Nouvelles données pour la connaissance des environnements sommitaux : étude archéologique des marcairies du Rossberg (68) et perspectives interdisciplinaires

New data for understanding summit environments: an archaeological study of the marcairies on the Rossberg massif (68) and new avenues for interdisciplinary research

Neue Daten für die Kenntnis der Gipfelumgebungen: Archäologische Studie der marcairies du Rossberg (68) und interdisziplinäre Perspektiven

DOI : 10.57086/sources.870

p. 61-76

Résumés

Deux interventions archéologiques ont été effectuées en 2019 et 2020 sur la chaume du Rossberg (68) à l’emplacement des vestiges de deux marcairies modernes. La mise au jour des restes de ces bâtiments regroupant des activités pastorales de moyenne montagne apporte de nouvelles données sur l’architecture d’estive pour la période moderne. En sollicitant une approche volontairement interdisciplinaire pour questionner les environnements de moyenne montagne, l’ensemble a permis de produire une analyse globale des modalités d’occupation des sommets et de discerner une transition dans les pratiques constructives au tournant des xviie et xviiisiècles.

Two archaeological surveys were carried out in 2019 and 2020 on the stubble on the Rossberg massif (68) at the site of the remains of two modern marcairies. The excavation of the remains of these buildings, which were used for pastoral activities in mid-mountain areas, provides new data on the architecture built for the summer grazing periods in the modern period. By adopting a deliberately interdisciplinary approach to examine mid-mountain environments, we have been able to produce an overall analysis of how the summits were occupied and to detect a transition in building practices at the turn of 18th century.

Zwei archäologische Arbeiten wurden in den Jahren 2019 und 2020 auf dem Stoppelfeld des Rossbergs (68) an den Stellen durchgeführt, an denen sich die Überreste von zwei modernen marcairies (Almen) befanden. Die Ausgrabung der Überreste dieser Gebäude, die der mittelgebirgischen Weidewirtschaft dienten, liefert neue Erkenntnisse über die Architektur der Sömmerungsgebiete in der Neuzeit. Durch einen bewusst interdisziplinären Ansatz, der die Umgebung in den Mittelgebirgen in den Blick nimmt, konnte eine umfassende Analyse der Besiedlungsmodalitäten auf den Berggipfeln erstellt und ein Übergang in den Baupraktiken an der Wende vom 17. zum 18 erkannt werden.

Plan

Texte

  • Fac-similé (PDF – 1020k)
  • XML TEI

La méthodologie scientifique de l’archéologie est traditionnellement tournée vers la prise en considération de données produites par d’autres disciplines, dans le but d’interpréter judicieusement les vestiges découverts et d’en comprendre les contextes. Cette pluridisciplinarité englobe de nombreuses spécialités à cheval entre les sciences humaines et les sciences de la nature, et s’observe par exemple à travers le recours à l’archéométrie1. De la même manière, toute opération archéologique – qu’elle soit préventive ou programmée – accorde une place essentielle aux sources historiques et aux données issues des archives. Exploités en amont et lors des phases de traitement des données finales (dites « post-fouilles »), les renseignements qui en découlent se révèlent essentiels à la compréhension d’un site. Ces fondements méthodologiques ont pu être à la fois vérifiés et questionnés dans le cadre de l’étude consacrée au Rossberg.

Une série de deux campagnes archéologiques a été menée sur un des sommets les plus méridionaux du massif vosgien. Engagées à l’origine dans le cadre d’une thèse en histoire environnementale2, les opérations archéologiques ont été pleinement ancrées dans une logique interdisciplinaire, dans la mesure où ce site a pour particularité d’avoir été étudié à plusieurs reprises par des équipes de recherche de divers domaines depuis la fin des années 1990. Les données produites à l’occasion des fouilles de 2019 et 2020 ont dès l’origine été destinées à former un discours général, capable de questionner l’interdisciplinarité construite autour d’un objet d’étude commun qui s’appuierait sur les interrogations épistémologiques engagées aujourd’hui par l’histoire et les humanités environnementales. L’intention est ainsi de présenter la manière dont une fouille, respectant les canons méthodologiques de la discipline archéologique, peut apporter des éléments inédits et essentiels à des questionnements environnementaux globaux3.

Contexte général des marcairies du massif du Rossberg

Le massif du Rossberg se situe dans la partie méridionale du massif vosgien, à cheval entre les vallées de la Thur et de la Doller. Sa partie sommitale se compose d’un vaste pâturage d’altitude sur près de 170 hectares et comprend une succession de sommets secondaires. Les marcairies, bâtiments d’estive auxquels est consacrée l’étude, se trouvent au cœur de cette chaume, au niveau du replat formé entre les deux points culminants du Rossberg à l’ouest (1 192 mètres d’altitude) et du Thanner Hubel à l’est (1 183 mètres d’altitude). Plus précisément, le site étudié se trouve sur le versant sud de ce replat, à 200 m en aval de la ligne de crête et de l’actuel refuge de la Waldmatt (Ski Club Rossberg). L’ensemble de la partie sondée se trouve sur le ban communal de Masevaux-Niederbruck, à proximité immédiate de la limite communale avec Bourbach-le-Haut. La parcelle de pâturage sur laquelle se trouve la chaume est aujourd’hui encore exploitée pour l’élevage bovin dans le cadre de la pratique de l’estive. À 1 080 mètres d’altitude, ce secteur est caractérisé par une pente inférieure ou égale à 19 %.

