2r.-2v.
François Bernard En 1735 François Millot Roué vif Réel
1742
33r.-33v.
Idem Idem Jean Cosset dit La Jeunesse et quatre autres Cosset roué vif, les autres absouts Réel
1738
3v.-4v.
François Auclerc En 1736 Jean Philippe évadé47 Pendu En effigie
1740
14r.-14v.
Jean Claude Trouche soldat En 1738 sur les grands chemins Pierre Prince soldat et Lacoquelle joueur de violon, les deux en fuite Prince roué vif et Lacoquelle galères perpétuelles En effigie pour les deux
1741
19v.-30r.48
Guillaume Massy garde seigneurial En 1740 Pierre Chevillet et Claude François Goyot, les deux en fuite Roués vifs En effigie pour les deux
1745
36v.-37r.
Paul Jeanclerc En 1745 François Chauret en fuite Pendu En effigie
1746
41v.
François Macheras Non daté mais forcément proche Claude François Poncelin Pardonné par des lettres royales  
1746
43r.-43v.
Bernard Bouxy Batture à coups de serpe et de pioche jusqu’à la mort en 1745 Jean Pierre Jonffroy en fuite Roué vif En effigie
1749
74r.-74v.49
78r.-80v.
Idem (dit Bouchey) Idem Puis arrêté puis évadé avec deux complices, les trois en fuite 1749 Roué vif
Les deux absouts du crime et condamnés à une amende
En effigie
1746
44r.
Jean Monnin Batture et meurtre le 13 mars 1746 Claude Petit soldat Pendu Réel
1747
45v.-46r.
Jeanne Chane et un autre de la maisonnée, décédés, les autres malades 1746 empoisonnement de la soupe familiale Anne Claude Ganguillot, Estiennette Beugnolet sa fille et Anne Navetier sa nièce, les trois en fuite Pendues En effigie pour les trois
1748
47v.-48r.
Pierre Antoine Plotey Batture et coups de buche en 1747 Joseph Sausse cavalier soldat Pendu Réel
1748
56v.-58v.
Françoise Clerget femme de l’accusé En 1746 Jean Mourrachet et ses parents Pendu
et les parents absouts
Réel
1748
58v.-60v.
Jean le Petit Détails non donnés puisque l’accusé n’était pas le bon Claude de l’Orme Absout  
1749
64r.-64v.
69v.-70r.
Un bébé Infanticide en 1749 Anne Grenu Pendue Réel
1749
74v.-75r.
87r.-87v.
92v.-94r.
Charles Gérard du Fresne En 1749 Nicolas d’Orival lieutenant de cavalerie en fuite puis s’est livré Pendu
puis pardon-né par des lettres royales
En effigie
et aux dépens50
1751
140v.-149v.
Non identifié Levée de cadavre Pierre de Prêle51 ?    
1751
148v.-149r.
Claude Chevillon frère de l’accusé Tué d’un coup de couteau dans le ventre en 1751 Nicolas Chevillon en fuite Roué vif En effigie

Tab. 2. Autres peines capitales

Date et
folio
Victime(s) Circonstances Coupable(s) Peine(s) Mode d’exécution
1739
8v.-9r.
Plusieurs Vols et violences et deux tentatives de viol en 1738 et 1739 François Vouchet Galères perpétuelles Réel
1739
13r.-13v.
  Vols et recel de vol Guillaume Vernillet et sa femme Galères perpétuelles pour l’homme Réel
1740
15v.-16r.
Plusieurs Vols domestiques chez plusieurs de 1736 à 1738 et incendie volontaire de plusieurs maisons Nicolas Atteriet et Jean atteriet et Jeanne Laveau et Pierre Laveau Nicolas Atteriet Pendu Réel
1748
48r.
  Fausse monnaie en 1744 et 1745 et violences Estienne Estienne et Pierre Migneret dit Poitou et Cathelin Migneret en fuite Les trois pendus et Estienne avant à la question En effigie
1748
51v.
  Vol de nuit avec effraction dans un entrepôt de foire en 1748 Claude Thomas et Claude X et Maurice Y autres, les deux en fuite et Marguerite Perrot (ou Martel ?) Les hommes pendus

