Dans une enquête de terrain questionnant la thématique de l’action collective en faveur des langues régionales et minoritaires1, l’investissement des espaces de sociabilité formés et mis à disposition par les groupes de locuteurs constitue une démarche de première nécessité pour le chercheur. La fréquentation de ces différents espaces et la comparaison de leurs fonctions sociales permet ainsi de recueillir des informations que les temporalités de l’entretien semi-directif ou de l’observation participante n’autorisent pas, de nouer des relations avec ses enquêtés, ainsi que de trouver — et de savoir adapter — son positionnement de recherche sur le(s) terrain(s) de l’enquête.
Dans cette démarche de questionnement autour des espaces d’« engagement culturel »2 (Herzfeld, 1997), notre article compare le rôle politisateur des espaces de sociabilité investis par les militants des langues régionales et minoritaires dans les régions de Bretagne (France) et de Lusace (Allemagne). Nous entendons par espaces de sociabilité les lieux spatiaux et temporels où se rencontrent les défenseurs des langues bretonne, gallèse, haute-sorabe et basse-sorabe, que ces lieux soient formellement militants, semi-formels, ou informels, où « la séparation entre les temps quotidien et politique […] n’est pas aussi brutale que cela » (Perrot, 1974 in Offerlé, 2008 : 197). Nous défendons avec la politiste étatsunienne Nina Eliasoph l’idée selon laquelle, au-delà des groupes organisés partisans, syndicaux ou associatifs, l’espace public inclut « toutes les formes non organisées de vie publique relevant des relations de sociabilité, du jeu, de l’esthétique, qui se déroulent dans les cafés, les bars, les salons de lecture, et même les équipes de foot » (Eliasoph, 2010 : 20). La « politisation » et la « dépolitisation » seront ainsi entendues comme des « processus d’insertion ou, au contraire, de désengagement, d’éloignement de certains acteurs, comportements ou objets par rapport au champ de la politique institutionnelle et plus largement par rapport à l’univers perçu et construit comme spécifiquement « politique » par les acteurs sociaux » (Arnaud, Guionnet, 2005 : 14-15).
Si la sociologie des mobilisations s’est penchée sur les effets sociaux de ce type d’espaces, les regional studies se sont davantage focalisées sur les phénomènes régionalistes et nationalistes à l’échelle macrologique. C’est au croisement de ces deux perspectives, en adoptant une démarche de sociologie politique attentive aux espaces et aux trajectoires, que nous souhaitons nous situer. En ouvrant la boîte noire des espaces de sociabilité de langues régionales et minoritaires en tant que communautés de pratique (Wenger et al., 2002) et de discours (Eliasoph, 2010), nous proposons de travailler la tension entre leur rôle potentiel d’antichambre de mouvements sociaux linguistiques nationalitaires et leur caractère parfois isolé, « close to home », cultivant « l’évitement du politique » (Eliasoph, 2010 : 18). L’adjectif « nationalitaire » (néologisme formé de la contraction entre « nationalisme » et « minoritaire ») sera préféré à ceux de « nationaliste » ou « régionaliste », en raison de leur prétention à dire si les territoires où naissent ces mouvements constituent des nations ou des régions (Kernalegenn, 2005).
Dans chacun des cas étudiés, les acteurs décident de s’engager en faveur de langues dont la valeur au sein du marché linguistique est faible. En effet, à partir du dix-neuvième siècle, en Europe, la langue d’État devient la « norme théorique à laquelle toutes les pratiques linguistiques sont objectivement mesurées » (Bourdieu, 2001 : 71). Ainsi, tous les locuteurs des langues régionales et minoritaires interrogés parlent également la langue majoritaire de leur État, soit le français et l’allemand. Si les locuteurs rencontrés dans le cadre de cette enquête n’ont plus besoin, pour leur communication immédiate, de maîtriser le gallo, le breton, le haut-sorabe ou le bas-sorabe, ce sont alors des enjeux symboliques qui sont à l’œuvre dans l’utilisation de ces langues post-vernaculaires (Shandler, 2006), où le niveau de sens secondaire (symbolique) prend le pas sur le niveau premier (fonctionnel). À partir de ce constat, nous pouvons supposer que la pratique d’une langue régionale ou minoritaire participe déjà d’une démarche d’engagement identitaire. Cette dernière ne débouche cependant pas forcément sur le même degré, ni sur les mêmes modalités d’engagement politique selon les cas, allant de l’apolitisme revendiqué à la formulation de revendications indépendantistes. Nous considérerons les mouvements sociaux comme un type d’action collective concertée en faveur d’une cause impliquant l’identification d’un adversaire (Neveu, 2011), et l’évitement du politique comme une absence de montée en généralité, une évaporation de toute référence à « l’esprit public » (Eliasoph, 2010 : 20).