Le terme générique4 de « marcairie » désigne un type de bâtiment spécialisé abritant les activités pastorales d’estive des sommets vosgiens, dans une région très majoritairement engagée dans l’élevage bovin5. Propre au massif, ce terme et ses dérivés sont attestés au moins depuis le xve siècle. Il tire son nom du marcaire (Melker, Malker en alsacien), qui désigne dans les Hautes-Vosges la personne chargée de traire le bétail, autrement dit le gardien de troupeau qui s’assure également de la transformation du lait et de la production de fromages. La marcairie s’impose comme le cœur d’un système complexe fondé sur l’exploitation pastorale par les populations des vallées proches des chaumes d’altitude. Ce modèle traditionnel, que l’on retrouve dans la plupart des massifs d’Europe occidentale, repose sur des ressources et des dispositions que les sociétés locales cherchent à valoriser : un terrain au relief praticable (avec une pente limitée), un pâturage ouvert et entretenu pour le bétail, une forêt et une lisière suffisamment proches pour se fournir en bois, et un accès à l’eau, le plus souvent avec la proximité d’une source pour le marcaire et le bétail. Ces conditions permettent d’entrevoir l’existence d’un rapport étroit construit entre les sociétés et un milieu à valoriser fondé sur des équilibres parfois instables : source qui se tarit, forêt qui s’agrandit après des années d’abandon, etc. C’est au travers de ce rapport historiquement établi que la marcairie s’impose comme un objet d’étude environnemental privilégié.

L’architecture générale de ces bâtiments d’estive se caractérise par l’existence de plusieurs modèles et organisations en fonction de leur altitude et de leur situation dans l’étagement, comme l’a proposé Jérôme Raimbault dans son étude consacrée à la vallée de Munster6. On distingue alors principalement deux types de grandes marcairies sur les chaumes situées au-delà de 1 000 mètres d’altitude : la marcairie monobloc, sous un toit unique, et la marcairie à logis et étable accolés en ligne droite avec des toits individuels. Une typologie complète des bâtiments d’estive reste néanmoins difficile à établir à partir des marcairies encore en élévation aujourd’hui dans le massif. Même si elles témoignent d’une architecture originale propre à la région, leur évolution demeure mal connue, ou bien se fonde sur des informations très lacunaires. Les plus anciens bâtiments d’estive conservés, souvent intégrés à des exploitations plus grandes ou transformés aujourd’hui en fermes auberges, ne remontent pas au-delà du xviiie siècle.

Le massif du Rossberg : entre archives et données géographiques

Les sources d’archives ont permis d’établir tôt une première chronologie du partage du massif à partir du haut Moyen Âge entre les abbayes bénédictines de Masevaux (fondée en 728) qui contrôle la vallée de la Doller, et de Murbach (fondée en 727) qui contrôle la basse vallée de la Thur7. Jusqu’à la période révolutionnaire et la disparition de ces communautés religieuses, les chaumes restent partiellement sous leur autorité. À partir du xive siècle au moins, les abbayes doivent en effet faire face à plusieurs revendications et changements dans les rapports de force. Ces informations transparaissent dans les archives, surtout à travers les documents qui témoignent d’une multiplication des cas de litiges autour de la propriété ou des droits d’usage des chaumes. Plusieurs cartes modernes donnent des précisions très intéressantes indiquant des rapports à l’espace et des figures représentant les marcairies du massif (fig. 1).

Aux données issues des archives s’ajoutent celles issues d’études des sols. Ces approches complémentaires et la confrontation entre les différentes informations permettent, lorsque cela est possible, d’élaborer un récit plus complet de l’histoire d’un environnement. Le Rossberg a ainsi fait l’objet de plusieurs études géomorphologiques produites par les géographes de l’UMR 7362 LIVE, notamment dans le cadre de la thèse de géographie de Stéphanie Goepp8. Cette dernière a proposé en 2007 de reconstituer plusieurs phases d’anthropisation et d’évolution du paysage sommital9 à partir notamment d’analyses anthracologiques10. Si, au Néolithique, l’état du massif du Rossberg a pu se résumer à « une absence ou une quasi-absence de traces d’anthropisation », Stéphanie Goepp met en évidence jusqu’au Bronze ancien (avant 1500 av. J.-C.), l’existence supposée de quelques clairières, mais surtout d’une continuité du massif forestier des sites d’altitude. Au Rossberg, l’âge du Bronze final (1400 à 800 av. J.-C.) marque un tournant dans l’évolution des paysages sommitaux avec la présence attestée d’une première phase de défrichement par le feu. Trois charbons de l’étude de Goepp viennent ensuite renseigner l’existence d’une seconde phase de défrichement pour La Tène (450-50 av. J.-C.), puis pour la période romaine (50 av. J.-C.-500 ap. J.-C.). L’hypothèse mise en avant est alors celle d’une réouverture par brûlis des pâturages précédents, mal entretenus ou abandonnés, avec une alternance entre des phases de recolonisation par des espèces végétales pionnières et des phases de réutilisation et d’entretien des pâturages. L’environnement des sommets ne se caractérise donc pas par l’existence d’un paysage stable, mais bien par une série de fluctuations dans le temps long, en fonction des relations qui existent et se recomposent entre ces environnements et les sociétés locales qui cherchent à les valoriser. Ce constat se confirme pour les périodes médiévale et moderne : la réouverture des pâturages durant les premiers siècles de la période médiévale concorde plus globalement avec l’observation de parcellaires et de structures alto-médiévales sur les sites d’altitude qui pourraient démontrer l’engagement par les nouveaux propriétaires monastiques de politiques de valorisation11. Après un apogée du système agro-pastoral situé par les géographes à la fin du xvie siècle, date à laquelle se fixent les droits d’usage dans les archives, la reprise forestière observée au xviie siècle est suivie au xviiie siècle d’une nouvelle phase de défrichements au Rossberg, pour atteindre un nouvel apogée de l’extension du pâturage dans la première moitié du xixe siècle12.

Application de la méthodologie archéologique à l’étude des marcairies

L’étude archéologique a porté sur un secteur renfermant les vestiges de deux marcairies distinctes situées sur une parcelle aujourd’hui encore exploitée pour l’élevage bovin. Leurs ruines, difficilement détectables dans le paysage, sont perceptibles par des roches affleurantes et de légers aplanissements anthropiques. Les deux bâtiments occupent chacun une superficie d’environ 200 m² et sont séparés l’un de l’autre de près de 60 mètres. La lisière actuelle de la forêt est située à environ 70 mètres en contrebas, précédée par l’emplacement d’une source servant actuellement d’abreuvoir pour les bovins.