La femme absoute
Réel pour Thomas

En effigie pour Claude et pour Maurice
1750
110r.-112v.
  Vols sacrilèges la nuit avec effraction dans une église puis multiples vols et exactions sur plusieurs années Jean François Beuchey et sa femme et leur fils L’homme pendu et le corps brûlé

Autres peines pour la femme et le fils
Réel
1750
117r.-117v.
125v.
  Vols sacrilèges la nuit avec effraction dans une église Pierre Navetier en 1750 et Jacques Clerc en 1751 et quatre en fuite en 1750 Navetier et Clerc poing coupé puis étranglé et le corps brûlé Réel pour les deux
1751
134v.-135v.
  Idem   Les quatre absouts  

1 Le livre Recherches historiques sur la ville de Gray, au comté de Bourgogne par M. Crestin, procureur du Roi aux bailliage & siège présidial de lad

2 Il s’agit du parlement du comté de Bourgogne fixé à Dole en 1377. Après la seconde conquête française de la Franche-Comté en 1674, le parlement de

3 Aujourd’hui Frasne-le-Château : Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Scey-sur-Saône. L’affaire n’est pas datée et pourrait aussi bien remonter à un an qu’à

4 Ou « procureur fiscal » selon le titre porté dans les seigneuries. AD Haute-Saône, B 1318, f°4v.

5 Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790, rédigé par Victor Besson, archiviste-adjoint[…] Archives civiles, séries A et B

6 Par exemple : la cote B 1822 a des procès entre 1699 et 1780 mais le détail ne peut être connu qu’en ouvrant la liasse ; la cote B 1825 a des procès

7 Précisément B 1815 rassemble des déclarations de propriété, B 1816 des rapports d’experts, B 1817 des procès civils, B 1818 des testaments, et

8 Voir Antoine Follain, Le village sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2008, p. 29-66.

9 Voir par exemple Léopold Pannier, « État des inventaires-sommaires et des autres travaux relatifs aux diverses archives de la France, au 1er janvier

10 Le volume 2 publié dix ans plus tard, en 1874, et le volume 3 en 1884, ont des introductions plus sensibles aux « renseignements précieux dégagés

11 En plus des monographies sur des juridictions et des études thématiques qui comportent forcément une partie sur les sources, voir Olivier Poncet et

12 Notre étudiant Olivier Wolffer en a bénéficié en 2018-2019. La recherche qu’il a définie porte sur « Les délits à l’encontre de la religion et des

13 Le livre d’Erika Leonard James, Cinquante nuances de Grey, Paris, Jean-Claude Lattès, 2015 (édition originale Fifty Shades of Grey, New-York

14 Il y a en effet des crimes objectivement graves, comme les homicides, des peines lourdes, comme les galères, qui mettent d’accord historiens et

15 À venir sur <http://num.arche.unistra.fr>.

16 AD Haute-Saône, B 1318, f°84v.

17 Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay.

18 Le sens exact du verbe est « briser, écraser » mais justement, l’acte cite la plainte au lieu d’exposer un état objectif, après expertise médicale

19 Traité des matières criminelles suivant l’ordonnance du mois d’août 1670 par M. Guy Du Rousseaud de La Combe, 1 ère édition 1732, à Paris chez T.

20 En janvier 1749 par exemple, un jugement provisoire accorde « par forme de provision pour aliment, traitement et médicament, la somme de 200 livres

21 Que la justice intervienne contre tous les crimes connus et qu’elle juge dans un délai raisonnable étaient les grandes préoccupations de la

22 « Pure, bonne, esgale et briefve » : tel est le programme défini de longtemps par les rois de France pour la justice. Les attendus sont difficiles

23 Voir f°58v. à f°60v. Antoine Follain et alii, « Les jugements définitifs pour homicide… », op. cit., infra, § 33-34.

24 La formule « Il est normal que soit expulsé par souci d’intérêt général celui qui est la cause » du désordre dans la société, sous-tend la pensée

25 Procès contre Nicolas d’Orival : f°74v.-f°75r. et f°87r.-f°87v. ; pour la présentation de ses lettres : f°92v.-f°94r.

26 La question a été très étudiée par Hervé Piant dans sa thèse (2001) et dans le livre Une Justice ordinaire. Justice civile et criminelle dans la

27 Prestigieuse unité de cavalerie créée en 1652 et tout juste renommée régiment de Marcieu cavalerie le premier janvier 1748.

