La déception photographique et la réalité insaisissable dans La chambre noire de Damoclès de Willem Frederik Hermans

  • Photographic Deception and Elusive Reality in Willem Frederik Hermans’ The Darkroom of Damocles

p. 251-266

Résumés

Cet article examine la représentation de la photographie dans La chambre noire de Damoclès, roman de Willem Frederik Hermans paru en 1958. L’écrivain néerlandais emploie la photographie, un motif récurrent dans son œuvre, pour véhiculer un questionnement sur la nature insaisissable de la réalité. Plus précisément, il s’agit du phénomène de la « déception photographique » : la photographie déjoue les attentes du personnage principal Osewoudt et se révèle traître et dangereuse. À travers une analyse textuelle du roman, la présente étude porte sur la mise en scène de la photographie trompeuse. Elle explore également le lien entre une telle représentation et la pensée ontologique et nihiliste de Hermans.

This article examines the representation of photography in Willem Frederik Hermans’ 1958 novel, The Darkroom of Damocles. The Dutch writer employs photography, a recurrent motif in his work, as a means for reflecting on the elusive nature of reality. More specifically, the study focuses on the phenomenon of “photographic deception” whereby photography thwarts main character Osewoudt’s expectations, and proves to be dangerous and deceitful. Through a textual analysis of the novel, the present study focuses on photography’s depiction as duplicitous. Additionally, the article explores the connection between Hermans’ representation of photography and his ontological and nihilistic thinking.

Plan

Texte

De nos jours, à l’ère numérique, on ne connaît que trop bien la capacité trompeuse de la photographie. La photographie s’avère peu fiable à plusieurs égards, notamment en ce qui concerne sa représentation de la réalité. Au-delà des images modifiées et mensongères des campagnes publicitaires ou sur les réseaux sociaux qui inondent notre quotidien, même les moins habiles d’entre nous sont capables de modifier ou transformer une image en quelques secondes sur un smartphone. Mais le manque de fiabilité de la photographie numérique ne s’arrête pas là : il suffit d’une erreur lors de la sauvegarde pour qu’une photo précieuse disparaisse pour toujours. Néanmoins, l’aspect trompeur de la photographie n’est pas une nouveauté de notre époque. Les interrogations à ce sujet remontent à l’invention des premières techniques photographiques au xixe siècle et sont toujours restées pertinentes depuis.

Dans son célèbre roman de 1958, La chambre noire de Damoclès, Willem Frederik Hermans met en scène la photographie trompeuse qui engendre de graves conséquences pour son protagoniste, Henri Osewoudt. Le sort d’Osewoudt devient une métaphore par laquelle l’écrivain néerlandais mène une réflexion sur la relation entre la photographie et la réalité. À travers l’intrigue, qui se déroule principalement sous l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, on suit Osewoudt, un buraliste vivant près de Leyde. Dès sa rencontre avec le soldat néerlandais, et supposé résistant Dorbeck, Osewoudt se trouve mêlé aux affaires de la Résistance et réalise des missions dangereuses en son nom. À la fin de la guerre, il est arrêté ; on le considère comme un traître. Quand les tentatives de retrouver Dorbeck sont infructueuses, Osewoudt recourt à la photographie dans un dernier espoir de prouver l’existence de ce dernier et donc de se disculper. Cependant, la photographie se révèle incapable de témoigner de la réalité dont Osewoudt est persuadé, et l’existence de Dorbeck reste une énigme irrésolue. La photographie joue ainsi un rôle sinistre dans le sort malheureux du buraliste, qui, dans son désespoir, finit par se suicider.

Cette mise en scène de la photographie s’inscrit dans une tradition littéraire qui remonte au xixe siècle et qui dépeint la photographie comme étant trompeuse ou dangereuse1. Dans ces représentations littéraires, la photographie se révèle soit traître, soit décevante : elle déjoue les attentes des personnages et engendre parfois de graves conséquences pour eux. Dans La chambre noire de Damoclès, c’est ce phénomène de « déception photographique » dont il est question. À partir du titre même du roman, Hermans présage sa représentation de la photographie : avec ces quelques mots, qui font sans nul doute allusion au mythe de Damoclès, la photographie elle-même devient le symbole d’un danger imminent.

La photographie n’est pas seulement un motif littéraire récurrent dans l’œuvre de cet écrivain2. Il s’agit aussi d’une passion et d’une pratique importante3 qui ont incontestablement façonné sa pensée. Dans un article paru dans le Journal of Dutch Literature, Frans Ruiter et Wilbert Smulders constatent que celle-ci repose sur l’idée selon laquelle « on ne peut pas connaître la réalité ; la réalité se cache à notre perception4 », et que le motif de la photographie dans La chambre noire de Damoclès se trouve être le véhicule par lequel l’écrivain explore la nature insaisissable de la réalité.

Malgré son rôle central dans le roman, la signification de la photographie reste un sujet peu étudié. En effet, la littérature critique existante ne considère pas la photographie comme un objet d’étude à part entière, mais plutôt comme un élément qui vient confirmer ou rejeter l’existence de Dorbeck5. Elle n’est évoquée que dans la mesure où elle permet de résoudre l’énigme de « Dorbeck ». D’autres critiques se concentrent sur le style et la structure du roman, la perception littéraire de la réalité, les questions d’interprétation6 et la signification du double incarné par le personnage de Dorbeck7. La photographie n’est pas au premier plan de toutes ces réflexions, mais elle mérite d’être étudiée de plus près.

La démarche de cet article s’attache justement à examiner les spécificités de la représentation de la photographie. Quel est le rôle de la photographie dans le fil narratif du roman ? Comment sa représentation s’inscrit-elle dans le questionnement philosophique de Hermans sur la nature de la réalité ? Afin d’y répondre et de mieux comprendre la signification du phénomène de la déception photographique, une analyse de texte sera entreprise, tout en considérant la critique existante sous l’angle de la photographie.

