La question de la « réussite » scolaire des jeunes « issus de » l’immigration ou « originaires » d’un autre pays que la France pose en creux la question de leurs compétences langagières orales et écrites. Dans la littérature, en sciences du langage en particulier, ce sont en effet moins les trajectoires scolaires qui sont observées, ce sont bien plus les pratiques langagières qui sont analysées. En sociolinguistique, la mise en perspective des compétences des uns et des autres a permis de mettre en relief la richesse des répertoires plurilingues des « originaires de » et de mettre en sourdine le soi-disant échec scolaire de ces derniers. La question de l’échec/la réussite scolaire interroge non seulement les scientifiques, mais également l’ensemble des citoyens et leurs représentants politiques. Le politique s’est d’ailleurs investi sur ce terrain et, parmi d’autres mesures qui concernent les « originaires de », il a mis en place des structures « adaptées » de CLIN ou CLA pour « intégrer » dans le cadre scolaire ces jeunes dont le français n’était pas la langue première. Alors que dans certains pays, certaines politiques linguistiques ont fait le choix de l’éducation bilingue ou plurilingue, en France, les objectifs des structures mises en place s’orientent davantage vers la « francisation » des « originaires de » que vers la conservation de leurs langues d’origine (à l’exception des ELCO, à propos desquels on peut lire les critiques de Bertucci, 2007). En effet, l’idéologie universaliste à la française, même si elle oscille entre « une politique d’intégration, voire d’assimilation, et une volonté de promouvoir une certaine pluralité linguistique et culturelle »1, reste profondément ancrée dans son habitus monolingue (Hélot, 2007 ; Zirotti, 2006). L’objectif étant l’assimilation, les politiques ne peuvent soutenir le maintien des langues d’origine. Ainsi, et comme pour légitimer la non promotion des langues d’origine, les discours et mesures des politiques en charge des questions scolaires ont mis l’accent sur les relations entre difficultés scolaires des « originaires de » et langues d’origine de ces derniers. S’il ne fallait citer qu’un exemple, et il n’est en rien original, ce serait le rapport Benisti qui a révélé cette idéologie qui met en relief les effets néfastes de la langue d’origine sur les compétences des enfants de migrants2. L’hypothèse d’un lien entre pratique de la langue d’origine et compétence scolaire a été soulevée dans de nombreuses études et personne ne constate un effet « néfaste » des langues d’origine sur les compétences. Cummins (1979) a montré par exemple que les compétences dans la langue première servaient à mieux développer celles dans la langue seconde, théorie connue sous le nom d’« interdépendance linguistique ».
Si les chercheurs relèvent des spécificités liées aux pratiques et compétences bilingues, la plupart — et la majorité des sociolinguistiques en particulier — s’attachent à souligner l’« importance d’être bilingue ou plurilingue » pour reprendre les mots de Edwards (2003). En effet, aujourd’hui, l’ensemble des chercheurs en sociolinguistique regrette qu’il soit si difficile de faire entendre leur voix dissonante et de rendre publics les résultats de leurs travaux à propos des « bienfaits » des pratiques bilingues et plurilingues sur le développement cognitif de l’enfant. Au passage, on peut rappeler qu’ils regrettent aussi que les arguments de Bentolila soient plus dans l’air du temps3. Lors de la journée d’étude du GEPE sur « Les langues des enfants issus de l’immigration dans le champ éducatif français » qui s’est tenue à Strasbourg en juin 2009, l’ensemble des communicants s’est entendu sur ce point.
En analysant les pratiques langagières des jeunes de la 2e génération turque en France et en les comparant à celles de leurs pairs « de souche », le travail de thèse que nous avons achevé en mars 2008 s’est inséré dans ce réseau de recherches et a contribué à montrer l’aspect caduc des idées sur l’effet négatif des langues d’origine sur la langue du pays d’installation. Dans cet article, nous développerons une partie des résultats de notre enquête qui montrent que la « densité » des pratiques en turc à la maison n’a pas d’effets négatifs sur des éléments de la compétence scripturale de lycéens et d’étudiants d’origine turque. Notre article proposera d’ouvrir sur le fait que la distinction entre pairs « de souche » et « issus de » porte davantage sur le contenu des textes que sur leurs formes.
