La difficulté à définir la moyenne montagne est largement soulignée1. En effet, définir la moyenne montagne implique de trouver des critères qui rassemblent ces espaces et les distinguent d’autres types de milieux. Or, une telle discrimination est rarement nette, notamment entre montagne et piémont2, tandis que la catégorie de moyenne montagne recoupe en son sein une grande diversité de situations3. De multiples paramètres sont alors avancés pour délimiter la moyenne montagne, principalement en opposition à la haute montagne et à la plaine4. Beaucoup d’auteurs se réfèrent évidemment à l’altitude, avec une limite haute d’une part, régulièrement placée aux alentours de 1 800-2 000 m5. D’autre part, des limites basses sont aussi proposées, et sont retenues par des politiques d’aides à la montagne, telles que 500 m en Allemagne et 600 m en France6. Néanmoins, ces altitudes limites sont très variables selon les auteurs, qui, sans nécessairement prendre le temps de définir ce qu’ils entendent par moyenne montagne, l’emploient pour caractériser des espaces situés « entre 350 et 500 m d’altitude »7, « compris entre 650 et 850 mètres d’altitude »8, « entre 400 à 900 m d’altitude »9, à « des altitudes comprises entre 400 et 900 mètres, ainsi qu’une partie de la haute chaîne, où le relief plissé varie de 800 à 1 400 mètres d’altitude »10, « à 1 400 m d’altitude moyenne »11.
Si les critères d’altitude varient tant, c’est parce qu’ils ne peuvent suffire à définir la moyenne montagne12, du moins pas en termes absolus. En effet, les altitudes choisies correspondent à des valeurs bio-climatiques visibles notamment par la permanence de la neige, la présence de la forêt ou encore la possibilité de cultiver des céréales13. Or, ces valeurs dépendent de la latitude et du caractère océanique ou continental du climat, ce qui explique que « la moyenne montagne s’annonce dès 250-300 m dans les Îles Britanniques, vers 600-700 m sur les hautes terres françaises, entre 1 100 et 1 300 m dans le domaine méditerranéen »14. De plus, le passage d’un type de climat à un autre est progressif et de fortes analogies sont présentes entre climat montagnard et semi-continental, présent notamment en Alsace15. Il faut aussi ajouter qu’avec le changement climatique, ces types de climat évoluent, avec une disparition du type montagnard16. Ainsi, les délimitations basées sur des critères bioclimatiques évoluent, voire perdront en pertinence. Mais surtout, ces approches surestiment les contraintes naturelles et négligent les facteurs historiques, sociaux et économiques17. Ainsi, alors que la limite supérieure d’implantation de la vigne est parfois utilisée pour définir le début de la moyenne montagne18, celle-ci est bien davantage culturelle que naturelle, les vignobles du Haut Valais et du Val d’Aoste revendiquant des altitudes de 1 300 m19.
Le plus pertinent pour définir la moyenne montagne, ce sont peut-être les contraintes engendrées pour les activités humaines. C’est ainsi que certaines définitions, plutôt que sur l’altitude et la pente, se basent sur l’aménagement, le peuplement et les activités humaines qu’on y trouve20. La caractéristique de la moyenne montagne serait alors l’importance majeure qu’y joue l’agriculture, en tant qu’activité économique dominante profitant de potentialités absentes de la haute montagne tout en composant avec des contraintes trop fortes pour d’autres secteurs21. L’impact considérable de l’agriculture sur le milieu serait par conséquent un autre critère permettant d’identifier la moyenne montagne. « L’importance de l’érosion agricole » est ainsi qualifiée de « phénomène caractéristique de la moyenne montagne »22.
Cependant, une définition de la moyenne montagne à partir des contraintes pour l’activité agricole rencontre le même type d’obstacle qu’à partir de l’altitude : quelles limites fixer aux contraintes caractéristiques de la moyenne montagne, de la haute montagne et de régions défavorisées de plaine ? Si les politiques agricoles s’y essaient par la détermination des communes concernées par l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN)23, différenciant zones défavorisées de montagne et zones défavorisées simples, cette typologie est jugée peu pertinente24. En effet, la montagne présente aussi des atouts, par exemple pour la vigne25 ou des systèmes agricoles valorisant un patrimoine, des savoir-faire et des paysages spécifiques26.
Cet article propose de prolonger ces réflexions en cherchant des « problématiques communes qui relient ces territoires » de moyenne montagne, suivant la recommandation de Bettinger et Ormaux27. Il s’appuiera pour cela sur deux enquêtes présentées dans la partie suivante, menées en 2019 et 2021 dans deux espaces morphologiquement similaires de fossé d’effondrement, comprenant une plaine encadrée de piémonts et massifs montagneux dépassant les 1 000 m d’altitude : la plaine du Lembron et le Fossé rhénan. La réflexion portera notamment sur les collines de piémonts. À partir d’une comparaison de ces deux espaces similaires, basée sur une méthodologie commune, il s’agira de se demander si les contraintes rencontrées par les activités agricoles sur les piémonts permettent de les assimiler à de la moyenne montagne. Cette comparaison révèle des points de convergence entre plaine du Lembron et Fossé rhénan, qui différencient l’agriculture des piémonts et de plaine. Notamment, les contraintes topographiques et hydrologiques, ainsi que les pratiques d’adaptation face au changement climatique, diffèrent. La diversité des situations au sein d’un même ensemble topographique montre cependant que, plutôt qu’une rupture nette, un gradient s’esquisse entre plaine et moyenne montagne, qui dépend essentiellement des caractéristiques du milieu naturel, et qui érige le piémont en zone de transition à géométrie variable entre ces deux ensembles, en fonction des configurations locales.