28 On aura encore noté à quel point le registre B 1318 synthétise utilement les procédures pour l’historien.

29 À la fin les deux parties sont déboutées mais Mathey est seul condamné aux dépens, ce qui est quand même une punition coûteuse.

30 Laurent Mucchielli et Philippe Robert (dir.), Crime et sécurité : l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2002. Pour Mucchielli « l’homicide n’

31 AD Haute-Saône, B 1318, f°2v.

32 Curé de Brussey : Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay.

33 Haute-Saône, ar. Vesoul, ch.-l. c. 

34 Le jugement rendu le 10 juillet 1739 figure f°10v.-f°11r. et aussi f°13v.-14r. C’est un doublon. Un jugement du 26 avril 1741 (f°30v-f°31r.)

35 Archives départementales du Doubs, G 807 (1729-1733) G 808 (1738-1750) G 809 (1724-1750) et finalement G 833 (1746-1748). Le registre de Gray

36 Pierre Chaunu, « De la violence au vol, en marche vers l’escroquerie », présentation de l’article de son étudiant B. Boutelet, « Étude par sondage

37 Nous n’avons pas compté avec les 16, ni un vol de papiers en rapport avec une procédure en cours (1745, f°40r.), ni un détournement par un huissier

38 En vérité la place des femmes est ici complexe. D’abord, la plainte est de Jean Baptiste Georgeon manouvrier à Bar les Permes (ar. Vesoul, c. 

39 Jean Guyot a été surpris dans une écurie volant trois volailles dont deux déjà tuées. Il s’agirait à proprement parler d’un voleur de poules de peu

40 Les deux violeurs du corpus ne sont connus que parce qu’ils ont poussé des agressions contre des femmes jusqu’à les trousser et forcer mais les

41 Nous avons évité un double compte en rapprochant les deux procédures pour l’homicide de Bernard B. en 1745, nommé Bouxy en 1746 et Bouchey en 1749.

42 Voir le dossier : G. de Lavedan, « L’exécution par effigie. Quand la sentence des capitouls ordonne l’exécution du condamné absent – à Toulouse aux

43 Voir Antoine Follain et Carole-Anne Papillard, « Figures du crime et de la violence au xvie siècle : les singulières gravures insérées dans la

44 Voir É. Leromain, Monarchie administrative et justice criminelle…, op. cit.

45 Pierre Moureau, détenu dans les prisons de Vesoul, a été condamné aux galères puis le bailliage a été informé d’une condamnation par contumace pour

46 Y compris un jugement (f°8v.) où le mot « bannissement » n’est pas écrit, contre le fils d’un laboureur qui, lors d’une visite de leur seigneur, a

47 Le jugement porte aussi sur des complices de son évasion et sur des personnels qui ont été négligents dans leur garde.

48 Il manque dix feuillets dans la pagination : le 30e suit le 19e au lieu d’être noté 20e.

49 Jugement provisoire pour le « bris de prison ».

50 Après avoir été jugé en son absence et condamné à la pendaison, il s’est livré à la justice avec ses lettres et lors de la procédure d’entérinement

51 L’habitant du lieu où le cadavre a été trouvé est inquiété mais s’il y a eu des suites à l’affaire, elles vont au-delà du registre.