1. La question scolaire des enfants de migrants turcs
Les débats autour de la réussite scolaire des enfants de migrants turcs — ceux qui nous intéressent dans cette étude — font écho à l’ensemble des recherches sur les enfants de migrants. D’un côté, les études qui se focalisent sur les trajectoires scolaires constatent la moindre réussite pour les enfants de migrants turcs par rapport aux jeunes nationaux de souche (Brabant et Levallois, 1995 ; Kastoryano, 1983). D’un autre côté, les études qui se focalisent sur les pratiques et les compétences langagières (Akinci, 2000, 2006) montrent une égalité des compétences des jeunes bilingues turc-français et de leurs pairs monolingues français.
Parmi les facteurs convoqués pour expliquer la moindre réussite des jeunes, celui de la structure « communautariste » (Grosjean, 2005 ; Tribalat, 1995), « communautaire » (Kastoryano, 2001), en « ghetto » (Petek-Salom, 1997) du groupe compte parmi les plus cités. Dans ce sens, Kastoryano propose que « la densité des relations intra-communautaires qui réduit les interactions avec la société d’accueil expliquerait l’augmentation des difficultés scolaires. » (1983 :179). Cette particularité du groupe favorise l’usage exclusif du turc, notamment en famille (Insee, 2005 ; Akinci, 2006 ; Todd, 1994 ; Jund et al., 1995). Et de fait, cet usage exclusif du turc en famille fait supposer à certains qu’il a un effet négatif sur les résultats scolaires des jeunes Turcs en France (Irtis-Dabbagh, 2003).
Dans le travail de Yalaz, les difficultés scolaires sont mises en relation avec le décalage des idéologies turques et françaises sur l’éducation :
Autant l’école française a pour vocation d’éduquer les individus afin d’en faire de futurs citoyens, libres de leurs pensées, maîtres de leur avenir, dotés d’une autonomie morale et politique, autant l’organisation familiale turque, à travers le statut attribué à chaque membre, a pour vocation de souder étroitement l’individu au groupe, au point que ses actions ne seront pas jugées pour ce qu’elles sont, mais pour ce qu’elles signifient pour le groupe. (Yalaz, 1998 : 81)
Les difficultés scolaires des enfants de migrants d’origine turque seraient ainsi liées aux tensions entre leur devoir d’allégeance à leur identité turque et leur devoir de s’intégrer à l’école française. Ces tensions sont d’autant plus importantes que les systèmes scolaires turcs et français s’opposent au niveau des savoirs à transmettre et des façons de les transmettre4.
L’école a un sens très fort pour les parents d’origine turque. Elle a une mission d’intégration, et si les parents savent que l’école transmet d’abord du savoir, l’école française veut également faire de leurs enfants des Français, et cette idée-là est insupportable pour des immigrés vivant à l’heure de la Turquie. (ibid. p. 85)
L’école française visant à former des citoyens français, les migrants d’origine turque de la première génération — qui de plus n’ont pas connu l’école — seraient, selon Yalaz, incapables de supporter l’idée que leurs enfants soient « formatés » par l’apprentissage scolaire et deviennent des « Français » comme les autres. Cette méfiance vis-à-vis de l’école française peut entraîner un manque d’encouragement de la part des parents.
Voici les deux facteurs — la forte vitalité du turc en famille et le rapport spécifique à l’éducation — qui nous semblent communs aux migrants turcs en particulier, et qu’il fallait rendre visibles pour introduire notre travail. Toutefois, nous n’oublions pas que les facteurs tels que le milieu social, le sexe, l’âge sont susceptibles de jouer un rôle dans les compétences dans la langue du pays d’installation. Si nous ne les avons pas mentionnés ici, c’est qu’ils ne concernent pas uniquement les Turcs.
