André Chastel, en écrivant que le champ d’intervention de l’inventaire des richesses artistiques de la France s’étendait de « la cathédrale à la petite cuillère », entendait inclure tous les objets appartenant à l’activité humaine. En s’appropriant et en détournant cette expression, maintes fois reprise1, ce colloque cherche à aborder l’implication de l’architecte dans l’idée de globalité du projet architectural. Dans les traités d’architecture du xviiie siècle, apparaît l’idée d’une unité décorative dans les espaces d’habitation qui inclut l’ameublement. Néanmoins, il faut attendre la fin du xixe siècle pour que s’impose l’adéquation entre l’habitat et son décor intérieur – des revêtements muraux au mobilier, en passant par les arts de la table. Depuis l’énoncé de William Morris, « la véritable unité de l’art est un bâtiment avec tout son mobilier et toutes ses ornementations2 », les architectes et les décorateurs n’ont cessé de revendiquer cette conception de la création à laquelle parvinrent les acteurs de l’Art nouveau avec leur idéal de l’œuvre d’art total. Nombreux, en effet, sont les architectes qui, depuis la fin du xviiie siècle et jusqu’à nos jours, ont développé des projets qui relèvent de la décoration intérieure ou de l’objet mobilier3, à l’image de Charles Percier4 ou de Zaha Hadid, dont la forme organique de certains des meubles rappelle celle de son architecture5. On pourrait également citer Jean Nouvel qui, en 1995, créa Jean Nouvel Design (JND), un atelier parallèle à sa société d’architecture6. Inversement, certains acteurs du monde du design, par leur traitement de l’espace, s’approchent du domaine de prédilection de l’architecte : on peut notamment citer Philippe Starck7 ou encore les frères Ronan et Erwan Bouroullec8 et Matali Crasset.
Par-delà la figure de l’architecte-décorateur, pourront également être évoquées les relations que l’architecte entretient avec le décorateur dans le cadre d’un projet précis. L’œuvre ainsi produite, fruit de la collaboration étroite de deux artistes aux compétences différentes et complémentaires, se différencie-t-elle de celle pensée dans sa globalité par le seul architecte ? Que dire des relations entre ces acteurs : comment se passe la collaboration ? Quelle est la répartition des tâches ? Une hiérarchie se met-elle en place ? Quelle est la place du commanditaire – qu’il soit privé ou public – dans la répartition des rôles ?
Pourra également être évoqué le décorateur faisant œuvre d’architecte – ou usant du titre d’architecte, à l’exemple, pour n’en citer que quelques-uns, d’Armand Albert Rateau9, qui s’associa en 1921 avec Jeanne Lanvin pour fonder la société « Lanvin-décoration », ou de Pierre Chareau, dont Francis Jourdain affirmait qu’il « […] n’a pas cessé – quelle que fût la charge par lui assumée – de faire œuvre d’architecte. Ses dons d’invention, il les a appliqués, non pas à décorer la demeure, mais bien plutôt à la penser, à l’organiser en fonction de l’occupant […]10 ». Ici Jourdain proposait en creux une répartition des tâches habituellement dévolues à l’architecte et au décorateur, accordant au second un rôle somme toute accessoire dans la réalisation de l’espace domestique.
L’objectif de ce colloque est, d’une part, de saisir l’implication des architectes dans la conception de l’aménagement intérieur et de l’ameublement du xviiie siècle à nos jours, en contribuant ainsi à une meilleure connaissance de la profession d’architecte, de ses pratiques, de la formation qui permet d’y accéder ou de la constitution de ses prérogatives au cours de la période contemporaine11. D’autre part, ce colloque fait suite à plusieurs manifestations scientifiques consacrées à la question de la figure de décorateur et à son rôle dans l’aménagement de l’architecture et à la relation entre le décor et l’architecture à l’époque moderne12. Il entend donc également poursuivre les recherches autour du métier de décorateur, autant dans sa formation que l’exercice de son activité.
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Comité scientifique
Jérémie Cerman, maître de conférences en Histoire de l’art contemporain, Sorbonne Université
Anne-Marie Châtelet, professeur d’Histoire et culture architecturales, École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg
Rossella Froissart, professeur d’Histoire de l’art contemporain, Université Aix-Marseille
Gilles Marseille, maître de conférences en Histoire de l’art contemporain, Université de Lorraine
Christine Peltre, professeur d’Histoire de l’art contemporain, Université de Strasbourg.