Il convient ainsi d’étudier les conditions de production de formes plus ou moins politisées d’action collective au sein de ces espaces de maintenance de l’engagement au sens de commitment (Moss Kanter, 1972). Ce faisant, nous axerons la focale sur le processus d’enquête, la comparaison réalisée, et veillerons à ne pas détacher les résultats de cette recherche de la construction per se du travail de terrain.
Les quatre cas choisis pour la comparaison permettent d’explorer la diversité de position des espaces de sociabilité sur un continuum de politisation. En effet, les espaces investis par les militants du breton, du gallo, du haut-sorabe et du bas-sorabe ne recouvrent pas nécessairement les mêmes fonctions.
En Bretagne, les locuteurs du breton sont estimés à 207 000 et les locuteurs du gallo à 191 0003, sur une population totale de 3,329 millions. Les deux communautés de langues régionales disposent d’institutions publiques et semi-publiques en lien avec le champ politique, bien que le gallo bénéficie d’une visibilité moindre par rapport à la langue bretonne, institutionnalisée depuis plus longtemps, et investie davantage par les acteurs partisans. Par ailleurs, les militants du gallo tendent à valoriser davantage un répertoire culturel issu de la tradition, notamment des pratiques rurales de Haute-Bretagne. La Lusace, quant à elle, ne dispose pas d’existence officielle. Région avant tout culturelle et historique, elle est divisée entre les Länder de Saxe et de Brandebourg et abrite deux minorités linguistiques, les Hauts-Sorabes — entre 12 000 et 15 000 locuteurs — et les Bas-Sorabes – 5 000 à 6 000 locuteurs – (Dołowy-Rybińska, 2016a), sur une population d’environ 1,3 million. Considérés comme une minorité nationale par l’État fédéral allemand, les Sorabes disposent d’institutions politiques et budgétaires spécifiques. Cependant, surtout en Basse-Lusace, la transmission familiale de la langue se heurte au faible nombre de familles concernées et à la limitation du rôle de socialisation linguistique joué par les écoles bilingues (Dołowy-Rybińska ; Ratajczak, 2019). En Haute-Lusace, le catholicisme joue un rôle majeur pour maintenir la communauté resserrée et pratiquer la langue, rôle que la religion protestante ne joue pas avec autant d’intensité en Basse-Lusace.
La méthodologie employée consiste principalement en la pratique de l’observation participante à visée ethnographique lors de plusieurs séjours de six mois à trois semaines en Lusace, et de fréquentation régulière des lieux de sociabilité brittophones et gallophones en Bretagne. La collecte de données issues d’entretiens biographiques semi-directifs menés avec trente-sept militants des langues bretonne, gallèse, haute-sorabe et basse-sorabe viendra compléter le matériau empirique. Ces derniers ont été réalisés en français et en allemand, alors que des conversations informelles lors des observations participantes détaillées ci-dessous se sont parfois déroulées pour partie en langue bretonne sur le terrain concerné4.
Les temps retenus pour l’observation ont été l’occasion de mener des conversations informelles avec des militants et des locuteurs des langues concernées, de même que les moments d’entretien, souvent suivis de discussions informelles, ont été considérés comme l’occasion de réaliser de micro-observations. Précisons en outre que notre démarche de recherche, en s’inscrivant en dehors de toute visée normative, et dans le champ de la sociologie des mouvements sociaux, ne cherche pas à savoir si les efforts de revitalisation linguistique fournis par les militants sont efficaces ou non, mais simplement à en comprendre les modalités d’imbrication dans des rapports de force politiques.
Après avoir identifié les fonctions socio-politiques des espaces de sociabilité des groupes de langues régionales et minoritaires, nous verrons comment ces derniers entretiennent un continuum de politisation.
1. Identifier les fonctions socio-politiques des espaces de sociabilité de langues minoritaires
Au sein des communautés linguistiques haute-sorabe, basse-sorabe, gallèse et bretonne, les espaces de sociabilité mentionnés ci-dessus remplissent les fonctions de construction identitaire, d’engagement (Moss Kanter, 1972), de sas d’entrée dans des carrières militantes (Renou, 2010 : 506), de structures de mise en veille (« abeyance structures », Taylor, 1989) et de résistance (Scott, 1976).