2. Méthodologie
Dans cet article, il s’agit de tester l’hypothèse selon laquelle les « originaires » de Turquie et les « de souche » ont des compétences inégales et de comprendre si le degré de vitalité du turc a une incidence sur celles-ci. Autrement dit, il s’agit de comprendre si les langues présentes dans le répertoire des jeunes Turcs, que nous désignerons à présent par le qualificatif bilingue (en opposition aux « de souche », les monolingues) ont une influence sur des éléments de la compétence à l’écrit. Pour cela, dans un premier temps, nous comparerons et analyserons un des éléments de la compétence scripturale (et, qui plus est, un des hauts lieux de distinction à l’écrit) dans des productions écrites par ces deux groupes : l’orthographe. Ainsi, nous comparerons les variations orthographiques dans des textes rédigés par des bilingues et des monolingues et tenterons de montrer en quoi ils sont comparables et en quoi ils divergent. Nous proposerons ensuite de croiser ces résultats avec la vitalité du turc dans les échanges en famille pour l’ensemble des enquêtés bilingues.
Nous souhaiterions évoquer ici le fait que comparer des « originaires de », des bilingues, et des « natifs de », des monolingues, ne va pas forcément de soi (Delamotte, 2008) et que cette comparaison peut difficilement se faire, toutes choses égales par ailleurs. Quand Vallet et Caille (1996) constatent l’égalité des compétences scolaires entre les enfants de migrants et les nationaux « toutes choses égales par ailleurs », Lorcerie conteste cette option et indique que « le raisonnement “toutes choses égales par ailleurs” ne s’applique que difficilement aux cas des familles issues de courants migratoires » (Lorcerie, 2007 : 34). Elle prend en compte par exemple le nombre de frères et sœurs dans la fratrie (variable qui a, dans d’autres études, montré qu’elle avait une influence) et avance que, de ce point de vue, il est impossible de discuter en termes de « toutes choses égales par ailleurs ». Autrement dit, nous comparons ces groupes parce qu’ils sont socialement distingués, mais il sera difficile d’imputer les éventuels écarts entre les deux au simple fait que les uns sont « originaires de » et les autres des « natifs de ».
2.1. Les enquêtés
Nous avons interviewé quatre groupes (tableau1) en fonction de leur âge et de leur répertoire langagier : les lycéens et étudiants originaires de Turquie, les bilingues et les « natifs de », les monolingues.
Tableau 1 : Nombre d’enquêtés bilingues et monolingues
Lycéens | Étudiants | Total | |
Monolingues | 19 | 22 | 41 |
Bilingues | 22 | 21 | 43 |
Total | 41 | 43 | 84 |
Les enquêtés bilingues que nous avons interviewés ont des profils similaires à ceux décrits habituellement dans la littérature sur les Turcs de France. Les enquêtés ne sont en l’occurrence pas des cas « exceptionnels » du point de vue des profils migratoires. En France, sur les quarante locuteurs bilingues interviewés, la majorité est née dans le pays d’installation, trois étudiants seulement sont arrivés en France quand ils avaient trois ans. Du point de vue de leur profil sociologique, les enquêtés partagent deux points communs : la majorité des mères ne travaillent pas et leurs parents sont tous les deux nés en Turquie. Aucun des enquêtés n’est en effet issu de couple mixte, structure familiale qui est par ailleurs rare chez les migrants d’origine turque. Les pères sont, pour la plupart, majoritairement investis dans des activités liées au bâtiment et aux travaux publics en France. Les monolingues ont été interviewés dans les mêmes classes et à un niveau d’étude comparable à ceux des bilingues.
2.2. Les questionnaires
Dans le but de mesurer le maintien de la langue turque dans les pratiques langagières des enquêtés, ces derniers ont rempli un questionnaire sur les choix de langue avec leur réseau d’échanges, c’est-à-dire leurs parents, leurs frères et sœurs et leurs amis. Nous reconnaissons que la récolte de données par questionnaire ne permet pas une analyse fine et approfondie des pratiques langagières, mais nous considérons qu’elle permet d’accéder aux représentations des enquêtés sur leur choix de langue, qui ne sont pas sans lien avec leurs pratiques langagières. Avec Deprez (1990 :131), nous reconnaissons que les bilingues interviewés peuvent sous-estimer ou surestimer la vitalité du turc dans leurs échanges, cette image n’est pas sans rapport avec leurs échanges réels et rend compte d’un lien plus ou moins ténu avec la langue d’origine ou la langue du pays d’installation.
