FOAD (Formation Ouverte à Distance) et réseaux

  • ODL (Open and Distance Training) and Networks

DOI : 10.57086/strathese.640

Résumés

Les réseaux tissent des relations humaines. L’apparition de l’Internet a donné une nouvelle dimension à la société de l’information et de la communication. L’utilisation des réseaux informatiques, dans un cadre pédagogique d’enseignement ou de formation, permet de mailler l’accès aux connaissances et aux compétences. C’est le cas des formations ouvertes à distance (FOAD). Les outils qu’elles intègrent permettent-ils une meilleure communication entre les apprenants ? Sont-ils suffisants pour créer une communauté d’apprenants ? Cette contribution montre certaines facettes de ce qui se tisse dans le cadre de formations ouvertes et à distance et pose la question de l’utilisation des réseaux sociaux en formation à distance.

Networks weave human relationships. The advent of the Internet has given a new dimension to the information and communication society. The use of computer networks, in a pedagogical framework of education or training, makes it possible to mesh access to knowledge and skills. This is the case of Open and Distance Learning (ODL). Do the tools they integrate allow for better communication between learners? Are they sufficient to create a community of learners? This contribution shows some facets of what is being woven in the context of open and distance learning and raises the question of the use of social networks in distance learning.

Plan

Texte

Introduction

L’Internet est devenu au cours de sa croissance un allié de l’enseignement et de la formation. La tendance à voir le tout numérique devenir progressivement mais sûrement, comme dans le monde économique, la règle, semble aussi atteindre l’univers éducatif. La distance et les moments d’apprentissage deviennent flexibles, le présentiel est « enrichi », « amélioré », « allégé », « réduit » ou « quasi inexistant » selon l’emploi de la distance qui est faite à travers les médias dans l’enseignement supérieur1 (Haeuw, 2002). La classe inversée qui utilise les réseaux informatiques et la distance en amont de la formation en présentiel, et les Formations Ouvertes et À Distance (FOAD) qui tendent à promouvoir les regroupements, montrent que distance et présence ont désormais une tendance au rapprochement.

Les réseaux informatiques sur lesquels s’appuient les plateformes de formation à distance, qui sont censées rapprocher les apprenants, ne les isolent-ils pas au contraire ? Les outils mis à disposition dans les formations ouvertes à distance permettent-ils une meilleure communication entre les maillons du réseau et notamment entre les apprenants ? Leur mise en réseau est-elle suffisante pour créer une communauté d’apprenants ? Cette contribution tente de répondre à ces questions en montrant quelques facettes du concept de réseau dans le cadre d’une FOAD.

J’ai choisi un terrain d’investigation dans le domaine de la santé, à savoir une formation diplômante d’Auxiliaire de Puériculture (AP) à l’IFRASS (Institut de Formation Recherche Animation Sanitaire et Social) de Toulouse. Ce choix m’a amené à réaliser une analyse de l’existant pour m’imprégner du dispositif de formation à distance utilisé et déceler les « ingrédients actifs de l’apprentissage » (Clark, Marquet et Dessus, 2009), c’est-à-dire les éléments du dispositif contribuant à la réussite de l’apprenant. Après l’analyse de cet existant, le cadre théorique sera défini, puis la méthodologie utilisée avant de présenter l’analyse des interviews et leur interprétation.

L’analyse de l’existant : le réseau informatique de l’IFRASS

Le réseau des réseaux, l’Internet est au cœur de ce réseau (fig. 1). Il donne accès aux serveurs externes à l’institution, hébergés par un provider et dédiés pour l’un aux inscriptions des candidats aux formations, pour un autre à la conception des ressources en ligne (avec les logiciels Scenari et Opale) et pour un autre à la plateforme de formation Moodle, au logiciel de traitement d’enquête LimeSurvey et à quelques tutoriels.

Fig. 1 : Le réseau informatique de l’IFRASS.

Fig. 1 : Le réseau informatique de l’IFRASS.

Auteur : Pascal Hutter, responsable informatique et multimédia de l’IFRASS.

