Faire l’histoire de la société médiévale en tant que système de domination

Entretien avec Joseph Morsel, réalisé par Blaise Dufal et François Rivière le 22 décembre 2023 à Paris, transcrit par Blaise Dufal

  • Make the history of medieval society as a system of domination

DOI : 10.57086/rhs.101

Text

Joseph Morsel (né en 1961) est un historien français, médiéviste, spécialiste de l’histoire des élites dans le monde germanique. Il soutient sa thèse de doctorat en 1993 (La Noblesse contre le prince : l’espace social des Thüngen à la fin du Moyen Âge : (Franconie, v. 1250-1525), Stuttgart, J. Thorbecke, 2000). Il est nommé maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où il devient professeur d’histoire médiévale après l’obtention de son habilitation à diriger des recherches en 2009. Il a notamment publié L’Aristocratie médiévale : la domination sociale en Occident, ve – xve siècle, Paris, Armand Colin, 2004 et Noblesse, parenté et reproduction sociale à la fin du Moyen Âge, Paris, Picard, 2017.

L’étiquette « histoire sociale » est-elle une étiquette que vous revendiquez dans vos travaux ?

Je ne revendique pas spécifiquement l’étiquette d’« histoire sociale ». En revanche, je revendique systématiquement le fait que l’histoire, en l’occurrence l’histoire médiévale, n’a de sens qu’à condition qu’elle contribue à l’intelligibilité de la société, ici médiévale, du point de vue de son fonctionnement et de sa dynamique de transformation (puisque toutes les sociétés se transforment, n’en déplaise à ceux qui proclament la fin de l’histoire). Donc « histoire sociale », je n’ai rien contre, mais il est vrai que je ne l’utilise pas beaucoup. Je préfère effectivement quelque chose qui serait l’histoire de la société médiévale – même si le qualificatif « médiévale » soulève d’autres problèmes (comment désigner le système social qui a succédé au système esclavagiste antique et précédé le système capitaliste actuel ?). Mais globalement, pour des raisons, disons académiques et d’intelligibilité générale, considérons que c’est l’histoire de la société médiévale –, toutefois d’un long Moyen Âge. En fait, je ne vois pas comment l’histoire pourrait ne pas être ipso facto histoire sociale, à moins de désarticuler l’objet pour n’en examiner que de petits bouts – chacun le sien…

Comment articulez-vous cela avec la notion de « long Moyen Âge », et comment définiriez-vous cette notion ?

Cette société, « médiévale » en l’occurrence, est, comme toute société, un système de domination. C’est une lecture peut-être pessimiste des choses, mais je ne connais pas de société qui ne soit pas un système de domination, ne serait-ce que des femmes par les hommes. Donc c’est un système de domination et, même s’il est évidemment très difficile de définir des bornes claires, ce système de domination se forme peu à peu, grosso modo vers les 3e-4e siècles de notre ère (avec la crise du système esclavagiste romain et la promotion chrétienne d’une libération de tous passant par la soumission de tous à Dieu via ses représentants autodésignés), tandis qu’il se défait progressivement à partir de la fin du 16e siècle et surtout du début milieu du 17e siècle, même si cela traîne encore pendant longtemps (grosso modo, ce système de domination médiéval cohabite pendant deux siècles, entre 1650 et 1850, avec le nouveau, en cours de formation). Ce long Moyen Âge est donc un système de domination qui s’étend sur environ un millénaire et demi. Au-delà de la question de savoir comment le désigner (« long Moyen Âge », « féodalisme », système « féodal » ou « féodo-ecclésial », « système post-romain » ou « précapitaliste », etc.), tout le problème est de savoir ce qui donne sa cohérence à une telle société, en dépit de ses inéluctables modifications dans le temps (et l’espace). Est-ce qu’on peut parler d’une société, d’une seule société ? Et je ne parle pas de notions comme culture ou civilisation (comme l’emploient Jacques Le Goff ou Jérôme Baschet). L’une de principales difficultés est de parvenir à concevoir ce qui donne la cohérence à un système tout en autorisant son adaptation, sa transformation, qui certes aboutit à terme à sa disparition, mais pas avant que sa dynamique interne ne soit épuisée. Or, on a affaire à un système qui s’est abondamment transformé, comme le montrerait une comparaison entre le temps de Clovis et celui de Louis XIV : la société à l’époque de Clovis et la société à l’époque de Louis XIV sont extrêmement différentes, et pourtant ça reste le même système, reposant sur un mode de production structurellement comparable (une grande masse de la population travaille la terre au profit d’une minorité, même si les conditions techniques et juridiques ont changé), admettant le rôle déterminant de Dieu et des institutions humaines qui sont censées le représenter sur terre (évêques, prêtres et pasteurs) et structurées par le même système de représentations (qu’à la suite de Philippe Descola on peut qualifier d’« analogiste »).

Dans votre formation intellectuelle, d’où vient cette conception de la société ?

Je pense que cela vient effectivement de ma formation, notamment avec deux historiens qui ont été mes enseignants à l’ENS de Saint-Cloud : Jean-Louis Biget (1937-2024), pour l’histoire du Moyen Âge, et Yvon Thébert (1943-2002)1, pour l’histoire ancienne, qui effectivement avaient une conception similaire d’une société comme système de domination, même s’ils ne le présentaient pas nécessairement comme ça. Plus tard, alors que j’étais déjà en thèse2, j’ai rencontré Anita Guerreau-Jalabert (née en 1950) puis Alain Guerreau (né en 1948)3, dont j’avais découvert et considérablement apprécié les travaux lorsque j’étais en DEA4, et avec lesquels je suis dès lors resté régulièrement en contact. Tous se référaient plus ou moins explicitement au marxisme, et tous ont joué un rôle important à la fois dans cette conception « macro » de l’histoire de la société et dans la difficile nécessité d’articuler le fonctionnement structuré et la transformation dynamique, refusant donc la paresse de l’infinie diversité du réel d’un côté et de schémas immobilistes de l’autre (comme la trifonctionnalité dumézilienne, qu’abhorrait Yvon Thébert). À mon avis, ce sont des éléments qui ont joué dans cette conception de grands « blocs » (les systèmes sociaux, c’est-à-dire de domination) à l’intérieur desquels il y a des dynamiques. Tout le problème est là, c’est d’arriver à articuler à la fois cette conception d’une dynamique et d’une transformation permanentes et l’identification de la cohérence interne des systèmes de domination.

Vous ne citez pas votre ancien directeur de thèse, Henri Dubois (1923-2012) ?

Non, il n’a joué aucun rôle de ce point de vue. D’une part – et c’est effectivement à mettre à son crédit – il était très pointilleux sur la « propreté » érudite du travail historien, comme une sorte d’artisanat (c’est une métaphore courante chez les historiens, notamment médiévistes, à commencer par Marc Bloch), à partir duquel on pouvait ensuite tenter de monter en généralité, notamment statistique, mais il était fondamentalement empiriste. D’ailleurs, et d’autre part, il ne se présentait pas du tout et ne se concevait sans doute pas vraiment comme un historien de la société, mais comme un historien de l’économie5.

Donc, à ce moment-là, la séparation entre historiens de l’économie et historiens de la société était verbalisée, voire potentiellement conflictuelle ?

