Présentation/Hypothèses
Le schéma traditionnel « périphérique » de la dynamique diglossique1, selon lequel il n’y a que deux sorties antagonistes (normalisation vs substitution) à un conflit diglossique, peut et doit même être enrichi, en particulier à partir de l’analyse contrastive/comparative de plusieurs situations sociolinguistiques de langues que l’on a pu considérer comme étant en fin de substitution (cf. Alén Garabato et Boyer, 2022 ; Boyer 2022 ; Colonna, 2013 ; Costa, 2015). À cet effet, nous présenterons dans cet article des évolutions, certaines pour le moins inattendues, de plusieurs conflits diglossiques, à commencer par celle de l’occitan en France, pour lequel nous avons pu observer, malgré son état de forte minor(is)ation à l’époque contemporaine, la manifestation de ce que nous avons qualifié de (micro)-actes glottopolitiques (Alén Garabato et Boyer, 2020 ; Boyer, 2023) qui confèrent à la langue en voie de disparition une valeur patrimoniale dynamique. Cette valeur patrimoniale peut être mise à profit dans la valorisation de territoires vulnérables2, comme le montre l’intérêt récent de la région Occitanie pour la récupération et la normativisation de microtoponymes en vue d’une promotion, par exemple, des Chemins de transhumance du parc naturel régional de l’Aubrac.
Dans cet article nous utilisons le terme de « territoires vulnérables » pour désigner des espaces qui ont subi ou qui subissent des changements sociaux (comme les migrations, la désertification rurale, le vieillissement de la population, la touristification…), géographiques (comme l’isolement/l’enclavement…), économiques (comme la destruction de l’habitat rural), etc., susceptibles de les placer dans une situation de risque. Nous partons de l’idée qu’aujourd’hui les langues régionales très minor(is)ées ne sont pas (ou pas seulement) menacées par l’action glottophage des États. Leur « vulnérabilité » est parfois associée à celle des territoires qui ont été traditionnellement les leurs : nous considérons donc comme « langues vulnérables » celles qui sont traditionnellement parlées sur ces territoires et qui voient aujourd’hui leur contexte naturel en danger. La notion de risque est inhérente à celle de vulnérabilité : ces langues risquent de disparaître à plus ou moins long terme. Nous mettrons en regard le cas de l’occitan avec le cas des langues d’Aragon dont l’usage survit dans des contextes très précaires d’un point de vue sociolinguistique mais aussi socio-démographique.
Cette mise en regard est instructive car elle permet de réfléchir en termes plus généraux et de dégager des tendances actuelles (au-delà des territoires particuliers) qui semblent annoncer l’émergence d’un nouveau paradigme de résilience ethnosociolinguistique. Nos réflexions s’appuient sur plusieurs enquêtes réalisées récemment (Alén Garabato, 2020 ; Alén Garabato et Boyer, 2020 et 2022 ; Boyer, 2022) ou en cours de réalisation par les auteurs de cette contribution et qui rendent compte de stratégies glottopolitiques « de par en bas » essentiellement, mais aussi « de par en haut »3.
L’hypothèse illustrée dans notre contribution corrige ainsi très sensiblement la modélisation du conflit diglossique cher à l’école montpelliéraine, inspirée de l’école sociolinguistique catalane. Elle consiste, à partir de nos observations et analyses, à considérer qu’une langue très minor(is)ée, en grand danger de disparition, n’est pas fermée à un « retour sur loyauté » de la part de (certains) acteurs socio-professionnels, par ailleurs non-locuteurs naturels de la langue en question, mais ayant eu un contact positif avec certains de ses usages hérités et porteurs de représentations dynamiques (et donc positives) par rapport à son statut présent et à venir.
Le schéma ci-dessous (Fig. 1) illustre la correction que notre hypothèse apporte à la modélisation canonique catalano-occitane du conflit diglossique :
Le point de départ est une situation de conflit diglossique où fondamentalement deux langues ne sont pas seulement en contact mais également en conflit, c’est-à-dire où l’une de ces deux langues est dominante (ex. l’espagnol en Espagne et au Paraguay) et l’autre dominée (ex. le galicien en Espagne, le guarani au Paraguay). Cette situation repose sur un édifice idéologique où représentations et attitudes ambivalentes (Boyer, 2003, 2007) sont à la manœuvre, en principe en faveur de la poursuite et du parachèvement de la domination. Ainsi l’attitude d’auto-dénigrement dont sont victimes les locuteurs de la langue dominée est soumise à l’attitude de sanctuarisation de la langue dominante. Cependant, l’ambivalence des représentations et attitudes peut laisser une opportunité à l’émergence d’une contre-idéologie diglossique pouvant permettre à la langue dominée de trouver de nouvelles marques : par exemple lorsqu’une patrimonialisation dynamique est susceptible de produire des micro-actes glottopolitiques dans tel ou tel domaine de la langue dominée cédés de longue date à la langue dominante (par ex. le commerce, le tourisme…) permettant un timide mais efficient « retour de loyauté »4. C’est le fait que ces interventions visent à sinon « guérir », du moins à améliorer la situation sociolinguistique de ces langues, qui nous amène à parler de glottothérapies5.
L’occitan : de la fin de la substitution à l’ancrage sur le terroir
L’histoire de l’occitan est une bonne illustration d’une dynamique diglossique conduisant à la substitution. On ne s’étendra pas ici sur les étapes de cette dynamique, que l’on peut rapidement résumer à trois moments clés : début de la minoration vers la fin du xiiie siècle, minoration des usages écrits à partir du xvie siècle et minoration généralisée dans les usages oraux à partir de la Révolution française et de la scolarisation obligatoire (cf. Boyer, 1999 ; Kremnitz, 1981). Face à ces orientations vers la substitution, on n’a pas vraiment vu apparaître de véritables stratégies de normalisation mais on a assisté à de nombreux actes glottopolitiques, désorganisés pour la plupart, que l’on peut qualifier d’actes de résistance et de maintenance : les premiers combats littéraires à partir du xvie siècle, le Félibrige à la fin du xixe siècle (concernant l’écrit) et le(s) mouvement(s) occitaniste(s) concernant les usages écrits et oraux au xxe et au xxie siècles (Boyer et Gardy (dir.), 2001). Au xxie siècle, on peut signaler quelques stratégies de normalisation mises en place par les pouvoirs publics (Alén Garabato et Boyer, 2020), qui luttent contre des siècles d’inertie dans une situation sociolinguistique qui est aujourd’hui, et depuis des décennies, très fragilisée en ce qui concerne aussi bien les usages (7 % de la population des régions d’Occitanie et de Nouvelle-Aquitaine se déclarent « locuteurs », selon l’enquête de l’Ofici public de la lenga occitana (OPLO, 2020)) que les représentations (qui sont cependant nettement moins stigmatisantes que dans le passé).
