Frontières, limites et environnement en Alsace aux xviie et xviiie siècles

Borders, limits and the environment in Alsace in the 17th and 18th centuries

Grenzen, Begrenzungen und Umwelt im Elsass im 17. und 18. Jahrhundert

DOI : 10.57086/sources.114

p. 55-74

Résumés

L’évocation des frontières de l’Alsace renvoie volontiers à la séparation linéaire et immatérielle entre la France et l’Allemagne, superposée au Rhin dont elle suit le tracé. Il s’agit cependant d’une vision partielle et très contemporaine d’une notion plus large, aux acceptions différentes selon les périodes et dont les évolutions remontent à l’époque moderne. L’article entend montrer comment la frontière de la province d’Alsace aux xviie et xviiie siècles, comprise à la fois comme espace et comme ligne, s’est construite en lien étroit avec l’environnement, et notamment avec les cours d’eau. L’approche environnementale permet ainsi d’éclairer la question juridique des limites linéaires entre la France et l’Empire définies de manière ambigüe par les traités de paix successifs à partir de 1648. Elle conduit surtout à montrer la dimension zonale de la frontière à l’époque moderne, et invite dès lors à étudier les aménagements et les politiques qu’elle motive ainsi que des conséquences de celles-ci pour l’intégration de l’Alsace au royaume de France. La notion de « frontière » en Alsace aux xviie et xviiie siècle se révèle ainsi protéiforme et multiscalaire, mais toujours conditionnée par les influences réciproques et continues entre l’environnement et les représentations et les pratiques qui en résultent et qui le modifient en retour. Ce constat contribue au passage à légitimer une approche environnementale des échelles fixées par l’homme, celles des territoires politiques et administratifs.

When one refers to the borders of Alsace, one often thinks of the linear and immaterial separation between France and Germany, which overlaps with the course of the Rhine. This however constitutes a merely partial and very contemporary view of a broader notion, whose meaning has changed over time, ever since the modern era. This article aims to show that the border of the province of Alsace in the 17th and 18th centuries, understood both as a space and as a line, developed in close connection with the environment, and especially with the watercourses. The environmental approach sheds light on the legal issues surrounding the linear boundaries between France and the Empire, which were defined in an ambiguous way by successive peace treaties from 1648 onwards. Above all, it shows the zonal character of the border in modern times and calls for a study of the developments and policies it inspired and of their impact on the integration of Alsace into the kingdom of France. The “border” in Alsace in the 17th and 18th centuries thus proves to be a protean and multiscalar notion, which was however always conditioned by the reciprocal and continuous influences between the environment and the representations and practices it inspired. This conclusion also helps give legitimacy to an environmental approach to the political and administrative territories defined by man.

Benjamin Furst is a research associate in the UR 3436 CRESAT research laboratory at university of Haute Alsace.

Der Verweis auf die Grenzen des Elsass ist oft mit der linearen und immateriellen Trennung von Frankreich und Deutschland verbunden, die dem Lauf des Rheins folgt. Jedoch handelt es sich dabei um eine partielle und sehr zeitgenössische Sicht auf einen umfassenderen Begriff, dessen Bedeutung sich seit der Neuzeit gewandelt hat. Der Artikel zeigt auf, dass sich die Grenze der Provinz Elsass (verstanden als Grenze und Linie) im 17. und 18. Jahrhundert in engem Zusammenhang mit der Umwelt, vor allem mit den Flussläufen, herausgebildet hat. Mit dem umweltgeschichtlichen Blick lässt sich die rechtliche Frage der linearen, auf zweideutige Weise in den sukzessiven Friedensverträgen ab 1648 definierten Grenzen zwischen Frankreich und dem Reich erhellen. Darüber hinaus zeigt sich die zonale Dimension der neuzeitlichen Grenze, und eine Untersuchung der sich auf die Umwelt beziehenden Gestaltungspolitik sowie ihrer Konsequenzen für die Integration des Elsass in das französische Königreich wird angeregt. Die „Grenze“ erweist sich für das Elsass im 17. und 18. Jahrhundert als facettenreich und multiskalar, wobei sie jedoch immer von wechselseitigen und kontinuierlichen Einflüssen zwischen Umwelt und den mit ihr verbundenen Vorstellungen und Praktiken konditioniert war. Diese Feststellung spricht nebenbei auch dafür, die von den Menschen festgelegten politischen und administrativen Territorien aus dem umweltgeschichtlichen Blickwinkel zu betrachten.

Benjamin Furst ist Forschungsingenieur am UR 3436 CRESAT, Université de Haute-Alsace.

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Évoquer aujourd’hui les frontières d’Alsace invite à deux observations. La première, plutôt empirique, renvoie à une question de représentation : la frontière en Alsace, c’est d’abord la frontière politique qui suit le Rhin et sépare la France et l’Allemagne. Moins ancrée dans l’imaginaire collectif, la connaissance du tracé des autres frontières étatiques est plus floue : on situe ainsi moins précisément la frontière franco-allemande dans les Vosges du Nord, ou celle entre la Suisse et la France dans le Sundgau que celle, pourtant disparue depuis longtemps, qui a séparé la France du Reich allemand le long des crêtes vosgiennes. Un tel contraste repose en partie sur la géographie des frontières : certaines s’appuient sur des éléments du paysage, facilitant ainsi leur appréhension mentale. La linéarité de la frontière politique immatérielle s’appuie sur la ligne de crête ou le cours de la rivière, la rendant visible : les Pyrénées, les Alpes, le Rhin... Dès lors, ce n’est plus un tracé intangible, mais une frontière réifiée, perceptible, qui s’ancre d’autant plus facilement dans les représentations spatiales des individus, et qu’importe si elle ne se superpose pas exactement à la vraie limite juridique. Lucien Febvre ne disait pas autre chose concernant l’époque moderne, en expliquant que les éléments naturels permettaient d’assigner « aux pays des limites simples, faciles à énoncer, faciles à figurer sur les cartes. Ils étaient précis et clairs, en un temps où la vraie limite, celle des mouvances, était confuse et mal discernable1 ».

Les termes employés par L. Febvre appellent le second constat : on utilise aujourd’hui le terme de frontière ou de limite sans grande précaution pour désigner la ligne séparant deux territoires souverains, les deux termes coïncidant avec la réalité contemporaine des frontières pacifiées, définies par une ligne juridique sans épaisseur : son franchissement est instantané ou presque, et peu d’éléments, dans les espaces qui la bordent, laissent deviner la proximité d’un autre État. À l’époque moderne, en revanche, les acceptions de limite et frontière ne se recouvrent quasiment pas. La distinction, qui remonte, en français, à la fin du xiie siècle2, est celle entre un espace et une ligne : la frontière est une zone au contact de l’ennemi, ou plus généralement, d’une entité autre que soi, et se distingue de la limite linéaire séparant deux juridictions ou deux territoires3. Pour l’Alsace au xviie siècle, cette notion de limite n’existe pas, et n’apparaît jamais dans les traités de paix sanctionnant les évolutions territoriales en Alsace. À Münster, à Nimègue, à Ryswick, ce sont des titres que l’on cède, des seigneuries que l’on échange, et non des lignes que l’on trace. Ce caractère progressif et hétérogène du rattachement à la France, la discontinuité territoriale qui en résulte, la proximité avec l’Empire, font du territoire ce qu’on peut appeler une frontière-zone, ou frontière-marche, c’est-à-dire une zone de contact avec une puissance rivale, voire ennemie, et donc aménagée et administrée en conséquence.

Ces deux aspects de la question de la frontière en Alsace, l’appui de frontières sur des éléments du paysage et la distinction frontière-ligne et frontière-zone, revêtent une dimension environnementale importante. Dans le premier cas, où les éléments « naturels », géophysiques sont supports des limites, le lien avec l’environnement est relativement évident. Il l’est moins dans le second cas, car il interroge davantage les pratiques et les représentations que le milieu physique lui-même, mais il est pourtant plus fort et il se manifeste à plus grande échelle.

