Un essai de comparaison entre les guerres économiques en France au printemps 2020 et à l’automne 1914

DOI : 10.57086/rrs.137

p. 53-73

Résumés

Cette contribution établit une audacieuse comparaison entre le lancement d’une mobilisation économique (industrielle, logistique, financière) à l’automne 1914 pour repousser l’offensive allemande et la mise sur pied d’une économie organisée au printemps 2020 afin d’entraver la progression de la Covid-19. Dans les deux cas, des systèmes productifs sectoriels ou régionaux sont construits, des firmes-pivots affirment leur mission d’animation d’un réseau de sociétés, des processus de financement sont imaginés.

This paper proposes a bold comparison between the launch of an economic mobilization (industrial, logistics, financial) in the fall of 1914 to repel the German offensive and the establishment of an organized economy in the spring of 2020 to hinder the progression of the Covid-19. In both cases, sectoral or regional production systems have been built, central firms asserted their mission of facilitating a network of companies, and financing processes were devised.

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« La France est en guerre », déclare à la télévision le président de la République le 12 mars 2020, avant d’évoquer ceux qui sont « en première ligne » (le personnel soignant), « en deuxième ligne » (commerce, alimentation, logistique, services d’assistance divers) et « en troisième ligne » (les autres travailleurs, notamment en télétravail). De leur côté, les médias évoquent une « réanimation de guerre ». « Les soldats de l’Institut Pasteur sur le front des épidémies » titre Le Point le 14 avril. Jusqu’alors réservé à la lutte contre les causes structurelles du chômage, ce langage martial cible dorénavant la résistance à la crise de la Covid-19. Contrairement à ces affirmations bellicistes, on peut bien sûr arguer que « nous ne sommes pas et nous n’avons jamais été en guerre. On ne conclut pas un armistice avec un virus, pas plus qu’on ne signe de traité de paix avec une épidémie. Elle disparaît ou elle demeure. On l’éradique ou elle revient. Il n’y a pas d’autre alternative. Le risque encouru est que le mal rampe toujours, menaçant pendant de longs mois, capable de ressurgir et à même de briser les espoirs »1. Pourtant, le recours à un vocabulaire martial suscite un rapprochement entre 1914 et 2020. Dans les deux cas, il faut mobiliser les esprits, concevoir des plans d’urgence, rassembler les forces productives et logistiques, identifier les lacunes des entités devant participer à la « production de guerre », au sein d’un complexe militaro-industriel en 1914 et d’un complexe sanitaire et industriel en 2020, chacun devant accroître la capacité du pays à résister aux « invasions », celles de l’armée allemande et celle du coronavirus.

« La chair et la guerre » sont une fois de plus imbriquées2. Au printemps 2020, il faut soudainement traiter une dizaine de milliers de cas de patients infectés par le virus, ce qui exige d’ajouter à la mobilisation et au dévouement des personnels soignants sur le « front » hospitalier le rassemblement de forces productives et logistiques à « l’arrière-front »3. « Coronavirus : ces PME tricolores en première ligne », titre Les Échos le 3 mars 2020 tandis que le président de la République lui-même adopte un ton guerrier dans une allocution le 13 avril, peut-être sous l’influence de son « conseiller pour les questions nationales » Joseph Zimet, l’ancien directeur général de la Mission interministérielle du Centenaire de la Première Guerre mondiale (2012-2019) : « Nous nous sommes mobilisés pour produire et acquérir le matériel nécessaire [pour les hôpitaux…]. Nos entreprises françaises et nos travailleurs ont répondu présent et une production, comme en temps de guerre, s’est mise en place » ; cela aurait pu susciter une nouvelle Union sacrée, mais les divisions politiques l’ont plutôt emporté publiquement, alors que les critiques proférées envers le gouvernement s’effectuaient en 1914 plutôt dans le secret des commissions parlementaires. Ce langage a suscité des réactions hostiles chez certains observateurs, qui l’ont opposé à l’empathie « douce » de la chancelière allemande : « À trop mobiliser le registre militaire face à toute crise, les mots perdent leur sens. Face à l’épidémie comme auparavant pour d’autres situations d’urgence, le recours systématique à la rhétorique guerrière finit par brouiller les rôles et gêner la perception des réalités »4.

Néanmoins, l’on pourrait répondre qu’il s’agit d’une « guerre d’usure », voire d’une « guerre de tranchées » et que de nombreuses guerres ont duré de nombreuses années. La lutte contre la Covid-19 pourrait se prolonger quelques semestres ou années. L’intention est de se concentrer ici sur le début de cette « guerre sanitaire », de comparer les situations de mobilisation entre la France du printemps 2020 et celle de l’automne 1914 ; elle ne semble pas (trop) aventureuse et, d’ailleurs, nombre d’articles de presse ont signalé cette similitude5. Aujourd’hui, on ne peut gagner la guerre sanitaire sans mener des batailles industrielles et tertiaires ; jadis, on n’aurait pu bloquer l’avancée allemande sans mobiliser l’appareil productif. Les « infrastructures » productives sont essentielles pour alimenter « les fronts » en moyens d’action matériels, tandis que la mobilisation des hommes (soldats, personnel soignant) s’impose dans l’urgence. La mesure du temps est aussi en jeu, dans les deux cas : au début de la Première Guerre mondiale, on s’attendait à une guerre de courte durée, alors qu’elle s’est terminée quatre ans après son déclenchement ; pour le coronavirus, on ne croyait pas que le virus atteindrait l’Europe, ni que des foyers de contagion s’y multiplieraient de façon aussi dramatique. Nul, surtout, n’aurait pu imaginer que le confinement toucherait le mode de production, d’échanges et de vie sur une telle durée, en creusant la récession la plus profonde depuis 1945. C’est pourquoi le relatif affolement (devant l’invasion allemande ; devant la percée du virus) explique certainement le ton martial employé en mars-avril 2020 tout comme Joffre avait « limogé » en été 1914 les officiers supérieurs jugés trop dénués d’esprit combatif.

Donner le sentiment à l’opinion qu’on doit « tenir bon » sans céder au défaitisme aura été dans les deux cas un levier déterminant afin de maintenir peu ou prou la confiance collective indispensable. Or elle était nécessaire pour éviter l’effondrement en pleine guerre militaire, au cas où une angoisse excessive aurait conduit à la débandade des troupes, tout comme elle est indispensable durant une guerre sanitaire, qui risquerait de briser les liens sociaux de solidarité au cas où la peur ferait perdre leur capacité de résistance et d’engagement aux personnels impliqués et aux aidants familiaux.

L’intensité logistique dans la guerre sanitaire

En 1914, la prolongation inattendue du conflit conduit à fédérer les forces de soin et de production à l’échelle du pays, au-delà des schémas de mobilisation initialement dessinés. Il a fallu renforcer les hôpitaux de campagne, faire bouger les soignants sur l’immédiat arrière-front, doté d’ambulances chirurgicales automobiles6, multiplier l’équipement matériel et humain en ambulances de campagne, mettre sur pied des camions puis des trains sanitaires d’évacuation vers les hôpitaux de l’arrière – sans parler des morts à transporter –, enfin, installer tous ces blessés dans des hôpitaux surpeuplés, en région parisienne, avant que ne se mettent en place des trains vers d’autres régions, comme la Gironde ou le Limousin7 ; la Suisse elle-même a accueilli nombre de militaires français8. Il a fallu constituer d’énormes stocks de médicaments, de lits, de blouses, etc. Les circuits logistiques s’avèrent alors essentiels : collecte chez les industriels, entreposage, diffusion dans les établissements. En 2020, un premier indice de rapprochement entre les deux guerres sanitaires aura été l’installation par l’armée d’un hôpital de campagne au cœur du foyer de contamination de Mulhouse, actif à côté de l’hôpital dès le 23 mars grâce à la chaîne de ravitaillement sanitaire du Service de santé des armées de la base de Chanteau, près d’Orléans9. Plus largement, des camions de Geodis, la filiale de transport routier de SNCF, ont géré de façon centralisée et intensive la répartition de masques ou autres produits vers les pôles secondaires de répartition, avec des pharmacies têtes de pont, au profit des hôpitaux, des médecins et des divers soignants. La guerre logistique devient elle aussi intense, avec d’abord des ambulances, publiques et privées10, pour conduire les contaminés dans les hôpitaux, puis des trains sanitaires, des avions, des hélicoptères afin de transférer des patients en province ou en Allemagne.