Les questions fermées qui ont été posées étaient les suivantes : Quelle est la langue que vous utilisez lorsque vous vous adressez à X : le turc, la langue du pays d’installation (désormais LPI, le français ou l’anglais) ou les deux (LPI et turc) ? Quelle langue utilise X lorsqu’il s’adresse à vous ? Nous avons posé la question à la fois dans le pays d’installation et à la fois dans le pays d’origine, mais nous nous intéressons ici uniquement aux réponses liées au choix de langue dans le pays d’installation.
2.3. Les productions écrites
Chaque enquêté a aussi produit deux textes écrits, le premier dit « narratif » qui répondait à la question « Est-ce que vous ou l’un de vos proches avez déjà fait l’expérience de la violence à l’école ? », le second dit « expositif » qui répondait à la question : « Que pensez-vous de la violence à l’école ? ». Nous avons récolté 176 textes dont la longueur varie surtout en fonction du niveau d’étude, comme on peut le constater dans le tableau 2.
Tableau 2 : Longueur moyenne des textes en nombre de mots et écart-type
Total | Textes narratifs | Textes expositifs | ||||
Moyenne | Écart-type | Moyenne | Écart-type | Moyenne | Écart-type | |
Lycéens monolingues | 284 | 123 | 165 | 122 | 119 | 56 |
Lycéens bilingues | 194 | 76 | 114 | 49 | 79 | 39 |
Étudiants monolingues | 572 | 178 | 202 | 78 | 369 | 123 |
Étudiants bilingues | 409 | 146 | 155 | 67 | 254 | 91 |
À l’intérieur de ces textes, nous avons recensé l’ensemble des variations orthographiques que nous avons classées selon la typologie proposée par Catach (1978). Les variations ont donc été catégorisées selon qu’elles touchaient des phonogrammes (l’eau), des morphogrammes grammaticaux (les gens, ils mangent) et lexicaux (le regard), des logogrammes (saut / seau) et des lettres étymologiques (harmonie).
3. Les variations dans les productions bilingues comparées à celles des monolingues
Dans le tableau 3, sont indiqués le pourcentage moyen de tous les types de variations pour chacun des groupes interrogés ainsi que l’écart-type.
Tableau 3 : Ensemble des moyennes de variations produites et écart-type pour les 4 groupes
Lycéens bilingues | Lycéens monolingues | Étudiants bilingues | Étudiants monolingues | |
Moyenne en % | 6,57 | 4,84 | 2,04 | 1,26 |
Écart-type | 3,58 | 2,52 | 1,14 | 1,03 |
Effectif | 22 | 19 | 21 | 22 |
Il nous importe ici davantage de comparer les résultats des bilingues à ceux des monolingues, mais il convient de signaler que les écarts de moyenne entre lycéens et étudiants sont significatifs et qu’en moyenne, l’ensemble des étudiants produit moins d’erreurs que les lycéens. Les pourcentages du tableau 3 révèlent que les moyennes d’erreurs et les écarts-type des lycéens et des étudiants bilingues sont supérieurs à ceux des lycéens et des étudiants monolingues. Ces pourcentages permettent de nous faire une idée du nombre moyen d’erreurs par texte pour chacun des groupes, mais ne nous permettent pas de savoir si les écarts entre les groupes sont significatifs. C’est le test statistique Student-Fisher qui va nous permettre de le faire. D’après ce test, les lycéens bilingues ne se distinguent pas significativement des lycéens monolingues (t = 1,76) par rapport au nombre d’erreurs produites, alors que les étudiants monolingues se distinguent des étudiants bilingues (t = 2,29), les étudiants bilingues produisant significativement plus de variations que les étudiants monolingues.
