« Un mauvais sujet dont la commune seroit fort aise d’être débarrassée » : justice, crimes et relations sociales en Lorraine à l’époque révolutionnaire (1799)

“A bad subject the commune would be glad to be rid of”: justice, crime and social relationships in Lorraine during the revolutionary period (1799)

„Ein schlechtes Wesen, von dem die Gemeinde sich gerne befreit sähe“: Justiz, Verbrechen und soziale Beziehungen in Lothringen während der Epoche der Revolution (1799)

DOI : 10.57086/sources.254

p. 89-106

Résumés

La double affaire criminelle Gagneur et Varinot comprend la mutilation d’une victime, l’assassinat de trois autres et l’exécution des deux principaux coupables, mari et femme. Cette affaire a eu des échos nationaux et son souvenir est encore vif dans le milieu local, deux cents ans plus tard. Loin de se limiter au face-à-face entre les accusés et l’institution judiciaire, l’affaire Gagneur-Varinot voit l’intervention décisive d’une tierce partie, le milieu local, l’ensemble des villageois, dont l’action collective a été déterminante tout au long de l’affaire. Or ce qui ne serait pas étonnant au xvie siècle l’est en 1799, alors qu’était censée s’établir une « nouvelle » justice, pensée en rupture avec les usages anciens. L’exceptionnelle affaire Gagneur-Varinot montre que l’élément essentiel du processus judiciaire restait l’interaction, le dialogue, entre la volonté des parties, les logiques de l’institution et la volonté du milieu local. Dans cette affaire, l’institution judiciaire a non seulement tenu compte des volontés du milieu local, mais elle a été, dans une large mesure, à son service, en traduisant en langage juridique les logiques d’exclusion mises en œuvre dans le village. Ainsi peut-on dire que la révolution judiciaire n’était pas encore faite.

The double criminal case of Gagneur and Varinot included the mutilation of one person, the killing of three others and the execution of the two main culprits, a man and his wife. This case had nationwide publicity and is still remembered in the local community today, two hundred years after it occurred. Far from merely staging a confrontation between the accused and the judicial institution, the case was characterized by the crucial intervention of a third party, the local community, the villagers as a whole, whose collective action was a decisive influence throughout. What would be considered as perfectly normal in the 16th century, though, could seem unusual in 1799, when a “new” type of justice, breaking with former usages, was supposed to be emerging. This exceptional case thus shows that in the judicial process, interaction and dialogue between the different parties, the institution and the local community remained the crucial factor. In this case, the judicial institution did not only take into account the desires of the local community, but also to a large extent served them by translating into legal language the processes of exclusion at work in the village. The judicial revolution thus still remained to be accomplished.

Hervé Piant holds a Ph.D. from the university of Burgundy and is an associate member of the research group EA 3400 ARCHE.

Die doppelte Kriminalaffäre Gagneur und Varinot beinhaltete die Verstümmelung eines Opfers, den Mord an drei weiteren und die Hinrichtung der zwei Hauptverdächtigen, Ehemann und -frau. Diese Affäre erregte im ganzen Land Aufsehen, und auch 200 Jahre später ist sie im lokalen Milieu nicht vergessen. Sie beschränkte sich keineswegs auf die Gegenüberstellung der Angeklagten und des Gerichtswesens, sondern war vom kollektiven Eingriff des lokalen Milieus, der Gesamtheit der Dorfbewohner, entscheidend geprägt. Was im 16. Jahrhundert nicht weiter erstaunlich gewesen wäre, überrascht hingegen für das Jahr 1799, denn schließlich war eine „neue“ Justiz angekündigt, die mit den alten Gewohnheiten brechen würde. Die außergewöhnliche Gagneur-Varinot-Affäre zeigt, dass im Gerichtsverfahren die Interaktion, der Dialog zwischen den Parteien, die institutionellen Logiken und der Wille des lokalen Milieus maßgeblich blieben. Im Verlaufe dieser Affäre hat die rechtliche Institution nicht nur die Interessen des lokalen Milieus beachtet, sondern sich in hohem Maße in dessen Dienst gestellt, indem sie die Ausgrenzungsmuster des Dorfes in Gesetzessprache übersetzte. Insofern lässt sich sagen, dass die Revolution der Justiz noch nicht stattgefunden hatte.

Hervé Piant hat an der Université de Bourgogne promoviert und ist assoziiertes Mitglied der EA 3400 ARCHE.

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Le 26 prairial de l’An vii de la République, soit le 14 juin 1799 du calendrier grégorien1, le nommé Jean-Nicolas Gagneur, cultivateur du village de Void2, dans l’actuel département de la Meuse, montait sur l’échafaud dressé sur la place principale de Saint-Mihiel, siège du tribunal criminel du département de la Meuse3.

Ainsi se terminait une procédure judiciaire commencée à peine quatre mois plus tôt, suite à la mutilation d’une victime, à l’assassinat de trois autres, et à l’exécution des deux principaux coupables. Cette affaire, qui a eu des échos nationaux4, a alors sans doute ébranlé le milieu local et le souvenir en est encore vif, deux cents ans plus tard, dans la petite commune où se sont déroulés les faits, alimenté par la dimension tragique des événements et par les incertitudes nées de l’absence de réponses à de multiples questions, principalement celle des motivations des coupables.

Pour l’historien de la société et de la justice, l’affaire Gagneur n’est pas seulement une « cause célèbre », un de ces faits divers qui alimentaient gazettes et « canards5 », et dont le public, à toutes les époques peut-être, est friand. Car loin de se limiter au face-à-face entre les accusés et l’institution judiciaire, l’affaire Gagneur-Varinot voit l’intervention décisive d’une tierce partie, le milieu local, l’ensemble des villageois, dont l’action collective a été déterminante tout au long de l’affaire. Voilà qui ne serait pas étonnant au xvie siècle6. Mais nous sommes en pleine période révolutionnaire, alors qu’était censée s’établir une « nouvelle » justice, pensée en rupture avec les usages anciens, reposant sur les principes nouveaux affirmés en 17897. L’affaire Gagneur-Varinot montre que l’élément essentiel du processus judiciaire, au-delà des formalités différentes, restait, comme sous l’Ancien Régime, constituée par l’interaction, le dialogue, entre la volonté des parties, les logiques de l’institution et la volonté du milieu local8. Disons-le autrement : dans cette affaire, l’institution judiciaire a non seulement tenu compte des volontés du milieu local, mais elle a été, dans une large mesure, à son service, en traduisant en langage juridique les logiques d’exclusion mises en œuvre dans le village. Il est fort peu probable, avec les limites d’une telle interrogation, que, sans l’intervention lourde des concitoyens de Jean-Nicolas Gagneur, agissant dans le cadre du contrôle social généré par la « société de l’interconnaissance », l’affaire aurait pris une telle tournure. Peut-être des morts auraient-elles pu être évitées.

Mais, on va le voir, pour les habitants du village de Void, Jean-Nicolas Gagneur avait outrepassé les limites, incertaines mais bien réelles, de l’acceptable. Trop c’était trop, et il fallait que la communauté se protège en excluant et faisant punir le fauteur de troubles.

Des événements tragiques

Du point de vue judiciaire, l’affaire commence lorsque le 10 mars 1799, le juge de paix du canton de Void vient prendre la déposition d’un habitant du village, Louis Hannel. Celui-ci, reclus dans sa maison de la rue Chambon9, leur raconte qu’il a été agressé par trois individus, dans la portion de bois dite « Aucrosse », une quinzaine de jours auparavant, le 21 février. Notons d’abord, pour y revenir plus tard, le curieux délai entre l’agression et sa dénonciation judiciaire, qui donnera lieu à une incertitude sur la date10.