Un réseau interne constitué d’un serveur permet la gestion administrative et pédagogique des formations, avec les logiciels Ypareo et Genepi, et de quatre autres pour gérer la messagerie, la comptabilité (logiciel Sage), la gestion documentaire et assurer la sécurité du système. À ce réseau administratif sont greffés une soixantaine de postes clients pour les utilisateurs.

Un autre réseau interne, le réseau étudiant, est composé de 12 postes (salle informatique), de 5 bornes WI-FI, de 9 postes de consultation au centre de documentation, d’une connexion de Visioconférence et d’un portail captif « Alcasar » pour authentifier, contrôler et tracer les connexions, tout en sécurisant les consultations (listes blanches et noires d’adresses URL).

Chacun des réseaux internes est équipé d’un routeur pour l’accès à l’Internet.

Les étudiants en FOAD, mais aussi les utilisateurs internes, accèdent aux plateformes Ypareo (pour les emplois du temps) et Moodle (pour les cours) avec leur navigateur.

Ce réseau, lieu de transmission, de passage et d’échanges d’information filtre les accès aux utilisateurs authentifiés en permettant la production de connaissances et de scénarios d’apprentissages à l’usage des étudiants à distance.

Quelle FOAD à l’IFRASS ?

Côté formation, les ingrédients actifs composant la FOAD pratiquée à l’IFRASS se basent sur les principes du socioconstructivisme. L’utilisation de Moodle y contribue avec une architecture faite de ressources qui jonchent de façon régulière les activités elles-mêmes regroupées dans des modules.

L’apprentissage est centré sur l’étudiant et les interactions sont favorisées par les activités principales suivantes :

  • Les forums
  • La création de wikis
  • Les classes virtuelles
  • L’évaluation par les pairs
  • Des tests et devoirs à déposer

Un enseignement guidé avec un accompagnement proactif favorise les échanges et des évaluations fréquentes permettent la régulation du dispositif.

Le rôle du tuteur en ligne, passeur de compétences, est primordial pour dynamiser les échanges et faciliter l’apprentissage et le suivi des étudiants pour qui un effort journalier évalué entre 6 et 7 heures est nécessaire pour atteindre les objectifs du programme.

En outre l’alternance avec les formations pratiques, les stages et l’analyse des pratiques permet de valoriser le conflit sociocognitif et la métacognition.

Côté conception les ingrédients actifs se basent également sur les principes du socioconstructivisme, avec :

  • Des outils facilitateurs :
    • La plate-forme de formation Moodle permettant la création des activités et le suivi des traces laissées par les apprenants sur leur façon de réaliser leurs activités et leurs résultats.
    • Un logiciel facilitant la création de ressources (OPALE)
  • Une équipe composée de :
    • Formateurs, concepteurs de cours et/ou tuteurs
    • Un informaticien
    • Un responsable FOAD, dédié au management de la conception

La politique de l’établissement, sensible au principe d’efficience, a été celle de s’affranchir progressivement des prestataires externes utiles au départ de la construction de la formation, pour la présenter dans les temps prévus. Un an a été nécessaire à cette co-construction bâtie elle aussi sur des principes similaires au socioconstructivisme. Les évaluations faites régulièrement auprès des étudiants permettent l’amélioration constante du dispositif.

Cadre théorique

Pour répondre aux questions posées au préalable, la recherche apporte quelques pistes solides sur la notion de FOAD, l’évaluation et les typologies.

L’usage des technologies dans le monde éducatif permet de diffuser de l’information à moindre coût et de gérer des Formations À Distance sans regroupement (FAD) ou avec des moments en présentiel (FOAD). Ces formations permettent plus d’équité, quant à leur accès, pour les personnes qui en sont privées pour des contraintes de temps, de distance ou organisationnelles.

Mais les dispositifs de FOAD doivent être évalués pour s’assurer de leur efficacité et pouvoir éventuellement être améliorés (Collectif de Chasseneuil, 2001 ; Glikman, 2002 ; Karsenti, 2003).