Parmi l’ensemble des variations, c’est la zone des morphogrammes grammaticaux qui est la plus instable. Nos résultats (tableau 4) rejoignent l’ensemble de ceux connus dans le domaine (Jaffré & Bollengier, 1995 ; Jaffré & Brissaud C., 2006, Manesse & Cogis, 2007). Les résultats du test Student-Fisher indiquent qu’à l’intérieur de la zone des morphogrammes grammaticaux, ce sont ceux liés à l’accord verbal qui distinguent significativement les étudiants bilingues de leurs pairs monolingues. Ils produisent significativement plus de variations de ce type par rapport aux étudiants monolingues (t = 2,88).
Tableau 4 : Répartition des variations morphogrammiques grammaticales
Morphogrammes | Accords verbaux | Accords non-verbaux | Total | |
Étudiants monolingues | 13 | 43 | 52 | 108 |
Étudiants bilingues | 24 | 69 | 50 | 143 |
Total | 37 | 112 | 102 | 251 |
Les variations liées aux participes passés distinguent nettement les bilingues des monolingues. Parmi les zones recensées, celles qui posent le plus de problèmes à l’ensemble des étudiants sont celles liées à l’accord avec l’auxiliaire être et celles qui portent sur l’accord avec le COD, règle tout à fait contestée et qui fait partie des objectifs de la réforme de l’orthographe : ici on peut dire que nos scripteurs sont des réformateurs en herbe5. En moyenne chacun des étudiants bilingues produit 20 % de formes incorrectes sur l’ensemble des participes passés alors que les étudiants monolingues n’en produisent que 6,7 %.
Parmi les erreurs trouvées, nous avons relevé deux formes qui témoignent de ce que Frei a appelé le « français spontané » — lié à la linéarité du langage et au sens de l’écriture de gauche à droite — comme par exemple dans : « Ce sentiment de l’insécurité pourrait être combattue ». Il le définit ainsi : « Le français spontané tend à faire mécaniquement l’accord avec l’élément qui précède, peu importe la catégorie (sujet ou objet) de cet élément. Autrement dit, l’accord se fait avec le sujet quand le sujet précède, avec l’objet quand l’objet précède » (1929 : 57).
Ces premiers résultats nous permettent de souligner qu’entre les bilingues et les monolingues, les variations, même si elles sont en moyenne plus élevées dans les textes des étudiants bilingues que dans ceux de leurs pairs monolingues, sont identiques. En outre, les bilingues ne produisent pas de variations différentes de celles des monolingues. Quant aux écarts de fréquence entre les bilingues et les monolingues, nous pensons que le répertoire des enquêtés n’est pas le seul facteur décisif.
à présent, il convient de regarder du côté des pratiques orales dans la langue d’origine et de tester l’hypothèse selon laquelle la fréquence des variations serait liée à la forte vitalité du turc en famille.
4. Les choix de langue en famille et leur lien avec les éléments de compétence écrite
L’ensemble des résultats liés aux choix de langue au sein des familles originaires de Turquie révèle que pour 50 % des personnes interrogées les échanges se font exclusivement en turc et que, dans les autres cas, le français et le turc sont en contact, symétrique ou asymétrique (Gonac’h, 2008).
Dans le tableau 5, nous avons croisé les réponses liées aux choix de langue avec la mère et le père, avec le pourcentage moyen de variations relevées dans les textes de chacun des groupes. Ainsi, il apparaît que les sept lycéens qui déclarent utiliser les deux langues quand ils s’adressent à leur mère produisent en moyenne 5,92 % de variations alors que les 14 lycéens qui déclarent utiliser uniquement le turc produisent en moyenne 6,58 % de variations (tableau 5).
