Le développement de l’enseignement de la langue basque en France depuis le début du XXIe siècle s’accompagne d’une augmentation du nombre d’enseignants de basque comme acteurs de la transmission de la langue par l’école. La formation de ces enseignants influence la qualité, le contenu et des aspects de la transmission de la langue et de culture minorées.
Il s’agit de mettre en évidence les particularités de l’enseignement du basque au sein de système éducatif français qui, par l’intermédiaire de l’Éducation nationale, entretient une relation spécifique avec ses langues régionales dans la mesure où les programmes des concours de l’enseignement du secondaire orientent la formation de ces enseignants, en développant des connaissances relatives à la langue basque, à son histoire, à la culture et à la littérature basques.
Quelles sont les spécificités de la formation d’un enseignant de basque de l’enseignement secondaire aujourd’hui ? Quelles sont les adaptations des orientations pédagogiques de l’Éducation nationale aux spécificités et défis de l’enseignement du basque ? Quels sont les choix didactiques ? Ces évolutions concernent-elles la didactique ? À partir des programmes, sujets et rapports de jury des concours de basque du second degré de ces dernières années, cet article propose d’interroger la question des compétences attendues par le système éducatif français d’un enseignant de basque aujourd’hui.
Dans un premier temps nous allons caractériser les compétences linguistiques, en littérature et en civilisation que devraient avoir les enseignants nouvellement recrutés, puis nous présenterons les adaptations des orientations pédagogiques de l’Éducation nationale à l’enseignement du basque, en soulignant quelques originalités.
1. Compétences de l’enseignant de basque
1.1. Formation linguistique
À l’heure actuelle, la tendance générale dans l’enseignement des langues est de proposer des approches communicatives, qui laissent la précision grammaticale et stylistique en arrière-plan, même si l’approche actionnelle l’inclue sans qu’elle soit première. On accorde beaucoup d’importance à la traduction en France dans toutes les études universitaires de langues qui débouchent sur un concours de l’Éducation nationale, en particulier du secondaire. La traduction grammaticale a cependant une diffusion beaucoup plus limitée que par le passé dans l’enseignement, notamment pour les langues indo-européennes enseignées en France.
Depuis la création des concours de recrutement des enseignants de langues régionales pour le premier et second degré1, la traduction est devenue un exercice académique institutionnalisé. La connaissance de l’histoire de la traduction, la diversité des auteurs des textes à traduire (écrivains, philosophes, critiques, historiens, traducteurs) et l’émergence récente du champ des études traductologiques font partie de la culture linguistique des futurs enseignants de basque. Les futurs enseignants de basque sont formés à la variété des approches historiques contemporaines et théoriques de la traduction et aux problématiques spécifiques de la traduction basque-français à travers les textes littéraires (Orpustan, 1997).
La version et le thème, exercices traditionnels universitaires, font ainsi partie de la formation linguistique de l’enseignant de basque du XXIe siècle. Les questions de traductologie et de méthodologie grammaticale sont abordées à travers des exercices issus d’extraits d’œuvres littéraires d’auteurs basques (Duvoisin, Hiriart Urruty, Etxepare, Barbier, Lafitte, Oxobi, Mirande, Etxamendi, etc.) et français (Rousseau, Diderot, Flaubert, Stendhal, Proust, Toulet, Lévi-Strauss, Loti, Camus, Yourcenar, etc.2). Les genres de textes proposés à la traduction sont essentiellement narratifs, descriptifs et argumentatifs et traitent de nombreux thèmes et domaines d’expérience : roman d’apprentissage, d’amour, d’aventures, dialogue philosophique, traité d’éducation, réflexion pédagogique sur la littérature, la mémoire et le temps, récit de voyage, conte traditionnel, essai journalistique, nouvelle moderne, etc.
