André Chastel précisait que le champ d’intervention de l’inventaire des richesses artistiques de la France s’étendait de « la cathédrale à la petite cuillère ». Aujourd’hui, le champ d’étude des services de l’inventaire du patrimoine des régions françaises élargit la compréhension de l’immeuble son contexte, qu’il soit paysager ou urbain. La villa, quant à elle, est associée à son parc. Son analyse, bien que souvent réduite à son tracé et à l’inventaire des fabriques, inclut progressivement le relevé des essences végétales. Fruit de l’activité humaine, à l’instar du décor intérieur, l’aménagement extérieur ne peut être analysé sans lien avec l’édifice. En s’appuyant sur des exemples essentiellement du sud de l’Alsace, le propos de cet article est de considérer le jardin comme un élément de décor. La présence d’une des plus conséquentes pépinières européennes en Alsace, les pépinières Baumann de Bollwiller fondées vers 1735, qui ne ferment qu’en 1969, a permis la création de nombreux parcs et jardins tout au long du xixe siècle. Ceux-ci sont le reflet d’un art de vivre allant de pair avec l’architecture et la décoration des intérieurs. Les arbres deviennent ainsi de nouveaux matériaux décoratifs pour l’art des jardins, à une époque où les plantes d’intérieur se généralisent comme des objets décoratifs. Les récents travaux autour de l’histoire horticole mettent en relation cette activité économique avec le territoire et la société industrielle émergente cultivée, curieuse scientifiquement et sensible à l’art1. Aussi, l’observation de végétaux rares, aux esthétiques originales présente un double intérêt pour l’historien : les arbres centenaires se révèlent eux-mêmes comme des éléments de patrimoine, très peu étudiés, encore moins protégés ; en outre, leur présence a une portée bien plus importante car elle met en lumière l’évolution de la société dans sa globalité. Par ailleurs, la construction en zone périurbaine permet la conception du jardin comme un prolongement de l’architecture. Les exemples sont nombreux à travers l’Alsace, même si certains jardins demeurent largement méconnus du public. Le parc arboré est alors destiné à sublimer l’architecture en lui offrant un écrin prestigieux. Il est en outre pensé pour être vu depuis l’architecture, particulièrement depuis les vérandas, serres et jardins d’hiver.
Alors que l’aménagement des jardins est resté longtemps confié à un architecte, le xixe siècle voit la naissance d’un nouveau métier : celui de « dessinateur de jardins ». Doté de compétences en botanique, ce corps de métier accorde peu à peu une place au végétal dans les compositions, jouant sur les espèces comme le fait un céramiste avec les émaux. La vaste palette végétale en constante diversification au xixe siècle permet un usage décoratif mêlant les feuillages colorés, les formes allongées ou horizontales. Les compétences horticoles et en botanique supplantent peu à peu les connaissances des ingénieurs hydrauliques. Entre Colmar et Mulhouse, les pépinières Baumann de Bollwiller proposent très tôt et de façon précurseuse des arbres ornementaux tels que les cyprès chauves, les tulipiers de Virginie, les cèdres du Liban, les sophoras du japon, et autres variétés exotiques. Maîtrisant sans conteste les besoins et spécificités de chacun des végétaux, elles possèdent un savoir-faire faisant parfois défaut aux architectes-paysagistes. Dès 1810, Joseph-Bernard Baumann se déclare comme « décorateur de jardins » et compose occasionnellement des jardins pour des particuliers, comme un service rendu, associé à la vente de végétaux. Pourtant, cette activité secondaire devient essentielle pour l’entreprise, à l’instar d’autres familles de pépiniéristes français, tels que les Leroy à Angers2 ou les Michel en Franche-Comté3. Plusieurs horticulteurs alsaciens se lancent progressivement dans le paysagisme4, transformant sensiblement les aménagements par une attention particulière apportée aux végétaux.
La multiplication de nouveaux végétaux combinée à l’évolution de la composition des jardins induit un nouveau rapport aux parcs privés d’agrément dans les sociétés en pleine industrialisation. L’objectif est-il alors de mettre en valeur les nouveaux habitats bourgeois ?
Le sujet est interrogé tout d’abord en considérant les nouveaux végétaux comme des éléments de décor de la propriété, soumis à des modes perceptibles tant à l’extérieur que dans les décors intérieurs. Par ailleurs, ces compositions se révèlent comme indissociables de l’architecture, en étant tantôt le prolongement de l’habitat, servant tantôt de faire-valoir à l’édifice.
Les espèces végétales au service du décor des immeubles
Tout au long du xixe siècle, la palette végétale s’enrichit considérablement par l’introduction de végétaux venus de l’autre bout du monde. Les espèces cultivées sont de plus en plus décoratives et varient selon des modes renouvelées tout au long du xixe siècle. Les pépinières Baumann de Bollwiller ont pris part à cette évolution en proposant de nouveaux décors pour les propriétés alsaciennes. Les différents membres de la dynastie n’ont eu de cesse de chercher à s’approvisionner en graines ou jeunes plants vivants qu’ils reproduisent, multiplient et commercialisent à grande échelle, cela tout au long du xixe siècle.