L’affaire Gagneur : l’agression et mutilation de Hannel

Les trois hommes ont roué de coups Hannel au point de lui faire perdre connaissance, puis se sont « portés à un excès qu’il avoit peine de révéler ». Le chirurgien qui accompagne le juge examine alors le plaignant et constate « qu’on lui avoit amputé avec un instrument tranchant les deux testicules », considérant « qu’on pouvoit regarder comme un miracle de la nature de ce qu’il n’était pas mort sur le champs ». Reprenant son récit (tel que transmis par le procès-verbal du juge), Hannel indique qu’il a alors poussé une plainte qu’a entendue un autre homme présent dans les environs, un « habitant d’Ourches » qui s’est mis à crier ce qui a fait fuir les agresseurs. Revenu à lui, et aidé par le quidam, Hannel a pansé lui-même sa plaie « avec de la mousse » et a regagné le village. Point crucial, il affirme que, parmi ses agresseurs, il en a vu un « fort grand et en veste grise qu’il croît fortement être Jean Gagneur, son contre-voisin, surnommé Carabinier11 ». Au vu des faits constatés et des déclarations de Hannel, le juge de paix ordonne la recherche de témoins et délivre un mandat d’amener contre le principal suspect.

La machine judiciaire est en marche. Dès le lendemain de la plainte, le 11 mars, le juge procède à l’audition de Gagneur, dont il faut remarquer qu’il a comparu volontairement. Lors de ce bref échange, le suspect adopte la position dont il ne se départira jamais : il est innocent et, au moment de l’agression, il était, loin de là, au village de Sauvoy12. Le même jour, le magistrat entend une vingtaine de témoins. Mais, les faits s’étant déroulés hors de toute présence, à l’exception du quidam alors inconnu, quasiment tous les témoins disent ne rien savoir sur l’agression de Hannel, sans se priver néanmoins de charger Gagneur de nombreux maux, dénonçant la pléthore d’agressions, et surtout de vols, dont il aurait été l’auteur les jours, mois et années précédents. À l’issue de ces actes, l’enquête n’a guère avancé, reposant tout entière sur les déclarations de Hannel. Le juge de paix, conformément à la procédure criminelle, définie par les lois de septembre 179113, constate que « le prévenu […] n’a pas détruit pleinement les charges contre lui » et l’envoie en détention au district de Commercy. Dès le lendemain, Gagneur est entendu par le directeur du jury d’accusation sans que cette entrevue n’apporte rien de nouveau, Gagneur se montrant assez sûr de lui. Dans le même temps, à Void, le juge de paix continue à entendre les concitoyens du suspect qui se pressent en foule pour témoigner14.

L’affaire Varinot : le massacre de la famille Gagneur-Varinot

Le 13 mars, le travail du juge est brutalement interrompu : « et attendu que nous sommes intimés à nous transporter sur le champ au domicile de Catherine Varinot, femme à Jean Nicolas Gagneur, nous continuerons notre présent procès-verbal à demain ».

En effet un nouveau drame s’est produit. Alerté, on vient de le voir, le magistrat se précipite dans la maison de Gagneur où il découvre, dans la grange, trois cadavres de jeunes gens, deux garçons de 19 et 16 ans, une fille de 15 ans, qui tous ont eu la gorge tranchée. Aucune trace de lutte n’est visible. Interrogé, un témoin indique qu’il s’agit des trois enfants de Jean-Nicolas Gagneur. Continuant la perquisition des lieux, le juge découvre, dans la paille du grenier, un corps encore en vie quoique blessé à la gorge et au ventre. Il s’agit de Catherine Varinot, la femme de Gagneur et mère des trois victimes. Très faible elle balbutie une histoire sur un mystérieux agresseur qui ne convainc pas le juge : tout en l’envoyant se faire soigner, il décrète un mandat contre elle. Quelques heures après, il l’interroge de nouveau : un instant tentée par un mensonge, bien peu vraisemblable et pour cela intenable, la malheureuse choisit de dire la vérité et d’assumer son geste. Elle a tué ses enfants, sans doute avec leur consentement, et a essayé de se suicider, sans y parvenir. Logiquement une procédure est ouverte contre elle et elle est envoyée, elle aussi, au district de Commercy.

Résolution judiciaire

À partir de là, les deux procédures vont se dérouler de façon parallèle, mais à des rythmes différents. L’affaire Varinot ne pose guère de problèmes, le crime et l’identité du coupable étant connus. Si quelques témoins sont auditionnés et Varinot plusieurs fois interrogée, c’est plus par respect des procédures que pour les nécessités de l’enquête. Le 15 avril, les membres du jury d’accusation décident son inculpation officielle, prélude à son procès qui a lieu le 8 mai au tribunal criminel de Saint-Mihiel. Sans surprise, le jury de jugement, répondant affirmativement à toutes les questions, prononce la peine de mort contre la mère infanticide. La sentence est exécutée quatre jours plus tard, le 12 mai (23 floréal15).

Ces événements, et leur conclusion tragique, Jean-Nicolas Gagneur a dû les suivre, alors que sa propre instruction traînait davantage. Début avril, la procédure reprend, faisant alterner interrogatoires et auditions de témoins, sans que peu de choses nouvelles en sortent. Gagneur se montre combatif, on le verra, continuant à nier, présentant des alibis, tandis que les témoignages permettent d’accumuler une quantité astronomique d’accusations, parfois bien peu crédibles, contre lui. Le 19 avril, il est mis en accusation par le jury puis, pendant les semaines qui suivent, de nouveaux témoins, une quinzaine, sont entendus. Le 9 mai, le jury de jugement est réuni. Il aura besoin de trois jours pour répondre aux 125 questions tirées de l’acte d’accusation. Déclaré convaincu de l’agression contre Hannel et de plusieurs vols, Jean-Nicolas Gagneur est condamné à mort le 11 mai. Le lendemain, alors que sa femme monte sur l’échafaud, il déclare se pourvoir en cassation, obtenant quelques semaines de répit. Son pourvoi est rejeté le 2 juin, et Jean-Nicolas Gagneur est exécuté le 14 juin 1799, un mois après sa femme, trois mois après la mort de ses enfants, moins de quatre mois après l’agression contre Hannel qu’il aura niée jusqu’au bout.

« Elle avoit voulu mourir elle et ses enfants et n’avoit pas pensé plus loin »

D’un point de vue judiciaire, et pour ce qui concerne le respect des formalités, les affaires Gagneur et Varinot (car, pour l’institution, il y a eu deux affaires différentes) ne présentent pas de difficultés. L’ensemble de la procédure, pour ce qu’on peut en juger car certaines pièces ont disparu, a été respectée et justice a été faite. C’est particulièrement vrai pour l’affaire Varinot – le triple infanticide – pour laquelle la coupable a avoué, et même revendiqué, son geste.

Les interrogatoires de la femme Varinot

Lors de la découverte de la scène du drame, le 13 mars, la femme de Gagneur avait été trouvée gisant sur le grenier de la maison, ensanglantée et faible, mais consciente. Après lui avoir fait donner des premiers soins, le juge de paix de Void entreprend de l’interroger, Varinot lui « paraissant en état d’être entendue ». Elle raconte alors qu’étant dans sa grange avec ses enfants, « un citoyen de Breuil16 qu’elle a dit avoir un chapeau rond, l’avoit engagé à monter au grenier pour pouvoir lui raconter ce que son mari lui avoit dit pour elle, afin de ne pas désoler ses enfants, et que là il avoit fait le massacre que l’on voyait ». Le récit, cela saute aux yeux encore aujourd’hui, manque de cohérence et ne cadre pas avec ce que le juge a pu constater de visu sur la scène du crime. Ainsi elle affirme que l’homme l’a attaquée avec une hache mais le juge sait, par le rapport du chirurgien, que les blessures ont été faites au couteau17. En outre, comme il est peu compréhensible qu’elle soit montée sur le grenier avec un inconnu muni d’une hache, et que ses enfants ne soient pas venus à son secours, elle répond que l’inconnu avait dû cacher l’arme avant et qu’elle n’avait fait aucun bruit lors de son agression.