La version est à la fois un exercice de compréhension de la langue basque et un exercice d’expression en langue française. Grâce aux textes proposés, les futurs enseignants sont confrontés à une langue basque cultivée et littéraire, et approfondissent la connaissance des traits linguistiques, syntaxiques, lexicaux, sémantiques du dialecte littéraire navarro-labourdin (Lafitte, 1979). Le thème demande au futur enseignant de mettre en place un certain mécanisme. Sa pratique permet l’acquisition de la langue basque écrite normée caractérisée par le standard, euskara batua, notamment en ce qui concerne la connaissance des règles orthographiques et grammaticales, mais aussi pontuée par des éléments stylistiques que les étudiants produisent à partir de textes narratifs, argumentatifs, descriptifs, etc. d’auteurs classiques. Les textes proviennent de genres textuels et de courants littéraires variés.
L’orthographe lexicale et grammaticale unifiée qui est de rigueur dans les concours de l’enseignement pose quelques difficultés aux candidats (MENa, 2019). Le profil des candidats se présentant aux concours de l’enseignement secondaire met en évidence une évolution nette. Si tous sont bascophones, la part des néolocuteurs du basque ayant appris la langue basque tardivement n’est pas à négliger. Ainsi, il faut concilier deux publics : d’une part les néolocuteurs ayant une connaissance des règles orthographiques et grammaticales de la langue standard écrite, et d’autre part, les bascophones « natifs » ayant une connaissance des variantes dialectales.
Sans négliger l’apprentissage de la communication en basque, qui fait accéder les élèves à une compétence élémentaire en basque, la conception de l’épreuve de commentaire linguistique au concours de l’agrégation permet au futur agrégé d’envisager la langue comme un outil apte à rendre compte de l’évolution de la pensée, de la culture et de l’histoire du Pays basque. Ainsi, on comprend l’évolution de la langue basque et on confronte les différentes variantes telles qu’elles se pratiquent dans le monde bascophone, en mettant en évidence leurs enjeux et les processus qui ont mené à une telle diversité. Les étudiants étudient d’abord et s’approprient ensuite les différentes formes linguistiques qu’ils seront amenés à enseigner notamment en filière paritaire ou immersive.
En formation des enseignants, en Master MEEF et en préparation à l’agrégation, il ne s’agit pas de former des spécialistes en linguistique basque, mais plutôt d’approfondir les compétences dans la langue envisagée sur un continuum historique. L’épreuve d’explication linguistique d’un extrait consiste à réaliser la photographie d’un état et d’un système de langue propre à un texte et demande une maîtrise d’une terminologie précise : phonèmes, graphèmes, morphèmes, catégories du discours, définition d’une proposition, variation modale, distinction entre temps, mode et aspect, différenciation entre pronom et adjectif, etc.
Il s’agit pour le futur enseignant de maitriser l’histoire de la langue dans ses dimensions diatopique, diastratique et diachronique. Une périodisation constituée de repères chronologiques retraçant l’évolution de la langue basque est proposée : l’Aquitain (Ier-IIIe siècles), le basque du Moyen-Âge (IXe-XIIe siècles), le basque archaïque (1400-1600), le basque ancien (1600-1745), le premier basque moderne (1745-1891), le second basque moderne (1891-1968), le basque unifié (depuis 1968) (Igartua, Gorrotxategi, Lakarra, 2018). Le futur enseignant doit maitriser des connaissances explicatives sur la langue basque pour les exigences liées au concours.
Pour répondre aux besoins de son futur métier, sa compétence linguistique bien souvent standard sera complétée par une sensibilisation à certains aspects du dialecte souletin (auxiliaire verbal à la forme allocutive, lexique spécifique, phonologie, etc.) ou au navarro-labourdin qu’il peut être amené à enseigner. Il est à noter que le public d’élèves suivant un enseignement de/en basque est très hétérogène, composé de bascophones « natifs » et d’élèves pour qui le basque est une langue seconde uniquement scolaire.
Pour les états anciens de la langue, les différentes formes graphiques permettent de faire des hypothèses sur le système de sons, autrement dit la phonologie du basque. Les textes anciens basques témoignent de systèmes phonologiques spécifiques (Michelena, 1964) distincts du standard actuel. Les étudiants sont formés en linguistique descriptive appliquée : constitution du système phonologique, évolutions de la langue basque, vocalisme, système consonantique, etc.
