Thomas Neuner, Paris, Havanna und die intellektuelle Linke. Kooperationen und Konflikte in den 1960er Jahren

p. 177-180

Référence(s) :

Thomas Neuner, Paris, Havanna und die intellektuelle Linke. Kooperationen und Konflikte in den 1960er Jahren, Constance, UVK Verlagsgesellschaft, 2012, 389 pages.

Texte

  • Fac-similé (PDF – 173k)
  • XML TEI

Issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Cologne, ce livre nous fait découvrir de nombreuses facettes d’une histoire franco-cubaine récente empreinte de projections, de contradictions et de désillusions. Autant dire que la gauche française, son attitude vis-à-vis de la Révolution cubaine et son rôle dans les relations entre Paris et La Havane se situent au cœur de l’étude. Si les commentaires d’intellectuels comme Jean-Paul Sartre, Claude Julien ou Régis Debray sur les transformations à Cuba après la prise de pouvoir de Fidel Castro sont présentés de la manière la plus exhaustive, les réflexions et positions cubaines ne sont pas pour autant négligées dans l’analyse. Leur description rappelle des moments emblématiques comme celui où Roberto Fernández Retamar, écrivain et directeur de la revue cubaine Casa de las Américas, s’est attaqué à l’attitude paternaliste de certains intellectuels européens qui prenaient la posture de conseillers de la Révolution cubaine sans disposer de la moindre expérience révolutionnaire concrète.

L’ouvrage montre toute la richesse d’une histoire des relations internationales culturelles prenant en compte à la fois la situation géopolitique globale et le dispositif des coopérations officielles et officieuses entre deux pays. Les aides techniques venant de la France ainsi que les activités du Comité de liaison scientifique et universitaire franco-cubain (mis en place au début de l’année 1968) font partie des thèmes originaux approfondis par l’auteur. De nombreux exemples relevant du champ étudié illustrent le pragmatisme – parfois déroutant pour les sympathisants occidentaux – affiché par Fidel Castro et ses proches, ainsi que l’évolution progressive de la Révolution cubaine, au cours de la seconde moitié des années 1960, vers un formalisme et un bureaucratisme si typiques des États socialistes d’Europe de l’Est. Plusieurs parties de l’ouvrage jettent également une nouvelle lumière sur les aspirations cubaines à jouer le rôle de leader dans la lutte anti-impérialiste mondiale. À travers l’un des chapitres centraux, le lecteur assiste en différé aux débats menés sur le rôle de l’intellectuel à l’occasion du Congrès culturel qui a eu lieu en janvier 1968 à La Havane avec une forte présence française. De plus en plus ouvertement, l’intellectuel cubain se voit contraint et réduit à la fonction d’apôtre professionnel de la Révolution, autrement dit du régime en place. En fait, la lune de miel entre l’État et le monde artistique et littéraire a duré moins de trois ans puisque c’est en juin 1961 que Fidel Castro a défini le cadre créatif à travers ce simple jeu de question-réponse : « Quels sont les droits des écrivains et des artistes révolutionnaires et non révolutionnaires ? Dans la révolution, tout ; contre la révolution, rien ! ». Dès lors, l’Union nationale des Écrivains et Artistes de Cuba (UNEAC), fondée la même année, fait partie de l’appareil de répression. Le Premier Congrès national d’Éducation et de Culture en 1971 et la célèbre autocritique livrée par le poète Heberto Padilla devant ses collègues et camarades de l’UNEAC, en application d’un schéma stalinien « classique », ne sont alors que l’aboutissement d’un processus déjà bien avancé et passablement contradictoire avec la notion de liberté d’esprit chère aux intellectuels français.

Le travail de Thomas Neuner est particulièrement convaincant sous deux aspects méthodologiques. Premièrement, l’auteur montre un très haut degré de neutralité vis-à-vis de l’expérience cubaine si souvent observée à partir d’une position idéologique déclarée ou implicite. C’est peut-être un effet de génération, peut-être aussi une différence entre les cultures scientifiques française et allemande ; en tout cas, il est intéressant de noter à ce sujet que deux universitaires français qui ont réalisé des publications sur l’histoire de Cuba, Jeannette Habel et Paul Estrade, apparaissent ici beaucoup moins comme références scientifiques que comme militants de l’époque, dont les témoignages ont d’ailleurs contribué à la connaissance intime des groupements d’amitié franco-cubaine dont dispose l’auteur. Deuxièmement, l’étude s’appuie sur une quantité impressionnante de sources écrites, rassemblées dans des archives publiques et privées en Allemagne, en France et à Cuba, auxquelles s’ajoutent les témoignages oraux de plus de trente acteurs historiques. Il convient aussi de saluer le style d’écriture qui, dès l’introduction et l’exposition du cadre théorique (notamment du concept d’interaction transculturelle), se démarque nettement de la pesanteur dont souffrent si fréquemment les pages de thèses publiées.