Les sondages archéologiques de 2019

En amont des fouilles plus extensives a été menée une première campagne à l’été 2019, afin de comparer deux états de ces marcairies proches, non contemporaines l’une de l’autre13. Un sondage a été creusé dans chacune d’elles, sur leur mur aval, en essayant de retrouver un mur de refend interne.

Plusieurs observations ont pu être réalisées : les maçonneries de ces deux bâtiments retrouvées peu profondément se signalent par une mise en œuvre semblable avec l’installation de parements extérieurs composés de blocs de pierre locale volcanique légèrement équarris, mais ne formant pas d’assises. Quelques nodules de chaux ont été décelés au pied des parements de la marcairie la plus récente : sans doute les seules traces de rejointoiements externes à la chaux. Les maçonneries comprennent, pour le reste, un blocage de nombreux fragments du même type de roche, installé entre les deux parements. De façon générale, l’appareil en pierre visible dans ces deux sondages précise l’aspect rustique des constructions, lié à une adaptation des techniques à l’environnement de moyenne montagne et aux ressources accessibles. Ces pratiques témoignent de savoirs techniques vernaculaires, tels qu’ils peuvent être observés dans d’autres régions de montagne. Une récupération systématique des blocs de construction anciens a pu être confirmée, à destination de bâtiments plus récents et successifs édifiés sur la chaume. Très peu de mobilier archéologique a en revanche été découvert, réduisant la possibilité d’interprétations plus fines sur l’occupation des lieux.

Ces premiers sondages n’ont pas permis en effet d’obtenir des indices précis sur l’organisation interne de ces marcairies et leur chronologie. L’approche comparative a néanmoins conduit à favoriser l’hypothèse de départ fondée sur une première interprétation des archives : une nouvelle marcairie est implantée à l’initiative de la ville de Masevaux en 1756-1757 afin de remplacer une marcairie plus ancienne et en mauvais état.

La fouille archéologique de 2020

L’objectif de l’intervention extensive de 2020 a été d’affiner les éléments des sondages en se concentrant sur le mur amont de la marcairie la plus ancienne. Ce mur a peut-être protégé du lessivage des éléments présents à l’intérieur du bâtiment, et s’avère potentiellement mieux conservé que son mur aval.

La fouille a été précédée d’une prospection géophysique réalisée à l’emplacement de cette marcairie ancienne et son environnement proche. Réalisée par Bruno Gavazzi de l’Institut du Globe de Strasbourg (EOST), cette prospection a permis de produire des imageries du sous-sol offrant différentes échelles d’observation des vestiges enfouis. La méthode mise en œuvre a consisté en une mesure à environ 0,75 m du sol des anomalies du champ magnétique. Plusieurs signaux ont pu être visibles sur la carte d’anomalie produite et, en premier lieu, les traces de murs du bâtiment concerné ainsi que plusieurs anomalies précises pouvant correspondre à des creusements et terrassements anthropiques. Cette intervention nous a alors permis de situer plus précisément l’emprise de la fouille.

La phase dite de terrain s’est ensuite déroulée sur trois semaines, suivant les méthodes classiques de la discipline archéologique. Pour commencer, un décapage manuel effectué sur près de 65 m² a consisté à enlever les mottes de pâtures supérieures afin de dévoiler les vestiges présents en dessous. Les mottes ont été replacées à la fin de l’intervention pour avoir le moins d’impact possible sur le milieu naturel14. Toute la longueur du mur amont a pu être mise au jour (fig. 2), afin de permettre une bonne lecture de l’ensemble de la maçonnerie et ainsi percevoir des différences d’appareil et d’aménagements internes.

Deux pièces distinctes, construites en une ou deux phases, ont ainsi été mises au jour (fig. 3). Une première grande pièce à l’ouest de 16 × 7 m est composée d’un mur avec une arase affleurant tout juste le sol actuel. Ce mur comprend deux assises de moellons et blocs irréguliers en pierre locale et surmontées de dalles plates peu épaisses successives (fig. 4). Deux retours de murs descendant vers le sud ont été moins bien conservés. Ce qui peut être considéré comme un mur bahut a alors pu être destiné à recevoir une élévation en bois, avec une sablière basse. Elle pouvait être composée d’un pan de bois, d’un ensemble de madriers superposés ou alors plus hypothétiquement, d’un bardage en bois vertical, le tout surmonté d’une charpente et d’une couverture en bardeau15. Néanmoins, ce mur bahut supposé de 35 cm de largeur paraît trop fin pour supporter une élévation. Un niveau d’occupation à l’intérieur de cette pièce est perceptible : des résidus de limon grisâtre et quelques fragments de charbon de bois permettent de suggérer la présence ancienne d’un niveau de sol en terre battue. Ce dernier, laissant peu de traces, a sans doute été largement lessivé et perturbé par le réseau racinaire dense de la prairie actuelle.

Une seconde pièce à l’est de 7 × 7 m a ensuite été mise au jour avec une maçonnerie différente. Son élévation est plus difficile à appréhender. Le corps de son mur nord se compose d’un alignement de petits blocs irréguliers scandés de petites cavités entre 25 et 30 cm de diamètre, considérées comme des trous de poteaux ou de piquets, calés par des petits blocs de pierres (fig. 5). Plusieurs exemplaires de ces piquets ont été retrouvés en place lors de la fouille, dans ces trous aménagés pour les accueillir. Cette maçonnerie à l’est était sans doute constituée d’une base avec des blocs de pierre (servant de calage), supportant une élévation en matériaux périssables composée de piquets en bois et d’un clayonnage intermédiaire. L’utilisation de torchis est hypothétique et ne peut pas être affirmée dans la mesure où aucun incendie n’a eu lieu, qui aurait permis d’en conserver des traces sur le long terme. L’argile prélevée sur place demeure toutefois utilisée en liant entre les blocs de pierre du mur. Les matériaux composant le clayonnage (petits branchages de bois) et le torchis (en terre et paille) ont pu être récupérés et même détruits sur place au moment de l’abandon du bâtiment. Extrêmement biodégradables, ils auraient laissé peu de traces. Néanmoins, ces poteaux de bois verticaux peuvent révéler une construction à pans de bois, mais peuvent aussi correspondre à une cloison d’enclos. Si on en connaît mal les usages concrets sur les sites d’altitude, en dépit de la proximité de la ressource, le recours au bois de marnage s’impose aussi bien en Alsace qu’en Lorraine pour les périodes médiévale et moderne16. La faible épaisseur des piquets retrouvés (3,5 cm de diamètre pour les plus gros fragments conservés) ne semble pas révéler une construction devant supporter une couverture, à moins qu’ils aient été en réalité plus épais. Ces données archéologiques attestent d’un bâtiment à matériaux mixtes avec bases en pierres et élévations en matériaux périssables, composé au maximum de deux pièces aux fonctions qu’il n’a pas été possible de préciser strictement par l’archéologie. Aucun aménagement interne lié à l’occupation n’a en effet pu être décelé, mais ce bâtiment semble pourtant reprendre le plan connu des grandes marcairies, c’est-à-dire avec une étable et un logis attenant.