Daniel Nordman avait déjà évoqué ces liens dans la partie qu’il consacre au cas alsacien dans l’ouvrage fondateur Frontières de France, où il s’intéresse plutôt à la manière dont se définissent progressivement les contours (linéaires) du royaume qu’à la gestion des espaces frontaliers. Il y soulevait notamment les enjeux de définition des limites le long du Rhin qui, avant la canalisation, changeait volontiers de cours, et modifiait ainsi la séparation franco-impériale4, aboutissant à l’instauration de commissions bipartites chargées de fixer pour la première fois une ligne distinguant les bans des communautés sous souveraineté française de ceux relevant de l’Empire. Cependant, les liens entre l’hydrographie et les frontières en Alsace à l’époque moderne sont à la fois plus nombreux et plus variés, invitant à réfléchir à la manière dont l’environnement de la province, et plus particulièrement son hydrographie, ont influencé tant les représentations que les politiques et les pratiques liées à la « frontière » alsacienne, comprise à la fois comme l’espace frontière de la province elle-même et comme la limite linéaire.

De fait, l’histoire environnementale, comprise comme « l’étude des interactions entre l’environnement physique et les sociétés humaines dans le passé5 », permet de considérer les questions de frontières et de limites sous un autre angle, en conjuguant aux questions politiques, diplomatiques, militaires ou économiques des enjeux plus matériels liés aux contraintes naturelles et au milieu physique. Aux xviie et xviiie siècles, en Alsace, les questions environnementales s’articulent avec les enjeux frontaliers autour de trois grands aspects. Le premier est la question des limites linéaires, autrement dit de la démarcation entre le royaume de France et l’Empire, et du rôle que jouent les rivières, et surtout le Rhin, dans cette délimitation. Le deuxième est la question militaire, directement liée au statut de province frontière de l’Alsace. Dans la province, comme dans d’autres territoires frontière du royaume, l’indispensable politique de fortification est intimement liée à l’usage de l’environnement, notamment hydrographique. Enfin, le dernier aspect concerne les conséquences de l’instauration d’une frontière à la fois juridique et matérielle sur les populations et sur leur rapport à l’environnement. Ces trois dimensions permettent d’apporter des éléments de réponse à une question méthodologique et épistémologique récurrente de l’histoire environnementale : est-il pertinent de tenir compte des frontières politico-administratives lorsqu’on étudie l’environnement « naturel » ?

Droit et nature : les rivières et la frontière franco-impériale

S’intéresser à la nature des frontières à l’époque moderne oblige à considérer la question sous l’angle juridique. Existe-t-il des liens entre la définition de la frontière franco-impériale et l’environnement à partir du traité de Münster en 1648, lorsque la France assoit peu à peu sa souveraineté sur le territoire ? Il faut ici distinguer deux espaces, pour lesquels le contexte diplomatique et les réponses politiques diffèrent largement.

Queich ou Lauter : « limites naturelles » au nord de l’Alsace

Au nord de l’Alsace, au contact du Palatinat, la question des « bailliages contestés » est pour l’administration monarchique l’occasion d’une discussion sur la place des cours d’eau dans la délimitation de la province. Ces bailliages septentrionaux entre les rivières Lauter et Queich et dont les seigneurs sont des nobles impériaux, sont intégrés au royaume lors des Réunions de 1680. Après le traité de Ryswick, le roi de France continue d’y exercer une souveraineté de fait, sauf dans le bailliage de Germersheim et le duché de Deux-Ponts rétrocédés6. Dans de nombreux mémoires et échanges épistolaires concernant ces « bailliages contestés », diplomates et administrateurs s’appuient sur les rivières pour discuter des limites de l’Alsace. Pour les Impériaux, la souveraineté française s’arrête à la Lauter. Pour les Français, l’Alsace, et donc la souveraineté du roi, s’étend une vingtaine de kilomètres plus au nord, jusqu’à la Queich, la rivière traversant Landau, qui fait partie de la Décapole depuis le xvie siècle (et donc de la province à partir de 1679). Les deux cours d’eau sont donc, dans le discours, les limites entre les deux espaces français et allemand. L’intendant Vanolles, en 1750, le dit explicitement : « anciennement et jusqu’à l’époque du traité de paix de Münster de 1648, la rivière de Queich a toujours été regardée comme faisant la limite naturelle entre l’Alsace et le Spirgaw ou Canton de Spire7 ».

L’assertion de Vanolles est bien une contre-vérité, mais elle sème le doute8. À l’époque moderne, les rivières sont-elles perçues comme des fron-tières ou des limites « naturelles », autrement dit définies par la nature ? C’est peu probable. Lucien Febvre, Daniel Nordman et Peter Sahlins ont successivement rejeté la thèse selon laquelle il existe des frontières naturelles, quelle que soit la période, mais notamment à l’époque moderne. Chacune de ces frontières abusivement qualifiées de naturelles est surtout une frontière culturelle et politique :

[la] frontière, quand bien même elle prend appui sur des positions géographiques – un fleuve ou le débouché d’une vallée –, est principalement constituée par un lieu fortifié, par une zone construite. Elle est avant tout l’œuvre des hommes, que les ingénieurs ont édifiée en un endroit propice9.

Pour autant, la mention de « limites naturelles » est fréquente à l’époque moderne. Le recours aux éléments du paysage (notamment aux rivières) pour définir le royaume n’est pas neuf : dès le Moyen Âge, et nonobstant une réalité plus complexe, les auteurs français fixent les limites du royaume aux « Quatre Rivières » : Rhône, Saône, Meuse et Escaut10. À cette conception médiévale de la frontière s’ajoute, à la fin de l’époque moderne, une nouvelle interprétation de la relation entre limite et éléments naturels. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, les philosophes des Lumières s’intéressant à l’État et aux relations entre nations occultent toute la dimension historique, construite, de ces obstacles qui servaient de support à la frontière. Ne subsistent à leurs yeux (ainsi que sous la plume des cartographes) que leur principale caractéristique physique, linéaire, qui sert de ligne de division entre États puis, à la Révolution, entre nations. Pour autant, les rivières ne constituent pas intrinsèquement des limites, elles n’ont pas de valeur juridique. Les assertions et prétentions qui font référence à la Lauter et à la Queich sont sans réelle portée : elles sont tantôt des arguments, tantôt des repères dont la linéarité permet des analogies relatives avec les territoires qu’on négocie en réalité. Les véritables arguments juridiques, ce sont les listes de droits, de dépendances qui rattachent ou non les bailliages à la France.

Les cartes de l’Alsace et du Rhin supérieur aux xviie et xviiie siècles confirment d’ailleurs le caractère aléatoire du statut de limite de l’un ou l’autre cours d’eau et reflètent bien le flou autour de cette question : quelles que soient la période et leur origine, rares sont les cartographes qui recourent à un tracé linéaire pour séparer l’Alsace du Palatinat. Ceux qui s’y risquent utilisent tantôt la Queich, tantôt la Lauter, s’écartant parfois de la rivière ou la suivant rigoureusement et tenant compte ou non de l’enclave de Landau. Trois phénomènes peuvent toutefois être mentionnés en cas de représentation de limites linéaires. Le premier est la tendance à éluder la question de la souveraineté pour se contenter de tracer les limites des seigneuries. Le deuxième est l’existence d’un consensus, en cas de représentation des limites étatiques, pour une démarcation à la Lauter dans les années 167011. Le dernier est un contraste marqué entre les positions discordantes des cartographes français d’une part, la relative unité des géographes étrangers d’autre part, après les Réunions de 1680. De fait, les cartes françaises ne s’accordent pas entre elles : Alexis-Hubert Jaillot repousse par exemple volontiers la limite au nord de la Queich en 1707 (fig. 1), en accord avec le discours politique en vigueur, quand Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville la laisse à la Lauter en 171912. Divergence d’opinions politiques ? Rien ne le prouve. Les méthodes des géographes « de cabinet » du xviiie siècle, délaissant la pratique du terrain pour s’appuyer sur les travaux antérieurs qu’ils compilent et précisent au gré de leur accès à de nouvelles sources, incluant les cartes de leurs homologues, pourraient expliquer la différence. Quant aux cartographes hollandais, allemands, italiens, tous semblent conserver la Lauter ou ses environs comme ligne de référence pour distinguer les terres impériales des possessions françaises13.