Pour la graphie, les étudiants sont formés à la connaissance des phénomènes graphiques latins et romans, tels que la reproduction des affriquées basques par digraphes ou trigraphes. En langue basque médiévale par exemple, malgré la présence de nombreux digraphes, la prononciation était probablement identique à celle d’aujourd’hui (Orpustan, 1999). Les phénomènes de crases, les causes et les effets sur la constitution générale de la forme et l’instabilité graphique sont mis en évidence dans les textes anciens. Dans les textes contemporains, on note les différents choix de ponctuation (présence de parenthèses, de tirets cadratins et de guillemets), différents usages typographiques (italique, graisse, minuscule, majuscule, etc.), les marques graphiques de l’insertion de la parole rapportée, les orthographes étrangères, etc. En effet, l’histoire culturelle de l’orthographe basque est étroitement liée à l’orthographe des langues romanes voisines, sans négliger l’histoire des pratiques graphiques dans leur rapport à la norme.
En phonétique historique, également appelée évolutive ou diachronique, le futur enseignant est formé à une maitrise de la terminologie permettant l’analyse de phénomènes phonétiques généraux rencontrés : prothèse, métathèse, apparition d’un yod, sonorisation de consonnes intervocaliques, amuïssements, ouverture des voyelles en diphtongues, assimilation et dissimilation vocaliques, etc. La connaissance de cette terminologie indispensable aux attentes du concours est ensuite transposée aux besoins de la classe.
Les particularités phonétiques de la langue basque (absence de /f/ à date ancienne, absence de mots commençant par le phonème /r/ qui impose la présence d’une prothèse vocalique e- ou a- dans les emprunts romans, sonorisation des consonnes initiales, palatalisation de consonnes, rareté des groupes de consonnes, sauf dans le cas des aspirées) font partie de la culture linguistique de l’enseignant de basque. Ces connaissances lui permettent d’appréhender l’enseignement de la langue d’un point de vue diachronique et d’avoir une vision d’ensemble de son histoire. Ces connaissances répondent aux attentes du concours, notamment de l’agrégation.
La morphologie et la syntaxe sont orientées vers la connaissance d’une grammaire basque propre aux concours d’enseignement : déclinaison, détermination indéfinie, substantifs à –a final organique, fonctions syntaxiques des cas grammaticaux (sujet d’intransitif, objet de transitif, sujet de transitif, etc.), structures passives, expression de la cause et de l’agent, morphologies du futur, valeurs des périphrases, structures attributives, distinction entre composition et dérivation, les affixes, préfixes, suffixes, etc. En morphologie lexicale, les diminutifs, les suffixes appréciatifs ou augmentatifs sont autant de phénomènes linguistiques associés à la diversité des catégories morphosyntaxiques de la base (Orpustan, 2019).
En sémantique et en lexicologie, les futurs enseignants doivent réfléchir à des systèmes sémantiques autour des phénomènes observés en diachronie et synchronie : glissements sémantiques, constitution de réseaux lexicaux et sémantiques, déclinaisons synonymiques ou antonymiques, origines et mécanismes des romanismes vers une intégration dans le lexique basque, organisation en paradigmes lexicaux, renouvellement (néologismes, archaïsmes, emprunts intégrés de longue date ou occasionnels, etc.) à la fois à travers le filtre-écran de la pratique de la langue et de l’étude de celle-ci.
