Introduction
Depuis le processus de Bologne (1999) et l’objectif de Barcelone (2002), l’enseignement supérieur européen ne cesse de développer l’ouverture de ses enseignements vers l’international, tant au niveau de la mobilité des étudiants et des enseignants (comme les programmes Erasmus+) et la reconnaissance mutuelle des diplômes et des qualifications qu’à travers la création de cursus universitaires bi- et trinationaux.
Par ailleurs, lors de son communiqué de Paris, l’espace européen de l’enseignement supérieur (European Higher Education Area ou EHEA) a souligné son engagement en faveur du développement de politiques éducatives ambitieuses, l’enseignement supérieur ayant pour mission de développer les compétences interculturelles des futurs citoyens, afin de contribuer à une société plus solidaire et inclusive :
We therefore commit to developing policies that encourage and support higher education institutions to fulfil their social responsibility and contribute to a more cohesive and inclusive society through enhancing intercultural understanding, civic engagement and ethical awareness, as well as ensuring equitable access to higher education. (EHEA, 2018)1
Cette tendance à l’internationalisation s’illustre notamment par l’utilisation de plus en plus fréquente de l’anglais comme langue d’instruction (EMI – English as a medium of instruction2) dans des universités (de pays) non anglophones afin d’attirer de plus en plus d’étudiants d’universités étrangères dans le supérieur et d’être compétitives sur la scène internationale, les classements académiques internationaux influençant directement les décisions politiques dans l’enseignement supérieur.
Les publications sur l’approche EMI se sont multipliées ces quinze dernières années en raison de l’internationalisation croissante des établissements d’enseignement supérieur. Malgré les très nombreuses appellations dans la littérature scientifique3, révélant une diversité de pratiques, les chercheurs semblent malgré tout s’accorder sur le terme EMI (avec quelques variations de dénomination) pour qualifier « [t]he use of the English language to teach academic subjects other than English itself in countries or jurisdictions where the first language of the majority of the population is not English »4 (Macaro, 2018 : 19).
Dans la littérature, EMI est parfois confondu avec CLIL/EMILE5. Nous rejoignons ici la distinction proposée par Roussel et Tricot (2017) entre ces deux approches, celle-ci se situant principalement au niveau de leurs objectifs et du contexte dans lequel ces approches sont employées. En effet, CLIL/EMILE est une approche privilégiée dans l’enseignement primaire et secondaire, se rapprochant du principe de l’immersion linguistique et dont l’objectif est double : la langue étrangère est utilisée pour l’enseignement-apprentissage simultané du contenu disciplinaire et de la langue (Coyle et al., 2010). L’objectif de l’approche EMI est, lui, unique : il consiste à avoir recours à la langue anglaise pour enseigner des contenus disciplinaires, la langue étant apprise ici de manière incidente et ne constituant pas un objectif en soi. De ce fait, lorsque l’on parle d’internationalisation des universités, nous comprenons bien qu’il s’agit majoritairement de l’approche EMI puisque l’objectif est d’internationaliser les programmes, ce qui signifie, pour les enseignants du supérieur, transmettre des contenus disciplinaires en tant que non spécialistes de la langue anglaise à des étudiants également non spécialistes de la langue. Nous expliciterons en détail, dans la partie suivante, les raisons pour lesquelles l’approche EMI n’est cependant pas non plus celle retenue dans notre projet. Nous dirons simplement ici que l’approche EMI tendrait à faire de l’anglais la seule langue de l’internationalisation, ce qui, dans une logique de respect de la diversité linguistique et de la richesse qu’elle engendre, nous parait inapproprié. L’approche EMI véhicule selon nous une vision réductrice de l’internationalisation, ce qui lui vaut d’ailleurs beaucoup de critiques dont bon nombre nous semblent justifiées.
Dans cette volonté de tendre à l’internationalisation de ses programmes, l’Université de Strasbourg propose aux enseignants de répondre à des appels à projets Transformation6, pour obtenir des financements pouvant, entre autres, être utilisés pour concevoir et tester des cours disciplinaires en langue étrangère. Face à une très faible sollicitation de cet instrument financier par les enseignants dans le cadre de l’internationalisation, l’Université a fait l’hypothèse que les compétences linguistiques insuffisantes des enseignants des disciplines pouvaient constituer un frein à l’internationalisation de leurs cours. Suite à ce constat, et sollicité par la vice-présidence formation, le Pôle Lansad7 de la Faculté des langues de l’Université de Strasbourg a monté, à l’aide d’un financement IdEx8, une recherche-action-formation visant à expérimenter un dispositif de formation à destination des enseignants des disciplines de l’université souhaitant internationaliser leurs cours, et plus précisément, souhaitant enseigner leur discipline en anglais. Pour ce faire, un groupe de travail initialement composé d’une ingénieure de formation, de deux enseignantes-chercheuses en didactique des langues (les autrices de cet article) et de deux enseignants certifiés d’anglais du Pôle Lansad, s’est constitué afin de répondre à la problématique suivante : quel dispositif de formation mettre en place pour préparer les enseignants et enseignants-chercheurs de l’Université de Strasbourg à enseigner leur discipline en langue étrangère à un groupe-classe international et/ou local ?