L’occitan et les autres langues régionales de France appartiennent officiellement au patrimoine de la France depuis 2008. L’État « invite à considérer ces langues […] plutôt comme des outils de création artistique que comme moyens de communication » (DGLFLF, 2007 : 19). Dans ce cadre de patrimonialisation dynamique de la langue, on doit signaler (parfois avec surprise) un bon nombre d’initiatives de bas en haut (bottom-up) qui constituent autant de signes d’ethno-sociovitalité de la langue occitane à la fin du xxe siècle et au début du xxie siècle. Nous avons ainsi travaillé sur la présence de l’occitan sur Internet (Alén Garabato 2001a ; Alén Garabato et Boyer, 1999), sur la chanson en occitan (Alén Garabato 2001b et 2004 ; Calvet 2022) ou encore sur les publications périodiques qui ont contribué (au sein de nombreux réseaux) à maintenir la langue, dans certains de ces cas depuis un siècle, et ont résisté au processus d’homogénéisation linguistique et culturelle de la France (Alén Garabato, 2008). Mais ce dont nous parlerons ici va plus loin que la simple maintenance de la langue. On pourrait parler de résilience d’une langue qui est en train de réapparaître, contre toute attente, sous de nouvelles formes et de nouveaux usages.
1.1. Des actions glottopolitiques novatrices « de par en bas » : l’occitan dans les stratégies commerciales en région Occitanie
Il sera question du secteur du commerce en région Occitanie6 et nous rendrons notamment compte de quelques résultats du projet ECO-OC (« La langue et la culture occitanes face au marché en région Occitanie »)7, qui nous offrent des éléments d’appréciation concernant les usages divers (très minoritaires, certes) que certains entrepreneurs font actuellement de la langue et de la culture d’oc, dans un contexte sociolinguistique, on l’a dit, dans lequel la fonction communicative de la langue occitane semble avoir laissé la place à la fonction patrimoniale.
Le projet ECO-OC nous montre deux stratégies de patrimonialisation très différentes : l’une que l’on peut appeler de folklorisation (qui est ancienne et qui probablement perd lentement du terrain) et l’autre, plus moderne, que nous avons appelé de terroirisation (Alén Garabato, 2021 ; Alén Garabato et Boyer, 2020), qui correspond, certes à une patrimonialisation, mais dynamique, comme nous allons le montrer. Deux supports d’affichage de l’identité commerciale analysés nous permettront d’illustrer ces dynamiques : les noms des entreprises (en tout premier lieu les entreprises commerciales) et les noms de certains produits agro-alimentaires, notamment le vin et les pâtes alimentaires.
L’analyse quantitative chronologique du nom des 260 774 entreprises de la région Occitanie inscrites à la Chambre de Commerce et de l’Industrie de France en 20178 nous offre un premier élément d’appréciation9 : l’identité portée par les désignants oc/occitan/Occitanie et dérivés (qui concerne 950 entreprises) est de plus en plus concurrencée, notamment à partir des années 2000, par celle des désignants en langue occitane (qui concerne 912 entreprises)10. Cela dit, l’analyse des mots en occitan choisis pour désigner ces entreprises11 nous renvoie à une identité fortement simplifiée et stéréotypée : il faut signaler la pauvreté du lexique utilisé (écrit selon des graphies très diversifiées) ainsi que des champs lexicaux qui sont majoritairement le « foyer » : oustal/oustau/oustalet, cantou/recantou (‘coin/recoin’), pitchoun (‘petit’) ; le « pays » : pais, aqui (‘ici’) ; le « soleil » : souleil (‘soleil’), soleilha (‘il fait soleil’), soleillous (‘petits soleils’), etc. On constate aussi que le morphème le plus utilisé dans ces dénominations est largement l’article masculin singulier lou, qui correspond à la graphie francisée de l’article occitan lo en même temps qu’à la graphie mistralienne : 24 % des entreprises utilisant un nom en occitan portent cet identitème (Boyer, 2017) qui, à lui seul, renvoie à l’identité locale, mais qui peut s’associer à d’autres mots pour renforcer sa valeur référentielle : Lou pais d’aqui (‘le pays d’ici’), Aqui lou sud (‘ici le sud’), etc. La présence majoritaire de cette forme de l’article nous permet également d’apprécier l’état de la question de la norme, car l’article en graphie classique lo est fortement minoritaire et plus tardif que l’article lou : les 2 % de dénominations des entreprises du corpus qui le portent ont toutes été créées depuis l’année 2000.
Les entretiens approfondis que nous avons conduits auprès d’une vingtaine de responsables d’entreprises ou d’artisans ayant fait le choix de l’occitan pour nommer leurs établissements ou leurs produits nous permettent d’aller plus loin dans nos analyses, de contraster et d’identifier ces tendances qui semblent à peine s’amorcer dans le corpus des noms des entreprises. Le premier élément à souligner concerne le rapport des enquêtés avec le terroir, marqué par leur fidélité à la tradition (à la lignée même) et leur solidarité intergénérationnelle. Cela les mène à une réflexion à propos de leur activité et notamment, lorsqu’il s’agit des producteurs agroalimentaires (vin, pâtes…), à un engagement éco-responsable (« agriculture raisonnée » « plus qu’écologique ») selon les mots de plusieurs enquêtés.
Aymeric Amiel, l’un des propriétaires du domaine viticole des Amiel dans l’Hérault, qui a une trentaine d’années, tient à ce propos un discours éclairant12 :
PV2 : le bio c’est beaucoup d’interdits/ on essaye d’arrêter de détruire/ on essaye d’arrêter de polluer/ c’est déjà très bien/ mais/ on considère nous/ qu’en 60/70 ans de chimie/ on a tellement détruit qu’il suffit pas d’arrêter de détruire/ il faut aussi essayer de reconstruire/ et donc la biodynamie a une idée un petit plus peut-être philosophique/ dans le sens où/ on va avoir tous les interdits de l’agriculture biologique/ mais on va aussi avoir des obligations/ pour avoir des actions positives sur la plante et son environnement/ […] c’est pas parce que je suis vigneron/ que je dois m’attacher qu’à mes pieds de vigne/ je dois aussi regarder autour/ en dessous/ au-dessus/ et donc essayer d’apporter de la biodiversité/ de la vie au sol/ peut-être pourquoi pas reconstruire des paysages
À ce respect envers le terroir correspond une grande considération envers l’occitan, une langue que nos enquêtés (qui ont entre 30 et 70 ans) ont souvent entendue mais qu’ils n’ont pas, pour la plupart, parlée dans leur enfance. La rupture (pas toujours complètement accomplie) s’est faite depuis une génération. Ils ont cependant été marqués par elle… Des discours comme celui que tient le producteur du vinaigre La Granhota (‘la Grenouille’) dans l’Aude sont fréquents :
PA1 : moi/ je le baragouine/ je l’ai jamais appris/ je l’ai appris un tout petit peu je l’ai toujours entendu parler dans la famille/ donc/ je suis capable de le de l’écouter/ de baragouiner un petit peu/ de discuter un tout petit peu/ je dois faire beaucoup de fautes/ mais disons que c’est une culture qui est qui a toujours fait partie de mon enfance/ voilà/
L’absence de pratique n’empêche pas le plaisir qu’ils éprouvent à trouver des noms ou des expressions originaux et créatifs pour leurs produits ou leurs établissements commerciaux. Ces dénominations (parfois étonnantes) racontent une histoire. Ainsi, la bière Sabètz que lèu13 (Brasserie d’Olt, Aveyron) prend son nom d’une anecdote dans l’enfance des producteurs, racontée sur l’étiquette présente sur la bouteille, ainsi que sur le site web de l’entreprise14:
Enfants, lorsque nous étions trop turbulents, mon grand-père levait son béret et annonçait d’une voix forte « Sabètz que lèu ! ». Autrement dit : « Y en a une qui se lève… » sous-entendu : « qui va tomber » ! Cette menace jamais mise en exécution résume l’esprit de cette bière artisanale occitane à la teneur en alcool élevée.
