La réforme orthographique allemande de 1996 à 2006 et sa réception : analyse des quelques discours évaluatifs

  • Die deutsche Rechtschreibreform von 1996 bis 2006 und deren Rezeption : Analyse einiger Bewertungsdiskurse

DOI : 10.57086/cpe.127

Résumés

Après avoir situé la réforme orthographique allemande dans son contexte national et extra-national et du point de vue de son contenu, ses enjeux, ses objectifs et ses visées, nous nous intéressons dans cette contribution aux évaluations dont elle a fait l’objet. Partant du constat qu’il n’existe pas en Allemagne d’instance évaluative proprement dite, nous sommes amenée à considérer la réception de la réforme orthographique par la société civile. C’est, en effet, dans le champ de la réception que l’on trouve des jugements, des points de vue, des appréciations, des évaluations. L’étude de trois textes émanant de trois groupes d’acteurs sociaux différents permettra de nous interroger sur les raisons symboliques, sociales qui expliquent leurs prises de position et de faire ressortir des critères évaluatifs que nous mettrons en parallèle avec les objectifs annoncés.

Dieser Beitrag handelt von der deutschen Rechtschreibreform von 1996 bis 2006 und deren Bewertungen durch die öffentliche Meinung. Im ersten Teil werden der nationale und extra‑nationale Kontext um die Einführung der Reform vorgestellt, sowie deren Inhalte, Grundsätze und politische und soziale Zielsetzungen näher ausgeführt. Da es in Deutschland keine Bewertungsinstanz im eigentlichen Sinne gibt, konzentriert sich der zweite Teil auf die Art und Weise, wie die Gesellschaft auf die Rechtschreibreform reagiert hat. Die Rezeption der Reform wird hier anhand von drei Texten analysiert, in denen betroffene Autoren ihre Meinungen und Urteile darstellen. Die Analyse untersucht die symbolischen und sozialen Gründe, die diese Stellungnahmen motivieren und arbeitet deren Bewertungskriterien heraus, die in Verbindung mit den ursprünglich angekündigten Zielsetzungen der Reform gesetzt werden.

Plan

Texte

Introduction

Dans cette contribution, nous proposons d’analyser des discours évaluatifs sur la réforme orthographique allemande de 1996 ainsi que sur ses amendements de 2004 et 2006. Cette analyse implique tout d’abord de situer la réforme orthographique dans son contexte national et extra‑national, de préciser son contenu, ses enjeux, ses objectifs et ses visées afin de montrer comment il est possible d’interpréter la réforme dans sa globalité. Deuxièmement, du point de vue de l’évaluation proprement dite, cet exemple est un cas de figure intéressant, car il invite à interroger d’autres formes d’évaluation que la seule forme institutionnelle. Pour cause, il n’existe pas, en Allemagne, d’instance(s) évaluative(s) officielle(s), à l’exception de certaines commissions d’experts mais dont les missions sont surtout d’assurer le suivi de la réforme et de faciliter son application et sa diffusion. Par conséquent, nous sommes amenée à rechercher d’autres formes d’évaluation non pas du côté des institutions, mais du côté de ceux à qui s’adresse la réforme, ceux qui la reçoivent, c'est-à-dire les usagers, la société civile. C’est en effet dans leurs réactions, dans leurs prises de position publiques (écrites ou orales) que nous pouvons trouver des évaluations, des jugements, des avis. L’objectif de cette contribution est donc d’interroger les évaluations de la réforme orthographique telles qu’elles sont pratiquées et formulées par la société civile (nous nous limiterons à quelques exemples). Il s’agira de voir comment les usagers évaluent cette réforme, selon quels critères, pour quelles raisons.

La réforme de l’orthographe allemande : objectifs affichés, aspects concernés et visées réelles

Les objectifs affichés

Le projet de réforme remonte aux années 50. A cette époque, des linguistes ouest allemands se sont réunis pour réfléchir à une simplification de l’allemand écrit. Leur projet est motivé par le constat que les jeunes Allemands maîtrisent mal l’orthographe, ce qui a des répercussions sur leur réussite scolaire.

La nouvelle réglementation de 1996 prend appui sur les règles fixées à Berlin en 1901 lors de la IIe conférence orthographique et entrées en vigueur en 1902. Ces règles, portées au rang de symbole de l’Empire unifié, n’avaient fait jusqu’à présent l’objet d’aucune modification tant leur réception et leur imposition avaient été difficiles, mais aussi tant leur portée idéologico‑politique les rendait intouchables.

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le contexte allemand a profondément changé et pose de nouvelles questions politiques, économiques et sociales. C’est aussi l’époque où cohabitent, non sans difficultés, les deux Républiques allemandes. Les différences idéologiques et politiques ont inévitablement des répercussions sur les conceptions linguistiques des deux Etats.

En RFA, les partisans d’une réforme orthographique justifient leur argumentation en s’appuyant sur le constat d’un décalage entre le (ou les) parler(s) des locuteurs et les règles de l’écrit. Il est donc, selon eux, nécessaire de simplifier l’orthographe pour la mettre en conformité avec les pratiques orales de l’allemand. Cet objectif de simplification est inscrit dans la préface du manuel contenant la nouvelle réglementation de l’orthographe allemande1 : il s’agit de neutraliser les incohérences de la langue (« …eine Vereinfachung der Rechtschreibung […] durch die Beseitigung von Ausnahmen und Besonderheiten », Regelwerk, 1996/19982) en vue d’en faciliter l’apprentissage (« …die Rechtschreibung ist leichter erlernbar und einfacher handhabbar3. »)

A cet objectif principal s’ajoute celui de maintenir l’unité (ortho)graphique au sein de l’espace germanophone4 : « Die Zwischenstaatliche Kommission für deutsche Rechtschreibung […] wird weiterhin dafür Sorge tragen, dass die Einheitlichkeit der Rechtschreibung im deutschen Sprachraum bewahrt bleibt. » Cet aspect reflète une crainte héritée de l’histoire, celle de diviser graphiquement, linguistiquement et culturellement l’espace germanophone comme ce fut le cas avant la constitution du second empire allemand.

Après l’adoption à l’unanimité du principe d’une réforme par les ministres régionaux de la culture et de l’éducation des seize Länder (le 01.12.95), d’autres pays germanophones décident de s’associer au projet (la Suisse, l’Autriche, le Liechtenstein -mais pas le Luxembourg- et les pays où réside une communauté de langue allemande comme la Belgique, l’Italie, la Hongrie, ou encore la Roumanie). Après avoir été examinée par la Cour constitutionnelle, saisie par des associations de parents d’élèves, des écrivains et des enseignants, la réforme est tant bien que mal entrée en vigueur le 1er août 1998, prévoyant une période de transition allant jusqu’au 31 juillet 2005 pendant laquelle l’orthographe traditionnelle restait encore valable. La nouvelle orthographe concerne le secteur scolaire et les administrations, mais elle est également amenée à servir de modèle dans d’autres domaines (presse, littérature et usage personnel) :

Wie das Regelwerk von 1901/1902 ist auch die neue amtliche Rechtschreibung verbindlich für diejenigen Institutionen, für die der Staat in dieser Hinsicht Regelungskompetenz besitzt. Das sind einerseits die Schulen und andererseits die Behörden. Darüber hinaus hat sie Vorbildcharakter für alle anderen Bereiche, in denen sich die Sprachteilhaber an einer möglichst allgemein gültigen Rechtschreibung orientieren möchten. Das gilt speziell für Druckereien, Verlage und Redaktionen, aber auch für Privatpersonen. (Regelwerk, 1996/1998)5

Les aspects concernés

Les modifications concernent cinq domaines :

  • la correspondance phonème-graphème (Laut‑Buchstaben‑Zuordnungen),
  • la séparation des lexèmes complexes composés (Getrennt- und Zusammenschreibung),
  • l’écriture avec trait d’union (Schreibung mit Bindestrich),
  • la majuscule et la minuscule (Groβ- und Kleinschreibung),
  • la ponctuation (Zeichensetzung),
  • la coupure en fin de ligne (Worttrennung am Zeilenende).

Le tableau reporté dans les annexes (annexe A) donne un aperçu des principales modifications de la réforme. Précisons que plusieurs amendements ont été apportés ultérieurement au dispositif de 1996, en 2004 et 2006, si bien qu’on parle aujourd’hui de la « réforme de la réforme » (die Reform der Reform). Voyons à présent les aspects touchés par la nouvelle réglementation.

Principe phonétique versus principe étymologique

Les modifications graphiques témoignent d’un souci de rapprocher la langue parlée de l’écrit (principe phonétique selon lequel un son = un graphème), comme c’est d’ailleurs souvent le cas lors de réformes orthographiques (cf. les Rectifications orthographiques de 1990 en France). C’est selon cette logique que le ß a été remplacé par un « s » redoublé après une voyelle brève et devant une consonne : isst (mange, verbe conjugué à la 3e personne du singulier) au lieu de iβt (cf. annexe A, exemple [1]) et en finale : Fluss (fleuve) au lieu de Fluβ [2]. Mais le ß reste maintenu après une voyelle longue : Fuß (pied), Maß (mesure). Cette disposition est un alignement partiel sur la graphie suisse qui avait cherché dès 1930 à se démarquer par rapport à la variété nationale allemande en abolissant totalement le ß au profit du « s » redoublé indépendamment de la durée de la voyelle qui précède.

L’affirmation du principe phonétique selon lequel la graphie se rapproche le plus possible de la prononciation pourrait être également l’une des explications de la germanisation des mots étrangers. Que ceux-ci soient des emprunts non intégrés comme Mayonnaise [exemple 3] ou des emprunts intégrés comme Thunfisch [4], les nouvelles règles proposent des alternatives graphiques germanisées (Tunfisch, Majonäse), tout en considérant comme valable la graphie traditionnelle. Notons au passage quelques éléments étonnants comme la suppression du -h- suivant le -t- dans Tunfisch, alors qu’il est conservé dans Orthografie [5]. Par conséquent, il semble qu’un choix ait été opéré dans la façon dont sont germanisés les emprunts. Les internationalismes issus de racines gréco‑latines sont globalement moins touchés par la réforme que les emprunts provenant de langues modernes. Le choix du degré et du mode d’adaptation graphique de l’emprunt dans la langue d’accueil est sans doute lié à des enjeux d’une autre nature. C’est un élément qui pourrait faire l’objet d’une étude plus approfondie, mais ce n’est pas ici l’objectif de cette contribution.

Pour d’autres aspects, il reste finalement dans la nouvelle réglementation peu d’éléments de cette volonté de rapprocher l’écrit de l’oral, car les réformateurs ont très vite été confrontés au problème de l’ambigüité sémantique. Ainsi, Lehre (enseignement) et Leere (vide) se prononcent de la même manière mais s’écrivent différemment. Ceci vaut également pour mahlen (moudre) et malen (peindre). La simplification graphique de deux lexèmes homophones porterait inévitablement préjudice à leur distinction sémantique. Au final, le principe phonétique ne concerne que peu de mots. (cf. dans le tableau l’exemple [6] de rau (rude) écrit dorénavant comme blau (bleu), genau (exact) au lieu de rauh.