Nous avons effectivement eu des relations conflictuelles au début, en raison des différences de perspective qui étaient les nôtres : je voulais faire une histoire de la domination sociale nourrie des travaux de sociologie et d’anthropologie politique6, tandis que mon directeur de thèse voulait que je travaille sur un groupe, un segment de la noblesse allemande (puisque c’est lui qui m’avait orienté vers l’Allemagne, ce dont je lui sais également fort gré).Cela dit, pour en revenir plus précisément à la question « est-ce que ça a été verbalisé ? », je pense que ça ne l’a pas été comme cela, comme une opposition de fond entre histoire sociale et histoire économique. En fait, il m’a fallu du temps pour mettre mes idées au clair sur les implications théoriques, voire épistémologiques, de l’une ou l’autre option. Contrairement à certains de mes condisciples à Saint-Cloud, je n’avais pas du tout une conception bien définie du travail d’historien, permettant dès le départ de savoir ce que je ne voulais pas faire et ce que je voulais faire, pourquoi, comment… Une chose qui à mon avis était déjà importante – et là c’était très lié à Jean-Louis Biget –, c’était cette idée d’une approche qui englobe toutes les dimensions (y compris les images, les bâtiments), avec cette idée correspondant à la fameuse équation : histoire sociale, histoire totale. Et ça, c’était clairement déjà présent dans mon esprit. Avec quand même cette idée aussi que si on veut faire de l’histoire sociale, on ne peut pas se contenter d’accumuler des petits morceaux, donc travailler d’un côté sur l’histoire économique, d’un autre sur des trucs religieux ou relevant de l’histoire culturelle, d’un autre encore sur des aspects politiques ou juridiques, etc. C’est vraiment en DEA que les choses se sont précisées, donc peut-être assez tard par rapport à d’autres : d’une part, il y a eu la critique de la dissociation entre politique, économie et religion dans le premier livre d’Alain Guerreau7, que j’ai découvert alors. Et l’autre élément qui a joué un rôle déterminant dans ma formation d’historien de la société, ce sont les travaux de Pierre Bourdieu (1930-2002), que j’ai découvert de la même façon en DEA. Donc, on le voit, ma pensée s’est précisée très progressivement, voire lentement.

Vous avez commencé par quelle œuvre de Bourdieu ?

L’Esquisse d’une théorie de la pratique a été pour moi une révélation, suivie plus tard par Le Sens pratique, qui en était une sorte de systématisation. Les Questions de sociologie ont aussi été importantes pour clarifier certains points. Mais je dois dire aussi que c’est par le biais de l’article de Bourdieu intitulé « Genèse et structure du champ religieux8 », découvert grâce à Jacques Chiffoleau (né en 1951) lors des cours d’agrégation qu’il nous a dispensés à l’ENS – article que j’avais eu néanmoins beaucoup de mal à saisir – que j’ai appris l’existence de cet iceberg sociologique. Les travaux de Bourdieu sont déjà très présents dans mon DEA, ce qui a été une cause de conflit avec mon propre directeur de thèse.

On vous l’a reproché ?

Oh que oui ! Il m’a dit : « si vous voulez faire cela, il faut changer de directeur de thèse ». Au point que je l’ai effectivement envisagé. Ce que Jean-Louis Biget m’a vraiment déconseillé de faire pour des considérations liées à la logique interne de l’establishment et en me disant simplement que c’était à moi d’essayer de convaincre mon directeur de thèse du bien-fondé de ma position, mais à partir de critères acceptables par lui (c’est-à-dire empiriquement valides). Ce que j’ai essayé de faire. Après, est-ce que j’ai réussi ? Je n’en sais rien. Lui a dit, lors de la soutenance, que je l’avais convaincu (ou plus exactement qu’il ne savait plus, à la fin, qui dirigeait qui, ce qui peut être compris de plusieurs façons…). Mais est-ce que c’était vrai ? Je n’en sais rien.Cela dit, pour comprendre la réaction d’Henri Dubois, il faut également prendre en compte le contexte idéologique local, c’est-à-dire à Paris IV : en tant que normalien, je pouvais bénéficier (dans le cadre d’une réforme ayant supprimé la cinquième année antérieurement accordée à ceux qui commençaient une thèse) d’un poste d’assistant-normalien de deux ans. Et j’avais candidaté à Paris IV sur les injonctions de mon directeur de thèse, avant même qu’il ait reçu mon DEA et la présentation de mon projet publiée dans le Bulletin de la Mission française en Allemagne, qui avait fait l’objet d’une discussion à Göttingen (avec d’autres doctorants, Étienne François et Jean-Claude Schmitt), et où je me référais à des auteurs alors inacceptables à Paris IV (Bourdieu, Marx). Donc il a explosé, moins pour des raisons strictement idéologiques que parce qu’à Paris IV il était entouré de gens très à droite et il ne voulait pas qu’on sache qu’il avait fait entrer le loup dans la bergerie…

Et pourquoi l’aviez-vous choisi ?

C’était simplement la continuité de la maîtrise et, comme je l’ai dit, mon manque initial de critères de repérage académique et théorique. Il se trouve que je suivais en licence les cours d’Henri Dubois à Paris IV (où je m’étais inscrit ingénument), mais qu’en plus de cela, il venait nous faire à l’ENS des cours de préparation à la question de hors-programme d’histoire médiévale pour l’agrégation (ça fonctionnait comme ça à Saint-Cloud, donc dès avant l’année d’agrégation). Et un jour, à l’issue des vacances de Pâques, il nous a expliqué qu’il avait découvert l’existence de la Mission historique française en Allemagne à Göttingen, qu’on pouvait y envoyer des étudiants en maîtrise, et donc que, le cas échéant, il était tout à fait prêt à diriger des travaux de maîtrise sur l’Allemagne réalisés là-bas, puisqu’il était capable de lire et de parler l’allemand et qu’il connaissait un certain nombre de médiévistes allemands. Je n’avais jamais songé à cela, mais j’ai trouvé que c’était une excellente idée, et comme rien ne me retenait en France, je suis effectivement parti à ce moment-là. Et après ça, le DEA puis la thèse ont été simplement dans la continuité, sans que cela ait été un choix spécifique, fondé sur une réflexion théorique et stratégique. Est-ce que j’ai bien fait ou mal fait ? De toute façon les choses se sont passées comme ça, et je n’ai pas besoin d’habiller le hasard et l’inconséquence d’un déguisement de savant en herbe… Et il se trouve qu’il avait de très bonnes relations avec un professeur qui était à l’université de Wurtzbourg, Rolf Sprandel (1931-2018), historien de l’économie comme lui, mais qui présentait diverses singularités au sein du champ académique allemand : il était l’un des rares à s’être très précocement intéressé à l’histoire des mentalités et à la sociologie, et c’est à lui qu’on devait l’une des premières tentatives en Allemagne d’exploitation informatisée de corpus médiévaux à des fins d’histoire socio-économique9. Par ailleurs, il connaissait bien les archives, notamment celles des Thüngen qu’il m’a signalées, et donc j’ai beaucoup travaillé avec lui quand j’étais en Allemagne.

Il y a beaucoup de faisceaux qui se rencontrent dans ce que vous nous racontez.

Le nœud de tout, c’est la maîtrise que je suis allé faire en Allemagne sous la direction d’Henri Dubois. Je me suis alors retrouvé à l’Institut Max-Planck d’histoire à Göttingen (qui aujourd’hui n’existe malheureusement plus), sur lequel était greffée la Mission historique française en Allemagne. Et dans cet Institut Max-Planck, la bibliothèque était d’une part en accès libre, et d’autre part classée thématiquement (et non pas par ordre alphabétique d’auteur, ou par période). Ce qui fait qu’en allant chercher un livre spécifique, on tombait systématiquement sur autre chose (une sorte de sérendipité organisée, donc) et c’est comme ça que, lorsque j’y suis retourné pour faire mon DEA, j’ai découvert, en furetant, Le Féodalisme, un horizon théorique10, mais aussi les livres de Bourdieu. De plus, à l’Institut Max-Planck de l’époque, il y avait des modernistes (Hans Medick, Peter Kriedte, Jürgen Schlumbohm11) et un contemporanéiste (Alf Lüdtke12) qui étaient vraiment très à la pointe de la réflexion historique (alors que la plupart des médiévistes étaient, jusqu’à la fin des années 1980, plutôt traditionalistes), certains très orientés vers l’anthropologie (et qui ont d’ailleurs créé plus tard la revue Historische Anthropologie13). Et c’était effectivement eux qui s’intéressaient beaucoup à la question des sciences sociales, de l’historicité, qui invitaient des collègues divers et variés (comme Reinhart Koselleck), et grâce à cela j’ai vraiment entendu des choses très intéressantes. Je savais bien que Henri Dubois était un historien classique, et j’imagine (rétrospectivement, il est difficile de faire abstraction de ce qui a suivi) que je savais bien a priori que ce que je faisais ne correspondait pas à ce qu’il voulait, mais désormais je savais ce que je voulais faire, et donc que c’était à prendre ou à laisser. Et d’une certaine manière, il a été obligé de prendre, même si bien sûr les conseils tactiques de Jean-Louis Biget ont été déterminants.