La recherche récente analyse plutôt comme indicateurs d’efficacité en soi les « ingrédients actifs » de la formation, facilitateurs ou passeurs d’apprentissage, que le « véhicule de livraison », en s’interrogeant plus sur ce qui associe les acteurs de la formation aux objets et médias numériques, que sur ces derniers (Clark et al., 2009). Cette démarche implique une évaluation permanente (Clark, 2009).

Si le concept d’évaluation est clairement convoqué dans cette contribution, ceux issus des théories constructivistes (Piaget, Vygotsky) permettant la construction de savoirs sont en filigrane. Celui de pédagogie différenciée générateur de conflits sociocognitifs est à l’œuvre dans cette expérience, sous l’œil d’un tutorat proactif : « piklérien », en référence à la théorie de l’attachement de Bowlby. Cet accompagnement donne l’occasion de révéler les concepts qui constituent la finalité de l’apprentissage : l’autonomie et les compétences. Les liens entre ces deux concepts clés de l’apprentissage sont repris au cours de l’exposé de la méthodologie dont il est maintenant question.

Méthodologie

Entretiens

J’ai mené des entretiens semi-directifs auprès des acteurs de la FOAD (apprenants, formateurs, informaticiens, cadres administratifs et pédagogiques). Ils m’ont permis de déceler les « ingrédients actifs » de ce dispositif. Ils ont été enregistrés et retranscrits par la suite, puis traités avec le logiciel TROPES qui s’appuie sur les techniques de l’Analyse Propositionnelle de Discours (APD) et de l’Analyse Cognito Discursive (ACD) (Molette, 2009).

Les ingrédients actifs des FOAD

L’efficacité d’une FOAD se mesure d’abord par la conformité des résultats attendus en fonction des objectifs de départ (résultats aux examens, maintien dans la formation, acquisition de compétences), mais aussi au travers d’évaluations fréquentes par l’adéquation entre l’accompagnement pédagogique et le degré d’autonomie de l’utilisateur, un soutien logistique, un suivi de l’engagement pris lors de la contractualisation des objectifs visant des apprentissages individualisés permettant la socialisation, la métacognition et le transfert des acquis (Collectif de Chasseneuil, 2001), auxquels s’ajoutent des ressources diversifiées, le tout guidé par des principes éthiques (Karsenti, 2003).

En m’inspirant de cette littérature et de celle issue du campus numérique FORSE (Wallet, 2007) ou de typologies décrivant ces dispositifs (Burton et al., 2011), j’ai dégagé un concept de « FOAD efficace », avec ses diverses dimensions ou variables, elles-mêmes réparties en indicateurs des principaux ingrédients facilitateurs de l’apprentissage et/ou de l’acquisition des compétences visées par la formation sous forme de variables en relation entre elles.

L’interaction entre les ressources et activités du dispositif et les utilisateurs (tuteur en ligne et apprenants) facilitée par l’accompagnement (tuteur et pairs apprenants) favorise, améliore ou génère l’autonomie de l’apprenant et ses compétences. Ce réseau est le lieu de « passage » des apprentissages et des compétences.

Zarifian ne rappelle-t-il pas que dans le cadre du travail, « l’autonomie est la condition de l’exercice de la compétence, bien qu’elle n’en constitue pas le contenu » (Zarifian, 2009 : 164). Pour cet auteur la compétence est certes plutôt axée sur la capacité d’initiative, mais celle-ci ne peut s’exercer « que dans le cadre d’une autonomie possédée par le sujet de l’action » (ibid.). Pour Perrenoud, les rapports entre autonomie et compétences vont dans les deux sens, ce qui lui permet aussi de définir deux types de compétences : celles reconnues par les autres et qui laissent le sujet agir de façon autonome dans son domaine de prédilection et celles « stratégiques », psychosociales, pour élargir son champ d’initiatives et d’autonomie (Perrenoud, 2002). Cet auteur avait déjà identifié huit compétences contribuant à la construction de l’autonomie2 (Perrenoud 1999, 2002), des compétences à la fois personnelles, de connaissance de soi, d’analyse et d’organisation, mais surtout sociales, pour coopérer, conduire des projets collectifs, gérer les conflits, les règles et l’interculturalité.