En stylistique, les étudiants sont formés aux spécificités du basque, en prenant le texte comme « objet » (organisation textuelle, procédés grammaticaux, outils lexicaux, dimension rhétorique). Cette question soulevée par le sujet du CAPES de 2018 concerne les verbes synthétiques : « Comment avez-vous traduit derabilaten et deramatela ?3 ». Ici, les formes verbales synthétiques suffixées, respectivement par un relatif et un conjonctif, ont leur équivalent en conjugaison périphrastique, erabiltzen duten et eramaten dutela4. Il y a une différence aspectuelle et les deux formes ne sont pas équivalentes : la forme synthétique a un aspect ponctuel ou neutre alors que la forme périphrastique a un aspect habituel. Il y a également une distinction d’ordre stylistique (Orpustan, 2019), la forme synthétique étant privilégiée dans un registre soutenu. Une connaissance des procédés stylistiques de la langue basque fait partie de la culture linguistique des futurs enseignants. Cette approche stylistique facilite non seulement l’étude des textes classiques, mais les initie aussi à la maîtrise d’une langue basque riche et variée. Ainsi, leur culture linguistique est envisagée dans une organisation de la langue comme système.
1.2. Compétences civilisationnelles
Un relevé des questions de civilisation inscrites au programme du CAPES de basque entre les années 2000 et 2010 révèle les thématiques suivantes : la guerre de Navarre (1512-1530) et la première moitié du XVIe siècle au Pays basque ; les conflits sociaux et culturels dans les territoires basques au début du XXe siècle, à la veille de la Première Guerre mondiale ; de 1571 à 1643 : le temps des incertitudes ; de 1848 à 1892 : crises et débats dans la société basque ; la société basque au XVIIIe siècle ; 1918-1939 : les intellectuels dans l’entre-deux-guerres ; les Basques et la mer (1600-1763) ; changement social et mobilisations sociopolitiques en Pays basque (1945-1980) ; la Navarre et ses voisins dans le premier XVIe siècle (1483-1560) ; société, politique et religion sous la IIIe République en Pays basque (1875-1914). Ces questions reflètent une histoire moderne et contemporaine basque croisant approche sociale, enjeux socio-politiques et histoire culturelle pour traiter de grandes questions historiographiques.
Depuis 2013, les programmes des CAPES de langues étrangères et régionales sont organisés autour de notions culturelles, de thématiques et d’axes issus des programmes de collège et de lycée. Pour la session 2019, les thématiques de « Mythes et héros » et « L’imaginaire » (MEN, 2018) permettent de traiter d’objets historiques, géographiques, sociologiques ou philosophiques, tout en approfondissant la langue. L’un des enjeux essentiels de la formation pour les enseignants est de permettre l’approfondissement de la langue régionale et de leur donner en même temps les clés pour en comprendre la culture, cet enjeu concernant également les élèves. Cette formation propose une articulation des deux notions aux quatre œuvres littéraires inscrites au programme et aux deux sujets de civilisation inscrits au programme. En civilisation, la question de l’émigration est envisagée comme une tension sociale dans l’histoire culturelle. Son intérêt demeure dans la réception du phénomène migratoire dans la société basque de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle.
La notion d’imaginaire présente au programme du CAPES 2019 (MEN, 2018) se caractérise par un système d’images partagées par une collectivité humaine à une époque précise, ou elle peut être propre à un auteur, à un artiste, à un individu et permet d’interroger les relations et les frontières entre imaginaire et réalité. Dans la littérature basque, Gabriel Aresti, poète, écrivain et académicien de langue basque, développe la création d’un imaginaire individuel et collectif lié à l’histoire et à l’anthropologie basques, avec des symboles clés comme l’arbre, la maison ou la pierre (Arcocha-Scarcia, 1993). On peut articuler cette notion au programme de littérature du CAPES 2019 : les trois essais littéraires Ameriketako orhoitzapenak, Canadako berriak, Tratuak ordu batez et Urrungo leihorretan5 de l’œuvre Buruxkak de Jean Etchepare entrent en écho avec les réalités et les représentations culturelles de l’émigration basque ; Baigorriko zazpi liliak, de Jean-Pierre Duvoisin, est une série de onze contes traditionnels réécrits à partir d’un travail de recueil réalisé un demi-siècle auparavant qui illustrent un imaginaire basque. Ainsi, les instructions officielles des programmes du CAPES prévoient d’articuler les dimensions littéraires, politiques et pratiques de la langue basque comme langue de culture et langue académique.