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Fig. 1. La limite franco-impériale selon A.-H. Jaillot en 1707. Source : Gallica.

Le Rhin, fleuve frontière ?

Il en va de même pour le Rhin, que la culture populaire tend volontiers à ériger en frontière franco-impériale à partir de 1648, et au plus tard depuis le traité de Ryswick en 1697. Il est vrai qu’après cette date, la France ne détient plus de terres sur la rive droite, alors que tout l’espace au sud de la Lauter est sous souveraineté du roi sur la rive gauche. Mais comme le rappelait Lucien Febvre, « on peut lire d’un bout à l’autre les grands traités que négocia Louis XIV. On n’y trouvera jamais le mot frontière, ni même le mot limites14 » parce que, rappelons-le, ce ne sont pas des territoires que l’on négocie en réalité dans les traités, mais des droits sur des fiefs. Certes, le traité de Ryswick s’efforce d’assainir la situation d’après la guerre de Trente Ans, qui cédait au roi de France les droits sur des fiefs habsbourgeois de part et d’autre du Rhin. Sur quelques points, comme Strasbourg, Breisach, ou encore les places fortes de Fort-Louis et Huningue, le traité de 1697 répartit désormais explicitement les possessions entre la rive droite et la rive gauche. Pour Strasbourg, ainsi, l’article XVI précise que « Sa Sacrée Majesté Impériale et l’Empire cèdent à Sa Sacrée Majesté Très-Chrétienne et à ses Successeurs dans le Royaume la ville de Strasbourg, et tout ce qui en dépend à la gauche du Rhin [...]15 » tandis que l’article XVIII stipule que « réciproquement Sa Sacrée Majesté Très-Chrétienne remettra à Sa Sacrée Majesté Impériale et à l’Empire [...] le fort de Kehl entier, comme il a été construit par Sadite Majesté à la droite du Rhin, avec tous droits et dépendances [...]16 ». Ponctuellement, le fleuve devient ainsi élément de référence pour distinguer les changements de souveraineté, mais il n’est nulle part désigné formellement et sur toute sa longueur comme limite ou comme frontière. Dire que le Rhin est, au xviiie siècle, la limite entre la France et l’Empire, c’est faire un amalgame : séparation de fait entre les deux territoires, le fleuve n’est qu’un élément naturel qui se superpose à la limite de jure, en facilitant l’appréhension et la description.

Il y a toutefois un enjeu en partie éludé dans les traités : ce Rhin est tout sauf une ligne. Avant sa canalisation par l’ingénieur badois Johann Gottfried Tulla au milieu du xixe siècle, c’est un fleuve large et changeant. Son lit majeur s’étend sur plusieurs kilomètres de large, et de Bâle à Lauterbourg, son cours se divise en plusieurs chenaux entrecoupés d’îles qui changent au fil des ans, au gré des crues, des aménagements et de la sédimentation. Le Rhin est un espace en soi, où l’on navigue, que l’on traverse, dont on exploite les ressources halieutiques ou les bois de ses îles, que l’on s’efforce tant bien que mal d’endiguer pour limiter ses dommages. Un seul aspect de ces usages est pris en compte dans les traités : la circulation. Dès 1648, l’article 85 du traité de Münster précise « que dorénavant le trafic et les passages soient libres aux habitants de l’une et l’autre rive du Rhin et des provinces adjacentes : surtout que la navigation du Rhin soit libre17 ». La libre circulation est par la suite confirmée par les traités de Ryswick, Rastatt et Bade, de sorte que le Rhin devient en théorie un espace « international » n’appartenant à aucun des deux États qu’il contribue à séparer, et dont l’usage est garanti aux habitants de la France comme de l’Empire, qu’il s’agisse de circulation ou d’exploitation des ressources. Ces clauses empruntent aux juristes Grotius et Pufendorf leur interprétation du droit international qui fait de l’eau courante un bien commun18. Dans les faits, cette libre circulation vise surtout à garantir juri-diquement le passage des embarcations appartenant directement aux États concernés en temps de paix, elle ne concerne pas le commerce régi par les tribus de bateliers, et ne s’applique évidemment pas en temps de guerre. Or c’est sur ce dernier point, et plus généralement sur les questions militaires, que les rapports entre les enjeux frontaliers et l’environnement sont les plus visibles.

Les enjeux militaires d’une province frontière

La dimension stratégique et militaire de la frontière rhénane et ses liens avec l’environnement s’observent à deux échelles. La première est celle du fleuve lui-même, pensé et aménagé en fonction de ses points faibles et de ses atouts. La seconde est l’échelle provinciale, renvoyant explicitement à l’acception moderne de la notion de frontière-marche.

Le Rhin, fleuve frontière

De fait, si à l’époque moderne, un cours d’eau n’a pas de valeur juridique pour séparer deux territoires, le Rhin est bien une frontière, puisqu’il constitue un espace à part entière au contact de l’ennemi. En raison de sa morphologie, le fleuve est à la fois une barrière et un lieu de passage qu’il convient d’intégrer dans les politiques de la monarchie. Pour gérer cet espace particulier où, dans un contexte de guerre, il faut à la fois prévoir le passage de ses propres armées et anticiper celles de l’ennemi, la réponse française est double.

La première consiste à se reposer sur la morphologie même du fleuve. En effet, le cours en tresse du Rhin fait que les nombreuses îles et chenaux facilitent la traversée. De petits groupes, voire des armées traversent facilement dès lors qu’elles disposent d’une logistique suffisante, souvent des ponts de bateaux que l’on jette sur les chenaux les plus profonds. Tout l’enjeu, pour le pouvoir français, est donc de valoriser ces îles qui peuvent à la fois faciliter ou empêcher la traversée. Il peut s’agir d’éviter leur formation, comme le suggère Vauban à hauteur de Strasbourg19, ou au contraire, d’y laisser croître les ormes qui y poussent et qui servent d’obstacles au passage des troupes ennemies. Inversement, les îles boisées sont volontiers vues par les militaires et les administrateurs comme un couvert fortuit pour les troupes françaises, un double avantage qui incite donc le pouvoir royal à conserver la végétation des îles du Rhin20. Les considérations stratégiques expliquent en partie la réglemen-tation des pratiques des riverains, qui allaient volontiers dans le sens contraire : les déboisements étaient fréquents pour se fournir en bois et faire pâturer les bêtes dans lesdites îles.

Dans les faits toutefois, la monarchie ne s’est jamais reposée sur la seule morphologie du fleuve, et a rapidement réalisé la nécessité de garder le passage du Rhin d’une autre manière. Un double maillage territorial est dès lors mis en place le long du fleuve.

Le premier est celui des forteresses, érigées ou renforcées pour garder les accès les plus stratégiques, et souvent, c’est la morphologie même du fleuve qui conditionne cet emplacement. Soit un passage aménagé existe déjà, et il convient d’en avoir la maîtrise : c’est notamment tout l’intérêt de la prise de Strasbourg et de son pont sur le Rhin. Soit la traversée du fleuve est aisée : il s’agit dès lors de ménager un accès à la rive droite tout en verrouillant le pays pour les armées ennemies. C’est le cas à Huningue, où la France entend « tenir un pont volant pour passer incessamment des partis dans le pays ennemy et maistriser Basle21 », à Fort-Louis qui garde autant la navigation sur le Rhin que sa traversée via deux ponts, et à Neuf-Brisach, qui palie la perte de Breisach en verrouillant l’accès au centre de la province, où le franchissement est possible via les îles ou un pont de bateaux. D’ailleurs, pour chacune de ces places, des fortifications complémentaires sont construites sur l’autre rive, protégeant jusqu’au traité de Ryswick des ponts de bateaux fixes ou mobiles. Ces ouvrages secondaires sont détruits ou cédés après 1697, mais les places continuent de protéger la frontière22.

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Fig. 2. La fortification du Rhin frontière aux xviie et xviiie siècles. B. Furst.

