« Notre corps change au gré de nos expériences et tout au long de notre histoire. Qu’ils soient subis ou volontaires, ces changements peuvent s’associer à une évolution identitaire, et engager un réajustement des équilibres entre l’individu et son entourage »1. Ces dernières années, l’attention des chercheurs aux actions de modifications des corps a pris de plus en plus d’importance, ce dont témoigne ce sixième numéro de Strathèse.
Ce numéro s’ouvre sur la contribution d’Imen Mrad, doctorante en sciences et pratiques des arts, qui pose la question de l’utilisation du corps de l’artiste comme matériau principal de son œuvre. À partir du cas de Cindy Sherman, à la fois photographe et modèle, l’auteure montre comment l’artiste, en transformant son apparence pour se mettre en scène dans ses séries photographiques, a pour objectif d’interroger le pouvoir des images stéréotypées véhiculées par les médias, en accentuant particulièrement les stéréotypes associés au féminin.
Dans la continuité de la thématique du corps genré, Cécilia Calheiros, doctorante en sociologie, propose un article sur l’idéalisation des corps augmentés féminins au sein du transhumanisme. Elle étudie les représentations iconographiques et discursives véhiculées par les transhumanistes, qui prônent le dépassement des limites biologiques, et met en évidence le caractère genré des fonctions des corps modifiés : l’amélioration des corps masculins repose essentiellement sur la mécanisation du corps, alors que la problématique d’amélioration des corps féminins, principalement représentés sous la forme d’un robot anthropomorphe hyper-sexualisé, concerne l’humanisation de la technique par l’introduction d’une conscience.
En mettant en perspective les analyses sociologiques étudiant les pratiques esthétiques dans la perspective unique d’accumulation de capital, la contribution de Marion Braizaz, docteure en sociologie, construit l’apparence comme une expérience réflexive de l’individu. À partir de son enquête qualitative réalisée en 2013‑2014 auprès de 60 personnes, l’auteure met en lumière la complexité nouvelle à laquelle sont confrontés les individus, tiraillés entre les conceptions normatives associées à la corporéité (le genre par exemple) et l’injonction sociale à faire de son corps un outil d’expression identitaire.
Les deux articles suivants mettent en valeur une autre problématique des corps modifiés, liée cette fois-ci à la maladie. Chiara Moretti, doctorante en anthropologie, procède à une analyse ethnographique de la fibromyalgie, cherchant à mettre en avant l’expérience vécue des personnes, afin de faire ressortir les significations que prend la maladie pour la personne souffrante. L’auteure décrit les différentes phases de transformations du corps du patient. D’abord ressenti comme anormal et étranger, son corps permet ensuite au patient de se réapproprier une subjectivité et d’entamer un processus d’auto-guérison.
Ensuite, Silvia Rossi, docteure en études italiennes, pose la question des modalités d’appréhension de l’expérience de la maladie dans des ouvrages d’écrivains atteints du cancer. L’analyse des représentations et des appellations de la maladie, de l’intrus à l’ami, permettent de faire un pas de côté par rapport à la représentation dominante du cancer-ennemi et finalement, d’identifier comment le cancer est intégré, via la narration, dans le parcours de vie de la personne malade jusqu’à faire émerger le rôle que ces écritures jouent dans la modification de la représentation du cancer dans la société.
Enfin, l’article de Cintia Tosta, doctorante en Arts plastiques et musicologie, vient clore la partie thématique de ce numéro par là où il avait commencé : le corps en tant qu’objet de la pensée artistique, et plus particulièrement ici, de l’art éphémère. C’est la performance d’Esther Ferrer, Le chemin se fait en marchant (2000‑2015) qui sert ici de terrain à une réflexion sur le corps dans l’art éphémère : un corps visible et physique, également un « corps‑frontière », qui apparaît et disparaît en fonction de l’interaction et du déplacement dans l’espace de l’artiste et du public.
Dans la rubrique Varia, Chafik Ayoub, docteur en sciences de l’information, de la communication et de la documentation, parachève ce numéro de Strathèse avec une réflexion sur l’identité sémantique de l’État et des libertés en Égypte. Plus précisément, ce sont les outils sémantiques au service de l’idéologie dictatoriale de la politique de Nasser qui se trouvent interrogés, et permettent d’expliciter les connexions idéologiques et sémantiques entre espace politique et médiatique.