Pour ce qui touche à l’approvisionnement matériel au sein d’un mode de production globalisé, le fret aérien est encore plus essentiel. Des équipements médicaux sont envoyés par la France en Italie ; des avions-cargos ramènent des tonnes de masques de Chine11. Air France relance ses vols avec Hong Kong et la Chine à la mi-avril dans des avions de passagers reconvertis en cargos par le biais du remplissage de leur soute. Au plus près des citoyens, des ambulances de proximité publiques (SMUR, pompiers) comme privées et les voitures des infirmiers et infirmières ou de divers soignants fourmillent sur tous les petits fronts de la guerre de détection ou de soin. La logistique de la communication est elle aussi en jeu. En 1914, on a pris conscience du rôle clé joué par les réseaux de TSF (télégraphie sans fil), de télégraphe filaire ou de téléphone entre les unités du front, entre celles-ci et l’état-major, etc. Aujourd’hui, la bonne marche des réseaux numériques est tout aussi essentielle : les techniciens des entreprises des télécoms (notamment Orange) entretiennent les circuits, eux-mêmes surchargés par les effets du confinement et le télétravail. Nombre d’hôpitaux doivent ajouter des équipements numériques afin d’augmenter les capacités de téléconsultation ou raccorder des fibres optiques.

Les Dirrecte (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) sont submergées par les demandes de payement du chômage partiel et confient le traitement des données à des prestataires, comme ASP (Agence de services et prestations) en Bretagne : d’énormes volumes de données circulent ainsi en avril 2020. L’enseignement à distance a prospéré par le biais de divers circuits, organisés par l’Éducation nationale ou improvisés. La révolution numérique, l’un des leviers de la troisième révolution industrielle, est une arme de cette guerre économique tout comme la TSF en 1914, partie prenante de la deuxième révolution industrielle : il a fallu en urgence distendre les capacités de flux et de stockage (clouding) numériques. L’un des objectifs de ces mises en réseaux était de permettre de maintenir l’aptitude à travailler des salariés engagés dans la machine de guerre productive ou dans celle du ravitaillement en biens de consommation de base.

Un sentiment d’urgence

En 1914, au lieu d’une production de 10 000 obus de 75 par jour, l’état-major sollicite un bond à 100 000, car chaque grosse batterie de quatre pièces en consomme environ un millier chaque jour12. Par ailleurs, la vision stratégique de la guerre telle qu’elle avait pris corps en 1912-1914 n’avait pu prendre en compte la perte des territoires du Nord-Est où se trouvaient des usines et des mines déterminantes pour les chaînes de production. Sur les trois établissements publics fabriquant des explosifs, celui situé dans le Pas-de-Calais doit être évacué dès août; de son côté, la seule usine produisant du phénol, installée à Dombasle, en Lorraine, est bombardée par des obus allemands en août.

Non seulement le plan de mobilisation approuvé en 1913 ne prévoit aucun lancement de production nouvelle pour le matériel de guerre, mais les 50 000 ouvriers maintenus à l’atelier, dans trente entreprises seulement, sont supposés n’assurer que la reprise partielle et progressive d’un nombre limité de fabrications : la production de poudre B doit passer de 16 à 24 tonnes par jour en deux mois, puis rester stabilisée à ce chiffre ; les stocks de matières premières permettent d’usiner seulement un total de 600 000 obus de 75 et 10 000 obus de 155, la production devant atteindre son rythme de croisière dix semaines après la mobilisation13.

Les poudreries conservent leur effectif du temps de paix avec 7 500 hommes, les établissements de l’Artillerie reçoivent 7 000 auxiliaires et 1 200 non mobilisables en remplacement des ouvriers partis aux armées, pour atteindre 27 000 hommes, l’industrie privée travaillant pour la défense nationale bénéficiait de 2 500 sursis d’appel pour un effectif de 15 000 hommes14. Ces insuffisances expliquent les goulots d’étranglement qui freinent la réactivité de l’artillerie, qui doit épuiser ses stocks et dépend avec angoisse et impatience de la montée en puissance de l’outil de production, d’où des échanges de courriers multiples entre les généraux des fronts et l’état-major, puis entre celui-ci et les industriels.

En février-mars 2020, on a soudain été confronté aux effets négatifs de la stratégie de maîtrise des coûts imposée au système hospitalier public depuis la loi de 2009, ainsi qu’aux Ehpad gérés par des groupes privés français et internationalisés15. Même si elle s’inscrivait dans une logique, compréhensible, de rééquilibrage des budgets hospitaliers et de rationalisation des choix budgétaires, cette stratégie de quasi-déflation s’est avérée catastrophique quand a éclaté la crise sanitaire et surtout quand s’est imposée la rupture des approvisionnements classiques. Aussi chaque intervention des responsables de l’Exécutif insiste-t-elle sur les efforts engagés pour compenser la disparition de gros stocks étatiques de masques au milieu des années 2010 au profit d’une décentralisation entre les mains des divers secteurs publics et privés, pour dénicher des lits de réanimation et l’ensemble des médicaments et matériels nécessaires aux « combats » menés dans les hôpitaux. Gel hydroalcoolique, curare, sous-produits des médicaments, masques chirurgicaux, tests, tout manque. Il faut donc enclencher des processus de production en toute urgence et effectuer un restockage massif au profit tout d’abord des hôpitaux et des professions médicales. Les respirateurs et ventilateurs sont ainsi au cœur des dispositifs de lutte sanitaire dans les hôpitaux : « Avant la crise sanitaire, les hôpitaux français, équipés d’environ 5 000 ventilateurs médicaux, en commandaient entre 1 000 ou 1 500 par an. Aujourd’hui, “on nous en demande des centaines chaque semaine”, témoigne Christophe Hentze, le directeur général France de Löwenstein Medical, un fabricant allemand de ce type d’équipement, au micro de FranceInfo ce 17 mars »16.

C’est également au son du canon qu’un système productif prend corps afin de fabriquer des masques. Au déclenchement de la crise sanitaire, le pays aurait disposé d’un stock public de 117 millions de masques, face à une consommation de cinq millions par semaine par le système hospitalier et médical et à une production de quatre millions par semaine. Mais la consommation hebdomadaire a bondi à 45 millions à la mi-avril tandis que la production s’accroissait à huit millions et que des achats de 81 millions avaient été effectués en un mois : on ressent bien ce sentiment d’urgence sur ce front spécialisé. Aussi, de plus en plus de petites sociétés textiles se mettent à produire des masques, d’où le travail intensif d’ouvrières comme en 1914-1918, quand des milliers de TPE-PME s’étaient spécialisées dans la production de pièces adaptées aux besoins des armées. Les cas fourmillent en avril-mai : des ateliers textiles préservés dans le Pays basque se lancent dans les masques17 ; à la mi-avril, le hall des expositions de La Teste accueille 120 femmes volontaires recrutées parmi la population et les dote d’une machine à coudre. Un spécialiste charentais d’emballage plastique alimentaire, Next emballages18, se reconvertit provisoirement dans la fabrication de 100 000 masques par jour, avant d’atteindre 300 000, etc. Même le géant du pneu Michelin investit dans la fabrication de masques ; c’est qu’il connaît déjà quelque peu le textile puisque « les pneus intègrent des textiles hautement technologiques »19 avant de grimper à 400 000 par semaine sur dix sites européens, dont La Combaude en France (dans le Puy-de-Dôme).

Quelque 90 entreprises fabriquent des masques à la mi-avril, puis 242 à la fin du mois, et elles parviennent à satisfaire alors à la moitié des besoins du pays. On voit par conséquent se tisser de mini-systèmes productifs locaux structurés autour de processus amont-aval, dans l’improvisation de cette mobilisation effectuée en quelques semaines ou mois, selon les cas, en fonction du degré de souplesse des entités soudain rassemblées de façon informelle mais efficace. « Deux nouvelles catégories de masques à usage non sanitaire ont ainsi été créées. Un appel à propositions a été lancé par la Direction générale des entreprises, pour mobiliser les industriels du textile. À ce jour, 84 entreprises ont répondu favorablement et 172 prototypes de masques en tissu ont été testés positivement »20. La Puissance publique, en 2020 comme en 1914, fait appel aux syndicats professionnels afin qu’ils répertorient les capacités techniques et productives afin que soient passées les commandes dans le cas de marchés publics structurés au niveau des qualités, des prix et des volumes.