À partir de cette date, lorsque le Rhin sépare de fait et le long de tout son cours la France de l’Empire, une deuxième phase d’aménagements, plus nombreux, mais de moindre ampleur, donne également corps à la frontière : ce sont les redoutes du Rhin, de petites constructions sommaires, fortifiées ou non, qui ne servent guère plus que de corps de garde avec une fonction de surveillance plutôt que de défense. Les gardes peuvent être des soldats, mais le plus souvent, il s’agit de civils mobilisés par corvée23, chargés d’avertir la place forte la plus proche en cas de tentative de traversée du Rhin. On commence à en construire dans les dernières années de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, elles sont délaissées ou rebâties au gré des guerres et elles subsistent jusqu’à la fin de l’Ancien Régime en nombre variable : 36 avant le traité de Ryswick, 57 en 170124, 76 après 174425. À ces bâtiments s’ajoutent, en période de conflit, des bivouacs de moindre ampleur, atteignant pendant la guerre de Succession d’Autriche près de deux cents postes le long du fleuve, de Bâle à Lauterbourg26. Cette double organisation de places fortes et redoutes réifie ainsi la frontière. Plus que les traités ou le fleuve lui-même, c’est cet enjeu de maîtriser la circulation le long de son cours ou d’une rive à l’autre qui matérialise et rend visible la dimension frontalière du fleuve.

L’aménagement du milieu

Or, si le fleuve conditionne l’emplacement des forteresses, celles-ci ont à leur tour un impact sur l’environnement de toute la province, car ces places que l’on construit et que l’on entretient, ces redoutes que l’on bâtit ou rebâtit au gré des besoins ou des divagations du Rhin n’ont pas seulement une influence sur le paysage environnant, mais aussi sur toute la province. De fait, à l’instar d’autres territoires frontière en France, l’organisation de toute l’Alsace est conditionnée par la contiguïté avec des puissances rivales. Il faut y voir une adaptation orientale de la politique du « pré carré » de Vauban, concept à la fois stratégique et territorial qui vise à verrouiller les confins du royaume pour en protéger l’intérieur grâce à un réseau de places fortes capables de se soutenir entre elles27. À ce titre, l’Alsace dans son ensemble est à considérer comme une frontière, et les conséquences de ce statut sur l’environnement dépassent largement la bande rhénane, d’autant qu’aux places érigées pour contrôler le passage du Rhin s’ajoutent celles qui contrôlent d’autres entrées stratégiques dans la province : Belfort au sud, Sélestat puis Landau au nord.

Sur la seule question de l’aménagement hydrographique, l’exemple le plus marquant est la création de canaux ex nihilo, qui servent à acheminer les matériaux de construction des fortifications, notamment la pierre, dont le transport est plus efficace par voie fluviale. Le premier de ces canaux est celui, très modeste, de Châtenois, qui relie la Giessen à Sélestat, avant que Vauban en réclame d’autres pour relier les carrières de Soultz-les Bains à Strasbourg en 1681, celles d’Albersweiler à Landau en 1688 et celles de Pfaffenheim à Neuf-Brisach en 1697. Au xviiie siècle, d’autres ouvrages sont créés, avec d’autres fonctions : le nouveau canal de Neuf-Brisach et la rigole de Wiedensolen permettent l’adduction et l’évacuation de l’eau à Neuf-Brisach en prolongeant un canal latéral à l’Ill ; le canal dit « des Français », construit pendant la guerre de Succession d’Espagne, garantit un accès à Seltz et Fort-Louis depuis Strasbourg si le Rhin n’est pas navigable ou contrôlé par l’ennemi. À ces canaux se conjuguent des aménagements hydrographiques défensifs, à savoir des dispositifs d’inondations volontaires le long de la Lauter, du canal des Français, à Sélestat et à Strasbourg, qui permettent de submerger une partie du terrain pour le rendre impraticable en cas de siège (fig. 2).

Un impact environnemental qui dépasse la bande rhénane

Non seulement ces aménagements modifient le paysage hydrographique en créant de nouveaux cours d’eau, mais ils impactent également le régime des cours d’eau existants, puisqu’il faut alimenter les canaux à l’aide de dérivations qui puisent dans les rivières proches, aménager des retenues dans des endroits aussi éloignés du Rhin que le lac du Ballon, aménagé pour fournir de l’eau et faire flotter du bois vers le canal de Neuf-Brisach28. Il reste d’ailleurs à écrire l’histoire environnementale de l’exploitation du calcaire et du grès des carrières de Pfaffenheim, Soultz-les-Bains ou Albersweiler, qui fournissent les pierres et la chaux pour les forteresses. Et que dire de la pression sur les ressources ligneuses ? Emmanuel Garnier a montré à quel point la forêt vosgienne est essentielle à l’érection de cette « ceinture de fer » pensée par Vauban, voire à la construction des ouvrages hydrauliques eux-mêmes29. Les forêts appartenant au prince palatin, au prince de Deux-Ponts ou à l’abbaye de Murbach sont par exemple fortement sollicitées pour la construction de Neuf-Brisach et de son canal : échafaudages, charpente, mais aussi alimentation des fours à chaux et une renardière dans la vallée de la Fecht. Les Vosges ne sont d’ailleurs pas l’unique source d’approvisionnement des autorités françaises : outre les forêts royales de la Hardt et de Haguenau, il faut mentionner les îles du Rhin, grandes pourvoyeuses d’ormes qui servent non seulement aux fortifications elles-mêmes, mais aussi aux ouvrages de renforcement des berges du Rhin qui menacent l’intégrité des infrastructures. À la dimension stratégique de la végétation s’ajoute donc une source de matériaux de construction qu’il convient de protéger.

Pour cette raison, le pouvoir royal attache une attention particulière à la gestion des ressources ligneuses des îles, dans une province où, par ailleurs, l’Ordonnance des Eaux et Forêts de 1669 n’est appliquée que partiellement. En 1695, un arrêt du Conseil d’État rappelle que le bois des îles du Rhin appartient au roi, en vertu de l’édit de 1683 sur la propriété des îles des rivières navigables30. L’exploitation de ces îles fait d’ailleurs l’objet de nombreux règlements de la part d’une administration royale soucieuse de préserver une ressource précieuse. Des ordonnances régulières, à partir de celle de l’intendant La Grange en 1684, encadrent ou interdisent strictement la coupe d’ormes dans les îles du Rhin autrement que pour le service du roi31. Le nombre et la réitération de ces textes montrent que la politique royale se heurte ici à des comportements riverains qui précédaient la présence française.

Vivre dans une province frontière : pratiques et comportements des populations

De fait, confrontées aux aménagements et, plus généralement, aux changements environnementaux qui résultent du passage de l’Alsace à la France et de l’instauration d’une frontière le long du Rhin et des rivières du nord, les populations font désormais face à un nouveau milieu, ce qui les contraint à adapter leurs pratiques, mais aussi à s’adapter à de nouveaux devoirs et de nouveaux conflits, qu’ils résultent d’usages concurrents de l’espace ou simplement de la situation diplomatique.

Une adaptation de l’économie

En effet, la constitution d’une frontière politique et militaire implique une régulation de la circulation à travers l’instauration de barrières physiques ou légales. Par conséquent, les populations mettent en place des stratégies de contournement, dont l’exemple le plus évocateur est sans doute la contrebande. Certes, la frontière douanière n’est pas le long du Rhin. L’Alsace est une province dite « à l’instar de l’étranger effectif », ce qui implique une barrière douanière entre la province et le reste du royaume, mais une libre circulation des biens avec l’étranger. Certaines restrictions touchent néanmoins la province : l’exportation de grain vers l’Empire est réglementée pour des questions stratégiques32, et en 1749, une taxe sur les importations de tabac vise à limiter l’entrée de tabacs étrangers33. Or le Rhin n’a jamais été une barrière physique : de nombreux passages sont identifiés depuis l’Antiquité, non seulement par des ponts et des bacs, mais également, pour les riverains, en usant d’embarcations et grâce aux îles34, si bien qu’une contrebande semble se développer de part et d’autre du fleuve, tant pour le grain que pour le tabac. La bande rhénane est ainsi le lieu d’un commerce interlope qui bénéficie aux riverains capables d’assurer le transport des marchandises de l’autre côté du Rhin. Les autorités royales légifèrent ainsi pour surveiller les villages le long du Rhin, restreignant notamment en 1762 la circulation des grains sur une distance de « trois lieues limitrophes des abords du Rhin35 ». Comme l’a montré Hidemi Uchida, bateliers, pêcheurs et poissonniers, forts de leur connaissance du fleuve et des moyens matériels dont ils disposent, sont particulièrement bien représentés parmi les contrebandiers de tabac identifiés dans les années 176036.