1.1. Construire l’identité, maintenir l’engagement
Tout d’abord, les espaces sociabilitaires participent à la construction identitaire de leurs participants, en permettant à ceux qui les fréquentent de procéder à une « identification of the self with a group » (Moss Kanter, 1972 : 66). C’est dans cette perspective que nous les considérons comme des communautés de pratique (Dołowy-Rybińska, 2016b). Les cours d’apprentissage des langues régionales et minoritaires5 permettent en effet à des néo-locuteurs d’intégrer de nouveaux groupes de pairs, de se sentir peu à peu concernés par la communauté régionale. Ainsi, un de nos enquêtés, militant institutionnel de quarante ans, néo-locuteur du bas-sorabe et universitaire, nous explique avoir appris la langue non pas pour des raisons d’authenticité, mais en raison du climat ouvert aux nouvelles personnes désireuses de s’engager, quoique non issues de familles de langue sorabe, que l’on peut trouver en Basse-Lusace. Il ajoute ainsi une caractéristique à son identité6. L’enrichissement identitaire comme rétribution symbolique de l’engagement (Gaxie, 1977) fonctionne à l’échelle individuelle, mais aussi collective dans les quatre cas étudiés. En effet, se retrouver entre acteurs partageant les mêmes caractéristiques linguistiques et, au moins en partie, le même univers symbolique, permet à la langue d’accéder au statut de support identitaire. Un enquêté haut-sorabe, technicien dans l’audiovisuel et actif dans une association de jeunesse haute-sorabe7, explique ainsi souffrir de l’absence d’espaces uniquement sorabophones comme les réunions entre hommes hauts-sorabes où la procession des cavaliers du dimanche de Pâques8 est préparée. Pour lui, ces réunions ne peuvent se dérouler qu’en haut-sorabe, que des germanophones monolingues soient présents ou non. De même, le curé sorabophone d’une paroisse haute-sorabe nous explique :
Auf jeden Fall ist es wichtig, Sprachräume zu schaffen und zu erhalten, überhaupt zu haben. Das heißt, es braucht Orte, an denen sich man trifft, um zu reden. Es ist ganz wichtig, das man nicht nur zuhause am Fernsehen hängt, sondern dass man in den Orten, in denen Menschen leben, Möglichkeiten der Begegnung hat.9
De même, deux enquêtés bretons organisateurs de la Redadeg10 indiquent tenir à ce que l’événement ait lieu en breton, sans traduction française systématique.
Il convient également de souligner le rôle joué par l’espace dans le maintien de l’identité du groupe. En Lusace, de nombreux villages ont été abandonnés ou détruits sous le régime socialiste afin de permettre l’exploitation des mines de lignite. Il est de première importance pour les anciens habitants de ces villages de se retrouver lors de moments de fête et de commémoration pour se remémorer leur identité de locaux. Une formatrice historique des écoles bilingues Witaj (« Bienvenue ») en Basse-Lusace, travaillant à l’école maternelle basse-sorabe de Sielow, raconte ainsi se retrouver plusieurs fois par an avec les anciens résidents de son village d’origine, détruit en 1982, à l’endroit où se trouvait le village, depuis remplacé par un biotope fonctionnant à la manière d’une hétérotopie (Foucault, 1984).
Dort wo unser Dorf war, haben wir uns ein Stück erhalten, die Domowina11 hat uns unterstützt, da ist ein Biotop, das haben wir mal hingezeugt, das ist ein kleiner Teich, und wir, ehemalige Dorfbewohner, alle die noch sind, und die möchten, wir treffen uns mindestens 2-3 Mal im Jahr, das ist richtig… Das ist immer schön, da wird Essen, Trinken zusammen getragen, dann werden Bilder und Geschichten mitverbracht, Feuer wird schön sauber gemacht, das Biotop, also diese…, wird in Ordnung gehalten, unseren ehemaligen Grenzstein, der am Dorf stand, den haben wir da noch, dann weiss ich noch die Domowina, die haben damals ausgemessen richtig geguckt, wo die Gaststätte stand, das sieht man nicht, da ist ein Schiltern [sic], so das man so in Erinnerung an Plätze zurück denkt, da wird man da, ja, mensch, euer Haus, da müsste sich so in diese Richtung, noch zwanzig Meter, müsstet ihr gewohnt haben, und daher eine Tafel haben wir gestellt, also alles mit der Hilfe der Domowina, und das ist immer noch, wir treffen uns immer noch. Wie gesagt, seit 1982 sind wir noch schon ältliche [sic] Jahre, und wir sind immer noch besammelt.12
De même, les espaces de sociabilité comme les clubs de conversation en haut ou en bas-sorabe organisés dans les grandes villes avoisinant la Lusace comme Leipzig, Dresde ou Berlin permettent de maintenir les liens communautaires hors du village d’origine, foyer de la langue, alors qu’il est plus fréquent de rencontrer des locuteurs du breton, et dans une moindre mesure du gallo, qui n’ont pas d’attachement particulier à un village précis et habitent les métropoles de Rennes ou Nantes.
