Le travail de traduction des textes médiolatins est à la fois une nécessité et une source d’enrichissement.
Une nécessité, parce que trop de lecteurs cultivés, trop d’historiens et même trop de médiévistes ont de nos jours des difficultés à accéder au texte latin des auteurs médiévaux. Et même s’il n’est scientifiquement pas possible de travailler sur un texte traduit, il serait trop simple et inutile de refuser purement et simplement aux non-latinistes tout accès aux textes médiolatins.
Une source d’enrichissement aussi, parce que traduire un texte, c’est le lire autrement, et bien mieux, qu’au cours d’une simple lecture. C’est en peser chaque mot, chaque lettre même ; c’est en analyser la structure, l’organisation ; c’est chercher à comprendre le choix des termes, la place des mots…
Et lorsque ce travail de traduction se fait en commun, non seulement le plaisir est multiplié par celui de travailler en compagnie, mais de surcroît la réflexion commune, les désaccords, l’argumentation nécessaire pour convaincre, l’ouverture indispensable pour se laisser convaincre, tout cela rend le travail plus riche, plus fructueux encore.
C’est en tout cas ce que pensent quelques passionnés qui, depuis quelques années (dans un groupe évidemment en évolution permanente), s’attache un après-midi tous les mois, environ, à traduire des textes médiolatins.
Le groupe est né, il y a quelques années, d’une sorte de défi, lancé lors de cours de latin avec des étudiants particulièrement doués : la traduction de textes relatifs à l’Allemagne ottonienne et salienne, thème d’une question de concours de l’enseignement secondaire au cours de laquelle le très petit nombre de textes traduits en français posait problème aux enseignants comme aux étudiants. En quelques mois, les volontaires ont été trouvés, le travail réparti, les textes traduits et corrigés, et un beau volume en est sorti1 !
Depuis lors, le petit groupe régulier, sous sa bannière « Tex Med » (pour « Textes Médiévaux »), a d’abord traduit le Bellum Waltherianum, un récit du conflit qui opposa l’évêque de Strasbourg à la ville et eut comme point d’orgue la victoire de cette dernière lors de la bataille d’Oberhausbergen en 1262. Cette traduction paraîtra dans les actes du colloque consacré, en 2012, au 750e anniversaire de cette bataille2.
Après cela, nous avons entrepris, et presque terminé, la traduction du Chronicon Ebersheimense, ou chronique de l’abbaye d’Ebersheim. Un texte parfois proche des chartes (généralement fausses) de l’abbaye, parfois très rocambolesque, dans lequel on rencontre Jules César, Sémiramis, saint Pierre et bien d’autres personnages.
L’objectif de notre groupe est de publier, à terme, un recueil de textes médiolatins d’Alsace. Y arriverons-nous ? La difficulté principale est de trouver des textes intéressants à traduire, tant l’Alsace médiévale a été chiche en textes latins véritablement intéressants, alors qu’en allemand au contraire les textes passionnants abondent ! Peut-être devrons-nous travailler aussi sur des textes souabes en général.
À titre plus personnel, je m’emploie depuis longtemps à traduire des textes médiolatins. Mon objectif, à un horizon qui ne cesse de reculer, est de publier un recueil de documents sur l’Église médiévale. Plusieurs d’entre eux concernent des voyages, ce qui nous ramène au thème de ce numéro de Source(s).
Le premier est le récit du voyage à Rome d’Hariulphe, abbé d’Oudenburg, en Flandre, vers 1140. Le pape Innocent II avait publié une bulle réduisant Oudenburg au statut de prieuré de l’abbaye Saint-Médard de Soissons. Hariulphe, bien qu’octogénaire, prit la route de Rome pour plaider la cause de son monastère et obtenir du pape l’annulation de la bulle en question. Il nous a laissé un récit, non du voyage proprement dit, mais du séjour qu’il fait à la curie romaine3.
Le deuxième est la Translatio sanctae Monicae : comment un chanoine artésien, en 1161-1162, profite d’un séjour à Ostie pour déterrer les ossements de Monique, mère de saint Augustin et les apporter chez lui, inventant du même coup la sainteté de Monique. Un texte lui aussi rocambolesque par certains côtés, ou picaresque.
Le troisième, enfin, est le De mirabilibus urbis Romae, écrit, au xiiie siècle, par un certain maître Grégoire, un ecclésiastique anglais. C’est une sorte de guide touristique des merveilles de Rome, décrivant les monuments et les bâtiments de la Rome antique, montrant d’ailleurs au passage qu’on n’a pas attendu la Renaissance pour admirer l’Antiquité.
D’autres textes sont prévus, comme la Vita de l’évêque de Thérouanne Jean de Warneton ou l’histoire de l’assassinat du comte de Flandre Charles le Bon, tous deux écrits vers 1130 par Gautier de Thérouanne ; la chronique de l’abbaye de Vicoigne ; peut-être les Gesta des abbés de Saint-Bertin (la deuxième partie, celle qui fut écrite au xiie siècle par Simon et ses continuateurs). Mais il reste encore bien du travail avant de transformer ces projets en réalisation !