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Artivisme : Néologisme né au début des années 2000 de la contraction des mots art et activisme, ce terme désigne l’expression artistique utilisée à des fins politiques, qu’elles le soient par les citoyen·ne·s ou par des artistes militant·e·s engagé·e·s socialement et politiquement. Jacques Rancière étudie la question dans son ouvrage Le partage du sensible. Esthétique et politique (2000) où il explique l’idée selon laquelle « Produire unit à l’acte de fabriquer celui de mettre au jour, de définir un rapport nouveau entre le faire et le voir1. » Toutefois, comme beaucoup de néologismes, l’utilisation du terme « artivisme » est souvent décriée car la frontière entre les créations des artistes et leur engagement politique est poreuse et indistincte. Bien que tous les médiums soient utilisés par les artivistes, nous observons un regain d’intérêt particulier pour l’aspect performatif et participatif des œuvres proposées. Le tout trouvant place dans l’espace public sous le regard des passant·e·s qui deviennent aussitôt spectateur·rice·s et pris·e·s à partie. L’artivisme, savant mélange entre désobéissance civile et performance artistique, a été surtout pratiqué au cours de notre récente histoire par les mouvements sociaux et courants politiques de gauche. Nous pouvons affirmer que globalement, les combats défendus sont progressistes. Parmi ceux-ci, nous retrouvons, entre de multiples autres, les luttes LGBTQ+, anti-capitalistes/-patriarcales/-fascistes, écologiques. La propagation de ces actions politico-artistiques repose sur leur médiatisation qui est au centre du processus de création et de diffusion.

 

Atlas : À la fin du xvie siècle, l’atlas est un format de livre qui compile et organise des connaissances géographiques et astronomiques. Au xixe siècle, le terme est surtout employé en Allemagne pour identifier les connaissances présentées sous forme d’affichages tabulaires. On pouvait rencontrer des atlas dans tous les champs des sciences empiriques (astronomie, anatomie, géographie, ethnographie, etc.). Plus tard, même les livres qui présentent des schémas de plantes ou d’animaux portent cette appellation. Vers la fin du xixe siècle, la crainte de perdre toutes formes de tradition face à l’industrialisation conduit les chercheurs à employer l’atlas comme un outil mnémonique. L’historien de l’art allemand Aby Warburg (1866-1929) déconstruit le format livresque de l’atlas pour ne présenter que des planches d’images. Il popularise ce dispositif comme un moyen de révéler la survivance de motifs au fil de l’histoire avec son Atlas Mnémosyne (1925-1929). Au xxe siècle, ce nom semble être tombé dans un usage beaucoup plus métaphorique. De nombreux artistes modernes et contemporains utilisent ce format comme un moyen de classification d’images et/ou de traces révélant les usages d’une époque.

 

Désobéissance civile : Manière de militer théorisée par l’écrivain américain Henry David Thoreau au milieu du xixe siècle. Citoyen du Massachusetts, il décide de faire pression en refusant de payer ses impôts à cet État esclavagiste qui s’oppose en tout point à ses valeurs. Il a écrit un texte fondateur de cette vision du militantisme, De la désobéissance civile, qui a été repris par Gandhi lors de sa lutte contre les anglais (1815-1848) et par Martin Luther King lors de sa révolte contre la ségrégation aux États-Unis (1955-1968). La désobéissance civile consiste à se mettre consciemment dans l’illégalité afin de dénoncer une loi jugée injuste. Un exemple très récent d’action de désobéissance civile à Strasbourg serait le blocage pendant le Black Friday de l’Apple Store, place Kléber, par les militant·e·s d’Extinction Rebellion, mouvement social écologiste international. Blocage non-violent, sitting et mains collées à la glue sur les vitres afin de dénoncer les ravages de la surproduction et de la surconsommation.