Ainsi, seront repris des idées et arguments présentés dans un précédent mémoire de master dans lequel une étude comparative est menée entre les représentations de la photographie d’une part et la réflexion ontologique d’autre part8. Dans le cadre de ces recherches, des œuvres littéraires et cinématographiques de la seconde moitié du xxe siècle, dont La chambre noire de Damoclès, ont été examinées9. La présente étude se limite à une analyse fondée sur ce roman, bien que la photographie soit un motif récurrent dans l’œuvre de Hermans. En effet, on retrouve de thématiques comparables dans le roman Ne plus jamais dormir et dans certaines lettres de l’écrivain. Pour une étude ultérieure, il serait pertinent d’approfondir les présentes recherches à ces autres ouvrages afin de mieux comprendre la place de la photographie dans la pensée de l’auteur. Cet article propose un premier aperçu de ces questions pour un lectorat français pour lequel Hermans reste peu connu. Malgré son renom au Pays-Bas, il existe peu de recherches à son sujet en français, et parmi ses nombreuses œuvres, il n’y a que deux romans traduits en français : La chambre noire de Damoclès et Ne plus jamais dormir10 sont parus en traduction française chez Gallimard en 2006 et 2009 respectivement, plus de quarante ans après leurs dates de publication initiales. Puisqu’il met l’accent sur La chambre noire de Damoclès, cet article ne constitue qu’une première étape dans les recherches à entreprendre au sujet de Hermans et sa représentation de la photographie.

La photographie idéalisée

À la suite de sa brève rencontre avec Dorbeck, la photographie devient rapidement pour Osewoudt un élément emblématique de son engagement auprès de la Résistance. Il entreprend dès lors des missions, qui vont du simple développement de pellicules à des assassinats, sans hésitation, ni réflexion de sa part. Mais qu’est-ce qui le pousse à affronter le danger aussi aveuglément et ardemment au nom d’un homme et d’une organisation dont il ne connaît rien ?

Afin de répondre à cette question, il est nécessaire de se référer aux premiers chapitres du roman, où la caractérisation d’Osewoudt devient particulièrement importante. Cet homme, prisonnier d’une existence médiocre, idéalise la photographie dans laquelle il voit un moyen de transcender sa situation. À force de le décrire comme un réprouvé (aussi bien pendant son enfance qu’à l’âge adulte), Hermans prépare le terrain pour certaines hypothèses sur l’engagement du buraliste et donc sur son idéalisation de la photographie. Sans explicitement les délimiter, l’écrivain évoque ainsi les motivations de son personnage et explique ce que la photographie représente à ses yeux. En effet, les descriptions qu’il fait d’Osewoudt semblent expliquer ce qui pousse ce dernier à se lier à Dorbeck avec un tel enthousiasme.

Voici comment Hermans nous présente la toute première fois son protagoniste : « Henri Osewoudt avait une demi-tête de moins que les autres garçons de sa classe11. » Dès sa première apparition, cet homme se caractérise par sa différence qui agit également comme un défaut : l’auteur indique, tant au sens propre qu’au sens figuré, qu’Osewoudt n’est pas à la hauteur des autres. Dans le paragraphe qui suit, il creuse davantage le fossé qui distingue son personnage de ses camarades : « Alors qu’il songeait encore à l’histoire de l’instituteur, Osewoudt se trouva séparé des autres par un tramway bleu qui approchait. Une fois le véhicule passé, il ne fit aucun effort pour les rattraper12. » Hermans isole son personnage doublement : celui-ci se retrouve coupé des autres, au sens littéral et figuré. En outre, il ne se bat pas contre son sort ; il semble l’accepter et se résigner à sa position d’exclu et d’étranger.

En effet, Osewoudt se caractérise en grande partie par son exclusion. À l’âge de 15 ans, alors qu’il essaie de séduire une camarade de classe, il est violemment rejeté. Le lendemain, il voit cette même fille partir à vélo avec un autre garçon « qui avait exactement le même âge que lui, mais qui le dominait d’une tête et demie13. » Cette citation fait écho à la citation susmentionnée qui décrit Osewoudt à travers son infériorité. Il est ridiculisé : alors qu’il a 17 ans, il est moqué parce qu’il ne se rase pas encore ; il a un visage pâle et féminin ; il se met à pratiquer le judo, ce qui déforme ses pieds. Hermans le qualifie même de « petit monstre, un crapaud sur deux pattes14. » Malgré l’ostracisme dont souffre le garçon, ses camarades de classe le laissent tranquille, car ils savent qu’il serait capable de battre les autres, y compris les plus grands15.

Osewoudt semble se résigner à ce rejet et à une vie médiocre. Il se marie avec sa cousine germaine, Ria, malgré son hideur et l’aversion qu’elle lui inspire ; Osewoudt « savait […] que sa laideur l’empêchait d’avoir un autre homme et que si tel n’avait pas été le cas, elle ne se serait pas gênée pour le larguer16. » En dépit de l’avis de son oncle, Osewoudt décide de ne pas poursuivre des études supérieures à l’université. Poussé par un sentiment d’obligation et de devoir, il reprend le bureau de tabac de feu son père, et il s’occupe de sa mère, sortie de l’hôpital psychiatrique.