Enquêtes sur les pratiques agricoles menées en 2019 et 2021 autour de la plaine du Lembron et dans le Fossé rhénan
Deux fossés d’effondrement aux caractéristiques similaires
Pour réfléchir aux problématiques qui assimilent ou distinguent les territoires de piémonts à ceux de la moyenne montagne et de la plaine, deux cas d’études sont mobilisés : la plaine du Lembron (figure 1) et le Fossé rhénan (figure 2).
Figure 1 : La petite région agricole de la plaine du Lembron, au sud de la plaine de la Limagne, au cœur du Massif central
Gaël Bohnert. Sources : IGN (2021), BDALTIr_2-0 traitement du 2021-10-01 (Les pas de 75 m et 250 m sont téléchargeables et utilisables gratuitement sous licence Etalab) ; GADM (The data are freely available for academic use and other non-commercial use) ; Pierre Nansot, pra-shapefiles (MIT License).
Figure 2 : Le Fossé rhénan, à la frontière entre France, Allemagne et Suisse, entre Vosges et Forêt Noire
Gaël Bohnert. Sources : GeoRhena, Relief – Modèle numérique de terrain (MNT) du Rhin supérieur (Licence CC BY – © European Union, Copernicus Land Monitoring Service 2018, European Environment Agency (EEA)), Hydrogéologie : Aquifères du Rhin Supérieur (Licence CC BY), Rhin (© OSM contributors – Ajoutez logo GeoRhena en cas de réutilisation) ; GADM (The data are freely available for academic use and other non-commercial use).
La plaine du Lembron est le nom donné à la petite région agricole (PRA)28 située dans la partie sud de la plaine de la Limagne, autour de la ville d’Issoire et environ 25 km au sud de Clermont-Ferrand. La plaine de la Limagne prend une forme allongée nord-sud (90 km nord-sud pour une largeur de 15 à 40 km est-ouest) et se trouve au cœur du Massif central. Elle est ainsi bien délimitée par des reliefs à l’ouest et à l’est. Le Fossé rhénan a une forme similaire, bien que plus étendue, longue de plus de 300 km nord-sud et large de 30-40 km ouest-est, entre les Vosges (France) et la Forêt Noire (Allemagne). Ces deux zones se caractérisent donc par un relief relativement similaire : une plaine plus ou moins étroite encadrée de massifs culminant vers 1 200-1 300 m d’altitude.
De nature géologique proche (il s’agit de deux fossés d’effondrement), et avec un climat assez semblable (pluviométrie équivalente), elles offrent des potentialités agronomiques similaires. On retrouve par conséquent les mêmes types de productions agricoles, malgré quelques différences notables. Les plaines sont dominées par les grandes cultures, en grande partie irriguées, tandis que les parcelles d’altitude sont davantage dédiées aux prairies, à la production fourragère et à l’élevage (figures 3 et 4).
La plaine rhénane se distingue toutefois par l’importance du maïs grain bien supérieure, tandis que le maïs semence y est absent contrairement à la plaine de la Limagne. Les coteaux rhénans accueillent aussi largement la vigne et l’arboriculture, dans une transition entre céréales et prairies qui n’est pas présente en bordure de Limagne. Cela pourrait s’expliquer par une altitude plus modérée sur les coteaux rhénans, et une topographie moins contraignante comme en témoigne l’absence de communes concernées par l’ICHN, contrairement à la plaine du Lembron29. D’ailleurs, la plaine elle-même présente une altitude plus élevée et des pentes plus fortes autour d’Issoire, par rapport à la plaine rhénane, bien plus plane.
Figure 3 : Occupation du sol dans la plaine du Lembron et ses bordures, et localisations des exploitations enquêtées
Gaël Bohnert. Sources : Union européenne – SOeS, CORINE Land Cover, 2012 (Sous réserve du respect des droits de propriété intellectuelle qui leur sont attachés, les informations mises à disposition peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle elles ont été élaborées ou sont détenues, y compris pour un usage commercial) ; GADM (The data are freely available for academic use and other non-commercial use) ; Pierre Nansot, pra-shapefiles (MIT License).
Figure 4 : Occupation du sol dans le Fossé rhénan et localisation des entretiens menés
Gaël Bohnert. Sources : GeoRhena (2018), Corine Land Cover : Occupation du sol dans la région du Rhin supérieur (Accès libre et gratuit à cette donnée © European Union, Copernicus Land Monitoring Service 2018, European Environment Agency (EEA)) ; GADM (The data are freely available for academic use and other non-commercial use).
Les deux zones étudiées présentent donc de nombreuses similitudes, mais la plaine du Lembron et ses bordures immédiates paraissent un peu plus contraignantes, offrant des surfaces planes moins étendues, ce qui se traduit par un meilleur maintien de la polyculture-élevage (tableau 1). Cette comparaison pourra donc être utile pour réfléchir au niveau de contraintes suffisant pour assimiler ces agricultures de piémont à de la moyenne montagne. En particulier, entre les piémonts rhénans et la plaine vallonée du Lembron, existe-t-il assez de différences pour assimiler l’agriculture de piémont à la moyenne montagne ?