 

Études décoloniales : Les études décoloniales sont nées en 1998 d’un groupe interdisciplinaire de théorie critique en Amérique Latine, « Modernité/Colonialité/Décolonialité » (MCD). Des universitaires latino-américain·e·s et caribéen·ne·s se réunissent autour de l’idée que la domination coloniale a disqualifié certains modes de vie et de pensée jugés culturellement infériorisant depuis le début de la colonisation et de son pendant capitaliste. Plusieurs formes de colonialités sont déconstruites par le groupe de recherche MCD, comme la colonialité du pouvoir, du savoir, de l’être, du genre ou de la nature. C’est ainsi que ce groupe de recherche a contribué à l’élaboration d’une philosophie nouvelle de l’histoire qui s’est propagée dans les cercles universitaires et militants du monde entier. Les études décoloniales se sont rapidement immiscées dans les arts, marquant une rupture profonde avec l’esthétique occidentale, elle-même traversée par la modernité coloniale. En 2015 est fondée l’association Décolonisons les arts !, sous la présidence de la politologue Françoise Vergès. Le collectif a pour ambition de militer pour une meilleure représentation des minorités culturelles dans les institutions publiques françaises ainsi que dans le champ des arts et de la culture. En 2008, Gerty Dambury, Leïla Cukierman et Françoise Vergès publient le premier ouvrage de l’association, Décolonisons les arts ! Plusieurs artistes y décrivent la dimension décoloniale de leurs pratiques artistiques et témoignent des processus de racialisation inhérents au domaine culturel. Ces publications sont révélatrices de la manière dont la décolonisation des arts dans leur champ artistique propre permet de déracialiser, dénationaliser et désoccidentaliser l’idéologie occidentale de l’universel.

 

Francophonie : Le site de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) propose de différencier la francophonie en tant que langue française en partage de la francophonie en tant que dispositif institutionnel. Plusieurs sociolinguistes abandonnent cette opposition pour concevoir la francophonie comme un dispositif qui regroupe à la fois plusieurs discours sur la langue française ainsi que les pratiques hétérogènes et diverses de cette langue. La francophonie serait à la fois institutionnelle et subjective dans les rapports qu’entretiennent les locuteurs à la langue. Ce terme est employé pour la première fois en 1880 par le géographe Onézine Reclus (1837-1916) pour désigner les zones d’influences françaises en Afrique. La langue apparaît comme le socle de l’empire français, fédératrice de solidarité entre les peuples, dont l’importance s’est accrue suite au partage colonial occasionné par la conférence de Berlin (1884-1885). Le mot francophonie disparaît pendant plus d’un siècle, pour finalement réapparaître en novembre 1962, à l’occasion de la publication d’un numéro spécial de la revue Esprit, « Le français, langue vivante. » Ce terme, apparu lors de l’élaboration des frontières coloniales, perdure à la suite des Indépendances comme un espace culturel et économique, donc éminemment politique. Dans cette perspective, la francophonie désigne avant tout une zone d’influence et un espace géopolitique entre la France et ses anciennes colonies.

 

Genre : Le genre ou plus spécifiquement les études du genre englobent des pensées, théories et recherches qui ont pour objet le dualisme culturel et idéologique du masculin et du féminin et sa déconstruction. Le sexe est la conception anatomique du masculin et du féminin tandis que le genre est une construction sociale qui se fonde sur des qualités morphologiques et culturelles opérant une différenciation essentialisante entre les hommes et les femmes. Les études du genre mettent en avant les relations inégales et les rapports de domination qui s’exercent sur les femmes et sur toute personne qui ne correspond pas à la norme hétéronormée de binarité des sexes. Les études queer et féministes tendent à déconstruire cette vision du genre afin de mettre en avant les personnes et pratiques qui se situent en dehors de cette dualité.

 

Intersectionnalité : L’intersectionnalité a été conceptualisée par la juriste américaine Kimberlé Crenshaw en 1989 durant le mouvement du Black Feminism survenu aux États-Unis. Sa définition première est une lecture de l’imbrication des rapports de domination qui lient la race, le genre et la classe que subissent les femmes afro-américaines. À l’heure actuelle, l’intersectionnalité s’est élargie pour accueillir les questions relatives au spécisme, à la crise écologique et au handicap. L’écoféminisme et la pensée queer-écologique font partie de ces mouvements intersectionnels. Quelquefois définie comme une convergence des luttes, l’intersectionnalité est un schéma de lecture large et entrecroisé des phénomènes de société concernant la race, la classe et le genre, la nature, le handicap et le spécisme. Elle permet une lecture féministe complexe transdisciplinaire et décloisonnante mettant en lumière la multiplicité des systèmes d’oppression et d’inégalités sociales.