Parallèlement, la réforme tend à réaffirmer le principe étymologique, au détriment parfois du principe phonétique : « Die neue Regelung konzentriert sich darauf, Verstöβe gegen das Stammprinzip zu beseitigen. » (Regelwerk 1996/1998)6. C’est ainsi que les lexèmes dérivés sont rapprochés de la racine et les lexèmes d’une même famille sont graphiquement homogénéisés, comme le montrent les exemples [7], [8] et [9] du tableau : Bendel devient Bändel par analogie avec Band, aufwendig (d’envergure) devient aufwändig (à côté de aufwendig qui reste utilisé lorsqu’il s’agit d’une dérivation de aufwenden), nummerieren (numéroter) est orthographié comme Nummer (numéro) (avant : numerieren). De même, dans les composés où il y a rencontre, à la limite de lexèmes, de trois consonnes identiques ou de deux fois deux consonnes identiques, chacune d’entre elles est maintenue. Les exemples [10] et [11] du tableau en sont des illustrations : Schifffahrt (ou Schiff-Fahrt : navigation) au lieu de Schiffahrt, selbstständig (issu de la composition selbst + ständig : indépendant) au lieu de selbständig (qui est cependant maintenu parallèlement). Ces exemples qui sont jugés par certains comme des aberrations graphiques ne reflètent en aucun cas la prononciation. Qui, en effet, (peut) prononce(r) les quatre consonnes consécutives de selbstständig ou les trois f de Schifffahrt ? Par contre, on notera que Eltern (les parents), qui est un dérivé de alt (vieux) n’est pas devenu Ältern. Le principe étymologique, s’il permet un retour réflectif sur l’origine des mots, suppose néanmoins de bonnes connaissances en histoire de la langue, ce qui n’est pas donné au scripteur ordinaire.

Soudure versus coupure

Un autre aspect de la réforme concerne l’écriture en une seule ou plusieurs unités graphiques. La création de mots nouveaux par composition est un phénomène caractéristique de l’allemand moderne. Avec le temps, certains de ces lexèmes composés ont acquis un sens propre, différent du sens des deux entités constituant le composé. Ces nouveaux mots se sont autonomisés sémantiquement. On trouve de tels exemples dans le vocabulaire juridique : « Die Anzahl von Alleinstehenden wächst mit der Anzahl von Ehescheidungen7 ». Ainsi alleinstehend (personne seule) et allein stehend (seul) [13] ont un sens différent et, pour cause, s’écrivaient différemment. La réforme de 1996 prévoyait que l’adjectif et le verbe ne forment plus d’unité graphique lorsque l’adjectif peut être gradué, c'est-à-dire mis au comparatif ou précédé de sehr (très), ganz (tout) : on devait donc désormais écrire kalt stellen (mettre au froid), lieb haben (aimer), (cf. les exemples [12]). De même, la mention de allein stehend cité plus haut ne permettait plus de savoir s’il était question d’une personne seule ou d’un célibataire. Pourtant, la réforme de 1996 indiquait également que bien qu’ils ne puissent pas être gradués, les adjectifs ayant un suffixe -ig, -lich, ou -isch devaient également être dissociés du verbe : fertig machen (terminer), übrig bleiben (demeurer), etc. C’est un aspect qui a été vivement contesté.

Dans la version de 2006, la nouvelle réglementation revient sur un certain nombre des précédentes dispositions. Par exemple, elle autorise les deux orthographes (soudées et séparées) lorsque le verbe a un sens résultatif (par exemple : fertig machen et fertigmachen) et introduisent la seule forme soudée lorsque le verbe prend un sens figuré (übrigbleiben, etc.). A ces différences orthographiques peuvent donc correspondre des différences de sens. Mais il est certain que ces distinctions sont parfois difficiles à établir, ce qui explique que la réforme de 2006 soit, elle aussi, très contestée.

Il en va de même pour sitzenbleiben (redoubler) et sitzen bleiben (rester assis) (exemple [14]) qui s’écrivent tous deux après 1996 en deux unités graphiques, quel que soit leur sens, concret ou figuré. On devait donc écrire également : fallen lassen (laisser tomber), spazieren gehen (aller se promener), kennen lernen (faire la connaissance de), etc. En 2006, cette règle est maintenue, mais certains verbes composés de bleiben et de lassen peuvent aussi former une unité graphique lorsqu’ils ont un sens figuré: sitzenbleiben (redoubler), stehenlassen (planter quelqu’un), kennenlernen, etc.

Enfin, concernant les verbes composés d’un substantif, la réforme de 1996 donnait comme règle générale que les deux éléments devaient être dissociés : Recht haben (avoir raison) [15], Rad fahren [16] (faire du vélo), ce qui ramenait la forme verbale à une forme simple accompagnée d’un substantif. Cependant, étaient exclus de cette règle les lexèmes verbaux complexes où l’origine du préverbe s’est perdue (lexicalisation pour donner un nouveau sens en association avec le verbe) : stattfinden (avoir lieu), teilnehmen (participer), preisgeben (révéler) [15]. La réforme de 2006 introduit un grand nombre de doubles possibilités, à l’exception des verbes pour lesquels le sens s’écarte de celui des unités dont ils sont composés, qui doivent désormais être écrits en un mot : eislaufen (patiner), bankrottgehen (faire faillite), stattfinden (avoir lieu), teilnehmen (participer), etc.

Libertés graphiques fortement contestées

Les autres aspects touchés par la réforme de 1996 (trait d’union, ponctuation, coupure) traduisent une volonté de laisser plus de liberté aux scripteurs dans leur choix d’écriture, à l’image des exemples [17 à 19 et 26 à 29] : « Die bisherige Schreibung bleibt als Nebenform bestehen. » […] « Die neue Regelung beseitigt vor allem Ungereimtheiten. Zugleich will sie der Entscheidung des Schreibenden mehr Raum geben. » […] « Dem Schreibenden wird hier größere Freiheit eingeräumt » (Regelwerk 1996/1998)8. Mais là encore, ce n’est pas sans poser problème (diversité des formes).

Nous laisserons de côté ici les aspects ayant trait à l’écriture en majuscule ou en minuscule, car il s’agit là encore de règles complexes (cf. tableau les exemples 20 à 25). Nous retiendrons que si la réforme réduit au final de 212 à 113 le nombre des règles d'orthographe, elle multiplie en même temps les formes d’écriture. Si cela permet d’introduire plus de souplesse par le biais d’alternatives orthographiques, les principes qui régissent la nouvelle réglementation sont parfois appliqués avec contradiction. Cela a généré, dans certains cas, de nouvelles difficultés.

Ceci explique sans doute que la réforme orthographique n’ait pas laissé l’opinion publique indifférente. Le débat entre partisans et opposants de la nouvelle réglementation a été et est encore aujourd’hui très intense, voire passionnel. Un sondage réalisé en 2006 pour le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) a révélé que 92 % de l’ensemble de la population allemande seraient opposés à la réforme (FAZ, 04.02.2006). Le rejet est également fort chez une partie des medias et de quelques écrivains de renom9. C’est d’ailleurs, pour partie, en raison de leur forte opposition à la nouvelle réglementation que les responsables politiques ont été contraints d’apporter les modifications de 2004 et de 2006 qui témoignent pour certaines d’entre elles d’un retour en arrière.

Les visées officielles de la réforme

Compte tenu des objectifs annoncés de la réforme visant la simplification de l’orthographe en vue d’en faciliter l’apprentissage et donc de démocratiser la langue, il apparaît clairement que cette forme d’intervention sur la langue, même si nous l’envisageons dans cette perspective, n’est pas une fin en soi. Dans une perspective sociale, il semble que sa raison d’être est de servir une cause plus vaste centrée sur un problème de société. En ce sens, la réforme orthographique peut être comprise comme le versant linguistique d’une volonté politique globale à caractère social.

De ce point de vue, on peut établir un lien avec une action comparable ayant lieu à peu près au même moment en France : il s’agit des Rectifications de l’orthographe française de 1990, présentées par le gouvernement français de l’époque (sous le Premier ministre Michel Rocard) comme une action sociale visant à lutter contre les inégalités et les discriminations dont l’orthographe était à l’origine. La logique française est ainsi comparable à la démarche allemande : on trouve en effet les mêmes arguments pédagogiques (la complexité de l’orthographe entraîne des pertes de temps et entrave le temps d’apprentissage dans les autres matières) et démocratiques (la complexité de l’orthographe entretient des inégalités sociales et augmente les difficultés d’intégration). Ces arguments ont été avancés et soutenus par des enseignants et des linguistes à l’initiative des amendements, et aussi en partie relayés dans les médias (presse, télévision et radio). En témoignent, par exemple, certains articles de presse qui ont souligné les difficultés qu’ont les dyslexiques dans l’apprentissage de l’orthographe du français (Le Figaro du 16 mars 2001, Le Monde du 17 mars 2001, Science du 16 mars 2001). La manière dont l’orthographe a été abordée et traitée montre bien que c’est un enjeu social important.

À ces objectifs sociaux s’ajoute en France un argument de nature techno‑économique, également mis en avant en Allemagne, qui consiste à légitimer l’intervention des institutions en matière de langue (et donc d’orthographe) en la caractérisant comme nécessaire face à l’évolution des techniques de communication et aux exigences de la compétitivité économique. Au total, l’exemple allemand, comme le français, montrent que l’intervention sur l’orthographe doit être envisagée comme une action englobée dans un projet plus vaste de réforme de la société. C’est d’ailleurs ce qu’on observe un peu partout dans le monde : l’intervention sur la graphie du serbe, du roumain de Moldavie ou encore du turc s’expliquent par des raisons tantôt politiques, idéologiques, économiques ou les trois à la fois. Ce n’est jamais véritablement la langue en tant que telle qui est visée, mais - à travers elle - un objectif plus vaste de mutation profonde d’une situation donnée.

La réforme de l’orthographe allemande et son évaluation par la société civile (quelques exemples)

Jugements évaluatifs

Gardant à l’esprit les raisons socio‑pédagogiques qui ont impulsé la réforme de l’orthographe allemande, nous nous intéressons à présent aux évaluations dont elle a fait l’objet. Dans la mesure où il n’existe pas en Allemagne d’instance évaluative proprement dite, nous nous sommes orientée vers le champ de la réception. C’est, en effet, auprès des destinataires de la réforme que l’on peut trouver des jugements, des points de vue, des appréciations, bref, des évaluations. Ce qui nous intéresse ici, c’est plus précisément de voir comment, c'est-à-dire à partir de quels critères, les évaluations sur la réforme sont formulées. Cette question nous amènera à nous interroger sur les raisons symboliques, sociales, politiques, économiques, etc. qui expliquent les prises de position et à accorder une attention particulière au statut des évaluateurs (qui sont-ils ?) et à celui de leurs évaluations (évaluation spontanée, « commandée », etc. ?). Il sera intéressant de comparer ces critères avec les objectifs affichés de la nouvelle réglementation. Cette approche par la réception implique plus largement de se demander comment il est possible d’analyser la façon dont les acteurs réagissent et évaluent la réforme, de quoi l’on dispose (textes, discours ?) et quelle est la nature des évaluations.