La vie de la communauté est célébrée lors de soirées privées ou semi-publiques rassemblant près de cent personnes, pour danser, et évoquer les appartenances slaves et lusaciennes dans des refrains — en langues sorabes – repris par tous notamment dans l’espace du village bas ou haut-sorabe. Nous pouvons, avec précaution cependant, dessiner un parallèle avec les communautés utopiques des années 1970 étudiées par Rosabeth Moss Kanter, qui souligne l’importance de la pratique des danses de groupe et du chant choral pour catalyser une transcendance collective (Moss Kanter, 1972). En outre, les espaces de sociabilité permettent en Lusace de perpétuer une construction identitaire par la pratique religieuse, support sur lequel s’appuient peu les militants des langues de Bretagne. Par construction identitaire, nous entendons la pratique d’un style de vie particulier, défini par Joseph R. Gusfield comme un système de valeurs, de coutumes et d’habitudes propres à un « groupe de statut »13 (Gusfield, 1963 ; 1986). Ce sont justement les espaces sociabilitaires qui permettent d’exprimer au mieux les styles de vie des communautés de langues régionales et minoritaires analysées. Enfin, le fait même de participer à une communauté de pratique constitue en soi une rétribution identitaire, comme le souligne Rosabeth Moss Kanter : « to some extent, a person’s identity is composed of his commitments » (Moss Kanter, 1972 : 70).
Si nous considérons l’engagement comme un processus à l’intersection entre les requêtes des groupes et les orientations personnelles de leurs membres (Moss Kanter, 1972 : 66), il convient de constater que la mise à disposition d’espaces de sociabilité est une gratification proposée par la communauté à ses membres, dans une forme de cercle vertueux où le we-spirit l’emporte sur le me-spirit. Cette attention portée au maintien des membres dans le groupe ne va pas sans mécanismes de contrôle social. Ainsi, nous constatons que plus l’économie affective du groupe est resserrée, plus la communauté linguistique est à même de créer des espaces de pratique de la langue. En effet, dans les deux régions étudiées, le groupe linguistique minoritaire dominant est le plus dense en terme de réseau relationnel. Lors de l’une de nos observations réalisée en Haute-Lusace à l’occasion du dimanche de Pâques, discutant avec la mère de famille, cette dernière évoque la difficulté pour les Sorabes de se marier avec des personnes extérieures à la communauté, bien qu’elle-même se prononce pour davantage d’ouverture.
En Bretagne, c’est moins la famille que les pairs qui déterminent les frontières entre les membres légitimes de la communauté, au capital d’autochtonie (Retière, 2003) élevé, et les autres.
1.2. Sas d’entrée, abeyance, résistance
Les espaces de sociabilité des communautés de locuteurs du haut-sorabe, bas-sorabe, breton et gallo possèdent des fonctions de sas d’entrée (Renou, 2010) et d’abeyance14 (Taylor, 1989) en période de reflux de la force idéologique des revendications nationalitaires.
Premièrement, pour des militants, surtout jeunes, les espaces de sociabilité offerts par la participation à la communauté linguistique peuvent faire office de première étape dans une carrière militante, notamment dans le cas breton. Un militant du collectif Bak e Brezhoneg (« Bac en breton »), âgé de dix-huit ans au moment de l’entretien, explique avoir repris le flambeau de ce collectif après avoir été convaincu par un de ses camarades du lycée immersif Diwan (« Germe »), pendant l’internat :
— Pour la petite anecdote, il y a un copain de chambre, enfin il n’est pas dans ma chambre mais un copain de dortoir, qui est venu me voir un soir, qui m’a dit : viens, on passe le bac en breton.
— Ce n’étaient que vous deux ?
— Non, on était trois ou quatre, moi il m’en a parlé au même titre que les deux-trois autres, quoi. Moi j’ai dit, ouais, j’aimerais bien, si tu veux, il n’y a pas de problème, mais comment, pourquoi, et voilà, il y avait toutes les questions à se poser15.
Par la suite, le bachelier co-organise avec les quinze autres bacheliers ayant rédigé l’épreuve de mathématiques en breton ‒ malgré l’interdiction légale de le faire ‒ une série de manifestations à Quimper, Carhaix et Guingamp, ainsi qu’une conférence de presse au Club de la Presse de Rennes en juin 2018 en présence d’élus régionaux. Cette illustration de carrière militante va dans le sens de l’étude de Nicole Dołowy-Rybińska (2016a : 290) sur les anciens élèves de Diwan. Cette dernière nous indique en effet que
many ex-Diwan pupils become Breton activists. In some cases this is a conscious process. Their way of life is connected with involvement in Breton culture and in the protection of the language. Others categorize themselves as activist by accident […]. Clearly, this relation with Breton activities is not random but is a result of the educational process.16
L’entretien d’espaces sociabilitaires permet aux militants de se replier sur des pratiques plus sécurisantes que celle du militantisme en contexte hostile, à la manière des abeyance organizations identifiées par Verta Taylor (1989). En 2017 est formé à l’Université Rennes 2 le collectif Brezhoneg er Skol Veur ? (« Du breton à l’université ? ») qui organise des cours de breton sur le campus et tente de faire pression sur la direction de l’université afin d’obtenir une signalétique bilingue. Confrontés au sentiment d’être engagés dans un militantisme trop « risqué »17, les militants de ce collectif transfèrent alors leur capital militant (Matonti, Poupeau, 2004) au sein de l’association étudiante « apolitique18 » Kejadenn (« Rencontre »), qui promeut les cultures bretonnes et gallèses par le biais d’initiatives festives19. On retrouve chez les militants de Kejadenn les critères identifiés par Verta Taylor pour définir une structure d’abeyance (Taylor, 1989). Le fait de s’inscrire dans une trajectoire collective par le vécu des mêmes expériences catalyse alors l’attachement à la cause bretonne dans une forme de sustained participation (Fillieule, 2005) à inclure dans un registre de résilience (Offerlé, 2008). Toutes ces caractéristiques peuvent être observées à Kejadenn, mis à part la centralisation. On peut comprendre ce terme comme la division des membres d’un groupe entre un petit noyau de personnes qui contrôlerait la gestion des activités, et le reste des militants, chargé d’effectuer les tâches décidées par le « centre » (bureau politique, par exemple). La centralisation d’un groupe implique donc une hiérarchisation entre les militants. On ne trouve pas de telle division hiérarchisée des personnes dans l’association étudiante Kejadenn où, si quelques militants sont en charge d’un domaine précis (secrétariat, trésorerie), ils tournent et se relaient, ne formant pas un noyau stable dans le temps. Si division des tâches il y a, elle se produit de manière horizontale. Le critère le plus exacerbé est néanmoins la capacité de l’organisation à produire des espaces de sens pour ses membres, qui perçoivent dans cet engagement un sentiment de continuité.