S’il ne s’agit pas, dans cette contribution, de répondre à cette question de manière exhaustive, nous tenterons néanmoins, dans le cadre de notre étude exploratoire, d’expliciter notre positionnement en faveur d’une stratégie d’internationalisation plurilingue. Après un point théorique sur les concepts sur lesquels nous nous appuyons pour affirmer notre vision de l’internationalisation et des explications méthodologiques sur notre démarche de recherche, nous présenterons le dispositif de formation auquel nous avons abouti en fin de projet et quelques résultats significatifs tirés de journaux de bord et d’entretiens menés auprès d’enseignants ayant participé à l’expérimentation de la formation.
1. L’internationalisation de l’enseignement supérieur : de quoi parle-t-on ?
Tout d’abord, il convient de rappeler que l’internationalisation de l’enseignement supérieur est en grande partie le reflet de la mondialisation économique, entraînant un objectif social et des besoins tels que préparer les étudiants à l’international en leur faisant acquérir des compétences interculturelles et langagières inhérentes à ces échanges mondialisés mais aussi attirer des étudiants étrangers en rendant les programmes attractifs, accessibles et visibles sur la scène internationale.
En outre, et malgré quelques nuances, les chercheurs dans la littérature anglophone et francophone semblent s’accorder sur la définition de l’internationalisation de l’enseignement supérieur comme étant un processus d’intégration de dimensions internationales et interculturelles dans les fonctions et objectifs des institutions d’enseignement supérieur, dans le but d’« améliorer la qualité de l’enseignement et de la recherche pour tous les étudiants et enseignants, et d’apporter une contribution significative à la société » (de Wit et al., 2015 : 330).
Ainsi, l’ouverture des établissements supérieurs à l’international est à entendre sur deux plans : dans et hors les murs de l’université9. Hors les murs, cela concerne notamment la mobilité académique des étudiants et des enseignants comme les programmes Erasmus+ ou bien les cursus intégrés bi- ou trinationaux. Pendant de nombreuses années, la mobilité était la forme la plus répandue de l’internationalisation (De Ketele et Hugonnier, 2020 : 19). Toutefois, cette forme ne concernait qu’un nombre relativement faible d’enseignants et d’étudiants, notamment pour des raisons socio-économiques, l’internationalisation provoquant alors certaines inégalités entre les étudiants (cf. Netz et al., 2021). Un certain nombre de chercheurs proposent de penser l’internationalisation dans les murs des établissements supérieurs, que l’on nomme « internationalisation chez soi » (De Ketele et Hugonnier, 2020) ou « internationalisation à domicile » (de Wit et al., 2015) et qui consiste en une internationalisation des programmes, c’est-à-dire l’intégration de perspectives internationales et d’objectifs de développement de compétences interculturelles dans les curricula à destination de tous les étudiants dans les contextes universitaires nationaux (Beelen et Jones, 2015 : 69).
Ces deux pans de l’internationalisation ont un impact sur la vie universitaire à différents niveaux :
- au niveau macro : les relations avec l’extérieur, avec la recherche de partenariats stratégiques tendant à rendre désormais les universités interdépendantes entre elles ;
- au niveau méso : la politique de l’établissement et la conception de programmes internationalisés (en partenariat ou non avec d’autres universités) ;
- au niveau micro : la vie sur le campus et la situation directe d’enseignement-apprentissage.
En ce sens, on parle aujourd’hui d’« internationalisation globale »10, définie comme :
un engagement, confirmé par des actes, à donner une perspective internationale et comparative à l’ensemble des missions d’enseignement, de recherche et de service de l’enseignement supérieur. Elle définit l’éthique et les valeurs institutionnelles et touche l’ensemble de l’enseignement supérieur. Elle doit absolument être adoptée par les dirigeants des institutions, les organes de gouvernance, le personnel académique, les étudiants et tous les services académiques et auxiliaires. Il ne s’agit pas d’une simple possibilité souhaitable, mais d’un impératif institutionnel. L’internationalisation globale a une incidence sur toute la vie du campus, mais aussi sur les cadres de référence externes de l’institution, ses partenariats et ses relations. La réorganisation des économies, des systèmes commerciaux, de la recherche et de la communication dans le monde entier, et l’incidence des forces mondiales sur la vie locale, font que l’internationalisation globale est une nécessité absolue et multiplient les logiques et les objectifs qui la sous-tendent (Hudzik, 2011 : 6, cité et traduit dans de Wit et al., 2015 : 49).
Ces définitions plus larges envisagent l’internationalisation comme un processus dynamique et intentionnel en vue d’améliorer la qualité de la recherche et de l’enseignement pour une internationalisation plus équitable, étant entendu qu’il n’y a pas une bonne manière de faire : « there is no “one size fits all” model or approach »11 (Association Internationale des Universités, s.d.). Cette approche, qualifiée d’inclusive dans la littérature (de Wit et Jones, 2018), est, selon nous, à rattacher à la notion de « citoyen du monde » : elle considère que l’objectif de l’internationalisation de l’enseignement supérieur est d’équiper les étudiants de savoirs, savoir-faire et savoir-être pour pouvoir agir dans un monde incertain et complexe, envisageant ainsi la diversité humaine à tous les niveaux comme « a natural characteristic of the world, rather than a problem or a challenge to be managed »12 (Osler, 2010 : 220, cité dans Kraska et al., 2018 : 90).