Plus loin du fleuve, les digues et fossés des nouveaux ouvrages d’art constituent autant de nouveaux lieux de pâture pour les bêtes, qui détruisent d’ailleurs les bords des canaux, tandis que leur cours sert à la pêche ou au rouissage du chanvre. Une ordonnance de 1719 recense la quasi-totalité des usages riverains de ces nouveaux cours d’eau :

Sur ce que nous sommes informé que les habitans des villages situés le long du canal de la Bruche y font rouir leurs chanvres et prennent la terre des digues pour les charger ; qu’ils labourent lesdites digues et y font passer leurs voitures ; qu’ils font aussi passer leurs bestiaux à travers ledit canal ; qu’ils en prennent les eaux pour arroser leurs prairies sans demander la permission d’ouvrir les vantelles faites à cet usage ; que les meuniers détruisent les saignées dudit canal soit pour avoir plus d’eau à leurs moulins ou pour pêcher dans lesdites saignées et qu’ils négligent d’enlever les ensablements que la chute des moulins produit à la jonction du canal ; ce qui dégrade ledit canal et les digues, empêche la navigation et arrête le transport des matériaux destinés pour les fortifications de la ville et citadelle de Strasbourg [...]37.

Quand ils sont abandonnés, ces canaux fournissent d’ailleurs de nouvelles prises d’eau, comme le canal de Neuf-Brisach, ou sont utilisés pour drainer les prairies et les ruisseaux en cas d’inondations, comme le canal des Français38. Le canal de la Bruche, lui, est gardé en état et sert davantage au commerce de Strasbourg qu’à celui du roi, au point que la monarchie cède sa gestion à la ville en 175539.

La prise en compte d’un nouveau niveau de pouvoir

La réalisation de ces aménagements, leurs usages parfois concurrents et leur entretien concourent à l’instauration de nouvelles relations de pouvoir marquée par le renforcement du pouvoir royal dans une province jusqu’alors rompue à l’autonomie. Outre les aménagements physiques du milieu, l’assertion de la souveraineté française passe également par l’intégration administrative et politique de la province au royaume. Le développement de structures administratives, militaires, mais surtout civiles, permet aux autorités françaises de s’impliquer dans la gestion de l’environnement. D’une part, la capacité coercitive de l’État permet de peser directement sur les populations, pour que celles-ci participent activement à la réalisation et à la conservation de certains ouvrages. Attestée en Alsace à partir de 1717, la corvée royale sollicite directement les communautés (la plupart du temps dans les bailliages riverains), sommées d’envoyer quelques dizaines de « pionniers » pour participer aux travaux de curage des canaux ou de construction de digues. Les gardes civils des redoutes du Rhin sont eux aussi mobilisés par corvée dès les premières fortifications40, et le corps d’inspecteurs des redoutes et îles du Rhin instauré en 1748 est constitué de civils41.

D’autre part, les représentants de l’État, notamment l’intendance, usent de leurs prérogatives en matière de police et de justice pour mieux gérer les nouvelles configurations matérielles et sociales imposées par ces aména-gements, ce qui leur permet à la fois de garantir les intérêts du royaume et d’accroître progressivement leur légitimité à intervenir dans ce type d’affaires. Les conflits sont en effet fréquents qui impliquent communautés, meuniers ou bateliers au sujet d’usages concurrents des cours d’eau, susceptibles de menacer le bon fonctionnement des ouvrages. Il s’agit en effet de préserver les canaux et les fossés eux-mêmes, mais aussi de garantir leur approvisionnement en eau, et donc de gérer les cours d’eau qui les alimentent. Or, si l’on touche au régime des eaux, on limite ainsi la quantité d’eau disponible. Quand le pouvoir royal entend protéger l’alimentation d’un canal, il légifère au détriment des paysans qui prélevaient volontiers de l’eau pour arroser les prairies ou des meuniers qui utilisaient cette eau pour faire tourner leurs roues, grâce à des retenues ou des dérivations. Et lorsque plusieurs partis sont impliqués, certains n’hésitent pas à mentionner les intérêts du roi pour obtenir gain de cause. Par exemple, en 1696, alors que le meunier de Dorlisheim est accusé par les habitants de Molsheim de prélever de l’eau dans la Bruche, ceux-ci portent l’affaire devant l’intendant en arguant non seulement de l’indisponibilité de la ressource en eau pour la ville, mais aussi pour l’alimentation du canal42. La conquête de l’Alsace, sa trans-formation en « province frontière » d’un royaume où se développe dans le même temps une monarchie administrative, a ainsi pour conséquence non seulement l’instauration d’un nouveau niveau de gouvernance, mais également une indispensable adaptation des pratiques locales pour tenir compte de la nouvelle configuration environnementale, cette dernière pouvant être garantie par le pouvoir normatif et coercitif de l’État. Au contraire, face à des puissances extérieures, on observe une alliance de fait entre le pouvoir royal et les communautés et une négociation diplomatique indispensable avec le voisin.

Limites des communautés et frontière d’État : les populations face aux changements du Rhin

En effet, les exemples évoqués jusqu’à maintenant concernaient soit des questions exclusivement diplomatiques, soit des affaires provinciales. Or, des espaces frontaliers comme l’Alsace permettent de croiser les échelles régionale et internationale. C’est notamment le cas pour les îles du Rhin, dont les ambiguïtés de statut et d’usage permettent de mettre en lumière les différences entre limite juridique et territoire administratif, et plus généralement entre souveraineté et propriété. Érigé en limite de facto ou de jure, le Rhin partage les terres sous souveraineté française de celles relevant de l’Empire. Cette limite repose sur le « talweg », autrement dit le chenal principal du fleuve, mais la mobilité de ce dernier pose des problèmes pour l’exploitation des nombreuses îles qui s’y trouvent. Comme tous les bras du Rhin, le talweg évolue constamment au gré des intempéries et des aménagements, au point qu’il doive être défini chaque année par les bateliers de Strasbourg, Breisach et Bâle. Par conséquent, au gré des changements de cours, les îles exploitées par les communautés riveraines alsaciennes ou badoises peuvent se retrouver tantôt du côté français, tantôt du côté impérial. Pire encore : la forteresse royale de Fort-Louis est située sur une île entre Strasbourg et Seltz, à l’ouest du talweg, c’est à dire du côté français43 (fig. 3). Or en 1751, les autorités françaises commencent à s’inquiéter des ensablements à l’est de la forteresse, repoussant progressivement le cours principal vers la rive gauche. Si le talweg finissait par passer à l’ouest de la forteresse, cela mettrait le Fort-Louis « à sa droite, c’est-à-dire du côté du territoire de l’Empire, [ce qui] seroit de la plus grande conséquence par raport à la règle prescrite [par le traité de Ryswick] pour la fixation des limites et de la séparation entre la France et l’Empire44 ». Heureusement pour les diplomates et militaires français, le talweg est resté vers la rive droite et l’affaire n’a pas eu de suite, mais l’inquiétude qu’elle a suscitée montre bien la portée juridique des limites fixées par les traités.

Ailleurs, les divagations du Rhin ont des conséquences sur les pratiques des populations et aboutissent à d’importants travaux de fixation des limites dans la seconde moitié du xviiie siècle. De fait, si le talweg du Rhin fixe la limite de souveraineté, la propriété des îles ne dépend pas de ce cours principal. Ainsi, dans le cas où une île passe d’un côté à l’autre, sa souveraineté change, mais elle reste partie intégrante du ban du village ou de la ville à laquelle elle appartenait, et peut donc continuer à être exploitée par ses habitants. Dans les faits, ce principe, qui fonctionnait plus ou moins avant le rattachement de l’Alsace à la France, donne lieu désormais à de nombreux conflits, puisque les communautés ne se gênent pas pour exploiter les îles à leur portée, quelles qu’elles soient, les communautés de la rive opposée n’étant plus seulement voisines, mais ennemies, ce qui donne lieu à des plaintes auprès des autorités provinciales ou des princes concernés, notamment pour prélever du bois45.

