Cette journée d’études s’inscrit à la fois dans les thématiques de l’axe de recherche « Transfrontalier, transnational, transcontinental » de l’équipe strasbourgeoise Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe (ARCHE EA 3400) et dans une série de trois manifestations scientifiques dans le cadre d’un projet de recherche international dirigé par Anke Hilbrenner (Université de Göttingen) et financé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). Ce projet, dédié au thème « Sport et violence dans les territoires occupés par l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale en Europe orientale et occidentale », vise à examiner la dynamique des expériences, des appartenances et des loyautés sous l’occupation national-socialiste au-delà des catégories binaires de collaboration et de résistance, élargissant ainsi les perspectives historiographiques. L’histoire du quotidien offre en effet la possibilité d’analyser plus en profondeur différents lieux d’interactions culturelles et sociales potentiellement laissés en marge par les « grandes narrations » de l’histoire politique. La première manifestation, intitulée « Alltag im Zweiten Weltkrieg transnational », s’est tenue à Göttingen en juin 2018 et proposait une mise en perspective de différentes régions de guerre et d’occupation en Europe, ce qui revenait à questionner la séparation entre l’Est et l’Ouest dont est toujours assez fortement empreinte l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale1. Une troisième et dernière manifestation de la série est prévue à Katowice en automne 2019.
La journée d’études strasbourgeoise sera consacrée à la vie quotidienne dans la zone frontalière franco-allemande pendant la première moitié du xxe siècle, l’Alsace étant l’un des territoires phares du projet. Entre 1914 et 1945, cette région s’est trouvée à plusieurs reprises au centre des confrontations guerrières entre la France et l’Allemagne. Les changements d’appartenance nationale, les occupations et les guerres se sont traduits par différentes formes de migrations ainsi que d’expériences de violence qui se sont fortement répercutées sur la vie de la population. Or, l’analyse des pratiques quotidiennes rend également perceptibles certaines formes de normalité dans des contextes particuliers.
Les communications du 14 et 15 mars se pencheront sur des aspects aussi variés que les pratiques de contrôle de la frontière franco-allemande au début du 20e siècle, la sexualité, la communication quotidienne lors des évacuations de 1939-1940, le quotidien des bourreaux au camp de concentration de Natzweiler-Struthof, les contacts économiques pendant l’occupation et enfin les loisirs, en particulier les pratiques sportives. L’étude du sport, considéré comme instrument politique et idéologique de contrôle de la population mais aussi comme lieu de distraction, de déviance et de subversion individuelle, s’inscrit dans une approche pluridimensionnelle du quotidien, sans a priori sur une cohérence quelconque ou un sens clairement défini des pratiques sportives et associatives. C’est cet Eigensinn du sport, sa « subjectivité rebelle » pour reprendre la traduction d’Alexander Neumann2 de ce concept introduit en sciences historiques par Alf Lüdtke,3 qui fait du sport un excellent objet pour analyser la complexité des expériences quotidiennes en région frontalière. Les défis méthodologiques de l’histoire franco-allemande du 20e siècle seront au cœur de la conférence principale de Johannes Großmann qui renverra à un grand nombre d’études menées sur l’histoire de la zone frontalière au cours de la Seconde Guerre mondiale. Une autre intervention mettra en perspective l’espace étudié avec le cas de la Haute-Silésie.
La dimension transnationale sera présente sous plusieurs formes : tout d’abord l’espace étudié est fortement empreint d’échanges et de croisements, de transferts et de circulations transnationales d’objets, de pratiques, de personnes et d’idées. Ensuite, l’approche scientifique décrite plus haut invite à dépasser les catégories et les références nationales. Enfin, les rencontres et les discussions entre chercheurs qui travaillent sur l’histoire du quotidien en France et en Allemagne sont aussi une manière de se diriger vers une culture scientifique transnationale.
Le blog scientifique du projet4 contiendra des résumés de communications puis un rapport de cette journée d’études.
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Comité d’organisation
André Gounot, professeur en histoire du sport, Université de Strasbourg.
Jan Hassink, doctorant en histoire contemporaine, Université de Strasbourg et Georg-August Universität Göttingen.
Programme
Jeudi 14 mars
16h00-16h15. Mot de bienvenue et introduction
16h15-17h15. Nouvelles approches thématiques
Martin Borkowski-Saruhan (Göttingen) : Pourquoi l’Alsace ? Une mise en perspective avec la Haute-Silésie.
Loïc Lutz (Strasbourg) : La vie et le quotidien des bourreaux du camp de concentration de Natzweiler-Struthof (1941-1945).
André Gounot (Strasbourg) : Sportpraxis und mentale Grenzverschiebungen im badisch-elsässischen Raum (1890-1914) / Pratiques sportives et déplacements mentaux de frontières dans l’espace badois-alsacien (1890-1914).
17h30-19h00. Conférence avec débat
Johannes Großmann (Tübingen) : Jenseits der Vogel-Perspektive. Für eine postnationale Geschichte deutsch-französischer Beziehungen / Au-delà de la perspective du vol d’oiseau. Pour une histoire post-nationale des relations franco-allemandes.
Vendredi 15 mars
9h30-10h45. Panel 1 : Rencontres et conflits
Sarah Frenking (Göttingen) : Grenzpolizei im Alltag. Kontrolle, Konflikte, Kontakte an der deutsch-französischen Grenze 1887-1914 / La police des frontières au quotidien. Conflits, contrôles et contacts à la frontière franco-allemande, 1887-1914.
Arne Radtke-Delacor (Göttingen) : Wirtschaftsalltag und Westexpansion. NS-Annexionspolitik diesseits der Nordost-Linie im besetzten Frankreich 1940-1944 / Quotidien économique et expansion vers l’Ouest. La politique national-socialiste d’annexion de ce côté de la ligne nord-est dans la France occupée, 1940-1944.
11h00-12h15. Panel 2 : Sexualité et communication dans des contextes singuliers
Frédéric Stroh (Strasbourg) : Vivre une homosexualité en Alsace au gré des changements de frontière (1914-1945).
Maude Williams (Saarbrücken) : Vivre et communiquer au quotidien lors de l’évacuation de la région frontalière franco-allemande 1939/1940.
13h30-14h45. Panel 3 : Sport, pouvoir et Eigensinn
Ralf Schäfer (Berlin) : Sport. Macht. Deutsche. Sport im nationalsozialistisch besetzten Elsass zwischen politischem Programm, Pragmatismus und Eigensinn / Sport, pouvoir, Allemands. Le sport en Alsace sous l’occupation national-socialiste entre programme politique, pragmatisme et subjectivité rebelle.
Jan Hassink (Göttingen) : Besatzungsalltag jenseits von Kollaboration und Widerstand. Sport und Gewalt im von Deutschland besetzten Elsass (1940-1944) / La vie quotidienne sous l’occupation au-delà de la collaboration et de la résistance. Sport et violence en Alsace sous l’occupation allemande (1940-1944).
15h00-16h00. Discussion et conclusion