Et Rolf Sprandel a été plus réceptif ?

J’ai l’impression que Rolf Sprandel se fichait largement de tout cela, peut-être parce qu’académiquement il n’avait rien à craindre, puisque de toute manière il occupait une place un peu à part dans le monde académique des médiévistes allemands : comme je l’ai dit, c’était un des rares médiévistes à avoir très tôt relayé le projet de l’histoire des mentalités et de la sociologie historique. Dès les années 1970, il avait écrit des choses favorables au recours aux sciences sociales en histoire, mais il n’a alors évidemment pas été plus écouté qu’en France. Par ailleurs, encore une fois, Rolf Sprandel s’est aussi saisi de l’outil informatique dès les années 1980, pour créer à Wurtzbourg une base de données incluant un échantillon de la série des registres de fiefs et de quelques registres de la chancellerie épiscopale : ce qui caractérise en effet l’évêché de Wurtzbourg, c’est l’existence d’une collection complète de registres de fiefs depuis 1303 jusqu’à la fin du système14. Et donc l’idée, c’était qu’en prenant un registre de fiefs tous les trente ans, qu’il faisait saisir et normaliser par des étudiants, on aurait une base de données extrêmement riche, très utile pour toutes sortes d’études sociales, économiques, etc. Pour l’époque, c’était donc quelqu’un qui était tout à fait hors norme, si bien qu’il était prêt à jouer… il était un peu joueur, en tout cas c’était un personnage assez amusant. Et lui, ça ne le gênait pas que j’arrive en parlant de Bourdieu, etc.

Vous êtes un des rares médiévistes français à être très lié au monde germanique : dans quelle mesure cet univers intellectuel compte-t-il dans votre approche structurale de la société, sociologique et anthropologique ? Y a-t-il pour vous un héritage germanique, une pratique spécifique en regard du cas français ?

Je ne pense pas qu’il y ait un héritage germanique dans ma propre approche. Je pense qu’elle est plutôt française, ce qui ne signifie nullement que tous les médiévistes français partagent ma façon de voir ! Les collègues allemands ont mis vraiment beaucoup de temps à accepter d’utiliser les sciences sociales, et tout simplement l’idée que ce qu’ils observent, ce ne sont pas des choses, mais des productions sociales. Ma proposition de « sociogenèse de la noblesse15 », il a fallu attendre vingt ans avant que certains collègues qui travaillent sur l’histoire de la noblesse admettent que, finalement, c’est plutôt une bonne idée. Une bonne illustration de cela peut être trouvée dans un épisode qui a touché un autre personnage clé des années 1990 en Allemagne, le nouveau directeur de l’Institut Max-Planck, quand je suis retourné à Göttingen en 1992 pour diriger pendant quatre ans les recherches médiévales à la Mission historique française (1992-1996) : Otto Gerhard Oexle (1939-2016). Académiquement, il était dans une position de force (d’autant qu’il avait une haute idée de lui-même), mais scientifiquement, il se positionnait plutôt en marge du système et s’intéressait beaucoup aux questions d’historiographie, d’historicité et de sociologie historique, avec en particulier une grande ouverture vers la France. C’était donc quelqu’un, dans le paysage allemand, qui était à la fois craint, parce que c’était un homme de pouvoir, et qui n’était pas véritablement accepté par la majorité, traditionaliste, de la profession. Je me suis bien rendu compte de cela, avec un certain nombre de jeunes collègues, lorsqu’il a organisé, en 1998, un colloque au sein de cette institution académiquement très importante dans le paysage allemand qu’est le Konstanzer Arbeitskreis für mittelalterliche Geschichte16. Donc Otto G. Oexle organise un colloque sur la pauvreté au Moyen Âge17, auquel je suis invité en tant que conférencier avec d’autres jeunes médiévistes d’alors, comme le Suisse Valentin Groebner (né en 1962). Et comme personne n’osait s’attaquer à Oexle, tout le monde nous est tombé dessus en tant que possibles affidés, une façon classique de régler ses comptes sans encourir directement les foudres du roi… Or, à chaque fois, les attaques portaient clairement sur des questions de méthode : le rapport au réel, le rejet des analyses de discours, la construction des catégories, l’agentivité des acteurs, etc. Tout cela pour dire que non, mes méthodes de travail, mes problématiques n’étaient pas du tout issues du monde germanique, et j’ai tendance à penser qu’elles n’y ont pas été vraiment reçues, mis à part par une minorité (notamment celles et ceux qui gravitent autour de Historische Anthropologie, ou par l’intermédiaire de Ludolf Kuchenbuch). Tant pis, c’est comme ça.

Dans le milieu français, quels sont les influences, les relais que vous avez trouvés ?

Pour ce qui est des influences initiales, j’ai déjà mentionné le rôle de Jean-Louis Biget, Anita Guerreau-Jalabert et Alain Guerreau. Pour des raisons tout à fait contingentes, j’ai été amené à les rencontrer personnellement de manière différente. Je ne reviens pas sur le cas de Jean-Louis Biget, rencontré non seulement en cours, mais aussi et surtout lors des voyages d’études qui inauguraient chaque année, et où il faisait magistralement apparaître le social derrière les églises, sculptures et peintures. J’ai rencontré Anita Guerreau-Jalabert à l’époque où j’étais en train de faire ma thèse, en l’occurrence lors d’un colloque organisé à Rouen par Martin Aurell (né en 1958) sur la sociabilité à table18, où elle était venue présenter quelque chose qu’elle allait publier dans les Annales sur le repas19. Nous avons sympathisé, et Anita m’a conseillé de ne pas rester dans mon coin au fond de ma thèse, mais d’aller m’aérer un peu les neurones pour me changer les idées, et elle m’a conseillé d’aller assister au séminaire de Georges Duby (1919-1996) au Collège de France à Paris.Donc j’y suis allé régulièrement, ce qui m’a permis de retrouver Dominique Iogna-Prat (né en 1952), dont j’avais fait la connaissance à Göttingen lors d’un de ses séjours tandis qu’il préparait son Agni immaculati, ainsi que Dominique Barthélemy (né en 1953), avec qui j’avais travaillé à Paris IV lorsque j’y avais été assistant-normalien au milieu des années 1980, et qui était alors considéré comme un médiéviste d’avenir20 (et qui m’a aidé à comprendre un peu le fonctionnement de Henri Dubois). Et c’est donc également comme ça que j’ai rencontré Alain Guerreau, car la première fois que j’y suis allé, il faisait une communication sur le Bel inconnu21 et c’était très intéressant, à la fois de l’entendre et de voir le fonctionnement du séminaire en lui-même, avec ses hiérarchies tacites. À la fin du premier séminaire de Duby où j’étais présent, nous sommes allés prendre un pot rue Saint-Jacques avec un certain nombre de gens, et c’est effectivement Dominique Barthélemy qui m’a introduit et présenté à Alain Guerreau, avec qui je me suis donc retrouvé à discuter. Ensuite, nous sommes restés en contact, d’abord épisodique puis, depuis 2010, au sein d’un collectif (financé par le LaMOP) qui se réunit une fois par an pour travailler globalement sur la société médiévale et singulièrement sur les contributions de détail des membres du groupe22 – un travail intellectuellement exigeant, voire éprouvant. Quant à Dominique Barthélemy, nous nous sommes un peu perdus de vue, même si je dois reconnaître que son travail sur le Vendômois, par sa première partie sur la documentation écrite, a certainement joué un rôle dans les réflexions que j’ai plus tard développées sur notre rapport à la documentation médiévale23.