La couleur du végétal et la forme du feuillage permettent à certaines espèces de devenir de réelles curiosités. Les créateurs de jardins s’en saisissent au fur et à mesure de leur acclimatation sur le continent européen. Le Gingko biloba est une star des jardins du xixe siècle si bien que Goethe lui dédie un poème5. Son esthétique et sa symbolique sont appréciées. La forme de ses feuilles, en forme de petit cœur, est un premier élément d’ornement. Mais le moment fort de l’année est sans conteste celui où son feuillage, caduc, se colore d’un jaune d’or, avant de tomber et de couvrir le jardin d’agrément d’un tapis d’« écus d’or ». Le premier pied arrive en Europe au jardin botanique d’Utrecht en 17276, après sa découverte par Kaempfer. Il se répand alors à travers l’Europe : en Angleterre dans le jardin botanique de Kew, puis en 1780 à Montpellier, chez un particulier, amateur de botanique : Charles Pétigny7. Les Frères Baumann devaient en avoir découvert les secrets dès le xixe siècle puisqu’ils cultivent rapidement cet arbre et le proposent dans le catalogue de 18038. Dès lors, les propriétés alsaciennes s’en parent. À Mulhouse, la villa Mantz, dont l’aménagement date des années 1840 en conserve un très beau spécimen. La famille Zuber de Rixheim en dote également son parc après son aménagement de 18379. Celui de Schoppenwihr demeure aujourd’hui particulièrement majestueux.
En matière de conifères, les dessinateurs de jardins ont dû pendant longtemps se contenter des sapins, pins, cyprès, genévriers puisque durant le xviiie siècle, seuls 45 résineux étaient à leur disposition10. À la fin du xixe siècle, il en est tout autrement, et les architectes paysagistes bénéficient d’une importante variété de conifères, certains à la croissance rapide, comme les séquoias géants, qui leur permettent de jouer sur des effets de perspectives grâce à des ports élancés ou d’autres aux couleurs sombres. À partir de 1848, le catalogue des pépinières Baumann réserve une entrée spécifique aux conifères révélant ainsi leur usage accru dans l’aménagement des jardins. Une ambiance montagnarde, d’altitude, peut être conférée à l’architecture avec une esthétique inspirée par les chalets. Cette référence se retrouve soit dans le cas d’une architecture principale, telle la villa Warnery à Guebwiller, ou le chalet Dietsch à Lièpvre (fig. 1), soit en tant que fabrique de jardin, comme par exemple le chalet de Turckheim à Truttenhausen ou les différents édicules présents dans les parcs guebwillerois. Aux abords de ces constructions, l’emploi de conifères très sombres et de rocailles accentuent encore la référence montagnarde.
Fig. 1 : Le chalet Dietsch à Lièpvre, une architecture d’inspiration alpine, mise en scène grâce à la plantation aux abords de conifères sur un fond de scène montagnard.
Lièpvre, Archives Municipales.
Un conifère très particulier, le cyprès chauve, est remarqué rapidement par les pépinières Baumann. Le cyprès chauve ou Taxodium distichum arrive tôt en Europe, dès 1637 semble-t-il. Réservé d’abord aux jardins botaniques, il s’intègre au catalogue des arbres d’ornement. Aussi, les Frères Baumann en propagent-ils très vite la culture et l’intègrent à l’offre commerciale à partir de 1805. Son prix oscille entre trois et quatre francs dans les premières décennies du xixe siècle, ce qui en fait un arbre d’ornement généralement planté isolément et une curiosité botanique estimée dans les aménagements. On apprécie tout d’abord sa hauteur (il atteint très facilement les 30 mètres de haut.) Les cyprès chauves nécessitent la présence d’eau et ornent ainsi facilement les bords d’étang. Ils développent alors des racines aériennes atypiques : les pneumatophores. Elles servent à la respiration de l’arbre en leur permettant d’absorber le dioxygène. Son feuillage est également caractéristique : comme les résineux, il présente des sortes d’épines, qui sont en réalité des feuilles annuelles. Vert tendre au printemps, elles virent à l’orange en automne puis tombent. Dans leur propriété de Hartmannswiller, les Baumann plantent plusieurs cyprès chauves à proximité des étangs aménagés grâce à des dérivations du Fridolinsbach dont deux subsistent encore.