2. Une internationalisation ouverte et plurilingue
Le courant EMI promeut une internationalisation passant par le « tout anglais », ne reflétant en aucun cas la diversité et la complexité du monde que nous venons d’évoquer. De ce fait, bien que l’université ait commandé la mise en place d’une formation linguistique et ciblant dans un premier temps l’enseignement en langue anglaise, nous en sommes rapidement venues à délaisser le terme EMI au profit de celui d’« enseignement en langue étrangère dans la classe internationale et/ou locale ». Ce choix, compris et soutenu par l’établissement, nous a permis, d’une part, de dépasser l’idée que l’anglais pourrait être la seule langue légitime pour internationaliser les formations et de (re)donner sa place à la diversité des langues-cultures et, d’autre part, d’inclure tous les étudiants, y compris ceux qui ne partent pas en mobilité, mais qui seront dès lors confrontés eux aussi à des programmes internationalisés :
Il est indéniable qu’il n’est pas possible de penser l’internationalisation sans tenir compte de sa composante linguistique. Autrement dit, faire le pari de l’ouverture sur le monde, c’est assumer la pluralité linguistique et culturelle comme une richesse inhérente de l’international et s’inscrire dans le paradigme du pluriel et du multiple. (Pasquale, 2017 : 78)
Si le « tout anglais » dans l’internationalisation des formations entraîne une certaine homogénéisation des contenus (Truchot, 2010), il a également pour conséquence un certain appauvrissement de ces derniers. En effet, pouvoir faire intervenir les langues en présence (c’est-à-dire celles du groupe-classe et de l’enseignant), dans une approche plurilingue, engendre une multiplicité des perspectives ainsi qu’une créativité dans la construction des savoirs que ne permettrait pas une vision monolingue ou bilingue (Berthoud, 2016 : 15). De plus, nous sommes d’avis que certaines disciplines n’ont que peu d’intérêt à avoir recours à l’anglais pour leur enseignement, tout simplement parce que les concepts originels sont ancrés dans une autre langue-culture, comme pour l’allemand en philosophie par exemple (Beacco, 2019).
Par ailleurs, une tendance, soutenue par certaines méthodologies d’enseignement-apprentissage, est de tenter d’empêcher, voire d’interdire, le recours à la langue première ou à d’autres langues, afin de privilégier « le bain linguistique ». Or, différentes études menées sur des cours EMI dans le contexte universitaire suédois (Airey, 2012 ; Söderlundh, 2013), avec des étudiants partageant une même L1, ont montré que le recours à l’alternance codique, au sein d’un même discours ou énoncé, était une stratégie utilisée par les étudiants et les enseignants. Elle est vue par les enseignants comme un moyen d’évaluer et d’améliorer la compréhension des étudiants, mais aussi de créer une relation plus horizontale et ouverte avec ces derniers, réduisant leur insécurité langagière. Paulsrud et al. (2021) vont plus loin que cette vision relativement cloisonnée des langues, induite par l’alternance codique entre la langue première et la langue cible, et affirment que le translanguaging (García et Wei, 2014), défini comme un moyen d’exploiter le répertoire plurilingue de l’enseignant et celui des étudiants, permet de légitimer l’utilisation de toutes les langues en présence. Dans leur ouvrage, les études présentées montrent que le translanguaging, comme approche pédagogique en soi, ne peut être pensé en dehors du contexte dans lequel il est mis en œuvre et de ses multiples facteurs :
[…] it is essential to recognize that context matters and translanguaging pedagogies must be strategically and purposefully planned, designed, and implemented considering multiple contextual factors at both macro and micro level such as imbalanced power dynamics among languages, learner background, programme context and lesson goals.13 (Paulsrud et al., 2021 : 20)
Les différentes études présentées dans cet ouvrage collectif et menées dans différents endroits du globe et différents contextes d’enseignement, dont l’enseignement supérieur, montrent que le translanguaging est toujours créateur d’opportunités favorisant l’apprentissage par les apprenants. Il favorise, par exemple, le transfert de compétences académiques entre les étudiants et permet aussi d’approfondir davantage la construction des savoirs (Goodman et al., 2021).
Selon nous, la perspective plurilingue est à entendre comme étant étroitement liée à l’interculturalité, envisageant l’internationalisation des formations comme un moyen de s’interroger de façon critique et réflexive sur le vécu interculturel au sein de la classe internationale. Cette interrogation critique doit être un objectif en soi du cours internationalisé, poursuivi en favorisant une interaction significative entre les étudiants et un engagement dans la réflexion interculturelle. Si nous voulons former des citoyens du monde prêts à agir dans un monde divers, instable et complexe, il convient de proposer aux étudiants des moyens de développer un esprit critique et une certaine réflexivité par rapport à cette diversité aussi bien linguistique que culturelle (Dervin, 2017). Or, le fait de réunir des individus pluriels dans une même salle de cours n’entraîne pas automatiquement le développement de compétences interculturelles, qui ne peut, à notre sens, que passer par un travail de réflexion explicite sur l’interculturalité de manière intégrée au cours internationalisé.