L’autonomie c’est aussi l’ouverture vers l’intelligibilité de la compétence (Albero et Nagels, 2011), sa réflexivité.

Les ingrédients qui caractérisent l’accompagnement par la qualité et la diversité des ressources et la facilitation de leur emploi par et pour les acteurs évaluateurs (régulateurs) constant du dispositif, montrent dans la pratique qu’il n’y aurait pas d’un côté des ressources, des médias et de l’autre des utilisateurs, qui doivent être autonomes pour apprendre, mais que leur imbrication est nécessaire pour que le système, le dispositif fonctionne et réalise son œuvre, à savoir : servir l’efficacité de l’apprentissage.

Je trace ci-après (fig. 2) de façon synthétique, comme un réseau, en m’appuyant sur la méthode Merise3 (Matheron, Daumard, et Tardieu, 1994), méthode qui s’appuie sur l’analyse systémique et utilisée pour modéliser les systèmes d’information, le schéma de cette FOAD et les relations qui lient les entités.

Fig. 2.

Fig. 2.

Auteur : Jean-François Plateau.

Les ressources, activités et modules constituent des variables indépendantes, composantes du dispositif FOAD, au même titre que l’évaluation et l’accompagnement. Ces deux variables sont toutefois attachées aux propriétés des relations entre les diverses entités en présence dans le système (apprenants, productions, tuteurs). La combinaison, l’interaction de ces variables vont influencer le degré d’autonomie permettant de développer celui de l’acquisition des compétences et vice-versa (fig. 2).

Analyse et interprétation des résultats

Les entretiens ont montré que malgré la distance, les étudiants tissaient des liens forts, les éloignant du cliché de la « solitude » qu’on associe souvent à ce type de formation. Les compétences auxquelles ils se réfèrent sont plutôt celles acquises grâce à ce positionnement, à savoir, la gestion du temps, l’organisation, composantes également de l’autonomie à laquelle elles font référence. La co-construction des savoirs y a sa place, fortement impulsée par un accompagnement proactif du tuteur en ligne favorisant chez l’apprenant sa réflexivité, sa confiance en soi et des résultats à l’écrit plus performants. Les entretiens ont aussi montré le rôle des réseaux sociaux dans leur formation.

L’accompagnement pour construire l’autonomie

Thérèse Thouroude, tutrice dans le dispositif FORSE4, et maître de conférences précise en référence à Winnicott :

« L’autonomie passe par l’intériorisation des aides apportées. C’est là un paradoxe de l’autonomie, qui n’existe qu’à la condition que des liens suffisamment solides se créent entre les parties amenées ensuite à se séparer. C’est l’intériorisation des liens qui mène à ce que l’on appelle l’autonomie. » (Thouroude, 2007 : 39)

Pas d’autonomie sans que des liens ne se soient créés, au travers d’un accompagnement pédagogique, ce qui peut détruire l’idée ou la croyance qu’il faut être autonome pour apprendre à distance.

La responsable de formation des AP indique à ce propos que si le niveau d’entrée des étudiantes est équivalent selon le dispositif (présentiels ou FOAD), l’autonomie et la motivation comptent sans doute pour ce qui est du choix de la FOAD, mais force est de constater que pour la première promotion rentrée en septembre 2014, 5 étudiantes sur 15 n’avaient pas choisi cette voie. Elles ont été sollicitées par rapport à leur éloignement géographique, parmi les étudiantes ayant choisi le présentiel, sinon sur la liste d’attente et toutes ont réussi.

En fait, l’accompagnement est un facteur clé de la réussite des FOAD, comme en témoigne l’accompagnatrice à distance des AP qui se dit « très imprégnée de la pédagogie piklérienne » en faisant « du lien avec la FOAD, parce que c’est accueillir l’élève là où elle en est, en fonction de ses expériences antérieures ». Pour elle, « le tutorat à distance ce n’est pas distribuer du savoir, c’est accompagner et ouvrir les portes pour faciliter le chemin ». Un lieu de passage donc.