Frottements, approximations, atermoiements

En 1914, les dirigeants français savaient qu’un conflit européen était possible et disposaient d’un instrument de guerre assez bien préparé et des stocks de munitions pour combattre deux ou trois mois au rythme des guerres antérieures21 ; mais ils ont été surpris par la consommation effrénée de matériels et, évidemment, par la stratégie ennemie. En 2020, les Pouvoirs publics ont longtemps ignoré ou nié, selon les évaluations des commissions parlementaires de juin-juillet 2020, la réalité ou la gravité de la pandémie et le fait qu’ils ne disposaient que d’un instrument sanitaire fortement dégradé depuis quinze ans, avec des stocks d’équipements et de consommables dérisoires. Dans les deux cas, les délais pris par la technostructure à percevoir les signaux d’alarme montant du terrain (recul des armées ; percée de la contamination), à prendre des décisions (réorganisation stratégique ; réorganisation de l’appareil hospitalier) et à redescendre vers les réalités à travers des procédures jugées trop bureaucratiques ou ayant gardé le rythme trop tranquille des décisions en temps de paix, ont entraîné des pertes sensibles : replis devant la poussée « ennemie » (militaire ou sanitaire), pertes humaines ou gaspillages22. Or, en assumant des comparaisons militaires au cœur de cette guerre sanitaire, sous la houlette du « chef d’état-major » (le directeur général de la santé, Jérôme Salomon) et du « ministre de la Guerre » Olivier Véran (ministre de la Santé), les officiers (médecins, gestionnaires) et fantassins (tous les soignants, quelle que soit leur position hiérarchique) du front hospitalier ne pourront vaincre la Covid-19 sans que ne soit gagnée la bataille de l’arrière-front, celle des productions destinées à alimenter les fronts eux-mêmes23. Leurs équivalents de 1914, Joseph Joffre et Alexandre Millerand24 (avec son chef de cabinet Edmond Buat25), ont pris tout à coup conscience de la supériorité mécanique allemande en constatant le massacre des poilus sur les champs de bataille des offensives de masse, précédées en effet d’un pilonnage d’obus et marquées par des tirs intenses de mitrailleuses.

Cette lucidité a débouché sur la construction d’un système semi-centralisé de gestion de l’économie, que ce soit à l’automne 1914 après les réunions mixtes tenues entre militaires et industriels à Bordeaux26, ou au printemps 2020, quand hauts fonctionnaires et patrons ont réfléchi ensemble sur les modes de stimulation rapide des capacités productives en France ou quand les autorités hospitalières et médicales ont construit en hâte un système de traitement des malades contaminés. Pourtant, l’on aura peiné parfois à déterminer en 2020 quel a été le « paradigme stratégique français » face à la venue de cette pandémie tant la Puissance publique a pu paraître « surprise » en janvier-mars, ce qui n’a pu manquer d’évoquer le « frottement clausewitzien » qui marque toute guerre, c’est-à-dire « un ensemble d’entraves multidimensionnelles qui rend la conduite d’un conflit éloignée de toute idée d’infaillibilité »27 : informations décousues et contradictoires, injection récurrente de nouvelles données à prendre en compte, parfois erreurs d’inattention vis-à-vis de faits en cours d’émergence, souvent imprévisibles, d’où une impression de « brouillard ». « La grande incertitude des données de la guerre est une difficulté particulière, car toute action doit, dans une certaine mesure, être planifiée dans une semi-obscurité qui, le plus souvent, à la manière d’un brouillard ou d’un clair de lune, donne aux choses des dimensions exagérées ou anormales »28. En 1914 comme en 2020, toute planification conçue en réaction aux fluctuations des offensives de « l’ennemi » a dû rester réactive pour ne pas compromettre l’adaptation aux circonstances : « Dans la guerre, tout est simple, mais la chose la plus simple est difficile »29. Le cas le plus expressif de tels « frottements » est celui des tests30 puisque la capacité d’en effectuer massivement, y compris dans les départements ou les foyers les plus touchés par le virus, était fort réduite. C’est seulement le 5 avril qu’un décret et un arrêté lèvent le verrou réglementaire : dans le contexte de la crise, les laboratoires vétérinaires et les laboratoires publics de recherche peuvent être réquisitionnés par la préfecture pour rechercher le SARS CoV-2, sous la supervision d’un laboratoire de biologie ou d’un centre hospitalier. Il a fallu encore faire agréer les kits de détection utilisés dans ces laboratoires et négocier des conventions, d’où environ un mois et demi de retard par rapport au début de la crise, avec seulement dix-sept laboratoires agréés au 20 avril ; les laboratoires publics de l’Enseignement supérieur et de la recherche pâtissent des mêmes blocages31. Dans plusieurs régions, les agences régionales de santé (ARS) ont interdit à de nombreux laboratoires de biologie médicale privés, en capacité de faire les tests Covid, de les effectuer.

En 1914, les diverses directions du ministère des Armées et le ministère de l’Industrie ont eu du mal à agir en cohérence et à partager les informations à propos des besoins des armées et des capacités de production : quel type d’artillerie ? Quel type de munitions ? Et quelles quantités ? En 2020, des luttes d’influence ont surgi entre les préfectures, les ARS, les CHU, comme si quelque esprit bureaucratique avait entravé l’esprit d’entreprise ou d’initiative, comme l’ont relaté des responsables interrogés par les deux commissions d’enquête parlementaire. L’addition de comportements reflétant « l’inertie » tant analysée par les économistes des organisations ne peut constituer un véritable « système », même si des ARS ont pu paraître comme des boucs émissaires de la crise sanitaire32. Or la majorité d’entre elles ont agi en tant que coordinatrices de la gestion de celle-ci sur le terrain et ont pu en sortir en changeant une image de marque confondue auparavant avec une réputation de rationalisation budgétaire rigoureuse. L’acuité des débats dans les émissions télévisées entre experts et dans la presse a nourri les représentations citoyennes de la crise : il semblait que la coordination entre les différents pôles d’analyse et de décision manquait de fluidité, voire de transparence. On s’en est pris à la verticalité de l’exercice du pouvoir : « Soudainement mis sous tension, le système administratif, davantage formaté pour la gestion, a eu du mal à s’adapter. Toutes sortes de lourdeurs sont apparues, qui n’étaient pas seulement liées à la nécessité de s’assurer de la fiabilité des tests : respect excessif des procédures, désir de protéger telle ou telle citadelle [de recherche], ou manque de dialogue entre les préfectures et les agences régionales de santé. Près d’un précieux mois a été perdu »33.

Paradoxalement, les commissions du Parlement, en plein cœur du recul des troupes françaises en 1914, ont conduit un travail d’investigation permanent et approfondi, dans le cadre d’un réel régime parlementaire, alors que les élus sont plutôt restés spectateurs des atermoiements du pouvoir exécutif en 2020, avant la constitution de deux commissions d’enquête parlementaires au début de l’été. Cette prudence centralisatrice a pu aussi freiner certains flux de données, avant que le Conseil scientifique ne soit créé le 11 mars pour leur donner quelque fluidité34. Constituer ce comité d’experts, aussi controversé qu’il ait été dans certains milieux sanitaires, reprenait d’ailleurs l’expérience de 1914 quand se cristallisaient des nœuds de réflexion collective en leviers des décisions ensuite prises au sommet35. Désormais, pendant le conflit, les ministères concernés (Guerre, Armement, Fabrications de guerre, Innovation, Ravitaillement, Transports), les états-majors et directions spécialisées (Fabrications de guerre, Aviation, etc.) et les industriels, en direct et aussi par le biais du Comité des forges, travaillent de conserve. Ils définissent les programmes de production et de recherche, les rythmes et cadences de fabrication, la répartition des commandes entre les grandes firmes et les groupements de production.