Justement, quelles seraient les spécificités des sources médiévales dans une approche d’histoire sociale ?

La société n’est pas entièrement dans les documents, mais on ne peut pas faire sans – sinon il suffirait de considérer que les big data suffisent et qu’on a tout sur Internet, si bien que l’histoire ne consisterait alors qu’à relayer l’écho de cette documentation, à la paraphraser. Le problème du rapport entre documents et société médiévale se pose au moins à deux niveaux. D’une part, il est évident qu’avec la documentation médiévale que l’on a, produite pour les besoins spécifiques de la société médiévale et hétérogène en raison de ses conditions de conservation, on ne peut pas répondre à toutes les questions qu’on voudrait lui poser. Mais je pense que cela n’est pas le but que je m’assigne. C’est ce que j’expliquais régulièrement aux étudiants, puisque je faisais un cours d’introduction à la documentation médiévale, qui s’intitulait : « Pourquoi avons-nous des sources ? », et je considère que c’est ça la question importante. En bonne logique, on ne devrait rien avoir, ou presque rien : après tout, il y a des tas de sociétés qui n’ont rien, non pas parce qu’elles n’ont pas écrit, mais parce qu’on n’a rien conservé, donc la question est plutôt inverse : « Pourquoi en a-t-on encore ? Et pourquoi encore autant ? ». Bien sûr, pour la période mérovingienne, je veux bien admettre qu’on n’ait pas énormément de documents écrits physiques, en termes de nombre de documents, mais à mon avis on pourrait faire plus avec ce qu’on a… On voit bien qu’avec les méthodes que permet l’informatique, on peut trouver aujourd’hui des choses qu’on ne trouvait pas avant. Donc pour moi, le problème n’est pas dans le volume de la documentation disponible, conservée, mais dans la façon dont on va la traiter. Et donc a priori dans les méthodes : ce ne sont pas les problématiques qui comptent pour moi. Les problématiques aboutissent souvent à la réponse : « on n’a pas de sources ». C’est une posture que j’appelle lacrymale, de lamentation sur le fait qu’on ne peut pas répondre à toutes les questions auxquelles les contemporanéistes ou les modernistes peuvent répondre. C’est comme ça, on n’y peut rien, et de toute façon le problème n’est pas là. Le problème, c’est d’abord de rendre compte de tout ce qu’on a encore et, à partir de cela, d’essayer de restituer au maximum ce qu’on peut comprendre du fonctionnement de cette société et de sa dynamique, et donc de sa capacité d’adaptation et de transformation.Après, pourquoi faut-il impérativement intégrer cette réflexion ? C’est là le second point : ces documents ne sont pas des transcriptions, des relais neutres d’une prétendue réalité sociale, ils sont des productions sociales, le résultat de procédures à la fois matérielles et intellectuelles, mais aussi de conservation (avec une matérialité propre qui fait qu’ils ont pu être conservés ou non), chacune de ces trois procédures ayant un sens social, mais pas le même. Par conséquent, imaginer que les documents puissent donner directement accès à la société médiévale, un peu comme une fenêtre, est un fantasme dangereux : les documents donnent accès à des procédures, qui elles-mêmes renvoient d’abord au système de représentation en fonction duquel agissent les gens. Il est évident que des actes sur parchemin se conservent mieux que des actes sur papier et surtout sur papyrus. Mais il y a un tas d’autres éléments qui ont joué et ont pesé sur le fait qu’on les a conservés ou pas conservés, donc il faut être capable dans un premier temps d’essayer de cerner le type de discours auquel on a affaire. D’où une analogie que je raconte régulièrement aux étudiants : « Imaginez que la Terre a été ravagée par je ne sais quel cataclysme, que la seule chose qui reste c’est un kiosque de journaux, et dans ce kiosque on a conservé un numéro de Gala, un livre de la collection Harlequin et un numéro du Figaro Madame. Et dans quelques milliers d’années arrivent des Vénusiens, ou ce que vous voulez, qui font des fouilles archéologiques, découvrent ces vestiges et comprennent que sur Terre, à l’époque, il y avait effectivement une espèce bisexuée, si bien que l’un d’eux décide de faire une thèse sur leurs rapports de genre. Avec pour résultat que les femmes seraient des potiches, d’abord infirmières et rêvant d’épouser le médecin pour ensuite pouvoir recevoir leurs amies à quatre heures pour le thé et papoter. Est-ce que vous estimez que c’est la réalité ? Votre réponse serait : évidemment non, c’est à cause de ce que vous avez gardé… Et donc : qu’est-ce qui vous dit que la documentation médiévale qu’on a n’est pas une documentation tout aussi biaisée ? Si vous ne vous posez pas la question, vous aboutirez à des résultats qui vont être du même ordre que ce que raconte le Vénusien… Mais demandez-vous aussi si ce que vous allez lire chez des historiens n’est pas aussi du même ordre ». Donc une démarche qui ne se restreint pas à la question traditionnelle de la causa scribendi, de l’intentionnalité de l’auteur, ne serait-ce que parce qu’on sait très bien aujourd’hui qu’il y a des conditions de dicibilité, pour parler comme Michel Foucault24, qui font qu’il y a des choses qui sont dicibles et d’autres qui ne le sont pas, et que cela dépend aussi des types de documents.

Y a-t-il un soupçon supérieur vis-à-vis de la documentation quand on s’intéresse particulièrement au groupe des dominants et à sa sociogenèse ?

Inévitablement, il est évident que ce sont les dominants qui parlent, et qui parlent essentiellement aux dominants. Il m’a fallu un petit moment pour m’en rendre compte, puisqu’au départ je suis parti de ce schéma : pour ce qui est de la société médiévale, on a essentiellement affaire à des discours produits par les dominants, et ce à deux niveaux, à la fois parce que c’est eux qui ont accès à l’écriture – souvent par l’intermédiaire du clergé – et parce que la conservation de leurs documents est plus importante que pour les dominés qui, éventuellement, en auraient eu. On sait en effet qu’il y a des dominés qui ont pu avoir des actes qu’ils avaient fait établir pour eux et qu’on n’a pas conservés, tandis que ce qu’on a aujourd’hui dans les archives, ce sont essentiellement des discours produits par et pour les dominants. D’où, pendant longtemps, cette idée que ce ne sont que des discours biaisés, que la perception que l’on peut avoir des dominés dans ces discours est nécessairement distordue, et donc qu’il est difficile de « retrouver les voix disparues25 », ce qui est une métaphore courante (et de plus en plus courante, me semble-t-il) : en effet, on n’entend rien dans les sources, il ne s’agit que d’écrit à lire… L’historien n’est pas un médium, il ne fait pas parler les morts, et à vouloir « faire parler » les sources (pour reprendre une autre métaphore courante), il risque de les torturer et de n’obtenir que ce qu’il attend…En revanche, il m’a fallu pas mal de temps pour réaliser que cette documentation n’était pas destinée à dominer les dominés : en fait, ils n’ont pas besoin d’écrire pour dominer les dominés, un gourdin suffit. C’est évidemment un peu excessif de le dire comme ça, mais on voit bien aujourd’hui de quelle manière on peut faire efficacement régner l’ordre dans les rues à coup de matraque… Cela dit, pendant une quinzaine d’années, je me suis concentré sur la question de la domination, et c’est plus tard que je me suis consacré à la question de la reproduction de la domination (d’une certaine manière, j’ai fait l’inverse de Bourdieu, qui a quasiment toujours travaillé sur la reproduction sociale alors que moi j’y suis arrivé en fait assez tard). Et c’est comme ça que je suis arrivé à cette idée que ce qui assure fondamentalement la reproduction du groupe dominant, c’est ce qui assure sa cohésion interne, et que l’écrit est un élément clé de cela : les actes sont avant tout destinés à s’assurer qu’à l’intérieur du groupe dominant on arrive à peu près à se mettre d’accord et qu’on garde le souvenir d’un certain nombre d’éléments, en l’occurrence d’un certain nombre d’accords internes, pour ensuite le cas échéant avoir la possibilité de se remettre d’accord. Le but majeur c’est ça, c’est assurer la cohésion du groupe dominant, bien évidemment pour dominer les dominés, il n’y a pas de doute, mais on voit bien que le rapport entre l’écrit et la domination des dominés est indirect. De ce fait, les dominés apparaissent surtout de façon latérale, mais pour moi le problème n’est pas là : ce qui compte, ce ne sont ni les dominants ni les dominés en tant que tels, mais le système de domination (son fonctionnement et sa dynamique). Qu’on ne voie les dominés que par le prisme de ce que disent les dominants n’est donc pas pour moi un problème majeur : l’historien n’est pas là pour restaurer la dignité des dominés, sa fonction n’est nullement d’ordre éthique ! Cela n’est un problème qu’à partir du moment où l’on adopte une position essentialiste des dominés, alors que si l’on se place dans une position qui est celle de l’histoire d’un système de domination, le problème se pose de manière différente. Fondamentalement, on a donc avant tout affaire à des écrits qui font partie du système de domination et de sa reproduction, et qui reposent entre autres sur la perception que les dominants avaient des dominés : une perception plus ou moins fausse, plus ou moins codée (dans la littérature, l’hagiographie, etc.), mais avant tout une représentation… Tout cela pour dire que, si le but est de restituer l’agentivité, comme on dit, des faibles, des dominés, effectivement les documents qu’on a, produits par les dominants pour les dominants, vont biaiser considérablement la chose. Mais si en revanche on admet que la société est un système de domination, et donc si on vise à une histoire du système de domination, je pense que c’est moins un problème. Mais ça restera un problème tant que l’on ne prendra pas au sérieux cette documentation et qu’on se contentera d’en exploiter le contenu sans se poser de questions sur la raison pour laquelle on l’a produite comme ça, avec une typologie variée, et qu’on l’a conservée.