Le producteur de la cuvée Tot çò que cal (‘Tout ce qu’il faut’) du Domaine de Plaisance (en Haute-Garonne), occitanophone, s’inspire des mots prononcés par son père (occitanophone comme lui) :
PV4. à l’époque j’avais l’Association des Sommeliers de Midi-Pyrénées qui me tarabustait en me disant « oui Marc euh fais nous une jolie négrette sans limite/ fais nous/ un premium avec ce cépage »/ […] et euh j’ai dit « ok/ on va y bosser dessus »/ et après/ donc/ on avait fait un joli produit/ c’était en 99/ donc on avait fait une très jolie négrette/ très beau terroir/ enfin/ puis on a cherché un nom/ et on avait mis ça dans les barriques/ on était en train de goûter avec mon père/ et mon père il goûte plusieurs barriques/ et il me dit « diu pichon/ aquel vi a tot çò que cal15 » et alors [rire] écoute/ qu’est-ce que tu as dit là ?/ « a tot çò que cal »/ j’ai dit « tu vois ben/ on a trouvé le nom »/
Celui de la Cuvée Canta per ieu (‘Chante pour moi’) à Sainte Lucie d’Aussou (Aude), joue avec le nom de son domaine :
E. ah d’accord/ et le dernier Canta per ieu ? c’est quoi c’est le vin qui chante ? c’est quoi ?
PV9. TOUT à fait OUI/ voilà c’est SAINTE LUCIE qui chante/ c’est Sainte Lucie/ […] le domaine c’est Sainte Lucie d’Aussou et donc/ c’est c’est/ canta/ c’est c’est Sainte Lucie qui chante/ autrement dit euh le vin de Saint Lucie « prends du vin de Saint Lucie tu chanteras »/ mais c’est [rire] Sainte Lucie/ qui chante
Cette créativité s’accompagne d’une conscience linguistique et d’un respect de la norme dite classique inédits : la langue est désignée par le nom « occitan » (bien que le mot « patois » persiste) et la façon de l’écrire est loin d’être improvisée. Le recours au dictionnaire est souvent mentionné. Il en est ainsi pour l’un des responsables du domaine Opi d’Aquí (‘opium d’ici’) dans l’Hérault :
PV6. […] j’ai pas mal bougé/ je suis parti en Inde/ je suis allé faire du vin en Russie/ en Californie et en Corse/// et/ […] on a commencé comme ça// et donc au moment où on a commencé à chercher un nom/ […] en fait j’ai un copain/ qui est en Thaïlande/[…]/ quand il venait dans le Languedoc/ il disait toujours/ « ah mais le grenache c’est l’opium du Languedoc »// et donc du coup/ je regarde « opium » euh/ truc/ euh dans le dictionnaire opi/ je vois opi et j’ai trouvé qu’opi d’aquí c’était ça sonnait bien quoi/ voilà/ euh/ et donc// en fait on a voulu faire notre première cuvée qui s’appelait opi d’aquí et X m’a dit « non mais j’aime le nom » et c’est génial et c’est le nom du domaine/ voilà
Écrire la langue n’importe comment ne vaut pas la peine, comme nous le dit l’une des productrices des Pâtes Périès (Aude), qui commercialise des produits baptisés avec des noms occitans, suivant les formes des pâtes : Cauquilha (‘coquille’), Cresta (‘crête’), Dentèla (‘dentelle’), Escagarol (‘escargot’), Camba de blat (‘jambe/tige de bois’), etc. La crainte de la « faute » et du regard des autres pousse à la recherche de la bonne orthographe :
E : sur les noms/ vous cherchez les noms/ et vous prenez l’orthographe// qui est dans le dictionnaire/
PP2 : exact/ ah oui/autrement/ c’est pas la peine
E : comment vous dites « autrement » c’est pas la peine ?
PP2 : oh non/ mettre n’importe quoi sur les pâtes/ c’est pas la peine/ il faut mettre quelque chose/ comme nous c’était de l’occitan/ il faut donner des noms occitans mais bien écrits/ autrement/ c’est pas la peine/
E : d’accord/ bon/
PP2 : parce qu’après les gens qui connaissent/ ils vous le disent « ah là/ peut-être/ c’est pas comme ça/ c’est comme ça »
On terminera cette partie en rappelant le contexte de ces nouvelles pratiques linguistiques et commerciales : la globalisation/mondialisation/marchandisation qui ont créé de la méfiance chez les consommateurs et les ont réorientés vers le commerce de proximité… Ces stratégies commerciales, que nous avons appelées de terroirisation16 vont de pair avec la patrimonialisation de la langue-culture occitane. Peut-on parler d’une « marchandisation de l’authenticité » (Heller 2008) ? Il faut d’abord dire que la stratégie commerciale de ces artisans et/ou entrepreneurs n’a pas comme objectif (principal du moins) l’obtention d’un profit aux frais de la réduction d’une identité léguée par les ancêtres à quelques stéréotypes régionaux ou locaux destinés au marché « du pittoresque » (cf. Costa, 2015). Leur attachement au territoire (où ils sont nés et où ils ont grandi) n’est pas synonyme d’immobilisme/fermeture ni surtout pas de « manque de sérieux ou du passéisme associé à la pratique de la langue » comme J. Costa (2015 : 10) a pu l’observer en Écosse : nos enquêtés ont souvent beaucoup voyagé, parfois très loin… et ils vendent (ou envisagent de vendre) leurs produits à l’étranger. Leur ancrage dans le terroir répond à un retour aux racines et/ou à une démarche « altermondialiste ».
En ce qui concerne la pratique de la langue, la plupart des interviewés ne parlent pas et ne militent pas (du moins dans des mouvements organisés) pour l’occitan. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils ne se sentent pas dépositaires de la langue : si, comme le dit J. Costa (2015 : 10) dans le contexte écossais, il y a moins de locuteurs « auxquels rendre des comptes », ce n’est pas pour autant qu’on peut faire n’importe quoi : le respect des ancêtres (de la tradition, de la lignée) est une caractéristique commune, ainsi que le respect de la « langue » (le plus souvent, il n’est pas pour eux question de « patois »). La plupart de ces producteurs ne « marchandisent » donc pas la langue : au contraire ils (ré)intègrent une langue qui fait partie de leur biographie langagière, modestement et sans militantisme, à leur identité d’entrepreneurs modernes ancrés dans leur terroir mais ouverts aux marchés nationaux et internationaux.