Les particularités de silhouettes ou de teintes de certaines espèces, générées par des anomalies naturelles deviennent très vite des atouts décoratifs pour les parcs et jardins romantiques. Attentifs à de nouvelles esthétiques, les pépiniéristes tendent à fixer des dégénérescences naturelles. Les contrastes de couleurs permettent une mise en valeur réciproques des espèces. Aussi, les Frères Baumann proposent dès 1810 dans leur catalogue la variété pourpre de l’espèce indigène du hêtre11. Il s’agit d’une anomalie de la nature, volontairement reproduite par les horticulteurs. Ils emploient alors la technique de la greffe, sur un porte-greffe d’un hêtre commun, plus vigoureux. Des spécimens anciens sont toujours présents dans les propriétés alsaciennes, comme au domaine du Windeck à Ottrott. L’arbre est apprécié pour les compositions paysagères, son feuillage offrant un contraste dans les couleurs du tableau créé. L’écrin vert de l’architecture se colore progressivement. Les teintes rouges du hêtre s’accordent alors avec le grès rose des Vosges répandu à travers l’Alsace. Les formes retombantes sont aussi en adéquation avec le romantisme de l’époque. Propices à la rêverie voire à la mélancolie, elles agrémentent un bucolique bord de rivière ou un espace de repos pourvu d’un banc. Aux saules pleureurs venant de Chine, s’ajoutent des variétés plus rares, comme le hêtre pour la multiplication duquel le savoir-faire d’horticulteurs avertis est nécessaire. Dans le parc Albert Schweitzer à Munster, ancien parc privé de la famille Hartmann, un ancien spécimen provenant, sans doute, des pépinières Baumann est encore visible aujourd’hui.
Les expéditions végétales menées depuis le xviiie siècle ramènent sur le continent européen des arbres d’ornement, très appréciés des créateurs de jardins pittoresques. À une période où les parterres fleuris n’ont guère leur place, les arbres et arbustes fleurissants égayent « naturellement » les jardins pittoresques. À partir de 1832, le style dit gardenesque initié par l’écossais John Claudius Loudon (1783-1843) met en valeur les végétaux pour leur intérêt propre. Traités tels des « surprises » ou comme des ornements à part entière, ils sont considérés comme point d’intérêt ou curiosité dans les propriétés. Ils concurrencent la statuaire chère au xviiie siècle et les autres éléments lapidaires. Certains d’entre eux deviennent même des incontournables des créations paysagères. Leur capacité florale ou la forme de leurs feuillages en font des éléments décoratifs recherchés que les pépiniéristes multiplient et commercialisent.
Dès le début du xixe siècle, le tulipier de Virginie, originaire de l’est des États-Unis devient un arbre décoratif incontournable. Il s’adapte particulièrement au climat et à l’environnement alsacien. Résistant, sa croissance est en outre rapide. Cet arbre remporte très vite un vif succès grâce à son étonnante et longue floraison printanière, mais aussi grâce à la teinte jaune d’or de ses feuilles lobées en automne. Cet embrasement constitue un deuxième temps fort dans le calendrier du jardinier paysagiste. Les Frères Baumann (1801-1840) perçoivent l’opportunité offerte par cet arbre d’ornement et en produisent de nombreux plants. Maîtrisant à la perfection sa reproduction, ils en propagent la culture très rapidement et le diffuse en Alsace et au-delà. Il est utilisé seul ou planté en groupe. Une longue allée de tulipiers est identifiée dans le parc Hartmann à Munster dès 1811 environ12.
De faible volume et à la croissante lente, les magnolias arborent avec harmonie les abords proches de la villa. Leur floraison généreuse et précoce au printemps fait de ces arbres d’ornement. Très rapidement, les Frères Baumann proposent une première variété dès 1803. La gamme s’étend continuellement durant le xixe siècle. Le très populaire magnolia Soulange, n’est quant à lui pas dû à une arrivée sur le continent, mais une variété hybride apparue naturellement et observée en 1826 dans le jardin d’un horticulteur : Soulange Bodin à Fromont13. Il est alors reproduit par l’horticulteur et se répand à travers la France jusqu’à obtenir un succès incontestable. Les Frères Baumann, à l’affût de toutes nouveautés, le cultivent et le commercialisent à partir de 1834, suivi du magnolia Yulan, aussi dénommé magnolia des Fontaines, en 1838. Le succès de cet arbre fleurissant perdure. Le propriétaire du château de la Neuenbourg, à Guebwiller, choisit la variété Yulan vers 1875 pour orner son parc14, tout comme celui de la villa Straszewicz en 190515. Ces diffusions tardives peuvent s’expliquer par un renouveau de l’attrait pour les magnolias à la fin du siècle alors que la mode pour l’Extrême-Orient et le Japon le mettent à l’honneur ; apparaissent alors sur des étoffes des motifs de branches de magnolia fleuries 16.
Le paulownia, le « Kiri » des japonais, constitue une espèce supplémentaire dans la palette des arbres fleurissants, grâce à ses fleurs bleues pervenches. Ses grosses feuilles atypiques en forme de cœur s’apparentent à celles du catalpa, mais ses fruits diffèrent par leurs formes : il s’agit là de coques, renfermant les graines. Il est importé par le vicomte de Cussy au Muséum en 1834, où il fleurit pour la première fois en 1842. Dès 1844, Augustin et Napoléon Baumann le mettent en vente précisant : « Paulownia impériales. Arbre magnifique, qui est destiné à un rôle de premier ordre dans la décoration de nos jardins17 ». Il est très vite apprécié des propriétaires. Ainsi, deux exemplaires sont plantés dans le jardin de la Préfecture de Colmar18. La mode se répand dans l’ensemble du quartier adjacent.