Tableau 5 : Croisement des moyennes de variations et des choix de langue avec la mère et le père
Mère | Père | ||||
français | les deux | turc | les deux | turc | |
Lycéens | 1 pers. : 11,11 % | 7 pers. : 5,92 % | 14 pers : 6,58 % | 11 pers. : 7,86 % | 11 pers. : 5,29 % |
Étudiants | 1 pers. : 3,62 % | 6 pers. : 1,52 % | 14 pers. : 2,15 % | 6 pers. : 1,52 % | 15 pers. : 2,25 % |
On constate que le pourcentage moyen d’erreurs peut varier en fonction du choix de langue de l’enquêté. Mais il n’apparaît pas que le pourcentage de variations s’élève systématiquement en fonction du choix du turc ni avec la mère, ni avec le père. D’ailleurs, le seul lycéen qui déclare utiliser uniquement le français avec sa mère est aussi un de ceux qui produit le plus de variations dans son texte. Il y cumule tous les types de variations : morphogrammiques (les plus fréquentes, Brissaud et al., 2006) : je n’aimai pas / je sui tombé / qu’il aller porté / les vestiaire / le professeurs ; phonogrammique : plinte / plainte ; étymologique : l’Athlethisme / aprendre ; logogrammique : conte pour compte etc.
Les résultats que nous avons mis au jour dans le tableau 5 sont confortés par ceux qui sont indiqués dans le tableau 6. Quel que soit le choix de langue dans la fratrie et avec les pairs, la moyenne des erreurs ne varie pas systématiquement en fonction de la plus forte vitalité du turc.
Tableau 6 : Croisement des moyennes de variation et des choix de langue dans la fratrie et avec les pairs
Fratrie | Pair | ||||
français | les deux | turc | français | turc | |
Lycéens | 10 pers. : 8,41 % | 12 pers. : 5,04 % | 8 pers. : 5,04 % | 14 pers. : 7,45 % | |
Étudiants | 12 pers. : 1,95 % | 8 pers. : 2,11 % | 1 pers. : 2,55 % | 10 pers. : 1,81 % | 11 pers. : 2,25 % |
Bien qu’il ne faille pas accorder une trop grande importance à l’ensemble de ces chiffres, ils indiquent néanmoins qu’il n’y a pas de liens directs entre la forte vitalité du turc et le nombre de variations, qu’il n’y a donc pas d’effet négatif de la pratique du turc sur un aspect de compétence écrite. Ces résultats nous permettent de remettre en cause l’hypothèse selon laquelle la pratique de la langue d’origine aurait un effet néfaste sur l’ensemble des compétences langagières et, par extension, des compétences scolaires.
En guise de la conclusion… Et le contenu des textes ?
Jusqu’alors, nous nous sommes attachée à décrire et comparer quelques éléments de la compétence écrite des enquêtés et nous avons montré que les (petits) écarts relevés entre bilingues et monolingues ne pouvaient pas être mis en relation avec le degré de vitalité du turc. Jusqu’ici nous ne nous sommes donc intéressée uniquement à l’aspect formel des textes. Or, si les « natifs » et les « originaires de » se distinguent, c’est bien plus sur le contenu de leur discours que sur la forme. Les « originaires de » soulignent bien souvent que les langues ont constitué au moment des premiers contacts un problème, comme on peut le lire dans les textes (L : Lycéen ; E : étudiant) :
L. Je me suis trompée et un de mes camarades de classe m’a dit que je ne savais pas parler alors avec la peur, le stress et les nerfs je l’ai insulter.
E. Il fallait donc se ranger avec quelqu’un et moi personne ne voulait me donner la sienne. Je ne savais pas très bien parler le français mais je comprenais que le fait de me donner la main genait les élèves.
E. En primaire, deux ans après notre arrivée en France, un petit garçon avait frappé mon petit frère et j’étais obligée d’intervenir mais comme on a pas pu se défendre par manque de vocabulaire nous avons été puni et pas le petit garçon. Ce petit garçon est venu avec ses parents pour voir mes parents et là toujours la même chose on a rien pu dire.
Qu’il soit dénoncé ou intégré, l’expression du stigmate (Goffman, 1975) lié à l’origine ethnique et aux difficultés dans la langue du pays d’installation est présente dans la plupart des textes des enquêtés « originaires de ». L’échec, plutôt que d’être lié à la langue, ne serait-il pas lié à l’exclusion6 ?