Des firmes-pivots en têtes de systèmes productifs sectoriels

Lors de réunions de ministres, d’industriels et d’officiers à Bordeaux36 en septembre-octobre 1914, un premier plan de mobilisation industrielle est défini : on bâtit au son du canon une « économie administrée » semi-organisée. Ainsi se multiplient de gros « marchés de guerre »37. L’entreprise Commentry-Fourchambault-Decazeville reçoit par exemple une commande de 120 000 obus dès octobre ; puis Citroën conclut une grosse commande en janvier 1915, pour un million d’obus. L’objectif de 100 000 obus par jour est atteint dès l’été 1915, soit qu’on ait augmenté les capacités de lignes de production classiques, soit qu’on ait réorienté des équipements vers cette nouvelle spécialité, soit que, comme chez Citroën, l’on ait créé une nouvelle usine, quai de Javel, à Paris.

L’essentiel est la création de « consortiums » : des « firmes-pivots »38 (hub firms) sont investies de la mission de monter des systèmes productifs sectoriels, au niveau national. Elles confédèrent des fournisseurs et sous-traitants permanents dans le cadre des marchés de guerre : elles répartissent les fabrications, gèrent le calendrier des flux internes, définissent les normes de qualité et en vérifient l’application grâce à de nombreux tests. Elles-mêmes trouvent des correspondants, car des groupes régionaux d’industriels se structurent pour définir une planification empirique et déconcentrée de ces efforts de guerre productive. Ils travaillent avec les sous-traitants des groupes nationaux, ou eux-mêmes traitent avec l’État avec leurs propres marchés de guerre. Enfin, sont mis sur pied des consortiums pour les importations de matériaux et biens d’équipement.

Désormais, pendant le conflit, les ministères concernés, les états-majors et directions spécialisées et les industriels (comme Schneider39 ou Renault) agissent de concert. Humbert de Wendel est quant à lui envoyé en Grande-Bretagne pour coordonner la mobilisation des métallurgies des deux pays. Ces responsables définissent les programmes de production et de recherche, les rythmes et cadences de fabrication, la répartition des commandes entre les grandes firmes et les groupements de production. Évidemment, le démarrage exige ajustements et délais : « Plus la fabrication est complexe et comporte un nombre important de pièces fines, d’étapes successives, et plus ce délai de mise en route peut être long, contredisant toutes les prévisions de livraisons aux armées »40. Plus tard, en 1915-1916, Albert Thomas et Louis Loucheur sont appelés à devenir les leaders d’une mobilisation industrielle intense.

Le même principe de firme-pivot est utilisé à propos de la fabrication des respirateurs, indispensables aux chambres de réanimation. Le 31 mars 2020, un premier consortium est bâti sous la conduite d’Air liquide, regroupant le constructeur automobile PSA-Peugeot, le fabricant d’équipement auto- mobile Valeo et le spécialiste d’électrotechnique Schneider – qui n’a plus de rapport avec le Schneider de 1914-1918… Il s’engage à produire 10 000 respirateurs en cinquante jours. Le groupe Air Liquide Healthcare dispose déjà de deux usines, à Antony et près de Pau, d’où un capital d’expérience qui en fait la firme-pivot, destinée à superviser « une chaîne d’approvisionnement auprès de plus de 140 sous-traitants pour livrer les quelque 300 à 400 composants inclus dans ces appareils »41. Ce groupe incarne le « patriotisme économique » conquérant puisqu’il s’appuie sur Air Liquide Medical Systems, créé en 2009 par la fusion de trois sociétés française, italienne et indienne, en symbole d’une logique stratégique de globalisation, mais avec le maintien d’unités en France ; l’esprit de guerre vit là aussi avec ardeur. Néanmoins, il faut plusieurs semaines pour que ces élans de mobilisation industrielle impulsent la production, alors que les responsables sanitaires, les experts et l’opinion font preuve d’impatience.

En parallèle, au sein de son usine de Poissy, son confrère PSA consacre un petit atelier, l’îlot Osiris, du nom du modèle de respirateur, monté en quelques jours, à la fabrication exceptionnelle du cœur mécanique de respirateurs42 avant sa livraison à l’usine d’Air Liquide à Antony. Aujourd’hui, l’agilité s’exprime dans un mouvement de reconversion improvisé : « PSA, Dyson… L’industrie entame une reconversion express pour produire des respirateurs […]. En période de pandémie, les industries s’engagent dans l’effort de guerre. Ces derniers jours, de nombreuses industries du secteur automobile notamment ont annoncé qu’elles allaient produire des respirateurs »43. Chez Renault, « une petite équipe s’est engagée dans une course contre la montre pour fabriquer le plus rapidement possible des respirateurs. Pour réussir ce défi, la marque s’est appuyée sur certains de ses fournisseurs traditionnels : Michelin a travaillé sur les joints tandis que STMicroelectronics s’est occupé des cartes électroniques. Pour le reste, Renault a utilisé son expertise en matière de logistique, d’achat et a même profité de l’expertise technologique de certains membres de son équipe de F1. Le résultat semble payant puisque la firme espère démarrer la fabrication dans son centre de recherche au Technocentre de Guyancourt près de Paris dès la fin de cette semaine, d’abord en 3D à raison de quelque 350 respirateurs, puis en série en large quantité dès que ce sera possible »44. Peu à peu, ces îlots industriels innovateurs constituent un archipel efficace de production de matériels spécialisés.

L’agilité au service de la reconversion improvisée

Au-delà de ces branches d’activité de forte valeur ajoutée, en 1914-1915 comme en 2020, nombre d’entreprises reconvertissent en urgence leur chaîne de production dans plusieurs industries courantes. Le secteur textile45 se met à fabriquer des articles destinés aux hôpitaux (bandages, vêtements, etc.), à l’artillerie (tissus de coton que les poudreries utilisent pour fabriquer de petits sacs d’explosif propulsif, les gargousses, avant son logement dans les obus des gros canons dans les usines d’armement), à l’aviation (dont les ailes sont en tissu tendu sur l’armature métallique), aux soldats (bandes molletières), etc. De même, le secteur de la mécanique fourmille de PME qui s’insèrent dans la machine de guerre pour élaborer des pièces d’armements ou des obus. La création de l’Office des produits chimiques le 17 octobre 1914 vise à fédérer les forces des industriels afin d’intensifier leurs fournitures aux fabricants d’explosifs notamment.

En 2020, au-delà des masques et des respirateurs, la réactivité concerne avant tout l’accroissement rapide des volumes de produits sanitaires au sein des entreprises spécialisées, qui intensifient leur production, avec même des horaires en continu parfois, jour et nuit et le week-end. Par exemple, Rozen, à Lamballe, et Mulliez-Fleury, à Cholet, augmentent leurs livraisons de blouses médicales. Cooper, premier fournisseur des pharmacies françaises en gel hydroalcoolique, multiplie sa production par neuf et a reçu un don de 70 000 litres d’alcool de la part du groupe de spiritueux Pernod Ricard.

Paul Boyé technologies accroît ses livraisons de masques chirurgicaux car cela fait partie de ses spécialités (à Labarthe-sur-Lèze, au sud de Toulouse). Or elle date de 1914 : « La mobilisation en 1914 de l’atelier de tailleur de Pierre Boyé pour réaliser les capotes bleu horizon marque le début d’une aventure industrielle consacrée à la fabrication d’uniformes et d’équipements de protection administratifs et militaires ».Les rares fabricants tricolores sont débordés, et ils doivent accélérer les cadences et accroître rapidement les volumes produits, malgré des difficultés d’approvisionnement en amont tout le long de la chaîne de ce mini-système productif.

Innover

L’urgence et l’improvisation ne constituent pas des conditions propices à l’innovation, qui exige des processus d’expérimentations et d’ajustements sur le moyen terme. Pourtant, dès le dernier trimestre 1914, l’état-major incite par exemple les firmes d’armement à améliorer la fiabilité des canons, trop soumis au risque d’explosion ou de blocage, à concevoir des produits chimiques améliorant les techniques de l’artillerie ou des huiles assurant un bon fonctionnement des matériels. Les chaînes de sociétés classiques ou en cours de maturation deviennent des filières de circulation des améliorations de procédés. Aussi l’innovation s’affirme-t-elle rapidement comme un levier de la machine de guerre46, y compris d’ailleurs sur le champ des batailles sanitaires47.

