Femmes menstruées. La visibilisation artistique du sang vaginal comme survivance des mythes émancipateurs des tisseuses antiques

DOI : 10.57086/radar.1019

p. 150-168

Résumés

Cet article s’attache aux modalités par lesquelles deux artistes contemporaines, Casey Jenkins (née en 1979 à Melbourne) et Vadis Turner (née en 1977 à Nashville), cherchent à lutter contre la stigmatisation qui touche les personnes menstruées. Tout en procédant à une rapide historicisation des stratégies plastiques employées par les artistes féministes depuis le milieu des années 1960, il s’agit de montrer en quoi l’usage de la laine et du tissage au sein de ces œuvres dites « menstruelles », en venant réactiver l’économie répressive des discours sur l’anatomie féminine, témoigne de la survivance des mythes émancipateurs des tisseuses antiques dans les pratiques contemporaines.

This article focuses on the ways in which two contemporary artists, Casey Jenkins (b. 1979 in Melbourne) and Vadis Turner (b. 1977 in Nashville), seek to combat the stigma that affects menstruating people. While proceeding to a rapid historicization of the plastic strategies employed by feminist artists since the mid-1960s, the aim is to show how the use of wool and weaving in these so-called “menstrual” works, by reactivating the repressive economy of discourses on the female anatomy, testifies to the survival of the emancipatory myths of the weavers in contemporary practices.

Plan

Texte

C’est en vertu de ses propres compétences – et non d’une transmission maternelle – qu’Arachné se forma au tissage1. Excellant dans cet art, elle refusa de se soumettre à la jalousie d’Athéna, la déesse des beaux travaux qui, face à cet excès d’orgueil, déchira son chef-d’œuvre – une figuration non fortuite de la sexualité débridée des dieux masculins – et frappa la tête de cette dernière avec sa navette. Ne supportant pas cette double humiliation, Arachné courut se pendre, avant d’être graciée par la déesse qui, plutôt que de la faire mourir, la transforma en araignée, la condamnant du même coup à travailler sans cesse le fil auquel elle s’était pendue.

Ainsi présenté par Ovide comme le récit d’une quête transgressive d’émancipation féminine, ce n’est pas un hasard si le mythe d’Arachné, figure fondatrice des tisseuses, a inspiré, au fil de l’histoire, de nombreuses artistes, en particulier dans les années 1960 et 1970 lorsque la lutte contre les discriminations et l’invisibilisation féminines, à commencer par celles relatives au sang menstruel, se scella autour d’un commun dessein politique et artistique. Certes, à aucun moment de son histoire Arachné ne saigne. Toutefois, bien qu’invisibilisés, le sang menstruel et l’utérus constituent au creux des mythes des tisserandes antiques une question d’importance. C’est ce dont témoigne la place centrale occupée par les pratiques du fil et du tissage non seulement dans l’histoire de la création artistique féministe mais en particulier au sein des œuvres dites « menstruelles ». Et c’est ce que nous chercherons à montrer en étudiant les travaux récents de deux artistes contemporaines, Casey Jenkins (née en 1979 à Melbourne) et Vadis Turner (née en 1977 à Nashville), dont le travail porte sur la stigmatisation touchant les personnes menstruées.

La question de la visibilisation du sang menstruel s’est simultanément cristallisée à travers des modalités à la fois éditoriales et artistiques. La publication en 1970 de l’ouvrage Our Bodies, Ourselves, qui marque le début de l’activisme menstruel aux États-Unis, fut suivie de l’édition de quantité de brochures et d’enquêtes documentaires, parmi lesquelles celles de Sheila Levrant de Bretteville (Menstruation: A Discussion among 12-14 Year old Girls, 1971) et d’Emily Culpepper (Period Piece, 1974). Ces publications s’inquiétaient en particulier des négligences de l’industrie des produits menstruels – notamment de l’usage des substances chimiques responsables du syndrome du choc toxique, une maladie grave provoquée par les tampons super-absorbants2. Elles visaient également à faire l’éloge des cycles féminins – la redécouverte des mythes et rites matriarcaux ayant contribué à un récit positif de la menstruation3. D’autre part, de nombreuses créatrices commencèrent à utiliser ce fluide en tant que thème et matériau artistiques pour dénoncer la stigmatisation des représentations du fluide féminin, y compris celles véhiculées par les autorités artistiques patriarcales de l’époque – des nouveaux réalistes français aux actionnistes viennois – dont les usages certes « précurseurs » des menstrues révélaient un imaginaire du sang synonyme de souillure et d’abjection. Dans la performance fondatrice Vagina Painting (1965), l’artiste japonaise Shigeko Kubota utilise un pinceau collé à sa culotte pour étaler sur une grande toile étendue au sol de la peinture rouge, semblable à celle des menstruations. Ces calligraphies écarlates, tout en renvoyant ironiquement aux grands formats de Jackson Pollock, dont la technique du all-over fut souvent comparée à une « frénésie éjaculatoire », érigent le vagin en élément de création à part entière, actif, au même titre que la main du maître. Tout en revalorisant cette partie corporelle dissimulée, l’artiste revisite le lien entre création et procréation ; elle s’oppose au mythe de l’engendrement autonome masculin de l’œuvre d’art et dépasse la dissociation habituelle entre l’artiste masculin actif et le modèle féminin passif et réifié.