À cette démarche de prise en compte de la personne et de son vécu, s’ajoute celle de formuler les paroles de façon positive et de « faire appel le plus possible à la posture réflexive ». Si la tutrice en ligne est consciente de l’impact produit par la proactivité de son accompagnement, les étudiantes en parlent de la même façon s’étant senties « énormément entourées, énormément suivies » en décrivant parfois un « soutien même moral ».

D’autres effets font suite à cet accompagnement.

L’autonomie pour s’organiser

Ainsi, l’aide à la gestion du temps est une fonction importante de la tutrice en ligne :

« J’interviens aussi beaucoup sur l’aspect organisationnel, parce que là encore bien souvent ces élèves n’ont pas l’expérience du travail à distance et il me semble que l’organisation du temps de travail, devant l’écran, est une chose qu’il faut absolument anticiper pour pouvoir réussir. On ne peut pas passer 7 heures devant l’écran comme on passe 7 heures en classe par exemple. »

C’est aussi l’avis de la Directrice des formations de la santé ; elle pense que l’autonomie et l’organisation de leur travail sont des compétences acquises particulièrement par les étudiantes inscrites en FOAD.

C’est ce qu’affirme aussi une étudiante en ajoutant aux compétences acquises par la FOAD la notion de rigueur à celle d’autonomie et d’organisation :

« L’autonomie, parce qu’on est seul devant l’ordinateur pour s’organiser […]. La rigueur aussi parce qu’on est seul, sa journée devant soi, avec les cours à faire et on s’organise comme on veut… et du coup ça impose une rigueur pour justement ne pas se faire dépasser… »

Une autre précise que « l’autonomie, ce n’est pas la solitude » en vantant « l’intérêt justement de tisser des liens et de ne pas hésiter à parler aux formateurs ».

La confiance en soi comme résultante de la formation à distance et de l’accompagnement

Elle dira un peu plus tard pour ce qui est des compétences acquises que l’organisation et la gestion de ses pensées, comme celle de son temps ont été facilitées par ce travail à distance, comme la confiance en soi, mais celle-là plus induite par l’aide de la tutrice en ligne pour cette mise en confiance.

Cette confiance en soi est importante « ne serait-ce que la communication avec les familles », confie-t-elle, car « il faut quand même un certain aplomb et une certaine confiance en soi […] pour transmettre des informations et parler de sujets délicats avec les parents, vaut mieux être sûre de soi ».

L’apport du groupe

La dynamique de groupe au travers de ce réseau d’apprenant est aussi un moteur important. Une étudiante m’a dit à ce propos :

Quand on s’est connues et quand on se voit maintenant, je trouve qu’on a toutes beaucoup changé. […] Je pense qu’il y avait quand même une sacrée dynamique de groupe, […] on s’est peut-être un peu forcées, entre guillemets, à se connaître un peu plus que les autres qui sont dans des formations présentielles. Et le fait de se connaître, et de partager la même chose et d’être face aux mêmes difficultés, on s’est peut-être beaucoup plus ouvertes et on s’est plus soutenues…

Après la formation, elles sont restées en contact, de façon collective au travers d’un autre réseau, Facebook (13 sur les 15 d’après cette même étudiante) et il semblerait que de petits noyaux de proximité géographique et d’affinité continuent de se voir.