Tableau 1 : Principales caractéristiques des deux zones d’études
| Plaine du Lembron | Fossé rhénan | |
| Superficie et forme | Environ 300 km2, 20 km sur 20 km, au sud de la plaine de la Limagne (3 800 km2, 90 km nord-sud, de 15 à 40 km est-ouest) | Plus de 300 km nord-sud, entre 30 et 40 km est-ouest |
| Relief | Plaine vallonnée à environ 400 m d’altitude ; montée rapide en altitude en périphérie, jusqu’à environ 1 200 m | Plaine très plane à environ 150 m d’altitude ; étroite bande de piémont à pente relativement douce jusqu’à environ 400 m d’altitude, avant une montée rapide en altitude jusqu’à environ 1 200 m |
| Pédologie et climat | Qualité agronomique des sols hétérogène (teneurs en sables et limons variables) ; pluviométrie relativement faible (environ 600 mm/an), mais plus élevée sur les hauteurs (jusqu’à 1 700 mm/an) ; partiellement classée en zone défavorisée pour l’ICHN | Qualité agronomique des sols hétérogène (teneurs en sables et limons variables) ; pluviométrie relativement faible (environ 600 mm/an), mais plus élevée sur les hauteurs (jusqu’à près de 2 000 mm/an) ; pas concerné par l’ICHN |
| Occupation du sol et principales activités agricoles | Deux tiers de surfaces cultivées dans la plaine, mais maintien de prairies et de polyculture-élevage ; majoritairement des prairies sur les terrains plus élevées (élevage bovin et ovin) ; vignes confidentielles | Quasi-monoculture de maïs grain et quasi-absence de l’élevage en plaine ; vignoble et arboriculture sur les piémonts ; pâtures et forêts plus en altitude |
Entretiens pour comprendre les pratiques agricoles
Les données mobilisées ont été récoltées lors de deux études distinctes et ne portant pas sur le même sujet. L’enquête en plaine du Lembron a été menée en 2019 et visait à caractériser les différentes formes de coopérations mises en œuvre par des agriculteurs entre plaine et bordure, ainsi que leurs intérêts et difficultés. L’enquête dans le Fossé rhénan a été réalisée en 2021, et cherchait à comprendre les freins et leviers à l’adoption de pratiques d’adaptation au changement climatique. Si ce ne sont pas les mêmes pratiques qui étaient interrogées, les deux enquêtes se sont concentrées sur leurs motivations, freins et leviers. Il s’agit alors d’analyser parmi ces éléments ce qui peut rassembler les exploitations de bordure, et les différencier ou rapprocher de celles de la plaine ou de la montagne.
La méthodologie d’enquête était similaire dans les deux cas : elle reposait sur des entretiens semi-directifs enregistrés et retranscrits auprès d’agriculteurs sélectionnés pour leur engagement sur les pratiques qu’il s’agissait d’étudier. 16 exploitations ont été enquêtées autour de la plaine du Lembron (12 dans la PRA et 4 en périphérie ; figure 3), et 35 dans le Fossé rhénan (figure 4). Dans les deux cas, elles sont assez peu à être situées au milieu de la plaine, et plus nombreuses sur ses bordures. Deux exploitations sont même plus haut dans le Massif central et une en Forêt Noire.
Conséquence de cette localisation majoritairement en bordure, la polyculture-élevage est une orientation courante, bien plus que la grande culture pure (tableaux 2 et 3). En revanche, de nombreux viticulteurs ont été rencontrés dans le Fossé rhénan, ce qui n’est pas le cas dans la plaine du Lembron, qui n’en compte presque aucun, et aucun des éleveurs rencontrés dans le Fossé rhénan ne cultive que pour nourrir son élevage, tandis que cinq éleveurs auvergnats ne commercialisent aucune culture.
Tableau 2 : Caractéristiques des exploitations enquêtées dans la plaine du Lembron
| Code | Orientation productive | Surfaces | Main-d’œuvre | Labels | Autres activités | Troupeau |
| EA1 | lait | 270 ha dont 120-140 ha de prairies permanentes | 3 associés, 1 salarié, travail à temps complet du père retraité | — | — | 115 vaches laitières |
| EA2 | lait | 190 ha dont 160 ha en herbe | 2 associés, aide du grand-père | AOP Fourme d’Ambert et Bleu d’Auvergne | — | 80 vaches laitières et 35 vaches allaitantes |
| EA3 | lait ; grandes cultures | 86 ha dont 29 ha de prairies permanentes | seul ; 1 ouvrier 1 j/semaine, aide occasionnelle du neveu | — | gestion d’un centre d’allotement de veaux | 30 vaches allaitantes |
| EA4 | lait ; poulets chaire | 60 ha dont 60 ha en herbe | seul ; aide des parents | label rouge ; Volailles fermières d’Auvergne | — | 30 vaches laitières |
| EA5 | grandes cultures | 122 ha | seul | — | — | — |
| EA6 | lait | 235 ha dont 140 ha de prairies | associé avec ses parents, frère salarié, aide de l’oncle | — | vente directe de viande | 140 vaches laitières et 50 allaitantes |
| EA7 | grandes cultures | 107 ha | seul, ouvriers occasionnels et aide du père occasionnelle | — | — | — |
| EA8 | lait | 136 ha dont 90 ha de prairies permanentes | associé avec ses parents | — | vente directe de lait et d’œufs | 100 UGB laitiers |
| EA9 | grandes cultures | 120 ha dont 2 ha de prairies permanentes et 2,5 ha de vignes | seul, ouvrier à 25 % |
— | — | — |
| EA10 | lait ; grandes cultures | 110 ha dont 56 ha en prairie permanente | couple, aide du fils |
— | — | 50 vaches laitières |
| EA11 | grandes cultures | 100 ha dont 50 ha de prairies permanentes | seul | — | pension de génisses | — |
| EA12 | lait | 150 ha, uniquement en prairies permanentes | 5 associés familiaux et 1 salarié | AOP Saint-Nectaire | transformation et vente directe de fromage | 170 vaches laitières |
| EA13 | grandes cultures ; œufs | 95 ha | 2 associés, saisonniers | — | — | 20 000 poulettes, 1 poulailler |