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Fig. 3. Plan du Fort-Louis du Rhin en 1753. Source : Gallica.

Face à ces conflits d’usage qui revêtent une dimension diplomatique, il convient d’établir « la distinction entre limites d’État qui ne souffrent pas de compromis, et limites de terroirs, indépendantes des premières et acceptées comme autant d’exceptions46 », autrement dit de fixer une limite indépendante du talweg. À la séparation juridique entre États s’ajoute donc progressivement une seconde ligne, administrative, qui distingue les communautés particulières. Côté français, ce travail est confié au subdélégué Noblat, qui travaille d’abord sous la supervision de l’intendant, dans le cadre de commissions bipartites. À partir de 1769, une véritable «commission des limites », toujours bipartite, est instituée. Noblat est à sa tête, mais son travail est désormais validé par les secrétaires d’État de la Guerre et des Affaires étrangères. Avec les représentants des différents princes de la rive droite, le commissaire établit trente-neuf procès-verbaux accompagnés de cartes qui fixent les limites définitives entre les communautés de la rive gauche et celles de la rive droite. Parce que ces commissions portent sur les limites des terroirs et non celles des États, elle ménage la possibilité d’accords particuliers entre communautés, qui peuvent garantir la liberté d’usage des ressources du Rhin47. En dépit de cette différence majeure entre limites administratives qui séparent des communautés d’une part, et démarcations entre territoires souverains d’autre part, en définissant l’une, les commissions fixent effectivement l’autre, transformant la frontière zone du cours d’eau en frontière-ligne.

Conclusion

Finalement, en tenant compte de l’acception contemporaine du terme, la notion de « frontière » en Alsace aux xviie et xviiie siècle est protéiforme et multiscalaire. Il s’agit autant de la ligne juridique qui sépare officiellement la France de ses voisins que de l’espace-tampon qui caractérise une frontière à l’époque moderne. Dans ce cas, on peut considérer soit la seule bande rhénane, soit la province dans sa totalité. Si l’on parle en fait de limites, il convient de distinguer les démarcations politiques des séparations administratives. Quelle que soit l’approche, la conquête de l’Alsace par la France a érigé le territoire en confins du royaume, aménagé et administré, à l’instar d’autres provinces du nord et de l’est, en tenant compte des enjeux stratégiques que ce statut implique, mais aussi des réalités environnementales propres à cet espace. Le milieu physique, notamment hydrographique, a ainsi eu une influence tant sur les représentations (notamment liées à la notion de limite) que sur les politiques (qui concernent surtout le statut de frontière). En retour, ces représentations et ces limites ont eu des conséquences sur l’environnement de la province, tant matérielles qu’institutionnelles et culturelles.

Ces observations offrent dès lors un élément de réponse à un débat méthodologique qu’il est possible de résumer ainsi : en histoire environ-nementale, est-il pertinent de considérer les frontières politiques et administratives comme cadre d’étude, alors que l’on étudie des phénomènes naturels ? Cette question récurrente oppose en réalité deux visions de la discipline48. La première, très restrictive, serait une histoire de l’environnement compris comme l’histoire du milieu naturel à la fois support et victime d’activités humaines. Cette histoire essentiellement matérielle des écosystèmes, de leurs évolutions et de leurs altérations par les activités humaines est à l’origine de l’histoire environnementale, mais est aujourd’hui progressivement supplantée par une autre vision de la discipline, plus large et paradoxalement plus organique. Il s’agit désormais d’étudier les interactions constantes entre l’homme et son environnement, qu’elles soient matérielles ou idéelles, qui conditionnent les perceptions, les représentations, les pratiques et les politiques, et qui en même temps en découlent. Dans ce domaine, la prise en compte des frontières « artificielles » des hommes fournit un cadre d’analyse tout à fait intéressant des rapports à l’environnement. De fait, même si ce dernier peut ignorer ou passer outre les frontières humaines, les configurations des rapports homme-nature dépendent en partie des territoires politiques ou administratifs, « car ils sont modelés par des instances qui ont été élaborées nationalement (le droit, le territoire et ses frontières, les institutions, les systèmes de mesure)49 ». Ce constat a un corollaire. L’exemple alsacien permet ainsi de confirmer que, puisqu’elle se manifeste matériellement dans un espace, donc dans un milieu, la frontière ne peut s’affranchir de sa dimension environnementale. La définition des limites, leur matérialisation, l’organisation des espaces frontaliers et le gouvernement des populations qui y vivent tiennent compte, d’une manière ou d’une autre, de l’environnement. Les cours d’eau qui servent de support aux limites et facilitent ou compliquent le passage d’un territoire à l’autre sont évidemment au cœur de ces questions, mais il faut aussi tenir compte des bois des îles du Rhin ou des grandes forêts, des canaux, des carrières, autant d’objets environnementaux largement mis à profit pour construire la province frontière.

Au-delà des exemples de cet article, restreints de près ou de loin à l’hydrographie, cette dimension environnementale de l’Alsace en tant que frontière peut être abordée sous divers angles. Il faut ainsi considérer la logistique nécessaire à l’administration au quotidien d’une province frontière qui accueille des troupes, des officiers, des chevaux qu’il faut loger, nourrir et chauffer, les effets des guerres qui touchent régulièrement la province, ou encore l’utilisation d’autres éléments naturels que les rivières dans le cadre des commissions de limites et les conséquences de ces dernières sur le paysage. En d’autres termes, une histoire environnementale globale de l’Alsace au prisme de la frontière serait possible, qui considérerait les deux dimensions de la notion à l’époque moderne. L’une, juridique et administrative, est immatérielle et sans épaisseur : c’est la limite négociée ou imposée, tracée selon des logiques diplomatiques souvent indépendantes du milieu, mais qui s’y réfère néanmoins, surtout a posteriori. L’autre dimension, concrète et matérielle, est celle du territoire : zone tampon bâtie et aménagée, qui s’appuie sur l’environnement et en dépend. Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de discours et de représentations évoquant des « limites naturelles », d’une adaptation des pratiques ou des politiques à la configuration du milieu ou d’une altération de ce dernier, le rapport à la frontière est aussi un rapport à l’environnement.

1 Lucien Febvre, « Frontière. Le mot et la notion », dans Brigitte Mazon (éd.), Vivre l’histoire, Paris, Laffont, 2009, p. 387-388.

2 Peter Sahlins, « Natural Frontiers Revisited : France’s Boundaries since the Seventeenth Century », The American Historical Review, n° 95/5, 1990, p

3 Ibid., p. 1426.

4 Daniel Nordman, Frontières de France. De l’espace au territoire, xvie-xixe siècle, Paris, Gallimard, 1998, p. 131-192.

5 Ian Whyte, A dictionary of environmental history, London, I.B. Tauris, 2013, p. 1.

6 Georges Livet, L’intendance d’Alsace sous Louis XIV, 1648-1715, Paris, Les Belles Lettres, 1956, p. 659.

7 Archives du Ministère des Affaires Etrangères (désormais MAE), Alsace vol. 12, Commentaire du mémoire de M. de Vanolles du 27 mai 1750 pour prouver

8 Si une rivière a « anciennement » formé la limite nord de l’Alsace – et encore, sur 7 km de son cours seulement – c’est le Selzbach : L. Anton Doll

9 D. Nordman, Frontières de France..., op. cit., p. 64.

10 Peter Sahlins, Boundaries : the making of France and Spain in the Pyrenees, Berkeley, University of California Press, 1989, p. 35 ; Léonard

11 Bibliothèque nationale de France (désormais BnF), département Cartes et plans, GE D-17678, Guillaume Sanson, L’Alsace divisée en ses principales

12 BnF, département Cartes et plans, GE D-17678, Alexis-Hubert Jaillot, L’Alsace divisée en ses principales parties, 1707, en ligne : <http://gal

13 Voir par exemple : Bern Universitätbibliothek Münstergasse, MUE Ryh 2611, 41, Johann Baptist Homann, Landgraviatus Alsatiae tam superioris quam