Les indices d’occupation se sont avérés néanmoins plus nombreux dans cette pièce orientale où un certain nombre de clous et de fragments de verre ont été retrouvés. Un plat fragmenté en terre cuite avec des décors polychromes a par ailleurs été découvert en place au niveau de l’espace intérieur de la pièce. Concernant la datation de la dernière occupation du lieu, l’étude par un céramologue de l’ensemble des tessons de céramique retrouvés a permis d’établir une fourchette allant du second tiers du xviie siècle à la seconde moitié du xviiie siècle. De plus, l’analyse radiocarbone d’un des piquets en bois incite à dater la structure de la fin du xviie siècle. Le croisement des datations obtenues a permis de situer globalement l’occupation de l’époque moderne, pour une période antérieure à la seconde moitié du xviiisiècle. Ce point incite à questionner la possibilité d’une occupation médiévale déduite jusqu’alors par les sources d’archives ou encore les données géomorphologiques. Concernant l’étude céramique, aucun fragment n’a été considéré comme plus ancien : tous les tessons retrouvés semblent former un ensemble homogène correspondant à cette période tardive.

Bilan des opérations archéologiques

L’étude des vestiges des marcairies dans le cadre des opérations archéologiques de 2019 et 2020, mêlée aux données issues des autres disciplines et de l’archéométrie, nous permet d’effectuer des recoupements propres à une approche interdisciplinaire pour mieux comprendre ce secteur sud du massif du Rossberg et l’histoire de son environnement.

La campagne de fouille de 2020, effectuée sur un espace plus étendu, a permis de distinguer deux phases d’occupation grâce à l’analyse des murs en place de la marcairie la plus ancienne (fig. 6). Il reste cependant difficile d’estimer si les deux pièces ont fonctionné ensemble dès le début ou non. De plus, la datation exacte de l’implantation de cette ferme d’estive n’est finalement pas possible à partir des seules données recueillies sur le terrain, qui doivent alors être confrontées aux sources historiques. Le plan du bâtiment correspond à l’organisation traditionnelle telle qu’on la connaît pour les grandes marcairies, constituées d’une étable et d’une pièce de vie pour le marcaire. Une concentration plus importante de mobilier est relevée dans la pièce orientale, incitant à envisager cette pièce comme le lieu de vie. L’espace dédié à abriter le troupeau doit être plus vaste, et concorde bien alors avec la pièce occidentale. Aucun indice de présence de seuil de porte n’a été mis au jour. Cet élément marquant l’entrée dans le bâtiment a pu être détruit à cause de son emplacement, plus haut dans la maçonnerie, ou alors par sa situation sur une autre des façades du bâtiment, moins exposées aux intempéries, ce qui n’aura pas permis d’en retrouver alors les traces dans les vestiges fouillés.

Néanmoins, comme identifié lors des sondages de 2019, ce site de moyenne montagne a livré un terrain peu propice à la conservation d’indices anthropiques. Cela se traduit par la pauvreté des vestiges et du mobilier retrouvés. La stratigraphie est très peu développée, le substrat se retrouve en moyenne entre 12 et 25 cm de profondeur. La déclivité du lieu, mêlée au climat montagnard lessivant largement des sols acides, ne facilite pas la conservation des vestiges à cet endroit. La durée de l’occupation humaine est également à prendre en compte pour ce type de site. L’activité du marcaire se réduisant à la période estivale, la durée d’occupation du lieu reste très courte et n’a pas d’impact fort sur le milieu naturel. De plus, son mode de vie ne nécessite sans doute pas de grands aménagements ni d’objets superflus – sans doute principalement en bois.

Interprétations générales du site : de nouvelles données sur l’architecture d’estive de la période moderne 

Les anciennes marcairies, qu’elles soient encore en élévation ou à l’état de ruine sur le massif, comprennent toutes des maçonneries massives en pierres pour leurs murs. Les bâtiments antérieurs en matières dégradables (en bois principalement) ne laissent alors que peu ou pas de vestiges et ne sont presque pas documentés. Le bâtiment fouillé ici, comme évoqué auparavant, se compose de pierre et de bois, la pierre permettant d’isoler du sol et de protéger l’élévation en bois. Ce type de mise en œuvre représente l’un des uniques témoignages dont les chercheurs disposent aujourd’hui pour ce type d’architecture et de savoir-faire vernaculaire, rustique mais fragile car non conservé en élévation dans les Vosges.

Si des incertitudes persistent sur la date de construction originelle du bâtiment par l’abbaye, les datations et les sources d’archives incitent à envisager une première phase à situer au milieu du xvie siècle. En se fondant sur les datations radiocarbone et l’étude céramologique, une occupation continue du lieu est à privilégier pour la seconde moitié du xviie siècle et la première moitié du xviiie siècle. Le bâtiment fouillé est alors abandonné et remplacé en 1757 par la nouvelle marcairie de la ville de Masevaux, construite une soixantaine de mètres plus à l’est, au moyen d’une maçonnerie en pierre. Ce bâtiment restera exploité jusqu’au début du xxe siècle, avant d’être remplacé à son tour en 1911 par la ferme de la Waldmatt bâtie bien plus en amont, et détruite pour sa part en 1929.