Le réseau pédagogique avec ses forums et ses activités collaboratives n’est donc pas le seul lieu d’échange des apprenants ; ils investissent aussi les réseaux sociaux, en l’occurrence Facebook, mais pas comme tout le monde le souhaiterait…

FOAD et réseaux sociaux

L’utilisation d’une plate-forme de formation peut induire des difficultés. Ainsi, suivre un forum peut générer des problèmes, comme la non-satisfaction induite par les messages envoyés en différés et un certain manque d’ergonomie que les étudiants ne retrouvent pas dans des outils comme Facebook, plébiscités pour l’instantanéité d’envoi des messages rédigés et leur facilité d’utilisation. La non-satisfaction procurée par le forum de Moodle est la résultante d’un conflit instrumental (Marquet, 2011) qui incite les étudiantes à se détourner en partie de l’outil prévu par l’institution et d’instrumentaliser (Rabardel, 1995) Facebook pour d’autres finalités que celles qui lui sont habituellement assignées. Si la première promotion FOAD (2014-2015) a utilisé le groupe Facebook en fin de cursus de façon à conserver les contacts après formation, l’usage plus régulier de Facebook par la promotion de 2015-2016, dès le début de formation a fait chuter l’utilisation des forums par les étudiants de 45 %5, et par voie de conséquence celle des formateurs de 15 %.

Certaines étudiantes expliquent que lorsqu’elles ont un « souci » elles se consultent d’abord sur le groupe qu’elles ont créé sur Facebook, pour savoir si la difficulté concerne tout le monde « pour voir un peu si on peut le résoudre de suite ou si quand on voit que c’est toute la classe qui a certains problèmes on va sur Moodle pour confirmer le problème ».

Les étudiantes ne se sont pas trompées sur la flexibilité de l’outil et se sont organisées pour détourner de son usage initial l’objet de communication pas forcément conçu pour la formation et s’en sont très bien accommodées. Le conflit instrumental issu en partie du manque d’ergonomie des forums, est à l’origine d’une certaine confusion. En effet, ces « dissonances dispositives » (Ciussi, 2007), c’est-à-dire ces moyens de communication hors du cadre pédagogique, ne sont pas toujours analysées de la même façon par l’équipe pédagogique. Leur tutrice estime que « c’est très bien de pouvoir discuter ailleurs, mais… de fait, il y a des choses qui ne me revenaient pas et qui ne revenaient pas à l’ensemble du groupe ».

Pour d’autres membres de l’équipe pédagogique, les discussions sur Facebook « échappent complètement au contrôle du formateur », sont sans modérateur, et dans cette « unité parallèle (…), on ne sait pas pourquoi, on peut penser qu’elles ont peur d’un regard scrutateur de l’extérieur ». Une autre personne pense « qu’il y a aussi beaucoup d’affectif et de choses qui doivent se dire, et sûrement – je ne suis pas dupe – sur nous aussi ». Pour d’autres encore, cette initiative paraît naturelle ou n’attire pas de commentaires sinon l’idée « qu’il faut les laisser échapper à l’institution […] » car « c’est leur choix, c’est leur mode d’organisation » ou encore celle qui remarque que c’est naturel de se retrouver une fois s’être vues suite au premier regroupement. L’ingénieur pédagogique, responsable de la FOAD, pense qu’il serait utile d’étudier la faisabilité d’effectuer des travaux pédagogiques par l’intermédiaire de Facebook, comme cela se fait dans d’autres centres de formation. « Mais là, dit-il, à l’heure actuelle les étudiants se créent un groupe privé par rapport à une filière donnée et ils échangent par rapport aux activités qu’on leur demande de faire en ligne… »

Conclusion

Cette étude montre l’impact positif d’un dispositif FOAD tant au niveau des connaissances à acquérir en formation que des compétences à mobiliser sur le terrain professionnel, ou de façon transversale comme les compétences métacognitives et comportementales. L’étude montre aussi l’importance de l’accompagnement proactif comme « ingrédient actif » majeur, ainsi qu’un enseignement guidé (Kirschner, Sweller et Clark, 2006) par des repères médiatisés mais aussi humains.

L’étude ne montre pas ici, mais laisse supposer aussi que les compétences pédagogiques des concepteurs et/ou des accompagnateurs sont favorisées dans ce cadre par la formalisation des cours et/ou la communication soutenue des acteurs en présence, moteur de la réciprocité éducative. En outre, les traces laissées dans le système sont de précieux indices, utiles à l’évaluation des formations et leur perfectionnement.