| EA14 | grandes cultures | 105 ha dont 15 ha de prairies | 2 associés, saisonniers | — | — | 1 poulailler |
| EA15 | lait | 80 ha de prairies permanentes | 2 associés, aide de la femme et occasionnellement du père | AOP Saint-Nectaire | transformation et vente directe de fromage | 45 vaches laitières |
| EA16 | viande ; animaux de sélection ; lavande ; grandes cultures | 190 ha dont 78 ha de prairies permanentes | 3 associés, saisonniers | agriculture biologique (lavande) | — | 500 brebis |
Tableau 3 : Caractéristiques des exploitations enquêtées dans le Fossé rhénan
| Code | Orientation productive | Surface cultivée | Main-d’œuvre permanente | Labels | Autres activités | Pays |
| ACH | viticulture et arboriculture | 20 ha de vignoble et 6 ha de verger | 3 actifs familiaux et 7 employés | biodynamie | transformation à la ferme et vente directe (vin) | France |
| BAN | viticulture | 12 ha | 4 actifs familiaux | biodynamie | transformation à la ferme et vente directe (vin) | France |
| BAR | viticulture et arboriculture | 3.9 ha | seul | conversion | transformation à la ferme et vente directe (vin) | France |
| BAU | grandes cultures | 200 ha | 2 actifs familiaux | conventionnel | — | Allemagne |
| BAUE | viticulture | 30 ha | 1 actif familial et 4 employés | conventionnel | transformation à la ferme et vente directe (vin) | Allemagne |
| BOT | viticulture | 15 ha | 2 actifs familiaux et 3 employés | agriculture biologique | transformation à la ferme et vente directe (vin) ; gîte | France |
| BUO | viticulture | 15 ha | 3 actifs familiaux | conventionnel | — | France |
| DEG | grandes cultures | 145 ha | seul | conventionnel | pension équestre | France |
| DEN | grandes cultures et élevage allaitant | 68 ha | 3 actifs familiaux | biodynamie | vente directe de légumes | Allemagne |
| DUR | viticulture | 10 ha | 3 actifs familiaux | agriculture biologique | transformation à la ferme et vente directe (vin) ; production d’énergie | France |
| ECO | grandes cultures et élevage allaitant | 48 ha | 3 actifs familiaux et 2 employés | agriculture biologique | transformation à la ferme et vente directe (viande, farine, légumes) ; entreprise de paysage | Suisse |
| ENG | viticulture | 65 ha | 5 actifs familiaux et nombre d’employés inconnu | agriculture biologique | transformation à la ferme et vente directe (vin) ; production d’énergie | France |
| FRI | grandes cultures | 137 ha | 1 actif familial et 4 employés | conversion | vente directe (pommes de terre) ; entreprise de travaux agricoles | France |
| HAG | grandes cultures et élevage allaitant | 50 ha | 3 actifs familiaux et 3 employés | conventionnel | vente collective (légumes) ; hôtel et restaurant | Suisse |
| HAS | grandes cultures et élevage allaitant | 410 ha | 4 actifs familiaux et 2 employés | agriculture biologique | transformation à la ferme et vente directe (viande, céréales) ; production d’énergie | Allemagne |
| HASE | élevage allaitant, arboriculture et grandes cultures | 25 ha | 2 actifs familiaux | agriculture biologique | transformation à la ferme et vente directe (jus de fruit, viande) ; production d’énergie, foresterie | Suisse |
| HUB | viticulture | 32 ha | 2 actifs familiaux et 6 employés | conventionnel | transformation à la ferme et vente directe (vin) | France |
| HUS | grandes cultures et élevage allaitant | 60 ha | 3 actifs familiaux | conventionnel | transformation à la ferme et vente directe (viande, œufs, pain) | Allemagne |
| KAS | viticulture | 12 ha | 3 actifs familiaux | agriculture biologique | transformation à la ferme et vente directe (vin) ; restaurant | Allemagne |
| KLI | viticulture | 45 ha | 16 employés | conversion | transformation à la ferme et vente directe (vin) | France |
| KLO | élevage laitier et grandes cultures | 32 ha | 2 actifs familiaux et 1 employé | agriculture biologique | vente directe (œufs) ; accueil de groupes ; pension équestre | Suisse |
| KOP | viticulture | 35 ha | 2 actifs familiaux et 7 employés | conversion | transformation à la ferme et vente directe (vin) | Allemagne |
| KRA | viticulture | inconnu | délégation totale | agriculture biologique | transformation à la ferme et vente directe (vin) | Allemagne |
| MUH | grandes cultures | 300 ha | 3 actifs familiaux | conventionnel | entreprise de travaux agricoles | France |
| MUN | élevage laitier et grandes cultures | 250 ha | 4 actifs familiaux et 2 employés | conventionnel | transformation à la ferme et vente directe (pain) ; production d’énergie | France |
| ORE | grandes cultures | 128 ha | seul | conventionnel | vente directe (œufs) ; entreprise de travaux agricoles | France |
| OST | viticulture | 16 ha | 2 actifs familiaux et 5 employés | biodynamie | transformation à la ferme et vente directe (vin) | France |
| RAP | viticulture et grandes cultures | 10 ha de vignoble et 30 ha de grandes cultures | 2 actifs familiaux et 2 employés | partiellement agriculture biologique | transformation à la ferme et vente directe (vin) | France |
| RIC | grandes cultures et élevage laitier | 97 ha | 2 actifs familiaux | conventionnel | emploi extra-agricole | France |
| RUE | viticulture, grandes cultures et arboriculture | 7,5 ha de vignoble ; surface en grandes cultures estimée aux alentours de 50 ha ; 1,5 ha de verger | 2 actifs familiaux | biodynamie | transformation à la ferme et vente directe (vin, jus de fruit, liqueurs) | Allemagne |