Les raisons de l’abandon de la première marcairie sont diverses, mais l’hypothèse d’une volonté de reconstruction d’un bâtiment avec une maçonnerie « en dur » est la plus probable, dans un contexte fort d’affirmation du pouvoir des bourgeois de la ville face à celui de l’abbaye. Des problèmes ont sans doute émergé avec l’ancienne marcairie en bois, a priori plus fragile, mêlés à des changements dans la gestion des ressources des sommets au cours du temps. Le contexte s’inscrit également dans une phase de reprise agricole qui fait suite aux abandons des chaumes dans le cadre des crises démographiques du xviie siècle17. La supposition d’un incendie peut également être écartée par l’absence de niveaux charbonneux sur le site. La nouvelle ferme a été implantée à 60 mètres vers l’est, légèrement en aval, plus proche de l’actuel emplacement de la source. Nous savons uniquement par les archives que ce nouveau bâtiment a été achevé en mai 1757, et que l’ancien bâtiment n’est alors plus en état d’être exploité. L’un des enjeux est alors de comprendre pourquoi la nouvelle marcairie n’a pas été reconstruite par la ville directement sur l’emplacement de l’ancien bâtiment. L’accès à l’eau peut être une piste privilégiée, à l’image de la reconstruction d’une nouvelle marcairie par l’abbaye, déplacée en 1779 pour cette même raison.

Une transition dans les modes d’occupation du sommet

Une autre question se pose à l’issue de la fouille archéologique, celle de l’usage des matériaux et des ressources disponibles à proximité pour bâtir les marcairies. La construction des bâtiments compte autant que possible sur les ressources prélevables dans l’environnement proche, essentiellement le bois et la pierre. La part de l’usage du bois semble logiquement très importante ici. Cet emploi systématique et sans doute majoritaire de cette ressource s’explique par la facilité de s’en procurer dans les « répandises18 » les plus proches de la marcairie. Si le bois s’impose dans l’architecture des bâtiments d’estive de nombreux espaces de montagne, comme dans le cas des chalets alpins, la transition entre deux matériaux dominants représente un marqueur majeur de césure à prendre en compte pour la connaissance des sociétés et milieux de montagne. Il est connu pour certaines montagnes des Vosges qui font l’objet de grandes politiques de valorisation par les administrations étatiques, comme au Ballon d’Alsace19, mais cette transition reste plus difficile à situer pour une plus large partie des sommets. Les données issues de la fouille de 2020 et des sondages de 2019 permettent de situer le basculement du bois vers la pierre au milieu du xviiie siècle pour le massif du Rossberg20. La phase de transition désormais observée au Rossberg, dans le passage de la marcairie en bois vers la marcairie en pierre, accompagne plusieurs mutations plus générales observées à cette période au sein des Hautes-Vosges. La période de fonctionnement de la marcairie, au cours du xviie siècle, permet de reconsidérer les discours produits sur cette période marquée par la guerre de Trente Ans et un bouleversement démographique attesté dans la région. Une phase de déprise est attestée, qui n’implique pas cependant l’abandon complet des chaumes, mais plutôt une recomposition de l’agrosystème social21 des vallées et de l’encadrement des pratiques d’estive. La transition observée dans l’architecture des marcairies correspond à une période de renouvellement des acteurs : le royaume de France engage un suivi nouveau des activités, et favorise l’arrivée de populations anabaptistes venues de Suisse. Ces dernières vont contribuer à apporter de nouveaux savoirs agronomiques et techniques, notamment dans la production des fromages, et vont reprendre tout en s’y adaptant le modèle marcaire en place22. Une nouvelle pression sur la ressource bois, liée au développement de l’industrie dans les vallées au xviiie siècle, ainsi que l’essor de la production charbonnière23, contribuent à étendre les chaumes. C’est d’ailleurs dans le courant du xviiie siècle que les conflits d’usage semblent se multiplier, conduisant parfois les autorités à interdire – du moins limiter – l’accès au bois pour les marcaires.

 

Il apparaît pour conclure que l’archéologie, discipline ancrée dans les échanges interdisciplinaires par nature, gagne à intégrer les enjeux épistémologiques des humanités environnementales. En apportant de nouvelles données, l’étude archéologique des marcairies, effectuée en deux temps, permet d’enrichir et de préciser les données historiques des archives, de l’archéométrie ou encore les données géomorphologiques recueillies sur le massif. Leur dialogue, qui reste à construire, montre l’intérêt d’une complète dynamique interdisciplinaire. La période retenue, à partir de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne, semble se prêter particulièrement bien à ces questionnements épistémologiques. L’étude des sources d’archives permet de nourrir l’étude archéologique de la marcairie, de la même manière que les résultats archéologiques permettent de lire sous un nouveau jour les données lacunaires, ou parfois difficiles à interpréter, issues des sources historiques. Contrairement aux périodes préhistoriques ou encore à l’Antiquité qui disposent de données écrites limitées – même si elles permettent toujours d’obtenir des lectures et interprétations inédites –, les données archéologiques (et de terrain) des périodes plus récentes ne relèvent pas d’un corpus exclusif et peuvent être croisées plus facilement avec les archives et les données d’autres disciplines. Le croisement de toutes ces informations offre aux chercheurs, quelle que soit leur méthodologie, un spectre large de connaissances sur l’environnement, l’architecture et le mode de vie en moyenne montagne à ces époques, et un tournant dans leur connaissance. Ce processus de transition des techniques architecturales observées au Rossberg relève d’une série de raisons et de conditions trouvant leurs origines dans une mutation des conditions sociales et environnementales à l’échelle des sommets de la vallée. Les résultats de la fouille archéologique permettent de les éclairer, mais gagnent aussi à être confrontés plus en profondeur aux situations connues pour d’autres sites du massif vosgien, voire d’autres régions de montagne.