Pour répondre à ces questions, nous avons choisi de retenir trois textes dont nous présentons les caractéristiques de manière synthétique dans un tableau reporté dans les annexes (cf. annexe B1). Les textes présentent de grandes différences (date, lieu et mode de production, statut des auteurs), mais c’est précisément en raison de cette disparité que nous les avons choisis. En effet, les dates de production de ces textes renvoient chacune à un contexte particulier (cf. tableau, annexe B1) et les situent à des moments charnières de l’histoire de la réforme. Leurs auteurs (un collectif d’enseignants pour le texte 1, trois importants groupes de presse [FAZ, Spiegel et Springer Verlag] pour le texte 2 et un écrivain et ancien Président de la Société pour la langue et la poésie [Christian Meier] pour le texte 3) représentent des corps sociaux différents et des intérêts spécifiques à leur champ d’action. En outre, leurs obligations vis‑à‑vis de la réforme diffèrent selon leur statut : alors que les nouvelles règles orthographiques sont imposées (verbindlich) dans les écoles et les administrations, il n’y a aucune obligation juridique à les adopter dans le secteur privé (presse, littérature). De ce point de vue, le positionnement de ces acteurs, soumis à une juridiction différente, peut être intéressant, voire même déterminant pour la réception de la réforme, notamment lorsque l’on sait, comme cela est rappelé dans le texte 2, que la diffusion du quotidien FAZ, du magazine Spiegel et des périodiques du Springer Verlag touche près de 60% de la population. Enfin, du point de vue du type d’évaluation, il sera sans doute intéressant de comparer les prises de position, qu’elles soient « spontanées » (textes 1 et 2) ou « commandées » (texte 3).

Au-delà de leurs différences, nous avons aussi choisi ces textes en raison des aspects convergents qui les caractérisent. Ainsi, les textes ont en commun d’avoir été très largement diffusés (dans la presse écrite, sur le Net) et, en retour, d’avoir fait beaucoup parler d’eux (il existe à ce propos de nombreuses réactions à ces textes). Il ne s’agit donc pas de textes inconnus du grand public. En outre, du point de vue de leur contenu, leurs auteurs expriment communément leur opposition à la réforme et l’évaluation qu’ils en font tend à indiquer explicitement ou implicitement que la réforme est un échec ou qu’elle est vouée à l’échec.

Au total, notre étude n’est pas exhaustive et l’échantillon sur lequel elle s’appuie ne prétend pas être représentatif de l’ensemble des évaluations formulées sur la réforme orthographique, ni mêmes des seules évaluations négatives, mais les arguments qu’ils sollicitent ont été largement partagés. Les auteurs, de par leur statut différent, leurs intérêts divergents et les domaines dans lesquels ils interviennent, sont amenés - c’est notre hypothèse - à faire valoir des critères différents d’évaluation, ou à hiérarchiser différemment les critères d’évaluation qu’ils retiennent.

Critères d’évaluation

Il ressort de la lecture de ces textes des critères d’évaluation qui sont communs, mais qui ne sont pas considérés de la même manière.

Le premier critère d’évaluation porte sur les objectifs de simplification et d’unification. Selon les auteurs des trois textes, les objectifs annoncés ne sont pas atteints. Cela est dit explicitement par un recours systématique à un négateur.

[texte 1] « bringt keine Vereinfachung », « lehnen […] ab », « unbrauchbar », « In der Schulpraxis kann kein Lehrer mehr ordnungsgemäß schreiben10. »

[texte 2] « die Reform hat weder für professionell Schreibende noch für Schüler Erleichterung gebracht11. »

Au contraire, la réforme aurait contribué à rendre l’orthographe plus complexe, moins logique et moins cohérente et aurait suscité le désordre. Le thème du désordre, associé à celui de la confusion, du chaos, voire de la fin du monde est très présent dans les trois textes :

[texte 1] « Debakel », « Chaos », « zerstört »12

[texte 2] « Verunsicherung », « verunsichert », « Konfusion », « Vermischung »13

[texte 3] « das Chaos », « das Durcheinander »14

Le recours aux champs lexicaux du désordre, du chaos ou encore de la confusion amène les auteurs à désigner directement la réforme comme un échec :

[texte 1] « katastrophaler Mißerfolg » du point de vue linguistique, mais aussi démocratique, juridique, pédagogique et économique (cf. infra), « versäumt »15

[texte 2] « In der täglichen Erprobung ist die Reform gescheitert », « ein erschreckendes Fazit »16

[texte 3] « Die Bilanz ist niederschmetternd », « die miβglückte Reform »17

ou indirectement, en ayant recours à d’autres manières de signifier l’échec comme la dépréciation :

[texte 1] « die sogenannte Reform18 »

[texte 3] l’emploi des guillemets autour du lexème « Reform »,

ou encore l’exagération, à travers l’emploi de comparatifs :

[texte 2] « die Konfusion wird gröβer »

[texte 3] « schlimmer als bloβes Beharren »

de superlatifs :

[texte 2] « Lehrer sind zutiefst verunsichert »

ou encore de formules indiquant l’idée d’une aggravation :

[texte 2] « Die Situation verschlimmert sich », « mit gravierenden Mängeln »19

Ces procédés sont souvent utilisés pour accentuer la négativité.

Si la façon de dire que c’est un échec est semblable dans les trois textes, les justificatifs et l’argumentation qui viennent appuyer les jugements des auteurs ne sont pas strictement les mêmes. En ce qui concerne l’objectif de simplification, alors que les auteurs des textes 1 et 3 justifient leur jugement selon lequel la réforme ne simplifie en aucun cas l’orthographe, les organes de presse du texte 2 ne s’appuient sur aucune argumentation précise venant étayer leur bilan. Ils ne précisent pas, en quoi, ni comment, de quel point de vue les réformateurs ont échoué dans cet objectif. Les auteurs se contentent d’indiquer que la nouvelle orthographe est une source d’erreurs chez les usagers qui n’en faisaient pas auparavant :

[texte 2] « Wer vor der Reform sicher schreiben konnte, macht heute Fehler20. »

En revanche, dans le texte 1, l’échec est mesuré au nombre trop élevé de dispositions particulières à l’intérieur de chacune des règles :

[texte 1] « Der Reform zugrunde liegen 112 Regeln mit 1106 Anwendungsbestimmungen, in denen 111 Wortlisten enthalten sind mit zusammen 1130 zu memorierenden oder nachzuschlagenden Wörtern21. »

L’échec est également mesuré aux ambiguïtés sémantiques qui résultent des nouvelles règles (version 1996), en allusion notamment aux règles d’écriture soudée ou en deux unités graphiques d’un lexème composé:

[texte 1] « ein massiver Eingriff in die Semantik und Grammatik der Sprache22 »

On voit ici que les auteurs, qui sont des enseignants, dénoncent des aspects qui posent surtout problème pour l’apprentissage et la compréhension de la langue. Leur point de vue est fonctionnel et pragmatique. Ils s’inscrivent dans une perspective d’application (domaine scolaire). Dans le texte 3, l’auteur a une approche plus technique. Il dénonce essentiellement les règles concernant les majuscules / minuscules qui sont à ses yeux des erreurs de grammaire :

[texte 3] « Es ist nicht zumutbar, grammatisch falsche Schreibungen [« du hast ganz Recht »] (…) zu übernehmen » (voir l’exemple [15])

ou encore le maintien de consonnes consécutives qu’il considère comme une agression pour l’œil :

[texte 3] « das Auge verletzende Wortungetüme [« Schlussszene, « Programmmesse »]) (voir les exemples [10, 11, 17 et 18])23

Le point de vue de l’auteur de texte 3, Christian Meier, est davantage celui d’un expert de la langue, voire d’un puriste. Il est particulièrement sensible à la forme esthétique des mots contre laquelle la réforme est, selon lui, une atteinte. En ce sens, ses intérêts ne sont pas les mêmes que ceux des enseignants.

En ce qui concerne l’unification de l’allemand écrit dans l’espace germanophone, les trois textes montrent que cet objectif n’a pas été atteint et que cela a contribué à provoquer le phénomène inverse en favorisant la multitude des formes d’écriture :

[texte 1] « ein Chaos von Tausenden sich widersprechender Schreibweisen in zehn verschiedenen Wörterbüchern24. »

[texte 2] « Eltern benutzen eine andere Orthographie als Kinder25. »

[texte 3] « Hausorthographien weichen voneinander ab26. »

La réforme orthographique et la plurigraphie qu’elle entraîne sont communément présentées comme une atteinte à l’unité interne de la langue. On notera cependant que la dimension internationale (unité au sein de l’espace germanophone hors des frontières de l’Allemagne) n’est pas invoquée par les auteurs, ce qui signifie que la réforme orthographique n’est pas envisagée comme une mesure à portée extranationale (contrairement à ce qui est annoncé par les acteurs institutionnels).

Au total, les auteurs des trois textes invoquent le même critère d’évaluation (celui d’évaluer par rapport aux objectifs annoncés de simplification et d’unification), mais ils ne le traitent pas de la même manière. Ceci s’explique en partie par leur statut, leur identité. Les enseignants sont sensibles à des aspects qui génèrent des difficultés auprès des élèves, alors que l’écrivain-chercheur se situe davantage dans la technicité (respect de la grammaire) et dans l’esthétisme. A travers la position de Meier, il apparaît que l’orthographe dans son aspect académique est perçue comme un rempart contre l’effritement de l’allemand, langue de culture. Dès lors, l’idée d’une simplification orthographique symbolise une chute, un effondrement culturel. Cela signifie aussi que la maîtrise de l’orthographe devient le fait d’un plus grand nombre. Cette évolution est en train de modifier les relations de pouvoir liées aux pratiques linguistiques et l’on craint que le tri social des individus ne s’opère plus de la même manière. L’évaluation que fait Meier de la réforme orthographique est ancrée dans une échelle socio-idéologique ce qui montre à quel point l’orthographe est un lieu de projections et de fantasmes. « Véritable enjeu de société, elle est un repère identitaire positionnant les individus » (Petit, 2005 : 93-94).

Le deuxième critère d’évaluation, qui est directement lié au critère précédent, concerne l’impact pédagogique et didactique de la réforme. Ce critère est particulièrement mis en en avant par les auteurs du texte 1 :

[texte 1] « Die Rechtschreibreform verstößt gegen pädagogische Prinzipien. », « Rechtschreibdefizite lassen sich nicht auf angebliche Mängel in der bewährten Orthographie zurückführen. Rechtschreibschwächen von Schülern können entweder nur mittels intensiver Schreib- und Leseübungen oder im Fall einer ausgeprägten Lese- und Rechtschreibschwäche durch einen individuell abgestimmten Förderunterricht verbessert werden27. »

Selon les auteurs du texte 1, la réforme est partie d’une erreur de diagnostic et d’un mauvais traitement du problème, car les difficultés que rencontrent les élèves dans l’apprentissage de l’orthographe constituent un problème d’ordre scolaire, voire social, mais qui n’est pas amputable à la langue.

Il n’est pas étonnant que dans leur grille d’évaluation, les enseignants fassent particulièrement valoir ce critère. On notera cependant aussi que l’argument didactique est également repris par les auteurs des deux autres textes :

[texte 2] : « Die Verunsicherung wächst, Vermischungen von alter und neuer Rechtschreibung sind an der Tagesordnung. Wer vor der Reform sicher schreiben konnte, macht heute Fehler. (…) Lehrer sind zutiefst verunsichert28. »

[texte 3] : « Verständlicherweise lehnen daher die bedeutendsten deutschsprachigen Autoren und Verleger die Neuregelung für ihre Bücher ab. », « Die Bevölkerung ist laut Meinungsumfragen zu 90 Prozent gegen die Reform. »29

Il semble donc que l’impact pédagogique et didactique de la réforme, évalué ici en termes d’échec, soit particulièrement important pour les évaluateurs.