Dans la continuité de ce geste précurseur, les explorations artistiques visant à déstigmatiser le sang féminin se sont multipliées sous des modalités picturales, performantielles, sculpturales et installationnelles à travers deux grandes stratégies plastiques de mise en visibilité des règles. D’un côté, les artistes ont exploré la plasticité même de l’épanchement de sang, qu’il soit montré sous forme de taches désolidarisées du corps ou de coulure en contact avec la peau. Une première approche, opérant à la faveur d’un déplacement de la serviette hygiénique au papier toilette, puis du mouchoir de papier à la toile, a consisté à recueillir des taches de sang et à les juxtaposer sous la forme de quadrillages abstraits4. À l’opposé de cette approche clinique, d’autres artistes ont valorisé l’organicité de la tache menstruelle, en dévoilant leurs linges maculés. Considéré comme un matériau artistique, le sang s’est ainsi fait pigment dans des travaux figuratifs ou sous la forme singulière de mandalas. D’un autre côté, les artistes ont employé comme moyen de visibilisation des règles les dispositifs de « protection » précisément conçus pour les faire disparaître : les tampons menstruels et les serviettes hygiéniques. C’est cette seconde stratégie que nous allons observer dans les œuvres de Casey Jenkins et Vadis Turner. En remontant le fil de l’histoire, il s’agira de montrer comment leur quête d’une visibilisation du sang menstruel s’est opérée non seulement en dialogue avec les artistes pionnières mais également dans un écho très profond avec les pratiques mythiques des tisserandes.

Casey Jenkins ou la transgression du tabou menstruel

En octobre 2013, Casey Jenkins s’installa pendant la durée de son cycle menstruel dans l’espace de la Visual Arts Association de Darwin en Australie. Chaque jour, six heures durant, assise sur un tabouret de bois, elle tricota silencieusement avec du fil de laine inséré dans son vagin. Initialement blanc, le fil s’imprégna de sang menstruel au moment de ses règles, avant de redevenir blanc. L’ouvrage, coloré de rouge à mi-longueur de ses quinze mètres, traduisait visuellement la durée du cycle féminin. Diffusée sur la chaîne SBS2, l’un des deux groupes de radiotélévision subventionnés par le gouvernement australien, cette performance intitulée Casting off my Womb5 (« décharger mon utérus ») devint rapidement virale sur Internet, avec 2,5 millions de vues sur YouTube et plus de 10 000 commentaires, pour la plupart des témoignages de dégoût. Casey Jenkins était pourtant loin d’être la première à visibiliser le sang menstruel. La violence des réactions venait ainsi refléter le caractère à la fois durable et tenace du tabou du sang menstruel.

Ce tabou, il faut le rappeler, trouve une origine très lointaine. Abondamment traité dans les textes scientifiques, médicaux et théologiques de l’Antiquité jusqu’au xviie siècle6, il prend d’une part sa source dans la théorie dite « des quatre humeurs » selon laquelle la santé est conditionnée par l’équilibre de quatre fluides corporels (le sang ; la bile ou colère ; la bile noire, atrabile ou mélancolie ; le flegme ou lymphe). Dans ce système de régulation des humeurs, les menstrues étaient en effet considérées, au même titre que la saignée, comme un moyen d’évacuer les impuretés du corps féminin et nombreuses étaient les recettes médicales destinées à augmenter ou diminuer un flux anormalement maigre ou abondant, afin d’éviter aux femmes des troubles mortels. Le caractère toxique ainsi attribué aux menstrues est à l’origine des superstitions populaires dont Pline l’Ancien a établi la longue liste7. À ces croyances va s’agréger une autre accusation d’impureté, issue du livre du Lévitique de l’Ancien Testament, qui énonce, parmi les interdits sacrés, celui de la femme qui a ses menstrues – que l’on ne doit pas toucher ni toucher un meuble qu’elle aurait touché et avec laquelle les relations sexuelles sont exclues. La notion d’impureté y est assimilée à une souillure rituelle. L’interprétation de la Genèse selon laquelle les menstrues seraient l’une des conséquences du péché originel, ne fera que renforcer cette idée de sang impur, entraînant de nombreuses conséquences dans la théologie médiévale, comme l’interdiction de pénétrer dans une église et de communier. Le tabou du sang menstruel a durablement engendré des logiques d’invisibilisation lourdes et persistantes : dans la continuité du confinement social imposé aux corps menstrués, la représentation même du sang vaginal a été occultée8. Les témoignages recueillis en 1979 par l’anthropologue Yvonne Verdier auprès de plusieurs femmes du village de Minot, en Côte d’Or, montrent combien le fluide menstruel a continué de faire peur, y compris à celles qui le produisaient9.