Les données récoltées en 2020 sont ainsi destinées à être intégrées à de prochains programmes de recherche interdisciplinaires consacrés à l’évolution de l’environnement, du paysage et à l’occupation de l’espace par les sociétés humaines sur la chaume du Rossberg. Un programme de recherche pluridisciplinaire financé par la MISHA (Maison interuniversitaire des sciences de l’Homme – Alsace) pour les années 2023-2024 porte actuellement sur la restitution 3D comme support transdisciplinaire d’étude de l’environnement de la marcairie du Rossberg24. Plus qu’une simple illustration, la restitution archéologique peut s’imposer comme un document scientifique qui condense les connaissances récoltées sur le terrain et dans les sources écrites et iconographiques en une image scientifiquement pertinente, argumentée et compréhensible par tous. Si le support 3D connaît aujourd’hui un important développement dans la recherche, il est actuellement presque exclusivement utilisé par les archéologues, ce qui questionne dans un sens sa nature et sa vocation transdisciplinaire. Les questionnements autour de l’interdisciplinarité sont placés au cœur de l’actuel projet : ce dernier propose à chaque discipline d’acquérir les informations et les méthodologies qui, dans le cadre d’une réflexion épistémologique propre aux humanités numériques et environnementales, pourront être appréhendées par les chercheurs. Répondre à ces enjeux transdisciplinaires repose sur une capacité à valoriser les spécialités et le savoir-faire scientifiques et techniques de chacune des disciplines. La finalité du medium 3D sera alors de permettre une spatialisation et une mise en image des enjeux de l’occupation d’un site d’altitude au regard du dialogue entre les disciplines : conflits d’usage, enjeux des communs, des ressources, et d’un modèle en pleine mutation.

Fig. 1 : Plan de partage de la chaume du Rossberg entre la ville et l’abbaye de Masevaux, 1772 (AA68, 5C 1359).

Image

Ce document cartographique demeure essentiel, il situe avec précision la séparation des parcelles entre celles de l’abbaye (à l’ouest) et de la ville de Masevaux (à l’est). Deux marcairies sont représentées, on retrouve aussi la représentation des sources d’eau, des chemins d’accès et des zones boisées où les marcaires peuvent se servir en bois.

Source : Archives d’Alsace, site de Colmar, 5C 1359. Licence ouverte 2.0 (Etalab).

Fig. 2. Vue générale de la fouille et de son environnement proche, vers le nord-est.

Image

Photographie par drone : Benjamin Furst. CC BY-NC-SA.

Fig. 3. Plan général de la marcairie avec emprise des sondages et de la fouille.

Image

DAO : Lucie Wissenberg. CC BY-NC-SA.

Fig. 4. Vue du tronçon de mur de la grande pièce ouest.

Image

Photographie : Lucie Wissenberg. CC BY-NC-SA.

Fig. 5. Détail des trous de poteaux du mur de la pièce est.

Image

Photographie : Lucie Wissenberg. CC BY-NC-SA.

1 Le terme « archéométrie » regroupe toutes les disciplines scientifiques qui développent et utilisent des méthodes physiques ou chimiques pour les

2 Jean-Baptiste Ortlieb, thèse en histoire débutée en 2018, en cotutelle entre l’université de Strasbourg (UMR 7363 SAGE) et l’université d’Anvers (

3 Les travaux de Christine Rendu, notamment, ont été l’occasion de démontrer l’apport d’un dialogue interdisciplinaire en archéologie, à l’image de l’

4 Différentes terminologies apparaissent dans les sources pour désigner ces bâtiments, qu’elles soient en langue allemande ou française : « vacherie »

5 Traditionnellement, les troupeaux sont envoyés sur les pâturages de la Saint-Georges (23 avril) jusqu’à la Saint-Michel (29 septembre).

6 Jérôme Raimbault, Une architecture pour l’estive : les marcairies de la vallée de Munster, Haut-Rhin, Lyon, Lieux-dits, (« Parcours du Patrimoine »

7 Les travaux consacrés à l’histoire temporelle des deux abbayes sont riches mais inégaux. Pour Murbach et la vallée de la Thur, on se référera aux

8 Stéphanie Goepp, Origine, histoire et dynamique des Hautes-Chaumes du massif vosgien – Déterminismes environnementaux et actions de l’Homme, thèse

9 Au sein d’une approche interdisciplinaire, le « paysage » s’impose comme une notion polysémique qui a largement été discutée par les différentes

10 L’anthracologie repose sur l’étude des charbons de bois pour déterminer les essences d’arbres dont ces charbons proviennent. Couplée à des

11 Dominique Schwartz et alii, « Les géosciences au service de l’archéologie agraire. Une étude de cas sur les rideaux de culture de Goldbach (68) »

12 S. Goepp, Origine, histoire et dynamique des Hautes-Chaumes…, op. cit., p. 217-218.

13 Lucie Wissenberg et Jean-Baptiste Ortlieb, Masevaux (Haut-Rhin), Marcairies du Rossberg. Marcairies médiévale et moderne de l’abbaye et de la ville

14 La zone concernée est protégée au titre de Natura 2000.

15 Aucun fragment de tuile n’a été découvert.

16 Ivan Ferraresso, « Pan de bois et évolution des pratiques architecturales entre le xiiie et le xvisiècle en Lorraine », dans Clément Alix et

17 Cet abandon même temporaire est confirmé par les sources et les études des sols. Dès 1691, un bail d’amodiation du pâturage du versant murbachois

18 Les « répandises » désignent dans les Vosges la zone forestière limitrophe du pâturage, intégrée dans les baux d’amodiation. Sur la forêt vosgienne

19 Au Ballon d’Alsace, le site dit de « la Jumenterie » fait par exemple l’objet d’une importante valorisation de la part de l’administration lorraine

20 À titre de comparaison, la transition s’effectue dans les Pyrénées entre le xive et le xve siècle. Ch. Rendu, La montagne d’Enveig…, op. cit., p. 