Concernant la thématique « mythes et héros », les mythes basques s’appuient sur des récits historiques et qui portent sur de nombreuses thématiques, telles que le vent, le décès, l’eau, le voisinage, les femmes, l’Église, etc. (Arana, 2000). Parmi les divers thèmes qu’ils abordent, les phénomènes naturels sont fréquents. Par exemple, dans la mythologie basque, le mythe du dragon d’Alçay est constitué à partir des formes des paysages entre Basse-Navarre et Soule. Ces mythes épiques ont une fonction explicative et répondent aux questions que se posent les hommes, servent d’interprétation du monde qui nous entoure, et font office de morale ou de principe éducatif (Carlier et Griton, 2008). Les mythes se font écho d’une société à l’autre, d’une époque à l’autre. Nombre de mythes contemporains sont calqués sur les archétypes des mythes classiques et ont une fonction pratique et morale.
1.3. Compétences littéraires
La formation littéraire des futurs enseignants de basque repose sur une approche contrastive avec les cultures littéraires d’autres langues minorées de France, notamment occitane, corse et bretonne. Ainsi, les conditions d’une émergence de la littérature corse entre 1817 et 1936 mettent en évidence une individuation sociolinguistique qui apparaît comme un choix historiographique et épistémologique, une importance de l’oraliture, le provincialisme comme effet de la diglossie, la dimension politique du projet national derrière le texte littéraire, etc. De même, les ballades bretonnes issues de la tradition orale et enregistrées au XIXe siècle par des antiquaires et des folkloristes constituent une riche source pour l’étude de la violence et de la justice. Elles ont conservé la mémoire des événements locaux qui ont eu lieu pendant l’époque moderne, traitent de meurtres, de viols et d’infanticides et leur comparaison avec des documents écrits tels que les archives judiciaires révèle deux discours différents et complémentaires sur la Bretagne primitive moderne (Guillorel, 2014). Enfin, une connaissance de la création poétique dans la littérature occitane (Université de Montpellier) au XIXe siècle permet également une approche contrastive. La socioculture historique basque se distingue ainsi par un caractère à la fois singulier et influencé d’éléments d’autres langues de culture.
La canonisation de certaines œuvres littéraires classiques dans le cadre scolaire est liée au programme des concours de l’enseignement du secondaire dans la mesure où la culture littéraire des futurs enseignants de basque prend appui sur les œuvres inscrites au programme. En 2019, les œuvres et auteurs classiques occupent une place de choix : sur les sept œuvres au programme, six sont des œuvres classiques (MEN, 2019a et MEN, 2019b). L’œuvre la plus récente concerne le recueil de contes 100 % basque (Borda, 2001) qui interroge l’« essence » basque tout en dénonçant de nombreux préjugés véhiculés sur les Basques et par les Basques eux-mêmes. L’ouvrage récompensé par le prix de littérature Euskadi en 2001 a été auto-traduit en français par l’auteur en 2003. L’étude de chaque œuvre littéraire s’insère dans l’histoire de la littérature basque, envisagée selon différentes périodisations d’auteurs (Villasante, Mitxelena, Lafitte, Aldekoa, Kortazar, Orpustan) et influencées par les historiographies françaises et générales (Casenave, 2018).
Une des questions de littérature de l’agrégation concerne « la création poétique en langue basque de 1800 à 1936 » : une poésie lettrée, une improvisation versifiée ancrée dans la tradition orale et un rapprochement des deux traditions (MEN, 2018 et MEN, 2019b). La formation des futurs enseignants intègre les deux traditions, écrite et orale. Une approche historique et problématique des théories littéraires critiques centrées sur les textes (oraux et écrits), permet de leur apporter une vision globale et réflexive, en intégrant les aspects mélodiques et sociologiques de la tradition orale. Par exemple, on attend des candidats qu’ils sachent analyser des bertso, vers improvisés, à l’oral et à l’écrit. La critique s’inscrit dans une histoire des idées, pour savoir développer un esprit critique vis-à-vis des différentes approches. Elle est étudiée dans son articulation avec la création littéraire, les grandes théories littéraires et l’histoire de la littérature. L’évolution de la critique littéraire est analysée dans le cadre de la littérature en langue basque (Casenave, 2012) et donne aux futurs enseignants les outils pour une critique de la littérature basque qu’ils seront amenés à enseigner. Cela pourra les orienter au moment de constituer des corpus pour leurs élèves à partir d’œuvres littéraires servant à l’apprentissage de la langue.