| SCH | viticulture | 17 ha | 3 actifs familiaux et 4 employés | conversion | transformation à la ferme et vente directe (vin) | France |
| SIR | élevage laitier et grandes cultures | 63 ha | seul | biodynamie | transformation à la ferme et vente directe (farine, choucroute) | France |
| WET | grandes cultures | 70 ha | 3 actifs familiaux | conventionnel | vente directe (œufs, poulets, légumes) | France |
| ZAE | viticulture | 12 ha | 4 actifs familiaux | agriculture biologique | transformation à la ferme et vente directe (vin) | France |
| ZAH | viticulture | 55 ha | 3 actifs familiaux et 20 employés | biodynamie | transformation à la ferme et vente directe (vin) | Allemagne |
Selon le principe des entretiens semi-directifs30, les agriculteurs interrogés pouvaient dans la mesure du possible dérouler librement leur discours. Un guide d’entretien était utilisé afin de s’assurer d’aborder les points essentiels, notamment grâce à des relances. Il permettait aussi de créer un cadre structuré à la discussion, même si les agriculteurs étaient libres de ne pas le suivre. Dans les deux études, la structuration était similaire. L’entretien commençait par une présentation de la personne interrogée et de son exploitation, afin de bien comprendre le « point de vue »31 depuis lequel la personne interrogée parle, c’est-à-dire ses caractéristiques sociales, techniques, économiques, ainsi que le contexte dans lequel elle se situe et qui peut éclairer ses objectifs, perceptions et choix. Dans un second temps, les agriculteurs étaient invités à présenter leurs pratiques sur le sujet de l’étude : coopérations avec d’autres agriculteurs dans le cas de la plaine du Lembron, et adaptation au changement climatique dans le Fossé rhénan. Enfin, pour chaque pratique citée, étaient interrogés les objectifs, motivations et éléments déclencheurs, difficultés rencontrées et facteurs facilitants.
Caractéristiques des bordures partagées avec l’agriculture de montagne et opposition à la plaine
Des systèmes agricoles différents…
Bien que d’altitude peu élevée, les bordures et l’agriculture qui s’y trouve présentent des caractéristiques parfois très éloignées de celles de la plaine et qui permettent de les assimiler aux montagnes. La première de ces caractéristiques réside dans le type d’agriculture qui y est pratiquée, ce qui est visible premièrement dans l’occupation des sols (figures 3 et 4)32. En effet, une différence franche apparaît entre grandes cultures de plaine et, dans le cas de la Limagne, les prairies de bordure, qui deviennent prédominantes à partir de 500-600 m d’altitude environ. L’usage des sols de ces bordures est ainsi bien plus proche de celui des sommets. Des sites tels que le Puy de Paillaret (1 700 m d’altitude), ou dans le Parc Naturel Régional (PNR) des Volcans d’Auvergne (1 100-1 200 m d’altitude), présentent ainsi sur le RPG le même type de prairies que l’Ouest de Madriat (500-600 m d’altitude), voire quelques parcelles de triticale, de blé et de maïs. Dans le Fossé rhénan, la distinction est encore beaucoup plus nette, mais ne s’opère pas avec les prairies, bien moins nombreuses, mais avec le vignoble (et les vergers côté allemand), à environ 200 m d’altitude. L’autre extrémité du vignoble est également très bien délimitée, cette fois par l’absence de toute forme d’agriculture, puisque la forêt domine largement, contrairement à la Limagne où elle est bien plus rare (à l’exception du sud-est de la plaine du Lembron, dans le PNR du Livradois-Forez). Les prairies ne sont présentes qu’au cœur des massifs des Vosges et de la Forêt Noire (même si elles sont plus nombreuses en Forêt Noire). Les régions de moyenne montagne sont souvent considérées comme indissociables de l’élevage herbager et de la forêt33. Leur importance croissante en bordure de plaine, depuis des altitudes encore relativement basses, peut constituer un argument pour associer ces zones à la moyenne montagne, même si des cultures peuvent encore avoir une présence notable. La question se pose alors aussi pour le vignoble. Le piémont viticole ne correspond certes pas aux usages du sol caractéristiques de la moyenne montagne, mais sa délimitation franche avec les cultures de plaine invite à clairement le différencier de celle-ci. Il existe de plus des vignobles de montagne34, et les caractéristiques du vignoble d’Alsace, avec ses petites parcelles et ses exploitations anciennement vouées à la polyculture35, correspondent à ce que décrit Paul Minvielle à leur propos36.
Ces différentes occupations des sols traduisent des systèmes agricoles bien distincts, qui opposent fortement l’agriculture des piémonts et des montagnes à la plaine. La première différence parmi les exploitations rencontrées concerne l’importance des grandes cultures. Les exploitations qui cultivent uniquement des grandes cultures, éventuellement avec un élevage de volaille37, se situent en effet majoritairement en plaine (figures 3 et 4). Sur les piémonts, soit les systèmes changent de spécialisation (vignoble dans le Fossé rhénan), soit se diversifient en associant l’élevage aux cultures et en introduisant des fourrages dans les rotations. L’élevage prend même parfois une place très importante (cas de HASE, HAS, HUS, KLO, ECO dans le Fossé rhénan ; EA1, EA2, EA6 et EA8 dans la plaine du Lembron), avec les prairies qui représente la majeure partie de la SAU38. En cela, ces exploitations de piémont s’approchent de celles rencontrées en zone de montagne, dans l’AOP Saint-Nectaire, même si celles-ci n’ont aucune culture.