À la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, les concepteurs de jardin font la part belle aux roses, fleurs qui font l’objet de nombreuses obtentions à cette époque-là19. Les rosiers, en buisson ou taillés en tige, sont ordonnés en plate-bande ou font l’objet de création de roseraies dans les jardins qui progressivement adoptent un style mixte, acceptant le retour de parterres géométriques ou symétriques, notamment à proximité de l’habitat. Les industriels guebwillerois Léon Schlumberger, à la Neuenbourg, et Alexandre Bourcart, à la Roseraie, se font établir des espaces dédiés à cette plante phare dans leur propriété au début du xxe siècle. De la même manière, les aménagements dessinés pour la bourgeoisie mulhousienne par l’horticulteur Becker de Mulhouse, comprennent des roseraies20.
Les végétaux intègrent également de manière figurée les intérieurs bourgeois, aussi bien dans les étoffes imprimées que sur les papiers peints ou encore les décors céramiques21. Ces représentations, se renouvellent selon les modes liées à ces objets d’art décoratifs. Elles jouent parfois le rôle du maillon manquant entre la présence d’une plante dans les collections de quelques amateurs et sa large diffusion dans les propriétés bourgeoises, au propre et au figuré, faisant de certaines espèces végétales de véritables best-seller dont le motif est reconnu de tous22.
La présence réelle de ces végétaux dans les intérieurs bourgeois suit des vogues à travers le xixe siècle. Dans bien des propriétés, les jardins d’hiver, les vérandas, voire les serres ou orangeries permettent d’abriter les végétaux durant les mois rigoureux de l’hiver alsacien. Ces espaces adjacents à l’habitat sont des espaces chauffés intégrés aux espaces à vivre propices à la culture de plantes exotiques. Elles mènent au-delà de l’imaginaire à l’évasion mentale liée à l’exotisme. Alors que les papiers peints évoquent par la représentation les contrées lointaines23, les plantes agrémentent réellement le cadre de vie comme un loisir à la mode. Les camélias par exemple, connaissent, après une période de collectionnisme, une diffusion massive dans les années 1840-1850. C’est désormais une plante qu’on garde à l’intérieur, dans une pièce pas trop chauffée.
La fougère est une autre plante qui connaît un engouement comparable à une mode périodique. Alors que durant des siècles ces végétaux atypiques paraissent mystérieux, ils connaissent une importante diffusion dans la seconde moitié du xixe siècle après la découverte de son mode de reproduction en 1848. Présentes naturellement dans les forêts, les fougères vernaculaires sont encore complétées par l’introduction en nombre de nouvelles variétés venant de régions lointaines du globe, grâce à un progrès considérable : l’invention de la caisse de Ward24. Les variétés ainsi importées entrent dans les collections des grands jardins. Des serres dédiées aux fougères y sont aménagées. Chez les amateurs, le phénomène engendre la création de collections particulières. Comme ses collègues anglais Conrad Loddiges & Sons, ou encore James Veitch & Son, Napoléon Baumann (1804-1884) se positionne alors sur cette culture atypique. Il en fait une véritable collection d’étude qu’il augmente par diverses sources. Sa connaissance de cette plante fait de lui un fournisseur incontournable en Alsace25. Une variété particulièrement demandée n’est autre que la Osmunda regalis dont le succès est tel que Napoléon doit réassortir ses serres en urgence26. Les fougères jouxtent souvent dans les serres chaudes les orchidées des tropiques. Dans son catalogue de 1866, Napoléon Baumann recommande d’ailleurs cette alliance d’un point de vue esthétique : « leur feuillage délié se marie d’une manière très agréable avec les formes larges et vigoureuses de ces dernières27 ». Au début du xixe siècle, les orchidées des forêts tropicales, découvertes par les explorateurs, impressionnent beaucoup. Très peu étaient cultivées en Europe. Ces plantes, qui poussent dans les arbres et se répandent en cascades à l’état naturel émerveillent les passionnés de botanique. Cependant, leur transport et leur acclimatation est un véritable défi au vu de la méconnaissance horticole de cette plante à fleurs. Napoléon Baumann en teste la culture jusqu’à proposer une rubrique spécifique dans ses catalogues de 1841 et 1843. Jusqu’en 1900, les orchidées demeurent des plantes rares et sont donc réservées à de riches collectionneurs, capables de s’offrir les plantes, mais également son écrin28. En effet, leur culture nécessite une serre tropicale.Ce n’est qu’au début du xxe siècle que le secret de leur reproduction est découvert, permettant alors une large diffusion29. L’engouement amène à la construction de serres dédiées à travers les propriétés alsaciennes.
Ces quelques exemples, qu’on pourrait encore enrichir des palmiers, des cactées, montrent que les plantes entrent dans l’habitat. Les sociétés d’horticulture par leurs différents moyens d’action propagent les goûts horticoles, les nouveautés venues de l’autre bout du monde ou encore les plantes récemment obtenues. Les photos de famille prises dans les serres révèlent une fierté quant à ces aménagements et les collections qu’elles renferment. Leur culture intérieure peut aussi supposer des petites serres de salons ou d’autres nouveaux objets développés pour les accueillir, telles que des jardinières en céramique, par exemple.