 

Négritude : À l’époque de l’entre-deux guerres, un bouillonnement culturel émerge, principalement à Paris, capitale-monde de la culture. Une effervescence intellectuelle et artistique se propage dans les salons et cafés, dans lesquels de nombreux Afro-Américains, Antillais et Africains se rencontrent et découvrent que, malgré des différences culturelles notables, ils appartiennent à une même « race. » C’est dans ce contexte qu’apparaît le mouvement littéraire et politique de la Négritude comme un signe de reconnaissance, un mot par lequel une communauté en lutte se revendique. Il a été employé pour la première fois par Aimé Césaire dans la rubrique « Conscience Raciale et Révolution Sociale » de la revue Étudiant Noir (mai – juin 1935). Ce concept a par la suite été repris par de nombreux écrivains francophones noirs, comme Léopold Sédar Senghor ou Léon-Gontran Damas. Ainsi employé, ce terme est une contestation de l’Empire colonial de l’époque. Les poètes et écrivains qui se revendiquent de ce mouvement opèrent une inversion du regard sur la « condition noire » ; ils échappent aux stéréotypes figés dans lesquels les états coloniaux la réduisent. Par l’écriture, la parole est donnée à ceux et celles qui en étaient privés, pour enfin devenir des sujets de l’énonciation. Si la négritude a longtemps été considérée comme le fruit de la résistance d’une population face à l’asservissement, il ne demeure pas moins que ce mouvement fut lui aussi pourvoyeur de domination. Selon les écrivaines T. Denean Sharpley-Whiting (Negritude Women [2002]) et Tanella Boni, la généalogie de la Négritude éclipse les femmes de cette réflexion. Pourtant, elles ont été nombreuses à s’investir dans cette question, comme les sœurs Jane, Andrée et Paulette Nardal (qui a cofondé la Revue du monde noir [1931-1932] et Tropiques [1941-1945]), mais aussi Suzanne Césaire, dont l’indépendance d’esprit semble avoir été par la proximité de son époux, Aimé Césaire. Bien que le mouvement de la Négritude jouisse encore d’une réelle renommée, les écrits de ces femmes peinent à sortir des archives.

 

Race : Les données colorimétriques se référant à la couleur de peau reviennent en boucle dans le discours décolonial, lui préférant parfois le terme « racisé·e » ou « racisation. » La fabrique de la « race », celle du « Blanc » et celle du « Noir » – et parfois celle du « Jaune » et du « Rouge » –, n’est finalement pas qu’un terme sociologique, mais un produit de la violence d’État et des inégalités internationales structurelles. Nier le caractère sociologique de la « race » reviendrait à nier les violences qui l’accompagnent. Au même titre, l’attribut « Blanc » ou « Blanche » renvoie à une construction sociale, celle d’une couleur devenue synonyme d’un marqueur social et culturel, associé la plupart du temps à des privilèges et à des droits.

 

Rapports de domination : Des rapports de domination ou des rapports de force sont symptomatiques de relations conflictuelles impliquant une partie dominante et une partie dominée. Ces rapports sont omniprésents dans notre société et peuvent être physiques, psychiques, émotionnels, économiques, politiques, religieux, etc. Ils touchent l’individu comme le collectif, peuvent être perpétrés par une structure instituée, comme l’État, par le biais de lois privilégiant certain·e·s plutôt que d’autres, ou encore par un individu sur un autre. Ces dynamiques relationnelles inégales se traduisent en violences qui prennent de multiples formes notamment en expansion par le biais des réseaux sociaux et des nouveaux rapports établis en leur sein.

1 Rancière, Jacques, Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique Éditions, « Hors collection », 2000, p. 70.

Notes

1 Rancière, Jacques, Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique Éditions, « Hors collection », 2000, p. 70.

Citer cet article

Référence électronique

« Glossaire », RadaЯ [En ligne], 5 | 2020, mis en ligne le 01 janvier 2020, consulté le 26 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/radar/index.php?id=209

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