Enfin, ces espaces peuvent, sans viser de buts directement militants, constituer l’antichambre d’une résistance larvée (Scott, 1976) aux agressions extérieures. Lors de notre séjour de terrain en Lusace, nous rencontrons J. à Cottbus autour d’un café. J. est une locutrice du bas-sorabe née en 1992. Alors qu’elle n’a que douze ans, le thème de l’exode forcé de son village est longuement discuté au sein du voisinage, ce qui mène à une coalition avec les Églises, et à une manifestation de Sorabes devant le Landtag du Brandebourg à Potsdam. Devenue étudiante, elle ne politise pas immédiatement la question identitaire. C’est plus tard, lors de l’organisation de fêtes traditionnelles dans son village, alors qu’elle est confrontée à des remarques hostiles et des saluts hitlériens de la part de germanophones proches de l’extrême-droite, qu’elle s’engage plus intensément dans la sauvegarde de la langue, revendiquant par exemple le fait de politiser par le bas cette question. Plus tard, à l’âge de vingt-cinq ans, elle décide de donner des cours d’allemand à des réfugiés nouvellement arrivés.
Ainsi, les espaces sociabilitaires dans le cas de l’engagement linguistique nationalitaire remplissent de nombreuses fonctions sociales, et permettent de stabiliser une communauté, en traçant une ligne progressive entre participation, engagement et activisme (Dołowy-Rybińska, 2016b).
2. L’entretien d’un continuum de politisation
Analyser les fonctions sociopolitiques de ces espaces nous paraît difficile si l’on sépare l’évitement et la production du politique. En effet, malgré des degrés de politisation divers, tous nos cas participent de l’action collective linguistique. Dans une enquête menée sur les élections locales dans un village corse (Briquet, 2003 : 34), Jean-Louis Briquet explique ainsi que :
le rituel politique n’est que rarement codé selon des procédures spécifiques qui le distinguent d’autres types de rituels sociaux. Il reproduit des modes de sociabilité constitués en dehors du politique, comme « l’apéritif » (l’un des rites majeurs de la sociabilité masculine, qui réunit régulièrement les hommes autour du comptoir d’un des cafés du village) ou la « visite » (mode obligé de la sociabilité villageoise, notamment féminine, qui s’impose lors des deuils, des naissances, des fêtes, ou comme simple marque de courtoisie). Il mobilise les répertoires généraux du rapport social, comme l’amitié, la sympathie, l’entraide ou la reconnaissance. Il manifeste l’existence de liens interpersonnels dont la relation politique semble en quelque sorte être la continuation « naturelle ».
Hors du cas particulier de ce village, l’approche choisie par le politiste nous semble heuristique en ce qu’elle nous dévoile l’aspect souvent diffus et non-institutionnalisé des processus de politisation au sein des groupes sociaux.
2.1. Espaces de sociabilité, espaces des mouvements sociaux ?
Le potentiel pour les espaces de sociabilité des langues régionales et minoritaires peut se mesurer à l’aune de l’expression de « l’esprit public » (Eliasoph, 2010 : 27) qu’ils autorisent. L’esprit public est défini par Nina Eliasoph comme la capacité des acteurs à se référer aux normes publiques, à évoquer les questions de justice, même de façon légère, ironique ou humoristique, dans leurs conversations. C’est selon elle la somme de ces discours à portée politique qui crée l’espace public.