Si les cultures rencontrées diffèrent, les modes de conduite également, par exemple l’irrigation (figures 5 et 6). En effet, c’est au milieu des deux plaines que les superficies irriguées sont les plus importantes, tandis qu’elles diminuent fortement lorsqu’on s’en éloigne. Cela est en partie lié aux espèces cultivées.
Figure 5 : Part de la superficie agricole communale irriguée dans la plaine du Lembron
Gaël Bohnert. Sources : Agreste, Part de la superficie irriguée dans la superficie agricole utilisée (SAU) en 2010, Recensement agricole 2010 (Les données mises à disposition sur Agreste et sur datagouv sont libres de droit, à condition de mentionner clairement la source « Agreste » suivie du nom exact de la source/de l’enquête) ; IGN (2021), BDALTIr_2-0 traitement du 2021-10-01. (Les pas de 75 m et 250 m sont téléchargeables et utilisables gratuitement sous licence Etalab) ; GADM (The data are freely available for academic use and other non-commercial use) ; Pierre Nansot, pra-shapefiles (MIT License).
Figure 6 : Part de la superficie agricole communale irriguée en Alsace
Gaël Bohnert. Sources : Agreste, Part de la superficie irriguée dans la superficie agricole utilisée (SAU) en 2010 (%), Recensement agricole 2010 (Les données mises à disposition sur Agreste et sur datagouv sont libres de droit, à condition de mentionner clairement la source « Agreste » suivie du nom exact de la source/de l’enquête) ; GeoRhena, Relief – Modèle numérique de terrain (MNT) du Rhin supérieur (Licence CC BY – © European Union, Copernicus Land Monitoring Service 2018, European Environment Agency (EEA), Rhin (© OSM contributors – Ajoutez logo GeoRhena en cas de réutilisation) ; GADM (The data are freely available for academic use and other non-commercial use).
De fait, ce sont souvent des cultures telles que la pomme de terre, la betterave, le maïs, particulièrement grain ou semence, qui sont irriguées, et celles-ci sont davantage présentes en plaine et au sein d’exploitations spécialisées en grandes cultures. L’irrigation est en effet parfois jugée indispensable pour ces cultures, selon les propriétés des sols concernés : « Les pommes de terre, si tu n’irrigues pas, tu n’arrives pas à faire des rendements. Donc il faut de l’eau pour cette culture » (MUH, grandes cultures pures dans la plaine d’Alsace). Les agriculteurs rencontrés dans la plaine du Lembron illustrent aussi très bien cette association entre cultures à forts besoins et irrigation, puisque les surfaces irrigables sont toujours dédiées en priorité à des cultures à forte valeur ajoutée telles que le maïs semence ou la betterave, ou au maïs ensilage lorsqu’il s’agit de sécuriser les stocks fourragers pour l’élevage :
La plupart du temps, on privilégie les cultures à marge sur les parcelles irrigables. On met principalement du maïs semence sur les parcelles irrigables, puisqu’en plus pour avoir du maïs semence, il faut avoir de l’irrigation. On ne peut pas faire de maïs sans irrigation. C’était comme les betteraves, on ne peut pas faire de betterave sans irrigation (EA16, polyculture-élevage au milieu de la plaine du Lembron).
…en raison de contraintes qui correspondent aux définitions de la moyenne montagne
Si les cultures et leur conduite diffèrent entre plaine et bordure, c’est principalement en raison de contraintes qui peuvent correspondre à certaines définitions de l’agriculture de montagne. Premièrement, l’irrigation et les cultures qu’elle favorise sont davantage présentes en plaine car l’eau y est plus accessible, en particulier dans le Fossé rhénan où se trouve « plus grande ressource en eau souterraine européenne », facilement accessible du fait de sa faible profondeur39, et soumise à quasiment aucune restriction40. De plus, les pentes compliquent aussi fortement l’irrigation : « [Même si j’avais accès à de l’eau] je ne sais pas si je pourrais arroser mes prairies, parce que c’est tout en côte » (EA3, polyculture-élevage sur une colline de la bordure nord de la plaine du Lembron). La topographie induit bien ici « un appauvrissement des possibilités culturales », critère que Laurent Rieutort utilise pour définir la moyenne montagne, même si cela ne vient pas de la « péjoration climatique » par laquelle « la moyenne montagne se définit d’abord »41, mais bien de la pente ou de la profondeur de la nappe phréatique.
Les contraintes topographiques sont aussi utilisées par d’autres auteurs pour définir la moyenne montagne, comme par exemple Bozon et al., qui considèrent d’ailleurs qu’elles sont partagées avec la montagne élevée42. Parmi les difficultés avancées, « la motorisation de l’agriculture difficile », les « sols souvent minces, en tout cas très divers » sont largement vécus par les agriculteurs de piémont rencontrés, par exemple EA2, en bordure nord-est de la plaine du Lembron à environ 500 m d’altitude, qui explique son élevage de vaches allaitantes Salers « pour valoriser le pâturage » sur des parcelles non mécanisables à cause de la pente. Il rencontre aussi la problématique de sols peu profonds en pente, où « dès qu’il y a un coup de chaud ça grille ».