Est-ce que ça ne serait pas justement une spécificité de l’histoire médiévale que d’avoir cette approche sociale de la scripturalité, de l’écrit, par rapport à d’autres périodes ?

En tout cas, quand on regarde sous l’angle de l’historiographie, il est clair que les médiévistes ont joué un rôle très important de ce point de vue là, même si Michael Clanchy (1936-2021)26 n’a eu que peu d’écho en Grande-Bretagne même, au contraire du continent (Pays-Bas, Allemagne, France, Italie). Globalement, c’est très caractéristique des médiévistes, moins par une vertu particulière qu’en raison du volume de documentation dont disposent les contemporanéistes et les modernistes. L’un de mes collègues, Stéphane Lamassé (né en 1971), qui pilote le PIREH27 et s’y occupe des étudiants en master d’histoire, voit passer un grand nombre d’étudiants de toutes périodes qui viennent les voir pour des questions de traitement de base de données. Or, il est toujours très surpris de voir la très grande ingénuité, notamment des contemporanéistes, quant à la nature de la documentation à laquelle ils ont affaire. Pour eux, les documents sont là, il faut les exploiter, point final. La raison de savoir pourquoi, comment, dans quelle condition ils ont été produits, qu’est-ce que cela peut avoir comme effets, semble vraiment être un problème secondaire, alors même que l’analyse de discours s’est tout de même développée pour l’histoire révolutionnaire28. Ce qui m’étonne un peu plus, c’est surtout du côté des antiquisants, parce que j’aurais tendance à imaginer que moins on a de documents, plus on essaie de les traiter de façon multidimensionnelle, mais je n’ai pas l’impression que ce soit le cas. Peut-être est-ce lié au fait qu’une grande partie de leur documentation est d’origine archéologique ? Je ne sais pas. En tout cas, il est vrai que le problème de la scripturalité semble avoir surtout préoccupé les médiévistes.

Comment voyez-vous les rapports entre histoire sociale et d’autres types d’histoire dans les différents pays que vous connaissez ?

Mis à part la France, les deux espaces où j’ai fréquenté le plus d’historiens, c’est l’Allemagne d’une part, et d’autre part le monde lusophone, le Brésil puis le Portugal. Pour ce qui est du monde germanique, le rapport entre les historiens et les autres disciplines qui traitent du Moyen Âge, donc l’histoire de la littérature, l’histoire de l’art, etc., présente une coupure nettement moins marquée qu’en France : le Mediävistenverband en Allemagne rassemble ainsi tous les gens qui travaillent sur le Moyen Âge (historiens, historiens de la littérature, historiens de l’art), mais sans la distinction opérée, au sein de la SHMESP, entre membres titulaires (les historiens et historiennes en poste) et les membres associés (les autres). Donc ils n’ont pas le même type de découpage académique. En revanche, au niveau de la pratique, les historiens allemands, même encore aujourd’hui, restent largement tributaires des méthodes éprouvées de la médiévistique allemande, d’ordre philologique. L’historien auquel je suis le plus lié en Allemagne est Ludolf Kuchenbuch (né en 1939), qui s’intéresse à un très grand nombre de thématiques, mais qui a été très largement marginalisé dans le monde académique allemand, parce qu’il dérangeait scientifiquement en raison de son rationalisme, de l’acuité de ses analyses et de ses options marxistes. On pouvait difficilement le marginaliser complètement, parce que sa thèse sur Prüm29 était vraiment remarquable, donc on l’a mis là où on pensait qu’il ne gênerait pas trop, dans une université à distance, à Hagen, où on pensait qu’il n’aurait pas de disciples à proprement parler. D’un côté c’est ce que nous appellerions un historien de l’économie : il a beaucoup travaillé sur un ensemble de villages du Harz à la fin du Moyen Âge, pour sa thèse sur Prüm au haut Moyen Âge comme pour son habilitation, que j’ai fait publier il y a quelques années grâce au reste de crédits de l’IUF30. Mais il a aussi beaucoup travaillé sur Marx31 et le féodalisme, ce dont il a parlé dans le volume Retour à l’horizon32. Enfin nous partageons le même goût pour les questions d’épistémologie historique, de réflexion sur les concepts (comme « sources » ou « textes »), etc. Tout cela fait que nous nous sommes progressivement rapprochés et qu’aujourd’hui nous sommes extrêmement liés. Outre Ludolf Kuchenbuch, le monde germanique m’a offert deux autres collègues avec lesquels j’ai beaucoup échangé. D’abord Bernhard Jussen (né en 1959), que j’ai rencontré à l’Institut Max-Planck et qui s’intéresse à de multiples choses qui m’occupent aussi : il s’est en effet lancé assez tôt sur des analyses de statistiques sémantiques, lexicométrie ou textométrie33, sur le recours aux images et la culture visuelle (de la situation médiévale à l’imagerie contemporaine, comme dans les petites images qui étaient distribuées avec le chocolat34), sur des questions de parenté35. L’autre collègue avec lequel je travaille est le Suisse Simon Teuscher, de l’université de Zürich, avec qui je partage un vif intérêt pour la scripturalité et la parenté36.Le cas du monde brésilien est très différent, même si le point commun avec l’Allemagne est que j’en pratique bien la langue, puisque j’y ai vécu de 1987 à 1989, ce qui m’a permis de discuter avec des collègues de ce pays. L’histoire médiévale s’y est développée à partir de São Paolo, dans une perspective d’ailleurs très française, en l’occurrence celle de l’EHESS. C’est en effet Hilario Franco Junior (né en 1948)37, qui avait fait sa thèse avec Jean-Claude Schmitt (né en 1946), qui a relayé vers le Brésil ce qu’on appelait alors l’anthropologie historique. Et quand Eliana Magnani avait organisé en 2001 à Auxerre une série de rencontres intitulée Le Moyen Âge vu d’ailleurs38, j’étais présent à cette rencontre, avec des Argentins et des Brésiliens, dont la formation était extrêmement différente. Initialement, cependant, il était très difficile de travailler ensemble en raison des écarts de méthode ; mais avec la multiplication de jeunes chercheurs brésiliens ayant fait leur thèse en France ou dans d’autres pays occidentaux, qui ont donc acquis les standards de la recherche internationale, la discussion est désormais beaucoup plus aisée. Au Portugal, le modèle français de formation à l’histoire a été principalement Georges Duby (1919-1996), pour la génération qui part à la retraite, tandis que celle d’après est beaucoup plus ouverte, notamment sur les États-Unis d’Amérique, mais pas uniquement. Concernant la France, c’est encore l’anthropologie historique et l’EHESS qui ont joué un rôle très important. Ainsi, mon principal contact à Lisbonne est Maria de Lurdes Rosa, formée en partie à Paris et entretenant des rapports étroits avec des historiens américains, qui a travaillé sur des questions d’héritage et aujourd’hui sur des problématiques de documentation archivistique historique39. L’idée de base c’est de considérer les archives comme un produit social, non seulement par leur production (triage/conservation) mais aussi leurs logiques de classement, et d’essayer de comprendre ce que cela dit de la société, bref une histoire sociale des archives, ou une histoire archivistique de la société, je ne saurais franchement distinguer les deux choses. Un des biais majeurs dans cette affaire, que l’on retrouve aussi d’une certaine manière en Allemagne, c’est l’usage massif de la notion de famille. En fait, c’est un problème : la réintégration dans cette analyse de cadres qui n’ont rien à y faire à mon avis. Pour moi les archives privées ne sont pas des archives de famille, ce sont éventuellement, si l’on veut utiliser un autre mot, des archives de « maison », mais fondamentalement ce sont des archives dont la logique est la reproduction de la domination de ces groupes-là.