Les pépinières Baumann de Bollwiller ont permis une diffusion précoce dans le bassin rhénan de ces espèces végétales décoratives. Cependant, le prix des semences de certaines espèces, ainsi que leur aspect monumental réservent dans un premier temps leur acquisition aux populations les plus aisées, ou à des espaces publics, tels qu’aménagements thermaux, domaines ou encore parcs publics.
Le jardin : un prolongement de l’architecture
Sous l’effet de l’industrialisation, mais également des mutations démographiques, les villes croissent au-delà de leur centre ancien. L’industrialisation naissante entraîne des extensions urbaines, dont le cœur est l’usine et autour desquelles se constituent des quartiers complets. À proximité des sites industriels au-delà des ceintures des centres bourgs, le patronat se fait édifier de belles propriétés. L’espace nécessaire à l’aménagement d’un vaste jardin patronal devient accessible et disponible. Plusieurs villes alsaciennes connaissent le même développement urbain : Mulhouse, Guebwiller (fig. 2), Cernay, Munster, etc. En dehors des centres-bourgs au tissu urbain resserré30, les propriétés des industriels de taille conséquente redéfinissent la façon d’aménager les demeures bourgeoises, plongeant l’espace résidentiel des élites dans ce que Françoise Bercé appelle le « second âge d’or du château »31.
Ces aménagements mettent en scène les demeures dans le paysage32. Elles permettent à la bourgeoisie la construction de vastes bâtisses, avec dépendances, mais autorisent également l’aménagement de jardins, imitant les pratiques aristocratiques du siècle précédent. Les conceptions sont soit l’œuvre du propriétaire lui-même, soit de l’architecte ou encore de paysagistes. À Munster, la famille Hartmann, dont plusieurs générations témoignent de connaissances botaniques, impulse la création de demeures urbaines et campagnardes, écrins de leurs collections végétales. Frédéric et Henri Hartmann dotent leurs villas de parcs aux essences remarquables33. À Mulhouse, les faubourgs attirent les industriels dans la première moitié du xixe siècle. Ceux-ci investissent des terrains au-delà des Porte du Miroir, Porte Jeune, Porte de Bâle. Ces constructions, situées dans des secteurs de jardins, s’écartent du tissu urbain resserré du centre-ville34. Les villas de cette période n’ont, pour la plupart, malheureusement pas survécu. Seuls quelques exemples demeurent encore : la villa Mantz, rue Clemenceau, ou encore la villa Jacquet ou la maison Lamey situées Porte du Miroir, construites au xixe siècle. Dans bien des cas, le parc, considéré comme une opportunité foncière, a été largement amputé pour laisser place à des constructions durant la seconde moitié du xxe siècle.
Ces parcs privés, aménagés en périphérie de villes, sont conçus dans un double objectif visuel. Dans le prolongement de l’architecture, le jardin est tout d’abord créateur de points de vue et de décors mettant en valeur l’architecture. Il est également vécu de l’intérieur de l’habitat offrant des perspectives remarquables depuis les terrasses, les vérandas ou encore les jardins d’hiver. Ces liens visuels rendent le parc et la villa indissociables amenant même les jardins à devenir de véritables prolongements de l’architecture.
Fig. 2 : Carte schématique de Guebwiller vers 1920. Des espaces de jardins sont aménagés en périphérie de ville.
Fond de carte : Archives municipales de Guebwiller ; schéma : Cécile Modanese.
Dans ces lieux, les parcs des demeures privées sont, contrairement à un parc public, destinés à créer un écrin autour de la propriété35. Leur conception est souvent marquée par une ceinture végétale composée de plantes aux feuillages persistants. Les ivaies, un alignement d’ifs, arbres à la croissance très lente, peuvent être doublés de marronniers par exemple. Les barrières de végétaux sont particulièrement denses en direction des usines ou d’une rue passante afin de préserver un espace intime et de limiter les nuisances autour de l’habitat.
Les points de vue sont soignés, prévoyant des allées et lieux de repos permettant la contemplation de l’architecture ou au contraire le paysage naturel ou culturel existant. Les compositions génèrent des scènes pittoresques, littéralement dignes d’être peintes, grâce à l’emploi de plusieurs éléments marquants dans les jardins.
Fig. 3 : L’étang aménagé devant la villa Spetz à Issenheim, renvoyant l’image de l’architecture.
Strasbourg, Bibliothèque nationale universitaire.