Ces mêmes contraintes deviennent des atouts pour le vignoble, correspondant à ce que Paul Minvielle considère des atouts de la viticulture montagnarde : « sécheresse de l’air », « ensoleillement important », « position d’abri », « phénomènes d’inversion de températures », « conditions agropédologiques favorables au drainage et au réchauffement des sols »43, autant de caractéristiques possédées par le vignoble rhénan et contribuant à sa renommée dans les vins natures et biodynamiques44. SCH, viticulteur sur le piémont alsacien, entre 400 et 500 m d’altitude, dit d’ailleurs « on est quand même en montagne », ce à quoi il associe « un sol très pauvre », « exposé plein Sud sur des sols entre 40 et 60 % de pente, donc c’est des terroirs très solaires […] sauf la nuit […] on a des amplitudes thermiques plus fortes qu’en plaine. Mais en journée il peut vraiment faire très chaud et très sec ». Ces fortes pentes contraignent fortement le travail de la vigne, forçant par exemple KOP, sur les coteaux badois, à conduire certaines parcelles entièrement manuellement. Mais en retour, cela contribue aussi à la renommée de ces vignobles, valorisant le savoir-faire nécessité par la viticulture dans ces conditions difficiles, et par les paysages créés (figure 7)45. Paul Minvielle affirme bien que « les progrès de la vitiviniculture se sont d’abord réalisés dans les régions où la nature est peu favorable à la vigne »46, et la renommée des vignobles rhénans, sans qu’ils soient très élevés, semble bien s’appuyer sur des conditions difficiles que l’on retrouve également en montagne.
Figure 7 : Les pentes raides du vignoble du Rangen, vignoble de Thann à la renommée internationale
Gaël Bohnert.
L’agriculture de montagne et de bordure, un laboratoire pour les transitions agricoles
Le besoin de composer avec les contraintes présentées précédemment peut faire des agriculteurs de montagne et de bordure des pionniers des transitions agricoles. L’absence fréquente d’irrigation et les sols minces les rendent souvent plus vulnérables aux sécheresses, les incitant à s’adapter par des systèmes de production bien plus complexes, et à expérimenter sans cesse de nouvelles pratiques. Leur conscience du changement climatique est souvent bien plus prononcée, comme le suggèrent les nombreux refus d’entretiens sur le sujet dans la plaine rhénane (figure 8).
Figure 8 : Localisation des entretiens acceptés et refusés dans le Fossé rhénan
Gaël Bohnert. Sources : GeoRhena, Relief – Modèle numérique de terrain (MNT) du Rhin Supérieur (Licence CC BY – © European Union, Copernicus Land Monitoring Service 2018, European Environment Agency (EEA)), Rhin (© OSM contributors – Ajoutez logo GeoRhena en cas de réutilisation) ; Agreste, Part de le superficie irriguée dans la superficie agricole utilisée (SAU) en 2010 (%), Recensement agricole 2010 (Les données mises à disposition sur Agreste et sur datagouv sont libres de droit, à condition de mentionner clairement la source « Agreste » suivie du nom exact de la source/de l’enquête) ; GADM (The data are freely available for academic use and other non-commercial use).
Les discours sur les sécheresses de plus en plus récurrentes avec le changement climatique sont aussi plus marqués en l’absence d’irrigation dans la plaine du Lembron, même s’ils sont fréquents dans toute la zone d’étude. Les contraintes hydriques et topographiques, en restreignant les possibilités de cultiver des cultures à hauts rendements et rémunératrices telles que le maïs, la betterave, les pommes de terre, incitent à complexifier les rotations, notamment par des légumineuses fourragères, et à maintenir d’importantes surfaces de prairies, cruciales pour la fertilisation azotée et la préservation de la biodiversité47. Ces aspects permettent de se passer d’intrants de synthèse et sont donc cruciaux au fonctionnement des exploitations biologiques, qui sont de fait plus nombreuses en montagne et sur les bordures qu’en plaine48. De plus, l’agriculture biologique est aussi un moyen de compenser par une meilleure valorisation des productions moins rentables du fait de ces contraintes, tout comme certaines appellations d’origine protégées (AOP) viticoles ou fromagères, qui valorisent le patrimoine et le savoir-faire de ces régions difficiles49.
Dans le Fossé rhénan, des pratiques d’adaptation telles que les rotations, la réduction du travail du sol, les amendements organiques, l’agroforesterie, les bandes enherbées et les cultures associées sont davantage mises en œuvre sur les collines, notamment afin de mieux retenir l’eau dans les sols et de pouvoir se passer d’irrigation50. En effet, les pratiques d’adaptation sont souvent réactives51. Les conditions difficiles des bordures peuvent donc être des déclencheurs des changements de pratiques.
Difficile distinction entre plaine, bordure et montagne
Distinction variable selon les territoires étudiés
Les bordures présentent donc de nombreuses caractéristiques qui incitent à les assimiler à la moyenne montagne, en particulier par opposition à la plaine. Néanmoins, la distinction avec cette dernière n’est pas toujours évidente. La première difficulté vient du fait que la plaine n’est pas toujours indemne de contraintes, ce que met bien en évidence la comparaison entre le Fossé rhénan et la plaine du Lembron. En effet, si la rupture entre plaine et piémont est assez nette dans le Fossé rhénan, marquée notamment par le vignoble, elle est beaucoup plus diffuse dans la plaine du Lembron, qui présente déjà une altitude beaucoup plus élevée et des collines en son sein sur lesquelles on trouve aussi des prairies. Même au cœur de la plaine, certaines contraintes des piémonts peuvent ainsi exister. Par exemple, EA7 et EA9, en plein dans la plaine du Lembron, doivent déjà composer avec des contraintes hydriques et de mécanisation relativement importantes. Même dans la plaine rhénane où les surfaces planes sont bien plus étendues, les sols très hétérogènes génèrent par endroits les mêmes types de difficultés. Les « sols souvent minces, en tout cas très divers » ne seraient donc finalement pas spécifiques de la montagne et des bordures, contrairement à ce que disent Bozon et al.52. Si la vocation herbagère est souvent utilisée pour définir la moyenne montagne53, il faut reconnaître que l’usage des sols dépend d’autres facteurs que l’altitude et la topographie, notamment la pédologie et l’hydrologie, mais aussi de choix productifs. DEN par exemple, au Nord du pays de Bade et au cœur de la plaine, possède un système fortement orienté sur l’élevage herbager, expliqué notamment par la biodynamie et sa conviction du rôle crucial des animaux et des prairies pour un fonctionnement holistique de son exploitation.