Alors que cet entretien se situe quelques mois après votre départ à la retraite, quel serait l’avenir d’une histoire de la société médiévale ? Est-ce qu’on peut faire l’histoire de la sociogenèse d’autres groupes ?

Oui, bien sûr. Sociogenèse des différents groupes dominants, ça on peut le faire, il n’y a pas de problème, à condition de bien considérer qu’on travaille sur des choses qui n’existent pas en soi, mais sur des modes « indigènes » de découpage du réel, qui produisent des choses dont la formation finit par être oubliée et qui semblent donc exister en soi. Je pense que cette notion est très utile : moi-même, j’ai travaillé sur la sociogenèse du patriciat nurembergeois40, mais je l’ai aussi vu effectivement employée, il y a quelques années, par une collègue allemande qui travaillait sur la ville de Nuremberg41 ; et du simple fait qu’il y a dedans « genèse » et « socio », cela rappelle que tout cela ce sont des constructions sociales.Concernant le début de la question, celle de l’avenir, je ne suis pas du tout sûr qu’il y en ait un pour l’histoire de manière générale, en tant que mode de connaissance : nous vivons dans une société où l’histoire en tant que type de savoir, c’est-à-dire la science historique telle qu’elle s’est formée à partir du début du 19e siècle, est étroitement liée à la mise en place d’un nouveau système de domination – qu’on appellera comme on veut : capitalisme, libéralisme, etc. –, en tant que science dont la finalité est de légitimer la mise en place d’un nouveau système par rapport à l’absurdité de l’ancien. Or, il se trouve qu’aujourd’hui cette légitimation d’un système social par le biais de ses origines (comme c’est aussi la fonction des mythes d’origine dans les sociétés dites traditionnelles) est un mode en voie de disparition : de nos jours, le système capitaliste se passe de ce type de justification, parce qu’il recourt au principe de la performance. Un système performant, efficace, est un bon système, indépendamment des problèmes de morale ou de quoi que ce soit, ce qui signifie simplement le recours systématique à des indices chiffrés, des statistiques. On le voit bien autour de nous, tout est bataille de chiffres, censés véhiculer une vérité du réel, y compris de façon diachronique. Si effectivement pendant deux siècles la science historique a pu être dotée d’une telle fonction sociale, on est en train d’en sortir et de passer à un système qui n’a plus du tout besoin de ce type de chose : la fonction sociale de la science historique est en voie de remplacement par tout à fait autre chose, d’un côté les commémorations, destinées à produire des événements fédérateurs à court terme et donc à amuser la galerie, de l’autre les appropriations segmentaires du Moyen Âge dans les jeux vidéo, le cinéma, la bande dessinée, bref un Moyen Âge rêvé, fantasmatique, sur lequel j’avais attiré l’attention dans L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat42. On repère ainsi que c’est la société qui est considérée comme la plus éloignée de la société contemporaine, non pas dans le temps (puisque nous sommes censés être les héritiers des Grecs et des Romains, avec leurs notions de démocratie, république, etc.), mais en termes de différence par rapport à notre société : elle fonctionne comme une radicale inversion de la nôtre, comme dans un miroir. De ce fait, même si les historiens et historiennes insistent sur le fait que ce n’est pas notre inverse, mais une société radicalement autre, c’est une source d’exotisme infinie, d’où le succès d’un Games of Thrones, etc.Cela dit, si l’histoire en tant que système de connaissance est effectivement menacée à terme, il existe une inertie propre au champ académique qui atténue pour le moment les effets de cela, d’autant que les universités sont autonomes, si bien que la science historique va durer encore un certain temps, en tout cas en France. On va en effet avoir des historiens professionnels pendant un certain temps, malgré l’accroissement de l’écart avec les besoins du système. Pour l’instant, ceux qui transforment ces besoins en lois (les gouvernements) sont un peu coincés par le principe d’autonomie des universités, mais on ne sait pas combien de temps cela va durer. Un jour, il y aura peut-être un gouvernement d’une violence telle qu’il décidera que maintenant ça suffit, qu’on vide les universités de leurs historiens et de manière générale de toutes les sciences sociales. Si bien que les historiens actuels, qui focalisent leur énergie sur les seules questions de carrière (la leur ou celle des autres), sont sans doute comme des hamsters dans une cage qui courent sans fin dans une roue, pendant que leurs maîtres transportent la cage où ils veulent…Par ailleurs, on peut se demander s’il faut coûte que coûte maintenir une spécificité de la science historique en termes d’autonomie disciplinaire. Cela fait déjà longtemps que l’on parle d’interdisciplinarité, qui n’est jamais pratiquée, ou quasiment pas : il y a eu des tentatives d’hybridation, plus ou moins réussies – comme la sociohistoire en tant qu’hybridation entre la sociologie et l’histoire, qui donne des résultats assez bons43. Mais il faudrait aller évidemment bien au-delà. Alors, travaillant dans une revue comme Genèses, qui rassemble des sociologues, des anthropologues, des politologues et des historiens, ça m’enrichit considérablement à titre personnel et me conduit à penser que l’avenir de l’histoire n’est pas dans l’histoire. D’où le fait d’avoir contribué à ce livre collectif qui s’appelle Pour une science du social44. L’avenir de l’histoire est dans la science du social, en tant que connaissance, indépendamment de sa fonction sociale, et qui serait plus large que la sociologie. Toutes ces disciplines qui se sont développées de façon autonome, pour certaines au 19e siècle et pour beaucoup depuis le début du 20e siècle, se sont chacune dotées de méthodes et d’épistémologies qu’il est très difficile de faire dialoguer. Toutes les méthodes, disons classiques, de l’érudition historienne, ont un véritable intérêt, même si elles ne doivent nullement détourner de l’appropriation de nouvelles méthodes, comme le traitement de corpus massifs numérisés à l’aide de méthodes dites de data mining. Donc quel est le problème ? Il faudrait qu’un scientifique du social soit capable de maîtriser à la fois toutes les méthodes classiques de chaque discipline et en outre d’en suivre l’enrichissement. Or, on ne demande déjà pas aux historiens de maîtriser toutes les méthodes sœurs (on ne leur demande pas d’être diplomatiste, sigillographe, etc.). Par conséquent, la diversité méthodologique n’est pas un obstacle (même si c’est un frein) à la communication scientifique, si bien que pour arriver à une science du social sans demander à tout le monde de maîtriser la totalité des méthodes, c’est au niveau d’une épistémologie suffisamment large que cela pourra se faire. Actuellement, les disciplines se définissent beaucoup plus par leurs méthodes que par rapport à leur épistémologie, et je pense que c’est cela qu’il va falloir parvenir à dépasser. La connaissance des sociétés est à ce prix, tant du point de vue de ses résultats scientifiques que de sa pérennité.