Observant et dénonçant les effets de la réforme orthographique qu’ils jugent néfastes, les auteurs sont amenés à considérer, par voie de conséquence, la manière dont celle-ci est perçue par la société. Le troisième critère d’évaluation porte ainsi sur la réception de la réforme, évaluée à partir de son degré d’acceptation auprès de la société. Là encore, leurs évaluations indiquent qu’il y a échec en insistant sur le rejet de la réforme par les scripteurs.

[texte 1] « Denn selbstverständlich begegnen die Schüler überall der bewährten Schreibung; in alten Schulbüchern, die noch im Gebrauch sind, wie in neuen Textsammlungen literarischer und historischer Art, da viele Autoren darauf bestehen, daß ihre Texte nicht umgestellt werden. Die Lehrer beherrschen die neuen Regeln nur unzulänglich30. »

[texte 2] « ablehnen », « mangelnde Akzeptanz »31

[texte 3] « verweigern », « Kaum ein ernstzunehmender Schriftsteller denkt daran, auf Neuschrieb umzustellen. », « Gerade acht Prozent der Deutschen sind nach letzen Umfrage­ergebnissen für den Neuschrieb. »32

Pour ce critère, il est remarquable que les auteurs des trois textes s’appuient sur des arguments quantitatifs (pourcentages), comme si les données chiffrées apportaient une caution scientifique au jugement porté. Chacun se réfère à son champ d’action : le texte 1 mentionne plus particulièrement le refus des auteurs et des éditeurs d’appliquer les nouvelles règles, ce qui a des répercussions sur l’édition des livres, ouvrages et manuels scolaires ; le texte 2 considère la non-réception des nouvelles règles par l’ensemble de la société ; l’auteur du texte 3 évoque le refus de ses pairs. L’indication statistique renforce le point de vue des auteurs, car celui-ci est partagé par la majorité des gens.

Un quatrième critère évaluatif porte sur l’impact social de la réforme, lequel est inévitablement lié à l’impact pédagogique et didactique de la réforme cité précédemment. En effet, la réforme est ici dénoncée comme un facteur de trouble intergénérationnel (digraphie entre parents et enfants). Elle est également dénoncée comme un facteur à l’origine du fossé qui se creuse entre ceux qui écrivent et ceux qui lisent. Il est intéressant de noter que ce critère est particulièrement souligné dans le communiqué de presse du texte 2. Dans la perspective des groupes de presse, une digraphie entre la langue de l’école et celle des médias deviendrait un frein pour la diffusion de leurs titres. En outre, les médias ont bien conscience que l’adoption des nouvelles règles a un coût. En d’autres termes, derrière une dénonciation de la réforme comme facteur de trouble social se trouvent des inquiétudes d’ordre économique.

Le facteur économique (cinquième critère) est d’ailleurs directement mis en avant : il est pris en compte dans l’évaluation des auteurs des trois textes. C’est ainsi que les auteurs, en particulier ceux du texte 1, dénoncent le coût de la réforme, jugé trop élevé : (« hohe Kosten ») et le gaspillage (« Verschleuderung von Steuergeldern ») que cela entraine [texte 1]33.

Un sixième critère d’évaluation ressort des trois textes ; il porte sur le dispositif de réforme. Les auteurs dénoncent le caractère autoritaire et anti‑démocratique des décisions qui sont prises. En insistant sur l’offense faite au peuple, l’évaluation prend ici une dimension éthique.

[texte 1] « Eine undemokratisch übergestülpte Reform34 »

[texte 2] « Beendigung der staatlich verordneten Legasthenie », « Die deutsche Sprache braucht keine kultusbürokratische Überregulierung. »35

[texte 3] « diktieren », « Diktat »36

Le jugement sur le plan moral et éthique glisse sur une évaluation qui prend en compte le statut juridique et la légitimité des nouvelles règles. Ce dernier critère est spécifique au texte 1, car leurs auteurs, des enseignants, sont contraints de se plier à l’orthographe réformée, alors qu’il n’y a aucune obligation juridique de l’adopter dans le secteur privé.

[texte 1] « Die Kompetenz des Gesetzgebers, d.h. der Volksvertretungen, wurde ignoriert. » « Aber auch die Beschlüsse der Ministerpräsidenten-, Innenminister- und Kultusminister­konferenzen über die Einführung der Schreibreform sind nach herrschender Meinung führender Juristen mangels gesetzlicher Ermächtigung rechtlich nicht bindend. »37

Au total, on est frappé de voir que les évaluations ne portent pas uniquement sur des aspects sociaux en lien avec les objectifs annoncés de simplification et d’unification, mais qu’elles visent d’autres domaines et reflètent d’autres préoccupations (aspects plus linguistiques [incohérences, esthétiques, atteintes à la langue], coût économique, fossé générationnel, légitimité morale et éthique, etc.).

Conclusion : retour sur les pratiques évaluatives

L’analyse des pratiques évaluatives a permis de montrer que la réforme de l’orthographe apparaît comme le lieu d’un affrontement idéologique dans lequel les enjeux sociaux, éducatifs et linguistiques sont importants. Les textes que nous avons retenus montrent qu’au‑delà de critères objectifs (coût économique, incohérences linguistiques, etc.), les causes de l’insuccès de la réforme et de son évaluation en termes d’échec sont à mettre en relation avec les représentations que les scripteurs ont de leur langue. Plus que des jugements évaluatifs, les auteurs expriment leur opposition à la réforme, non pas tant parce qu’elle a échoué, mais parce qu’ils perçoivent la réforme comme une atteinte au statut de langue élaborée et comme un facteur bouleversant les repères identitaires. A travers leurs discours, l’orthographe apparaît comme un élément sécurisant en ces temps de transformation rapide des modes de communication qui génèrent tant de craintes (Petit, 2005 : 93).

Lieu de convergence entre culture et société, l’orthographe est donc bien un facteur d’identification sociale et culturelle, et par la même une matière affective ce qui suscite des réactions subjectives et des attitudes défensives et face à laquelle l’interventionnisme des institutions apparaît comme tabou.

Bibliographie

Les différentes versions de la nouvelle réglementation de l'orthographeallemande (publiées par l'Insitut für deutsche Rechtschreibung et le Rat für deutsche Rechtschreibung) sont consultables à l'adresse suivante:
http://www.ids-mannheim.de/pub/laufend/sprachreport/ausgaben.html

AUGST Gerhard, BLÜML Karl, NERIUS Dieter, SITTA Horst (éd.), 1997, Zur Neuregelung der deutschen Orthographie. Begründung und Kritik, Tübingen, Max Niemeyer Verlag.

DUDEN, 1996, Rechtschreibung der deutschen Sprache. Auf der Grundlage der neuen amtlichen Rechtschreibregeln, Der Duden, Band 1 Mannheim/Leipzig/Wien/Zürich, Dudenredaktion, Bibliographisches Institut & F. A. Brockhaus AG. 21., völlig neu bearb. u. erw. Auflage.

DUDEN, 2000, Die deutsche Rechtschreibung, Der Duden, Band 1, Mannheim, Dudenredaktion, Bibliographisches Institut & F. A. Brockhaus AG. 22., völlig neu bearb. u. erw. Auflage.

DUDEN, 2004, Die deutsche Rechtschreibung, Der Duden, Band 1, Mannheim, Dudenredaktion, Bibliographisches Institut & F. A. Brockhaus AG. 23., völlig neu bearb. u. erw. Auflage.

DUDEN, 2006, Die deutsche Rechtschreibung. Das umfassende Standardwerk auf der Grundlage der neuen amtlichen Regeln. Der Duden, Band 1, Mannheim, Wissenschaftlicher Rat der Dudenredaktion, Bibliographisches Institut & F. A. Brockhaus AG. 24., völlig neu bearb. u. erw. Auflage.

INSTITUT FÜR DEUTSCHE SPRACHE (IDS), 1996, Deutsche Rechtschreibung. Regeln und Wörterverzeichnis. Text der amtlichen Regelung. Mit einer Einleitung des Instituts für deutsche Sprache (Mannheim) und der Wiedergabe der "Gemeinsamen Absichtserklärung zur Neuregelung der deutschen Rechtschreibung", Wien, 1. Juli 1996. Tübingen, Gunter Narr Verlag.

Institut für deutsche Sprache (IDS), Februar 2006, Deutsche Rechtschreibung. Regeln und Wörterverzeichnis. Entsprechend den Empfehlungen des Rats für deutsche Rechtschreibung. Überarbeitete Fassung des amtlichen Regelwerks 2004, München/Mannheim, IDS.

INSTITUT FÜR DEUTSCHE SPRACHE (IDS), 2004, Deutsche Rechtschreibung. Amtliche Regelung. Überarbeitete Fassung 2004, Mannheim, IDS.

LÜTHGENS, Stephanie, 2002, Rechtschreibreform und Schule. Die Reformen der deutschen Rechtschreibung aus der Sicht von Lehrerinnen und Lehrern, Frankfurt am Main, Peter Lang, p. 23.

LOIE Jean-Claude, 1991-1992, « L'orthographe, un problème social et pédagogique », in Cahiers de linguistique sociale, Sociolinguistique et Didactique, n° 19-20 (5 réf.), p. 141-147.

MARION Georges, 2004, « En Allemagne, la réforme de l'orthographe est torpillée par deux grands éditeurs de presse », in Le Monde, article paru dans l'édition du 12.08.04, disponible en ligne depuis le 10.03.2006 sous [http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3214,36-749693@51-749691,0.html].

MASSON Michel, 2005, « Les réformes de l’orthographe en France (1990) et en Allemagne (1996) », in RENOUVO (Réseau pour la nouvelle orthographe du français), Le point sur les « Rectifications de l’orthographe » en 2005, Liaisons-AIROE, spécial RENOUVO, n°38, p. 109-121.

PETIT Christine, 2005, « Réforme de l’orthographe : les tribulations d’un siècle », in RENOUVO (Réseau pour la nouvelle orthographe du français), Le point sur les « Rectifications de l’orthographe » en 2005, Liaisons-AIROE, spécial RENOUVO, n°38, p. 91-99.

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SCHLAEFER Michael, 1981, « Der Weg zur deutschen Einheitsorthographie vom Jahre 1870 bis zum Jahre 1901. », in Sprachwissenschaft, Bd. 6, p. 391-438.

STETTER Christian, 1996, « Neuregelung der Orthographie - mehr als fragwürdig. Die Reform verändert Grammatik und Semantik der Sprache », in  Süddeutsche Zeitung, Nr. 289, 14.12.1996, p. 10.