Étant donné son existence sans intérêt, Dorbeck, et donc la photographie, représentent pour Osewoudt une opportunité. Quand le résistant Dorbeck lui confie la pellicule à développer lors de leur première rencontre, la photographie devient un symbole de l’engagement d’Osewoudt et des missions qu’il réalise au nom de la Résistance. Après cette première rencontre, Ria compare la ressemblance entre les deux hommes à celle qui existe entre le négatif et le positif d’une photo17. Dès lors que Dorbeck apparaît pour la première fois dans le texte, Hermans établit un lien étroit entre celui-ci et la photographie. L’observation de Ria marque une distinction importante : Dorbeck représente tout ce qu’Osewoudt n’est pas et tout ce qui semble lui manquer, aussi bien en caractère que physiquement.

Le parcours et les expériences d’Osewoudt jusqu’à sa rencontre avec Dorbeck expliquent bien son enthousiasme à s’impliquer dans les missions de la Résistance : si Dorbeck est l’opposé d’Osewoudt, il représente tout ce qu’Osewoudt souhaite être. Dans son livre De Psyche in de Spiegelkamer: Psychomachie in de hedendaagse roman [La psyché dans la salle des miroirs : la psychomachie dans le roman contemporain], Michel Dupuis constate que Dorbeck incarne le « je-idéal » et « la figure paternelle supérieure » pour Osewoudt, qui n’a que très peu connu son père18. Pour Osewoudt, Dorbeck, et donc la photographie, représentent un moyen de combler ce qui lui manque, de s’élever de sa médiocrité et de ressembler au résistant, un homme qu’il estime viril, courageux, héroïque et respecté.

Après avoir raté le développement de la pellicule que Dorbeck lui confie, Osewoudt manifeste son désir de se rattraper :

Comme il supposait que ces pellicules ne seraient d’aucune utilité, et qu’il ne souhaitait pas passer pour un type tout juste bon à développer des déceptions, il fit ce qu’on pourrait interpréter comme un acte désespéré : il retira à la banque la totalité de son fonds de roulement (six cents florins), se rendit à La Haye, entra chez un marchand d’appareils photo d’où il ressort au bout de cinq minutes avec un Leica payé comptant19.

Hermans souligne le désespoir dont Osewoudt fait preuve ; le buraliste semble prêt à tout pour prouver sa compétence auprès de Dorbeck. Les détails de l’achat, comme le prix, la provenance de l’argent et le paiement en liquide, témoignent de son désir presque irrationnel de trouver grâce aux yeux du résistant. En effet, il semble assez incongru qu’un photographe inexpérimenté investisse autant de capital dans un tel appareil, les appareils photo de la marque Leica étant parmi les plus chers et les plus réputés au monde.

La caractérisation d’Osewoudt permet ainsi d’identifier les raisons principales qui le motivent et le poussent à s’engager dans des missions dangereuses et violentes. Hermans établit également, de manière indirecte, les espoirs du personnage principal vis-à-vis de la photographie : s’élever au statut de Dorbeck, c’est-à-dire s’élever au-dessus de son quotidien malheureux actuel. Si, au cours du récit, le lecteur se demande ce qui pourrait bien pousser Osewoudt à commettre aveuglément des meurtres, il lui suffirait de revenir sur ces passages-là, qui ne laissent aucun doute sur son désir d’imiter Dorbeck.

Illusions d’objectivité et de fiabilité technique

La photographie semble promettre une représentation fidèle de l’objet photographié. Contrairement à un artiste qui emploie des techniques traditionnelles telles que la peinture et qui ne peut rendre une vision de la réalité que par le biais de l’interprétation20, la photographie se distingue par son objectivité. Or, dans son ouvrage fondamental Sur la photographie, Susan Sontag constate que cette objectivité n’est qu’illusoire : « Bien qu’il soit vrai qu’en un sens l’appareil fait plus qu’interpréter la réalité, qu’il la capture effectivement, les photographies sont autant une interprétation du monde que les tableaux et les dessins21. » La photographie se définit par son mimétisme, mais son mimétisme n’est ni exact ni complet. Si tout dépend de l’interprétation, la photographie ne peut témoigner que d’une version d’une réalité aux multiples facettes. En dépit de son objectivité douteuse, Sontag affirme néanmoins que la photographie peut servir de justification ou de preuve d’une certaine réalité : « L’image peut déformer, mais il y a toujours une présomption que quelque chose d’identique à ce que la photo montre existe, ou a existé, réellement22. »

Outre les questions d’objectivité et d’interprétation, la représentation photographique se retrouve contrainte par les techniques photographiques elles-mêmes. Autrement dit, un problème survenu lors d’un ou plusieurs aspects du processus photographique, tels que le cadrage, l’enregistrement, le développement et le tirage, peut également nuire à l’image23. Du point de vue d’Osewoudt, c’est ce manque de fiabilité technique qui explique l’absence de preuve photographique de Dorbeck à la fin du roman. Au cours du récit, Hermans évoque deux images qui auraient pu témoigner de l’existence de Dorbeck. Or, le buraliste semble rencontrer des problèmes techniques qui expliqueraient l’absence de ces photos.

Lors du développement de la pellicule confiée par Dorbeck, Osewoudt identifie la première de ces deux images : « Enfin, une photo de Dorbeck, debout dans la rue, devant une maison, les bras passés autour des hanches de deux jeunes filles. L’image était tellement nette qu’il put lire le numéro de la maison : 3224 ». Hermans met l’accent sur la netteté de l’image pour suggérer qu’il s’agit sans doute de Dorbeck. En revanche, la mère d’Osewoudt allume la lumière de sa chambre noire au moment où il traite ce négatif, ce qui le détruit. Cette soi-disant preuve de l’existence de Dorbeck n’est que momentanément visible ; elle disparaît et ne peut donc plus servir de témoignage.