14 L. Febvre, « Frontière... », op. cit., p. 385-386.

15 Extrait du traité de Paix entre l’Empereur, la France et l’Empire, conclu à Ryswick le 30 octobre 1697 : François-Henri De Boug, Ordonnances d’

16 Ibid., art. XVIII.

17 Ibid., art. LXXXV.

18 Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, Paris, Presses universitaires de France, 2005, p. 188-192, livre II, ch. II-XII à II-XIV ;

19 BnF, ms fr. 25567- NAF 1548, Sébastien le Prestre marquis de Vauban, Mémoire sur la « scituation de Strasbourg, ses deffauts et advantages, et les

20 Ibid, fol. 37r.-37v.

21 Lettre de Louvois au roi, 1er septembre 1679 : François-Michel Le Tellier de Louvois, Lettres de Louvois à Louis XIV (1679-1691) : politique

22 Benjamin Furst, « L’intégration du réseau hydrographique dans les stratégies militaires en Alsace aux xviie et xviiie siècles », dans Laurent

23 Archives d’Alsace, site de Strasbourg (anciennement Archives départementales du Bas-Rhin ; désormais AAS), 4 J 2/3, Jean-Nicolas Mégret de Sérilly

24 G. Livet, L’intendance d’Alsace..., op. cit., p. 630 ; François-Eugène De Vault, Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne sous Louis

25 François de Franquetot de Coigny, Campagne de M. le maréchal duc de Coigny en Allemagne l’an 1743, vol. 1, Amsterdam, Marc-Michel Rey, p. 80.

26 AAS, 4 J 2/3, J.-N. Mégret de Sérilly, Mémoires sur la Province d’Alsace, op. cit., p. 515-516. L’intendant arrondit au supérieur : la carte

27 Lettre de Vauban à Louvois, 20 janvier 1673, cité dans François Lebrun, La puissance et la guerre, 1661-1715, Paris, Points, 1997, p. 156.

28 Archives d’Alsace, site de Colmar (anciennement Archives départementales du Haut-Rhin ; désormais AAC), 5C 1278, Procès-verbal de visite du lac du

29 Emmanuel Garnier, Terre de conquêtes, la forêt vosgienne sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2004, p. 394-399

30 AAC, 2B 5/5, Arrêt du Conseil d’État relatif aux coupes de bois dans les forêts royales de l’évêché de Spire, de Haute et Basse-Alsace, et dans les

31 Archives de la ville et de l’Eurométropole de Strasbourg (désormais AVES), 2 MR 7, Ordonnance de Le Pelletier de la Houssaye sur l’exploitation des

32 AVES, 2 MR 5, Ordonnance de La Grange sur le commerce des grains, 15 décembre 1693.

33 Hidemi Uchida, Le tabac en Alsace aux xviie et xviiie siècles : essai sur l’histoire d’une économie régionale frontalière, Strasbourg, Presses

34 Odile Kammerer, « Les principaux passages sur le Rhin au Moyen Âge », dans Eadem (dir.), Atlas historique du Rhin supérieur. Essai d’histoire

35 AVES, 2 MR 27, Ordonnance du subdélégué Roullin sur le commerce des grains, 14 août 1762.

36 H. Uchida, Le tabac en Alsace..., op. cit., p. 179-180.

37 AVES, 2 MR 13, Ordonnance de Bauyn d’Angervilliers pour la conservation du canal de la Bruche, 7 septembre 1719. Il faut encore ajouter à cette

38 B. Furst, « L’intégration du réseau hydrographique... », op. cit., p. 104.

39 AVES, AA 2112, 22 mars 1755.

40 G. Livet, L’intendance d’Alsace..., op. cit., p. 629.

41 AAS, 4 J 2/3, J.-N. Mégret de Sérilly, Mémoires sur la Province d’Alsace, op. cit.

42 AVES, AA 2112, Requête des habitants de Molsheim contre les habitants et le meunier de Dorlisheim, 1696.

43 BnF, département Cartes et plans, GE C-3229, Plan du fort Louis du Rhin, 1753, en ligne : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53060504r>.

44 MAE, Alsace, vol. 3, Mémoire sur le changement de cours principal du Rhin à Fort-Louis, s.a. [1751].

45 Côté français, les plaintes les plus vives concernent l’attitude de Breisach, qui en vertu du droit de Rheinfall, s’arroge toutes les nouvelles

46 D. Nordman, Frontières de France..., op. cit., p. 315.

47 Ibid., p. 320-321.

48 Stéphane Castonguay, « Faire du Québec un objet de l’histoire environnementale », Globe : Revue internationale d’études québécoises, n° 9/1, 2006

49 Grégory Quenet, Qu’est-ce que l’histoire environnementale, Seyssel, Champ Vallon, 2014, p. 12.

Notes

1 Lucien Febvre, « Frontière. Le mot et la notion », dans Brigitte Mazon (éd.), Vivre l’histoire, Paris, Laffont, 2009, p. 387-388.

2 Peter Sahlins, « Natural Frontiers Revisited : France’s Boundaries since the Seventeenth Century », The American Historical Review, n° 95/5, 1990, p. 1425.

3 Ibid., p. 1426.

4 Daniel Nordman, Frontières de France. De l’espace au territoire, xvie-xixe siècle, Paris, Gallimard, 1998, p. 131-192.

5 Ian Whyte, A dictionary of environmental history, London, I.B. Tauris, 2013, p. 1.

6 Georges Livet, L’intendance d’Alsace sous Louis XIV, 1648-1715, Paris, Les Belles Lettres, 1956, p. 659.

7 Archives du Ministère des Affaires Etrangères (désormais MAE), Alsace vol. 12, Commentaire du mémoire de M. de Vanolles du 27 mai 1750 pour prouver l’étendue des limites de la basse Alsace jusqu’à la rivière de Queich, fol. 376.

8 Si une rivière a « anciennement » formé la limite nord de l’Alsace – et encore, sur 7 km de son cours seulement – c’est le Selzbach : L. Anton Doll, « Die Diözesangrenze zwischen den Bistümern Speyer und Straßburg im Mittelalter », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, n° 147, 1999, p. 9-27 ; résumé dans Idem (dir.) Palatia Sacra, T. I, Bd 2, Mayence, Selbstverlag der Gesellschaft für Mittelrheinische Kirchengeschichte, 1999, p. XIII-XIV.

9 D. Nordman, Frontières de France..., op. cit., p. 64.

10 Peter Sahlins, Boundaries : the making of France and Spain in the Pyrenees, Berkeley, University of California Press, 1989, p. 35 ; Léonard Dauphant, Le Royaume des Quatre Rivières. L’espace politique français (1380-1515), Seyssel, Champ Vallon, 2012.

11 Bibliothèque nationale de France (désormais BnF), département Cartes et plans, GE D-17678, Guillaume Sanson, L’Alsace divisée en ses principales parties dressée sur les memoires les plus nouveaux par le Sr Sanson geographe ordinaire du Roy, 1674, en ligne : <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10224840w> ; Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (désormais BNUS), MCARTE10008, Jacob von Sandrart, Alsatia Landgraviatus und Ober und Unter Elsass, Sündgöw und Brisgöw, 1675, en ligne : <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10223041z>.

12 BnF, département Cartes et plans, GE D-17678, Alexis-Hubert Jaillot, L’Alsace divisée en ses principales parties, 1707, en ligne : <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10224840w> ; Ibid., GE D-10814, Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville, Lorraine, Alsace, 1719, en ligne : <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84689825>.

13 Voir par exemple : Bern Universitätbibliothek Münstergasse, MUE Ryh 2611, 41, Johann Baptist Homann, Landgraviatus Alsatiae tam superioris quam inferi[oris], 1702-1715, en ligne : <http://aleph.unibas.ch/F/?local_base=DSV01&func=find-b&request=1041641> ; BnF, département Cartes et plans, GE C-10479, Giacomo Cantelli, L’Alsazia divisa nel Langraviato dell’Alta e della Bassa Alsazia, nella Suntgovia, nell’Ortnavia e nella Brisgovia, 1690, en ligne : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53100232c> ; BNUS, MCARTE10040, Nicolaes Visscher, Totius Alsatiae novissima tabula, qua simul Sundgovia, Brisigavia, Ortenavia, maxima pars Marchionatus Badensis, 1690, en ligne : <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b102232069>.