21 Erik Thoen définit l’agrosystème social comme un système de production rural, basé sur des relations sociales spécifiques à une région donnée et en

22 Jean-Baptiste Ortlieb, « Les sommets des “Hautes-Vosges” : communs, ressources et agrosystèmes sociaux (xive-xviiisiècle) », dans Jean-François

23 Cette production charbonnière est largement attestée sur le massif du Rossberg. Stéphanie Goepp, Michel Thinon et Dominique Schwartz, « Feux et

24 En ligne : <https://www.misha.fr/recherche/programmes-scientifiques-misha> (consulté le 26 février 2023).

Notes

1 Le terme « archéométrie » regroupe toutes les disciplines scientifiques qui développent et utilisent des méthodes physiques ou chimiques pour les études archéologiques.

2 Jean-Baptiste Ortlieb, thèse en histoire débutée en 2018, en cotutelle entre l’université de Strasbourg (UMR 7363 SAGE) et l’université d’Anvers (ENVIRHUS), Histoire environnementale des sommets des Vosges méridionales, xiiie-xviiisiècle.

3 Les travaux de Christine Rendu, notamment, ont été l’occasion de démontrer l’apport d’un dialogue interdisciplinaire en archéologie, à l’image de l’apport de l’anthropologie dans ses études consacrées aux Pyrénées. Christine Rendu, La montagne d’Enveig : une estive pyrénéenne dans la longue durée, Canet, Trabucaire, 2003.

4 Différentes terminologies apparaissent dans les sources pour désigner ces bâtiments, qu’elles soient en langue allemande ou française : « vacherie », « barraque », « giste », « loge », « hutte », « Schopf », etc. Pierre Boyé, Les Hautes-Chaumes des Vosges. Étude de Géographie et d’Économie historiques, Nancy, Berger-Levrault, 1903, p. 98.

5 Traditionnellement, les troupeaux sont envoyés sur les pâturages de la Saint-Georges (23 avril) jusqu’à la Saint-Michel (29 septembre).

6 Jérôme Raimbault, Une architecture pour l’estive : les marcairies de la vallée de Munster, Haut-Rhin, Lyon, Lieux-dits, (« Parcours du Patrimoine », no 359), 2010.

7 Les travaux consacrés à l’histoire temporelle des deux abbayes sont riches mais inégaux. Pour Murbach et la vallée de la Thur, on se référera aux travaux suivants : Georges Bischoff, Recherches sur la puissance temporelle de l’abbaye de Murbach (1299-1525), Strasbourg, Société savante d’Alsace et des régions de l’Est (« Recherches et documents », t. XXII), 1975 ; René Bornert, Les Monastères d’Alsace, t. II/2, Strasbourg, Éditions du Signe, 2009, p. 7-250 ; André Gatrio, Die Abtei Murbach in Elsass. Nach Quellen bearbeitet, Strasbourg, Le Roux, 1895 ; Gilles Sifferlen, La vallée de Saint-Amarin. Notes historiques et descriptives, Strasbourg, Le Roux, 1908. Pour Masevaux et sa vallée : René Bornert, Les Monastères d’Alsace, t. I, Strasbourg, Éditions du Signe, 2008, p. 574-583 ; Christian Pfister, « Histoire sommaire de l’ancienne seigneurie de Masevaux », dans Idem, Pages alsaciennes, Paris, Les Belles Lettres, Presses 1927, p. 168-196 ; Pirmin Tresch, Histoire de Masevaux, abbaye et sanctuaire, traduit de l’allemand et annoté par Étienne-Martin Tresch, Strasbourg, Société Savante d’Alsace et des Régions de l’Est (« Recherches et documents », t. XXXVII), 1985 ; Bernhard Metz, « Essai sur la hiérarchie des villes médiévales d’Alsace (1250-1350). 2partie », Revue d’Alsace, no 134, 2008, p. 129-167.

8 Stéphanie Goepp, Origine, histoire et dynamique des Hautes-Chaumes du massif vosgien – Déterminismes environnementaux et actions de l’Homme, thèse de géographie, Strasbourg, université de Strasbourg, 2007.

9 Au sein d’une approche interdisciplinaire, le « paysage » s’impose comme une notion polysémique qui a largement été discutée par les différentes disciplines qui se sont saisies de la question environnementale. Voir notamment Gérard Chouquer, « Nature, environnement et paysage au carrefour des théories », Études rurales, no 157, 2001, p. 235-252 ; Jean-Robert Pitte, Histoire du paysage français, Paris, Tallandier, 2012 (1ère éd. 1982). Du point de vue de la perception d’un espace, nous ferons ici du paysage la « tranche visible et subjective du rapport complexe qu’entretiennent les sociétés humaines et leur environnement ». Voir Jean-Baptiste Ortlieb, « Du paysage à l’environnement : le massif du Rossberg aux périodes médiévale et moderne », Revue d’Alsace, no 145, 2019, p. 109-134.

10 L’anthracologie repose sur l’étude des charbons de bois pour déterminer les essences d’arbres dont ces charbons proviennent. Couplée à des datations par radiocarbone, cette discipline permet de donner des informations essentielles sur l’aspect des forêts anciennes et des interactions avec l’Homme.

11 Dominique Schwartz et alii, « Les géosciences au service de l’archéologie agraire. Une étude de cas sur les rideaux de culture de Goldbach (68) », dans Archimède. Archéologie et histoire ancienne, no 7, 2020, p. 205-216.

12 S. Goepp, Origine, histoire et dynamique des Hautes-Chaumes…, op. cit., p. 217-218.

13 Lucie Wissenberg et Jean-Baptiste Ortlieb, Masevaux (Haut-Rhin), Marcairies du Rossberg. Marcairies médiévale et moderne de l’abbaye et de la ville de Masevaux, massif du Rossberg, rapport de sondages archéologiques programmés, Strasbourg, 2020.

14 La zone concernée est protégée au titre de Natura 2000.

15 Aucun fragment de tuile n’a été découvert.

16 Ivan Ferraresso, « Pan de bois et évolution des pratiques architecturales entre le xiiie et le xvisiècle en Lorraine », dans Clément Alix et Frédéric Epaud (dir.), La construction en pan de bois. Au Moyen Âge et à la Renaissance, Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2018, p. 49-72.