Notes

1 Du premier, voir le recueil de ses travaux : Albi et l’Albigeois au Moyen Âge, 2 t., Albi, Archives et Patrimoine, 2022 ; du second, voir par exemple « Économie, société et politique aux deux derniers siècles de la République romaine », Annales ESC, 35e année, no 5, 1980, p. 895-911 ; Yann Potin, Vincent Lemire, « Diogène historien : Yvon Thébert (1943-2002) », Afrique & histoire, 2005/1 (vol. 3), p. 15-24. Return to text

2 Joseph Morsel, Une société politique en Franconie au Moyen Âge : les Thüngen, leurs princes, leurs pairs et leurs hommes, Paris, Université de Paris IV-Sorbonne, 1993. Return to text

3 Notamment, de la première, « Sur les structures de parenté dans l’Europe médiévale », Annales ESC, 36e année, no 6, 1981, p. 1028-1049 ; et du second, Le Féodalisme, un horizon théorique, Paris, Le Sycomore, 1980. Return to text

4 Équivalent, dans le cursus d’alors, à l’actuel M2, si ce n’est que le M2 prolonge le M1 (la maîtrise dans l’ancien cursus) alors que le DEA introduisait expressément au doctorat. Return to text

5 Henri Dubois, Les Foires de Chalon et le commerce dans la vallée de la Saône à la fin du Moyen Âge (vers 1280-vers 1430), Paris, Publications de la Sorbonne, 1976 ; Philippe Contamine, Thierry Dutour, Bertrand Schnerb (dir.), Commerce, finances et société, xie -xvie siècles : recueil de travaux d’histoire médiévale offert à M. le Professeur Henri Dubois, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 1993. Return to text

6 Voir Joseph Morsel, « Pour une étude du pouvoir de la noblesse à la fin du Moyen Âge », Bulletin d’information de la Mission historique française en Allemagne, no 11, 1985, p. 4-27. Return to text

7 Alain Guerreau, Le Féodalisme, un horizon théorique, op. cit. Return to text

8 Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique. Précédé de Trois études d’ethnologie kabyle, Genève, Droz, 1972 ; Id., Le Sens pratique, Paris, Éditions de Minuit, 1980 ; Id., Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1980 ; Id., « Genèse et structure du champ religieux », Revue française de sociologie, vol. 12, no 3, 1971, p. 295-334. Return to text

9 Rolf Sprandel, Mentalitäten und Systeme. Neue Zugänge zur mittelalterlichen Geschichte, Stuttgart, Union Verlag, 1972 ; Id., Verfassung und Gesellschaft im Mittelalter, Paderborn, Schoeningh, 1975 ; Id., Gesellschaft und Literatur im Mittelalter, Paderborn, Schöningh, 1982. La base de données en question est aujourd’hui hébergée sur le site HUF (Historisches Unterfranken) et est accessible via un moteur de recherche dédié : <https://www.historisches-unterfranken.uni-wuerzburg.de/swu>. Voir aussi Hans-Peter Baum, Rainer Leng, Joachim Schneider (dir.), Wirtschaft, Gesellschaft, Mentalitäten im Mittelalter. Festschrift zum 75. Geburtstag von Rolf Sprandel, Stuttgart, Steiner, 2006. Return to text

10 Alain Guerreau, Le Féodalisme, un horizon théorique, op. cit. Return to text

11 Voir leur livre commun : Peter Kriedte, Hans Medick, Jürgen Schlumbohm, Industrialisierung vor der Industrialisierung : gewerbliche Warenproduktion auf dem Land in der Formationsperiode des Kapitalismus, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, « Veröffentlichung des Max-Planck-Instituts für Geschichte, no 53 », 1977. Cet ouvrage n’a pas été traduit en français, mais est disponible en anglais : Industrialization before Industrialization: Rural Industry in the Genesis of Capitalism, Cambridge, Cambridge University Press, 1981. Return to text

12 Voir par exemple en français : Alf Lüdtke, Histoire du quotidien, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1994. Return to text

13 Historische Anthropologie. Kultur, Gesellschaft, Alltag, créée en 1993, <https://www.vr-elibrary.de/journal/hian>. Return to text

14 Voir leur présentation dans Joseph Morsel, « Quand enregistrer, c’est créer. La transformation des registres féodaux des évêques de Wurtzbourg aux xive et xve siècles », dans Olivier Guyotjeannin (dir.), L’Art médiéval du registre. Chancelleries royales et princières, Paris, École nationale des Chartes, 2018, p. 377-420. Return to text

15 Joseph Morsel, « Die Erfindung des Adels. Zur Soziogenese des Adels am Ende des Mittelalters. Das Beispiel Frankens », dans Otto Gerhard Oexle, Werner Paravicini (dir.), Nobilitas. Funktion und Repräsentation des Adels in Alteuropa, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1997, p. 312-375 ; Id., « L’invention de la noblesse en Haute-Allemagne à la fin du Moyen Âge. Contribution à l’étude de la sociogenèse de la noblesse médiévale », dans Jacques Paviot, Jacques Verger (dir.), Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur de Philippe Contamine, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 2000, p. 533-545. Return to text

16 Un organisme qui avait servi à remettre en selle un certain nombre de médiévistes compromis avec le régime nazi. Évidemment, aujourd’hui, il n’a plus du tout cette dimension-là, mais il n’empêche qu’il joue un rôle central dans l’establishment allemand, et effectivement, si l’on veut obtenir un poste, il est préférable d’avoir été invité au moins une fois là-bas pour présenter une communication, l’idéal étant bien sûr d’être élu comme membre sociétaire du Cercle de Constance. Traute Endemann (dir.), Geschichte des Konstanzer Arbeitskreises. Entwicklung und Strukturen, 1951-2001, Stuttgart, Thorbecke, 2001 ; Anne Christine Nagel, « ’Gipfeltreffen der Mediävisten’. Der Konstanzer Arbeitskreis für mittelalterliche Geschichte », dans Ulrich Pfeil (dir.), Die Rückkehr der deutschen Geschichtswissenschaft in die Ökumene der Historiker. Ein wissenschaftsgeschichtlicher Ansatz, München, De Gruyter, 2008, p. 73-89. Return to text

17 Otto Gerhard Oexle (dir.), Armut im Mittelalter, Ostfildern, Thorbecke, 2004. Return to text

18 Martin Aurell, Olivier Dumoulin, Françoise Thélamon (dir.), La Sociabilité à table. Commensalité et convivialité à travers les âges. Actes du colloque de Rouen, 14-17 novembre 1990, Rouen, Publications de l’université de Rouen, 1992. Return to text

19 Anita Guerreau-Jalabert, « Aliments symboliques et symbolique de la table dans les romans arthuriens (xiie-xiiie siècles) », Annales ESC, vol. 47, 1992, p. 561-594. Return to text

20 Dominique Barthélemy, Les Deux âges de la seigneurie banale. Pouvoir et société dans la terre des sires de Coucy (milieu xie-milieu xiiie siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 1984 ; Id., La Société dans le comté de Vendôme, de l’an mil au xive siècle, Paris, Fayard, 1993. Return to text

21 Alain Guerreau, « Renaud de Bâgé, Le Bel Inconnu. Structure symbolique et signification sociale », Romania, no 103,‎ 1982, p. 28-82. Return to text