Si Casey Jenkins est loin d’être la première à dénoncer l’ostracisation des personnes menstruées, il faut néanmoins souligner les remarquables liens que sa performance entretient en matière d’usage du tampon hygiénique avec les deux œuvres pionnières que sont Red Flag de Judy Chicago (1971) et Interior Scroll (1975) de Carolee Schneemann. La première est une lithographie représentant l’artiste en train de retirer de son vagin un tampon ensanglanté. Tout en condamnant le patriarcalisme des peintres expressionnistes américains – par la référence directe aux Flags peints par Jasper Johns, cette œuvre venait tout à la fois révéler, à la manière d’une « arme politique10 », l’invisibilisation du sang menstruel et le male gaze qui structuraient jusqu’alors les représentations du corps féminin. Le tampon fut en effet pris pour un pénis ensanglanté par une large partie du public, ce « déni menstruel » traduisant de manière éclatante les « dommages causés à nos capacités perceptives par l’absence de réalité féminine11 » et la sexualisation hétéronormée des organes féminins. La seconde œuvre, Interior Scroll (1975), qui combinait en quelque sorte les motifs de Vagina Painting et de Red Flag, consistait en une performance au cours de laquelle Carolee Schneemann, après s’être dénudée et avoir pris des poses de modèles académiques, lut des extraits de son livre Cézanne, She Was a Great Painter puis commença à retirer lentement de son vagin un rouleau de papier sur lequel était écrit un texte qu’elle lut à l’assemblée. Il s’agissait de sa réponse à une critique misogyne jugeant ses œuvres filmiques déplacées. À travers la métaphore du tampon, l’artiste étasunienne venait ainsi ériger l’« espace vulvaire » en lieu de création.

Casey Jenkins, en s’exposant le pubis dénudé, la vulve ouverte et les jambes écartées, en retirant de son vagin le fil de laine à l’aide de ses doigts, opère une double transgression. Non seulement elle laisse couler son sang menstruel à la vue du public, mais elle le touche de surcroît de ses doigts. Bien loin des injonctions véhiculées par le « tampon avec applicateur » – inventé, rappelons-le, pour « épargner » aux femmes de toucher leur vagin saignant et qui, tout en instrumentalisant à des fins commerciales la stigmatisation du sang menstruel ne fit que la prolonger –, elle transgresse l’interdit de la vue et du toucher. Elle rompt de manière radicale avec le tabou faisant du sang menstruel une affaire invisible et intouchable. Casey Jenkins renverse à son tour l’imagerie et la gestualité propres au tampon menstruel : le fil de laine tiré depuis son vagin rappelle la ficelle en coton du tampon, tout en renvoyant aux travaux domestiques du fil (tissage, tricot, broderie…) assignés aux femmes et revendiqués par les artistes féministes. Lorsqu’elle retire le fil de son corps, il porte des traces de ses fluides corporels, qui sont ensuite entrelacées avec l’ouvrage tricoté final. Pendant l’acte de création, elle est à la fois artiste et objet, créatrice et créée. Dans cette œuvre, l’utérus ne produit pas la vie, mais l’art, et la femme est un agent actif dans sa création. Jenkins renouvelle ainsi « l’espace vulvaire » affirmé par les pionnières comme lieu de création. À travers ce geste auto-créateur qui la rapproche du mythe arachnéen, elle s’inscrit du même coup dans la généalogie bien plus lointaine des tisseuses antiques, dont les mythes interrogeaient déjà les rapports de dominations genrés et la sexualité féminine.

Survivances de Philomèle

Pour saisir les enjeux de ces mythes et leur survivance dans le travail de Jenkins, il faut d’abord se souvenir que le tissage, dans le monde grec antique, est doté d’une triple signification culturelle et symbolique. Comme l’a rappelé Françoise Frontisi-Ducroux, il constitue d’abord la principale activité de la femme et contribue, de ce fait, « à définir son rôle domestique et social, parallèlement à sa fonction reproductrice12 ». Tout en incarnant une compétence strictement féminine, assignée et reconnue comme telle par la société, le tissage établit également au sein du gynécée un espace discursif, celui de la transmission des récits mythiques aux enfants gardés par leurs mères13. Enfin, d’un point de vue étymologique, le terme symplegma qualifiant à la fois l’entrelacement des fils et l’étreinte, le tissage sert de métaphore à l’union sexuelle, en particulier lorsqu’elle a une finalité génératrice14.

Dans les représentations antiques, le motif du tissage, ainsi doté de cette triple signification, va bien souvent se trouver lié à un discours sur la sexualité et le savoir féminin relatif au sexe. Tandis que le mythe d’Arachné se présente comme le récit d’une quête transgressive d’émancipation féminine, celui de Philomèle élabore le tissage comme un outil de dénonciation15. Philomèle a été violée par Térée, le mari de sa sœur, et ce dernier lui tranche la langue afin qu’elle ne puisse révéler son crime à quiconque. Philomèle réussit cependant à faire parvenir à sa sœur, qui la croit morte, une étoffe accusatrice sur laquelle elle a figuré, grâce à son métier à tisser, les sévices dont elle a été victime. L’histoire ne s’arrête pas là, mais ce qu’il importe ici de relever, c’est la façon dont ce mythe articule deux séries d’analogies mettant en jeu la bouche. Deux analogies avec lesquelles l’œuvre de Jenkins fait particulièrement écho.