La seconde image, prise pendant la dernière rencontre entre les deux hommes, s’avère également incapable de témoigner de l’existence de Dorbeck. Dans la scène finale du roman, Osewoudt récupère comme par miracle son Leica dont la pellicule est toujours intacte, mais la photo en question n’y figure pas. Cet échec renvoie à l’avertissement de Dorbeck au moment où Osewoudt les photographie devant le miroir. Sa remarque, qui met Osewoudt en garde contre la lumière25, semble expliquer l’absence de la photo. Étant donné la luminosité insuffisante, il est possible que l’image n’ait pu être enregistrée, ou bien qu’elle ait été enregistrée, mais qu’elle ne soit pas visible, faute de lumière.

Il est également intéressant de considérer la description des autres images qui figurent sur la pellicule confiée au buraliste. Ces images semblent mettre en garde Osewoudt, ainsi que le lecteur, contre les défauts possibles des techniques photographiques, et elles présagent les deux photos ratées de Dorbeck. Lors du développement de la pellicule, le narrateur relate :

[Osewoudt] vit :
Un grand bonhomme de neige coiffé d’un casque et tenant une carabine.
Trois soldats en pyjama, masque à gaz sur la figure, bras passés sur les épaules de leurs voisins.
Un portrait raté de quelqu’un qui avait bougé au moment où la photo avait été prise.
Un soldat torse nu derrière une mitrailleuse antiaérienne.
Une autre photo ratée : deux ou trois clichés superposés26.

Il faut notamment souligner les spécificités des deux photos ratées. La première n’est pas nette parce qu’une erreur s’est produite lors de l’enregistrement (le sujet a bougé) ; la seconde, où les images sont superposées, semble s’expliquer par une défaillance technique de l’appareil. Le nombre de photos ratées par rapport au nombre de photos réussies paraît également important. La qualité variable des images sur la pellicule illustre non seulement la possibilité, mais surtout la probabilité qu’une image ne se révèle pas comme souhaité.

La réalité se défait pour Osewoudt et pour le lecteur

Identifier l’absence des deux photos de Dorbeck comme étant due à la défaillance technique n’est qu’une hypothèse. Si le résistant existe réellement, c’est la photographie qui s’avère décevante. Or, Hermans fournit suffisamment d’indices pour soutenir l’hypothèse contraire selon laquelle Dorbeck n’existe pas. Dans ce cas, la photographie n’est pas au cœur de l’effet de déception : c’est l’esprit du personnage principal qui devient fautif. Cependant, aux yeux d’Osewoudt, il s’agit dans tous les cas de déception photographique. La photographie, par sa défaillance technique perçue, se montre incapable de témoigner de la réalité dont le buraliste est persuadé. Tout l’enjeu de l’existence de Dorbeck repose donc sur la photographie.

À la fin du roman, après avoir évoqué les deux photos de Dorbeck lors d’un interrogatoire en prison, Osewoudt reçoit la visite du psychiatre qui avait soigné sa mère. C’est lors de cette rencontre que Hermans remet en question l’existence de Dorbeck pour la première fois : le psychiatre suggère qu’il est le fruit de l’imagination d’Osewoudt. L’absence de preuves concrètes et la ressemblance physique entre les deux hommes favorisent l’hypothèse qu’il s’agit d’une seule et même personne et, par conséquent, que Dorbeck n’a jamais existé. À moins que le psychiatre ne déclare Osewoudt irresponsable, celui-ci sera condamné à mort. Cependant, il ne cède pas aux supplications du médecin. Osewoudt, qui considère l’existence de Dorbeck comme incontestable, professe plutôt son espoir, aussi mince soit-il, que l’image photographique montre ce qu’il est incapable de prouver par la parole :

J’ai pris Dorbeck en photo, une photo de nous deux, l’un à côté de l’autre. On était devant un miroir. Cette photo, je l’ai prise moi-même à Amsterdam, dans la Bernard Kochstraat. Tout espoir de la retrouver n’est pas perdu. Aujourd’hui encore, ils confondent les photos représentant Dorbeck avec celles me représentant, ils croient qu’il s’agit des mêmes. Quand on aura retrouvé celle que j’ai prise, tout deviendra clair. On aura du même coup la preuve ultime que Dorbeck et moi sommes bien deux personnes différentes. L’appareil avec lequel j’ai pris cette photo, je l’ai perdu alors que je fuyais la zone occupée. La pellicule était encore dedans. Supposons qu’on le retrouve malgré tout. Ne serait-ce pas suicidaire de ma part de me dire irresponsable si on venait à mettre la main dessus, à développer la pellicule en question et à voir apparaître Dorbeck en quelque sorte en chair et en os ? Si je vous écoutais, alors là oui, on pourrait à bon droit me déclarer irresponsable27 !

Puisque toute autre tentative de prouver l’existence de Dorbeck échoue, la photographie devient le seul et dernier recours possible pour confirmer les convictions d’Osewoudt. La photographie, dans le cas où elle serait capable de témoigner de l’existence du résistant, serait également un moyen d’attester qu’Osewoudt est en pleine possession de sa santé mentale. En l’absence de preuve photographique, son incapacité mentale peut s’expliquer par ses antécédents familiaux, c’est-à-dire l’aliénation de sa mère.