22 Les membres de ce collectif, officiellement baptisé « Cercle de travail sur les conditions de production du savoir médiéviste », sont, par ordre alphabétique et indépendamment de l’ancienneté et/ou fréquence de leur participation : Séverine Berlier-Lepape, Bruno Bon, Julien Demade, Alain Guerreau, Anita Guerreau-Jalabert, Uta Kleine, Ludolf Kuchenbuch, Juan José Larrea, Didier Méhu, Joseph Morsel, Nicolas Perreaux. Return to text

23 Joseph Morsel, « Ce qu’écrire veut dire au Moyen Âge… Observations préliminaires à une étude de la scripturalité médiévale », Memini. Travaux et documents de la Société des études médiévales du Québec, no 4, 2000, p. 3-43 ; Id., « Les sources sont-elles “le pain de l’historien” ? », Hypothèses. Travaux de l’École doctorale d’histoire de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 273-286 ; Id., « Le médiéviste, le lignage et l’effet de réel. La construction du Geschlecht par l’archive en Haute-Allemagne à partir de la fin du Moyen Âge », Revue de Synthèse, no 125, 2004, p. 83-110 ; Id., « Du texte aux archives : le problème de la source », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, hors-série 2, 2009, <https://journals.openedition.org/cem/4132> ; Id., « Histoire, archives et documents. Anciens problèmes, nouvelles perspectives », dans Juan Ramón Núñez Pestano, Maria de Lurdes Rosa, Judit Gutiérrez de Armas (dir.), Herencia cultural y archivos de familia en los archipiélagos de la Macaronesia, La Laguna, Instituto de Estudios Canarios, 2020, p. 109-131. Return to text

24 Michel Foucault, Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966. Return to text

25 Déjà dans son Histoire de France, Michelet présente le rapport de l’historien aux documents sur le mode d’une rencontre des voix des morts qui demandent à être invoquées et à revivre. Return to text

26 Michael Clanchy, From Memory to Written Record: England, 1066-1307, Cambridge, Harvard University Press, 1979. Return to text

27 Pôle informatique pour la recherche et l’enseignement en histoire, créé par Jean-Philippe Genet au sein de l’UFR d’histoire de Paris I. Return to text

28 Régine Robin, Histoire et linguistique, Paris, Armand Colin, 1973. Return to text

29 Ludolf Kuchenbuch, Bäuerliche Gesellschaft und Klosterherrschaft im 9. Jahrhundert. Studien zur Sozialstruktur der Familia der Abtei Prüm, Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, 1978. Return to text

30 Id., Die Neuwerker Bauern und ihre Nachbarn im 14. Jahrhundert, Konstanz-München, UVK, 2013. Return to text

31 Id., Marx, feudal. Beiträge zur Gegenwart des Feudalismus in der Geschichtswissenschaft, 1975-2021, Berlin, Dietz Verlag, 2022 ; Id., « Marx et le féodalisme. Sur le développement du concept de féodalisme dans l’œuvre de Karl Marx », L’Atelier du Centre de recherches historiques, no 27, 2023, <https://doi.org/10.4000/acrh.25990>. Return to text

32 Solal Abélès, Blaise Dufal (dir.), « Retour à l’horizon : historiographies du féodalisme », L’Atelier du Centre de recherches historiques, no 27, 2023, <https://doi.org/10.4000/acrh.23229>. Return to text

33 Bernhard Jussen, Karl Ubl (dir.), Die Sprache des Rechts. Historische Semantik und karolingische Kapitularien, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2022. Return to text

34 Bernhard Jussen, « Mémoire collective imagée et imagination historique à l’époque contemporaine. Une approche des vignettes historiques grand public », dans Retour aux sources. Mélanges offerts à Michel Parisse, Paris, 2004, p. 901-912. Return to text

35 Bernhard Jussen, Patenschaft und Adoption im frühen Mittelalter. Künstliche Verwandtschaft als soziale Praxis, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprech, 1991, traduction en anglais : Spiritual Kinship as Social Practice. Godparenthood and Adoption in the Early Middle Ages, London-Newark, University of Delaware Press, 2000. Return to text

36 Simon Teuscher, Bekannte–Klienten–Verwandte. Soziabilität und Politik in der Stadt Bern um 1500, Böhlau, Köln-Weimar-Wien 1998 ; Id., Erzähltes Recht. Lokale Herrschaft, Verschriftlichung und Traditionsbildung im Spätmittelalter, Frankfurt am Main, Campus, 2007, traduction en anglais : Lords’ Rights and Peasant Stories. Writing and the Formation of Tradition in the Later Middle Ages, Philadelphia (Penn.), University of Pennsylvania Press, 2012. Return to text

37 Hilário Franco Júnior, Mário Jorge da Motta Bastos, « L’histoire du Moyen Âge au Brésil », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, no 7, 2003, <https://doi.org/10.4000/cem.3322> ; Wanessa Colares Asfora, Eduardo Henrik Aubert, Gabriel de Carvalho Godoy Castanho, « Faire l’histoire du Moyen Âge au Brésil : fondements, structures, développements », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, no 12, 2008, <https://doi.org/10.4000/cem.6602> ; Néri de Barros Almeida, « La formation des médiévistes dans le Brésil contemporain : bilans et perspectives (1985-2007) », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, no 12, 2008, <https://doi.org/10.4000/cem.6652>. Return to text

38 Eliana Magnani (dir.), Le Moyen Âge vu d’ailleurs : voix croisées d’Amérique latine et d’Europe, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2010 ; Id. (dir.), « Le Moyen Âge vu d’ailleurs », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, no 13, 2009, <https://doi.org/10.4000/cem.11247>. Return to text

39 Maria de Lurdes Rosa, « Ouvertures et fermetures des archives de famille, xive-xxie siècles », dans Sylvain Péquignot, Yann Potin (dir.), Les Conflits d’archives : France, Espagne, Méditerranée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022, p. 243-258 ; Maria de Lurdes Rosa, Rita Sampaio da Nóvoa, Abel Rodrigues, « Nota de apresentação Caminhos da Arquivística Histórica I : materialidades, contextos de produção de informação, representações documentais », Boletim do Arquivo da Universidade de Coimbra, vol. 36, no 2, 2023, p. 7-14 ; Maria de Lurdes Rosa, « Penser et organiser les archives de famille, entre histoire et archivistique », dans Véronique Lamazou-Duplan (dir.), Les Archives familiales dans l’Occident médiéval et moderne : trésor, arsenal, mémorial, Madrid, Casa de Velázquez, 2021, p. 63-76. Return to text

40 Joseph Morsel, « Sociogenèse d’un patriciat. La culture de l’écrit et la construction du social à Nuremberg vers 1500 », Histoire urbaine, no 35, 2012/3, p. 83-106. Return to text

41 Carla Meyer, Die Stadt als Thema. Nürnbergs Entdeckung in Texten um 1500, Ostfildern, 2009. Return to text

42 Joseph Morsel, Christine Ducourtieux, L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat… Réflexions sur les finalités de l’histoire du Moyen Âge destinées à une société dans laquelle même les étudiants d’histoire s’interrogent, Paris, LaMOP, 2022 [2007], <http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00290183>. Return to text

43 Gérard Noiriel, Introduction à la sociohistoire, Paris, La Découverte, 2006. Return to text

44 Dulac, Pour une science du social, Paris, CNRS Éditions, 2022. Return to text

References

Electronic reference

Joseph Morsel, François Rivière and Blaise Dufal, « Faire l’histoire de la société médiévale en tant que système de domination », Revue d’histoire sociale [Online], 1 | 2025, Online since 30 mai 2025, connection on 03 décembre 2025. URL : https://www.ouvroir.fr/rhs/index.php?id=101

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Joseph Morsel

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François Rivière

Lycée Darius Milhaud, Le Kremlin-Bicêtre

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Blaise Dufal

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