La première analogie s’observe entre la voix et l’image, puisque Philomèle recourt au tissage pour remplacer sa langue coupée. À la manière d’un substitut, la toile s’offre comme un récit silencieux ; elle énonce un cri sans voix. Or, c’est d’une (presque) semblable manière que Casey Jenkins a décidé de riposter à la violence des réactions suscitées par son œuvre. Plutôt que de prendre directement la parole – peut-être même parce que la violence des réseaux lui avait coupé la voix, l’artiste a choisi d’associer à la présentation de son œuvre des tissages dénonciateurs : en 2017, sous le titre Bad Blood16, elle présenta à la Science Gallery du King’s College de Londres une installation constituée de la vidéo de Casting off my Womb entourée d’un nuage de mots tricotés avec du fil teinté de sang menstruel, représentant les termes les plus fréquemment utilisés sur les réseaux sociaux pour critiquer la performance de 2013. En 2016, à l’occasion de Psychological-endurance Performance Artwork présentée à l’Arts House de Melbourne, elle avait déjà, selon le même principe, reproduit à l’aide de machines à tricoter d’entières captures d’écran de ces commentaires haineux sous la forme de grandes bannières. Tout en cherchant à dénoncer la façon dont les communautés diffusent et régulent les normes de comportement et d’expression, ces deux œuvres venaient ainsi, 2000 ans après le récit d’Ovide, réactualiser la stratégie de dénonciation de Philomèle consistant à figurer, par le fil, l’objet de l’agression. Quand Philomèle figurait le viol, Casey Jenkins met en images la violence symbolique des mots à l’ère des réseaux sociaux.

La seconde mise en jeu de la bouche, dans le mythe de Philomène s’opère avec le sexe, dans la mesure où, comme l’a suggéré Françoise Frontisi-Ducroux, l’ablation de la langue dont est victime Philomèle opère un redoublement du viol, « une mutilation sexuelle, voire une excision17 ». Or, cette analogie n’est assurément pas sans lien avec le discours médical antique, qui se représentait le corps féminin dédoublé en une parfaite homonymie du haut et du bas, doté de deux bouches, deux cols, deux orifices symétriques, entre lesquels bien des échanges pouvaient s’accomplir18. Le corps féminin était ainsi pensé comme un conduit soit ouvert, soit fermé en ses deux extrémités et où l’utérus, communiquant avec tous les orifices, circulait du bas vers le haut. Les auteurs du Corpus hippocratique (ve s. av. J.-C.), Aristote (ive s. av. J.-C.) et Galien (iie s. apr. J.-C.) ont théorisé la capacité du sang menstruel à naviguer de bas en haut du corps féminin et à sortir par les « trous » du visage où il trouvait alors une issue dans des saignements considérés comme pathogènes : les hémorragies du nez, de la bouche ou des oreilles étaient ainsi envisagées comme une conséquence de la rétention du sang menstruel et comme une explication à l’aménorrhée19.

À la lumière de ces éléments, le titre de l’œuvre de Jenkins – Casting off my Womb – offre un autre éclairage. Tandis que le nom « womb » désigne l’utérus, le verbe « casting off » peut se traduire à la fois par « mouler », « couler » et « se décharger », « rejeter », ou encore « larguer » (comme on larguerait les amarres). Il s’agit donc pour l’artiste de présenter une empreinte de son utérus mais aussi de le décharger – littéralement de son sang mais peut-être aussi de se délester de l’économie répressive du sang féminin, c’est-à-dire de l’ensemble des pratiques et des théories médicales sur l’anatomie des femmes qui, depuis l’Antiquité grecque, ont été formalisées dans un discours à prétention rationnelle en tant que moyen de contrôle et d’exclusion des femmes.

Ainsi, les travaux de Casey Jenkins semblent-ils particulièrement faire écho aux mythes d’Arachné et de Philomèle – tout comme, immanquablement, à celui de Pénélope20 – dans la mesure où les uns et les autres élaborent le tissage comme un outil de dénonciation et véhiculent des postures transgressives visant à dénoncer la stigmatisation de la physiologie féminine.

Vadis Turner ou la réactivation des théories médicales antiques sur le sang féminin

Depuis le Red Flag brandi aux sens propre et figuré par Judy Chicago, l’usage du tampon menstruel a connu dans les pratiques artistiques féministes du monde entier un succès inépuisé jusqu’à aujourd’hui. En 1973, par exemple, à l’occasion de la performance Autoportrait(s) au cours de laquelle le sang perlant de ses lèvres et ongles incisés se substituaient au maquillage féminin, Gina Pane exposa dans une boîte de plexiglas, tels des précieuses reliques, sept tampons usagés – sous le titre « une semaine de mon sang menstruel » – comme autant de traces d’une blessure féminine vécue à la fois comme une douleur intime et comme le marqueur de l’invisibilisation sociale, artistique et visuelle des femmes. Cette critique de l’ancrage profond de la misogynie ordinaire, se retrouva la même année au Japon dans la vidéo What a Woman Made (1973) de Maku Idemitsu – un tampon nageant dans la cuvette des toilettes est accompagné de la voix d’un médecin annonçant la naissance d’une fille et prescrivant comment les enfants doivent être élevés en fonction de leur sexe – tandis que le plexiglas transparent rempli de tampons devenait le mode opératoire de la série de happenings et de sculptures Tampax Romana présentée par Genesis P-Orridge et le collectif COUM Transmissions entre 1973 et 1976, dans le but de « démystifier une partie souvent refoulée mais significative de l’expérience féminine21 ».