1.2. La langue occitane au service du développement du territoire. L’exemple du PNRA
Si les langues dites régionales ne subissent plus véritablement le poids de la coercition, elles peuvent cependant être oubliées ou négligées par les pouvoirs publics français : l’emploi ou la valorisation d’une langue locale n’est pas partout un réflexe institutionnel. Néanmoins, certaines régions mettent en œuvre un plan d’actions en faveur des langues minoritaires présentes sur leur territoire : c’est le cas de la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée, qui soutient la création, la diffusion et la transmission de l’occitan et du catalan, à travers ses chargés de mission17 qui travaillent à la coordination des actions de mise en œuvre des orientations régionales pour ces langues (valorisation de la toponymie, soutien à la création de sections d’enseignement bilingue, valorisation de la langue dans l’espace public, identification de la culture partagée par la présence d’un élu référent au sein des collectivités)18. La région Occitanie Pyrénées-Méditerranée soutient également le projet ID-TERROC19 dans lequel s’inscrit la présente recherche. Celle-ci s’appuie sur l’hypothèse que la récupération, la normativisation et la valorisation des microtoponymes et des désignants qui relient la langue et le territoire autour des Chemins de Transhumance, pourraient être un atout pour la promotion et le développement du territoire, au sein du parc naturel régional de l’Aubrac (PNRA)20.
L’Aubrac est un territoire de montagnes, de forêts et de boraldes, mais c’est aussi, depuis 2018, un parc naturel régional (PNR) qui s’étend sur trois départements (Aveyron, Cantal, Lozère) et deux régions administratives (Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie Pyrénées-Méditerranée)21. Le PNRA est circonscrit par deux cours d’eau (la Truyère et le Lot) et le massif montagneux de la Margeride (ou, à tout le moins, l’autoroute A75). C’est un territoire enclavé, dont l’isolement, les conditions d’accès et de circulation difficiles, ainsi que la raréfaction des services publics de proximité, le rendent vulnérable (cf. Fig. 2).
Fig. 2 : Carte touristique du PNRA
(Source : PNR, illustration reproduite avec l’aimable autorisation des ayants droits)
Concernant l’occitan, d’après l’enquête réalisée en 2020 par l’OPLO, la Lozère est le département qui a le taux le plus élevé de locuteurs déclarés (22 %) et d’occitano-imprégnés22 (50 %). De plus, parmi les dix PNR couverts par l’enquête, le PNRA est le territoire sur lequel les niveaux de compétences linguistiques déclarés sont les plus élevés : 25 % se déclarent locuteurs, 54 % occitano-imprégnés, 100 % des personnes interrogées sont favorables au maintien ou au développement de l’occitan, 86 % sont favorables à des actions publiques.
Par ailleurs, il y a au sein du PNRA une forte empreinte occitane contenue dans les toponymes et les microtoponymes. Le territoire est constitué de hameaux et de fermes isolées : tous ces lieux ont un nom et de nombreux panneaux sont présents sur l’ensemble du territoire pour les indiquer (cf. Fig. 3). Les propriétés sont morcelées en prés et chaque pré porte un nom, parfois présent sur le cadastre et toujours employé dans les usages quotidiens (cf. Fig. 4). Il en est de même pour les portions de montagne qui accueillent les estives (communément nommées mais non signalées).
Valoriser ces toponymes pourrait offrir des clés de compréhension aux personnes extérieures, donner du sens et de l’authenticité au territoire pour les personnes qui voudraient s’y installer, et pour celles et ceux qui y vivent déjà. En effet, la toponymie nous renseigne sur les lieux qui nous entourent, tant au niveau paysager qu'au niveau de leur histoire : il s'agirait alors de rétablir le lien entre le sens du toponyme et la réalité qu'il désigne. C’est pourquoi le PNRA, soutenu par la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée, envisage de s’engager dans la valorisation du territoire par le versant linguistique, en reconnaissant l’identité et la langue d’origine. Cet engagement pourrait passer, au-delà des projets déjà entrepris à travers l’offre culturelle du PNRA23, par la signalétique d’information de loisirs, la signalétique de randonnée24, et des actions en partenariat avec les offices du tourisme autour des Chemins de Transhumance.
La langue et la culture occitanes sont également présentes sur le territoire, dans d’autres domaines que la toponymie : on observe des micro-actes glottopolitiques (Alén Garabato et Boyer 2020) qui sont le signe d’une certaine vitalité sociolinguistique. Ces démarches personnelles sont généralement liées à une histoire, que chacun aime bien raconter : cette narration tente de restaurer l’esprit des lieux, et son argumentation se construit autour des valeurs d’authenticité, de sincérité, d’ancrage dans le territoire.
Ainsi, dans une auberge de Castelnau de Mandailles (Aveyron), par exemple, on trouve de nombreux éléments iconographiques marqueurs de l’identité occitane, mais aussi de l’identité aveyronnaise et aubracienne. Ces marqueurs identitaires se retrouvent également dans l’offre de produits à consommer : ici, comme dans bien d’autres établissements du territoire, pas de boissons américaines, pas de sodas produits par des multinationales. Le cola, la limonade, les sodas sont locaux et proviennent de la Brasserie d’Olt à quelques kilomètres de là. Cette offre de consommation se revendique proche du terroir, afin d’offrir une expérience typique et originale à celui qui ne fait que passer. De plus, dans cette auberge, on peut lire le début de la chanson « lo saumancès », sur un débiteur de vin (cf. Fig. 5). Alors que j’interroge les propriétaires de l’établissement25 à ce propos, nous évoquons également le contenu de la carte des boissons. Il est alors question de tradition, de nostalgie de l’enfance, d’ancrage territorial et d’identité :
CCD : et heu/ là-bas/ ce qu’il y a écrit heu/ au-dessus du/ distributeur de vin/ quelqu’un peut me le lire ou pas ?
AE5 : oui/ alors/ il y a marqué un còp de vin26/ en premier/ donc ça veut dire heu/ un coup de vin/ et// en dessous// il y a marqué lo saumancés27/ et heu/ per que lo vin d’aquel valon/ garde totjorn son vièlh renom28/ c’est la chanson
CCD : [à AE4] elle a pas dit qu’elle parlait pas/ tout à l’heure ?29
AE5 : non mais ça/ j’ai été bercée avec ça en fait
AE4 : non mais ça c’est leur chanson en fait
AE5 : ÇA/ c’est l’hymne qu’on a dans le vallon/ en fait heu// pour la Pentecôte dans le vallon/ on a une fête qui s’appelle la Saint-Bourrou/ c’est heu// on bénit les bourgeons/ et heu// et donc c’est vraiment un moment FORT/ enfin moi j’ai grandi dans ça
Pour autant, et malgré des signes d’ethnosociovitalité encourageants, qu’il s’agisse de stratégies glottopolitiques de par en haut ou de par en bas (Nettle et Romaine 2003), l’ensemble peine à se structurer et les actions se diluent. De plus, si l’occitan est présent dans la Charte du PNRA, il a disparu du programme signalétique qui a été adopté. Et, bien que les acteurs du PNRA tiennent un discours favorable à l’occitan, chacun invoque, le plus souvent en dehors du cadre formel d’un entretien enregistré, des freins organisationnels, institutionnels et/ou financiers. Pour autant, un membre du PNRA30 me parlera de contraintes liées à la situation administrative du parc (3 départements et 2 régions), mais également de difficultés d’ordre financier :
MP2 : quand je mets en place un chantier/ il y a toujours les situations de rencontres qui me semblent importantes/ quelles qu’elles soient hein/ dans quel que soit/ quel que soit le domaine/ surtout sur nos territoires quoi/ que/ heu/ on a besoin d’interconnaissance de tous les acteurs/ dans un domaine// et heu/ parce qu’on est territoire éclaté/ un territoire sur plusieurs départements et heu/ le mille-feuille a-/ administratif à la française/ donc heu// et puis des césures à des moments entre la Lozère et l’Aveyron/ l’Aveyron et le Cantal […] les deux régions/ et du coup/ et plutôt de dire heu/ enfin pour moi/ c’est presque un prétexte pour mettre en œuvre heu/ des// une situation conviviale/ autour de cette problématique/ et faire en sorte que les gens se rencontrent aussi/ tout simplement quoi// parlent/ évoquent/ mettent en place des projets […] les élus sont très importants mais malgré moi ils me/ j’ai pas peu/ j’ai peu rarement/ j’ai rarement vu/ à part des élus qui disent c’est bien/ ça/ c’est bien de travailler sur l’occitan/ ils sont pas/ ils sont pas propositionnels
CCD : ouais// mais ils sont pas frein ?