Annexe

Annexes

Annexe A

Tableau 1 – Aperçu des modifications apportées par les réformes de 1996, 2004 et 2006

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Annexe B

B1 : Présentation des textes

Tableau 2 – Présentation des textes

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B2 : Textes

N°1: Bundesweite Initiative "Wir Lehrer gegen die Rechtschreibreform und für eine einheitliche, systematische Rechtschreibung"

Pressemitteilung

Am 1. Juli 1996 wurde die Absichtserklärung zur Neuregelung der deutschen Rechtschreibung in Wien unterzeichnet. Demgemäß sollte die Neuregelung am 1. August 1998 in Kraft treten. Auf Grund der Anordnung der Kultusminister mehrerer Bundesländer wurde der Neuschrieb aber an vielen Schulen schon ab dem Schuljahr 1996/97 eingeführt und mehr schlecht als recht gelehrt. Zum Jahrestag legen die "Lehrerinitiative" und der "Verein für deutsche Rechtschreibung und Sprachpflege" ihre Bilanz vor: Die Geschichte der Rechtschreibreform ist die eines katastrophalen Mißerfolgs, denn die Neuregelung verstößt nicht nur eklatant gegen sprachliche Gesetzmäßigkeiten, sondern auch gegen demokratische, rechtliche, pädagogische und wirtschaftliche Grundsätze.

Ein sprachwissenschaftliches Debakel: Die Rechtschreibreform bringt keine Vereinfachung, sondern ist sprachwissenschaftlich ein "Debakel" (Prof. Helmut Glück, Bamberg), das auf den Müll gehört (Prof. Peter Eisenberg, Potsdam, Mitglied der neuen Reformkommission), ein Kuckucksei, das man zerstören muß (Prof. Horst H. Munske, Erlangen, Mitglied der neuen Reformkommission). Der Reform zugrunde liegen "112 Regeln mit 1106 Anwendungsbestimmungen, in denen 111 Wortlisten enthalten sind mit zusammen 1130 zu memorierenden oder nachzuschlagenden Wörtern" (Prof. Werner H. Veith, Mainz). Auf dem Umweg über eine sogenannte "Schreib"reform erfolgt in Wirklichkeit ein massiver Eingriff in die Semantik und Grammatik der Sprache (Prof. Christian Stetter, Aachen: SZ 14./15.12.96 und 10.06.97). Folge dieser Übergriffe ist ein Chaos von Tausenden sich widersprechender Schreibweisen in zehn verschiedenen Wörterbüchern (Prof. Theodor Ickler, Erlangen: "Die sog. Rechtschreibreform - ein Schildbürgerstreich", St. Goar 1997, FAZ 15.03.97, S. 35). Damit sind sprachliche Korrektheit und Einheitlichkeit der Rechtschreibung zerstört. Verständlicherweise lehnen daher die bedeutendsten deutschsprachigen Autoren und Verleger die Neuregelung für ihre Bücher ab.

Eine undemokratisch übergestülpte Reform: Die Bevölkerung ist laut Meinungsumfragen zu 90 Prozent gegen die Reform. Parlamentarier in Deutschland, Österreich und der Schweiz sowie führende Juristen wenden sich gegen diese undemokratisch übergestülpte Reform. Die Kultusminister haben die sog. "Neuregelung", über die allein die Volksvertretungen hätten entscheiden dürfen, ohne die hierfür erforderliche gesetzliche Ermächtigung diktatorisch noch vor dem 01.08.1998 ungeprüft eingeführt. Die Kompetenz des Gesetzgebers, d.h. der Volksvertretungen, wurde ignoriert. Die Sprachbildung ist eine zutiefst demokratische Angelegenheit, eine Form der Willensbildung von unten, die keine Reglementierung von oben herab erlaubt.

Die Rechtschreibreform ist rechtlich unverbindlich, weil die Wiener Absichtserklärung vom 01.07.1996 zur Neuregelung der deutschen Rechtschreibung nach Auffassung des Bundesverfassungsgerichts kein völkerrechtlich verbindlicher Vertrag ist. Sie beschränkt sich nicht auf den Schul- und Kulturbereich, denn die Innenminister wollen die Reform nun auch in den Behörden einführen und bestreiten damit die alleinige Kompetenz der Kultusminister. Aber auch die Beschlüsse der Ministerpräsidenten-, Innenminister- und Kultusminister­konferenzen über die Einführung der Schreibreform sind nach herrschender Meinung führender Juristen mangels gesetzlicher Ermächtigung rechtlich nicht bindend.

Die Rechtschreibreform verstößt gegen pädagogische Prinzipien: Das Weniger‑Fehler‑Märchen der Kultusminister wurde widerlegt. Die Lehrerinitiative stellt fest: Rechtschreibdefizite lassen sich nicht auf angebliche Mängel in der bewährten Orthographie zurückführen. Rechtschreibschwächen von Schülern können entweder nur mittels intensiver Schreib- und Leseübungen oder im Fall einer ausgeprägten Lese- und Rechtschreibschwäche durch einen individuell abgestimmten Förderunterricht verbessert werden. Die Reformer haben das pädagogische Prinzip der Eindeutigkeit nicht beachtet: Angesichts von zehn verschiedenen Wörterbüchern mit etwa 8.000 Abweichungen allein zwischen Duden und Bertelsmann fehlt nun ein einheitlicher Korrekturmaßstab. Die Reformer haben somit das Handwerkszeug der Lehrer, das Regelwerk, die Wörterbücher und Sprachbücher, unbrauchbar gemacht. In der Schulpraxis kann kein Lehrer mehr ordnungsgemäß schreiben, nachschlagen und korrigieren. Die Reform boykottiert sich somit selbst. Eine ordnungsgemäße Korrektur ist nur nach dem alten Duden möglich.

Geldschneiderei und Verschwendung von Steuergeldern: Die behauptete Kostenneutralität der sog. Rechtschreibreform existiert nicht. Vielmehr fand trotz der hohen Kosten keine Prüfung anhand der Haushaltsgrundsätze der Notwendigkeit, Zweckmäßigkeit, Verhältnismäßigkeit, Wirtschaftlichkeit und Sparsamkeit statt. Die Durchführung des bei Schulbüchern üblichen Zulassungsverfahrens wurde versäumt. Bei der Rechtschreibreform handelt es sich um eine reine Geldschneiderei (Prof. Utz Maas, Osnabrück) und um eine Verschleuderung von Steuergeldern, wie der niedersächsische Landesrechnungshof feststellte.

Die Rechtschreibänderung haben nicht die Reformkritiker "miesgemacht" (geplant: mies gemacht), sondern sie ist "mies gemacht". Sprache und Schrift haben sich nach "vergleichbaren Gesetzmäßigkeiten" entwickelt (Reformer Prof. Peter Eisenberg, Potsdam, Mitglied der neuen Reformkommission). Die Sprache, die unsere geistige Lebenswelt darstellt, darf nicht zerstört werden. Ein Stopp der Reform ist daher unerläßlich. Wir sind fest davon überzeugt, daß die sog. Rechtschreibreform ihren zweiten Jahrestag nicht erleben wird.

29. Juni 1997

N°2: Spiegel-Verlag und Axel Springer AG kehren zur klassischen Rechtschreibung zurück - 6. August 2004 - Pressemitteilungen

Rücknahme der Reform gefordert / Appell an Verlage und Nachrichtenagenturen, sich anzuschließen

Die Axel Springer AG und der Spiegel-Verlag kehren in ihren Print- und Online-Publikationen zur klassischen deutschen Rechtschreibung zurück.

Damit werden die zu den Verlagen gehörenden Titel, die rund 60 Prozent (Quelle: MA 2004/II) der Bevölkerung erreichen, ihre Schreibweise umstellen. Gleichzeitig richten die Verlage einen Appell an andere Verlage sowie an die Nachrichtenagenturen, sich diesem Schritt anzuschließen und gemeinsam dem Beispiel der „Frankfurter Allgemeinen Zeitung“ zu folgen, die als einzige Zeitung die Umstellung nach kurzer Zeit wieder rückgängig gemacht hatte. Ziel dieser Maßnahme ist die Wiederherstellung einer einheitlichen deutschen Rechtschreibung.

Hintergrund der Initiative ist die mangelnde Akzeptanz und die zunehmende Verunsicherung bezüglich des vorgegebenen Regelwerks für die deutsche Schriftsprache. Nach fünf Jahren praktischer Erprobung in den Druckmedien und sechs Jahren in den Schulen hat die Reform weder für professionell Schreibende noch für Schüler Erleichterung oder Vereinfachung gebracht. Im Gegenteil: Die Verunsicherung wächst, Vermischungen von alter und neuer Rechtschreibung sind an der Tagesordnung. Wer vor der Reform sicher schreiben konnte, macht heute Fehler. Eltern benutzen eine andere Orthographie als Kinder. Lehrer sind zutiefst verunsichert.

Heutigen Schülern begegnet der ganz überwiegende Teil der deutschen Literatur und literarischen Überlieferung in der bisherigen Rechtschreibung. Da auch die Mehrheit der deutschsprachigen Schriftsteller – von Grass bis Enzensberger – es ablehnt, daß ihre Werke in neuer Schreibung erscheinen, tut sich eine verhängnisvolle, immer breitere Kluft zwischen gelerntem und gelesenem Deutsch auf. Bereits die erste Version der Reform war mit gravierenden Mängeln behaftet. Eine Vielzahl von Ergänzungen durch die Zwischenstaatliche Kommission und die Wörterbuchredaktionen hat die orthographischen Konventionen in einem Maße erschüttert, daß auf absehbare Zeit die Einheitlichkeit der deutschen Rechtschreibung verloren scheint. Zahlreiche Umfragen belegen, daß die Reform von der Mehrheit der Bevölkerung abgelehnt wird. Der Grund hierfür liegt nicht in einer angeblichen Reformscheu, sondern in der von vielen Bürgern erkannten oder empfundenen Unausgegorenheit der Neuregelung.

Dr. Mathias Döpfner, Vorstandsvorsitzender der Axel Springer AG, und Stefan Aust, Chefredakteur des Nachrichtenmagazins „Der Spiegel“, betonen: „Wir befürworten sehr dringend notwendige und sinnvolle Reformen in unserer Gesellschaft. Doch die Rechtschreibreform ist keine Reform, sondern ein Rückschritt. Die deutsche Sprache braucht keine kultusbürokratische Überregulierung. Spätestens die neuerliche Reform einer ohnehin unausgegorenen Reform führt ins völlige Chaos. Wir wollen dazu beitragen, diese Fehlentwicklung zu korrigieren. Die geschichtliche Erfahrung über Jahrhunderte zeigt, daß Sprache sich evolutionär weiterentwickelt. Die Rechtschreibung sollte diese Änderungen nachvollziehen und nicht vorschreiben.“ Aust und Döpfner stellen fest: „Sechs Jahre nach Einführung der neuen Rechtschreibung müssen wir alle ein erschreckendes Fazit ziehen. In der täglichen Erprobung ist die Reform gescheitert. Die Situation verschlimmert sich, die Konfusion wird größer. Uns kann es als Verlagen nicht gleichgültig sein, wenn Schreib- und Lesefähigkeit und damit die Sprachfähigkeit in diesem Land abnehmen. Aus Verantwortung für die nachfolgenden Generationen empfehlen wir auch anderen die Beendigung der staatlich verordneten Legasthenie und die Rückkehr zur klassischen deutschen Rechtschreibung.“ Das schließt Neuerungen nicht aus. Auf der Basis der alten Rechtschreibung kann darüber nachgedacht werden, welche Vorschläge übernommen werden können. Die Axel Springer AG, der Spiegel-Verlag und die „Frankfurter Allgemeine Zeitung“ werden sich sinnvollen Anpassungen nicht verschließen. Die technische Umsetzung in den Print- und Online-Publikationen der Verlage soll schnellstmöglich erfolgen.