Au début des années 2000, deux œuvres témoignaient encore de la persistance du caractère à la fois tabou et subversif de l’usage artistique du tampon. La première est une vidéo intitulée Ja sve upropastim (« Je gâche tout », 2004) dans laquelle l’artiste serbe Ivana Smiljanic juxtapose des tampons propres et usagés, en prononçant la phrase « Je gâche tout », jusqu’à l’épuisement de sa voix. Cette formule d’auto-reproche signale le caractère performatif de l’incorporation de la construction sociale de l’opprobre. Le second exemple est donné par l’annulation dont fit l’objet en 2012 l’exposition de la sculpture A Noiva (« La mariée ») de l’artiste portugaise Joana Vasconcelos au château de Versailles, lorsque l’on s’aperçut que ce gigantesque lustre imitant le style vénitien était composé de centaines de tampons hygiéniques22.

Si les premières œuvres de Vadis Turner témoignent d’un semblable usage du tampon comme matériau de sculpture, elles ont également la particularité d’entretenir, ainsi que nous allons le voir, un dialogue singulier avec les mythes émancipateurs des tisseuses antiques. Tandis que Wedding Cake (2007) se présente sous la forme d’une pièce montée exclusivement élaborée à partir de tampons, le protocole de Reception (2009) s’avère plus complexe. Aménagée dans une salle du Brooklyn Museum à New York, cette installation est constituée d’un lit nuptial sur lequel sont amoncelés dans le plus grand désordre plusieurs dizaines d’objets domestiques, fabriqués par ses soins, parmi lesquels une réplique de Wedding Cake, des rubans, une bible, de la lingerie féminine, des porte-jarretelles, des collants, des bijoux ou encore gants brodés. Plusieurs événements liés au temps féminin hétéronormé se voient ainsi mêlés dans la spatio-temporalité du musée new-yorkais : la fête du mariage (indiquée par le titre de l’œuvre), la nuit de noce (à travers le lit où il est attendu que le mariage soit consommé), le cycle menstruel (à travers les tampons hygiéniques constitutifs de la pièce montée). À ces rites de passages constitutifs de l’« institution » du mariage, l’artiste ajoute une dimension tout aussi genrée en considérant son installation comme une dot, c’est-à-dire comme l’ensemble des biens que la femme apporte à son mari – inaliénables, insaisissables et soumis à l’administration de ce dernier. Mais il s’agit, bien entendu, d’en détourner le sens pour interroger les critères par lesquels une « valeur » est attribuée aux femmes. Au lieu d’utiliser la dot comme « une offrande de biens culturellement précieux pour faire progresser socialement une femme par le biais du mariage23 », Turner l’échange « pour son propre gain professionnel, en vendant l’œuvre au Musée24 ». Elle détourne et renverse l’assignation des rôles genrés. La débauche de consommation incarnée par les objets constitutifs de l’installation – consommation de nourriture, consommation du mariage, marchandisation de la femme à travers la dot – est contredite. En subvertissant les scènes archétypales de la vie d’une mariée, Vadis Turner remet en question les rôles féminins traditionnels.

La question de la consommation n’est du reste pas sans nous ramener à l’équivalence antique entre les deux bouches de la femme, celle du haut et celle du bas. Faire retour sur l’économie répressive des discours sur l’anatomie de la femme nous permettra de mieux saisir, en dépit de leur éloignement formel, non seulement la signification des sculptures récentes de Turner mais aussi, leur lien avec les tisseuses antiques.

Ces œuvres récentes prennent la forme de vases. L’un d’entre eux, Bedsheet and Concrete Vessel (2020), d’une trentaine de centimètres de hauteur et de largeur, est constitué de béton et de résine sur la surface extérieure et de morceaux de draps rouge, tressés, sur la surface intérieure. Or, tandis que le textile rouge renvoie tout à la fois aux tisseuses, au sang menstruel ou encore au sang de la défloraison nuptiale, la forme même de l’objet-vase correspond précisément à celle de récipient par laquelle le discours médical antique se représentait le corps féminin doté de deux cols, deux orifices symétriques : un conduit soit ouvert, soit fermé en ses deux extrémités et où l’utérus, communiquant avec tous les orifices, circulait du bas vers le haut. De toute évidence, Vadis Turner utilise la métaphore du corps féminin comme récipient fertile et plein, inerte et vide. Elle propose une corrélation entre l’utérus et le vase qui réactive l’économie répressive des discours sur l’anatomie féminine.

En observant la sculpture Red Relic Vessel (2022), il semble possible de préciser plus encore cette mise en évidence de survivances antiques et d’élaborer l’hypothèse d’une réélaboration des enjeux féminins des mythes arachnéens. Si cette sculpture réalisée à partir de draps, de poussières de brique et de feuilles de cuivre assemblés se présente à nouveau comme un vase, le matériau est en effet travaillé comme une corde. Au premier abord, on pense à un cordon ombilical. Mais on peut également, en faisant à nouveau retour sur les représentations antiques du corps féminin comme « vase », proposer une autre interprétation de l’œuvre.