Notes

1 Le livre Recherches historiques sur la ville de Gray, au comté de Bourgogne par M. Crestin, procureur du Roi aux bailliage & siège présidial de ladite ville, à Besançon chez J.-F. Couché, 1788, XXVI-160 p. est conservé aux Archives départementales de la Haute-Saône (désormais AD Haute-Saône), cote bibliothèque IN8°289 et aux Archives nationales, cote bibliothèque 8° H IX 839. Il ne présente guère d’intérêt pour la recherche historique actuelle. Gray est en Franche-Comté : Haute-Saône, ar. Vesoul, ch.-l. c. Si cette localité évoque encore quelque chose dans le domaine judiciaire, c’est à cause de l’affaire Alexia Daval commencée en 2017 et qui ne devrait pas être jugée avant la fin 2020. Voir le quotidien régional <https://www.estrepublicain.fr/edition-de-vesoul-haute-saone/alexia-daval>. Un drame conjugal d’une violence aussi grande a été jugé à Gray en 1748 : f°56v.-f°58v., voir Antoine Follain et alii, « Les jugements définitifs pour homicide dans le “registre des sentences” du bailliage de Gray de 1738 à 1751 »,infra, § 31-32.

2 Il s’agit du parlement du comté de Bourgogne fixé à Dole en 1377. Après la seconde conquête française de la Franche-Comté en 1674, le parlement de Dole est transféré à Besançon. La période Habsbourg, dite aussi espagnole, de 1477 ou 1482 à 1674, n’a pas vraiment d’importance judiciaire puisque, malgré la sortie du royaume de France, le droit et les institutions de la « Franche-Bourgogne » (expression employée par Loys Gollut dans ses Mémoires historiques en 1592) sont demeurés similaires à ceux du duché de Bourgogne français, sauf les présidiaux créés dans le royaume en 1552 (donc après la séparation) et en Comté en 1696 (après la réunion).

3 Aujourd’hui Frasne-le-Château : Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Scey-sur-Saône. L’affaire n’est pas datée et pourrait aussi bien remonter à un an qu’à dix. Ce meurtre n’a donc pas été compté parmi les cas retenus pour l’édition de source.

4 Ou « procureur fiscal » selon le titre porté dans les seigneuries. AD Haute-Saône, B 1318, f°4v.

5 Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790, rédigé par Victor Besson, archiviste-adjoint[…] Archives civiles, séries A et B, Paris, Imprimerie administrative, 3 vol., 1865 à 1884.

6 Par exemple : la cote B 1822 a des procès entre 1699 et 1780 mais le détail ne peut être connu qu’en ouvrant la liasse ; la cote B 1825 a des procès entre 1685 et 1785, dont la distribution recouvre celle de la cote précédente et celle des cotes suivantes.

7 Précisément B 1815 rassemble des déclarations de propriété, B 1816 des rapports d’experts, B 1817 des procès civils, B 1818 des testaments, et depuis B 1819 jusqu’à 1825 ce sont des procédures criminelles. Le tout concerne des habitants de Battrans. Il faut ensuite passer les cotes B 1827 à 1836 pour retrouver du criminel, de B 1837 à B 1840, et plus loin à la cote B 1845.

8 Voir Antoine Follain, Le village sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2008, p. 29-66.

9 Voir par exemple Léopold Pannier, « État des inventaires-sommaires et des autres travaux relatifs aux diverses archives de la France, au 1er janvier 1875 », Bibliothèque de l’École des chartes n° 36, 1875, p. 5-13 (présentation) et p. 14-80 (inventaire… des Inventaires publiés).

10 Le volume 2 publié dix ans plus tard, en 1874, et le volume 3 en 1884, ont des introductions plus sensibles aux « renseignements précieux dégagés des registres et des plumitifs par le travail d’inventaire », mais l’archiviste en chef, après s’être extasié sur ce qui rapproche la Comté de la grande histoire et des gens importants ou sur les détails pittoresques, répète encore que « Les autres papiers du bailliage de Vesoul sont exclusivement judiciaires et par conséquent moins intéressants » (vol. 2, p. 5). Il concède quand même que « les procès de nos ancêtres nous révèlent de curieux détails de mœurs [et] la condition des personnes et des biens » mais il s’est beaucoup plus intéressé à la sorcellerie qu’à la criminalité ordinaire.

