Michel Foucault a été très controversé de son vivant. Après sa mort précoce, en 1984, il a connu une éclipse. Elle a été de courte durée, mais le regain d’intérêt est venu du monde anglophone. Trente ans après sa mort, il est revenu sur le devant de la scène en France et à l’étranger, à travers de nombreux ouvrages et colloques qui ont revisité son œuvre et tenté de faire le point sur son intérêt et son actualité. Sa consécration a été marquée en 2015 par son entrée dans la collection « La Pléiade ».
Dans ce contexte, des doctorants de l’école doctorale de l’université de Strasbourg, « Sciences humaines et sociales – Perspectives européennes », ont conçu un séminaire, Lire et Relire Foucault, qui s’est tenu en 2014 et 2015, pour favoriser une meilleure compréhension de son œuvre. Ce séminaire a été un parcours à travers divers concepts foucaldiens, notamment ceux de dispositif, biopouvoir et discipline. Une nouvelle génération de chercheurs en sciences humaines et sociales a questionné la pertinence de ces concepts : sont-ils féconds pour la recherche et applicables de façon transversale dans plusieurs domaines ?
Cinq contributions ont été sélectionnées pour constituer ce dossier qui s’inscrit ainsi dans un ensemble de publications collectives récentes invitant à relire Foucault (cf. sélection bibliographique infra). « Relire » signifie : lire autrement. Ces relectures proposent des interprétations de Foucault qui s’éloignent des visions réductrices et des malentendus dont il a été victime de son vivant : sur le plan scientifique, sa distance avec le structuralisme ambiant est aujourd’hui reconnue comme légitime et fondée ; sur le plan politique, il ne se réduit pas à un critique pessimiste, qui dénoncerait les excès de pouvoir et les dispositifs de contrôle social, sans proposer d’alternative. D’autres lectures sont possibles.
La vision du pouvoir chez Foucault s’éloigne de la conception classique d’un pouvoir détenu par les « classes dominantes » pour mettre en tutelle les « classes dominées ». Pour Foucault, il y a des « micro-pouvoirs » et ils se diffusent dans tout le corps social. Que ce soit dans la famille (entre hommes et femmes, entre parents et enfants ou entre enfants), à l’école, dans l’entreprise, à l’hôpital ou en prison, chacun exerce un pouvoir sur les autres et sur lui-même. Dans Surveiller et punir, Foucault a par exemple montré les alliances entre certains prisonniers et les surveillants pour « punir » d’autres prisonniers, plus faibles. Il ne nie pas l’existence de la domination, mais il en souligne la complexité.
Foucault est ainsi très critique à l’égard de ceux qui se font élire en dénonçant la « dictature » de leurs prédécesseurs, mais en s’empressant d’en créer une nouvelle. Il se méfie tout autant du pouvoir totalitaire des institutions (hôpital psychiatrique, prison, etc.) qui broient les individus récalcitrants. Il est un acteur distancié, certes, mais engagé dans la défense de causes spécifiques. Il a pris fait et cause pour la révolte des prisonniers de Nancy et de Toul au début des années 1970, il a soutenu plus discrètement les homosexuels en lutte pour leur reconnaissance, etc.
Pour en rester à Surveiller et punir, en analysant le célèbre Panopticon de Bentham, Foucault a montré comment le contrôle s’exerce à travers des dispositifs à la fois spatiaux et sociaux. Ils visent à la domestication et à la « normalisation » des pauvres et des marginaux, en jouant à la fois de « la carotte et du bâton ».
Foucault a été perçu comme un critique anarchisant, plaidant pour la disparition de tous les dispositifs de normalisation. On peut alors poser la question de la possibilité de dispositifs « vertueux », favorisant l’émancipation des plus faibles. Un exemple d’actualité serait la mise au point de dispositifs de « dé-radicalisation » de djihadistes voulant sortir de l’emprise de leur secte criminelle. Comme d’autres questions issues de la relecture de Foucault, celle-ci reste ouverte : serait-ce un élargissement du concept de Foucault ou une trahison de sa pensée, servant de caution intellectuelle à une gestion peu scrupuleuse ? Le contrôle panoptique, et tous les dispositifs qui y renvoient, s’autoproclament au service de la « bonne cause » : la guérison, la réinsertion, etc. Mais ces bonnes intentions n’en masquent-elles pas d’autres ? Ce dossier entend contribuer à ce débat.