6. August 2004

N°3: Fehler sind Ehrensache - Wir pfeifen auf die Rechtschreibreform

Christian Meier (F.A.Z., 1. Aug. 2005, Nr. 176 / Seite 29)

Die Bilanz ist niederschmetternd. Auch neun Jahre nach dem Beschluß und der Einführung der neuen Schreibung an den Schulen ist die Mehrheit dagegen.

Kaum ein ernstzunehmender Schriftsteller denkt daran, auf Neuschrieb umzustellen. In der Wissenschaft gilt Ähnliches. Die literarischen und sehr viele andere Verlage veröffentlichen fast ausschließlich in bewährter Schreibung. Die Leopoldina, die Akademie unserer naturwissenschaftlichen Spitzenforscher, erklärt in ihren Hinweisen zur Manuskriptgestaltung: "Der Text soll den Regeln der traditionellen Rechtschreibung folgen." Nicht wenige Zeitungen und Zeitschriften folgen noch immer oder wieder den bewährten Regeln. In anderen herrscht das Durcheinander. Hausorthographien weichen voneinander ab, und außer der s‑Schreibung wird keine Regel auch nur einigermaßen zuverlässig eingehalten. Nicht selten liest man Schreibungen, die noch unsinniger sind als die vorgeschriebenen: Im Zweifel wird offenbar die unsinnigste Möglichkeit gewählt; was immerhin implizit ein vernichtendes Urteil darstellt.

Es klingt wie Hohn, ist aber vermutlich blanker Unkenntnis geschuldet, wenn Kultusministerinnen fordern, die Einheitlichkeit der Rechtschreibung im deutschen Sprachraum müsse bewahrt (!) werden. Genau umgekehrt verhält es sich: Wiederhergestellt muß sie werden.

Dazu scheint sich jetzt endlich ein Weg zu öffnen. Unter der umsichtigen Leitung Hans Zehetmairs ist der von der Kultusministerkonferenz (KMK) eingesetzte Rat für Deutsche Rechtschreibung dabei, die umstrittenen Teile der "Reform" noch einmal zu prüfen und gegebenenfalls neue Lösungen zu erarbeiten. Was er zur Getrennt- und Zusammenschreibung beschlossen hat, ist allgemein begrüßt worden. Allein, anstatt nun abzuwarten, was dabei herauskommt, isoliert die KMK die Getrennt- und Zusammenschreibung und beschließt, alle anderen Teile der Reform vom heutigen 1. August an verbindlich zu machen, indem sie sie als unumstritten ausgibt. So fordere es die Verläßlichkeit.

Dazu ist zweierlei zu bemerken: Erstens gehört es zu den Grundlagen der Demokratie, daß man anderes meinen kann als die Staatsmacht. Wo nun über bestimmte Materien in weiten Teilen der Bevölkerung verschiedene Meinungen herrschen, sind diese zweifellos umstritten. Wie im vorliegenden Fall etwa Groß- und Kleinschreibung, Silbentrennung, Laut-Buchstaben-Zuordnung oder die Drei-Konsonanten-Regel. Leugnet die Staatsmacht das, unter dem Motto: was strittig ist, bestimme ich, so ist das - politisch gesehen - eine unerträgliche Anmaßung. Nicht die erste in dieser Geschichte, welche mit der Absicht begann, einer Sprachgemeinschaft Regeln des Schreibens zu diktieren. Aber wahrscheinlich wissen die Minister auch das nicht, so daß man ihnen höchstens Ignoranz ankreiden darf. Das zweite ist, daß sie meinen, die Verläßlichkeit verlange von ihnen die Inkraftsetzung der Regeln, wie sie sind. Wiederum klingt es wie Hohn. Für wie dumm muß man Schüler halten, wenn man ihnen, bei strenger Benotung, etwas als endgültig hinstellt, was aller Voraussicht nach in Kürze verändert wird? Um von zahlreichen inzwischen erfolgten, zwar geleugneten, aber im Duden handgreiflich vollzogenen Wiederherstellungen alter Schreibungen zu schweigen. Verläßlichkeit zeigen die Minister vielmehr nur darin, daß sie beratungsresistent einen Weg weiterverfolgen, von dem inzwischen längst abzusehen ist, daß er nicht zum Ziel führt. Und sie tun es mit allen Zwangsmitteln, die ihnen zu Gebote stehen, und mit Pressionen, an denen sich anscheinend auch Ministerpräsidenten beteiligen. In Österreich darf Literatur in bewährter Schreibung in der Schule nicht mehr benutzt werden. Offenbar ist es wichtiger, daß Kinder nicht im Lesen irritiert, als daß sie mit Werken von Grass, Enzensberger, Walser oder Jelinek vertraut werden. Auch Leihbüchereien sollen schon von dem Bazillus gesäubert worden sein. Wo so etwas dekretiert wird, pfeift man auf dem letzten Loch. Denn selbstverständlich begegnen die Schüler überall der bewährten Schreibung; in alten Schulbüchern, die noch im Gebrauch sind, wie in neuen Textsammlungen literarischer und historischer Art, da viele Autoren darauf bestehen, daß ihre Texte nicht umgestellt werden. Die Lehrer beherrschen die neuen Regeln nur unzulänglich (und man hat ja auch manchmal den Eindruck, daß sie Wichtigeres zu tun hätten). Schließlich: Kann, soll, darf man die Schüler von der Lektüre guter Zeitungen und von mehr als neunundneunzig Prozent der deutschsprachigen Literatur abkapseln? Diese Begegnung also müssen sie schon aushalten. Und man darf sie deswegen nicht eigens hysterisch machen. Wer meint, daran etwas ändern zu können, steht mit der Realität auf Kriegsfuß.

Man kann sich fragen, warum so viele - gerade unter den Schriftstellern - sich dem Neuschrieb verweigern. Vielleicht aus Anhänglichkeit an Überholtes in reformbedürftiger Zeit? Genau das Gegenteil ist der Fall. Es ist nicht zumutbar, grammatisch falsche Schreibungen ("du hast ganz Recht"), das Auge verletzende Wortungetüme ("Schlussszene", "Programmmesse") und sonstigen Schwachsinn ("eine Hand voll Kultusminister") zu übernehmen. Man müßte sonst nichts von Sprache verstehen. Und im übrigen: Ja, wir brauchen dringend Reform und Innovation. Aber sie müssen einen Sinn haben, sonst sind sie schlimmer als bloßes Beharren. Sie dürfen auch nicht, wie weite Teile dieser "Reform", auf das frühe neunzehnte Jahrhundert zurückführen, denn der Neuschrieb ist überholt, nicht die bewährte Schreibung! Und sie sollten nicht so obrigkeitlich ansetzen wie dieser anders gar nicht denkbare Versuch, einer Sprachgemeinschaft von mehr als hundert Millionen grammatisch falsche Schreibungen und anderen Unsinn aufzuerlegen.

Wie ist es zu erklären, daß unsere Kultusminister derart starr an der mißglückten Reform festhalten? Obwohl sie, spricht man sie einzeln, so uneinsichtig gar nicht sind. Sind sie zu weit von der Wirklichkeit entfernt? Gehen sie in keine Buchhandlung? Lesen sie keine Zeitungen, oder tun sie es nicht gründlich? Bekommen sie nur geschönte Befunde apportiert? "Wir stehen zu den Beschlüssen der KMK - alles andere führt ins Chaos", verlautet aus Potsdam. Warum um alles in der Welt wissen die Minister nicht, daß sie es sind, die das Chaos angerichtet haben und immer weiter nähren?

Gerade acht Prozent der Deutschen sind nach letzten Umfrageergebnissen für den Neuschrieb. Landläufige Vernunft vermag dieses Rätsel nicht zu lösen. Man scheut sich in diesem doch einigermaßen demokratisch gesitteten Lande, überhaupt nur für möglich zu halten, was von den Behörden evident seit neun Jahren praktiziert wird. Der Tatbestand ist schlechterdings nicht zu fassen. Die einzig mögliche Antwort, die ich sehe, ist, daß die Minister in diesem Punkt ihre Urteilsfähigkeit jenen Ideologen und Betonköpfen überantwortet haben, die als Arbeitsgruppe Rechtschreibungsreform der KMK im verborgenen wirken. Unter diesen Umständen wird es für die, die nicht dem Diktat der Minister unterstehen, nicht nur ein großes Vergnügen, sondern geradezu eine Ehrensache sein, von heute an falsch zu schreiben.

Discussions

Yannick Lefranc

J’aimerais savoir pourquoi ils ont fait cette réforme. Qui a eu cette idée-là ? Et sur quelle base ? Qui a décidé ça ? Et au nom de qui ?

Cécile Jahan

Les motivations sont sociales, pas tellement linguistiques à l’origine. En fait, le projet a été mis en place dans les années 1980, mais l’idée d’une réforme est déjà bien antérieure. C’est même presque au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’on voit que les pays occidentaux, l’Allemagne en particulier, n’ont pas de bons résultats scolaires, que la recherche n’est pas à la hauteur de la capacité du pays, … que l’on commence à s’inquiéter de la formation des Allemands et des jeunes des pays occidentaux. Et donc c’est là qu’on reproche à l’école de ne pas correctement former ces jeunes et on constate que ces jeunes ont de grandes difficultés et, en particulier, des difficultés dans la maîtrise de la langue allemande, et ce qui bloque, dans cet apprentissage de la langue, c’est l’orthographe. Donc, ça part d’un constat qui est social, d’une crise sociale, on remet en question la formation qui est faite. Les pays occidentaux ne sont plus à la hauteur par rapport à leur niveau de vie et il faut faire quelque chose. Et c’est comme ça que cette réforme orthographique est apparue un peu dans le débat.

Il faut se souvenir aussi qu’à ce moment-là, l’Allemagne est encore divisée en deux Allemagne (RFA, RDA) et que les Allemands de l’Est avaient songé à une réforme déjà bien avant, c’est-à-dire dans les années 1960. On a déjà commencé à travailler à une simplification de l’orthographe ; il y a aussi un travail terminologique et idéologique important qui est fait en Allemagne à cette époque‑là et l’Allemagne de l’Ouest ne veut pas être en retard par rapport à ça et lance donc le processus de réforme pour rattraper ses voisins.

Il y a donc une concurrence et il y a surtout une motivation sociale qui a été traitée linguistiquement.

Daniel Coste

Ça veut dire que par rapport aux objectifs que vous évoquiez, l’évaluation porte sur différents niveaux d’objectifs. Ça a veut dire que l’objectif initial n’est pas simplement un objectif de politique linguistique, mais qu’il a été présenté sans doute par les décideurs responsables en termes d’utilité sociale et de politique éducative. Il y a donc quand même une relation de correspondance assez étroite, plus qu’un décalage à mon avis, entre les objectifs affichés et les points sur lesquels l’évaluation critique porte.

Cécile Jahan

Elle a aussi été présentée comme une mesure d’aménagement linguistique. Ce sont plus les instituts qui ont été impliqués dans la réforme, qui ont été sollicités pour faire les nouvelles règles, des chercheurs, qui ont aussi présenté la réforme comme un aménagement de corpus. Mais effectivement, le discours politique, c’était de dire « c’est une politique sociale ».