En contexte universitaire, une internationalisation plurilingue peut permettre la construction d’une pluralité de savoirs et favoriser l’apprentissage en profondeur des étudiants, mais aussi contribuer à former des professionnels et des citoyens dotés des compétences interculturelles nécessaires dans un monde dans lequel les échanges sont globalisés, à condition de faire de leur développement un objectif d’apprentissage explicite. Autant de raisons qui incitent à se positionner en faveur d’une stratégie d’internationalisation plurilingue pour l’Université de Strasbourg, dont le positionnement pro-européen et transfrontalier est plutôt explicite.
3. La recherche-action-formation comme démarche de recherche
3.1. Une approche bottom-up
À travers les parties précédentes, nous comprenons bien que, pour pouvoir mettre en place un dispositif de formation continue des enseignants les préparant aux enjeux que constitue l’internationalisation, le plus pertinent était de privilégier une approche bottom-up, consistant à interroger les enseignants pour pouvoir partir de leur contexte universitaire, de leur vécu et de leur expérience (Macaire, 2020), afin de répondre aux exigences et besoins qui leur sont propres.
De ce fait, nous envisageons les représentations des enseignants comme de véritables indicateurs de leur posture et du rapport qu’ils entretiennent avec l’internationalisation et les notions qui y sont liées dans leur contexte d’enseignement. Elles constituent, à ce titre, le point de départ de la formation. À cela s’ajoute qu’internationaliser un cours dépasse la simple traduction de contenus dans une autre langue et implique le développement d’une posture particulière pour repenser son enseignement dans cette logique, à la fois en termes de contenu et de méthode. En effet, enseigner et apprendre dans la classe internationale font émerger de nouveaux enjeux pour l’enseignant et les étudiants, l’utilisation d’une langue étrangère impliquant de réfléchir à tous les paramètres de la situation d’enseignement-apprentissage. Voilà pourquoi nous ne pouvions et ne voulions pas proposer une formation clé-en-mains, mais bien un dispositif coconstruit par les chercheurs-formateurs et les enseignants-acteurs à travers des activités réflexives touchant aux dimensions à la fois linguistiques, théoriques et pédagogico-didactiques. Viser un tel développement professionnel ne peut s’atteindre qu’à travers des processus réflexifs, par exemple en dialoguant avec ses pairs et les formateurs ou en rédigeant un journal de bord de formation (Tschopp, 2019). Dans cette logique de transformation personnelle, il nous paraissait logique d’opter pour une démarche de recherche-action-formation, dont nous pouvons définir les trois volets de la manière suivante :
Le volet recherche vise à améliorer l’état des connaissances sur la situation pédagogique et fait référence à une démarche scientifique traditionnelle qui s’interroge sur une réalité. Le volet action est l’élément central, car il est le trait d’union entre la recherche et la formation. L’action provoque un changement aux composantes de la situation pédagogique et est témoin d’une démarche commune entre le chercheur et l’acteur […]. Le volet formation permet le développement professionnel des personnes qui vivent la situation pédagogique. La formation […] est le lieu d’une réflexion intensive sur la pratique et sur ce qui y pose problème. (Lafontaine, 2016 : 48)
Tout comme la « simple » recherche-action, cette démarche est privilégiée dans la formation d’enseignants en raison de sa visée transformative, par la modification des représentations des acteurs-participants, constituant souvent un véritable obstacle au développement de leurs pratiques. La formation devient alors un lieu où se déconstruisent et reconstruisent les représentations grâce à l’explicitation des questionnements.
Son caractère interventionniste et participatif au service du changement fait de cette démarche un moyen idéal pour nous de concevoir notre dispositif. Grâce à une mobilisation des acteurs, ici les enseignants et enseignants-chercheurs de l’Université de Strasbourg, nous avions pour objectif de permettre la transformation des pratiques, en faveur d’une internationalisation inclusive, à travers la coconstruction de connaissances faisant interagir nos intérêts de chercheur (comprendre leur rapport à l’internationalisation et développer un dispositif de formation) et les intérêts des enseignants (se former à dispenser un cours disciplinaire en langue étrangère en tant que non-spécialistes de la langue).
Nous nous situons ainsi dans un paradigme de recherche résolument compréhensif et qualitatif puisque nous cherchons à interpréter des phénomènes sociaux à travers l’étude de logiques individuelles. Nous souhaitons comprendre en profondeur la posture des enseignants face à l’internationalisation des formations à l’Université de Strasbourg pour pouvoir leur proposer un accompagnement cohérent.