17 Cet abandon même temporaire est confirmé par les sources et les études des sols. Dès 1691, un bail d’amodiation du pâturage du versant murbachois explique l’abandon des chaumes du Rossberg par la « schwedigsten krieg » des années 1630, dans le contexte de la guerre de Trente Ans (Archives d’Alsace, site de Colmar – désormais AA68 –, 9G 47-65). Les études anthracologiques confirment pour le début du xviiisiècle une phase de reprise forestière, avant une nouvelle phase de défrichement majeure pour la seconde moitié de ce siècle. S. Goepp, Origine, histoire et dynamique des Hautes-Chaumes…, op. cit., p. 217-218.

18 Les « répandises » désignent dans les Vosges la zone forestière limitrophe du pâturage, intégrée dans les baux d’amodiation. Sur la forêt vosgienne, voir Emmanuel Garnier, Terre de conquêtes. La forêt vosgienne sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2004 ; Philippe Jéhin, Les forêts des Vosges du Nord du Moyen Âge à la Révolution – milieux, usages, exploitations, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2005.

19 Au Ballon d’Alsace, le site dit de « la Jumenterie » fait par exemple l’objet d’une importante valorisation de la part de l’administration lorraine, qui fait bâtir un nouveau bâtiment moderne dont ont été conservés les plans (Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, C24 1, Coupe & élévation d’une habitation à construire sur la Chaume de la Jumenterie).

20 À titre de comparaison, la transition s’effectue dans les Pyrénées entre le xive et le xve siècle. Ch. Rendu, La montagne d’Enveig…, op. cit., p. 274.

21 Erik Thoen définit l’agrosystème social comme un système de production rural, basé sur des relations sociales spécifiques à une région donnée et en interaction permanente avec l’environnement physique. Ces relations dépendent de la reproduction économique de cette zone géographique. Erik Thoen, « “Social Agrosystems” as an Economic Concept to Explain Regional Differences. An Essay Taking the Former County of Flanders as an Example (Middle Ages-19th century) », dans Bas Van Bavel (dir.), Landholding and Land transfer in the North Sea Area (Late Middle Ages-19th century), Turnout, Brepols, 2004, p. 47‑66.

22 Jean-Baptiste Ortlieb, « Les sommets des “Hautes-Vosges” : communs, ressources et agrosystèmes sociaux (xive-xviiisiècle) », dans Jean-François Joye (dir.), Les « communaux » au xxie siècle. Une propriété collective entre histoire et modernité, Chambéry, Presses universitaires Savoie Mont Blanc, p. 101.

23 Cette production charbonnière est largement attestée sur le massif du Rossberg. Stéphanie Goepp, Michel Thinon et Dominique Schwartz, « Feux et façonnement des paysages de chaumes en moyenne montagne tempérée : premiers résultats pédoanthracologiques dans le massif du Rossberg (Vosges haut-rhinoises, France) », dans François Vion-Delphin et François Lassus (dir.), Les hommes et le feu de l’Antiquité à nos jours. Du feu mythique et bienfaiteur au feu dévastateur. Actes du colloque de l’Association interuniversitaire de l’Est, Besançon, 26-27 septembre 2003, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 343-352.

24 En ligne : <https://www.misha.fr/recherche/programmes-scientifiques-misha> (consulté le 26 février 2023).

Illustrations

Fig. 1 : Plan de partage de la chaume du Rossberg entre la ville et l’abbaye de Masevaux, 1772 (AA68, 5C 1359).

Fig. 1 : Plan de partage de la chaume du Rossberg entre la ville et l’abbaye de Masevaux, 1772 (AA68, 5C 1359).

Ce document cartographique demeure essentiel, il situe avec précision la séparation des parcelles entre celles de l’abbaye (à l’ouest) et de la ville de Masevaux (à l’est). Deux marcairies sont représentées, on retrouve aussi la représentation des sources d’eau, des chemins d’accès et des zones boisées où les marcaires peuvent se servir en bois.

Source : Archives d’Alsace, site de Colmar, 5C 1359. Licence ouverte 2.0 (Etalab).

Fig. 2. Vue générale de la fouille et de son environnement proche, vers le nord-est.

Fig. 2. Vue générale de la fouille et de son environnement proche, vers le nord-est.

Photographie par drone : Benjamin Furst. CC BY-NC-SA.

Fig. 3. Plan général de la marcairie avec emprise des sondages et de la fouille.

Fig. 3. Plan général de la marcairie avec emprise des sondages et de la fouille.

DAO : Lucie Wissenberg. CC BY-NC-SA.

Fig. 4. Vue du tronçon de mur de la grande pièce ouest.

Fig. 4. Vue du tronçon de mur de la grande pièce ouest.

Photographie : Lucie Wissenberg. CC BY-NC-SA.

Fig. 5. Détail des trous de poteaux du mur de la pièce est.

Fig. 5. Détail des trous de poteaux du mur de la pièce est.

Photographie : Lucie Wissenberg. CC BY-NC-SA.

Citer cet article

Référence papier

Lucie Wissenberg, « Nouvelles données pour la connaissance des environnements sommitaux : étude archéologique des marcairies du Rossberg (68) et perspectives interdisciplinaires », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 21 | 2023, 61-76.

Référence électronique

Lucie Wissenberg, « Nouvelles données pour la connaissance des environnements sommitaux : étude archéologique des marcairies du Rossberg (68) et perspectives interdisciplinaires », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 21 | 2023, mis en ligne le 15 février 2024, consulté le 28 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=870

Auteur

Lucie Wissenberg

Archéologue territoriale chez Archéologie Alsace / Lucie Wissenberg is a regional archaeologist at Archéologie Alsace / Lucie Wissenberg ist Gebietsarchäologin bei Archéologie Alsace.

Autres ressources du même auteur

  • ORCID

Droits d'auteur

Licence Creative Commons – Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International (CC BY-NC-SA 4.0)