Dans l’histoire de la pensée médicale, l’équivalence entre les deux bouches de la femme, celle du haut et celle du bas, a ceci de particulier qu’elle est également à l’origine d’un ensemble de considérations visant à expliquer le caractère proprement féminin du suicide par pendaison tel qu’il s’observe dans l’imaginaire anthropologique et mythologique grec. Quand l’helléniste Nicole Loraux s’est penchée sur les représentations du corps étranglé dans la cité grecque, elle a en effet constaté que, si la pendaison y apparaît comme la plus féminine des manières de se donner la mort, c’est non seulement parce que « mourir le cou dans le lacet revient à ne pas verser de sang25 » – la virilité de l’homme grec se mesurant a contrario au sang coulant de ses blessures –, mais également en vertu du discours gynécologique de l’époque sur le sang féminin. « Seule l’homologie du haut et du bas permet de comprendre pourquoi la pendaison est en Grèce une mort spécifiquement féminine26 », écrit Nicole Loraux, en rappelant que, pour rendre compte du suicide chez les jeunes filles, les traités hippocratiques recouraient à la thématique de l’étranglement. Lorsque, dans le cas de problèmes circulatoires liés à l’utérus, le sang menstruel ne peut s’écouler, on considère qu’il « s’étouffe ». Remontant dès lors vers « la bouche du haut », le sang et la matrice provoquent symétriquement un désir d’étouffement : étranglée par le bas, la femme cherche une issue vers le haut en se pendant.

Une articulation se tisse ainsi entre le sang et la corde – bien que, comme le souligne Nicole Loraux, l’instrument du suicide soit moins souvent une corde que les accessoires vestimentaires dont se parent les jeunes filles (voiles, ceintures, bandeaux)27. Elle nous conduit à rebours vers la pendaison d’Arachné – par le lien entre la corde à laquelle elle cherche à se pendre et les fils qu’elle tissera à jamais – et plus généralement vers les autres mythes de tisseuses. Dès lors, la corde rouge de Red Relic Vessel peut-elle se lire comme le lointain symptôme de ces théories médicales antiques sur le sang féminin. Au gré de ce cheminement, tout se passe comme si la présence invisible du sang menstruel affleurait soudain à la surface des sculptures également nommées reliques de Vadis Turner.

Ainsi donc, les œuvres de Casey Jenkins et Vadis Turner ont-elles une double épaisseur. Tout en cherchant, dans la continuité des artistes pionnières, à visibiliser les menstrues pour déstigmatiser le sang féminin, elles donnent à entendre, venu des tréfonds de l’histoire, un cri silencieux semblable à la « voix de la navette », ainsi nommée par Sophocle pour désigner « un champ de représentations qui accordent aux femmes un savoir mystérieux, voire inquiétant28 ». Comme l’a remarqué Françoise Frontisi-Ducroux, « l’interdit de parole suggère, dans sa brutalité, que la femme a quelque chose à dire sur le sexe. […] Le langage silencieux auquel recourt la tisseuse est en lui-même l’indice des secrets détenus par la communauté bavarde des femmes, tenues à l’écart des hommes29 ». En réinvestissant l’art de leurs ancêtres tisseuses, Casey Jenkins et Vadis Turner révèlent les « dangereux » pouvoirs de la voix silencieuse des femmes. En mobilisant des représentations véhiculées par la culture populaire depuis l’Antiquité, elles mettent à nu l’économie répressive des discours sur l’anatomie de la femme, à la faveur d’une autre histoire du sang féminin.

Bibliographie

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DAGEN Philippe, « Joana Vasconcelos, une artiste un peu trop libre pour la cour du Roi-Soleil », Le Monde, 2012. https://www.lemonde.fr/culture/article/2012/06/20/joana-vasconcelos-une-femme-un-peu-trop-libre-pour-la-cour-du-roi-soleil_1721774_3246.html.

HÉRITIER Françoise, « Le sang du guerrier et le sang des femmes », Les Cahiers du GRIF, no 29, 1984 [1979], p. 7-21. https://doi.org/10.3406/grif.1984.1629.

JAUREGUI Léa, MATHAS Jeanne, « De fureur et de sang », Les Cahiers de l’École du Louvre, no 15, 2020. https://doi.org/10.4000/cel.8546.

KLIMPE Hanna, « De la scandalisation à la normalisation d’un stigmate. La représentation du sang menstruel, de l’art féministe des années 1970 à Instagram », Plastik, no 10, 2022. https://plastik.univ-paris1.fr/2022/01/19/de-la-scandalisation-a-la-normalisation-dun-stigmate-la-representation-du-sang-menstruel-de-lart-feministe-des-annees-1970.

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MONTGOMERY Rita, « A Cross-Cultural Study of Menstruation, Menstrual Taboos, and Related Social Variables », Ethos, vol. 2, no 2, 1974, p. 137-170. https://doi.org/10.1525/eth.1974.2.2.02a00030.