Le 16 novembre 2018, nous nous rendons à un concours de menteries ‒ formes de racontées typiques des conteurs gallophones dont le but consiste à inventer le meilleur mensonge possible ‒ organisé à Saint-Aaron (Côtes d’Armor) dans le cadre du festival Gallo en Scène. L’un des menteurs met ainsi en récit sa confrontation avec Pôle Emploi en faisant une référence directe à une déclaration du Président de la République selon laquelle il suffirait de traverser la rue pour trouver un emploi. Il se voit proposer une formation de « voyant » par Pôle Emploi, développe un talent pour les prédictions, et finit par trouver un poste d’économiste à l’Élysée. Les spectateurs rient de bon cœur20.
Nous retenons de cette soirée un usage du registre de la menterie qui vise directement et avec acidité la classe politique, non sans rappeler le répertoire d’action collective locale et patronnée de première génération identifié par Charles Tilly (Tilly, 1984 : 97) caractérisé par le détournement de rites sociaux préexistants, comme les fêtes profanes ou religieuses, et la référence directe à des figures d’autorité pouvant passer par le mime.
Lors de notre observation au concours de contes bilingue français-gallo de la Bogue d’Or à Redon (Ille-et-Vilaine), le 26 octobre 2018, les deux présentateurs gallophones multiplient les moqueries sur le mode de vie urbain de la bourgeoisie intellectuelle où l’on se nourrit « vegan » et où l’on circule en vélo. Plusieurs plaisanteries assignent les hommes et les femmes à leurs rôles traditionnels de genre. Par ailleurs, nombreuses sont les imitations de discours de communication politique. Nous nous trouvons bien en présence de références directes aux normes publiques, ici mises à distance, moquées avec acidité (la classe politique, le mode de vie urbain) ou au contraire légitimées (les rôles de genre), dans un univers qui n’est pas celui de la politique institutionnelle.
D’anciens élèves du lycée Diwan de Carhaix revendiquent l’entretien d’un esprit alternatif par l’institution Diwan, qui verrait d’un bon œil leurs engagements militants divers, et constituerait en soi une école des mouvements sociaux. Avant le passage de la Redadeg à Fay-de-Bretagne le 7 mai 2018, nous prenons l’apéritif avec les participants à la course, très majoritairement issus d’une scolarité à Diwan. L’emploi de pédagogies dites alternatives comme la pédagogie Freinet, est discuté entre eux. Ils font le constat que si les écoles Diwan sont autorisées à les pratiquer, elles ne sont finalement pas toujours utilisées. Une jeune militante explique : « c’est déjà alternatif par la langue ». Il s’agit ainsi de se positionner comme une alternative à la norme éducationnelle qu’est l’Éducation Nationale. Lors d’un entretien21, M., une militante de Kenstroll Breizh22 de vingt-cinq ans, explique sa première confrontation avec les institutions de l’ONU lors du Forum des questions relatives aux droits des minorités de l’année 2017, ayant pour thème la jeunesse. Elle met ainsi l’accent sur le style vestimentaire décalé des militants arrivés à Genève : « et donc on est arrivés vraiment cliché des Diwanais, tu sais, avec nos sacs à dos, moi je venais juste d’arriver en car, du coup j’avais mes chaussures de rando brinquebalantes au sac à dos, et puis avec tous les autres en mode costard-cravate… ».
Cette reprise du cliché des « Diwanais » comme constitutifs d’une communauté de jeunes militants politiquement situés à gauche, de sensibilité écologiste, au style décontracté, habitués à voyager en car ou en stop nous sera rapportée tout au long de l’enquête de terrain. Ainsi, Nicole Dołowy-Rybińska (2016a : 288) rapporte : « apart from the language, Diwan pupils differentiate themselves as well in their special “alternative dress” ».
Il s’agit d’un style de vie distinct et propre à la politisation, que ne possèdent pas les élèves des lycées hauts et bas-sorabes en Lusace, dont le quotidien scolaire apparaît moins différencié de celui des autres lycéens allemands. Nous remarquons cependant que les discussions dans les espaces informels bas-sorabes sont plus propices à un processus de politisation par montée en généralité à partir d’un cas concret (Eliasoph, 2010 : 38) que les discussions entre Hauts-Sorabes. Ainsi, en immersion au sein d’une famille basse-sorabe en mai 2019, lors d’un café à l’occasion duquel un ami de la mère est invité, plusieurs heures sont passées à discuter des élections municipales à Cottbus, de la défense des intérêts sorabes, mais aussi du danger que représenterait une montée du parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD), ainsi qu’une liste indépendante Unser Cottbus. Les sympathies de gauche des participants à cette conversation ne sont pas cachées. En comparaison, le jour des élections européennes à Bautzen, en Haute-Lusace, aucun Haut-sorabe avec qui nous passons du temps ne souhaite dévoiler ses préférences électorales à qui que ce soit23, et la mise à distance des enjeux politiques est réelle.