Les apprenants ont montré aussi leur agilité et adaptabilité pour communiquer entre eux au sujet de la formation à travers un outil leur semblant plus adéquat que les forums, issu de leur quotidien, comme Facebook. Leur communauté d’apprenants s’étend au-delà de celle créée par le dispositif FOAD.

L’enseignement supérieur voit les réseaux sociaux, comme l’enseignement autre qu’en présentiel, « comme des palliatifs plutôt que des compléments ou des enrichissements à hybrider avec l’enseignement classique » (Albero, 2011 : 20). Cette réflexion vaut aussi, je pense, pour l’enseignement et la formation en général.

Pourtant, des expériences montrent que Facebook peut être utilisé à des fins pédagogiques dans le domaine médical, l’outil répondant justement à l’utilisation que les étudiants en font dans leur vie courante. Cela évite ainsi de passer par la lourdeur de plateformes nécessitant un service informatique et une formation gourmande en temps pour en faciliter l’usage sans pour autant être toujours interactives. Ces expériences faites avec le concours ou non d’un enseignant, ayant pour but des révisions, des soutiens, des communications à distance, des débats sur divers sujets, des apprentissages par problèmes, l’intervention d’experts extérieurs à l’université ont connu des succès sans pour autant apporter une preuve sur l’amélioration des compétences induites par ce biais (Maisonneuve, Rougerie et Chambe, 2015). Ces auteurs qui ont scruté la littérature à ce sujet, estiment que globalement l’évaluation des expériences est difficile à réaliser et qu’une maîtrise des fonctionnalités avancées de Facebook est nécessaire pour le rendre opérationnel d’un point de vue pédagogique. Ils pensent aussi que le modèle pédagogique d’enseignement basé sur les TICE de Lebrun, avec ses trois éléments (informations, activités et productions) mus par la motivation et l’interaction des apprenants, est « adapté à la construction d’un dispositif pédagogique à l’aide de Facebook » capable d’intégrer la plupart des ressources utilisées avec les TICE (Maisonneuve et al., 2015 : 73). En fait aussi innovant soit le support, c’est bien la pédagogie, ou la façon dont ces supports sont utilisés dans leur relation avec le formateur et l’apprenant qui rend l’apprentissage efficace… ou pas…

Bibliographie

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Notes

1 Les termes associés au présentiel sont ceux utilisés par « Competice » en 2002. Competice : http://eduscol.education.fr/bd/competice/superieur/competice/index.php Retour au texte

2 Il s’agit de : « 1. Savoir identifier, évaluer et faire valoir ses ressources, ses droits, ses limites et ses besoins. 2. Savoir, individuellement ou en groupe, former et conduire des projets, développer des stratégies. 3. Savoir analyser des situations, des relations, des champs de force de façon systémique. 4. Savoir coopérer, agir en synergie, participer à un collectif, partager un leadership. 5. Savoir construire et animer des organisations et des systèmes d’action collective de type démocratique. 6. Savoir gérer et dépasser les conflits. 7. Savoir jouer avec les règles, s’en servir, en élaborer. 8. Savoir construire des ordres négociés par-delà les différences culturelles » (Perrenoud, 2002). Retour au texte

3 Celle-ci a été inventée par René Colletti, Arnold Rochfeld et Hubert Tardieu qui se sont inspirés du « modèle relationnel » de Edgar Frank Codd (1970). Retour au texte

4 Campus numérique FORSE (Formation et Ressources en Sciences de l’Éducation) consultable à l’adresse : http://www.sciencedu.org/index.asp Retour au texte

5 Ces chiffres sont calculés à partir du nombre de messages émis sur les forums. Retour au texte

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Citer cet article

Référence électronique

Jean-François Plateau, « FOAD (Formation Ouverte à Distance) et réseaux », Strathèse [En ligne], 8 | 2018, mis en ligne le 01 septembre 2018, consulté le 11 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/strathese/index.php?id=640

Auteur

Jean-François Plateau

Docteur en Sciences de l’éducation, université d’Haute Alsace, LISEC EA2310

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