Sans entrer dans le détail, un développement des recherches devient indispensable au printemps 2020. Il faut dénicher des tests fiables et adaptés aux divers usages, soit pour détecter les cas de contamination dans l’immédiat, soit pour anticiper sur les besoins que crée le déconfinement afin d’assurer une détection rapide des personnes contaminées. On entame des recherches sur la gamme de produits médicaux les plus pertinents (d’où la polémique autour de la chloroquine) et l’on se lance sur la piste de futurs vaccins, en France mais aussi en coopération avec d’autres pays, notamment européens. Une telle collaboration européenne constitue dès lors une différence de taille entre 2020 et 1914 puisque les débuts de la Grande Guerre s’appuient sur les innovations, notamment industrielles (à propos d’abord des explosifs), enclenchées dans chaque pays, d’autant plus que la France met la main sur les brevets et les usines dépendant des firmes allemandes sur son territoire.

Sur ces trois champs thématiques, la « recherche collaborative » devient le maître mot, en une forme de « recherche-action » partenariale orientée vers une appropriation commune des données, des acquis et, à terme, des résultats éventuels. Plusieurs pôles s’associent ainsi en avril 2020 pour mettre au point un médicament capable d’arrêter « l’orage de cytokine », l’inflammation pulmonaire, qui peut soudain surgir chez un contaminé à la Covid-19 en cas d’emballement du système immunitaire48. Une trentaine d’équipes d’épidémiologistes collaborent sous l’égide de l’AP-HP dans le cadre de ce programme Corimuno-19.

Le français Sanofi et l’anglais GSK-GlaxoSmithKline lancent un programme de recherche en commun afin de mettre au point un vaccin faisant « appel aux technologies innovantes des deux entreprises », du côté de Sanofi « son antigène de la protéine S de la Covid-19, obtenu par la technologie de l’ADN recombinant »49, tandis que GSK doit fournir sa technologie permettant de produire des vaccins avec adjuvant, à échelle pandémique. L’ajout d’un adjuvant permet de limiter le nombre de protéines nécessaire par dose et d’augmenter la capacité de production. Après nombre d’essais cliniques et les autorisations nécessaires, ce projet doit aboutir à une production au deuxième trimestre 2021.

Supervisé par le Comité analyse recherche et expertise (CARE) mis en place le 24 mars par le pouvoir exécutif et présidé par Françoise Barré-Sinoussi, qui avait obtenu le prix Nobel de médecine en 2008 pour avoir découvert le rétrovirus responsable du sida avec Luc Montagnier, un consortium coordonné par l’Inserm et soutenu par les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, REACTing, mobilise une branche spéciale consacrée à la lutte contre l’épidémie. « Il s’agit de comprendre, au niveau moléculaire, comment fonctionne la machinerie du virus qui lui permet d’amplifier son génome. Il sera ensuite possible d’identifier des médicaments qui bloqueront cette photocopieuse virale »50.

Les centres de supercalculateurs géants tournent pour le traitement des données (en pétaflops) de l’épidémie et des recherches médicales afin de préparer des modèles d’analyse destinés à la conception de méthodes et de produits sanitaires (Centre national du CEA, Centre informatique de l’enseignement supérieur, Institut du développement des ressources en information scientifique)51. Ces symboles de la troisième révolution industrielle se joignent donc eux aussi à la bataille. Les acquis de la recherche récente sont mobilisés au service d’une croissance accélérée de l’appareil de production afin de satisfaire à des besoins qu’on estime alors devoir être énormes et durables.

Michelin coopère avec le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) sur un modèle de masques réutilisables une centaine de fois, dont le filtre en tissu peut être nettoyé52. Ces produits sont fabriqués dans une PME lyonnaise spécialisée dans les équipements de production, Ouvry, au rythme d’un million par semaine à partir de mai. En Normandie, un petit système productif local s’esquisse pour fabriquer des visières grâce à la 3D : « Depuis début avril, de Caen à Saint-Lô en passant par Le Havre, la mobilisation pour la production de visières est générale. Au total, seize sites privés et publics, réunissant 71 imprimantes et dix découpeuses laser à travers cinq départements normands, ont répondu favorablement au projet de production numérique à grande échelle »53, en espérant dénicher suffisamment de « thermoplastique polyester glucolisé ». La fameuse « French Tech » chère aux Pouvoirs publics depuis les années 2010 est ainsi insérée dans « l’effort de guerre » sanitaire.

L’urgence de la lutte contre la crise sanitaire et la préparation d’une sortie de crise grâce à la maîtrise de techniques pertinentes s’entrecroisent rapidement, avec deux champs de temporalité : le court et le moyen termes s’imbriquent nécessairement, sauf à s’enliser dans la crise de contamination. De même, dès l’automne 1914, l’Armée et l’industrie lancent des programmes innovateurs dans la chimie des explosifs, les blindages, l’aéronautique d’observation et de combat, car on prend conscience qu’on s’installe dans la durée, que la guerre sera longue et que la capacité de résistance dépend de l’aptitude de chaque camp à se doter des équipements et des munitions nécessaires.

Conclusion

Cet article pâtit bien sûr d’un déséquilibre de base entre les champs d’analyse, à propos du volume et de la qualité des sources et de l’historiographie. Pour l’année 2020, la mobilisation de la presse aura été déterminante, en attendant la publication d’ouvrages d’analyse dans les semestres à venir, mais sa richesse, sans la censure qui a régné sur la presse au second semestre 1914, a permis de nourrir richement notre étude. Aussi faut-il rester conscient de cette immédiateté historique : les deux champs n’ont pas du tout la même profondeur ; il aura donc fallu quelque audace académique pour mener à bien une telle entreprise de comparaison, et les deux parcours rétrospectifs se situent bien dans des perspectives différentes.

On prétend que l’Histoire est un éternel recommencement… Il est vrai que la maîtrise des situations de crise ne peut échapper à une improvisation de la part des dirigeants et à la conception, au son du canon, de plans d’action bricolés en urgence sur la base de données incomplètes et sans cesse changeantes. Les Pouvoirs publics et les entreprises sont confrontés aux exigences de la « gestion de crise »54 : dans le cadre de partenariats, ils doivent concevoir des modes d’organisation, des techniques et des outils qui permettent de faire face à des tensions subites et amples. Puis on doit tirer rapidement les enseignements des décisions improvisées afin d’améliorer sans délai les procédures de décision, les flux logistiques et les structures d’organisation dans une vision prospective à moyen terme. Il faut éviter les « scénarios-catastrophes » et évaluer le couple « probabilité d’occurrence/gravité potentielle », puis réagir avec quelque cohérence tout en pratiquant une communication à la fois rassurante et efficace.

En 1914-1915, la guerre industrielle rendue nécessaire par l’évolution des fronts vers la « guerre totale » a poussé les responsables à imaginer une « machine de guerre », destinée à devenir puissante au fur et à mesure que son efficacité s’est améliorée et que ses capacités de production ont bondi. En 2020, la guerre sanitaire n’a pas manqué d’enclencher un processus de guerre économique, industrielle et tertiaire, propre à repousser l’invasion nationale et continentale de la Covid-19. La réactivité s’est avérée une fois de plus décisive face aux atermoiements initiaux et aux divisions dans les modes d’action ; et la lecture quotidienne de la presse permet, comme il y a plus de cent ans55, de comprendre les initiatives qui vont permettre de conduire les batailles successives. Les combats du second semestre 1914 sont à la fois stratégiques (réinventer une ligne d’action, concevoir des fronts résistants), matériels (dénicher d’énormes lots de munitions) et humains (soigner les blessés) ; ceux du premier semestre 2020 sont eux aussi stratégiques (définir peu ou prou un mode de résistance face aux offensives du virus, bâtir des tranchées autour des foyers de contamination), matériels (trouver des lits de réanimation, dénicher des masques chirurgicaux, etc.) et bien sûr humains (sauver des vies, rassembler du personnel soignant). Les thématiques, les modes de pensée, les processus de décision peuvent ainsi être comparés, sinon rapprochés.