Confronté à l’hypothèse du psychiatre, Osewoudt maintient sa conviction indéfectible que Dorbeck existe bel et bien. Or, le lecteur se retrouve soudainement pris au piège d’une réalité dont il n’avait auparavant aucune raison de douter. Bien qu’il s’agisse d’une œuvre de fiction, les évènements racontés paraissent toujours vraisemblables. Par exemple, la période où Osewoudt s’engage à rester enfermé dans une chambre noire à développer des pellicules ressemble aux activités du groupe De Ondergedoken Camera [La Camera clandestine], le groupe de photographes résistants néerlandais qui documentaient l’occupation allemande. Certes, le groupe pour qui Osewoudt réalise cette mission reste toujours sans nom, mais cette ressemblance avec des événements réels donne davantage de réalisme à l’expérience du buraliste. De plus, Hermans propose toujours une explication vraisemblable pour les tentatives infructueuses de prouver l’existence de Dorbeck : l’uniforme du résistant s’était désintégré à force d’être enterré dans le jardin d’Osewoudt ; toute personne pouvant témoigner de son existence est morte. La soudaine remise en cause de l’existence de Dorbeck oblige donc le lecteur à réévaluer la véracité des évènements qui se sont déroulés tout au long du récit. Cette nouvelle hypothèse remet en question non seulement l’existence de Dorbeck, mais aussi la fiabilité du narrateur.

À l’instar de la photographie, le narrateur externe prétend offrir une vision objective de la réalité. En revanche, ce n’est qu’une objectivité illusoire. Si Dorbeck n’existe pas, le narrateur aurait relaté de faux évènements. Outre la tendance d’un lecteur à se fier au narrateur, certains aspects de la narration promeuvent également son apparence fiable. Dans un article pour Le Monde en 2007, quelques mois après la parution de la traduction française du roman chez Gallimard, l’écrivain Milan Kundera attribue la crédibilité perçue de la narration à sa précision : « Les événements […] sont décrits d’une façon exacte et sèche, détaillée mais rapide, ils sont terriblement réels et pourtant à la limite du vraisemblable28. » Ainsi, la soi-disant exactitude du narrateur et son point de vue externe paraissent objectifs jusqu’à ce que l’hypothèse du psychiatre les remette en question. De surcroît, la progression linéaire du récit, malgré son apparence simple et directe, leurre aussi le lecteur. Puisqu’il vit les évènements en même temps qu’Osewoudt, le lecteur ne bénéficie d’aucun indice permettant de prévoir l’ambiguïté finale de l’existence de Dorbeck. La narration, qui paraît inoffensive de prime abord, finit par malmener le lecteur.

Les implications et interprétations de la déception photographique

Tout au long de son œuvre, Hermans ne cesse, par le biais de la photographie, de questionner l’écart entre la représentation que l’homme se fait de la réalité et la réalité elle-même29. En tant que nihiliste30, le caractère insaisissable de la réalité figure au premier plan de ses questionnements philosophiques. Pour l’écrivain, l’homme ne dispose pas de moyens suffisants pour se comprendre et pour comprendre le monde qui l’entoure31. Hermans, qui considère le langage parmi ces moyens insuffisants, semble par conséquent s’interroger sur le pouvoir potentiel de l’image : à travers sa mise en œuvre littéraire de la photographie et sa propre pratique photographique, celui-ci enquête sur la capacité de la photographie à représenter la réalité.

Dans La chambre noire de Damoclès, Hermans met l’accent sur les défauts et les limites de la représentation photographique. De ce fait, il rejette la photographie, tout comme le langage, parce qu’il l’estime incapable de cerner la réalité. Or, le phénomène de déception photographique sert à promouvoir un questionnement plus large sur la nature même de la réalité. L’écrivain, qui était un grand admirateur du philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein, cite son ouvrage Philosophische Untersuchungen [Investigations philosophiques] dans le post-scriptum ajouté en 1971 à La chambre noire de Damoclès :

Je puis le chercher s’il n’est pas là, mais je ne puis le prendre s’il n’est pas là.
On serait tenté de dire : « Il faut alors qu’il soit aussi présent au moment que je le cherche. » - Il faut alors qu’il soit présent même si je ne le trouve pas, et même s’il n’existe absolument pas32.

Par le biais de cette citation, Hermans affirme qu’il est impossible de connaître véritablement la réalité, peu importe les moyens dont l’être humain dispose. Pour lui, ce n’est pas l’insuffisance des moyens, mais plutôt la nature insaisissable de la réalité qui est problématique. En outre, la citation de Wittgenstein établit un parallèle avec la question de Dorbeck et ne laisse aucun doute sur le fait que ce dernier, et donc la photographie, soient tous deux représentatifs du questionnement philosophique de Hermans.

Pour Hermans, la photographie serait alors une métaphore et un moyen d’illustrer l’impossibilité de connaître la réalité. Bien que la déception photographique soit profondément liée au personnage de Dorbeck, Smulders constate que le véritable intérêt dépasse son existence même qui, en fin de compte, semble hors de propos33. En effet, c’est une méditation philosophique qui est au cœur du roman. La question de Dorbeck se révèle d’une signification au-delà d’un fil narratif : il véhicule le regard de Hermans sur la nature de la réalité.

À ce propos, Ruiter et Smulders examinent le rôle du personnage de Dorbeck selon trois interprétations différentes du roman :

[…] le roman appartient simultanément à trois genres : il maintient un équilibre continu et précieux entre les conventions de l’histoire d’espionnage, le roman psychologique et le roman philosophique des idées. […]. La plupart des évènements figurent simultanément dans au moins trois intrigues, et ces trois sont mutuellement incompatibles, car le genre sous-jacent forme l’attribution de connotations contradictoires vers ces événements. Les critiques littéraires et les spécialistes ont interprété Dorbeck comme suit. Au niveau de l’histoire d’espionnage, c’est un agent double profondément troublé ; au niveau du roman psychologique, c’est le surmoi d’Osewoudt ; et au niveau du roman philosophique, il imite l’indiscernabilité de la réalité34.

Cependant, la photographie est absente de ces réflexions. Je propose donc d’élargir les perspectives de cet argument sous l’angle de la photographie. Si l’on considère qu’elle symbolise Dorbeck, il est possible de commenter la déception photographique selon ces trois interprétations de Dorbeck.