Odile Schneider-Mizony

Je voudrais intervenir sur deux points essentiels en rapport avec la question posée par M. Lefranc précédemment et qui concernent, disons, les raisons de la réforme. Il faudrait peut‑être distinguer d’une part le discours qui a été tenu par les réformateurs, parce qu’ils pensaient que c’était le discours qui devait être tenu et qui était éventuellement un discours de simplification ou un discours avec argumentation didactique. Mais ce n’était pas une des raisons importantes de la réforme. Une raison de la réforme est que tout système graphique évolue au cours du temps et qu’on passe forcément d’une écriture qui relève plus du scripteur vers une écriture, un système graphique qui prend mieux en compte le décodage et que ça entraîne des transformations orthographiques. Dans la mesure où la langue évolue, il faut aussi que le système graphique prenne ceci en compte. Seulement, comme c’était un discours de spécialiste, un discours de linguiste, et de linguiste systémiste, de gens qui s’occupent de graphématique, ce n’était pas le discours qui pouvait être tenu dans ce cadre. Donc, par rapport à ça, vous avez dit à la fin que les évaluations qui ont été faites étaient des évaluations en termes de politique sociale, bien évidemment. C’est vrai que le grand public, qui n’est pas expert, n’est absolument pas informé des nécessités de la graphématique d’un système, il n’a aucune idée des arguments d’après lesquels on peut évaluer ce type de réforme du point de vue linguistique.

Par rapport à ça, il ne faut pas transformer les tenants de la réforme, j’allais dire, en gens plus bêtes qu’ils n’ont été. Vous avez beaucoup évoqué les adversaires. Mais, dans leur immense majorité, les linguistes étaient des tenants de la réforme pour des arguments qui étaient autre chose que des enquêtes bizarres qui n’étaient pas encore en place au moment où les grands mouvements en 1953 ont débuté pour mettre au point des commissions orthographiques internationales. Et par rapport aux arguments que vous évoquez dans les textes, effectivement ils sont croisés dans les différents textes, parce que ce sont des topoi.

Cécile Jahan

J’en suis consciente. Je n’ai pas du tout parlé des évaluations positives, il y en a eu quand même évidemment, y compris par la société civile uniquement, pas seulement par les experts. Et puis il y a aussi l’évaluation experte faite par les linguistes. Mais là, c’est plus une évaluation qu’on trouve dans des revues spécialisées de linguistique où l’argumentation est strictement linguistique, mais celle-là, elle n’est pas tellement accessible à la société civile. En fait, moi, ce qui m’intéressait, c’était de voir comment était évaluée la réforme orthographique et comment entrer par le biais de l’évaluation dans la réforme orthographique. Et quand on consulte Internet et qu’on lit les journaux ou la presse, ça m’apparaissait comme un biais intéressant parce que c’est celui qui est le plus présent. Mais, évidemment, il y a aussi une évaluation linguistique, faite par des experts, qu’on trouve dans les magazines spécialisés, et il y a aussi d’autres types d’évaluation dont je n’ai pas parlé.

Jean-Michel Eloy

C’est vrai que j’ai envie de réagir aussi là-dessus, parce qu’il y a des similitudes frappantes dans les argumentations avec ce qu’on a entendu en France et auxquelles j’ai été mêlé plus que de raison. Pour revenir sur cette question des motivations : ce qui me frappe, c’est qu’aucune des motivations alléguées n’est convaincante, aucune, c’est-à-dire qu’on ne peut pas croire qu’ils aient fait tout ce travail-là pour aucune des raisons avancées.

En revanche, il y a une idée, un thème qui permet de subsumer un peu tout ça. Ce n’est pas par hasard, il me semble, si en France cette affaire-là a été engagée par Rocarda, c’est le thème de la modernité. Et effectivement, si on admet cette perspective, la modernité, c’est un mot qui n’a pas un sens très précis, c’est « l’auberge espagnole », chacun y met ce qu’il veut. Les uns vont y mettre leur avancée pédagogique, d’autres vont y mettre des enjeux sociaux, d’autres vont y mettre des enjeux économiques. Aucun des acteurs ne voit l’ensemble, y compris aucun des décideurs principaux ne voit l’ensemble. Je me rappelle avoir posé la question directement à Michel Rocard quelques années après - je l’avais rencontré sur un quai de gare -, il m’a dit « ah, oui, on a fait ça pour les informaticiens », ce qui était une réponse à peu près idiote… Je crois que ce qui a permis de lancer cette affaire‑là, c’est le thème de la modernité, chacun y mettant ce qu’il veut. Moi, c’est la seule réponse que je trouve à la question de la motivation.

Par rapport à votre exposé que j’ai trouvé tout à fait passionnant, il y a quand même une question qui, me semble-t-il, pourrait être abordée et apporter des considérations en plus. C’est : quelles sont les pratiques que les gens ont des normes ? L’existence des normes, on a tendance à croire que, comme par magie, ça agit sur la réalité. En France, il y a cette habitude d’écrire « la », déjà au singulier, « Norme » avec majuscule. Et à partir de là, on croit que, par magie, ça change quelque chose. Une version de la norme, c’est un simple texte et puis la preuve est que si personne ne lit ce texte, il ne sert à rien, tout simplement.

Dans les études juridiques françaises, il y a une grande faiblesse, paraît‑il, sur ce plan‑là. Ça veut dire que les juristes en France étudient les normes juridiques et se préoccupent fort peu de la façon où elles sont appliquées par la société. Il me semble qu’il y a tout un ensemble de considérations là, qui seraient : quelles sont les pratiques des normes orthographiques ? Et on serait probablement surpris par le résultat. Je pense en particulier aux études qui ont été faites à Grenoble par Vincent Lucci et Agnès Milletb. Il y a au moins une étude qui a été faite sur commande de la DGLF et qui montrait des choses tout à fait étonnantes, à savoir qu’on applique les normes qu’on veut. Dans le même temps où il y avait la grande dispute en France sur la réformette de l’orthographe, le maire de Paris, qui était à l’époque Jacques Chirac, envoyait à deux millions et demi de foyers une feuille d’impôts. Et comme vous le savez, depuis un certain temps, la mode est de mettre quelques lignes manuscrites pour dire « chers concitoyens, vous allez payer des impôts, mais tout va bien se passer ! » Sur quatre lignes, il manquait trois accents circonflexes et c’était évidemment le signe d’un scripteur de prestige. Quand on est au‑dessus de la mêlée, on ne met pas les circonflexes. C’est la petite secrétaire qui, elle, ne sera pas pardonnée s’il manque un circonflexe, mais le chef non, bien sûr, lui, il ne les met pas. Il y a des pratiques socialement distribuées, socialement significatives, des normes, qui font que même les déclarations, les discours hostiles ou favorables aux réformes prennent finalement un autre sens.

Yannick Lefranc

Je voudrais faire une remarque. Il y a un aspect carrément existentiel dans ces histoires d’orthographe, non parce que je suis Français, mais je pense que, même en Allemagne, ça doit être de ce genre-là. Je me demande si cela tourne autour de la notion de fixité, de stabilité, d’ordre, de pérennité, etc. On s’accroche à un certain nombre d’éléments qui sont à la fois pathétiques et tragi‑comiques en même temps. En effet, ce qui est quand même terrible, je prends un petit point, c’est que suivant les réformes - 1996, 2004, 2006 -, c’est le fait qu’on ait le choix, qu’il y ait un flottement entre des formes : « soit vous faites ça, ou ça ou ça, comme vous voulez ». Ça doit être très difficile pour des enseignants, campés sur un certain choix de formes justes versus formes injustes, de se retrouver avec un certain nombre d’éléments où on a le choix entre une forme qui, dans l’histoire personnelle de l’individu, lui il a été inculquée comme juste et qu’on lui a demandé d’inculquer comme juste dans sa formation de prof, individu qui a participé à, ce que j’appelle plutôt que la politique linguistique, la police linguistique. Personnellement, c’est un peu le terme que j’utiliserai de manière générale, plutôt que « politique linguistique », à partir du moment où c’est fait en haut et qu’on n’a pas trop le droit de discuter. Là, il y a eu des discussions, on se rapproche peut‑être du débat. Voilà un prof qui est le policier de la langue, gardien de l’ordre du discours ou de la langue et qui d’un seul coup doit changer. Et qu’est‑ce qu’il va faire quand il va rencontrer des parents d’élèves qui vont lui dire, s’il est dans le même village, « mon fils, maintenant, on ne le corrige plus pour telle ou telle chose, alors que moi, vous vous souvenez, vous m’aviez repris en public » ? Je crois qu’il y a là quelque chose qui est beaucoup moins secondaire qu’on ne le pense, même si je raconte ça d’une façon anecdotique. Il me semble que les enjeux, ce sont des enjeux vraiment de police, au sens de domestication des sujets parlants, je dirai ça en anglais, « domestication of savage mind », c’est le terme qu’utilisait Goudy et qui n’est passé qu’en sous‑titre dans la traduction française, on a préféré « raison graphique », c’était moins violent, et politique linguistique, politique éducative, entre guillemets, c’est liéc. Je dirais même que la langue est intrinsèquement politico‑policière par son mode de fabrication, on le sait depuis beaucoup de travaux, notamment ceux de Balibar ou d’autres. Donc, on arrive dans quelque chose où on est obligé de reconnaître peut‑être que le politique est de toute façon dans la langue, si c’est une langue fabriquée comme le français ou l’allemand, où on voit comment on fabrique ces langues‑là. Et l’arabe, c’est encore plus dangereux d’en parler.

Cécile Jahan

Effectivement, quand on a autorisé des alternatives graphiques, les gens se sont énormément plaints en disant que ça provoquait beaucoup de confusions et de désorientations dans l’apprentissage de l’orthographe. C’est pour ça qu’en 2006, pour certains aspects, on est revenu à ce qu’on avait avant : des règles très strictes qui sont à nouveau sanctionnées comme à l’époque des parents ou des grands-parents. Ça a donc quand même eu un effet sur la décision politique. Ce qui m’a étonnée cependant, c’est peut-être plus l’inverse : dans cette réforme, il y a plusieurs types d’interventions. Il y en a une qui est autoritaire, c’est‑à‑dire que pour certains aspects de la langue, on a dit « c’est comme ça maintenant et pas autrement, on ne discute pas », et puis, pour d’autres aspects, on a dit « vous faites comme vous voulez, on vous laisse la liberté de choisir ». Donc, je me représente ça comme un schéma, une espèce de cercle avec des cercles à l’intérieur. Il y a un noyau dur avec des dispositions linguistiques qui ont été imposées, qui n’étaient pas discutables, et puis après, il y a un noyau autour, qui est le noyau, je dirais, de tolérance, où l’on peut faire un peu comme on veut, puis après, il y a encore un cercle autour, où c’est l’orthographe traditionnelle qui a été maintenue.

Ce qui a été critiqué, c’est le cercle des tolérances, c’est‑à‑dire le cercle où on disait aux gens « vous faites comme vous voulez, on ne vous embête pas avec des règles de grammaire, etc. ». Le noyau dur n’a pas été remis en question. Donc, pour moi, c’est aussi un autre aspect qui m’étonne, quand je dis qu’on critique le côté anti‑démocratique et autoritaire de la réforme, ce n’est pas le noyau dur qui est remis en question, c’est la façon dont ça s’est passé sur le plan juridique, parce que l’Allemagne a une tradition différente de la France et là, on était dans un processus qui sortait un peu de l’ordinaire. Mais le noyau dur n’a pas été remis en question, et au niveau des pratiques, pour avoir regardé un peu des productions et puis pour avoir aussi écouté des enseignants, le noyau dur est appliqué sans problèmes.