11 En plus des monographies sur des juridictions et des études thématiques qui comportent forcément une partie sur les sources, voir Olivier Poncet et Isabelle Storez-Brancourt (dir.), Une histoire de la mémoire judiciaire de l’Antiquité à nos jours, Paris, École Nationales des Chartes, 2009, notamment l’introduction d’Isabelle Storez-Brancourt, et l’article de Fabrice Mauclair, « Greffes et greffiers des justices seigneuriales au xviiie siècle », p. 253-266. Un greffe classe forcément par types d’acte et/ou par section, session ou audience ou chambre de la juridiction. Si elle est assez considérable, elle peut avoir plusieurs greffes. Mais celui des greffiers qui a en charge tout le criminel ne mélange pas ses papiers avec ceux de ses collègues.

12 Notre étudiant Olivier Wolffer en a bénéficié en 2018-2019. La recherche qu’il a définie porte sur « Les délits à l’encontre de la religion et des religieux dans le bailliage de Lure au xviiie siècle ». Nous avons en effet l’impression qu’il y a un problème général auquel se rattacherait le cas étudié dans Élodie Lemaire, « Dans la tête du curé Bennenot. Le suicide du curé de Pompierre en Franche-Comté en 1689 », supra.

13 Le livre d’Erika Leonard James, Cinquante nuances de Grey, Paris, Jean-Claude Lattès, 2015 (édition originale Fifty Shades of Grey, New-York, Vintage Books, 2012) est un succès d’édition que nous ambitionnons d’égaler avec le présent article.

14 Il y a en effet des crimes objectivement graves, comme les homicides, des peines lourdes, comme les galères, qui mettent d’accord historiens et magistrats. Il y aussi certains actes qui peuvent nous paraître de moindre gravité mais que les magistrats punissaient très durement, comme les malversations des officiers publics. Il y a enfin des crimes qui n’en sont plus après par exemple 1789, comme la bestialité : Antoine Follain, « Un crime capital en voie de disparition. La bestialité et l’exemple du procès fait à Léonard Forrest en 1783 », Source(s), n° 11, 2017, p. 127-137.

15 À venir sur <http://num.arche.unistra.fr>.

16 AD Haute-Saône, B 1318, f°84v.

17 Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay.

18 Le sens exact du verbe est « briser, écraser » mais justement, l’acte cite la plainte au lieu d’exposer un état objectif, après expertise médicale, laquelle ne rapporte jamais des blessures aussi graves que le prétendent les victimes.

19 Traité des matières criminelles suivant l’ordonnance du mois d’août 1670 par M. Guy Du Rousseaud de La Combe, 1 ère édition 1732, à Paris chez T. Le Gras. Il y a de nombreux autres commentateurs, mais nous limiterons la bibliographie du présent article en citant celui-ci plusieurs fois, plutôt que Daniel Jousse, Muyart de Vouglans ou un autre.

20 En janvier 1749 par exemple, un jugement provisoire accorde « par forme de provision pour aliment, traitement et médicament, la somme de 200 livres » à une victime (f°120v.) alors que le jugement définitif est prononcé seulement en juin 1750.

21 Que la justice intervienne contre tous les crimes connus et qu’elle juge dans un délai raisonnable étaient les grandes préoccupations de la chancellerie qui, depuis 1733, exigeait des intendants des états semestriels des crimes graves, à partir des informations fournies par les procureurs du Roi et les procureurs fiscaux de toutes les juridictions de leur ressort, cf. Émilie Leromain, Monarchie administrative et justice criminelle en France au xviiie siècle : les « états des crimes dignes de mort ou de peines afflictives » (1733-1790), thèse sous la direction d’Antoine Follain, université de Strasbourg, 2017, équipe ARCHE EA 3400 et axe « Autorité. Contrainte. Liberté. ».