2. Adaptations des orientations pédagogiques et spécificités de la discipline scolaire basque
2.1. Le basque dans l’enseignement secondaire
Même si des enseignements ont existé auparavant, c’est depuis 1993 que la langue basque bénéficie d’un CAPES bivalent comme c’est le cas pour le catalan, le créole, l’occitan-langue d’oc, contrairement au corse doté d’un CAPES monovalent6. En plus de la langue régionale, les enseignants de langues régionales dans le secondaire sont certifiés dans une discipline optionnelle (histoire-géographie, lettres modernes, anglais, espagnol et même mathématiques pour le CAPES de breton). Ce principe a pour conséquence que de nombreux enseignants viennent des cursus de lettres modernes ou d’histoire (Costa, 2008). Il est à déplorer que le statut de professeur de langues régionales bivalent réponde à un souci d’efficacité éducative et n’ait pas été réellement pensé ou théorisé.
Depuis sa création en 1993, les principales modifications des épreuves tendent vers une réduction de la place des connaissances disciplinaires en faveur de la didactique disciplinaire. Avec un nombre d’épreuves écrites et orales ramené à deux, on constate une évolution dans le contenu des exercices : la composition en basque s’appuie désormais sur plusieurs documents, dont l’un d’entre eux fait partie du programme alors qu’à ses débuts, il s’agissait pour le candidat de composer à partir d’une citation d’auteur. La fusion des deux épreuves de composition et traduction en une seule réduit de fait la partie linguistique (temps de réalisation et barème). À l’oral, l’analyse des productions d’élèves et la compréhension d’un document audio font partie des nouveautés depuis la session 2013.
L’agrégation de langues régionales, revendication ancienne, notamment de la section 73 « Langues et cultures régionales » du Conseil national des universités, a vu le jour en 2019 pour l’option basque7. La conception de cette agrégation « langues de France » diffère de celle du CAPES. Le tronc commun en civilisation et sociolinguistique permet une approche contrastive entre les langues concernées. Cette agrégation permet de dynamiser le recrutement de professeurs de langues régionales, d’offrir de nouvelles perspectives de carrière, de promotion professionnelle aux enseignants titulaires d’un CAPES, d’initier le recrutement d’inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux de langues de France pour un encadrement et un suivi des enseignants et des enseignements similaires à ceux des autres langues vivantes.
2.2. Approche métalinguistique contrastive et didactique originale
L’exercice d’analyse de faits de langue proposée au concours du CAPES de langues depuis 2013 permet aux futurs enseignants de mobiliser des connaissances approfondies du fonctionnement linguistique des deux langues, dans notre cas, le français et le basque. Cette approche contrastive dans l’enseignement de la traduction est nouvelle dans la mesure où ces connaissances essentiellement typologiques, grammaticales, lexicales, syntaxiques, orthographiques, morphologiques s’inscrivent désormais dans une perspective d’enseignement : la transposition didactique des contenus grammaticaux mis en évidence est envisagée à la fois selon une méthodologie traditionnelle grammaire-traduction et une méthodologie communicative, pour des élèves suivant la filière bilingue basque. Les étudiants sont amenés à réfléchir à la construction linguistique des phénomènes observés dans les textes, puis doivent les transposer à la réalité de la classe. Les connaissances essentiellement linguistiques et culturelles permettent d’expliciter le passage d’une langue à l’autre, comme dans les exemples ci-dessous8 :
Justifiez vos choix de traductions concernant le champ lexical du temps dans les termes suivants, situés au début du texte de Marcel Proust : longtemps, vite, après, parfois, à peine, temps, encore, je venais de lire.