Claude Truchot

C’est une observation, ce n’est pas vraiment une question. Je voudrais relever un aspect qui est apparu à la fois dans cette intervention et d’une certaine manière aussi dans les deux autres. Jean‑Michel Eloy a parlé de modernité et de l’importance qu’on accordait à la modernité, par exemple dans la réforme de l’orthographe en France. Il en est sans doute de même dans la réforme de l’allemand. François Gaudin faisait bien apparaître le rôle des représentations. Je pense qu’en ce qui concerne la Loi Toubon, elle a une certaine forme, une certaine puissance, un certain rôle symbolique. On voit apparaître un aspect, me semble-t-il, que je pourrais qualifier éventuellement d’« idéologique » dans une intervention sur la langue. Je n’emploie pas, à dessein, le terme de « politique linguistique », contentons‑nous, pour l’instant, d’« intervention sur la langue ». Il y a cet aspect « idéologique » dans les médias et néanmoins, il y a des experts ou des politiques qui vont évaluer. Et la question est : comment va‑t‑on évaluer l’idéologique ? Cela me semble être quand même un des problèmes de base, parce qu’on verbalise sur autre chose que l’idéologique, on va verbaliser sur du social, sur de l’économique, etc., sur la modernité aussi d’ailleurs, on peut verbaliser aisément là‑dessus. Je pense que c’est un problème qui va se poser de manière récurrente dans le travail que l’on mène. Comment intégrer cet aspect ? Comment intégrer cette dimension ?

X

Oui, parce que l’idéologie, on est dedans, comment la voir de l’extérieur ? A la rigueur, le programme d’action, on est à l’extérieur, on peut l’évaluer, mais l’idéologie, on est dans le même bain. Ce que je trouve frappant dans ce que vous avez dit, c’est que les gens protestent contre une marge de variation, vous savez bien, la haine de la variation, le refus de la variation, alors que nous savons bien qu’ils sont tous variants dans leur pratique d’écriture. Donc, la variation, en réalité de tous les jours, n’est pas pensée, elle ne veut pas être pensée, on n’en veut pas. C’est le refus de la variation, ce qui est une sorte de refus de la diversité aussi et, à ce moment-là, il me semble que ça nous renvoie à des constructions anthropologiques, à savoir la cohésion du groupe humain et je ne veux voir qu’une seule tête et on est complètement dans l’idéologie. A ce moment‑là, vous avez des optiques différentes et je renvoie au schéma que je trouve vraiment fondateur qui figure dans le livre de Robert Le Page et Andrée Tabouret-Keller intitulé Acts of Identityd. On est là dans le fonctionnement idéologique à la fois de la langue et du groupe humain, parce que c’est la même chose. Certains veulent le modèle « je ne veux voir qu’une seule tête » et d’autres veulent…, « on fait feu de tout bois », on fait un « instant pidgin », comme ils disent.

Notes

1 Regelwerk zur Neuregelung der deutschen Rechtschreibung : le manuel contenant les règles officielles est édité par l’Institut pour la langue allemande (Institut für deutsche Sprache ou IdS en abrégé), l’un des organismes impliqués dans le processus de réforme. L’IdS est également un centre de recherche en linguistique, sociolinguistique et dans d’autres domaines en lien avec la linguistique. Retour au texte

2 « …une simplification de l’orthographe par la suppression des exceptions et des particularités. » (trad. CJ) Retour au texte

3 « …l’orthographe s’apprend et s’applique plus facilement. » (trad. CJ) Retour au texte

4 « La Commission interétatique pour l’orthographe allemande va continuer à se préoccuper du maintien de l’unité de l’orthographe dans l’espace germanophone. » (trad. CJ) Retour au texte

5 « Comme le dispositif de 1901/1902, la nouvelle orthographe officielle est aussi obligatoire dans les institutions pour lesquelles l’État exerce à cet égard une compétence réglementaire. Il s’agit d’une part des écoles et, d’autre part, des administrations. Au-delà, elle sert de modèle pour tous les autres domaines dans lesquels les interlocuteurs souhaitent se calquer sur une orthographe la plus établie possible. Cela vaut particulièrement pour les imprimeries, les maisons d’édition, les rédactions mais aussi pour les particuliers. » (trad. CJ) Retour au texte

6 « Les nouvelles règles focalisent sur la suppression de toute atteinte au principe étymologique. » (trad. CJ) Retour au texte

7 « Le nombre de célibataires augmente avec le nombre de divorces. » (trad. CJ) Retour au texte

8 « L’orthographe traditionnelle demeure comme variante. » […] « La nouvelle réglementation écarte avant tout les absurdités. En même temps, elle veut laisser plus de marge à la décision du scripteur. » […] « Une plus grande liberté est laissée au scripteur. » (trad. CJ) Retour au texte

9 On peut citer parmi les personnalités opposées à la réforme l’écrivain Günter Grass ou encore le critique littéraire Marcel Reich‑Ranicki. Retour au texte

10 « n’apporte aucune simplification », « refusent », « inutilisable », « Dans la pratique scolaire, aucun enseignant ne sait plus écrire de manière conforme aux règles. » (trad. CJ) Retour au texte

11 « la réforme n’a apporté d’allègement ni pour les scripteurs professionnels ni pour les élèves. » (trad. CJ) Retour au texte

12 « débâcle, « chaos », « détruit » (trad. CJ)) Retour au texte

13 « insécurité », « déstabilisé », « confusion », « mélange » (trad. CJ) Retour au texte

14 « le chaos », « le désordre » (trad. CJ) Retour au texte

15 « échec catastrophique », « raté » (trad. CJ) Retour au texte

16 « Dans l’expérimentation quotidienne, la réforme a échoué », « un bilan consternant » (trad. CJ) Retour au texte

17 « Le bilan est accablant », « la réforme échouée » (trad. CJ) Retour au texte

18 « la soit-disant réforme » (trad. CJ) Retour au texte

19 « la confusion augmente », « plus grave qu’une simple obstination », « Les enseignants sont profondément déstabilisés », « La situation s’aggrave », « avec d’importantes imperfections » (trad. CJ) Retour au texte

20 « Celui qui savait écrire avec assurance avant la réforme fait des fautes aujourd’hui. » (trad. CJ) Retour au texte

21 « La réforme se base sur 112 règles avec 1106 modalités d’application qui contiennent 111 listes de mots équivalant à 1130 mots à mémoriser ou à consulter. » (trad. CJ) Retour au texte

22 « une atteinte massive à la sémantique et la grammaire de la langue. » (trad. CJ) Retour au texte

23 « Il n’est pas raisonnable d’accepter des écritures qui sont grammaticalement fausses [tu as tout à fait raison] (…) », « des monstres lexicaux qui heurtent le regard » (trad. CJ) Retour au texte

24 « un chaos de milliers de formes d’écritures se contredisant et réparties dans dix dictionnaires différents. » (trad. CJ) Retour au texte

25 « Les parents utilisent une autre orthographe que les enfants. » (trad. CJ) Retour au texte

26 « Les orthographes-maison (ou orthographes locales) diffèrent les unes des autres. » (trad. CJ) Retour au texte

27 « La réforme orthographique enfreint les principes pédagogiques. » « Les déficits en matière d’orthographe ne peuvent être attribués à de prétendus manques dans l'orthographe traditionnelle (qui a fait ses preuves). Les faiblesses que rencontrent les élèves en orthographe ne peuvent être améliorées qu'au moyen d’exercices de lecture et d’écriture ou, dans le cas de fortes faiblesses en orthographe et en lecture, par le biais de cours de soutien adaptés individuellement. » (trad. CJ) Retour au texte

28 « L’insécurité grandit, les mélanges entre l’ancienne et la nouvelle orthographe font partie du quotidien. Celui qui savait écrire avec assurance avant la réforme fait aujourd’hui des fautes. (…) Les enseignants sont profondément déstabilisés. » (trad. CJ) Retour au texte

29 « Bien entendu, les auteurs et les éditeurs germanophones les plus importants refusent la nouvelle réglementation pour leurs livres. », « D’après des sondages, la population est à 90 % contre la réforme. » (trad. CJ) Retour au texte

30 « Car bien entendu, les élèves ont à faire partout avec l’orthographe traditionnelle (qui a fait ses preuves), dans les vieux manuels scolaires qui sont encore utilisés, de même que dans les recueils récents de textes littéraires et historiques, car beaucoup d’auteurs insistent pour que leurs textes ne soient pas transposés. Les enseignants ne maîtrisent les nouvelles règles que de manière insuffisante. » (trad. CJ) Retour au texte

31 « refuser », « l’acception insuffisante. » (trad. CJ) Retour au texte

32 « refuser », « Il n’y a guère d’écrivain sérieux qui ne pense à passer à la nouvelle écriture. », « D’après les résultats des derniers sondages, huit pour cent des Allemands sont à ce jour pour la nouvelle orthographe, » (trad. CJ) Retour au texte

33 « des coûts élevés », « gaspillage des impôts » (trad. CJ) Retour au texte

34 « une réforme imposée de manière non démocratique » (trad. CJ) Retour au texte

35 « la fin d’une dyslexie ordonnée par l’État », « La langue allemande n’a pas besoin d’une surrégulation venant de la bureaucratie des Ministères de l’éducation et de la culture. » (trad. CJ) Retour au texte

36 « dicter » (sens impératif), « diktat » (trad. CJ) Retour au texte

37 « la compétence du législateur, c’est-à-dire des représentations du peuple, a été ignorée » « De même, les décisions (au sens d’arrêtés, de décrets) prises lors des conférences des ministres-présidents, des ministres de l’intérieur et des ministres de l’éducation et de la culture concernant l’introduction de la réforme orthographique ne sont pas, d’après l’avis dominant de juristes influents, juridiquement contraignantes faute de s’appuyer sur une loi. » (trad. CJ) Retour au texte

a Michel Rocard est Premier ministre de mai 1988 à mai 1991. Retour au texte

b LUCCI Vincent, MILLET Agnès (Coord.), 1994, L'orthographe de tous les jours. Enquête sur les pratiques orthographiques des Français, Paris, Champion. Retour au texte

c GOODY Jack, 1977, The Domestication of the Savage Mind, (trad. Française), La raison graphique, Paris 1979, éd. de Minuit, coll. Le sens commun. Retour au texte

d LE PAGE Robert, TABOURET-KELLER Andrée, 1985, Acts of Identity. Creole-based Approaches to Language and Ethnicity, Cambridge, University Press. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Cécile Jahan, « La réforme orthographique allemande de 1996 à 2006 et sa réception : analyse des quelques discours évaluatifs », Cahiers du plurilinguisme européen [En ligne], 1 | 2008, mis en ligne le 01 janvier 2008, consulté le 04 décembre 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/cpe/index.php?id=127

Auteur

Cécile Jahan

Doctorante en études germaniques, Cécile Jahan termine une thèse qui porte sur une approche comparative des politiques linguistiques de la France et de l’Allemagne à l’égard du français et de l’allemand de 1945 à nos jours.

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