Enfin, au-delà d’offrir à leurs participants des opportunités de discussion, confrontant ainsi leurs expériences et leurs opinions personnelles vis-à-vis du monde social, les espaces de sociabilité ouvrent aussi des possibilités pratiques pour des militants déjà avancés dans leurs carrières d’engagement de convertir de nouveaux venus à leurs idées, par la diffusion de tracts ou de messages. Ainsi, une fête de fin de Redadeg est l’occasion pour des militants indépendantistes bretons de déposer des tracts sur les tables où les coureurs et spectateurs boivent un verre, un festival gallo ou breton leur permet d’accrocher leurs affiches sur les tentures des chapiteaux…
2.2. Avoiding politics : des espaces « close to home »
Néanmoins, tous les espaces de sociabilité de langues régionales et minoritaires ne constituent pas mécaniquement les prémisses d’engagement politiques explicites. Les quatre cas comparés se positionnent distinctictement les uns des autres sur ce continuum esquissé entre évitement du politique et revendications définies comme politiques par les participants à l’action collective linguistique. Pour Lionel Arnaud et Christine Guionnet, on peut définir la dépolitisation comme une « production de certains acteurs de ce qu’ils considèrent comme non-politique, dynamique d’exclusion d’éléments précédemment considérés comme inclus dans le domaine politique » (Arnaud, Guionnet, 2005 : 17). Les racines de ce processus de relabellisation peuvent être trouvées dans une recherche de sécurité de la part des acteurs se sentant impuissants ou illégitimes face aux défis du monde, une insuffisance de capitaux nécessaires au déchiffrage des codes du champ politique (Bourdieu, 2000), et une volonté unanimiste de produire une image non clivante du groupe face à l’extérieur. Ces mécanismes sociaux sont visibles au sein des espaces de sociabilité produits par les groupes d’acteurs étudiés. En effet, ces espaces sont caractérisés par leur taille restreinte, leur accessibilité, leur capacité à se dégager des modalités immédiates de l’engagement militant ; ils apparaissent comme « close to home » (Eliasoph, 2010 : 86) dans le sens où « le refrain de “ce qui me touche de près” représenterait un effort héroïque pour créer un petit coin de monde où tous puissent se sentir importants, bienvenus et efficaces, un petit coin où les citoyens soient protégés du reste du monde où ils se sentaient dépassés et découragés » (Eliasoph, 2010 : 105). La mise à disposition de tels espaces peut être considérée comme l’autre versant des structures d’abeyance, la frontière entre résilience et découragement demeurant poreuse.
À l’évocation de son parcours, un militant du parti politique de centre-gauche Union Démocratique Bretonne, âgé de trente-cinq ans, s’apprêtant à quitter la ville de Rennes au moment de l’entretien, affirme :
là je vais retourner à Lorient, enfin j’y suis déjà à moitié, mais quand je serai installé à Lorient, ce que j’aimerais bien faire c’est ne serait-ce qu’un repas par mois en breton, avec des brittophones. Et ça, ça permet de faire vivre la langue. Je ne prétends pas à autre chose. Faire vivre la langue pour moi c’est le principal et chaque personne, chaque locuteur peut le faire, ça ne nécessite pas quelque chose, ça ne nécessite pas de l’argent du public24.
En l’absence d’une forte légitimité sociale des revendications linguistiques bretonnes, et de surcroît exprimées via les partis politiques ethnorégionalistes, il est plus simple de se tourner vers une pratique de la langue réservée à la sphère privée, moins coûteuse que sa pratique publique.
Alors que le repli sur une politisation moindre des enjeux linguistiques n’est pas la caractéristique première des arènes sociabilitaires brittophones, elle l’est clairement pour les mêmes arènes en Haute-Lusace. Au moment du café lors des cérémonies de Pâques 2018, une discussion sur la religion a lieu entre les Hauts-Sorabes réunis autour de la table. Une femme, identifiée par tous les autres comme « la tante », explique regretter la fusion des communautés religieuses de Bautzen. « Man braucht Religiosität25 », poursuit la tante, afin de trouver des réponses à la vie. L’oncle renchérit : plutôt que d’avoir besoin de curés, qui peuvent être trop autoritaires, c’est très bien si la famille reprend le flambeau de la tradition. « Familie, kleine Kreise, sind gut »26, termine la tante. Selon Nina Eliasoph, la focalisation sur la tradition est un facteur d’éloignement de l’esprit public, dans la mesure où « la nostalgie offr[e] une atmosphère de communauté partagée et l’impression d’avoir un passé commun sans obliger les adhérents à créer un présent commun » (Eliasoph, 2010 : 155).