À chaque époque se sont effectués des emboîtements entre des systèmes productifs sectoriels et des systèmes productifs locaux, par le biais de chaînes d’approvisionnement en produits semi-finis en amont et de chaînes de transformation en aval, le tout sous l’impulsion et le contrôle par des Autorités (militaires en 1914, civiles aujourd’hui) désireuses d’initier à bref délai des processus de fabrication et d’amplifier rapidement les volumes produits. Mais il faut de la patience car tout système de production a besoin de temps pour s’adapter, aussi malléable soit-il. Les généraux éclairés piaffaient en 1914-1916 devant la lenteur de la mise en œuvre des programmes de production des armements ; et, au printemps 2020, nombre de responsables déplorent la lourdeur des circuits de décision et d’autorisation afin d’activer des changements dans la gestion interne de certaines organisations sanitaires (dont les Ehpad) ou le lancement de la fabrication des produits nécessaires, comme les masques : le syndrome de « l’inertie » dans la vie des organisations est sans cesse un risque de gestion56.

Les débats autour du rôle de l’État commencent dès l’automne 1914, bien qu’il faille attendre les années 1916-1918 pour qu’une économie mixte soit conceptualisée, en particulier par l’équipe d’Étienne Clémentel57, ce qui ouvre la voie à un rééquilibrage entre économie libérale et économie organisée58. Aujourd’hui ont éclaté d’âpres débats pour critiquer le relatif « laisser-faire » des majorités successives dans la gestion de l’économie de la santé et des hôpitaux, tandis qu’ont été lancés des appels à une inflexion de la politique hospitalière avec plus d’engagement budgétaire et à plus d’interventionnisme dans la supervision de l’économie privée de la gestion des personnes âgées et dépendantes dans les Ehpad.

On envisage de discuter de « plans » d’action, ciblés autour d’une nouvelle politique hospitalière, d’une priorité donnée à des « biens communs » (grands équipements publics) et de la mise en œuvre des réformes de modes de production, voire de vie, dans le sillage des recommandations des groupes de recherche sur l’avenir écologique : des formes de planification pourraient-elles être de retour, comme le suggèrent des adeptes du Plan Marshall et des plans des années 1947-1974 ? On pense qu’il s’agirait plutôt de plans de coordination nationaux et, si possible, européens qui permettraient de sauvegarder et de renforcer des filières de production à la fois relocalisées et innovatrices, au nom d’une forme de « patriotisme économique », ce qui concilierait la souplesse des initiatives du secteur privé et les exigences du « bien commun » portées par les Pouvoirs publics.

1 Yves Harté, Éditorial, Sud Ouest, 17 avril 2020.

2 Michel Goya, La chair et l’acier : l’invention de la guerre moderne (1914-1918), Paris, Tallandier, 2004.

3 Ce texte a puisé nombre d’éléments concernant la période actuelle dans la presse (Le Monde, Le Figaro, Les Échos, Le Parisien, Sud Ouest, Challenges

4 Bénédicte Chéron, « À trop mobiliser le registre militaire face à toute crise, les mots perdent leur sens », Le Monde, 23 avril 2020.

5 Georges Valance l’a même élargi à l’ensemble de la Grande Guerre : « Quand Poincaré était à la place de Macron », Les Échos-Week-End, 24 avril 2020.

6 Frédéric Chauvin, Louis-Paul Fischer, Jean-Jacques Ferrandis et al., « L’évolution de la chirurgie des plaies de guerre des membres en 1914-1918 »

7 Lucien Pitolet, Sept mois de guerre dans une ambulance limousine (août 1914-février 1915), Paris/Lille, Mercure universel, 1933 [En ligne : http://

8 Roman Rossfeld, Thomas Buomberger, Patrick Kury (dir.), 14/18. La Suisse et la Grande Guerre, Baden, Hier und Jetzt, 2014. La Confédération a aussi

9 « L’hôpital de campagne de Mulhouse s’est révélé être un véritable “défi logistique” », Hospimedia, 7 avril 2020 [En ligne : https://www.hospimedia.

10 Dominique Malécot, « L’épidémie pourrait soulever une vague de restructurations chez les ambulanciers », Les Échos, 14 avril 2020.

11 « La cargaison de masques et de matériel médical du vol Qatar Airways s’est retrouvée entreposée sur le site de Bolloré Logistics, l’un des

12 Musée de la Grande-Guerre du Pays de Meaux (dir.), Un milliard d’obus, des millions d’hommes, Paris, Liénart, 2016.

13 Rémy Porte, La mobilisation industrielle, « premier front » de la Grande Guerre ?, Paris, 14-18 Éditions, 2005.

14 Ibid.

15 « Ces dernières années, les mêmes consignes circulaient dans tout le système médical français, privé ou public : tenir les budgets, ne pas faire de

16 Kevin Poireault, « Comment la France essaie d’éviter la pénurie de respirateurs artificiels », IT Industrie & technologies, 18 mars 2020.

17 Odile Faure, « Derrière le masque, un savoir-faire local », Sud Ouest, 21 avril 2020.

18 Hélène Rietsch, « 100 000 masques jour pour débuter, un défi industriel », Sud Ouest, 11 avril 2020.

19 Anne Feitz, « Comment Michelin va fabriquer des millions de masques », Les Échos, 15 avril 2020.

20 Patrick Roger, « Pour Christophe Castaner, la réquisition par l’État de masques destinés aux régions est “inadmissible” », Le Monde, 11 avril 2020.

21 Clotilde Druelle-Korn, « La Première Guerre mondiale et la mobilisation économique », in J.-C. Daumas (dir.), Dictionnaire historique des patrons

22 Je remercie Pierre Mounier-Kühn pour ses observations concernant ces différences initiales.

23 John Williams, The Home Fronts: Britain, France and Germany, 1914-1918, Londres, Constable, 1972.

24 Jean-Louis Rizzo, Alexandre Millerand. Socialiste discuté, ministre contesté et président déchu (1859-1943), Paris, L’Harmattan, 2013.

25 Edmond Buat, Journal du général Buat, 1914-1923, éd. F. Guelton, Paris, Perrin / Ministère de la Défense, 2015 ; Hubert Bonin, « La leçon de Buat

26 John Godfrey, Capitalism at War: Industrial Policy and Bureaucracy in France, 1914-1918, Leamington Spa, Berg, 1987 ; Clotilde Druelle-Korn, « La

27 Olivier Desfachelles, « Permanence et dépassement des concepts de friction et de brouillard : le paradigme clausewitzien et la guerre civile

28 Carl von Clausewitz, De la guerre, livre II.

29 Ibid., livre I.

30 « Difficultés d’approvisionnement, atermoiements du gouvernement, corporatismes et blocages réglementaires ont fait perdre de précieuses semaines

31 Ibid.

32 Rémi Dupré, Pierre Jaxel-Truer, Samuel Laurent, « Les ARS, bouc émissaire de la crise sanitaire », Le Monde, 26 avril 2020.

33 « Les leçons de la pénurie des tests », Le Monde, 26 avril 2020.

34 « Ce Conseil scientifique se réunit tous les jours, physiquement ou par téléphone, et ses avis sont publics et disponibles en ligne. “Totalement

35 John Godfrey, Capitalism at War: Industrial Policy and Bureaucracy in France, 1914-1918, Leamington Spa, Berg, 1987 ; Hervé Joly, « Les dirigeants

36 Hubert Bonin, « Bordeaux, capitale de la mobilisation industrielle (20 septembre 1914) », Guerres mondiales & conflits contemporains, 255 (2014), p

37 Gerd Hardach, « La mobilisation industrielle en 1914-1918 : production, planification et idéologie », in P. Fridenson (dir.), L’Autre Front

38 À propos de cette notion de firme-pivot au sein de la chaîne d’approvisionnement (en anglais : supply chain management), voir Frédéric Mazaud, « De

39 Hubert Bonin, La firme Schneider dans la guerre industrielle en 1914-1918, Paris, Les Indes savantes, 2019.

40 R. Porte, La mobilisation industrielle… op. cit.

41 Anne Bauer, « Coronavirus : l’industrie lance la bataille pour l’oxygène et les respirateurs artificiels », Les Échos, 31 mars 2020.

42 Éric Béziat, « Avec la fabrication de respirateurs, PSA expérimente la production intensive au temps du coronavirus », Le Monde, 22 avril 2020.