22 « Pure, bonne, esgale et briefve » : tel est le programme défini de longtemps par les rois de France pour la justice. Les attendus sont difficiles à équilibrer : « briefve » (rapide) et « bonne » vont mal ensemble. Antoine Follain, « Juste, égale et brève : le temps dans la pratique judiciaire à l’époque moderne », colloque interdisciplinaire de Strasbourg « Le temps », 2016, en ligne : <http://www.canalc2.tv/video/14041>.

23 Voir f°58v. à f°60v. Antoine Follain et alii, « Les jugements définitifs pour homicide… », op. cit., infra, § 33-34.

24 La formule « Il est normal que soit expulsé par souci d’intérêt général celui qui est la cause » du désordre dans la société, sous-tend la pensée du procureur général de Lorraine Nicolas Remy : Antoine Follain, Blaison Barisel : le pire officier du duc de Lorraine, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 17-23.

25 Procès contre Nicolas d’Orival : f°74v.-f°75r. et f°87r.-f°87v. ; pour la présentation de ses lettres : f°92v.-f°94r.

26 La question a été très étudiée par Hervé Piant dans sa thèse (2001) et dans le livre Une Justice ordinaire. Justice civile et criminelle dans la prévôté de Vaucouleurs sous l’Ancien Régime, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, et l’article « Vaut-il mieux s’arranger que plaider ? Un essai de sociologie judiciaire dans la France d’Ancien Régime », dans Antoine Follain (dir.), Les Justices locales dans les villes et villages du xve au xixe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 97-124. Voir dans le Traité des matières criminelles de Rousseaud de La Combe, op. cit., le chapitre XIX « De la conversion des procès civils en procès criminels et de la réception des procès extraordinaires en procès ordinaires » c’est-à-dire leur civilisation. Les « cessions de droit » préparent aussi un arrangement. Il s’agit pour la victime ou ses ayants droit de transférer leurs « droits à poursuivre » à un tiers qui leur paie aussitôt une contrepartie financière au préjudice qu’ils ont subi, tandis que le cessionnaire qui a davantage de moyens pour attendre un jugement, poursuit et termine l’affaire.

27 Prestigieuse unité de cavalerie créée en 1652 et tout juste renommée régiment de Marcieu cavalerie le premier janvier 1748.

28 On aura encore noté à quel point le registre B 1318 synthétise utilement les procédures pour l’historien.

29 À la fin les deux parties sont déboutées mais Mathey est seul condamné aux dépens, ce qui est quand même une punition coûteuse.

30 Laurent Mucchielli et Philippe Robert (dir.), Crime et sécurité : l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2002. Pour Mucchielli « l’homicide n’est pas une catégorie comportementale homogène : en réalité, il n’y a pas un mais des homicides, qui n’obéissent pas nécessairement aux mêmes logiques psychologiques et sociales », p. 148-157.

31 AD Haute-Saône, B 1318, f°2v.

32 Curé de Brussey : Haute-Saône, ar. Vesoul, c. Marnay.

33 Haute-Saône, ar. Vesoul, ch.-l. c. 

34 Le jugement rendu le 10 juillet 1739 figure f°10v.-f°11r. et aussi f°13v.-14r. C’est un doublon. Un jugement du 26 avril 1741 (f°30v-f°31r.) enregistre une confirmation du Parlement pour la réparation d’honneur à laquelle doivent se soumettre les Moussu.

35 Archives départementales du Doubs, G 807 (1729-1733) G 808 (1738-1750) G 809 (1724-1750) et finalement G 833 (1746-1748). Le registre de Gray traite encore du curé Lasnier le 12 janvier 1748 (f°48v.-f°49r.) et le 25 juin 1749 (f°85v.-f°86v.). La combinaison officialité et bailliage (et Parlement) se comprend car une officialité ne peut prononcer que des peines canoniques et seule une juridiction laïque pouvait prononcer ce bannissement hors du royaume. L’une de nos étudiantes a commencé l’étude de ce cas et plus généralement celui des prêtres ivrognes, débauchés et cupides – un sujet traité aussi dans le numéro 11 de Source(s) pour « Trop, c’est trop ! » avec les excellents articles de Myriam Deniel-Ternant et de Sarah Dumortier.