L’étude du champ lexical du temps en basque avec les élèves de 3e ayant pour objectif d’accéder au niveau avancé B2 permet de distinguer les variantes dialectales du nom « temps » (« aro », denbora », « eguraldi »), des adverbes « vite » (« zalhe » en souletin, « fite » « zalu » en navarro-labourdin, « azkar », « arin » en dialecte occidental), « parfois » (« noiztenka » en navarro-labourdin, « noizean behin », « batzuetan », « noizbehinka », « artetan »), etc. Les futurs enseignants sont formés et entrainés à la connaissance des variantes lexicales du vocabulaire unifié Hiztegi batua, notamment par des exercices de synonymie, antonymie et paronymie, etc.
Les deux langues se caractérisant par des différences typologiques marquées, des problématiques propres à la traduction basque/français sont évidentes. Cet exercice métalinguistique amène les futurs enseignants à réfléchir aux modalités d’enseignement de ces formes linguistiques en collège et en lycée : construction des propositions relatives, dérivation substantivale, pronoms distributifs, locutions adverbiales, verbes synthétiques lexicalisés, etc. Même s’il existe des verbes techniquement synthétiques en français, la différence entre les verbes synthétiques et les verbes analytiques ne se présente pas selon les mêmes critères et leur logique est très différente. En sémantique, le champ lexical du temps ou les variantes sémantiques du verbe « voir » changent selon les dialectes. En dialecte occidental, le verbe « ikusi » signifie à la fois « voir » et « regarder » alors que dans les dialectes orientaux, il signifie seulement « voir » et on utilise « begiratu » ou « so egin » pour « regarder ». La mise en pratique de l’enseignement de ces faits de langue en collège et lycée est abordée en didactique disciplinaire.
La culture linguistique de l’enseignant de basque concerne les deux langues en présence dans son enseignement, le basque et le français. La formation à cette double culture linguistique est conçue à partir de « valeurs et des pratiques de transmission et de prise en charge des langues et des cultures permettant aux (futurs) enseignants de s’adapter au changement, de répondre aux besoins de diversification et d’œuvrer en contextes pluriels » (Causa, Galligani et Vlad, 2014 : 11). Cette culture linguistique acquise en vue de l’obtention du concours s’accompagne de pratiques pédagogiques et didactiques dispensées dans le cadre de cours de didactique disciplinaire par les universités préparatrices. Elle est appréhendée dans une conception à la fois contrastive et pédagogique. Les futurs enseignants se doivent de connaitre les différences et convergences grammaticales existant entre les deux langues qu’ils rencontreront lors de leur enseignement. Dans le cadre de leur formation, il s’agit de mettre en place des exercices de didactisation de ces aspects grammaticaux permettant aux étudiants de produire des explications à leurs futurs élèves.
Ainsi, la culture grammaticale de l’enseignant de basque se caractérise par une connaissance des différentes grammaires basques, outils indispensables en vue de l’enseignement de la langue (Lafitte, 1944 ; Euskaltzaindia, 1993 ; Hualde et Ortiz de Urbina, 2002 ; Orpustan, 2019). Dans le cadre de son enseignement en collège et lycée, l’enseignant sera essentiellement confronté à des apprenants ayant le français comme L1, ce qui lui permet de proposer une didactique du plurilinguisme en faisant des liens entre les aspects grammaticaux des langues enseignées (prépositions en français et postpositions en basque, quatre auxiliaires en français, deux en basque, pronoms relatifs en français, suffixe en basque, etc.). Les approches communicative et métalinguistique sont présentes.