MP2 : non/ ils sont pas frein sur ces questions// non non/ ils sont pas frein// ben ah tu sais/ c’est des chantiers qui coûtent pas cher
CCD : ah ben voilà justement/ comment on fait pour budgétiser les chantiers langue ?
MP2. [MP2 soupire]// moi je dis heu/ franchement/ s’il y avait pas Total Festum/ ça serait compliqué hein// heu même de trouver quatre/ cinq mille euros pour heu/ développer ce type de chantier quoi
CCD : parce qu’il n’y a pas une ligne budgétaire langue ?
MP2 : non
Néanmoins, en articulant davantage les initiatives isolées et les volontés institutionnelles, le PNRA devrait pouvoir s’appuyer sur une identité proche du terroir et du territoire, dans laquelle se retrouveraient les habitants, et qui séduirait probablement le touriste en quête d’authenticité.
Ainsi, le lien entre langue et territoire est régulièrement illustré par ce même membre du PNRA lors de nos discussions informelles, mais également lors de cet entretien :
MP2 : ben c’est arrivé/ quand j’ai rédigé la stratégie culturelle je l’ai pas du tout intégré// cet onglet/ et en fait heu// originellement je pense que de toute façon il était heu/ intégré/ par le/ la charte/ du Parc/ l’occitan// il répond à/ des notions assez fortes de la charte// et heu/ effectivement heu/ moi quand j’ai commencé à réfléchir à ce chantier/ ben je me suis aperçu à quel point il était/ ben il était important sur ce territoire/ voilà/ tu vois// donc/ j’ai défini un chantier avec plusieurs axes autour de la communication heu/ de// oui/ communication/ outils/ rencontres// j’ai identifié tous les acteurs dans un premier temps/ qui agissaient sur le territoire/ et puis je suis rentré en contact avec le CIRDOC31 aussi/ on a communiqué là-dessus// on voit bien qu’effectivement ça/ ça/ ça parle beaucoup/ après moi c’est l’idée c’est de/ quelle que soit la stratégie culturelle qu’on développe/ c’est d’être le plus ancré au territoire// que ce soit le/ le/ les activités agricoles/ les habitants// cette cul-// l’identité culturelle du territoire en fait hein/ on parle de la question filière agro-alimentaire ou paysage/ mais il y a aussi la langue quoi/ du/ du patois comme ils disent […] c’est-à-dire que si on veut faire exister ce Parc/ dans la durée/ il faut le reconnecter à/ à/ à sa dimension/ que ça soit la filière agro-alimentaire/ que ça soit la langue heu/ et quand je suis arrivé/ moi je suis installé dans un hameau heu/ très paumé/ et effectivement moi heu/ il y a beaucoup de voisins qui parlent occitan/ qui parlaient occitan d’ailleurs hein/ bon certains sont décédés// mais tu te rends compte à quel point c’est une langue qui te rend heu// entre ça/ la toponymie/ les burons/ les activités/ les montagnes/ allez hop// et heu/ c’est vrai que ça te/ pour moi la chose que je dis c’est que/ ça permet une plus grande intelligibilité heu/ du territoire dans son ensemble/ de son identité/ et de son patrimoine quoi
Cependant, et malgré une volonté institutionnelle qui mérite d’être saluée, l’occitan est encore très peu présent au sein du territoire dans des domaines autres que les fêtes traditionnelles ou le spectacle. En effet, si l’attachement à la langue d’origine est fort pour les habitants du territoire et certains acteurs institutionnels, il n’en demeure pas moins une sorte de désinvestissement des questions linguistiques ou, en tout cas, une absence de prise en compte : l’occitan n’est pas un automatisme. C’est pourquoi la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée, à travers ses chargés de mission, travaille à accompagner les collectivités à avoir le réflexe-langue, c’est-à-dire à mettre l’occitan au cœur de toutes les activités et prendre l’habitude de garder systématiquement une place pour l’occitan dans chaque projet mis en œuvre, dans chaque action entreprise.
De plus, s’il est encore possible d’entendre la langue, notamment lors des activités agricoles, celle-ci est peu visible dans le paysage linguistique ou dans les outils de communication (institutionnels, associatifs, touristiques). Néanmoins, le PNRA a récemment travaillé avec le CIRDOC à l’édition d’une plaquette valorisant la transhumance et le patrimoine linguistique autour de celle-ci, intitulée « La montada de las vacas » (cf. Fig. 6) : ici, chaque langue occupe une place qui lui est propre. L’une ne traduit pas l’autre, mais chacune porte sa propre réalité ; elles se complètent et cohabitent harmonieusement, à l’équilibre.
Fig. 6 : Plaquette CIRDOC et PNRA
Source : CIRDOC, illustration reproduite avec l’aimable autorisation des ayants droits.
Enfin, le PNRA, soutenu par ses partenaires32, a organisé en juin 2022 Los primièrs rencontres occitans d’Aubrac33, journée d’information et de formation en faveur des élus et des acteurs socio-économiques du territoire, autour des enjeux liés au développement de la langue et des réalités de la pratique linguistique sur le territoire, permettant l’identification des acteurs potentiels à l’accompagnement de projets impliquant la langue.
D’autres actions seront très probablement menées par le PNRA afin de promouvoir le territoire à travers la langue et la culture occitanes, et Los rencontres occitans d’Aubrac devraient se pérenniser34.
2. L’aragonais : une langue très fragilisée sur un territoire vulnérable (C. Alén Garabato)
L’aragonais est l’une des langues propres de la Communauté d’Aragón en Espagne (l’autre étant le catalan, parlé à la frontière de la Communauté de Catalogne35). Il ne jouit pas du statut de co-officialité dans la Communauté autonome (cf. Fig. 7) où il est parlé, mais (selon l’article 3.3 de la Constitution Espagnole de 1978)36, rentrant dans le groupe des modalidades lingüísticas de España37, il constitue un patrimonio cultural que será objeto de especial respeto y protección38.