Les pièces d’eau, appréciées dans les compositions pittoresques de l’époque romantique, reflètent l’architecture et la mettent ainsi en valeur. Les exemples sont nombreux à travers la Haute-Alsace. La villa Spetz à Issenheim, construite pour Jean-Baptiste Spetz, directeur de l’établissement textile de la commune, date de 1850. À son décès en 1878, Georges Spetz lui succède, et poursuit l’aménagement de la villa qu’il habite. C’est à cette période que le jardin est pensé. Il sublime la propriété, par la plantation de beaux arbres et par la création d’un étang dans lequel se reflète l’architecture, jouant le rôle d’un miroir d’eau (fig. 3). Tel est aussi le cas à Munster, où la villa Albert Hartmann, construite vers 1880, qui se reflète dans le lac présent dans la vaste propriété familiale (fig. 4).
Fig. 4 : Villa Albert Hartmann se reflétant dans son miroir d’eau, 1885.
Album Hart-mann, Munster, Archives municipales.
L’apogée de la sublimation de l’architecture à travers le parc se retrouve sans doute dans la propriété de Bussière à Schoppenwihr. Durant la première moitié du xixe siècle, le domaine n’apparaît entouré que de surfaces agricoles. Autour de 1860, un important travail d’aménagement, notamment hydraulique, est mené par Julius Niespraschk (v. 1853-1862), employé de Napoléon Baumann. Un étang pittoresque sert de miroir à la villa (fig. 5). Lorsque le paysagiste Achille Duchêne intervient en 1930, il crée le miroir d’eau cette fois-ci régulier à proximité de la maison36, et ouvre la perspective vers les Vosges et le Haut-Kœnigsbourg. Ces arrière-plans se révèlent d’ailleurs appréciés et exploités par les paysagistes, alliant l’architecture à son environnement naturel ou historique37.
Les végétaux servent également à souligner certains éléments architecturaux. Ainsi, des conifères à pousse lente, parfois taillés dans les règles de l’art topiaire, encadrent régulièrement les portes d’entrées ou les escaliers monumentaux. Ailleurs, des allées bordées d’un alignement d’arbres mènent le regard vers le perron de la demeure.
Fig. 5 : Le château de Bussière à Schoppenwihr. Photo Meunier E., 1889.
Strasbourg, Bibliothèque nationale universitaire.
Dans le prolongement de l’architecture, les terrasses adjacentes à l’habitat offrent des points de vue vers l’aménagement paysager. Elles sont parfois dotées de pergolas, qui permettent d’y faire grimper des plantes, faisant de la construction un espace mi-construit mi-végétalisé.
Dans bien des propriétés alsaciennes, les jardins d’hiver, les vérandas, voire les serres se révèlent comme un entre-deux entre l’intérieur et l’extérieur. Lumineux, ces espaces vitrés sont bien souvent des endroits de convivialité, indissociables de l’art de vivre bourgeois du xixe siècle. Aussi, le point de vue ménagé est souvent travaillé comme un tableau à observer. Alors que les premières serres relèvent au départ d’une technique simple, celle du châssis en bois, les serres de la seconde moitié du xixe siècle sont bien plus élaborées. Elles adoptent les techniques de construction en fer et en verre permettant d’introduire une véritable recherche esthétique dans les constructions qui prolongent ainsi le bâtiment principal.
Très tôt, à Guebwiller, au château de la Neuenbourg, Henry Schlumberger se fait construire une serre dans le prolongement de la vaste demeure anciennement abbatiale. L’immense serre, accessible depuis l’étage noble, est accolée au bâtiment dès 185638.
Fig. 6 : La véranda de la villa Baumgartner. Détail carte postale vers 1900 (reproduction).
Archives du Val d’Argent.
À Sainte-Marie-aux-Mines, l’industriel Léon Baumgartner améliore progressivement son cadre de vie à partir du moment où il reprend la direction de l’entreprise. Il se fait aménager une véranda connexe à l’habitat dont l’ouverture permet un point de vue vers le parc paysager (fig. 6)39. Le projet d’aménagement du jardin n’est pas daté mais il semble avoir été conçu dans la deuxième moitié des années 1860. Léon Baumgartner fait alors appel à l’établissement de Napoléon Baumann pour dessiner un projet. Le point de départ de l’aménagement se situe à partir de la maison d’habitation (fig. 7). Le point de vue est travaillé à partir de cet emplacement. Dans le prolongement direct est prévu un bassin, très classiquement dans l’axe de la façade. Il est devancé d’un parterre de fleurs lui aussi conçu selon un dessin symétrique. L’axe est discrètement faussé pour entamer une oblique, qui entraîne le regard vers un point marquant : la cascade artificielle alimentant un ruisseau bucolique. L’ensemble de l’infrastructure hydraulique est sans nul doute le point fort de l’aménagement40.
Fig. 7 : Schéma des points de vue et cheminements imaginés par Napoléon Baumann à la villa Baumgartener.
Schéma Cécile Modanese, sur plan conservé aux Archives municipales de Sainte-Marie-aux-Mines.
La célèbre villa Reber de Sainte-Marie-aux-Mines, dont le jardin a été décrit par Pierre Fluck41, possédait, comme toute propriété qui se respecte à cette époque, une orangerie et même une serre. Les recherches se sont essentiellement concentrées sur la première partie du xixe siècle, période de faste pour le jardin Reber, décrit par un visiteur anonyme, mettant en évidence la présence d’une orangerie, en rez-de-chaussée du grand pavillon octogonal. Cependant, une photo de 1987, avant démolition du jardin, révèle encore les ruines d’une serre en fer et verre, d’emprise modeste, adossée au pavillon (fig. 8). Elle n’est pas datée et n’a pas fait l’objet de recherches42.