La didactique du basque comme discipline de recherche a émergé de l’autre côté de la frontière en testant des méthodologies et des séquences didactiques en lien avec les genres textuels (Larringan et Idiazabal, 2012). En effet, les genres textuels sont considérés comme l’axe principal de la didactique du basque dans l’enseignement secondaire au Pays Basque espagnol alors qu’en Pays basque Nord, l’approche notionnelle appliquée de l’enseignement des langues vivantes étrangères et régionales propose un autre modèle. Cette approche générique est intéressante et souhaitable pour l’apprentissage d’une L2 minorée, à condition de l’associer à une approche notionnelle.
2.3. Conception culturelle intégratrice et dynamique
Pour la première édition du concours, la question au programme de l’agrégation section langues de France option basque intitulée « Renouvellements de la culture basque au cours du XIXe siècle (1800-1899) » aborde les mutations de la société basque au XIXe siècle. Sur le plan politique, il s’agit d’interroger « un double mouvement de nationalisation du jeu politique local et de localisation des clivages nationaux » ; sur le plan culturel, une structuration d’un « mouvement transfrontalier favorable à la langue et de la culture basques » ; sur le plan social, les « transformations socio-économiques et les mutations des solidarités » et « des pratiques symboliques coutumières » (MEN, 2018).
Ainsi, la figure de Jean-Pierre Duvoisin permet d’illustrer la conception d’une culture basque universelle qui concilie différents sentiments d’appartenance (Duinat, 2017). La question des renouvellements de la culture basque au XIXe siècle est envisagée dans une perspective comparatiste. Sont abordées la Renaissance d’Oc au XIXe siècle et ses revendications, la conservation, la reconquête et la fabrication d’une culture et d’une langue. De même, la stratégie du « signal » utilisée à l’école9 est traitée dans une perspective nationale. La culture basque du XIXe siècle est mise en perspective avec les évolutions culturelles d’autres pays : « Ce bloc conservateur associant catholicisme, culture, langue et identité territoriale reproduit dans le contexte basque un modèle fusionnel bien connu au Québec, en Irlande ou encore en Pologne » (Itçaina, 2017). La dimension critique de cet enseignement propose une mise en relation avec une mythologie moderne qui contient d’autres normes et valeurs.
Ces contenus didactiques transposés à la classe contribuent à construire de nouvelles relations aux langues et aux cultures, en inscrivant les contenus pédagogiques dans l’histoire et l’environnement local, dans la culture et le patrimoine basques (Coyos, 2010).
Ceci permet de les revaloriser, de dépasser le stade du folklore ou de l’archaïsme pour en faire des supports concrets, vivants de l’éducation et de se les approprier. C’est un des axes forts de la pédagogie des ikastola. L’impact dans la société n’est peut-être pas évident, mais cela participe d’une dynamique plus globale d’image positive, vivante de la culture et du patrimoine basques, d’une identité basque moderne plutôt que rétrograde. (Coyos, 2010 : 35)
Conclusion
Aujourd’hui, la formation disciplinaire du futur enseignant de basque se caractérise par un équilibre entre le triptyque langue, littérature et civilisation, constituant la base disciplinaire d’un futur enseignant de langue. À ce triptyque s’ajoute la didactique de la discipline scolaire basque, nouveau champ disciplinaire en construction, qui se situe à la croisée d’autres didactiques disciplinaires comme celle du français, langue maternelle ou étrangère, des langues étrangères, etc. Ainsi, la formation didactique du futur enseignant de basque concerne l’histoire de l’enseignement des langues et cultures régionales, la connaissance des programmes des collèges et lycées, la didactique de la littérature basque, la didactique de l’écrit et de l’oral, l’analyse de supports scientifiques, didactiques, pédagogiques, extraits de manuels, etc.
En outre, l’ouverture vers la recherche scientifique est également très présente dans la formation du jeune enseignant qui durant sa carrière ne cessera d’être un chercheur, poursuivant ainsi la démarche à laquelle il a été initié, et faisant ainsi évoluer ses pratiques pédagogiques. De même, la seconde valence implique une culture élargie du futur enseignant de basque à un autre champ disciplinaire, au choix entre l’anglais, l’espagnol, le français ou l’histoire-géographie.