Tout cela ne convainc pas le juge qui, dès le lendemain, et après avoir sans doute entendu des témoignages, revient l’entendre. Là, spontanément, Varinot change sa version et décide d’assumer la vérité de son acte :

A elle demandé si elle connoissoit l’individu qui l’avoit assassiné elle et ses enfants ? A répondu que c’étoient ses enfants eux-mêmes qui lui avoient demandé la mort, parce qu’ils craignoient de survivre au soupçon qui planoit sur leur père, et que de convention faite avec eux, ils devoient mourir tous18.

La femme Varinot, qui semble avoir retrouvé tous ses esprits après sa faiblesse de la veille, ne se départira plus de son attitude, assumant son acte au long des différents interrogatoires qu’elle subira et faisant preuve d’une grande fermeté face aux questions des juges qui, manifestement, ne comprennent pas la vérité de cette famille. Laissons, un peu longuement, la parole à ces protagonistes :

A elle demandé quel est le motif qui l’a déterminée à commettre ce quadruple assassinat19 ? A répondu qu’elle avait été vivement affectée elle et ses enfants de voir son mary entre les mains de la justice et que comme elle le croyait et le croit encore innocent, elle n’avoit pas supporté l’idée de le voir ainsy arreté, que quelques jours après son arrestation, étant au devant de son domicile à pleurer avec un de ses enfants, un dragon passant dans cette commune vint luy dire si vous pleurez aujourd’huy vous aurez tantôt de nouveaux chagrins et bien d’autres pleurs à verser, car on va encore arreter vos deux garçons, que ce langage redoubla son chagrin et l’affecta tellement qu’elle format de suite la résolution de donner la mort à ses trois enfants et ensuite de se détruire elle même plutôt que de les voir arreter, qu’en effet elle se rendit de suite dans un champ que ses deux garçons labouroient dans la campagne et leur fit part de sa résolution, qu’aussitôt leur première rencontre elle s’écrioit mes pauvres enfants nous sommes perdus on a déjà arreté votre père, on va encore vous arreter, il vaut mieux mourir innocent que de se laisser prendre, qu’alors ses deux garçons ont consenti sans balancer à se laisser ôter la vie par le fait de leur mère…

Le juge rétorque :

A elle observé que si elle présumoit ou plutôt ce qu’elle croyoit être sure que son mary et ses enfans fussent innocents du fait qu’on leur imputoit, elle devoit avoir assez de confiance en la justice et aux lumières de ses concitoyens pour être persuadé qu’ils ne leur arriveroit aucun mal et qu’ils parviendroient facilement à se justifier, que conséquemment la menace de l’arrestation de ses deux garçons ne pouvoit luy servir de prétexte pour leur ôter la vie, ainsy qu’à sa petite fille à qui on ne reprochoit aucun crime20.

La logique du juge est imparable et on verra qu’elle ne fait que confirmer l’opinion de toute la communauté. De la même façon, on le verra également, que les maladroites défenses de Gagneur plaident contre lui, l’assassinat-suicide de ses enfants et de sa femme sont la preuve de leur culpabilité. Varinot ne peut dès lors que se retrancher dans l’argument de la folie :

A repondu qu’elle n’avoit pas supporté l’idée d’être exposée à les voir arreter ; et que dès le premier moment que son mary avoit été frappé d’un mandat d’arrêt elle avoit pour ainsy dire perdu la tête au point de ne savoir ce qu’elle faisoit.

La folie ne tient guère pour un geste prémédité et concerté, ce qui n’est pas sans être l’un des éléments les plus intrigants du drame : Varinot a certes tué ses enfants, dont deux garçons de 19 et 16 ans en pleine vigueur, mais ceux-ci se sont laissé faire, acceptant sans broncher leur sort, ne cherchant pas à y échapper ou à se défendre. Lors du procès-verbal de découverte des cadavres, le juge note immédiatement que la cravate des deux garçons est posée à côté d’eux et n’est pas tachée de sang, comme s’ils l’avaient volontairement enlevée21. Le magistrat qui mène l’interrogatoire relève la contradiction :

A elle observé que ce ne peut être par les dérangements de ses organes22 et de ses facultés intellectuelles qu’elle s’est portée à cet acte d’atrocité car si cela eut été ainsy, ses trois enfans auroient été pénétrés de son état en résistant à sa volonté et en s’opposant de toutes leurs forces à l’exécution d’un projet aussy criminel, tandis qu’au contraire ils se sont laissé donner la mort et s’y sont même pretté de leur plein gré.

Aux raisonnements imparables du juge, Varinot ne peut opposer que son désespoir irrationnel : « A répondu qu’elle avoit voulu mourir elle et ses enfants et qu’elle n’avait pas pensé plus loin ». La suite de l’interrogatoire laisse place à un dialogue de sourds. Le juge, manifestement horrifié par l’acte, veut des explications que Varinot ne peut, et ne veut, lui fournir. Assez curieusement, les questions du juge sont souvent plus longues que les réponses de la malheureuse, comme si le juge cherchait à formuler lui-même les réponses attendues :

A elle demandé si elle n’a pas été mue à cette action par le sentiment de l’honneur et si son âme n’y a pas été élevée par celuy de voir périr plutôt ses enfants de sa propre main et de se donner elle même la mort plutôt que de survivre au déshonneur et à l’infamie dont elle pensoit que la vie de ses enfans ainsy que la sienne seroient entachées si son mary convaincu du crime dont il étoit accusé venoit à l’expier sur l’échaffaut ? A répondu qu’elle ne pouvoit expliquer autrement la cause et les motifs de ces assassinats, sinon que ne pouvant supporter l’arrestation de son mary, quoi qu’innocent, elle avoit eu l’idée de se donner la mort à elle et à ses enfants sans autre réflexion23.

Des visions opposées

L’utilisation du thème de l’honneur, connoté positivement, semble laisser penser que, à ce moment, les deux protagonistes sont proches de se comprendre. Mais il reste une différence majeure. En plaçant le déshonneur redouté par la famille Gagneur dans la condamnation et l’exécution du père, le juge veut faire de l’infanticide une preuve supplémentaire de la culpabilité de Jean-Nicolas Gagneur. Incapable souvent de s’expliquer plus en détails, Varinot reste pourtant ferme dans sa pensée fondamentale. Pour elle, le déshonneur naît de l’arrestation de son mari et des soupçons injustes (selon elle) qui pèsent sur toute sa famille ; en quelque sorte son acte est une preuve d’innocence.

Ayant raté son suicide, Varinot sait sans doute que son acte et ses aveux lui vaudront la peine de mort et accepte son sort, pour ne pas dire le souhaite. D’ailleurs, à la différence de son mari, elle ne fera pas appel de sa condamnation. « A répondu qu’elle n’avoit autre chose à dire, sinon qu’on feroit ce qu’on voudroit24. »

Incertitudes judiciaires

Les choses sont moins simples dans le cas Gagneur. L’agression contre Louis Hannel a eu lieu dans les bois, dans une zone d’ailleurs mal située, et n’a fait, au mieux, qu’un témoin, resté (judiciairement) inconnu. L’accusation, et la condamnation finale, de Gagneur reposent donc tout entières sur la seule parole de la victime. Si les différents magistrats en charge de l’affaire (le juge de paix de Void, le directeur du jury de Commercy, l’accusateur public du tribunal criminel départemental de Saint-Mihiel) en étaient sans doute conscients, on ne peut que constater qu’ils ne sont pas allés très loin dans leurs investigations.