Les deux premières contribuent notamment à un questionnement philosophique où Hermans s’interroge sur la moralité à la suite de la Seconde Guerre mondiale. En premier lieu, selon la conception du roman comme histoire d’espionnage, où Dorbeck représente un agent double troublé, la déception photographique représente le triomphe de Dorbeck sur Osewoudt, la victime involontaire. Dans son livre Dorbeck is alles! [Dorbeck est tout ! : L’imitation comme clé de certains romans et nouvelles de W.F. Hermans], Sonja Pos énonce la crise mimétique et la théorie du bouc émissaire explorées par René Girard, anthropologue et philosophe français35. Pos les applique à certaines œuvres de Hermans, notamment à La chambre noire de Damoclès. Même si la pensée de Girard n’a pas contribué à l’écriture de Hermans, Pos interprète la question de Dorbeck dans le cadre de ses théories. Osewoudt considère le résistant comme étant un modèle idéal à imiter, mais Dorbeck finit pas l’induire en erreur : il démontre le phénomène soulevé par Girard selon lequel celui qui se manifeste d’abord comme modèle devient finalement un obstacle ou un rival pour celui qui l’imitait36. Si l’on considère la photographie comme étant représentative de Dorbeck, alors les constats de Pos semblent également souligner la déception photographique.

Par le biais de l’imitation, Osewoudt réalise des missions dangereuses, dont des assassinats, et Pos remarque que « Hermans montre comment le meurtre commandé peut conduire lui-même à tuer brutalement ‘de son plein gré’37 ». Pos constate également qu’Osewoudt se pensait comme le jumeau de Dorbeck, mais il n’est ni un héros ni un martyr : il se retrouve bouc émissaire38. Cette interprétation remet en question l’innocence du personnage principal et la moralité de ses actions. Certes, le buraliste semble témoigner de bonnes intentions, mais il est en réalité la victime de Dorbeck, qui l’a induit en erreur. Osewoudt, est-il donc coupable de ses actions ?

L’ambiguïté du récit dans son intégralité (on ne se limite pas à celle de la photographie ou de l’existence de Dorbeck) renforce l’ambiguïté quant à la moralité. En prenant comme exemple l’expérience d’Osewoudt, il semble alors impossible de déterminer ce qui est « bien » ou « mal » dans le contexte d’une guerre. D’un côté, la moralité est définie par les vainqueurs qui dénoncent le tort de son ennemi une fois la guerre gagnée. D’un autre côté, la moralité reste une question ambiguë et ce malgré le résultat : la nature même de la guerre remet en question la moralité de sorte qu’elle devient presque impossible à concevoir. Existe-t-il une morale absolue ? Et si oui, est-il possible de la connaître ?

En deuxième lieu, en considérant La chambre noire de Damoclès comme un roman psychologique, où Dorbeck représente le surmoi d’Osewoudt, la déception photographique représente un échec de la conscience. Selon la conception du surmoi de Freud, qui constate que celui-ci se développe en fonction des personnes perçues comme étant des modèles idéaux, le surmoi d’Osewoudt s’avère représentatif de la conscience de la société qui l’entoure. L’échec de la photographie, et donc du surmoi d’Osewoudt, représentent alors un échec collectif de la part de la société. Ainsi, au regard du phénomène de bouc émissaire élaboré par Pos, Hermans s’interroge sur la responsabilité et n’inculpe pas seulement des individus, mais aussi la société dans son intégralité. Tout comme la réalité, la moralité semble pour Hermans impossible à délimiter, surtout dans sa pensée à l’époque d’après-guerre.

En troisième et dernier lieu, il s’agit d’un roman philosophique où Dorbeck représente l’indiscernabilité de la réalité ; la photographie incarne justement ce phénomène lorsqu’elle se montre incapable de fournir une preuve photographique de Dorbeck. Puisque la déception photographique repose sur l’absence des photos du résistant, Hermans inscrit Dorbeck et la photographie dans la pensée nihiliste. Sur le plan épistémologique, le nihilisme remet en question la possibilité de connaître réellement quelque chose. Dorbeck et la photographie semblent alors incarner la doctrine nihiliste elle-même. Si l’on considère à nouveau l’interprétation du bouc émissaire avancée par Pos, Dorbeck et la déception photographique permettent aussi de commenter le mal moral, une question souvent considérée par la pensée nihiliste. En effet, Hermans paraît souligner la négation des valeurs morales, aussi bien à travers le rôle sinistre de Dorbeck et de la photographie que par la question ambiguë d’innocence et de responsabilité qui surgit à la fin du roman.

Bien que Dorbeck soit emblématique de l’ambiguïté du roman et l’incarnation de la nature insaisissable de la réalité, c’est la photographie qui s’avère être le moyen par lequel Hermans mène cette réflexion. La photographie, ou plus précisément la déception photographique, se retrouve donc au cœur des questionnements philosophiques de l’écrivain. Elle incarne l’ambiguïté de la moralité et de la réalité ; elle véhicule également la pensée nihiliste dans le roman.

Pour conclure, la représentation de la photographie dans La chambre noire de Damoclès reflète notamment la conviction de Hermans : la réalité est, par sa nature, insaisissable. Alors que la photographie est relativement négligée par la littérature critique existante, son importance va bien au-delà de l’énigme de Dorbeck. Les premiers chapitres du roman, qui décrivent la situation médiocre d’Osewoudt, expliquent son engagement auprès de la Résistance, dont la photographie devient emblématique. Au premier abord, il semble invraisemblable que quelqu’un puisse aveuglément entreprendre des missions telles que des assassinats au nom d’un homme et d’une organisation dont il ne connaît rien. Or, la caractérisation fine du personnage principal dissipe tout scepticisme initial et explique son idéalisation de la photographie. Poussé par son désir ardent de ressembler à Dorbeck, Osewoudt est prêt à tout pour atteindre son objectif.