La particularité de notre démarche méthodologique se situe dans les différents rôles endossés par les différents acteurs : à la fois chercheuses, co-actrices et formatrices pour les chercheuses du projet, et acteurs, participants et coproducteurs de savoirs pour les enseignants. L’on prend ici conscience de l’effet-miroir de notre dispositif : nous nous formons mutuellement dans la poursuite d’un objectif devenant commun aux deux parties.
3.2 Déroulement et outils privilégiés
La démarche spiralaire de la recherche-action, permettant de réajuster l’action au fur et à mesure des étapes et des émergences, et de déboucher, une fois les résultats analysés, sur de nouvelles actions (Richer, 2011), nous paraissait idéale pour tester et mettre en place un dispositif adéquat au contexte universitaire strasbourgeois.
Le recueil de données s’est étendu d’octobre 2021, en débutant par ce que Richer (2011 : 52) appelle une « collecte de données de base sur le problème », à juin 2022.
Dans un premier temps, nous avons diagnostiqué une situation-problème : très peu de demandes de financement par appel à projets ont été déposées par les enseignants pour faire basculer un cours disciplinaire en langue étrangère. Dans un deuxième temps a été formulée une première hypothèse, à savoir celle de compétences linguistiques insuffisantes et d’un probable besoin de formation chez les enseignants. Puis, dans un troisième temps, nous avons pu réaliser trois séances de shadowing14 étalées sur un semestre (tandem enseignant d’anglais et didacticienne des langues) auprès d’un enseignant de sciences sociales bénéficiant d’un financement Transformation pour concevoir et expérimenter un cours de sociologie du droit, à destination d’étudiants en troisième année de licence, en langue anglaise. Cela a constitué une étude de cas à l’intérieur du projet, nous permettant de réaliser une première analyse des besoins, le groupe-classe concerné étant majoritairement composé d’étudiants locaux. Ces premières observations, nourries par nos lectures sur l’internationalisation et la découverte des modules de formation proposés par le programme EQUiiP15, nous ont amenées à nous éloigner de la commande initiale de l’université, à savoir une formation ayant comme objectif principal celui de développer les compétences linguistiques des enseignants disciplinaires, et de nous rapprocher d’une formation à trois volets : pédagogique, réflexif et linguistique. Nous avons également opté pour le format intensif, précédé d’un entretien individuel, afin d’être sûres d’avoir un engagement conséquent des participants sur une période relativement courte.
Une première session de formation intensive d’une semaine a eu lieu en janvier 2022, pour laquelle nous avons pris soin de rencontrer chaque enseignant souhaitant s’inscrire16 afin de négocier avec lui le cadre éthique de notre expérimentation. Le recueil de données autour de la formation s’est organisé de la manière suivante : un entretien de groupe en début de formation (afin de recueillir les représentations initiales des enseignants quant à l’internationalisation des formations à l’Université de Strasbourg et dans leurs disciplines, la place des langues dans l’internationalisation et leur rapport à l’anglais) et un autre en fin de formation (pour évaluer la formation). Tout au long de la formation, chaque atelier a été observé (observation participante) à tour de rôle par les chercheuses du projet et l’ingénieure de formation. Les enseignants étaient invités à remplir un journal de bord à la fin de chaque atelier afin de documenter leurs ressentis et questionnements. Quelques semaines après la formation, nous avons mené des entretiens individuels semi-directifs avec les huit participants à la session de janvier, guide d’entretien à l’appui. Une première analyse des journaux de bord a aussi permis d’approfondir, avec chaque participant, des éléments qui avaient été consignés par écrit.
Suite à cette première édition et analyse des résultats, nous avons pu améliorer notre dispositif en modifiant les ateliers. Une nouvelle session intensive de formation d’une semaine a été organisée en juin 2022, incluant cette fois des ateliers de mise en pratique en allemand17, parallèlement à celles en anglais. Cette fois, nous avons accueilli dix participants. Si nous avons gardé les entretiens de groupe, les journaux de bord et les observations, nous n’avons, pour cette seconde session, pas renouvelé les entretiens individuels semi-directifs pour des contraintes de calendrier, mais aussi parce que les entretiens individuels de la première session, relativement chronophages, avaient donné globalement les mêmes résultats que les autres sources de données.
Les enseignants issus de facultés diverses, avec une plus forte représentation de la Faculté des sciences sociales, étaient presque tous des enseignants-chercheurs, titulaires et non-titulaires. Seule une participante, lors de la seconde session, n’était pas enseignante-chercheuse, mais bibliothécaire en reconversion professionnelle pour devenir enseignante.
3.3 La formation intensive
Nous esquisserons ici de manière synthétique le contenu de la formation. Puisqu’il existe autant de moyens d’internationaliser un cours disciplinaire qu’il existe de configurations de groupe-classe, il était important pour nous de combiner :
- des savoirs théoriques portant sur : l’internationalisation des formations et la classe internationale, l’enseignement et l’apprentissage dans la classe internationale, la prise en compte du plurilinguisme et de l’interculturalité dans la classe internationale et l’évaluation dans la classe internationale. Les ateliers dits « théoriques » proposaient donc, selon une pédagogie active, d’interroger les concepts-clés et de développer des stratégies d’enseignement pour la classe internationale.