Une victime peu coopérative

Il en est ainsi du témoignage de la victime. Soulignons d’abord le délai entre l’agression de Hannel (le 21 février) et sa plainte (10 mars) qui n’est pas sans interroger ; d’autant que la nouvelle de son agression a été connue dès le jour même ou le lendemain : plusieurs personnes l’ont croisé ensanglanté et on peut supposer que le mystérieux témoin a également raconté ce qu’il avait vu. Le silence de Hannel peut d’ailleurs très bien s’expliquer, soit par sa honte pour la mutilation qu’il a subie, soit (et !) par sa peur de Gagneur. Dans la déclaration initiale, Hannel donne peu d’informations factuelles susceptibles de permettre l’identification des agresseurs, se contentant de parler d’un homme « fort grand25 […] qu’il croît fortement être Jean Gagneur ». Il ne donne néanmoins pas d’autres éléments concrets d’identification.

Quatre jours plus tard, alors que le juge l’entend de nouveau pour préciser la date de son agression26, Hannel se sent obligé de préciser, peut-être à la sollicitation du magistrat, qu’il a reconnu Gagneur « à sa tournure et à ses habits27 ». Plus tard, le 4 avril, alors qu’il est auditionné par le directeur du jury de Commercy, il déclare que « dans la crainte que Jean Nicolas Gagneur ne fut acquité il n’avoit ozé dire positivement qu’il en étoit l’auteur » mais « que ne lui étant plus permis de dissimuler, il declaroit avoir bien reconnu ledit Gagneur28 ». Ces propos sont intéressants et troublants. Retenons-en, à la fois, l’affirmation de la culpabilité de Gagneur, et en même temps, l’absence totale d’explicitation des éléments lui permettant cette certitude. Celle-ci, non discutée par les juges, amena à l’évidence que les complices de l’agresseur étaient les deux garçons de Gagneur, sans que personne ne se demande pourquoi Hannel, dont on rappelle qu’il est le voisin de la famille Gagneur, ne les avait pas reconnus. Décidément les juges allaient devoir se contenter de cette déclaration, d’autant que Hannel ne dépose pas lors du procès, ayant fourni une certification médicale d’incapacité de transport.

Un sauveur introuvable

Pour corroborer les affirmations d’Hannel, les magistrats instructeurs devaient rechercher le seul témoin plus ou moins direct des faits, l’homme qui, par ses cris, avait effrayé les agresseurs, puis avait secouru Hannel. Mais ce dernier ne savait rien de cet individu, ou ne voulait rien en dire, sinon qu’il venait du village voisin d’Ourches. La recherche d’un témoin qui, manifestement, ne voulait pas se faire connaître fut compliquée et se solda finalement par un curieux semi-échec. « L’agent municipal » d’Ourches, un temps soupçonné par « le bruit public » d’être lui-même le témoin mystérieux, engagea, ainsi qu’il le dit au juge, « des démarches […] pour découvrir l’auteur estimable mais craintif de cette action charitable ». Plusieurs habitants du village furent entendus qui, tous, nièrent. La recherche se resserra autour du nommé Pellerin, clairement désigné par plusieurs habitants, qui rapportaient des propos sans équivoque. Interrogé plusieurs fois, il persista à déclarer n’avoir rien vu. La chasse au témoin-clé se soldait, pour l’institution, par un ensemble de ouï-dire, légalement peu exploitables.

Les dénégations de Gagneur

Une autre voie essentielle à la progression de l’enquête résidait dans les interrogatoires menés contre Gagneur. Le principal suspect fut en effet entendu à cinq reprises lors des différentes étapes de la procédure mais, là encore, sa confrontation avec les juges laisse, à l’analyse, une impression d’inachevé et, pour tout dire, d’incertitude. Dès sa première audition, Gagneur développe un discours construit visant à prouver son innocence. En un mot, il fournit un alibi crédible : il aurait passé la matinée au village de Sauvoy (distant de Void de six kilomètres, soit environ une bonne heure de marche) à négocier l’achat d’une vache, n’en sortant que vers 12 heures pour retourner directement chez lui. Gagneur ne s’éloignera jamais de ce récit et fournira même le nom de témoins pouvant prouver ses dires. Les premiers magistrats qui l’ont auditionné (le juge de paix de Void et le directeur du jury d’accusation de Commercy) se contenteront de recueillir ces propos, ne disposant pas encore des éléments permettant de les contester.

Il faut attendre les interrogatoires menés par les magistrats du tribunal criminel pour que des questions plus précises soient posées et que Gagneur vacille dans ses certitudes. Deux points sont soulignés par le juge. D’abord les différences entre le récit de Gagneur et les propos que des témoins affirment l’avoir entendu tenir. Ainsi, à propos d’une plaie qu’il a près de l’œil, il explique se l’être faite en fendant des bûches dans sa grange, mais des témoins affirment qu’il leur a dit s’être blessé en coupant des branches dans les bois avec ses fils. Le point est évidemment essentiel puisqu’il prouverait qu’il ment dans son emploi du temps, mettant à mal sa crédibilité, et surtout qu’il aurait reconnu être allé dans les bois avec ses fils. Le juge n’hésite pas à lui tendre des pièges, avec des questions qui visent manifestement à le désarçonner en le mettant face à des contradictions. Ainsi, il l’interroge sur l’emploi du temps de ses fils ce matin, et après sa réponse, lui rétorque qu’il ne peut savoir ce qu’ont fait ses fils puisqu’il affirme ne pas avoir été avec eux de la journée.

En fait, l’opinion du juge est clairement faite et il cherche moins à établir une vérité la moins contestable qu’à conforter ses propres certitudes. Les dénégations de Gagneur sont alors de peu de poids : « A lui observé que Jean Hannel […] l’a cependant bien reconnu et a la certitude physique que c’est luy répondant qui est l’auteur de son assassinat » et Gagneur de répondre « qu’il persistoit à soutenir qu’il n’en étoit pas l’auteur ».

Un crime « constant » mais sans mobile établi

L’autre élément est la question du mobile, à nos yeux modernes, fondamentale. Mais, assez étonnamment, elle n’est pas creusée par les magistrats instructeurs. Il y a là la conjonction de deux tendances anciennes : d’abord, le fait que pour la justice les points essentiels à établir sont la réalité matérielle du crime (« est-il constant ? ») et la volonté délibérée de son auteur ; ensuite, la volonté des populations de ne pas laisser l’institution judiciaire se mêler de façon trop inquisitrice de leurs affaires. Cette double tendance explique l’absence d’interrogation sérieuse sur les causes de l’agression. Ni Hannel, qui pourrait pourtant ainsi conforter ses propos en mettant en cause Gagneur, ni les témoins, pourtant prompts à relayer le moindre ouï-dire, n’évoqueront un quelconque contentieux entre les deux hommes. Et les juges se contenteront d’un mobile qui peut paraître bien incertain :

A lui demandé s’il n’a pas cru que ledit Jean Hannel dans sa déposition pardevant le juge de paix du canton de Void avoit parlé du fait de cette hache, en le caractérisant de vol, et s’il n’a pas cru que le même Jean Hannel l’avoit désigné luy répondant pour être l’auteur de ce vol ? A répondu que non et qu’il n’en avoit point entendu parler.

A lui demandé si à raison de cette déposition qu’il soupçonnoit le concerner il n’a pas concu de l’inimitié contre ledit Jean Hannel et s’il n’a pas cherché à s’en venger ? A répondu que non29.

Sans être absurde, le motif de la vengeance suite à une accusation de vol peut sembler bien léger, même si cela fait écho à la réputation violente de Gagneur. En tout cas elle ne repose pas sur des éléments concrets et n’explique pas la particularité de l’agression – l’émasculation – dont Hannel a été victime.

Les insuffisances de l’enquête

Une nouvelle fois, il apparaît que le juge cherche surtout à conforter ses certitudes. D’où des failles importantes qui surgissent dans l’instruction, dont la plus importante est l’absence de vérification de l’alibi de Gagneur. C’est là un des éléments les plus troublants. Alors que Gagneur donne, lors de chaque interrogatoire, une liste nominative de quatre témoins, quatre femmes30, susceptibles de confirmer qu’il était (ou non) à Sauvoy vers midi et vers 13h15 à Void, ce qui ne lui donnerait pas la possibilité d’être au bois d’Aucrosse (assez éloigné) pour commettre son agression, il ne semble pas que ces témoins aient été entendus. En tout cas, leurs éventuelles dépositions ne figurent pas dans le dossier d’instruction31. Cette absence interroge : pourquoi les juges n’ont-ils pas cherché à vérifier ces informations pourtant capitales ?