Alors que la photographie semble offrir une représentation fidèle de la réalité, cette objectivité se révèle finalement illusoire. Dans le cas d’Osewoudt, c’est la défaillance technique qui semble en être responsable. En effet, à ses yeux, l’absence des deux photos de Dorbeck s’explique par des problèmes survenus lors du développement et de l’enregistrement des images respectives. La photographie semble ainsi incapable de témoigner de la réalité dont Osewoudt est persuadé. En revanche, Hermans propose une autre hypothèse, mais seulement à la fin du roman : Osewoudt, qui souffrirait de troubles mentaux, aurait simplement imaginé Dorbeck. La remise en question tardive de son existence déstabilise le lecteur qui n’avait jusqu’alors aucune raison de douter des évènements racontés. Le lecteur se retrouve dans l’obligation de remettre en cause tout ce qui lui était auparavant narré. Comme le confirme cette nouvelle hypothèse de l’aliénation d’Osewoudt, il n’y a pas une version de la réalité, mais plusieurs. Outre l’absence de solution quant à l’énigme de Dorbeck, la coexistence de ces versions différentes, contradictoires et pourtant légitimes de la réalité, démontre sa nature insaisissable.

La philosophie nihiliste est au cœur de la pensée et de l’écriture de Hermans. La photographie, ou plus précisément la déception photographique, véhicule son questionnement sur la réalité. Elle démontre sa conviction que la réalité est impénétrable, et que la réalité reste, par sa nature, hors de notre compréhension, peu importe les moyens dont l’être humain dispose. La déception photographique évoque également la question de la moralité à l’époque d’après-guerre, mais tout comme la réalité, la moralité se révèle ambiguë et impossible à cerner. La représentation de la photographie dans La chambre noire de Damoclès est d’une importance supérieure à la question de Dorbeck ; la déception photographique représente l’illusion d’une réalité saisissable. Puisque la photographie est un motif important et récurrent dans l’œuvre de Hermans, il faudrait élargir le champ de cette étude à d’autres de ses ouvrages, notamment à Ne plus jamais dormir et à certaines de ses lettres, où la réflexion sur la photographie se mêle aux questionnements philosophiques. Ces recherches donneraient une vision plus complète de l’usage de la photographie et permettraient de déterminer si la photographie est effectivement décevante et dangereuse pour d’autres personnages, ou si Osewoudt était simplement une maudite et malchanceuse exception.

Notes

1 On retrouve de telles représentations dans la littérature du xixe siècle – pour n’en citer que quelques exemples – dans deux nouvelles : Champfleury, « La légende du daguerréotype », id., Les bons contes font les bons amis, Paris, Ides et Calendes, [1863] 1997 ; Nadar, « Photographie homicide », id., Quand j’étais photographe, Paris, Seuil, [1892] 1994, p. 67-93. Les présentes réflexions sur la photographie « dangereuse » et la « déception photographique » s’inspirent de ces deux nouvelles ainsi que des critiques de Jérôme Thélot à leur sujet : Thélot, Jérôme, Les inventions littéraires de la photographie, Paris, Presses universitaires de France, 2003.

2 On retrouve le motif de la photographie dans de nombreux récits, y compris dans les romans De God Denkbaar Denkbaar de God [Le Dieu Concevable Concevable le Dieu] (1956) et Nooit meer slapen [Ne plus jamais dormir] (1966) ainsi que dans la nouvelle « De blinde fotograaf » [« Le photographe aveugle »] du recueil Een landingspoging op Newfoundland [Une tentative d’atterrissage sur Terre-Neuve] (1957), entre autres.

3 Hermans a débuté sa pratique photographique en tant qu’enfant avec un appareil photo box ; il s’est perfectionné dans les années cinquante alors qu’il cherchait à s’affirmer comme photographe professionnel. Bien que ce projet se soit avéré infructueux, Hermans n’a pas moins persévéré et a publié plusieurs ouvrages de photographie : Fotobiografie [Photobiographie] (1969), Koningin Eenoog [Reine d’un œil] (1986), et Een foto uit eigen doos! Een hele doos vol foto’s van Willem Frederik Hermans [Une photo de sa propre boîte ! Une boîte entière remplie de photos de Willem Frederik Hermans] (1994). Ces trois ouvrages, ainsi que Het hoedenparadijs. 40 collages van Willem Frederik Hermans [Le paradis des chapeaux. 40 collages de Willem Frederik Hermans] (1991), sont réunis dans Volledige Werken 18 [Œuvres complètes, volume 18], Amsterdam, De Bezige Bij, 2019.

4 Ruiter, Frans et Wilbert Smulders, « The Agressive Logic of Singularity: Willem Frederik Hermans », Journal of Dutch Literature, vol. 4, no 1, août 2013, p. 9. « That we cannot know reality; that reality hides from our perception. » (Ma traduction).

5 Pour approfondir la question de l’existence éventuelle de Dorbeck, voir : Janssen, Frans A., Over De donkere kamer van Damokles van Willem Frederik Hermans [De La chambre noire de Damoclès de Willem Frederik Hermans], Amsterdam, Wetenschappelijke Uitgeverij, 1976 ; Marrès, René, Over de interpretatie van De donkere kamer van Damokles van Willem Frederik Hermans [De l’interprétation de La chambre noire de Damoclès de Willem Frederik Hermans], Leyde, Internationaal Forum voor Afrikaanse en Nederlandse Taal en Letteren, 1996 ; Otterspeer, Willem, Dorbeck, waar ben je? [Dorbeck, où es-tu ?], Amsterdam, De Bezige Bij, 2012.