Fig. 8 : Friche Blech, anciennement Reber, 1987.
Photographie : Joseph Antenat. Sainte-Marie-aux-Mines, Archives municipales.
À la Forge, sur la commune de Wintzenheim, la villa de Kiener comprend elle aussi une véranda en fer et verre, qui existait dès sa construction vers 186543.
Le début du xxe siècle voit l’adjonction de vérandas aux maisons construites quelques décennies précédentes. C’est alors parfois l’occasion de repenser les extérieurs. Les exemples mulhousiens sont nombreux. Le fonds de l’horticulteur Becker permet de détailler certains aménagements. Ainsi, Frédéric Lamey, directeur de la SACM depuis 1906, dote-t-il sa maison d’un jardin d’hiver, accessible par le salon et le fumoir, ainsi que d’une nouvelle entrée, dessinés en octobre 1911. L’architecture est prolongée par un aménagement paysagé composé dès le mois de janvier 1912 par André Becker. Il dégage tant bien que mal, et ce, malgré une situation peu propice, les axes et des points de vue, à partir du jardin d’hiver vers le jardin.
Certaines de ces adjonctions sont aussi l’occasion de mettre l’esthétique du bâtiment au goût du jour, celui de l’Art nouveau par exemple. Les ferronneries ou les motifs de verre émaillés emploient alors des lignes courbes et des motifs végétaux emblématiques de cette époque, qu’on retrouve parfois en extérieur. Dans la villa Les Glycines à Guebwiller, construite en 1886 pour l’industriel Édouard de Bary, l’aménagement de la véranda est l’apogée de ce lien entre l’intérieur et extérieur. L’espace est orné de carreaux en céramique de Théodore Deck et Auguste Lamère. La pièce offre un décor où le végétal, à travers les représentations de lys, de nénuphars et de glycines tient une place de choix : la glycine, nom de la villa, se retrouve tant dans le décor céramique qu’à l’extérieur44.
Des serres indépendantes voient aussi le jour, comme le projet dessiné pour la propriété de Nicolas Schlumberger à Guebwiller en 1853, intégrant un espace de salon45. D’autres exemples sont à citer, comme la serre de la villa Steinbach à Mulhouse ou celle du parc industriel de Wesserling46, même s’ils sont moins documentés, leur existence n’étant attestée que par de simples photos de la fin du xixe siècle.
Fig. 9 : La Forge, habitation de M. Kiener en 1938.
Collection de la Société d’histoire de Wintzenheim.
Les parcelles jouxtent quelques fois les vignes ou la forêt, faisant le bonheur des aménageurs qui dégagent alors des points de vue vers ces zones. Les aménagements paysagers font alors le lien entre l’architecture et son environnement. Il est réfléchi en fonction du paysage urbain immédiat ou plus lointain. La villa du Bois Fleuri à Guebwiller, construite en 1864 par Charles Bourcart, est ceinte d’un mur, mais aussi d’une barrière végétale en direction de la ville industrielle. En revanche, l’aménagement s’ouvre également vers la vigne. Les allées dessinées entre le grand portail d’accès et le perron font évoluer le visiteur afin de placer l’architecture dans un décor idéal et ainsi la sublimer. Dans ce cas, comme dans d’autres, le jardin est donc indissociable de l’architecture. L’intention créatrice basée sur le dialogue entre la bâtisse, son jardin et son environnement a totalement été gommée lors de la récente réhabilitation.
Fig. 10 : Parc de la villa des Glycines à Guebwiller et ses arcades médiévales intégré dans le parc comme élément décoratif.
Photo : Fonds Bischoff, Communauté de Communes de la Région de Guebwiller-Pays d’art et d’histoire.
Dans la périphérie de Colmar, l’industriel Jean Kiener (1794-1875) se fait construire une villa en 186547, qu’il agrémente d’un parc. Selon les mémoires écrites par Louis Baumann (1911-1975), son ancêtre aurait créé ce parc en contrepartie de son aide financière de la famille Kiener à une époque de difficulté de l’entreprise horticole48. Les essences encore présentes, à savoir des cèdres et des séquoias géants sont représentatives de la palette végétale utilisée dans la période d’aménagement49. La date de construction, peu après 1865, correspond à une période où Napoléon Baumann, intervenait dans la création de parcs. Jean Kiener a développé, à partir de 1854 une industrie textile en contrebas du village de Walbach50. À l’est de l’usine, il se fait édifier une villa entourée d’un parc de 18 ha, avec vue sur le Pflixbourg (fig. 9) et agrémenté d’une pièce d’eau. Les Vosges et ses ruines castrales offrent alors un fond de scène idéal au parc Kiener à La Forge. Un exemple bas-rhinois illustre également cette disposition : le parc de Jean Favier à Kintzheim.