14 L. Febvre, « Frontière... », op. cit., p. 385-386.

15 Extrait du traité de Paix entre l’Empereur, la France et l’Empire, conclu à Ryswick le 30 octobre 1697 : François-Henri De Boug, Ordonnances d’Alsace, Colmar, Jean-Henri Decker, 1775, p. XLIX, art. XVI.

16 Ibid., art. XVIII.

17 Ibid., art. LXXXV.

18 Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, Paris, Presses universitaires de France, 2005, p. 188-192, livre II, ch. II-XII à II-XIV ; Samuel von Pufendorf, Le droit de la nature et des gens ou Système général des principes les plus importans de la morale, de la jurisprudence, et de la politique. Tome 1/par le baron de Pufendorf, trad. du latin par Jean Barbeyrac, Amsterdam, H. Schelte, 1706, p. 98 et 302-305, livre III, ch. III-4 à III-7.

19 BnF, ms fr. 25567- NAF 1548, Sébastien le Prestre marquis de Vauban, Mémoire sur la « scituation de Strasbourg, ses deffauts et advantages, et les propriétés généralles et particulières de sa fortification, après l’exécution de son projet achevé », 1681, fol. 71v. Vauban renonce toutefois à cette solution et utilise l’île en question pour construire un fort intermédiaire entre Strasbourg et Kehl.

20 Ibid, fol. 37r.-37v.

21 Lettre de Louvois au roi, 1er septembre 1679 : François-Michel Le Tellier de Louvois, Lettres de Louvois à Louis XIV (1679-1691) : politique, guerre et fortification au Grand Siècle, Paris, Société de l’Histoire de France, 2007, p. 43-44 (original conservé à Vincennes, Service Historique de la Défense, AG, A1 624, fol. 21r.).

22 Benjamin Furst, « L’intégration du réseau hydrographique dans les stratégies militaires en Alsace aux xviie et xviiie siècles », dans Laurent Coumel, Raphaël Morera et Alexis Vrignon (dir.), Pouvoir(s) et environnement, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 95-110.

23 Archives d’Alsace, site de Strasbourg (anciennement Archives départementales du Bas-Rhin ; désormais AAS), 4 J 2/3, Jean-Nicolas Mégret de Sérilly, Mémoires sur la Province d’Alsace, 1751, p. 515.

24 G. Livet, L’intendance d’Alsace..., op. cit., p. 630 ; François-Eugène De Vault, Mémoires militaires relatifs à la succession d’Espagne sous Louis XIV : extraits de la correspondance de la cour et des généraux, Paris, Imprimerie royale, 1835, p. 391.

25 François de Franquetot de Coigny, Campagne de M. le maréchal duc de Coigny en Allemagne l’an 1743, vol. 1, Amsterdam, Marc-Michel Rey, p. 80.

26 AAS, 4 J 2/3, J.-N. Mégret de Sérilly, Mémoires sur la Province d’Alsace, op. cit., p. 515-516. L’intendant arrondit au supérieur : la carte accompagnant le mémoire recense 191 postes.

27 Lettre de Vauban à Louvois, 20 janvier 1673, cité dans François Lebrun, La puissance et la guerre, 1661-1715, Paris, Points, 1997, p. 156.

28 Archives d’Alsace, site de Colmar (anciennement Archives départementales du Haut-Rhin ; désormais AAC), 5C 1278, Procès-verbal de visite du lac du Ballon, 1748.

29 Emmanuel Garnier, Terre de conquêtes, la forêt vosgienne sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2004, p. 394-399

30 AAC, 2B 5/5, Arrêt du Conseil d’État relatif aux coupes de bois dans les forêts royales de l’évêché de Spire, de Haute et Basse-Alsace, et dans les iles (sic) du Rhin, 7 juin 1695.

31 Archives de la ville et de l’Eurométropole de Strasbourg (désormais AVES), 2 MR 7, Ordonnance de Le Pelletier de la Houssaye sur l’exploitation des bois à portée du Rhin, 16 mars 1701 ; AVES 2 MR 7, Ordonnance de Le Pelletier de la Houssaye sur l’exploitation des ormes sur les îles du Rhin, 22 juillet 1701 (c’est cette dernière qui mentionne les ordonnances de La Grange, non conservées). Les successeurs de la Houssaye continuent d’édicter des ordonnances en ce sens au moins jusqu’au milieu du xviiie siècle.

32 AVES, 2 MR 5, Ordonnance de La Grange sur le commerce des grains, 15 décembre 1693.

33 Hidemi Uchida, Le tabac en Alsace aux xviie et xviiie siècles : essai sur l’histoire d’une économie régionale frontalière, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1997, p. 46-89.

34 Odile Kammerer, « Les principaux passages sur le Rhin au Moyen Âge », dans Eadem (dir.), Atlas historique du Rhin supérieur. Essai d’histoire transfrontalière, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2019, p. 132-133.

35 AVES, 2 MR 27, Ordonnance du subdélégué Roullin sur le commerce des grains, 14 août 1762.

36 H. Uchida, Le tabac en Alsace..., op. cit., p. 179-180.

37 AVES, 2 MR 13, Ordonnance de Bauyn d’Angervilliers pour la conservation du canal de la Bruche, 7 septembre 1719. Il faut encore ajouter à cette liste le flottage du bois, une pratique confirmée par une ordonnance de l’intendant Vanolles de 1747, AAS, C 409, Ordonnance interdisant le flottage du bois sur le canal de la Bruche, 16 décembre 1747.

38 B. Furst, « L’intégration du réseau hydrographique... », op. cit., p. 104.

39 AVES, AA 2112, 22 mars 1755.

40 G. Livet, L’intendance d’Alsace..., op. cit., p. 629.

41 AAS, 4 J 2/3, J.-N. Mégret de Sérilly, Mémoires sur la Province d’Alsace, op. cit.

42 AVES, AA 2112, Requête des habitants de Molsheim contre les habitants et le meunier de Dorlisheim, 1696.

43 BnF, département Cartes et plans, GE C-3229, Plan du fort Louis du Rhin, 1753, en ligne : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53060504r>.

44 MAE, Alsace, vol. 3, Mémoire sur le changement de cours principal du Rhin à Fort-Louis, s.a. [1751].

45 Côté français, les plaintes les plus vives concernent l’attitude de Breisach, qui en vertu du droit de Rheinfall, s’arroge toutes les nouvelles îles sur son ban et quel que soit le cours du talweg. BNUS, ms. 4804 : Mémoire contenant les règles fondamentales juridiques et impartiales sur la forme et manière qu’il est permis de faire des digues et autres ouvrages dans le Rhin depuis Bâle jusqu’à Philippsbourg, fol. 1r.

46 D. Nordman, Frontières de France..., op. cit., p. 315.

47 Ibid., p. 320-321.

48 Stéphane Castonguay, « Faire du Québec un objet de l’histoire environnementale », Globe : Revue internationale d’études québécoises, n° 9/1, 2006, p. 47 ; Dan Flores, « Place : An Argument for Bioregional History », Environmental History Review, n° 18/4, décembre 1994, p. 1-18.

49 Grégory Quenet, Qu’est-ce que l’histoire environnementale, Seyssel, Champ Vallon, 2014, p. 12.

Illustrations

Fig. 1. La limite franco-impériale selon A.-H. Jaillot en 1707. Source : Gallica.

Fig. 2. La fortification du Rhin frontière aux xviie et xviiie siècles. B. Furst.

Fig. 3. Plan du Fort-Louis du Rhin en 1753. Source : Gallica.

Citer cet article

Référence papier

Benjamin Furst, « Frontières, limites et environnement en Alsace aux xviie et xviiie siècles », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 17 | 2020, 55-74.

Référence électronique

Benjamin Furst, « Frontières, limites et environnement en Alsace aux xviie et xviiie siècles », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 17 | 2020, mis en ligne le 06 juillet 2023, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=114

Auteur

Benjamin Furst

Benjamin Furst est ingénieur de recherche à l’UR 3436 CRESAT à l’université de Haute-Alsace.

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