Fig. 7 : La Communauté d’Aragon dans l’Espagne des Autonomies (post 1978)
© Wikipédia Commons [https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Aragon_in_Spain_(including_Canarias).svg]
Le statut juridique de l’aragonais et sa désignation métalinguistique en tant que « langue » ou « modalité linguistique » ont été source de conflits politiques dans la Communauté autonome et ont opposé les différents groupes politiques représentés au Parlement Aragonais. Ce cadre politique n’a pas été favorable jusqu’à une époque récente ni au maintien ni à la récupération de la langue, très fragilisée par ailleurs par le régime franquiste et la généralisation des médias en castillan. L’émigration vers les villes ou vers l’étranger, très importante, provoque le dépeuplement des zones rurales et détruit l’habitat naturel de cette langue qui avait entamé son déclin au xve siècle (notamment, jusqu’au xixe siècle au sein des élites culturelles et sociales) (Ara Oliván, 2021 ; Benítez Marco, Marcén Cobos (coord.) et al., 2021).
L’aragonais serait parlé aujourd’hui par 1,9 % de la population aragonaise39 (4,2 % déclarent « connaître » cette langue). Presque un tiers de ces « locuteurs » se trouve dans les deux grandes villes de la région (Zaragoza et Huesca), ce qui traduit la présence importante de néolocuteurs et le travail important des associations qui travaillent pour la langue (Benítez Marco, Marcén Cobos (coord.) et al., 2021 : 9 ; IAE 2011 ; Seminario Aragonés de Sociolingüística, 2017). Mais dans son cadre traditionnel, l’aragonais se conserve dans le nord de la Communauté, où l’on peut identifier quatre complexes dialectaux qui regroupent des variétés à vitalité variable et à forte valeur symbolique : ansotano, cheso, fagotano, chistabín, panticuto, benasqués ou patués (cf. 2.1.).
L’enseignement de l’aragonais à l’école publique remonte à l’année scolaire 1997-1998, lorsqu’un accord est signé entre le Gouvernement d’Aragon et quatre écoles du nord de la Communauté autonome situées à Aínsa/L’Aínsa, Benasque/Benás, Biescas et Jaca. Cela dit, les cours d’aragonais (une heure par semaine) devaient avoir lieu en dehors des horaires scolaires. Les choses ont évolué sensiblement depuis la création de la Dirección General de Política Lingüística del Gobierno de Aragón : l’aragonais était enseigné en 2021 dans 27 écoles de 53 communes de la province de Huesca40. Cependant l’absence d’un statut de co-officialité rend la normalisation très difficile :
Todavía nos encontramos ante cifras muy discretas, a las que cabe sumar la variable situación del aragonés en los diferentes centros en los que se imparte, de modo que su tratamiento en unos y otros es casi antagónico y lejano a una situación de normalización en el ámbito educativo (Campos Bandrés, 2019). Así, existe una minoría de centros que incorporan el aragonés como lengua vehicular para la transmisión de los contenidos de alguna materia curricular y una mayoría que ofrecen una enseñanza muy limitada, como asignatura impartida dentro o fuera del horario lectivo entre una y dos horas semanales. Además, todos ellos se sitúan de forma exclusiva en la provincia de Huesca41. (Campos Bandrés, 2021)
Entre 2018 et 2022, nous avons réalisé plusieurs enquêtes de terrain et interviewé des activistes et des responsables ou membres d’associations culturelles à Ansó, Echo, Benás Graus et Zaragoza. Nous avons ainsi pu recueillir lors de trois périodes d’enquête (juillet 2018, juillet 2019 et juin 2022) des discours très instructifs sur l’état des pratiques et surtout des représentations de la langue aragonaise : plusieurs heures d’entretiens auprès de divers acteurs connus et d’anonymes42. Nous citons dans cet article les entretiens suivants (les noms cités le sont avec l’autorisation des enquêtés) :
- entretien collectif (2019) à Villanova (salle de réunion communale) auprès des membres d’une association créée en 2005 par un groupe de femmes « qui se sont rejointes pour faire des choses » : les Donisas (femmes énergiques/volontaires/dynamiques : le terme est un dérivé de dona = femme en patués) : l’association Donisas, dont la présidente est María José Subirá, réunit des femmes de trois petits villages proches de Benasque : Sesué, Sos et Villanova. Ses actions se centrent sur la promotion sociale et culturelle de la Vallée de Benasque, à travers la conservation de la mémoire anthropologique et linguistique. Parmi ses publications, bilingues castillan-patués, on peut signaler La dona montañesa (hommage aux femmes montagnardes) et L’óme montañés (hommage à l’homme montagnard). Il s’agit d’un entretien de groupe auquel ont participé : María José Subirá, Marina Guaus, Maribel Sahún, Maria Portaspana et Pilar Delmás (on identifie les intervenantes par DP (présidente), D1, D2, D3, D4…),
- entretien réalisé en 2019 sur son lieu de travail auprès de Jorge Melero, Técnico de turismo y cultura, Mairie de Benasque (JM)
- entretien réalisé en 2021 à Ansò auprès de María José Pérez, appelée Fina de Mañas (F), présidente de l’association A Gorgocha et Mónica Barcos (M), actrice de la compagnie de théâtre en ansotano Dingolondando43.
Nous exposerons une petite partie de nos observations et analyses notamment concernant l’une des variétés les plus importantes aussi bien quant à la pratique qu’en ce qui concerne sa valeur symbolique : le benasqués ou patués.
Mais avant de nous centrer sur ce cas particulier, il nous semble important de souligner le rôle très important joué par les femmes dans le maintien et la récupération de l’aragonais. Des femmes anonymes qui ont maintenu l’aragonais à la maison lorsque leurs époux quittaient le village, comme nous le racontent Fina de Mañas, présidente de l’association A Gorgocha et Mónica Barcos, actrice de la compagnie de théâtre en ansotano Dingolondando :
F : [el ansotano] se quedó en las casas/ sobre todo transmisión oral y femenina/ sí femenina […] pero se ha roto la transmisión […] mi padre ya falleció hace años/ mi padre tendría 100 y pico años ahora y no le escuché jamás una palabra en ansotano/ en cambio mi madre sí// mi madre cuando vivíamos en Zaragoza no decía una palabra en ansotano/ pero cuando venía a Ansó se imbuía del ambiente y hablaba ansotano […]
E : entonces parece que la salvación del ansotano se debe a las mujeres/¿cómo lo explican?
[rires]
F : la transmisión es ORAL
M : tiene una explicación muy fácil/ ¿YO? ¿mi opinión?/ las que se quedaban en el pueblo eran ellas// quienes marchaban fuera del pueblo eran los hombres/ con lo cual eran los que menos CHARRABAN porque cuando llegaban a la Ribera dejaban de hablar su lengua
F : los riberanos se reían de ellos […] durante muchos años hubo un menosprecio/ porque esas personas vestían un traje/ hablaban una lengua
[…]
M : ¿quiénes quedaban en el pueblo? las MUJERES ¿quiénes seguían manteniendo la lengua? las MUJERES
F : quieras o no el matriarcado en estos valles pirenaicos ha existido en muchos aspectos/ en la economía familiar/ en la tradición/ mantenimiento de trajes/ mantenimiento de la casa/ educación…
E : ¿sí/ pero cuando han vuelto los hombres?