36 Pierre Chaunu, « De la violence au vol, en marche vers l’escroquerie », présentation de l’article de son étudiant B. Boutelet, « Étude par sondage de la criminalité dans le bailliage du Pont-de-l’Arche (xviie-xviiie siècles) », Annales de Normandie, n° 4, 1962, p. 235-262. Voir au contraire : Antoine Follain (dir.), Brutes ou braves gens ? La violence et sa mesure xvie xviiie siècle, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2015.

37 Nous n’avons pas compté avec les 16, ni un vol de papiers en rapport avec une procédure en cours (1745, f°40r.), ni un détournement par un huissier de biens qu’il avait saisis (1747, f°40r.), ni un vol de courrier pour connaître la proposition d’un autre marchand dans une situation de concurrence commerciale (1748, f°49v.). Ce sont plutôt des malversations et escroqueries. Sur les difficultés de la taxinomie des crimes voir É. Leromain, Monarchie administrative et justice criminelle…, op. cit.

38 En vérité la place des femmes est ici complexe. D’abord, la plainte est de Jean Baptiste Georgeon manouvrier à Bar les Permes (ar. Vesoul, c. Marnay) « et sa fe[mm]e » est-il rajouté dans la marge, contre Pierre Dupuis « et Anne Merand sa femme ». Or c’est Anne qui, « arrivant à la fontaine [a] jetté dans la boue les linges de lad[it]e Talonnier nouvellement lavés et tout à la suitte s’est emparée par force et violence de la pierre où cette dernière lavoit, la traitant de bougre de putain » puis elle a « saisi lad[it]e Talonnier par les cheveux et terrassée et vautrée dans la boue ». L’information établit en plus que le lendemain elle a encore « maltraité lad[it]e Talonnier sur le bord de lad[it]e fontaine à coups de baston et à tel point qu’elle seroit tombée toute ensanglantée » (f°16v.). La responsabilité est donc entièrement féminine mais les parties judiciaires sont masculines et c’est à l’homme qu’est infligé le paiement des dommages, au profit de l’autre homme… et de sa femme.

39 Jean Guyot a été surpris dans une écurie volant trois volailles dont deux déjà tuées. Il s’agirait à proprement parler d’un voleur de poules de peu de conséquence, mais la justice apprend ensuite qu’il a aussi volé nuitamment l’hiver précédent « 17 mesures de bled sur le grenier de la veuve Regnard ». Puis la révélation d’autres actes de violence fait des deux Guyot des gens dangereux, les deux ayant « pendant la nuit du 8 [décem]bre 1749 fait quarillon à la porte de la veuve Siquaire à coups de pierre et de pieux, provoqué ceux qui etoient dans lad[ite] maison d’en sortir en leur disant : Sortez b[ougres], sortez ! et avoir arraché des pieux d’une haye voisine de la residence de lad[it]e veuve Siquaire desquels armés ils auroient attendus à côté de la porte que quelqu’un sortit ; et en effet [ils ont] donné des coups desd[its] pieux sur la tête » de deux personnes qu’ils ont renversées par terre puis poursuivies jusque chez un voisin dont ils ont aussi essayé de forcer la porte.

40 Les deux violeurs du corpus ne sont connus que parce qu’ils ont poussé des agressions contre des femmes jusqu’à les trousser et forcer mais les viols ne semblent pas avoir abouti à une pénétration, ce qui importe au regard du droit. Précisément François Vouchet a commis plusieurs vols avec des actes de violence contre des personnes, dont deux sur des femmes ont été considérés comme des tentatives de viol en 1738 et 1739 (f°8v.) et Pierre François Viard en 1746 a battu une femme, l’a renversée puis agressée sexuellement (f°42r.). Le premier est condamné aux galères perpétuelles (f°9r.) et l’autre banni trois ans du bailliage. Il manque des viols intentionnels et complets qui auraient été commis dans le bailliage de Gray.