TONELLI MANICA Daniela, RIOS Clarice, « (In)visible Blood: menstrual performances and body art », Vibrant, vol. 14, no 1 (« On rituals and performances »), 2016. https://doi.org/10.1590/1809-43412017v14n1p124.

Travaux universitaires

BODIOU Lydie, Histoires du sang des femmes grecques : filles, femmes, mères à l’époque classique d’après les écrits médicaux et biologiques, thèse de doctorat, Rennes, université de Rennes 2, 2000.

Notes

1 Sur les représentations artistiques et littéraires du mythe d’Arachné, voir en particulier Sylvie Ballestra-Puech, Métamorphoses d’Arachné. L’artiste en araignée dans la littérature occidentale, Droz, Genève, 2006, et Anne Creissels, Prêter son corps au mythe. Le féminin et l’art contemporain, Paris, Éditions du Félin, 2009. Retour au texte

2 Chris Bobel, « From Convenience to Hazard: A Short History of the Emergence of the Menstrual Activism Movement, 1971-1992 », Health Care for Women International, vol. 29, no 7, 2008, p. 738-754, https://doi.org/10.1080/07399330802188909 ; Chris Bobel, Elizabeth Arveda Kissling, « Menstruation matters: introduction to representations of the menstrual cycle », Women’s Studies, vol. 40, no 2, p. 121-126, https://doi.org/10.1080/00497878.2011.537981. Retour au texte

3 Voir à ce sujet l’article de Marine Cortese dans ce même numéro : https://doi.org/10.57086/radar.934. Retour au texte

4 À titre d’exemple, les œuvres Blood Work Diary (1972) de Carolee Schneemann, Menstruation (1973) de Judy Clark et Les mouchoirs menstruels de Laëtitia Bourget (1997-2005) sont disposés selon une semblable grille formelle, chaque carré contenant une tache circulaire, à la manière d’échantillons. Ce protocole taxonomique, qui rend le « corps fuyant » contrôlable et organisé, tout en esthétisant le sang, éclaire – par la diversité des formes et des superpositions colorées – les rythmes du « temps féminin ». Retour au texte

5 https://casey-jenkins.com/works/casting-off-my-womb/. Retour au texte

6 Lydie Bodiou, Histoires du sang des femmes grecques : filles, femmes, mères à l’époque classique d’après les écrits médicaux et biologiques, thèse de doctorat d’histoire ancienne, Rennes, université de Rennes 2, 2000 ; Marion Coville, Héloïse Morel, Stéphanie Tabois (dir.), Idées reçues sur les menstruations. Corps, sang, Paris, Le Cavalier Bleu, 2023. Retour au texte

7 Pline L’Ancien, Histoire naturelle, VII, XV, 64 : « Rien de plus prodigieux que l’écoulement menstruel. L’approche d’une femme en cet état fait tourner les moûts ; à son contact les céréales deviennent stériles, les greffons meurent, les plantes des jardins sont brûlées, les fruits des arbres sous lesquels elle s’est assise tombent ; l’éclat des miroirs se ternit rien que par son regard, la pointe du fer s’émousse, le brillant de l’ivoire s’efface, les ruches d’abeilles meurent ; même le bronze et le fer sont aussitôt attaqués par la rouille, et le bronze contracte une odeur affreuse… ». Retour au texte

8 Rita Montgomery, « A Cross-Cultural Study of Menstruation, Menstrual Taboos, and Related Social Variables », Ethos, vol. 2, n°2, été 1974, p. 137-170, https://doi.org/10.1525/eth.1974.2.2.02a00030 ; Janice Delaney, Mary Jane Lupton, Emily Toth, The Curse: A Cultural History of Menstruation, New York, EP Dutton and Co. Inc, 1976 ; Françoise Héritier, « Le sang du guerrier et le sang des femmes » [1979], Les Cahiers du GRIF, no 29, 1984, p. 7-21, https://doi.org/10.3406/grif.1984.1629 ; Thomas Buckley, Alma Gottlieb, Blood magic : the anthropology of menstruation, Berkeley, Los Angeles, Londres, University of California Press, 1988 ; Chris Bobel, Inga Winkler, Breanne Fahs et al., The Palgrave Handbook of Critical Menstruation Studies, Singapour, Palgrave Macmillan, 2020. Retour au texte

9 Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979. Retour au texte

10 Pedro Cruz, « Blood and pollution visualisations of menstrual flow in contemporary art », European Journal of Anatomy, vol. 24, no 1, 2021, p. 25. https://pesquisa.bvsalud.org/portal/resource/pt/ibc-195285. Retour au texte

11 Judy Chicago, citée dans Chris Bobel, New Blood. Third-Wave feminism and the politics of menstruation, New Brunswick, Rutgers University Press, 2010, p. 46-47. Dans le cadre des activités menées au sein du Feminist Art Program développé à Fresno puis à CalArts avec la Womanhouse de Los Angeles, deux autres installations de Faith Wilding et Judy Chicago feront date. La première réalise Sacrifice en 1971, une installation monumentale constituée d’un mannequin féminin éviscéré, allongé sur une table, entouré de fleurs et couvert de sang et de tampons. En 1972, avec Menstruation Bathroom, Chicago invite le public à entrer dans une salle de bain jonchée de protections menstruelles et tampons usagés. Retour au texte