Il est par ailleurs plus compliqué de monter en généralité à partir d’un cas concret dans les espaces informels de rencontre entre Hauts-Sorabes. Ainsi, lors du dimanche de Pâques, les rôles sociaux sont très nettement séparés entre les hommes et les femmes, puisque les hommes suffisamment âgés et en bonne santé montent sur les chevaux et vont ainsi de village en village, alors que les femmes les regardent passer et leur préparent un repas pour le retour. La jeune femme sorabe qui nous a introduit sur le terrain glisse ainsi que lorsqu’elle était encore petite, elle désirait elle aussi monter sur les chevaux. Puis, avec les années, elle explique avoir dépassé ce stade d’amertume. Lors du repas du soir, une femme reprend ce sujet en se demandant à haute voix pourquoi les femmes ne montent pas. Sa question est tournée en ridicule par la réponse d’un cavalier de Pâques : il n’y a pas assez de chevaux. Les participants rient ensemble et la conversation est déviée. Le même procédé rhétorique est employé par le maire du village-vitrine de Nebelschütz lors d’une visite du village qu’il réalise à destination des curieux lors des journées du patrimoine saxon en mars 2018. Il explique ainsi que la couleur de chaque maison est choisie pour former une totalité harmonieuse, exprimant la beauté de la communauté villageoise27. Une femme lui demande ce qui peut se produire si la mairie décide de peindre la maison de quelqu’un en une couleur précise, contre l’avis de son propriétaire qui la voudrait bleue. Le maire lui répond alors avec le sourire qu’il y a justement une maison bleue un peu plus loin dans le village. Dans ces deux situations, à la fois la montée en généralité et la confrontation potentiellement conflictuelle des points de vue sont mises à mal, dans un processus entrepris par les personnes qui dominent la situation d’énonciation. En effet, les références à l’esprit public (Eliasoph, 2010 : 27) sont à chaque fois ramenées à la particularité des cas, et la délibération propice à la politisation est n’est pas engagée.
Cependant, nous supposons que les définitions des termes de politisation et de dépolitisation varient en fonction des réalités sociales de chaque mouvement. Se référer à des définitions relationnelles et attachées aux terrains permet ainsi de comprendre qu’une situation qui sera perçue en Haute-Lusace comme éminemment politique ne le sera pas forcément en Bretagne ou en Basse-Lusace, les acteurs n’ayant pas les mêmes socialisations préalables, ni les mêmes trajectoires militantes. Ainsi, lors du salon du livre en breton ayant eu lieu à Carhaix en octobre 2017, au moment où se pose sur la scène internationale la question de l’indépendance catalane, les hauts-parleurs du festival appellent à un rassemblement en solidarité avec la Catalogne dans le hall du bâtiment. Après quelques chansons en breton appelant à des valeurs comme la liberté, et des discours bilingues, certains membres du public tentent de chanter l’hymne de la Bretagne. Cependant, cet hymne étant jugé trop « nationaliste » par les organisateurs, ces derniers coupent le système de sonorisation quand les militants persistent à chanter. Il est intéressant de constater qu’en Lusace, l’hymne de la Lusace est chanté très régulièrement et connu par coeur par les membres de la communauté linguistique sans questionnement sur sa portée nationaliste, alors que l’organisation d’un rassemblement en solidarité avec un territoire tentant de réaliser son indépendance serait très certainement beaucoup plus sujette à controverse. D’ailleurs, pendant notre travail de terrain et notre veille informative, nous n’avons pas eu connaissance d’initiatives sorabes en soutien ‒ et par identification ‒ à la Catalogne.
Néanmoins, il convient de relativiser les données étudiées, en prenant en compte le fait qu’il existe des revendications linguistiques bretonnes à la politisation limitée, et des Hauts-Sorabes engagés dans une lecture politique du monde, ne serait-ce qu’au regard de la condamnation très forte au sein de la communauté haute-sorabe des scores réalisés par l’AfD aux élections européennes (2019). Les feuilles de tilleul, plante emblématique des Sorabes, griffonnées en guise de protestation sur plusieurs affiches de l’AfD à Bautzen (capitale haute-sorabe), en sont un des marqueurs.
Pour conclure, l’étude des espaces de sociabilité des communautés de langues minoritaires et régionales permet d’enrichir la compréhension de leur capacité à déboucher ou non sur des mouvements sociaux nationalitaires. Loin de ne constituer que des variables secondaires de la comparaison, ils se présentent comme des espaces où le sens des mouvements linguistiques est produit et exposé. S’il importe d’en identifier les différentes fonctions sociales, de la rétribution identitaire à la fonction d’abeyance, l’étude de quatre cas situés sur deux terrains régionaux nous montre que ces fonctions ne sont pas remplies avec la même intensité ni les mêmes modalités selon les communautés linguistiques. Les fonctions sociales couvertes par ces espaces semi-formels ou informels, non explicitement revendiqués comme des organisations d’action collective à même d’identifier un adversaire ou de porter des revendications politiques, permettent cependant de parler d’une ligne évolutive de politisation, allant d’un évitement discursif du politique (représenté notamment par les interactions ayant lieu dans les espaces hauts-sorabes) au maintien d’une culture de mouvement social (représentée par le cas des espaces sociabilitaires en langue bretonne).