6 Voir les ouvrages critiques susmentionnés de Janssen et Marrès. Pour approfondir les questions d’interprétation, d’intersections de la réalité ordinaire et littéraire, de la structure romanesque et de l’ambiguïté du roman, voir également : Smulders, W.H.M., De literaire misleiding in De donkere kamer van Damokles [La tromperie littéraire dans La chambre noire de Damoclès], Utrecht, H&S Uitgevers, 1983.

7 Pour approfondir la question de la signification du double et du personnage de Dorbeck, voir également : Pos, Sonja, Dorbeck is alles!: Navolging als sleutel tot enkele romans en verhalen van W.F. Hermans [Dorbeck est tout ! : L’imitation comme clé de certains romans et nouvelles de W.F. Hermans], Amsterdam, Vossiuspers UvA, 2010.

8 Richman, Sasha, La photographie fallacieuse : les déceptions photographiques de Cortázar, Antonioni, Hermans et Kundera, Mémoire de master en littérature comparée, sous la direction de Patrick Werly, Strasbourg, université de Strasbourg, 2020.

9 Le mémoire précité s’est focalisé sur deux nouvelles de Julio Cortázar, Blow-Up de Michelangelo Antonioni, De donkere kamer van Damokles [La chambre noire de Damoclès] de Willem Frederik Hermans, L’insoutenable légèreté de l’être de Milan Kundera, ainsi que sur les films Als twee druppels water [Comme deux gouttes d’eau] de Fons Rademakers et The Unbearable Lightness of Being [L’insoutenable légèreté de l’être] de Philip Kaufman.

10 Nooit meer slapen [Ne plus jamais dormir] est paru en langue originale chez De Bezige Bij en 1966.

11 Hermans, Willem Frederik, La chambre noire de Damoclès, traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Gallimard, [1958] 2006, p. 7.

12 Ibid.

13 Ibid, p. 17.

14 Ibid, p. 21.

15 Ibid, p. 21.

16 Ibid, p. 22.

17 Ibid, p. 31.

18 Dupuis, Michel, De Psyche in de Spiegelkamer: Psychomachie in de hedendaagse roman, Gand, Koninklijke Academie voor Nederlandse Taal- en Letterkunde, 2000, p. 23. « Als zodanig belichaamt Bastardier, evenals Hermans’ Dorbeck, het ik-ideaal, het superieure vaderimago… » (Ma traduction).

19 Hermans, op. cit., p. 41.

20 Champfleury, cité par Ortel, Philippe, La littérature à l’ère de la photographie : Enquête sur une révolution invisible, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 2002, p. 188.

21 Sontag, Susan, Sur la photographie, traduit de l’anglais par Philippe Blanchard, Christian Bourgois Éditeur, [1977] 2008, p. 20.

22 Ibid, p. 19.

23 Il est important de préciser que les techniques photographiques affectent l’image quel que soit le processus, qu’il soit argentique, comme dans La chambre noire de Damoclès, ou numérique.

24 Hermans, op. cit., p. 54.

25 Ibid, p. 319.

26 Ibid, p. 54.

27 Ibid, p. 466.

28 Kundera, Milan, « La poésie noire et l’ambiguïté », Le Monde, 25 janvier 2007, en ligne, consulté le 4 avril 2019.

29 Janssen, Frans A. « Schrijven als een fototoestel? Willem Frederik Hermans en de fotografie [Écrire comme une caméra ? Willem Frederik Hermans et la photographie] », De Vree, Freddy, et al. (éds.), W.F. Hermans [numéro spécial], Bzzlletin 13, 1985, no 126, p. 45.

30 La pensée nihiliste de Hermans se résume bien dans deux livres : Scheppend nihilisme: Interviews met Willem Frederik Hermans [Nihilisme créatif : Entretiens avec W.F.H.], une collection d’entretiens composée par Frans A. Janssen, paru en 1979 ; et Het sadistische universum [L’univers sadique], paru en 1964, une collection de prose qui aborde entre autres le regard de Hermans sur la réalité et des méditations sur le Marquis de Sade, Multatuli et Wittgenstein.

31 Janssen, op. cit., p. 45.

32 Wittgenstein, Ludwig, cité par Hermans, op. cit., p. 487.

33 Smulders, op. cit., p. 30.

34 Ruiter et Smulders, op. cit., p. 14. « […] the novel simultaneously belongs to three genres: it keeps a continuous and precious balance between the conventions of the spy story, the psychological novel and the philosophical novel of ideas. […]. Most events figure simultaneously in at least three intrigues and these three are mutually incompatible because the underlying genre formats direct the attribution of contradicting connotations towards these events. Literary critics and scholars have interpreted Dorbeck as follows. On the level of the spy story, he is a deeply troubled double spy; on the psychological novel level, he is Osewoudt’s superego; and on the level of the philosophical novel he impersonates the undistinguishability of reality. » (Ma traduction).

35 Pos, op. cit.

36 Ibid, p. 38.

37 Ibid, p. 97. « Hermans toont hoe het doden in opdracht als vanzelf kan leiden naar nietsontziend doden ‘uit eigen beweging’. » (Ma traduction).

38 Ibid, p. 177.

Citer cet article

Référence papier

Sasha Richman, « La déception photographique et la réalité insaisissable dans La chambre noire de Damoclès de Willem Frederik Hermans », Deshima, 15 | 2021, 251-266.

Référence électronique

Sasha Richman, « La déception photographique et la réalité insaisissable dans La chambre noire de Damoclès de Willem Frederik Hermans », Deshima [En ligne], 15 | 2021, mis en ligne le 04 décembre 2025, consulté le 05 décembre 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/deshima/index.php?id=653

Auteur

Sasha Richman

Doctorante en littérature comparée, université de Strasbourg.

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