12 Françoise Frontisi-Ducroux, L’Homme-Cerf et la femme-araignée. Figures grecques de la métamorphose, Paris, Gallimard, 2003, p. 235. Retour au texte

13 Comme en témoigne cette formule populaire longtemps utilisée en Grèce pour introduire les contes : « fil rouge attaché, entourant le rouet, donne-lui un coup, fais-le tourner, pour que le conte puisse commencer », le métier à tisser est l’outil d’une transmission culturelle effectuée par la voix des femmes qui, tout en tissant des images, racontent des histoires aux petits. Retour au texte

14 Ainsi que le rappelle Françoise Frontisi-Ducroux, dans la littérature antique, le tissage est en effet décrit comme le croisement de deux fils de genres différents, le fil de chaîne, dont le nom, stemon, est masculin, et la trame, désignée par le mot féminin kroké. Voir Françoise Frontisi-Ducroux, op. cit., p. 235. Retour au texte

15 Sur ce « mythe des origines d’une parole (coupée) en acte », voir en particulier Anne Creissels, « Oratrices de l’indicible : le geste privé de la parole », dans Vangelis Athanassopoulos (dir.), Quand le discours se fait geste. Regards croisés sur la conférence-performance, Dijon, Les Presses du réel, 2018, p. 133-149. Retour au texte

16 Voir https://casey-jenkins.com/works/bad-blood/. Retour au texte

17 Françoise Frontisi-Ducroux, op. cit., p. 234. Retour au texte

18 Hippocrate, Œuvres complètes, traduit du grec ancien par Émile Littré, Paris, J.-B. Baillière et Fils, 1839-1961, 10 t. (et en particulier Des maladies des jeunes filles, t. VIII, p. 467-471) ; Aristote, De la génération des animaux, Paris, Les Belles lettres, 2002 ; Galien, Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales, Paris, J.-B. Baillière, 1856, 2 t. Retour au texte

19 Sur le sujet, voir en particulier Nicole Loraux, « Le corps étranglé. Quelques faits et beaucoup de représentations », dans Du châtiment dans la cité. Supplices corporels et peine de mort dans le monde antique, Rome, École française de Rome, 1984, p. 195-224 ; Giulia Sissa, Le Corps virginal, Paris, Vrin, 1987 ; Catherine Desprats-Péquignot, « Correspondances sexe/visage et sang génital », Champ psychosomatique, avril 2005, no 40, p. 115-133. Retour au texte

20 Sur l’usage de la ruse par Pénélope, voir Ioanna Papadopoulou-Belmehdi, Le Chant de Pénélope. Poétique du tissage féminin dans l’Odyssée, Paris, Belin, 1994. Retour au texte

21 Cité dans Simon Ford, Wreckers of Civilisation : The Story of COUM Transmissions and Throbbing Gristle, Londres, Black Dog, 1999, p. 21 Retour au texte

22 Philippe Dagen, « Joana Vasconcelos, une artiste un peu trop libre pour la cour du Roi-Soleil », Le Monde, 20 juin 2012. On peut également mentionner la série Menstruation is normal (2016) de l’artiste indienne basée à Amsterdam Sarah Naqvi qui utilise le fil pour broder des perles et des paillettes rouges sur des serviettes hygiéniques et des tampons ou encore les macrophotographies Dentelles (2010-2016) réalisées par la Française Maël Baussand à partir des serviettes hygiéniques cadrées en très gros plan. Retour au texte

23 Propos de Vadis Turner dans « Vadis Turner: Reception », Chaine YouTube du Brooklyn Museum. https://www.youtube.com/watch?v=7Vqvgnwt2yQ. Retour au texte

24 Ibid. Retour au texte

25 Nicole Loraux, op. cit., p. 213. Retour au texte

26 Nicole Loraux, « Préface », dans Giulia Sissa, op. cit., p. 11. Retour au texte

27 Voir Nicole Loraux, Façons tragiques de tuer une femme, Paris, Hachette, 1985, p. 34-35. Retour au texte

28 Françoise Frontisi-Ducroux, op. cit., p. 239. Retour au texte

29 Ibid., p. 238-239. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Janig Bégoc, « Femmes menstruées. La visibilisation artistique du sang vaginal comme survivance des mythes émancipateurs des tisseuses antiques », RadaЯ, 10 | 2025, 150-168.

Référence électronique

Janig Bégoc, « Femmes menstruées. La visibilisation artistique du sang vaginal comme survivance des mythes émancipateurs des tisseuses antiques », RadaЯ [En ligne], 10 | 2025, mis en ligne le 05 juin 2025, consulté le 03 décembre 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/radar/index.php?id=1019

Auteur

Janig Bégoc

Janig Bégoc est maîtresse de conférences HDR à l’université de Strasbourg. Ses recherches portent sur les enjeux esthétiques, historiographiques et anthropologiques de l’art de la performance. Elle s’intéresse en particulier à l’usage des fluides corporels dans l’histoire de l’art.

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