Une réponse figure peut-être dans un curieux document trouvé en annexe de la procédure. Il s’agit d’une lettre, écrite en prison par Gagneur, et adressée à l’une de ses témoins, la citoyenne Fabin, de Sauvoy. En voici la teneur :

Citoyenne. Comme vous scavez que je suis détenu dans les prisons de Saint-Mihiel, et que vous devez y venir en témoignage vous voudrez bien vous souvenir que c’estoit le trois de ventôse que j’aye été chez vous pour acheter une vache et que j’en ai sorti à midy avec ma femme, c’est la grâce que je vous demande et la verité toute pure. J’ay l’honneur de vous souhaiter le bonjour et suis avec respect votre serviteur, et je vous supplie de dire la vérité toute pure, c’est ce que je vous recommande et suis votre serviteur32.

La lettre n’arrivera jamais jusqu’à la destinataire, elle sera interceptée par l’administration pénitentiaire et versée au dossier. La maladresse du propos peut être vue comme un signe du désespoir de l’accusé qui s’aperçoit qu’il ne réussit pas à convaincre les juges de sa bonne foi. Elle peut aussi être vue comme une tentative de pression ou de subornation, visant à dicter au témoin sa future déclaration, et jetant de facto le doute sur celle-ci. Il semble peu probable que les témoins à décharge n’aient pas été convoqués car cela constituerait un vice de procédure particulièrement grave33. Mais, entendus en dernier, après l’audition à charge de dizaines d’autres, on peut supposer qu’ils se sont empressés, soit de se faire porter pâle, soit de noyer leurs déclarations dans des imprécisions et des pertes de mémoires qui leur permettaient de ne pas avoir d’ennuis au sein de la communauté.

De toute façon, qu’ils aient ou non témoigné, il est manifeste que l’alibi de Gagneur n’a pas été pris en compte, par des juges qui se sont fondés essentiellement sur les déclarations de la victime et par celles des membres de la communauté qui avaient décidé de se débarrasser de lui.

« A ouï dire de tous tems que c’étoit un mauvais sujet »

La justice du xviiie siècle, qu’elle soit d’Ancien Régime ou révolutionnaire, ne se limite pas à un face-à-face entre l’institution et l’accusé. Le milieu local, dans une société de l’interconnaissance, joue un rôle important et même, dans le cas d’espèce, un rôle moteur.

La justice laisse les témoins accabler Gagneur

La première forme de cette intervention, la plus évidente, est constituée par les témoignages. La procédure a gardé la trace de 82 dépositions, faites par 77 individus34 différents. Ceux-ci habitent très majoritairement à Void (67 sur 77). Les autres, qui sont soit des « victimes » de Gagneur, soit des témoins, plus ou moins directs, de l’agression d’Hannel, proviennent des localités proches : la ville de Commercy, les villages d’Ourches, Saint-Aubin, Saint-Germain, Laneuville-au-Rupt, le tout dans un cercle d’une dizaine de kilomètres autour de Void, horizon réduit de l’interconnaissance, dans lequel se situent la plupart des personnes qui sont en relation personnelle avec les protagonistes de l’affaire35. Void compte alors environ un millier d’habitants, soit 250 à 300 feux pour reprendre la terminologie d’Ancien Régime36. C’est donc, en tenant compte du fait que plusieurs membres de mêmes familles ont pu témoigner, environ 10 % des adultes du village qui ont été entendus par la justice à propos de l’affaire, dont le retentissement sur le village a sans doute dépassé ce chiffre déjà important. La sociologie de ces témoins ne saurait étonner37. C’est celle du village, avec une surreprésentation des cultivateurs et des artisans, c’est-à-dire, sans surprise, de ceux qui côtoyaient Gagneur et Hannel et prenaient part à leurs activités. C’est bien dans ce monde du travail que se déroulent les événements : au long des témoignages, on voit les hommes aller aux champs, aux bois, conduire leurs chariots à la ville voisine, faire des affaires, se prêter – ou se voler - des outils ou des denrées. Les quelques notables présents sont ceux qui participent à ces activités, maîtres de poste, marchands, représentants de l’administration.

Pour l’essentiel, ces témoins viennent dénoncer les multiples délits commis par Jean-Nicolas Gagneur. Ce fait est capital et doit être interrogé. Bien peu, au mieux une vingtaine, évoquent, plus ou moins directement, l’agression de Hannel. Ainsi, lors de la première séance d’audition, consécutive à la déclaration de la victime, sur les vingt témoins entendus, pour la plupart des voisins des protagonistes, seuls deux évoquent les faits relatifs à l’agression. Si les autres déclarent préalablement « ne rien scavoir », cela n’empêche pas la plupart de parler et d’évoquer nombre de griefs contre Gagneur. Il faut insister sur ce point car il dénote une volonté manifeste de nuire au suspect. Ces témoins ne sont pas interrogés par le juge sur les faits qu’ils rapportent, ils les ajoutent d’eux-mêmes. Les accusations – essentiellement de vols – imputées à Gagneur ne sont donc pas des découvertes fortuites arrivées incidemment lors du cours de l’enquête mais de la volonté délibérée des déposants de charger Gagneur, de donner une image négative de lui et si possible de le faire condamner.

Le premier témoin, l’un des notables du village, Jean-Baptiste Cugnot, directeur de la « poste aux lettres » de Void est parfaitement représentatif38. Après avoir dit qu’il ne savait rien, il rapporte que « la rumeur publique » accuse Gagneur de l’agression, ce qui « ne l’étonneroit pas, s’il pourroit en croire quelques récits qu’on lui a fait sur le compte de cet homme » et il indique avoir entendu plusieurs habitants se plaindre de vols39. D’un point de vue légal, ce témoignage ne vaut strictement rien, ne s’agissant que d’ouï-dire indirects mais il dénote une attitude claire, et collective, visant à charger Gagneur. Il n’est pas non plus sans effet judiciaire, participant à l’image de criminel en passe d’être élaborée contre lui.

Il faut cependant préciser les choses, car on peut déceler plusieurs attitudes parmi les témoins. Très peu nombreux, au mieux quatre, sont ceux qui s’en tiennent à leur ignorance tel Nicolas Reine, manouvrier de 60 ans, qui déclare « ne rien scavoir contre [Gagneur] que ce qu’en dit la rumeur publique qui le nomme ». Mais le silence d’Adrien Harlacholle, 53 ans, qui affirme « ne rien scavoir de l’objet de sa comparution » est plus mystérieux. Harlacholle est en effet le voisin direct de Gagneur et il est bien étonnant qu’il n’ait rien du tout à dire40. D’autant qu’il est nommé directement par d’autres témoins comme ayant entendu ou dit des propos relatifs à l’affaire. Il y a donc bien chez lui clairement un refus de participer à l’enquête. Quelle est la raison d’une telle attitude ? Pourquoi ce refus de faire ce que font presque tous les autres ? Le silence est toujours polysémique. On peut y voir une prudence liée à la peur qu’inspire Gagneur, qui semble bien réelle. On a vu plus haut qu’Hannel lui-même hésitait à nommer directement celui qui est surnommé « carabinier » et plusieurs témoins indiquent n’avoir pas osé réclamer des objets volés. Et un autre évoque « le bruit public qui l’accuse d’avoir la main un peu légère ». Mais le silence de certains témoins, comme Harlacholle, peut aussi s’expliquer par le refus d’accabler celui qui est montré du doigt par une bonne partie du village. Gagneur est en effet un membre intégré de la communauté villageoise. Il a, avec sa femme, des parents41 et sans doute des amis, qui ont peut-être cherché à le défendre. Mais on ne les a pas entendus, soit qu’ils aient été écartés, soit qu’ils n’aient pas osé témoigner en sa faveur. Remarquables à ce titre sont les deux seuls témoins qui tiennent des propos relativement positifs. L’un, Louis Tallot, se livre à un exercice périlleux d’équilibre : après avoir évoqué la « main légère » de Gagneur, il précise que « par lui-même il n’a jamais eu à s’en plaindre », tout en précisant qu’il l’a une fois agressé « mais qu’il y a de cela trop longtemps pour que cela mérite d’être rappelé42 ». L’autre, Nicolas Crabouillet, est finalement le seul à dire crânement qu’il connaît bien Gagneur « mais qu’il n’a aucun reproche à lui faire43 ». Est-ce un hasard s’il réside à Saint-Aubin et n’est donc pas impliqué dans les tensions qui s’expriment dans la communauté de Void ?