Comité d’organisation
Hervé Doucet, maître de conférences en Histoire de l’art contemporain, Université de Strasbourg.
Aziza Gril-Mariotte, maître de conférences en Histoire de l’art, Université de Haute-Alsace
Programme
Mercredi 20 mars
14h. Session 1 : L’œuvre d’art total.
Strasbourg, nouveau Patio, amphithéâtre Alain Beretz.
Priska Schmückle von Minckwitz (doctorante, Sorbonne Université) : Henry van de Velde, architecte de la couleur.
Paola Cordera (chargée de recherche, Politecnico di Milano, Scuola del Design) : L’atelier milanais d’Eugenio Quarti entre artisanat et industrie.
Eléa Le Gangneux (doctorante, Sorbonne Université) : La Maison-Atelier des designers Janine Abraham et Dirk Jan Rol (1966-1980).
Anne-Laure Sol (conservatrice du Patrimoine, Service régional de l’Inventaire Île-de-France) : « Les meubles sont les fondations humaines, les ports de l’habitation », architecture et mobiliers d’Hervé Baley (1933-2010) et Dominique Zimbacca (1928-2011).
Jeudi 21 mars
9h30. Session 2 : Théories et pratiques.
Strasbourg, nouveau Patio, amphithéâtre Alain Beretz.
Carl Magnusson (assistant en histoire de l’art, Université de Neuchâtel) : L’unité comme carcan au sein des débats sur la décoration dans la France du xviiie siècle.
Eline Stoop (doctorante, Université de Bruxelles) : A modernist paradox in interwar architectural Journals : Belgium in an international perspective.
Audrey Jeanroy (maître de conférences associée à l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon) : Les intérieurs obliques de Claude Parent ou la démonstration d’un projet architectural impossible.
Camila Gui Rosatti, (post-doctorante, Université de Sao Paulo) : De l’art décoratif au « design d’intérieur » : naissance et diversité du goût moderne dans le milieu cosmopolite des architectes de Sao Paulo des années 1950.
14h. Session 3 : L’architecture dans son environnement.
Strasbourg, nouveau Patio, amphithéâtre Alain Beretz.
Amandine Clodi, (doctorante, Université de Strasbourg) : Tendances architecturales et décoratives dans l’entre-deux-guerres à Strasbourg : l’exemple du quartier suisse.
Delphine Jacob (docteur en Histoire de l’art, professeur d’arts appliqués) : Pierre Guariche (décorateur des programmes de l’architecture des loisirs).
Cécile Modanese, (doctorante, Université de Haute-Alsace et animatrice du patrimoine) : Le jardin arboré : un écrin pour l’immeuble.
Camille Lesouef (doctorante et ATER, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : Architectes vs. jardiniers : un conflit professionnel à l’origine d’une réforme du jardin privé.
Vendredi 22 mars
9h30. Session 4 : L’objet dans l’architecture
Mulhouse, campus Fonderie, salle des colloques.
Aziza Gril-Mariotte (maître de conférences, Université de Haute-Alsace), L’architecte et le tissu, ou comment le décor textile a participé à la notion d’unité décorative dans les intérieurs au xviiie siècle.
Barbara Lasic (maître de conférences, University of Birmingham) : Opulence by Design : Mewes and Davis and the Reconstruction of the Ancien Régime at the turn of the Nineteenth-Century.
Jérémie Cerman (maître de conférences, Sorbonne Université) : La société Maurice Dufrène & Cie (1912-1921).
Élise Koering (enseignante, École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg) : Le Corbusier-Charlotte Perriand 1927 : une collaboration improbable ?
Cécile Poulot (doctorante contractuelle, Université Sorbonne-Nouvelle et Università della Svizzera) : Le catalogue de meubles d’Adolf Loos : entre réemploi et nouvel agencement.
14h. Session 5 : Métiers
Mulhouse, campus Fonderie, salle des colloques.
Daniela Prina (chargée de cours, Faculté d’Architecture, Université de Liège) : Une alternative à l’enseignement académique. La formation aux métiers de l’architecture dans les écoles des faubourgs bruxellois dans la deuxième moitié du xixe siècle.
Alexis Markovics (directeur pédagogique, École Camondo) : Profession d’architecte d’intérieur.