À d’autres endroits, les allusions médiévales accompagnent une architecture historisante51. On installe alors des ruines dans la propriété. Ainsi, la famille de Bary de Guebwiller se fait construire la villa dite Les Glycines et fait installer dans son parc des arcades, provenant sans doute d’un édifice abandonné (fig. 10). Le lien entre l’architecture et la villa est parfait lorsque l’allusion médiévale s’exprime dans le choix des fabriques de jardin, au style néogothique ou castral, dans les décors intérieurs de menuiserie et dans les éléments architecturaux des villas. Les industriels alsaciens, empreints de romantisme semblent avoir un véritable penchant pour les inspirations médiévales. La villa du Bois Fleuri à Guebwiller, récemment défigurée, en était un parfait exemple. Tour, faux-mâchicoulis, pignons à redents, mur d’enceinte en pierres de taille et pourvu de meurtrières : tous les éléments sont rassemblés pour donner à la villa l’allure d’une forteresse ! Même la maison du portier, en pan de bois, est flanquée d’une tourelle. Non loin, Charles Bourcart fait édifier vers 1850 le Petit Hugstein, une fausse ruine médiévale permettant l’évasion mentale à quelques pas de sa villa dans la montée vers le Hugstein52. Des légendes sont alors nées : serait-ce le départ d’un souterrain vers le Hugstein ? Ce romantisme historique entretient alors l’imaginaire médiéval. Pour parfaire l’allusion, Charles Bourcart est l’auteur de peintures sur textile des sites médiévaux de la région de Guebwiller, dénommées à tort « tapisseries ». Mais l’intention est là, et l’illusion est parfaite grâce à l’usage d’un support textile très grossier, suggérant qu’il s’agit d’une tapisserie. D’autres familles alsaciennes se plaisent à utiliser ces références. Citons les Hartmann qui incluent la ruine du Schwartzenbourg dans leur propriété du Schlosswald au-dessus de Munster, ou encore le domaine du Windeck à Ottrott. La famille de Turckheim, quant à elle, englobe les ruines de l’abbaye de Truttenhausen dans sa propriété au-dessus de Heiligenstein.
À la Léonardsau, à Boersch, le jardin composite se révèle être la prolongation du style éclectique de la villa du baron de Albert Louis Eugène de Dietrich. Il y collectionne différents types de jardins : les arbres nains des compositions japonaises, les terrasses à l’italienne, les buis taillés des jardins à la française. À l’instar du réemploi d’éléments Renaissance dans l’architecture, le propriétaire réutilise des statues dans le jardin. Le jardin dessiné par Buyssens pour le baron de Dietrich se révèle une véritable prolongation du geste architectural dans son esprit composite.
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Grâce au développement de l’horticulture durant le xixe siècle, le paysagiste bénéficie de matériaux inédits (les arbres nouveaux) destinés à embellir ses créations. À l’instar du renouvellement des matériaux et techniques de construction qui génèrent des évolutions et des effets de modes dans l’architecture, les nouveautés végétales, telles des biens de consommations, suivent des périodes d’engouement. Les parcs et jardins d’agrément sont renouvelés pour rester à la mode, le propriétaire cédant à l’envie de posséder – et de montrer – la dernière curiosité disponible dans les catalogues horticoles. En Alsace, la présence d’un établissement de pépinières à la pointe des techniques de multiplication et de diffusion permet un approvisionnement au goût du jour. L’ajout d’un séquoia géant dans les années 1860, de plantes grimpantes ou d’une roseraie à la fin du xixe siècle n’étant que des exemples de ces phénomènes de modes dans les décors que constitue le jardin. Tout comme les motifs décoratifs se renouvellent dans l’ameublement, la céramique, ou l’ébénisterie, la palette végétale évolue.
Par ailleurs, la création de jardins d’agrément au xixe siècle participe à une mouvance décorative « totale ». Le message architectural est prolongé dans la composition paysagère, comme on a pu le voir pour la Léonardsau. Le jardin, véritable écrin de l’immeuble est aussi dessiné pour sublimer l’architecture, à l’instar du coffret marqueté qui abrite un bijou d’orfèvrerie. Cette valorisation passe par la création de point de vue comme dans l’ancienne villa Baumgartner à Sainte-Marie-aux-Mines, ou de miroirs d’eau. Le jardin fait enfin le lien entre l’immeuble et son environnement visuel, à savoir les vignes, le massif vosgien ou les ruines médiévales, ce qui le rend indissociable de l’étude architecturale voire urbaine.
La densification urbaine recherchée à travers les règlements et plans d’urbanisme actuels met en danger les parcs et jardins du xixe siècle, souvent considérés comme des réserves foncières. Leur amputation ou leur disparition progressive supprime la cohérence des aménagements, conçus originellement dans un objectif d’art total. Cette tendance actuelle amoindrit la valeur patrimoniale des sites concernés et fait perdre de leur superbe à ces lieux d’exception, miroirs de la société industrielle.