- des mises en pratique en langue étrangère, sous la forme de trois ateliers dits « pratiques » :
- rédiger son syllabus en anglais ou en allemand,
- introduire son cours disciplinaire en anglais ou en allemand et
- animer une activité/partie d’un cours en anglais ou en allemand.
- des moments réflexifs, intégrés à des activités proposées lors des ateliers, ainsi qu’à la fin de chaque atelier : un temps spécifique était réservé à la rédaction du journal de bord.
Le premier jour de la formation, les deux grands types d’ateliers (théoriques et pratiques) ont été précédés d’une introduction participative lors de laquelle les participants ont été invités à se présenter lors d’un speed dating plurilingue (chacun s’exprime dans la langue de son choix) pour apprendre à se connaître, et d’une activité réflexive et collaborative ayant pour objectif de faire émerger leurs représentations de la langue étrangère choisie pour l’internationalisation de leur cours. Dans la partie suivante, nous présentons nos résultats sur les représentations des participants, non seulement sur la langue étrangère choisie, mais plus globalement sur les langues de l’internationalisation, telles qu’elles ont émergé des différents types de données recueillies.
4. Les langues de l’internationalisation : représentations d’enseignants
À l’aide d’extraits de journaux de bord (sessions 1 et 2) et d’entretiens semi-directifs (session 1), nous proposons ici une réflexion autour de la question d’une internationalisation plurilingue. Ces extraits sont la mise en discours, orale et écrite, des représentations des participants à la formation, et donc de ce qu’ils nous « donnent à voir ». Le degré de véracité d’une représentation n’est pas important, puisqu’elle constitue une référence indispensable et indépendante de la volonté de l’individu, sans laquelle il ne peut appréhender son environnement (Mannoni, 2016). Les représentations, éminemment subjectives, sous-tendent les actions humaines et, une fois énoncées et partagées, peuvent être discutées en formation.
Nos résultats ont pu être regroupés sous trois axes, présentés dans les sous-parties qui suivent.
4.1. L’importance de la dédramatisation
Lors d’un atelier théorique de notre formation, nous proposons aux enseignants d’interroger la notion de lingua franca, que Jenkins (2011 : 927-928) définit de la façon suivante :
I begin by explaining […] firstly, that ELF [English as a lingua franca] is not a deficient and failed attempt at native English, and secondly, that native English speakers are not excluded from mainstream definitions of ELF. A useful basic definition is provided on the website of the Vienna-Oxford International Corpus of English (henceforth VOICE): ELF is “an additionally acquired language system which serves as a common means of communication for speakers of different first languages”18.
L’objectif, pour nous, est de leur faire prendre conscience de leur propre insécurité linguistique et de celle de leurs étudiants, ainsi que de l’importance de dédramatiser (ils ne sont pas enseignants de langue). L’on en vient naturellement à évoquer l’idée d’en parler aussi avec les étudiants, pour clarifier la place de la langue, les attentes qui sont légitimes et celles qui ne le sont pas, etc. Cette dédramatisation et la négociation du rôle des langues au sein du cours internationalisé font l’objet d’une mise en pratique dans la formation, lorsque les participants doivent présenter aux autres, jouant le rôle d’étudiants, l’introduction de leur premier cours.
L’extrait n° 1 du journal de bord d’un participant de la deuxième session montre à quel point la maîtrise de la langue étrangère semble générer chez eux une sorte de syndrome de l’imposteur.
Extrait n° 1 – Journal de bord de CH – 08.06.2022 :
L’utilisation de la lingua franca permet de déculpabiliser sa non-expertise de la langue étrangère.
L’enseignant emploie le terme « déculpabiliser », traduisant une insécurité linguistique statutaire19 (Calvet et Moreau, 1998) dans le fait d’enseigner dans une langue dont il n’est pas spécialiste, le rendant a priori illégitime dans cet exercice. Apprendre que la langue qu’il parle et utilise est une variété acceptée et reconnue vient alors lui donner une légitimité qu’il semblait a priori avoir du mal à se donner de lui-même. Selon nous, cela révèle une certaine pression de la norme, et donc une insécurité formelle20 (ibid.) que l’on retrouve dans l’extrait n° 2 du journal de bord d’un autre participant.
Extrait n° 2 – Journal de bord de IS – 08.06.2022 :
Au-delà de son importance dans la communication disciplinaire la lingua franca permet à l’enseignant d’avoir une certaine sérénité dans la transmission du savoir […] la lingua franca donne la liberté de faire des fautes du moment où le discours sera compris.
En raison de leur position au sein de l’institution, les enseignants sont perçus, et se perçoivent eux-mêmes, comme des « garants des normes » (Roussi, 2009 : 65), provoquant une injonction à la performance en langue étrangère.
Nos données montrent qu’à travers un travail autour de la lingua franca les enseignants réussissent à se positionner en tant qu’enseignants spécialistes d’une discipline, enseignant en langue étrangère sans en être spécialistes, ce qui les aide à adopter une vision plus souple et plus large du rôle de la langue dans le cadre de l’internationalisation. Nous pouvons raisonnablement supposer que des enseignants se retrouvant à enseigner leur discipline en langue étrangère sans formation préalable risquent de souffrir de ce sentiment d’illégitimité, celui-ci se répercutant alors inévitablement sur la qualité de l’enseignement. Il nous parait ainsi primordial que les enseignants puissent bénéficier d’une sensibilisation à ces concepts avant de se lancer dans l’enseignement disciplinaire en langue étrangère.