43 L’Express, 30 mars 2020.

44 Caradisiac, 30 mars 2020.

45 Jean-Claude Daumas, « L’industrie lainière dans la guerre (1914-1918) : anatomie d’une mobilisation », in L’industrie dans la Grande Guerre (

46 Voir Anne-Laure Anizan, « La politique des inventions intéressant la défense nationale au cœur des reconfigurations de l’État en guerre », in P. 

47 Anne Rasmussen, « Mobiliser, remobiliser, démobiliser : les formes d’investissement scientifique en France dans la Grande Guerre », in Historial de

48 Sandrine Cabut, Pascale Santi, « Premiers espoirs thérapeutiques dans la lutte contre les “tempêtes immunitaires”, les formes les plus graves du

49 Enrique Moreira, « Sanofi et GSK en tandem pour tenter de développer un vaccin », Les Échos, 15 avril 2020.

50 Isabelle Imbert, citée dans : Émilie Lopes, « La montée en puissance des têtes chercheuses », Le Figaro Madame, 18 avril 2020, p. 40-43.

51 Stefano Lupieri, « Les pétaflops à l’amont du coronavirus », Les Échos-Week-end, 10 avril 2020.

52 « Michelin a utilisé ses compétences en matière de conception assistée par ordinateur, ainsi que ses imprimantes 3D pour la fabrication de

53 Philippe Legueltel, « Les acteurs de la 3D en Normandie mobilisés pour la fabrication de visières », Les Échos, 17 avril 2020.

54 Christophe Roux-Dufort, Gérer et décider en situation de crise, Paris, Dunod, 2003 ; Patrick Lagadec, La gestion des crises, Paris, McGraw Hill

55 Voir Pierre Albert, « La presse dans la Grande Guerre (1914-1918) », in Id. (dir.), Histoire de la presse, Paris, Presses universitaires de France

56 Michael Hannan, John Freeman, « Structural Inertia and Organization Change», American Sociological Review, 49/2 (1984), p. 149-164.

57 Anne-Marie Kessler, Guy Rousseau (dir.), Étienne Clémentel. Politique et action publique sous la Troisième République, Bruxelles, Peter Lang, 2018 

58 Richard Kuisel, Le capitalisme et l’État en France. Modernisation et dirigisme au xxe siècle, Paris, Gallimard, 1984 ; Maurice Lévy-Leboyer

Notes

1 Yves Harté, Éditorial, Sud Ouest, 17 avril 2020.

2 Michel Goya, La chair et l’acier : l’invention de la guerre moderne (1914-1918), Paris, Tallandier, 2004.

3 Ce texte a puisé nombre d’éléments concernant la période actuelle dans la presse (Le Monde, Le Figaro, Les Échos, Le Parisien, Sud Ouest, Challenges, 20 Minutes, notamment).

4 Bénédicte Chéron, « À trop mobiliser le registre militaire face à toute crise, les mots perdent leur sens », Le Monde, 23 avril 2020.

5 Georges Valance l’a même élargi à l’ensemble de la Grande Guerre : « Quand Poincaré était à la place de Macron », Les Échos-Week-End, 24 avril 2020.

6 Frédéric Chauvin, Louis-Paul Fischer, Jean-Jacques Ferrandis et al., « L’évolution de la chirurgie des plaies de guerre des membres en 1914-1918 », Histoire des sciences médicales, 36/2 (2002), p. 157-173 ; François Olier, « Les autochirs (1914-1918), Genèse d’une épopée », Médecine et armées, 30/3 (2002), p. 299-320 ; Alain Larcan, Jean-Jacques Ferrandis, Le Service de santé aux armées pendant la Première Guerre mondiale, Paris, LBM, 2008.

7 Lucien Pitolet, Sept mois de guerre dans une ambulance limousine (août 1914-février 1915), Paris/Lille, Mercure universel, 1933 [En ligne : http://faurillon.com/soins.html].

8 Roman Rossfeld, Thomas Buomberger, Patrick Kury (dir.), 14/18. La Suisse et la Grande Guerre, Baden, Hier und Jetzt, 2014. La Confédération a aussi abrité des milliers de prisonniers de guerre détenus par la France (Thomas Bürgisser, « L’humanité comme raison d’État. L’internement des prisonniers de guerre étrangers en Suisse pendant la Première Guerre mondiale», in R. Rossfeld, T. Bueomberg, P. Kury (dir.), La Suisse et la Grande Guerre … op. cit., p. 266-289).

9 « L’hôpital de campagne de Mulhouse s’est révélé être un véritable “défi logistique” », Hospimedia, 7 avril 2020 [En ligne : https://www.hospimedia.fr/actualite/articles/20200407-equipement-l-hopital-de-campagne-de-mulhouse-s].

10 Dominique Malécot, « L’épidémie pourrait soulever une vague de restructurations chez les ambulanciers », Les Échos, 14 avril 2020.

11 « La cargaison de masques et de matériel médical du vol Qatar Airways s’est retrouvée entreposée sur le site de Bolloré Logistics, l’un des opérateurs du pont sanitaire mis en place entre des usines chinoises et la France », in « Le fret aérien ne connaît pas la crise », Le Journal du dimanche, 12 avril 2020.

12 Musée de la Grande-Guerre du Pays de Meaux (dir.), Un milliard d’obus, des millions d’hommes, Paris, Liénart, 2016.

13 Rémy Porte, La mobilisation industrielle, « premier front » de la Grande Guerre ?, Paris, 14-18 Éditions, 2005.

14 Ibid.

15 « Ces dernières années, les mêmes consignes circulaient dans tout le système médical français, privé ou public : tenir les budgets, ne pas faire de stocks, externaliser un maximum de postes, louer les équipements (maintenance comprise) plutôt que les acheter » : propos du directeur du centre médical Sainte-Anne, à Mulhouse, cités par Florence Aubenas (« Bienvenue en Alsace, à Coronaland », Le Monde, 26 avril 2020).

16 Kevin Poireault, « Comment la France essaie d’éviter la pénurie de respirateurs artificiels », IT Industrie & technologies, 18 mars 2020.

17 Odile Faure, « Derrière le masque, un savoir-faire local », Sud Ouest, 21 avril 2020.

18 Hélène Rietsch, « 100 000 masques jour pour débuter, un défi industriel », Sud Ouest, 11 avril 2020.

19 Anne Feitz, « Comment Michelin va fabriquer des millions de masques », Les Échos, 15 avril 2020.

20 Patrick Roger, « Pour Christophe Castaner, la réquisition par l’État de masques destinés aux régions est “inadmissible” », Le Monde, 11 avril 2020.

21 Clotilde Druelle-Korn, « La Première Guerre mondiale et la mobilisation économique », in J.-C. Daumas (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, Paris, Flammarion, 2010, p. 1287-1291 ; François Vauvillier, Pierre Touzin, Les canons de la victoire, 1914-1918, t. 1 : « L’artillerie de campagne », Paris, Histoire & Collections, 2006 ; Guy François, Les canons de la victoire, 1914-1918, t.2 : « L’artillerie lourde à grande puissance », Paris, Histoire & collections, 2008 ; Les canons de la victoire, 1914-1918, t. 3 : « L’artillerie de côte et l’artillerie de tranchée », Paris, Histoire & collections, 2010.

22 Je remercie Pierre Mounier-Kühn pour ses observations concernant ces différences initiales.

23 John Williams, The Home Fronts: Britain, France and Germany, 1914-1918, Londres, Constable, 1972.

24 Jean-Louis Rizzo, Alexandre Millerand. Socialiste discuté, ministre contesté et président déchu (1859-1943), Paris, L’Harmattan, 2013.

25 Edmond Buat, Journal du général Buat, 1914-1923, éd. F. Guelton, Paris, Perrin / Ministère de la Défense, 2015 ; Hubert Bonin, « La leçon de Buat en 1914-1920. Du général au manageur », Revue historique des armées, 293 (2018), p. 76-95.

26 John Godfrey, Capitalism at War: Industrial Policy and Bureaucracy in France, 1914-1918, Leamington Spa, Berg, 1987 ; Clotilde Druelle-Korn, « La Première Guerre mondiale et la mobilisation économique », in J.-C. Daumas (dir.), Dictionnaire historique des patrons français…op. cit., p. 1287-1291.