Il y a donc bien peu de personnes pour prendre la défense de Gagneur et, au contraire, des dizaines de ses concitoyens qui viennent dire tout le mal qu’ils pensent de lui. La liste des forfaits reprochés est étonnante. Au total, à peu près une trentaine de vols sont imputés à Gagneur. Il s’agit pour l’essentiel d’outils (hache, tenaille, pièce de harnais, etc.) ou de grains. Certains de ces délits sont bien documentés par des témoins qui ont vu les faits ou en ont été les victimes, comme ce vol d’une hache à Jean Hannel dénoncé par trois témoins ou cette « pierre à vuider le cuir » dérobée à un tanneur de Commercy et retrouvée chez Gagneur par un de ses confrères. Mais ces cas sont rares et dans de nombreux autres, les faits apparaissent bien flous. Passe encore que Jean-Pierre Bonnetée, maréchal-ferrant, ait reconnu chez Gagneur une tenaille qu’on lui avait dérobée, mais peut-on accorder crédit aux accusations de Jeanne Habra qui prétend avoir vu dans la cuisine de Gagneur des côtelettes provenant d’un agneau qu’on venait de lui voler ? Et que tirer des accusations des sept témoins qui affirment avoir entendu un soir quelqu’un jeter quelque chose (il n’y a rien de plus précis) dans le jardin de Gagneur ? En outre, bien des faits ne sont connus que par un seul témoin (et n’emportent donc pas preuve du point de vue judiciaire) ou par ouï-dire. Ajoutons encore un fait étonnant : plusieurs de ces vols ont été résolus, soit parce qu’ils ont été empêchés (ce ne sont donc que des tentatives), soit que les victimes, ayant découvert le voleur, se sont fait rendre leurs effets. C’est aussi bien le cas de la pierre du tanneur de Commercy que celui de la hache de Hannel, que son domestique a vu Gagneur prendre et qui sera récupérée par sa femme44.

Pressions sociales sur la justice et sur les accusés

Le rôle de la communauté a encore été plus direct. Les concitoyens de Gagneur ont d’abord, en partie, compensé les faiblesses de l’enquête judiciaire, notamment dans la recherche du témoin-mystère, le seul à avoir vu l’agression. On se souvient que, sur l’indication de l’agent municipal du village d’Ourches, un nommé Pellerin a été auditionné par les juges, niant à chaque fois sa présence sur les lieux, clamant que « c’est à tort qu’on supposoit qu’il ait vu ou soulagé Jean Hannel45 ». Mais les témoins entendus le même jour infirment cette déclaration, rapportant des propos dans lesquels il affirmait que Hannel, lorsqu’il l’avait secouru, avait désigné Gagneur comme son agresseur. Que penser également de la déclaration de Charles Chanteau qui, assez opportunément, une semaine avant le jugement définitif se rappelle avoir vu Gagneur et un de ses fils se diriger vers les bois où a eu lieu l’agression ? Il est curieux qu’une telle déclaration, fortement décisive, apparaisse si tard dans la procédure.

Un dernier point montre la diversité des formes prises par l’implication de la communauté pour faire condamner Gagneur. Plusieurs témoins, n’ayant rien à dire sur les événements eux-mêmes, signalent des propos postérieurs, une nouvelle fois à charge. Ainsi Pierre Baillot, rencontrant Gagneur qui lui dit être « allé à Sauvoy pour s’assurer de ses témoins » et qui lui répond « qu’il se mettait dans son tort parce qu’il ne scavoit pas et que personne ne pouvait scavoir sur qui tomberoient les soupçons46 ». Ou Pierre Garret, qui rencontre Catherine Varinot se lamentant et qui lui répond « qu’il étoit inutile de pleurer et de prendre tant de chagrin si son mary étoit innocent47 ». Le sens que l’on peut donner à de tels propos est multiple. Il vise d’abord à jeter le doute sur l’alibi de Gagneur, suggérant au juge que ses témoins ne sont peut-être pas fiables. Surtout, ils montrent la pression qui s’exerce sur Gagneur, dès avant le début de la procédure. Face à Gagneur ou Varinot qui se plaignent de leur sort, les témoins font semblant de les rasséréner : les innocents n’ont pas à s’inquiéter ou à faire pression sur les témoins. Le syllogisme est imparable : seuls les coupables ont peur de la vérité et de la justice.

À l’instar de la lettre écrite en prison à la femme Fabin de Sauvoy, les démarches de Gagneur pour se disculper, certes maladroites, lui sont imputées à charge. C’est évidemment faire semblant d’ignorer la pression qui s’exerce sur Gagneur et dont il est bien conscient : « qu’à cela il avoit repondu qu’il s’apercevoit bien que tout le monde parlait de lui » rétorque-t-il à Baillot. Le drame se noue sans doute à ce moment, dans le mélange de la pression judiciaire et de celle du milieu local. Lors de sa discussion avec Baillot, Gagneur semble avoir songé à la fuite : « s’ils n’avoient pas eu d’enfants on ne les auroit jamais revu ni lui ni sa femme » avant de prédire : « il falloit qu’il en périsse quelques-uns de chez eux48 ».

Il est difficile d’aller plus loin et de faire de Gagneur et sa femme des innocentes victimes. La condamnation du cultivateur meusien s’appuie principalement, on l’a vu, sur la reconnaissance certaine faite par la victime. Mais le point essentiel, pour l’historien, est l’engagement fort et massif des concitoyens de Gagneur contre lui. Des dizaines de villageois sont venus, sans incitation judiciaire, dire tout le mal qu’ils pensaient d’un homme qui avait franchi les bornes socialement acceptables. Gagneur n’est pas décrit comme un brigand, un voleur de grand chemin. C’est un individu intégré au village dont il partage le mode de vie mais aussi un criminel d’occasion qui joue sur les limites entre ce qui est ou non permis. Interrogé sur les larcins qu’on lui impute, il a toujours une bonne réponse : la hache de Hannel, il l’a « empruntée », la pierre du tanneur, il l’a trouvée dans la rue, le livre découvert chez lui par le greffier du juge de paix, il l’a acheté à une bohémienne. La plupart de ces délits restent mineurs, et rappelons que beaucoup ont été ratés ou résolus. Mais c’est l’accumulation des délits qui est reprochée. Un témoin, ayant travaillé avec Gagneur, dit que « lorsqu’il s’égaroit quelque chose on disoit que c’étoit lui qui l’avoit pris49 ». Gagneur est ainsi devenu « un mauvais sujet » dont la communauté serait « fort aise de se débarrasser50 ».