4.2. Hégémonie et concurrence de l’anglais : résignation et frustration
Nous l’avons vu plus haut, l’anglais semble bien être majoritairement perçu comme la langue de l’internationalisation des formations. Dans notre projet, cela s’est notamment traduit par l’absence de participants pour l’allemand lors de la seconde session, montrant que la priorité telle que perçue par les enseignants et enseignants-chercheurs reste l’anglais. L’extrait n° 3 montre justement très bien le poids de l’anglais comparé aux autres langues dans l’internationalisation.
Extrait n° 3 – J., TdP21 69-73 – 16.02.2022 :
[…] pour l’instant je vois mal comment dans des facultés autres que la faculté des langues on peut proposer des cours dans une autre langue que l’anglais déjà qu’on a des doutes sur nos capacités à attirer des étudiants dans des cours en anglais je me demande comment on pourrait avoir un public suffisant en allemand espagnol italien mais je me trompe peut-être mais je crois pas et y a quand même un enjeu à former les étudiants à l’anglais étant donné que c’est la langue dominante et qu’a priori on peut parler anglais avec à peu près tout le monde […]
Cet extrait montre une forme de résignation et d’acceptation du « tout anglais », contraignant l’université à se passer des autres langues en faveur de l’anglais. L’enseignant prend comme argument le manque de compétences des étudiants dans d’autres langues comme frein à l’ouverture à ces dernières. Nos résultats et discussions informelles à l’université, jusqu’ici, nous amènent à penser que cette vision est assez largement partagée par les enseignants de l’université et que partir « battus d’avance » contribue à favoriser une hiérarchie entre les langues, ayant pour conséquence une conception limitée et limitante de l’internationalisation, alors même que cette dernière est la cible de nombreuses critiques. Personne, à notre connaissance, ne se demande s’il existe de fait une hiérarchie entre les langues contre laquelle on ne peut rien ou si ce sont les individus qui utilisent systématiquement l’anglais qui entretiennent cette domination linguistique.
De plus, le participant semble adopter une perspective relativement monolingue de l’internationalisation, selon laquelle il n’y aurait pas de place pour les autres langues. En partant du principe que les étudiants ne viendront pas aux cours dans d’autres langues que l’anglais, l’enseignant contribue à renforcer ces représentations selon lesquelles seul l’anglais est important pour se préparer à faire face à ce monde instable et globalisé.
L’extrait n° 4 témoigne également du poids de l’anglais dans l’internationalisation des formations, le recours à l’anglais apparaissant comme une évidence.
Extrait n° 4 – D., TdP 101 – 08.02.2022 :
[…] ça me paraît logique de passer par l’anglais et c’est un peu une frustration que je dirais par rapport euh à ma connaissance de l’espagnol d’avoir ce sentiment de pas bien pouvoir communiquer en anglais euh ça c’est un peu plus accessoire mais ça compte aussi.
Dans cet extrait, l’enseignant exprime explicitement la frustration qu’il ressent de devoir enseigner en anglais et non dans une autre langue dans laquelle il se sentirait plus à l’aise, soit l’espagnol. Ici aussi, l’enseignant semble avoir parfaitement intériorisé le fait que l’anglais soit la langue unique de l’internationalisation, mais, bien qu’il tente de minimiser l’impact de sa frustration, il laisse bien entendre que cela n’est pas sans influencer son enseignement.
4.3. Le plurilinguisme comme ouverture
Si les extraits précédents témoignent de deux visions étroites de l’internationalisation, envisagée dans une perspective monolingue, l’extrait n° 5 montre la manière dont l’enseignante compte répondre à l’injonction paradoxale de l’institution (qui prône une politique en faveur du multilinguisme, mais confère une place prépondérante à l’anglais dans l’internationalisation de ses formations), en considérant l’anglais comme étant au service des autres langues.
Extrait n° 5 – Journal de bord de C. – 05.01.2022 :
Il me semble indispensable de travailler en équipe et au niveau de la faculté sur différentes questions : la mobilité entrante et sortante des étudiants, l’attractivité de nos formations, la nécessité d’aider nos étudiants à se familiariser avec l’anglais qui est devenue une langue incontournable en sciences sociales, tout en déconstruisant le caractère hégémonique de cette langue et en encourageant les étudiants à mobiliser d’autres langues. (JdB, C., 05.01)
Comme ses collègues, l’enseignante est assez explicite sur l’hégémonie de l’anglais dans sa discipline, qu’il convient selon elle d’interroger et de contourner en ayant recours à d’autres langues. Toutefois, l’enseignante insiste bien sur le fait que cela doive être réfléchi et pensé en équipe, ainsi qu’au niveau de la faculté, afin d’engager les collègues dans cette dynamique. Ici, l’enseignante s’éloigne d’une vision monolingue en proposant le plurilinguisme comme un véritable outil. De plus, si nous avons évoqué à plusieurs reprises la relation entre l’enseignant et la langue étrangère, cet extrait aborde la relation de l’étudiant à celle-ci. L’enseignante parle de « familiarisation », suggérant clairement que suivre un enseignement disciplinaire en anglais ne va pas de soi pour tous les étudiants, mais avançant aussi que le plurilinguisme pourrait être un levier pertinent dans la dédramatisation, favorisant, chez les étudiants, un rapport plus aisé à l’anglais.
