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DOI : 10.57086/strathese.155

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Les conflits et les malentendus sont souvent la conséquence de la mise en confrontation de normes, valeurs et représentations entre individus ou entre institutions, ou encore du choc entre des interprétations et des visions hermétiques les unes aux autres, lors de situations « carrefour », mettant en exergue la conflictualité latente qui peut exister en chacun de nous. Les articles qui constituent ce dossier abordent différents types de situations propices à l’émergence de malentendus ou de conflits, et décryptent les processus à l’œuvre dans ces discordances culturelles, normatives ou psychiques. Si les cas de figure abordés dans chacun de ces textes sont variés, ils relèvent pourtant tous de la relation entre des individus en situation de vulnérabilité, et les institutions (ou les professionnels qui la représentent) qui les prennent en charge. Quand ces secondes sont censées venir en aide à ces premiers, comment expliquer que des situations de malentendus, voire de conflits, puissent ainsi émerger, au risque de rompre la relation d’aide ou de confiance qui tendait à s’établir en amont ?

Dans la première contribution de ce dossier, Frédéric Mennrath analyse les concepts de violence et de maltraitance dans le secteur médico-social, concepts qui sont particulièrement sujets aux interprétations passionnées et orientées, en fonction du système de valeurs que chacun (le soignant, le soigné, l’institution, etc.) développe pour lui-même et face aux autres. Ces appréhensions souvent très tranchées des notions de violence et de maltraitance peuvent alors se retrouver au cœur de conflits de représentations, dont les conséquences sont parfois lourdes, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer factuellement si une situation problématique relève ou non de la maltraitance de la part des professionnels de santé concernés.

À l’opposé des situations de maltraitance, les situations de soin sont elles aussi abordées sous plusieurs angles. Deux contributions en font l’objet de leur étude. La première de ces contributions est proposée par Laureline Coulomb, qui nous offre un aperçu des conflictualités pouvant exister entre le personnel soignant des services d’accueil des urgences ou des maraudes médico-sociales, et les personnes sans-domicile nécessitant une prise en charge médicale ou sanitaire. Nous y découvrons la vulnérabilité conjointe (et pourtant très différente) des « sans-abris » et des soignants qui les prennent en charge, double vulnérabilité qui semble être un terreau propice aux conflits, dans une dynamique d’entrechoquement des fragilités.

La seconde contribution autour des questions de soin est celle de Marie Dos Santos qui nous expose combien la politique actuelle de lutte contre les toxicomanies peut être génératrice de situations conflictuelles, notamment dans le cadre des injonctions thérapeutiques destinées aux usagers de drogues dites « dures », qui se voient prescrire des produits de substitution en réponse à leur addiction. L’auteur y souligne la conflictualité entre individus d’une part, mais également entre idéologies et concepts d’autre part : prohibition contre soins, drogue illicite contre traitement de substitution médicalement accepté (et prescrit), « toxicomane » contre « patient ».

En réponse à ces situations de conflits, les individus peuvent développer des méthodes de négociation pour tenter de résoudre ou de surpasser ces tensions et malentendus. Cette question est abordée par Guillaume Plantard dans un article sur les jeunes diplômés bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). S’appuyant sur la notion de négociation développée par Anselm Strauss, il présente certaines stratégies développées par les acteurs de son étude, afin de surmonter les conflictualités et tensions identitaires engendrées par leur mode de vie et tout particulièrement leur affiliation au « revenu de solidarité active ».

Tout comme les situations de conflit, et de façon encore plus large et englobante, les situations de malentendus culturels sont également source de décalages et d’accrocs entre les individus qui s’y trouvent confrontés. Lorsque des individus issus de pays et de cultures différents se rencontrent, les situations de malentendus sont souvent inévitables. Un certain nombre d’exemples éloquents sont exposés dans l’étude proposée par Francesco Vigneri autour de la prise en charge de l’arrivée d’immigrants sur l’île de Lampedusa, étude qui illustre très clairement la mesure dans laquelle la confrontation entre deux types de normes ou de « langages culturels » peut être problématique et à la source de malentendus persistants si elle n’est appréhendée qu’au travers d’une grille de lecture unilatérale.

Ces cinq analyses, bien que fondées sur des cas de figure et des approches différents, éclairent cependant toutes à leur manière la fécondité des recherches portant sur les relations entre conflits et malentendus culturels. Il peut y avoir du conflit et du malentendu en chaque situation, en chaque individu, il suffit pour cela que deux subjectivités se rencontrent : chaque individu est unique, porteur d’un bagage historique et culturel propre, qui ne peut être compris par personne d’autre, et dont l’expression n’est ni universelle, ni même aisée. Au final, on ne comprend totalement que soi-même. La situation de vulnérabilité des acteurs présentés dans ce dossier, parce qu’elle accentue le déséquilibre inhérent à certaines relations interindividuelles, met tout particulièrement en exergue ces potentiels conflictualités et malentendus, pouvant surgir à chaque rencontre, à chaque interaction.

D’ailleurs, cette question du malentendu inhérent à la rencontre et à l’interaction se poursuit même dans une certaine mesure au-delà de ce dossier thématique, puisque les deux articles figurant en Varia font en quelque sorte écho à cette problématique. Nous évoquions le fait qu’il n’y a pas de malentendu sans rencontre préalable, et c’est en effet de ce constat que part l’étude d’Axel Nguema, autour des rencontres sportives et culturelles des jeux de la francophonie en Afrique. La réunion de différentes cultures, différentes pratiques et différents labels autour du dénominateur commun de la francophonie, y offre un véritable laboratoire d’observation de la confrontation et de la compétition entre des cultures et des pratiques divergentes, parfois même totalement incomparables, mais pourtant réunies du seul fait qu’elles arborent la même langue.

De façon également indirecte et alternative, Yuko Katsutani propose une approche du malentendu particulièrement originale, en analysant différentes méthodes de restauration effectuées successivement sur des fresques historiques. Nous y découvrons combien chaque action effectuée sur ces œuvres abîmées répond à une vision propre et spécifique de ce qui doit être sauvé, de ce qui doit être mis en lumière, ou de ce qui peut être recouvert, et peut de ce fait entrer en contradiction avec les conceptions et actions précédentes et suivantes.

Le malentendu se cache partout, dans des situations et sous des formes parfois inattendues ou imperceptibles, et force est de constater qu’il constitue une source intarissable de réflexions et d’analyses.

Citer cet article

Référence électronique

Valentine Gourinat, « Présentation », Strathèse [En ligne], 1 | 2015, mis en ligne le 01 janvier 2015, consulté le 29 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/strathese/index.php?id=155

Auteur

Valentine Gourinat

Doctorante en charge du projet STRATHÈSE et secrétaire de rédaction

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