M. sí claro/ entonces volvían a casa y sus mujeres se negaban a hablar en castellano/ y se negaban a dejar sus trajes o sus tradiciones o sus…44
Le poids des femmes dans le mouvement associatif a été décisif : l’exemple des Donisas dont il est question ci-dessous est révélateur, mais nous avons également pu interviewer d’autres femmes qui assurent la direction d’associations culturelles comme Marta Marín de l’Association culturelle Bisas de lo Sabordan de Echo, María José Pérez, Présidente de A Gorgocha, Carmen Castán (enseignante d’aragonais dans la Vallée de Benasque et dynamisatrice incontournable de la langue durant plusieurs décennies) ou encore María José Bráviz, directrice du Trueque Teatro. La création littéraire en aragonais est également fondamentalement féminine. Conscient de ce rôle et de la double marginalisation que ces écrivaines ont subi (celle de leur genre et celle de la langue utilisée), le Gouvernement d’Aragon a prévu d’octobre 2022 à avril 2023 une exposition à Zaragoza autour de 33 femmes écrivaines et a commencé à diffuser, en 2022, 23 vidéoclips (videopoemas) afin de diffuser les productions littéraires de femmes en aragonais.
2.1. Le patués du Vall de Benás : l’identité d’un territoire sanctuarisé
Fig. 8 : Composition géolinguistique de l’Aragon
© Wikipédia Commons [https://fr.wikipedia.org/wiki/Aragonais#/media/Fichier:Aragon_languages.svg]
À l’extrême nord-est de la Communauté d’Aragon, province de Huesca (cf. Fig. 8), le Valle de Benasque (Bal/Vall de Benás), qui comprend la commune de Benasque et un ensemble d’autres petits villages et lieux-dits, est un territoire où est en usage, à côté du castillan, un parler autochtone fortement patrimonialisé, le bénasquais, appelé très normalement (et sans le moindre indice de péjoration) patués, parlé, selon des sources orales, par moins de deux mille habitants de la Vallée (environ 60 % de la population concernée, pourcentage qui serait en diminution, IAE 2011).
Il s’agit d’un parler minoritaire et minoré (un parler essentiellement oral et sûrement limité quant aux interactions dans lesquelles il est pratiqué), mais très présent dans le quotidien des gens de la Vallée qui ont jusqu’à aujourd’hui assuré sa survie par de multiples micro-actions/interventions glottopolitiques (de par en bas) et par ailleurs célébré comme une authentique langue à part par ses usagers, mais malgré tout menacé de disparition (= une langue en danger).
Le patués a connu un « rebond » au cours des années 1980 : outre l’air du temps international en faveur des « langues en danger », l’effet de contagion en Espagne des politiques linguistiques en faveur des lenguas propias (surtout dans ce cas, du catalan présent en Aragon), dans les Communautés Autonomes dites « historiques » après l’adoption de la Constitution de 1978 (et l’entrée en vigueur de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires en 2001).
Ce qui frappe le sociolinguiste qui enquête en terres bénasquaises, c’est la surprenante considération dont jouit le parler autochtone, considération qui se traduit par un discours épilinguistique qui célèbre à peu près unanimement le patrimoine linguistique bénasquais et des actions glottopolitiques diverses et variées en sa faveur, depuis des initiatives (associatives ou non) « militantes » jusqu’à des interventions émanant des autorités municipales et (dans une certaine mesure) régionales. Il y a là incontestablement un cas exemplaire de loyauté linguistique (Alén Garabato et Boyer, à paraître).
Comme pour d’autres variétés d’aragonais, ce sont bien les femmes, en l’occurrence ici les Donisas45, qui ont contribué de manière décisive au sauvetage du patués :
D4 : se perdía sí
D2 : se perdía/ se perdía 46
Modestement, elles minimisent leur mérite :
DP : nosotros nosotras lo que hemos hecho hasta ahora/ ha sido/ reunirnos/ recoger todas las memorias/ las que tienen un nombre X/ ¿no?/ las de del día de cada/ de los pueblos/ a partir de ello escribirlo y punto47
La présence du patois est unanimement attestée dans le vécu quotidien des témoins interrogés, et en toutes occasions (certes avec une dominante intrafamiliale). Une enquêtée précise : « yo con mi hermano siempre los whatsapp son en patués48 ».
Les Donisas utilisent l’expression « mover el patués49 » pour désigner leur objectif glottopolitique. Chez elles, la proclamation d’identité est un acte global et permanent :
DP : pues hablamos patués ¿no? o sea es un elemento un elemento realmente identitario del Valle/ o sea/ ¿qué arte hay?/ arte románico/¿qué lengua hay?/ el patués/ ¿qué hay? naturaleza/ ¿qué tipo de árboles?/ pues fresno y no sé qué/ o sea es algo propio de aquí 50
Moralité : les petits gestes d’identité ont fait « bouger le patués » :
D2 : se ha revalorizado […]/ empezó a cambiar en los 70 80
HB : ¿pero esto fue gracias a vuestra acción ?
DP : a la de muchos/ porque fue una corriente// una corriente eh/ una corriente GENERAL/ a la cual/ en la cual/ CONECTAMOS/ y por lo tanto hubo fuerza/ un millón de fuerzas
D3 : y las asociaciones/ que empezaron a crearse51
Un autre indicateur permet d’évaluer le travail accompli : il s’agit des relais officiels bien effectifs. Le patués est désormais célébré officiellement, il y a des prix communaux de reconnaissance de l’écrit en patois (le prix de Guayente, le prix Chulet)52.
Ainsi la Municipalité de Benasque organise annuellement un prix qui concerne le récit, la poésie, la recherche, le journalisme en castillan… et un prix littéraire en patués (cf. Fig. 9). Par le prix qui honore le patués, chaque année, on distingue une personne qui travaille pour la promotion et la préservation du patués, et on lui octroie ce qu’on appelle le prix Chulet. Le terme est intéressant : selon le responsable municipal chargé du secteur culturel,
JM : el chulet es lo que es el pastor o este este/ euh eléctrico del ganado/ para que cuando tú tienes vacas ovejas/ ganado/ le ponen el pastor eléctrico y en patués se le llama chulet […] un pastor de la cultura lingüística […] viene de una palabra tradicional del patués en el sentido figurativo de llamar a esa persona para salvaguardar en este aspecto la cultura lingüística [...]53
Fig. 9 : Affichette municipale annonçant les prix littéraires de la Ville de Benasque
Source : Ayuntamiento de Benasque, illustration reproduite avec l’aimable autorisation des ayants droits.
Le prix littéraire a 35 ans. La modalité du patués a été introduite il y a 25 ans. Le Chulet a une version pour adultes que l’on donne le « Jour du patués » et pour les enfants on décerne le prix le « Jour de l’école du patués ».
Les discours recueillis lors de nos enquêtes sont autant de témoignages de l’exercice collectif (ou presque…) de la loyauté linguistique de la petite communauté de Benasque à l’égard de son patués, et diverses initiatives constituent des exemples remarquables d’actions glottopolitiques de par en bas. Au fil des ans, la multiplication de ces actions sur un territoire longtemps protégé des influences extérieures a porté ses fruits : le patués a résisté dignement à la minor(is)ation et a même reconquis certains nouveaux territoires langagiers. Cependant on peut se demander si l’apparition d’une importante activité touristique n’a pas sonné la fin d’un confinement linguistiquement salvateur car, curieusement, et à la différence de ce qui peut se passer en d’autres lieux, le tourisme ne semble qu’assez peu solliciter le filon identitaire (voir par ex. Moïse et al., 2006 ; Heller, 2003).