Plusieurs témoins évoquent explicitement la « bonne foy publique » à laquelle Gagneur contrevient. Cette notion est une des facettes du contrôle social. Elle permet de laisser en confiance les biens que l’on ne peut surveiller soi-même en les plaçant sous le regard de chacun. La « bonne foy publique » est d’abord une prescription de comportements : s’abstenir de toucher aux biens d’autrui, non pas selon une injonction morale théorique, mais pour bénéficier, en retour, d’une même protection. Ce qui est le plus reproché à Gagneur, ce n’est donc pas le vol de quelques objets, dont la valeur reste limitée, c’est qu’on ne peut pas lui faire confiance et qu’il rompt avec les règles communes, comme lorsqu’il rôde dans les jardins « dans un tems où la plus grande partie des habitants de la commune etoient dans la campagne51 ».

L’accumulation des témoignages, souvent juridiquement flous, a donc bien comme but de dresser le portrait d’un « scélérat dont il falloit se méfier52 ». Ils n’apportent rien de définitif sur l’agression d’Hannel. Mais cela entraîne des conséquences judiciaires concrètes. Dans l’acte d’accusation, vingt vols, sur la trentaine dénoncée par les témoins, sont repris à charge, le directeur du jury n’ayant écarté que les plus douteux ou imprécis. Lors du jugement final, Gagneur sera reconnu coupable de sept de ces vols, quinze autres ayant reçu des réponses négatives aux questions posées53. Certes, cela ne change rien pour le laboureur, de toute façon condamné à mort pour l’agression de Hannel. Mais la multiplication des témoignages à charge a dessiné aux yeux des juges et du jury le portrait d’un « mauvais sujet » dont la violence et l’incivisme ordinaires crédibilisaient l’accusation d’agression contre Hannel. Elle contribue à jeter le doute sur son alibi ou ses dénégations, et vient compenser en quelque sorte les incertitudes du dossier. C’est bien pour l’ensemble de ces « crimes » que Gagneur est condamné et, sans beaucoup s’interroger, les juges et jurés ont suivi le récit que ses concitoyens proposaient.

Il n’est pas certain que sans l’intervention des villageois de Void Jean-Nicolas Gagneur n’aurait pas bénéficié des doutes que l’examen critique du dossier pouvait faire naître ; ni que sans la forte réprobation sociale, la mise au ban, que l’ouverture de la procédure avait provoquée dans la communauté, Catherine Varinot et ses enfants auraient décidé leurs funestes projets. Probablement convaincus qu’il était bien l’auteur du crime contre Hannel, nombre d’habitants semblent avoir considéré qu’il était cette fois nécessaire de tout faire pour se débarrasser de lui. Trop c’est trop, ont-ils sans doute estimé.

1 Pour la commodité du lecteur, les dates du calendrier républicain, seul en vigueur dans les documents officiels au moment des faits, seront

2 Void, aujourd’hui Void-Vacon : Meuse, ar. Commercy, ch.-l. c. Ourches est au sud-est de Void et Sauvoy au sud de Void.

3 Lors de la constitution des départements en 1790, un partage s’est fait entre les communes de la Meuse qui prétendaient obtenir les sièges des

4 On en trouve un compte-rendu, assez exact, dans la Gazette nationale ou Moniteur universel, n° 250, 10 prairial An vii, p. 1017.

5 Maurice Lever, Canards sanglants. Naissance du fait divers, Paris, Fayard, 1993.

6 Voir Antoine Follain (dir.), Brutes ou braves gens ? La violence et sa mesure (xvie-xixe siècle), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg

7 Robert Allen, Les tribunaux criminels sous la Révolution et l’Empire, 1792-1811, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.

8 Hervé Piant, Une justice ordinaire. Justice civile et criminelle dans la prévôté royale de Vaucouleurs sous l’Ancien Régime, Rennes, Presses

9 Cette rue, où habitent Hannel et Gagneur, a aujourd’hui entièrement disparu, ensevelie sous les terrassements d’un contournement routier.

10 Dans sa plainte originelle, du 20 ventôse, Hannel évoque le 4 du même mois comme jour de l’agression, ce qui sera infirmé par les témoins entendus

11 A.D. Meuse, L 1944, acte du 20 ventôse vii pour cette citation et les précédentes.

12 Sauvoy, Meuse, arr. Commercy.

13 R. Allen, Les tribunaux…, op. cit., p. 26. 

14 Du 11 au 14 mars, le juge de paix de Void entendra 54 témoins. Plus tard, le directeur du jury d’accusation en ajoutera 28 autres.

15 Il n’y a pas de procès-verbal de l’exécution. La date est connue par les actes de décès de la commune de Saint-Mihiel.

16 Breuil est un faubourg de la ville de Commercy où se trouve la prison.

17 Varinot a effectivement tué ses enfants à coups de hache mais s’est frappée elle-même à coups de couteau.

18 A.D. Meuse, L 1945, interrogatoire du 24 ventôse.

19 On notera que la tentative de suicide de Varinot lui est imputée de la même façon que le meurtre de ses trois enfants.

20 A.D. Meuse, L 1945, interrogatoire du 1er floréal pour cette citation et les suivantes.

21 Rappelons qu’ils ont été égorgés…

22 Allusion à l’hystérie.

23 A.D. Meuse, L 1945, interrogatoire du 24 ventôse.

24 A.D. Meuse, L 1945, interrogatoire du 1er floréal.

25 Dans le jugement du 14 prairial, Gagneur est décrit comme ayant une « taille de cinq pieds six à sept pouces », ce qui ferait environ 1,80 m, soit

26 Voir plus haut, note 10.

27 A.D. Meuse, L 1944, acte du 24 ventôse An VII.

28 A.D. Meuse, L 1944, acte du 15 germinal An VII.

29 A.D. Meuse, L 1944, Interrogatoire du 1er floréal, pour cette citation et la précédente.

30 À savoir la femme de Sauvoy chez qui il négociait, les deux femmes qu’il a croisées en sortant de ce village, et celle qui l’aurait vu rentrer chez

31 Il est possible qu’elles aient été entendues directement lors du procès, dont on n’a pas retrouvé les pièces, hormis la sentence.

32 A.D. Meuse, L 1944, acte daté du 8 floréal. La lettre est signée, d’une main maladroite, par Gagneur qui semble avoir eu une maîtrise très limitée

33 Gagneur a fait un pourvoi en cassation, mais on ne sait sur quel motif. On peut penser qu’un refus d’entendre les témoins à décharge aurait

34 Cinq d’entre eux ont été entendus deux fois.

35 Néanmoins la vie de Gagneur se déroule sur un champ d’action plus grand, notamment avec la pratique des convois qui amenaient les villageois à

36 Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, Paroisses et communes de France : Meuse, Paris, CNRS, 1992.

37 On compte 20 femmes (essentiellement des femmes mariées) et 55 hommes. En revanche, dans les témoins entendus dans la procédure contre Catherine

38 Il s’agit sans doute de l’un des fils du célèbre inventeur du fardier, gloire locale.

39 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 21 ventôse. De même pour les témoins suivants.

40 C’est lui qui, par exemple, identifie les cadavres des enfants Gagneur.

41 Gagneur a au moins un frère, qui n’a pas été entendu.

42 A.D. Meuse, L 1944, audition commencé le 21 ventôse.

43 A.D. Meuse, L 1944, audition du 22 germinal.

44 On se souvient peut-être que la dénonciation de ce prétendu vol était, pour le juge instructeur, le motif probable de l’agression commise contre

45 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 8 floréal.

46 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 21 ventôse.

47 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 21 ventôse.

48 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 8 floréal.

49 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 21 ventôse, témoignage de Jean-Baptiste Louis.

50 A.D. Meuse, L 1944, audition du 22 germinal, témoignage d’Antoine Roquis.

51 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 21 ventôse, témoignage de Jeanne Manson.

52 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 21 ventôse, témoignage de Gérard Dodo.