41 Nous avons évité un double compte en rapprochant les deux procédures pour l’homicide de Bernard B. en 1745, nommé Bouxy en 1746 et Bouchey en 1749. En vosgien (et ailleurs) le x se prononce ch ou ss et le y se prononce i ou ey. C’est donc exactement le même nom puisque ce qui est écrit Bouxy se prononce Bouchey.

42 Voir le dossier : G. de Lavedan, « L’exécution par effigie. Quand la sentence des capitouls ordonne l’exécution du condamné absent – à Toulouse aux xviie et xviiie siècles », Archives municipales de Toulouse, série « Dans les bas-fonds », n° 4, avril 2016, en ligne : <https://www.archives.toulouse.fr/archives-en-ligne/explorez-les-fonds-documentaires/dans-les-bas-fonds>. Le dossier comprend un dessin de 1774 (p. 15) avec une légende montrant « A potence », « B l’échelle » et « C Longairon » qui désigne un écriteau, qui à proprement parler est Lougayrou et un commentaire « il va être effigié en attandant qu’il soit attrapé ». Il s’agit d’affichettes placardées contre lui dans la ville, alors que son procès était en cours. Lougayrou lui-même en avait fait joindre à sa procédure pour s’en plaindre. Archives municipales de Toulouse FF 818.

43 Voir Antoine Follain et Carole-Anne Papillard, « Figures du crime et de la violence au xvie siècle : les singulières gravures insérées dans la Praxis rerum criminalium de Damhoudère », dans A. Follain, Brutes ou braves gens ?, op. cit, p. 227-275.

44 Voir É. Leromain, Monarchie administrative et justice criminelle…, op. cit.

45 Pierre Moureau, détenu dans les prisons de Vesoul, a été condamné aux galères puis le bailliage a été informé d’une condamnation par contumace pour désertion de son régiment, c’est donc un soldat. Jean Roy accusé d’homicide sur un cavalier du régiment de Condé, est aussi un militaire et son procès est suspendu sur ordre du Chancelier car une demande de grâce est en cours d’examen. La troisième affaire est un vol commis durant une foire, que le présidial de Vesoul renvoie du bailliage devant la haute justice des lieux, comme nous l’avons signalé en introduction à propos de Gray.

46 Y compris un jugement (f°8v.) où le mot « bannissement » n’est pas écrit, contre le fils d’un laboureur qui, lors d’une visite de leur seigneur, a surgi dans la cour armé d’un sabre avec lequel il a frappé « avec tant de violence le s[ieur]r Rochet son seigneur » qu’il lui a fait dans le dos une blessure à plaie ouverte. Il est précisément condamné « à s’absenter pendant cinq années de la seigneurie et déppendances dud[it] Frasne le Châtel » et le bailliage accorde en plus l’impression et l’affichage de la sentence. Condamner seulement à être « absent » a forcément une signification.

47 Le jugement porte aussi sur des complices de son évasion et sur des personnels qui ont été négligents dans leur garde.

48 Il manque dix feuillets dans la pagination : le 30e suit le 19e au lieu d’être noté 20e.

49 Jugement provisoire pour le « bris de prison ».

50 Après avoir été jugé en son absence et condamné à la pendaison, il s’est livré à la justice avec ses lettres et lors de la procédure d’entérinement il a été condamné à quelques frais, mais aucun pour le premier procès.

51 L’habitant du lieu où le cadavre a été trouvé est inquiété mais s’il y a eu des suites à l’affaire, elles vont au-delà du registre.

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Référence papier

Antoine Follain, « Cinquante nuances (criminelles) de Gray au xviiie siècle. Comprendre un fonds d’archives et trouver comment l’étudier », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 14-15 | 2019, 173-194.

Référence électronique

Antoine Follain, « Cinquante nuances (criminelles) de Gray au xviiie siècle. Comprendre un fonds d’archives et trouver comment l’étudier », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 14-15 | 2019, mis en ligne le 25 septembre 2023, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=171

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Antoine Follain

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