Mairesse François, Le culte des musées

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Mairesse François, Le culte des musées, Académie royale de Belgique, 2014, 130 p.

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Dans cet ouvrage synthétique, François Mairesse, basant sa réflexion sur l’idée que les musées sont des établissements cultuels, s’interroge sur les similitudes observables entre la fréquentation des musées et celle des églises ou des temples. S’appropriant les méthodes anthropologiques, il s’attache à décrire le dispositif muséal et la pratique du musée, « comme pourrait le faire un ethnologue confronté à un culte et à ses rites » (2014 : 11).

Ses questionnements portent sur les liens que le musée entretient avec le religieux, puis sur la possibilité de l’existence d’une religion spécifique dont le musée serait le lieu de culte. Peut‑on déceler dans ce culte des musées une pratique liée à un système de croyances spécifique ?

Dans un premier chapitre, l’auteur précise les notions de culte, de religion, de liturgie et de rite. Il y évoque plusieurs aspects ‑ liés aux lieux, aux objets et aux participants ‑ du culte des musées. Cela lui permet d’avancer qu’un certain nombre d’éléments semble dépasser le cadre du rituel pour se rapprocher de la notion de culte.

François Mairesse réaffirme la place centrale des objets dans le dispositif cultuel et souligne l’une des caractéristiques principales : ces objets ne peuvent pas être manipulés par le public, des consignes précises sont données en ce sens et un dispositif de protection spécifique est mis en place autour d’eux pour les rendre « intouchables ». Seules certaines personnes, désignées par l’institution muséale (les officiants du culte), ont le droit de manipuler ces objets, selon un protocole bien défini.

L’auteur s’intéresse ensuite aux lieux où le culte est pratiqué et évoque leur répartition, non uniforme dans le monde, avant de proposer la description d’un espace de culte « type », puis des différentes formes que ces lieux peuvent prendre. Il établit ainsi des parallèles avec les fonctionnements de différents lieux de culte et les pratiques telles qu’elles s’y manifestent.

Le modèle occidental traditionnel du musée présente effectivement de nombreuses similitudes avec les autres lieux de culte, notamment en ce qui concerne la séparation entre le monde extérieur profane et l’espace intérieur sacré, marqué par un certain nombre d’interdits, de conventions et de normes comportementales.

Après avoir étudié les objets et les lieux, François Mairesse décrit l’institution elle‑même, ainsi que les officiants (conservateurs, directeurs, commissaires, muséologues), assistants (gestionnaires de collections, restaurateurs, médiateurs ou personnel d’accueil) et gardiens (personnel technique, agents de surveillance) du culte ; avant de décrire les pratiques des « fidèles ».

Dans un deuxième chapitre, proposant de décrire de manière plus précise les différents usages du culte ainsi que leur évolution, l’auteur s’intéresse aux principaux types de pratiques et de rituels – qui peuvent considérablement varier en fonction des lieux de culte et des pays – puis à l’ensemble de la liturgie contemporaine. Il distingue alors diverses manières de célébrer le culte, en fonction de différentes aires géographiques et culturelles, avant de souligner les similitudes rituelles qu’elles donnent à voir.

Détaillant l’évolution du culte à partir de son mobilier liturgique, il présente divers dispositifs de monstration des objets muséaux. La période la plus ancienne pouvant être définie comme le stade de l’objet (mis à disposition du visiteur, présenté pour lui‑même), à laquelle succède un stade du savoir (la présentation des idées qui sont évoquées à partir des objets étant cette fois privilégiée), avant que diverses évolutions ne mènent dans les années 1980 au stade du point de vue (caractérisé par une revendication de la subjectivité sur l’interprétation des objets présentés), puis, ces dernières années, au stade du passage (où le parcours ambulatoire est privilégié au détriment de la présentation des objets).

François Mairesse dénombre quatre types de rites particuliers : le rite de la visite d’exposition ; les rites auxiliaires (les visites guidées, ateliers, et consultations d’un objet non exposé) ; les rites réservés aux officiants (les rites d’accueil, de numérotation, de préservation et de restauration des objets) ; et les rites privés effectués par les collectionneurs qui ont construit des musées personnels. Il examine également le calendrier liturgique du culte.

Dans un troisième chapitre, l’auteur pose la question de quelle religion le musée constitue le culte. Selon François Mairesse, le culte muséal serait

largement fondé sur un mode processionnel devant des objets présentés aux fidèles, qui n’est pas sans rappeler des pratiques que l’on retrouve dans bon nombre de religions – à commencer par le culte des reliques, chez les catholiques, mais aussi à travers la méditation dans le péripate ou dans les cloîtres (2014 : 74).

Pour répondre à cette hypothèse, l’auteur procède à une analyse du discours muséal, à partir duquel il propose une description du système de croyances qui semble se dégager du fonctionnement même des musées. Rappelant qu’un culte implique une religion et repose sur un système de croyance, il évoque une mythologie des origines du musée, puis développe, autour de la notion de croyance en l’authenticité des objets présentés dans les musées, l’idée que « l’objet, lorsqu’il est extrait du monde profane pour entrer dans celui des musées, perd ses valeurs d’usage et d’échange pour ne conserver que celle de témoignage irréfutable de la réalité, condensé d’informations et de formes surgies du temps » (2014 : 80).

Il constate, par ailleurs, que le discours muséal s’attache à présenter des règles de conduite guidant l’humanité, le culte semblant s’appuyer sur un cadre de normes reflétant les principales valeurs de la société dans laquelle se situe le musée.

L’auteur propose alors d’observer la trajectoire du christianisme en regard de celle des musées et effectue une série de rapprochements entre ces deux cultes. Il met également en parallèle l’évolution du musée et celle de courants qui peuvent être comparés à des religions (la science, l’esthétique, le capitalisme ou certains régimes politiques), faisant néanmoins le constat que certains de leurs aspects spécifiques semblent éloignés du culte muséal ; un rapprochement direct ne serait donc pas pertinent.

Remarquant que l’histoire de la philosophie antique rencontre sans cesse celle de la religion et qu’elle se voit intimement liée à la constitution de musées comme lieux de discussion ou de méditation à partir du 15e siècle, François Mairesse s’interroge : « Le culte des musées, tel que nous le connaissons de nos jours, ne serait‑il pas la résultante la plus visible d’une religion mise en place par les États occidentaux et directement issue de la tradition philosophique gréco‑romaine ? » (2014 : 102). L’histoire du concept du musée croise effectivement incessamment depuis l’Antiquité celle de la philosophie.

Enfin, François Mairesse rappelle qu’en France, la Révolution et la chute de l’Ancien Régime marquent le coup d’envoi du développement et de l’institutionnalisation des musées, ainsi que d’une prise en charge de leur fonctionnement par les pouvoirs publics, instituant « une véritable religion qui ne cessera de se répandre à partir des débuts du 19e siècle à travers tous les États‑nations » (2014 : 111). Le musée ne pourrait‑il pas dès lors être définit comme « un lieu de culte d’une religion publique et polythéiste fondée sur la philosophie antique ? » (2014 : 113).

Concluant par le constat que toutes les religions ont une fin, l’auteur s’interroge finalement : « Qu’adviendra t‑il au culte des musées ? ».

References

Electronic reference

Anne Bessette, « Mairesse François, Le culte des musées », Strathèse [Online], 4 | 2016, Online since 01 septembre 2016, connection on 11 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/strathese/index.php?id=416

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Anne Bessette

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