27 Olivier Desfachelles, « Permanence et dépassement des concepts de friction et de brouillard : le paradigme clausewitzien et la guerre civile américaine (1861-1865) », Stratégique, 110 (2015/3), p. 15-30 ; Carl von Clausewitz, De la guerre, trad. N. Waquet, Paris, Rivages poche, 2014.

28 Carl von Clausewitz, De la guerre, livre II.

29 Ibid., livre I.

30 « Difficultés d’approvisionnement, atermoiements du gouvernement, corporatismes et blocages réglementaires ont fait perdre de précieuses semaines au pays », in S. Foucart, S. Horel, « Tests : pourquoi la France a pris autant de retard », Le Monde, 25 avril 2020.

31 Ibid.

32 Rémi Dupré, Pierre Jaxel-Truer, Samuel Laurent, « Les ARS, bouc émissaire de la crise sanitaire », Le Monde, 26 avril 2020.

33 « Les leçons de la pénurie des tests », Le Monde, 26 avril 2020.

34 « Ce Conseil scientifique se réunit tous les jours, physiquement ou par téléphone, et ses avis sont publics et disponibles en ligne. “Totalement indépendant”, le comité peut être saisi par le ministère de la Santé, mais il peut également s’autosaisir d’une question. Il s’appuie aussi sur des travaux, publiés ou non, de chercheurs étrangers, et peut également inviter des experts extérieurs », Wikipedia [En ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Conseil_scientifique_Covid-19].

35 John Godfrey, Capitalism at War: Industrial Policy and Bureaucracy in France, 1914-1918, Leamington Spa, Berg, 1987 ; Hervé Joly, « Les dirigeants des grandes entreprises françaises dans l’économie de guerre. Essai de synthèse », Guerres mondiales & conflits contemporains, 267 (2017/3), p. 5-16.

36 Hubert Bonin, « Bordeaux, capitale de la mobilisation industrielle (20 septembre 1914) », Guerres mondiales & conflits contemporains, 255 (2014), p. 80-98.

37 Gerd Hardach, « La mobilisation industrielle en 1914-1918 : production, planification et idéologie », in P. Fridenson (dir.), L’Autre Front, Cahiers du Mouvement social, 2 (1977), p. 81-109 ; « The Economics of World War I : An Overview », in S. Broadberry, M. Harrison (dir.), The Economics of World War I, Cambridge, Cambridge University Press, 2005 ; Patrick Fridenson, Pascal Griset (dir.), L’industrie française dans la Grande Guerre, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France-IGIPDE, 2018.

38 À propos de cette notion de firme-pivot au sein de la chaîne d’approvisionnement (en anglais : supply chain management), voir Frédéric Mazaud, « De la firme sous-traitante de premier rang à la firme-pivot. Une mutation de l’organisation du système productif », Revue d’économie industrielle, 2006, 113/1 (2006), p. 45-60.

39 Hubert Bonin, La firme Schneider dans la guerre industrielle en 1914-1918, Paris, Les Indes savantes, 2019.

40 R. Porte, La mobilisation industrielle… op. cit.

41 Anne Bauer, « Coronavirus : l’industrie lance la bataille pour l’oxygène et les respirateurs artificiels », Les Échos, 31 mars 2020.

42 Éric Béziat, « Avec la fabrication de respirateurs, PSA expérimente la production intensive au temps du coronavirus », Le Monde, 22 avril 2020.

43 L’Express, 30 mars 2020.

44 Caradisiac, 30 mars 2020.

45 Jean-Claude Daumas, « L’industrie lainière dans la guerre (1914-1918) : anatomie d’une mobilisation », in L’industrie dans la Grande Guerre (colloque des 15 et 16 novembre 2016), Paris, Institut de la gestion publique et du développement économique, 2018, p. 465-478 ; Albert Aftalion, L’industrie textile en France pendant la guerre, Paris, Presses universitaires de France, 1920.

46 Voir Anne-Laure Anizan, « La politique des inventions intéressant la défense nationale au cœur des reconfigurations de l’État en guerre », in P. Fridenson, P. Griset (dir.), L’industrie française dans la Grande Guerre… op. cit ; Gabriel Galvez-Behar, « Brevets en guerre : sciences, propriété industrielle et coopération interalliée pendant la Première Guerre mondiale », in ibid. ; Pascal Griset, « Académie des sciences et mobilisation industrielle », in ibid.

47 Anne Rasmussen, « Mobiliser, remobiliser, démobiliser : les formes d’investissement scientifique en France dans la Grande Guerre », in Historial de la Grande guerre, Le sabre et l’éprouvette. L’invention d’une science de guerre, 1914-1939, 14-18 Aujourd’hui, Today, Heute, Paris, Viénot, 2003, p. 49-59 ; Anne Rasmussen, « Au nom de la patrie. Le “miracle des laboratoires français” pendant la Grande Guerre », La Recherche, hors-série : La science et la guerre, avril-juin 2002, p. 27-31.

48 Sandrine Cabut, Pascale Santi, « Premiers espoirs thérapeutiques dans la lutte contre les “tempêtes immunitaires”, les formes les plus graves du Covid-19 », Le Monde, 27 avril 2020.

49 Enrique Moreira, « Sanofi et GSK en tandem pour tenter de développer un vaccin », Les Échos, 15 avril 2020.

50 Isabelle Imbert, citée dans : Émilie Lopes, « La montée en puissance des têtes chercheuses », Le Figaro Madame, 18 avril 2020, p. 40-43.

51 Stefano Lupieri, « Les pétaflops à l’amont du coronavirus », Les Échos-Week-end, 10 avril 2020.

52 « Michelin a utilisé ses compétences en matière de conception assistée par ordinateur, ainsi que ses imprimantes 3D pour la fabrication de prototypes », Anne Feitz, « Comment Michelin », art. cit.

53 Philippe Legueltel, « Les acteurs de la 3D en Normandie mobilisés pour la fabrication de visières », Les Échos, 17 avril 2020.

54 Christophe Roux-Dufort, Gérer et décider en situation de crise, Paris, Dunod, 2003 ; Patrick Lagadec, La gestion des crises, Paris, McGraw Hill, 1991 ; Thomas Meszaros, « Crise», in B. Durieux, J.-B. Jeangène Vilmer, F. Ramel, Dictionnaire de la guerre et de la paix, Paris, Presses universitaires de France, 2017, p. 321-329.

55 Voir Pierre Albert, « La presse dans la Grande Guerre (1914-1918) », in Id. (dir.), Histoire de la presse, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 76-80.

56 Michael Hannan, John Freeman, « Structural Inertia and Organization Change», American Sociological Review, 49/2 (1984), p. 149-164.

57 Anne-Marie Kessler, Guy Rousseau (dir.), Étienne Clémentel. Politique et action publique sous la Troisième République, Bruxelles, Peter Lang, 2018 ; Clotilde Druelle-Corne, « De la visite des arsenaux au bilan de 1919 : Étienne Clémentel et l’industrie pendant la Grande Guerre », in P. Fridenson, P. Griset (dir.), L’industrie française dans la Grande Guerre… op. cit.

58 Richard Kuisel, Le capitalisme et l’État en France. Modernisation et dirigisme au xxe siècle, Paris, Gallimard, 1984 ; Maurice Lévy-Leboyer, Jean-Claude Casanova (dir.), Entre l’État et le marché : l’économie française des années 1880 à nos jours, Paris, Gallimard, 1991.

Citer cet article

Référence papier

Hubert Bonin, « Un essai de comparaison entre les guerres économiques en France au printemps 2020 et à l’automne 1914 », Revue du Rhin supérieur, 2 | 2020, 53-73.

Référence électronique

Hubert Bonin, « Un essai de comparaison entre les guerres économiques en France au printemps 2020 et à l’automne 1914 », Revue du Rhin supérieur [En ligne], 2 | 2020, mis en ligne le 01 novembre 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/rrs/index.php?id=137

Auteur

Hubert Bonin

Hubert Bonin est professeur émérite et chercheur en histoire économique à Sciences Po Bordeaux au sein de l’UMR CNRS 5113 GRETHA-Université de Bordeaux. Il est spécialiste d’histoire bancaire et financière, ainsi que de l’histoire des entreprises et des organisations tertiaires, de l’esprit d’entreprise et du négoce et de la banque ultramarins – et ce, toujours en reliant l’histoire française aux mouvements et réseaux européens et internationaux.

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