53 Soit 22 chefs d’accusation (plus l’agression et la castration de Hannel), deux vols ayant été examinés par le jury de jugement alors qu’ils ne

Notes

1 Pour la commodité du lecteur, les dates du calendrier républicain, seul en vigueur dans les documents officiels au moment des faits, seront remplacées par celles du calendrier grégorien dans le corps du texte. En revanche, on les conservera dans les références d’archives. L’ensemble du dossier documentaire est conservé aux Archives départementales de la Meuse, sous les cotes L 1944 (procédure contre Jean-Nicolas Gagneur), L 1945 (procédure contre Catherine Varinot) et L 1863 pour les jugements définitifs.

2 Void, aujourd’hui Void-Vacon : Meuse, ar. Commercy, ch.-l. c. Ourches est au sud-est de Void et Sauvoy au sud de Void.

3 Lors de la constitution des départements en 1790, un partage s’est fait entre les communes de la Meuse qui prétendaient obtenir les sièges des nouvelles administrations. Saint-Mihiel, loin d’être la ville principale du département, mais de situation plus centrale, a ainsi été choisie pour accueillir le tribunal criminel départemental, permettant à Verdun de conserver son évêché et à Bar-le-Duc d’obtenir le chef-lieu.

4 On en trouve un compte-rendu, assez exact, dans la Gazette nationale ou Moniteur universel, n° 250, 10 prairial An vii, p. 1017.

5 Maurice Lever, Canards sanglants. Naissance du fait divers, Paris, Fayard, 1993.

6 Voir Antoine Follain (dir.), Brutes ou braves gens ? La violence et sa mesure (xvie-xixe siècle), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2015, ainsi que le concept de « victime émissaire » développé notamment par Jean-Claude Diedler à propos des procès de sorcellerie.

7 Robert Allen, Les tribunaux criminels sous la Révolution et l’Empire, 1792-1811, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.

8 Hervé Piant, Une justice ordinaire. Justice civile et criminelle dans la prévôté royale de Vaucouleurs sous l’Ancien Régime, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.

9 Cette rue, où habitent Hannel et Gagneur, a aujourd’hui entièrement disparu, ensevelie sous les terrassements d’un contournement routier.

10 Dans sa plainte originelle, du 20 ventôse, Hannel évoque le 4 du même mois comme jour de l’agression, ce qui sera infirmé par les témoins entendus dans l’information, obligeant le juge de paix à interroger de nouveau Hannel le 24. Celui-ci corrige alors la date au 3 ventôse (jeudi 21 février), expliquant l’erreur par une mauvaise prise en compte du décadi.

11 A.D. Meuse, L 1944, acte du 20 ventôse vii pour cette citation et les précédentes.

12 Sauvoy, Meuse, arr. Commercy.

13 R. Allen, Les tribunaux…, op. cit., p. 26. 

14 Du 11 au 14 mars, le juge de paix de Void entendra 54 témoins. Plus tard, le directeur du jury d’accusation en ajoutera 28 autres.

15 Il n’y a pas de procès-verbal de l’exécution. La date est connue par les actes de décès de la commune de Saint-Mihiel.

16 Breuil est un faubourg de la ville de Commercy où se trouve la prison.

17 Varinot a effectivement tué ses enfants à coups de hache mais s’est frappée elle-même à coups de couteau.

18 A.D. Meuse, L 1945, interrogatoire du 24 ventôse.

19 On notera que la tentative de suicide de Varinot lui est imputée de la même façon que le meurtre de ses trois enfants.

20 A.D. Meuse, L 1945, interrogatoire du 1er floréal pour cette citation et les suivantes.

21 Rappelons qu’ils ont été égorgés…

22 Allusion à l’hystérie.

23 A.D. Meuse, L 1945, interrogatoire du 24 ventôse.

24 A.D. Meuse, L 1945, interrogatoire du 1er floréal.

25 Dans le jugement du 14 prairial, Gagneur est décrit comme ayant une « taille de cinq pieds six à sept pouces », ce qui ferait environ 1,80 m, soit une assez haute taille pour l’époque.

26 Voir plus haut, note 10.

27 A.D. Meuse, L 1944, acte du 24 ventôse An VII.

28 A.D. Meuse, L 1944, acte du 15 germinal An VII.

29 A.D. Meuse, L 1944, Interrogatoire du 1er floréal, pour cette citation et la précédente.

30 À savoir la femme de Sauvoy chez qui il négociait, les deux femmes qu’il a croisées en sortant de ce village, et celle qui l’aurait vu rentrer chez lui en début d’après-midi. Il s’agit d’ailleurs de la propre fille de Hannel, qui est, on s’en souvient, voisin de Gagneur.

31 Il est possible qu’elles aient été entendues directement lors du procès, dont on n’a pas retrouvé les pièces, hormis la sentence.

32 A.D. Meuse, L 1944, acte daté du 8 floréal. La lettre est signée, d’une main maladroite, par Gagneur qui semble avoir eu une maîtrise très limitée de l’écriture. L’orthographe et la graphie correctes laissent en revanche penser qu’elle a été écrite par une autre personne, sans doute son « conseil officieux » (avocat).

33 Gagneur a fait un pourvoi en cassation, mais on ne sait sur quel motif. On peut penser qu’un refus d’entendre les témoins à décharge aurait entraîné la cassation du jugement, ce qui n’a pas été le cas.

34 Cinq d’entre eux ont été entendus deux fois.

35 Néanmoins la vie de Gagneur se déroule sur un champ d’action plus grand, notamment avec la pratique des convois qui amenaient les villageois à livrer des marchandises dans les villes de garnison de la région, en l’occurrence Nancy et Metz. C’est lors de ces convois que Gagneur aurait commis plusieurs vols.

36 Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, Paroisses et communes de France : Meuse, Paris, CNRS, 1992.

37 On compte 20 femmes (essentiellement des femmes mariées) et 55 hommes. En revanche, dans les témoins entendus dans la procédure contre Catherine Varinot, on trouve essentiellement d’autres femmes, signes de la forte différenciation sexuée des tâches.

38 Il s’agit sans doute de l’un des fils du célèbre inventeur du fardier, gloire locale.

39 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 21 ventôse. De même pour les témoins suivants.

40 C’est lui qui, par exemple, identifie les cadavres des enfants Gagneur.

41 Gagneur a au moins un frère, qui n’a pas été entendu.

42 A.D. Meuse, L 1944, audition commencé le 21 ventôse.

43 A.D. Meuse, L 1944, audition du 22 germinal.

44 On se souvient peut-être que la dénonciation de ce prétendu vol était, pour le juge instructeur, le motif probable de l’agression commise contre Hannel.

45 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 8 floréal.

46 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 21 ventôse.

47 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 21 ventôse.

48 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 8 floréal.

49 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 21 ventôse, témoignage de Jean-Baptiste Louis.

50 A.D. Meuse, L 1944, audition du 22 germinal, témoignage d’Antoine Roquis.

51 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 21 ventôse, témoignage de Jeanne Manson.

52 A.D. Meuse, L 1944, audition commencée le 21 ventôse, témoignage de Gérard Dodo.

53 Soit 22 chefs d’accusation (plus l’agression et la castration de Hannel), deux vols ayant été examinés par le jury de jugement alors qu’ils ne figurent pas dans l’acte d’accusation.

Citer cet article

Référence papier

Hervé Piant, « « Un mauvais sujet dont la commune seroit fort aise d’être débarrassée » : justice, crimes et relations sociales en Lorraine à l’époque révolutionnaire (1799) », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe, 11 | 2017, 89-106.

Référence électronique

Hervé Piant, « « Un mauvais sujet dont la commune seroit fort aise d’être débarrassée » : justice, crimes et relations sociales en Lorraine à l’époque révolutionnaire (1799) », Source(s) – Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe [En ligne], 11 | 2017, mis en ligne le 22 septembre 2023, consulté le 26 avril 2024. URL : https://www.ouvroir.fr/sources/index.php?id=254

Auteur

Hervé Piant

Hervé Piant est docteur de l’université de Bourgogne, chercheur associé à l’EA 3400 ARCHE.

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