La structure de l’ouvrage est cohérente, et peu de longueurs apparaissent à travers les chapitres qui se concluent toujours de manière pertinente. Qu’il dépasse parfois le cadre fixé par son titre n’est pas un désavantage, au contraire : en abordant les débats et divisions au sein de l’Union des Étudiants communistes et de l’Association France-Cuba, première organisation européenne de soutien au régime castriste fondée en 1961, il apporte de nouveaux éclairages sur le Parti communiste français et ses organisations auxiliaires des années 1960. En particulier, il fournit des détails peu connus sur l’apparition et les caractéristiques de courants au sein desquels se mêleront désenchantement vis-à-vis du modèle soviétique et attraction quant aux événements révolutionnaires dans les Caraïbes.

On est seulement amené à émettre des réserves par rapport à certains passages où l’exposition minutieuse d’idées formulées par les acteurs dans un mode de discours propre à certaines branches de la gauche des années 1960 (et par conséquent assez ésotérique pour tout lecteur non averti) ne semble pas entièrement justifiée par l’effet que les propos théoriques ont eu sur les réalités relationnelles. L’histoire des idées prend alors un aspect un peu stérile. Le même penchant pour l’exhaustivité a trouvé son expression dans des notes de bas de page couvrant parfois presque la feuille entière. Elles ont néanmoins le mérite d’attester d’une recherche documentaire extrêmement poussée. À part cela, un index des noms aurait été nettement plus utile que la seule reproduction, en annexe, de la liste des participants au Congreso cultural de La Havane.

Les informations se densifient considérablement à partir de la page 255, quand la mort de Che Guevara, la Guerre du Vietnam, le mouvement de protestation international et Mai 68 constituent autant de facteurs entrant dans la réflexion sur la dégradation progressive des relations franco-cubaines. Manifestement, la double stratégie de la politique extérieure cubaine, c’est-à-dire la tentative de s’assurer du soutien à la fois des milieux contestataires et du gouvernement français, touche à ses limites. Pire encore, elle prend des allures d’échec total comme l’atteste la reconstitution détaillée des faits et interactions. Sur la base de fausses informations transmises par les services secrets, le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin perçoit le Campamento 5 de Mayo (nom honorant le 150e anniversaire de la naissance de Karl Marx) comme un camp d’entraînement destiné à préparer des « activités subversives » en France, alors qu’il s’agit d’un stage politico-éducatif plutôt anodin auquel participent effectivement des jeunes Français. Ainsi, le processus déjà en cours de distanciation gouvernementale à l’égard de Cuba s’accélère. Presque simultanément, le silence très diplomatique du gouvernement cubain à l’égard des événements de Mai 68 en France, de la même manière que sa complaisance avec l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie, déçoit profondément un grand nombre de sympathisants français. C’est une étape décisive sur le chemin de la désillusion, après tant d’années où la violation évidente des droits de l’homme sous le régime castriste a pu semer le doute.

Il aurait été intéressant de compléter l’analyse des relations bilatérales par un regard ponctuel vers d’autres pays, tout particulièrement le Mexique, l’un des seuls États d’Amérique latine ayant maintenu ses relations diplomatiques avec Cuba tout au long des années 1960. On aurait pu alors mieux cerner les dimensions du « pragmatisme » cubain. En effet, Castro n’a pas soutenu le mouvement étudiant mexicain et ses revendications pour une société plus démocratique et plus égalitaire. Au contraire, après le massacre de Tlatelolco, le 2 octobre 1968 (dix jours avant l’ouverture des Jeux olympiques de Mexico, dénoncés par les étudiants comme un gaspillage financier indécent), il a empêché la presse cubaine tout comme les étudiants mexicains vivant à Cuba de manifester la moindre critique publique vis-à-vis des autorités mexicaines responsables de ce crime. De la même manière, les accords de coopération économique entre Cuba et l’Espagne de Franco auraient mérité d’être mentionnés, surtout dans la mesure où ils ont pu avoir des répercussions sur les relations entre La Havane et Paris, en amenuisant le besoin cubain de recevoir une aide technique française.

Il est clair cependant qu’une thèse ne peut pas couvrir tous les aspects potentiellement utiles à son argumentation. En tout état de cause, le travail de Thomas Neuner est d’une haute qualité scientifique et constitue un réel pas en avant pour la recherche historique sur Cuba, par sa forme, ses méthodes et ses contenus, tout en apportant également de nouveaux éclairages sur le communisme français des années 1960. Il reste à souhaiter que les résultats de cette étude soient rapidement accessibles en langue française.

Citer cet article

Référence papier

André Gounot, « Thomas Neuner, Paris, Havanna und die intellektuelle Linke. Kooperationen und Konflikte in den 1960er Jahren », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 7 | 2015, 177-180.

Référence électronique

André Gounot, « Thomas Neuner, Paris, Havanna und die intellektuelle Linke. Kooperationen und Konflikte in den 1960er Jahren », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 7 | 2015, mis en ligne le 20 octobre 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=332

Auteur

André Gounot

Autres ressources du même auteur

  • IDREF
  • ORCID
  • ISNI
  • BNF

Articles du même auteur

Droits d'auteur

Licence Creative Commons – Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International (CC BY-NC-SA 4.0)