Zone de transition et de rencontre entre des espaces mêlés
Selon les contextes, il est donc plus ou moins aisé d’opérer une distinction entre plaine, bordure et montagne. Plutôt que de chercher à tout prix un critère de délimitation, il est peut-être plus pertinent d’accepter plaine et montagne comme deux ensembles aux limites floues séparées par une zone de transition de largeur variable et mêlant des caractéristiques de l’un et de l’autre.
De plus, cette zone de transition peut aussi être une zone de rencontre. En effet, les atouts et contraintes de la plaine et de la montagne sont complémentaires, ce qui rend des échanges entre elles particulièrement intéressants. Les agriculteurs de la plaine du Lembron manquent de fumier, jugé par plusieurs indispensable agronomiquement, tandis que ceux situés en montagne ou bordure manquent de paille. Les échanges de paille contre fumier sont par conséquent fréquents entre la plaine et sa périphérie (figure 9). De même, les cultivateurs de plaine souhaitent souvent introduire des fourrages dans leurs rotations pour les améliorer, et les vendent alors à des éleveurs davantage en montagne.
Figure 9 : Schéma des échanges de matières des agriculteurs rencontrés dans la plaine du Lembron
Gaël Bohnert.
La quasi-absence d’élevage dans la plaine rhénane restreint de même l’approvisionnement en fumier, comme l’explique par exemple FRI, au milieu de la plaine : « Ici dans notre village, il n’y a plus d’animaux ». Il s’approvisionne par conséquent auprès de centres équestres dans la plaine, mais aussi d’un élevage situé un peu plus loin sur les piémonts. Nous rejoignons ainsi Laurent Rieutort qui affirme que « la moyenne montagne n’a jamais vécu totalement repliée sur elle-même »54.
Mais ces échanges ne doivent pas occulter qu’il existe des tensions entre agriculteurs de plaine et de bordure, les derniers exprimant parfois de profondes frustrations en raison de conditions de travail très inégales. MUN, sur les collines du Sundgau alsacien, reproche ainsi aux agriculteurs de plaine de « faire la pluie et le beau temps », tandis qu’elle souffre de sécheresses récurrentes sans possibilités d’irriguer. EA2, éleveur dans le Livradois à l’est de la plaine du Lembron, regrette comme d’autres que les céréaliers de plaine ne comprennent pas les contraintes des éleveurs, et leur imposent souvent des conditions jugées défavorables dans les échanges paille-fumier. Par exemple, c’est l’éleveur qui ramasse la paille, et les céréaliers « veulent que la paille soit vite enlevée car ils veulent déchaumer et partir en vacances ! » Ils sont de plus accusés de « se faire de l’argent sur le dos des éleveurs ». Inversement, des céréaliers tels qu’EA5 ou EA9 reprochent à leurs partenaires éleveurs de ne pas faire attention à l’humidité des sols lorsqu’ils prennent la paille, ce qui les tasse : « il faut les secouer aussi pour qu’ils viennent faire la paille, parce que je fais très attention à la structure des terrains… je ne veux pas de compaction ». Conséquences de ces contraintes contradictoires et de ces incompréhensions, l’animosité est jugée très visible : « quand on circule dans la plaine ils ne répondent pas quand on les salue en tracteur […] rien que dans les réunions, on ne s’assoit pas au même endroit » (EA2).
Les bordures sont donc des zones de rencontre entre agriculteurs de plaine et de montagne, mais ces rencontres ne sont pas toujours très cordiales.
Conclusion
Si l’altitude est souvent utilisée pour délimiter la moyenne montagne, de nombreux autres critères le sont également. La réflexion proposée dans cet article montre que, dans le domaine de l’agriculture, beaucoup d’entre eux s’appliquent à des zones de bordure d’altitude parfois très basse, en particulier concernant les contraintes pesant sur les activités agricoles. Aucun de ces critères ne semble toutefois satisfaisant pour déterminer des limites qui s’avèrent en réalité très mouvantes. Dans les deux zones étudiées, une très nette distinction apparaît entre plaine et bordure, mais leur comparaison montre que les caractéristiques d’une plaine et d’un piémont peuvent être très variables. Identifier des critères généralisables pour définir des ensembles de plaine, piémont et moyenne montagne est donc très difficile, et il serait peut-être plus pertinent de se baser sur les liens qu’ils entretiennent, et cela dans leur contexte spécifique. Plaine et montagne seraient alors des espaces reliés par une zone de transition plus ou moins aisément définissable, et partageant des différences, mais aussi des contraintes communes et des complémentarités. Ces différences et complémentarités expliquent les échanges, mais aussi les tensions, qui peuvent exister entre plaine et montagne.