L’extrait n° 6 montre également que notre formation a réussi à déclencher, chez une autre participante, une réflexion sur l’importance du plurilinguisme de tout être humain, qui constitue un atout à exploiter à l’université.
Extrait n° 6 – Journal de Bord de G. – 10.06.2022 :
Par contre j’ai bien aimé de réfléchir aux ressources plurilingues dans la classe et comment les utiliser, alors cette idée que nous sommes tous plurilangue*22 d’une façon ou d’une autre et que cela peut nous aider dans l’aquisition* d’un nouveau savoir. En concret* je ne vois pas un lien direct avec mon cours que je dois donner, car je dois mettre l’accent sur l’anglais. Mais peut-être je peux activement les motiver de s’échanger* en sous-groupes dans la langue de leur choix […]
Ce dernier extrait montre bien que la reconnaissance de son propre plurilinguisme conduit l’enseignante, pour qui l’allemand est la langue première, à l’envisager comme un moyen réel d’enrichir les contenus disciplinaires. Bien qu’elle exprime elle aussi le caractère obligatoire et la position hégémonique de l’anglais dans sa discipline, elle n’envisage plus son cours dans une perspective uniquement monolingue, mais réfléchit à des moyens et leviers concrets qu’elle pourrait mettre en œuvre afin que chaque langue puisse être valorisée et le répertoire langagier de chacun exploité, le tout au service de l’enseignement de sa discipline. Cet extrait montre selon nous une réelle prise de conscience chez l’enseignante, prête à contourner le « tout anglais », à l’enrichir grâce aux autres langues, ce qui constitue une véritable stratégie en faveur du plurilinguisme et peut-être la trace d’une modification profonde de ses représentations.
Conclusion
Par cette contribution nous souhaitions montrer qu’il n’existe pas une seule et unique définition de l’internationalisation, ni même une seule manière d’internationaliser les formations, mais bien « des » formes d’internationalisation. Chaque contexte universitaire possède ses besoins, ses enjeux qui ne peuvent émerger que si l’on donne la parole aux premiers concernés, soit les étudiants et les enseignants et enseignants-chercheurs23. Si notre profil de didacticiennes des langues et des cultures nous a sans doute amenées à adopter une posture engagée en faveur du plurilinguisme, les résultats de notre recherche-action-formation confirment l’adhésion des participants et de l’établissement à une éthique plurilingue dans l’internationalisation des formations.
Si l’hégémonie de l’anglais reste pour l’instant de mise pour toutes les raisons déjà évoquées, nous avons pu voir l’importance d’interroger, avec les enseignants, les représentations qu’ils ont de l’internationalisation et de l’anglais lui-même, en particulier de l’anglais lingua franca. La vision jusqu’ici relativement restreinte de l’internationalisation des formations peut engendrer de nombreuses réticences de la part d’enseignants se sentant en insécurité ou ne partageant pas cette vision globalisée et monolingue de l’enseignement supérieur. En outre, ignorer les ressources plurilingues de la communauté universitaire, enseignants comme étudiants, c’est appauvrir l’université, réduire sa créativité, mettre en péril le « vivre-avec »24.
Dans la nouvelle offre de formation 2024-2028 de l’Université de Strasbourg, les composantes sont invitées à proposer des enseignements disciplinaires en langue étrangère dans leurs maquettes dès la licence. Notre recherche montre qu’il est primordial de les sensibiliser à ce à quoi peut ressembler une internationalisation inclusive, telle que nous l’avons présentée dans cet article, afin qu’ils acceptent et vivent mieux et de façon plurilingue cette transition. L’accompagnement pédagogique et linguistique des enseignants est essentiel pour déconstruire et reconstruire leurs représentations, tout en leur donnant les moyens de développer de manière collaborative des stratégies leur permettant de s’adapter aux différentes facettes et enjeux de l’internationalisation des formations dans lesquelles ils interviennent. La pérennisation de notre dispositif de formation est donc un enjeu de taille.
Quoi qu’il en soit, après une année de travail sur ce projet, dans les recherches préalables et lors des expérimentations avec les enseignants de l’Université de Strasbourg, nous avons acquis au moins une certitude. Nous pouvons avec un optimisme raisonnable affirmer qu’en prônant une stratégie d’internationalisation ouverte, exploitant la diversité linguistique et culturelle de notre contexte universitaire, nous ouvrons aux enseignant·e·s toute une palette de possibilités où chacun·e pourra se positionner et contribuer à sa manière à l’internationalisation des formations.