2.2. Les institutions à la manœuvre. Le modèle aragonais de « coopération » glottopolitique
La planification linguistique officielle est en Aragon très récente : on pourrait dire qu’elle a débuté en 2015 suite à la création, au sein du Département d’Éducation, Culture et Sport du Gouvernement d’Aragon, de la Direction générale de politique linguistique (DGPL) dont le directeur est José Ignacio López Susín. Durant les deux législatures de son existence (2015-2019 et 2019-2023), avec des moyens modestes et dans un cadre incertain car dépendant de la tendance politique au pouvoir54, cette Direction a entrepris une politique linguistique qui peut être considérée comme exemplaire dans le cadre des actions glottopolitiques concernant les langues très minoritaires et très minorisées qui sont parlées au sein de territoires très vulnérables à cause du vieillissement de la population et de la désertification rurales (aggravés notamment en Aragon par les conséquences du changement climatique).
Le premier élément de cette exemplarité concerne un aspect qui, bien qu’évident n’est pas toujours présent dans les politiques linguistiques : il s’agit de la transversalité. La politique linguistique est présentée en Aragón comme un axe transversal touchant « toutes les interventions administratives dans lesquelles le facteur linguistique est présent » (Beltrán Audera (coord.) et al., 2021 : 27, traduction : C. AG.). Il s’agit bien là d’une nécessité afin d’éviter des interventions sectorielles dont l’efficacité est très mince (cf. Formoso Gosende, 2022). Cette transversalité de la politique linguistique inclut une évaluation non seulement des mesures de politique linguistique mises en œuvre mais aussi de l’« impact linguistique » « de toute la planification mise en place par les administrations publiques (municipales, « comarcales » provinciales, régionales) ». C’est depuis cette perspective globale de la question linguistique que López Susín peut affirmer que :
Una buena práctica es aquella que ha demostrado su utilidad y produce buenos resultados, y, por lo tanto, se recomienda como modelo. Se trata de una experiencia exitosa, que ha sido probada y validada, que se ha repetido y que merece ser compartida con el fin de ser adoptada por el mayor número posible de personas. Debe ser sostenible desde el punto de vista ambiental, económico y social, sensible a los asuntos de género, técnicamente posible, replicable y adaptable55 (López Susín, 2021a : 7).
L’exemplarité de la politique linguistique aragonaise est aussi celle de son insertion dans un objectif général de développement durable du territoire, c’est-à-dire dans une perspective de long terme qui intègre les contraintes écologiques et sociales à l’économie : la protection et la promotion des langues minoritaires rentrent ainsi dans l’un des 17 Objectifs de Développement Durable des Nations Unies, notamment dans l’objectif 11 « Villes et Communautés durables », où il est question entre autres de « renforcer les efforts de protection et de préservation du patrimoine culturel et naturel mondial ». Dans ce cadre et conscient du fait que la vulnérabilité de sa langue est aussi celle de son territoire, le Gouvernement d’Aragon a inscrit la question linguistique parmi les mesures de son Plan pour atteindre les Objetivos de Desarrollo Sostenible en Aragón56 :
Defensa de las lenguas propias de Aragón, priorizando la conservación de su patrimonio inmaterial, fomentando su protección, recuperación, enseñanza, promoción y difusión y favoreciendo, en las zonas de utilización predominante, su uso en las relaciones de los ciudadanos con las Administraciones públicas aragonesas y defendiéndolas como patrimonio inmaterial de Aragón57.
La coopération entre les institutions et la société civile et ses représentants est de mise. Des accords de collaboration ont été signés entre la Direction Générale de Politique Linguistique et, entre autres, 5 syndicats, 30 entités locales et 60 associations avec l’objectif de travailler ensemble pour la reconnaissance sociale et la préservation des « langues propres » d’Aragón (aragonais et catalan). Toutes ces initiatives de haut en bas et de bas en haut convergent dans le programme Agora x l’aragonés58, mis en place également par le Département d’Éducation, Culture et Sport du Gouvernement d’Aragon59, avec l’objectif de
crear una red de colaboradores, que participen en esta difusión y se impliquen por la supervivencia de la lengua aragonesa. [favorecer el acceso] al aprendizaje no formal de la lengua aragonesa, a través de las personas que ejerzan como “mentores”60.
L’engagement des associations, des entreprises, des commerçants, des professionnels, ainsi que celle des particuliers et des institutions est sollicité à travers le site web du programme. Faire partie du réseau Agora X l’aragonés implique des avantages : réductions pour certaines activités, possibilité de participer à des appels à projets de la DGPL, diffusion dans des pages web, des bulletins d’information, des réseaux sociaux, etc. Outre les particuliers, le réseau compte selon le site web plus de 150 membres, dont une centaine d’entreprises, commerces et professionnels61.
Nous terminerons par le discours qui accompagne les images d’une vidéo institutionnelle (produite par les départements Turismo de Aragón et Lenguas de Aragón) qui résume très bien cette stratégie consistant à associer le développement de la langue au développement du territoire et qui octroie à la langue aragonaise un rôle central :
Hace más de mil años, los aragoneses que vivían en las montañas comenzaron a hablar una lengua romance que se conoce con el nombre de aragonés.
Esta lengua se fue extendiendo hacia el Sur a las vegas de los ríos Cinca, Gállego, Ebro, Huerva, Jalón. Hoy, gran parte de nuestros productos tradicionales tienen su nombre en aragonés : ternasco, presco, uella, cochin, alberje, chordon, borraja, espinai, truita, formache, zirgüello, minglana, tozino. También lo tienen las materias primas con las que se elaboran el vino (ugas), el aceite (olivas), la cerveza (ordio), los productos de repostería (zucre), el queso (leit) o las tiendas donde se venden estos productos : tabla, pescatería, furno, tabierna, botiga.
Muchos de estos productos y materias primas alcanzan en nuestra tierra una gran calidad que contribuye a la creación de puestos de trabajo y a la generación de recursos en el territorio. Eso significa además lucha contra la despoblación.
El consumo de productos aragoneses y muy especialmente los que tienen su denominación habitual o su marca en aragonés potencia el uso de nuestra lengua y favorece la economía aragonesa.
Utiliza productos y servicios de empresas que empleen el aragonés.
Ara per l’aragonés, Agora por l’aragonés62.
… ne pas conclure !
Les quelques interventions glottopolitiques que nous venons de présenter brièvement, aussi anecdotiques ou isolées soient-elles, sont à prendre au sérieux par le sociolinguiste car elles illustrent sans doute des dynamiques, pour la plupart inimaginables à la fin du xxe siècle, qui, loin d’annoncer la disparition de ces langues dominées, minoritaires, minorisées, semblent au contraire ouvrir de nouveaux scénarios pour leur avenir.
Avec une base de locuteurs très faible et sans un soutien institutionnel suffisant pour mener à bien une politique linguistique de normalisation comme celle des Catalans (ou encore comme celle, plus timide, des Galiciens, très nombreux pourtant à parler leur langue), l’avenir de ces langues apparait ainsi lié à celui des territoires où elles sont encore présentes. Les projets concernant le PNRA, tout comme la politique linguistique menée dans la Communauté d’Aragon de 2018 à 2021 sont exemplaires dans leur prise en compte de la relation indissoluble entre promotion des langues et développement des territoires.